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Cahier / Groupe Réseaux

Interconnexion des réseaux de téléphonie. Commutation et


pratiques de communication
Christian Pinaud

Citer ce document / Cite this document :

Pinaud Christian. Interconnexion des réseaux de téléphonie. Commutation et pratiques de communication. In: Cahier / Groupe
Réseaux, n°4, 1986. Interconnexion des réseaux. pp. 4-65;

doi : https://doi.org/10.3406/flux.1986.1760

https://www.persee.fr/doc/flux_1162-9630_1986_num_2_4_1760

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Interconnexion des réseaux de ...

TELEPHONIE

COMMUTATION ET PRATIQUES DE COMMUNICATION

С PINAUD
Février 1986
-S-

ET PRATIQUES DE COMMUNICATION

INTRODUCTION

INFRASTRUCTURE ET TERRITOIRE 1

TELECOMMUNICATION ET TRANSGRESSIONS 2

PREMIERE PARTIE : LE TERRITOIRE ET LA DIMENSION


DES PROJECTIONS DE L'IMAGINAIRE
LE MONOPOLE : TERRITOIRE DE L'ENTREPRISE 6

L'ambition d'un chef d'entreprise 7


De fait ou naturel, monopole de toutes façons 8
"SANS REVE. POINT DE SCIENCE" ; 1' INFINITE PARADOXALE 10

Propagation relayée, répétée, amplifiée» . . 10


Guidage à l'infini 12
Contraction sans limite 14
Imperceptible 15
PUISSANCE ET CONNEXION 16

Fraternité globale 17
Le signal téléporté
ou le songe d'une communication 18
Connexion et transport narcissique 20

DEUXIEME PARTIE : LA COMMUTATION : CONQUETE 22


DU TERRITOIRE ET BRASSAGE DE SIGNAUX

L'IMPOSSIBLE CONNEXION BIPOLAIRE GENERALISEE 22

Rigueur mathématique et génération spontanée 23


Une simple formule... 23
Mais plutôt par la force des choses 24
Lignes temporaires et connexions centralisées 25
Le cordon de communication 25
Complexité centrale et réplique du terrain 26
LA COMMUTATION ROTATIVE OU LE BRANCHEMENT PERIPHERIQUE 29
L'automatisation balbutiante 30
Sur le modèle de l'opératrice 30
Pas à pas 31
Une commutation de quartier 33
Le rayon de la communication 33
Pléthore de petits centraux 35

.
LA COMMUTATION A BARRES CROISEES OU L'EMERGENCE 36
DES GRANDS RESEAUX

Croisées de barres et matrices de connexion 37


Contacts à l'intersection et relais de logique 37
Maillage contre blocage 39
Au-delà des connexions, la progression des flux 41
Connexions accélérées et capacité d'écoulement 41
Extensions nationales et internationales 43
LA COMMUTATION ELECTRONIQUE TEMPORELLE 46
OU LA MANIPULATION DU SIGNAL

De l'électromécanique au tout électronique 46


En passant par l'électronique spatial 46
Modulation par impulsion et codage 48
La position et la fonction des signaux 50
La position temporelle 50
Réseaux de signaux dans l'infrastructure 52

CONCLUSION 54

UN RESEAU POUR DES SERVICES DE COMMUNICATION 54


INTRODUCTION

INFRASTRUCTURE ET TERRITOIRE

De façon très approximative, on pourrait définir le


territoire par la reconnaissance, sur une étendue, d'une solidarité
culturelle doublée d'une solidarité de proximité. Cette acception
nous renvoie à un territoire ancré sur un espace géographique
chargé de significations historiques, passées ou à venir. Il nous
semble qu'une telle définition du territoire s'accommode
particulièrement bien de tous les réseaux de transport à infrastructure
lourde. Parce que la prégnance de l'espace physique est forte
dans les deux cas, dans le territoire lui-même et dans le réseau
collé au terrain. Ainsi il est évident que le réseau routier
français s'arrête physiquement et administrativement aux
frontières naturelles et historiques.

Cette union du réseau et du territoire aussi indissociable


qu'un recto-verso est malgré tout remise en cause par l'arrivée
des réseaux de télécommunications. En effet, celles-ci ne sont
pas vraiment inscrites dans le paysage (1). Seuls quelques fils
sur poteaux indiquent qu'il s'agit d'une infrastructure (2).
C'est un oeil averti qui notera les traces encore plus subtiles
de cette infrastructure : ici ou là, quelques plaques de fonte
donnant accès aux chambres téléphoniques souterraines, ou encore
les placards de répartition au coin des rues, des bâtiments de
centraux téléphoniques, ou plus rares (3) les tours de faisceaux
hertziens. En somme, les réseaux de télécommunications ne
s'appuient pas sur la surface du sol.

(1) Cela constitue un des obstacles majeurs à l'étude de la


géographie des télécommunications. Cf. Henry BAJŒS. Géographie
des Télécommunications, PUP, Paris, 1984.
(2) Toutefois, la politique actuelle de la Direction Générale
des Télécommunications (DGT) est d'enterrer les câbles chaque
fois que cela est possible. Enfin, il faut accepter que le
quidam confonde très souvent les fils électriques (EDP) avec
les fils téléphoniques.
(3) Quoique plus voyantes.
Par ailleurs, leur développement fut très rapide ces dernières
décennies. Et il n'est pas possible, si tant est que cela le fut
jamais, d'imaginer un réseau limité à un pays. Non seulement on
peut évoquer l'extra -territorialité des réseaux de
télécommunications comme nous venons de le faire, mais il faut aussi en
admettre l'internationalisation. Les réseaux sont interconnectés
au plan mondial et l'on ne franchit pas de frontière pour téléphoner
à l'étranger comme c'est le cas quand on circule à bord d'une
voiture, d'un train ou d'un avion. Si l'infrastructure surpasse
les postes frontaliers, l'interconnexion des réseaux a aussi
entraîné la formation d'organismes internationaux assurant la
standardisation de certains équipements, et l'harmonisation des
règlements administratifs (i). Au-delà de cette entente
internationale minimale propre à la mise en oeuvre de l'interconnexion,
les techniques de télécommunication ont aussi suscité la création
d'organismes d'exploitation de réseaux intercontinentaux constitués
autour de satellites artificiels. Tel est le cas ď Intelsat,
véritable multinationale (2), née en 1964 avec onze pays
signataires. Aujourd'hui la société compte plus de cent dix pays
partenaires .

TELECOMMUNICATION ET TRANSGRESSIONS

Ainsi deux singularités caractérisent les relations des


télécommunications avec les territoires et les pays. Dès les
premières heures, les systèmes portaient en eux-mêmes l'idée
d'interconnexion généralisée. Les frontières des territoires
nationaux ne pouvaient donc pas résister à la logique de la
technique. Deuxième singularité : contrairement aux infrastructures
de transport dont on a repéré aisément la progression spatiale,
le réseau des télécommunications semble avoir été donné d'emblée

(1) C'est le cas de l'Union Internationale des Télécommunications,


fondée en 1865 à Paris. Depuis, l'UIT est devenue l'Agence
spécialisée de l'ONU pour les télécommunications.
(2) Au sens propre du qualificatif !
Particulièrement erronnée, cette représentation du réseau des
télécommunications emprunte beaucoup à l'instantanéité du
fonctionnement du système et à la diffusion massive d'un autre
système de communication à base d'ondes électromagnétiques : la
télévision. Tout se passe comme si, par ses prouesses patentes
et son apparente simplicité, le schéma du réseau de télévision
et l'instantanéité de la commutation téléphonique avaient fini
par occulter la progression historique des fils téléphoniques
sur les territoires des pays occidentaux. Les rares humanistes
à avoir réfléchi à l'influence de ces techniques sur
l'organisation socio-économique de nos pays n'ont fait que renforcer
cette idée d'antinomie entre territoire et télécommunication.
Après la société de masse, le Village Global de Me LUHAN (1 )
fut la figure dominante de la sociologie des media au cours des
années soixante. Dans la décennie suivante, elle fut relayée par
la société de l'ubiquité de J. CAZENEUVE (2).

Avec cette représentation dominante et dans cette mouvance


intellectuelle, les réseaux de télécommunication ont toujours
abstrait l'espace au moyen de leur infrastructure, jusqu'à ce
que quelques historiens et sociologues réhabilitent leur
histoire (3). Il était donc normal que la problématique dominante

(1) Me LUHAN M., Guerre et Paix dans le Village Global.


Collaboration avec Quentin PI ORE. Jean-Jacques Pauvert, Paris et
Hurtubise, Montréal, 1968.
(2) CAZENEUVE J., La Société de l'Ubiquité, Communication et
diffusion. Denoël-Gonthier, Paris, 1972.
(3) Notamment BERTHO С . ,«- Télégraphes et Téléphones ; de Valmy au
microprocesseur. Le Livre de Poche, Paris, 1981.
- "Les réseaux téléphoniques de Paris ; 1879-1927". In Réseaux î
Communication-Technologie-Société. CNET, Jan. 1984, n° 4.
- Histoire des Télécommunications en France (Sous la direction
de). Eres, Toulouse, 1984.
DE GOURNAY Ch. , "Les modalités spatiales du développement des
réseaux téléphoniques en France et en Grande-Bretagne". In
Réseaux ; Communication-Technologie-Société. CNET, Jan. 1984» n° 4.
LIBOIS L.J., Genèse et croissance des Télécommunications. CNET-
ENST, Maseon, Paris, 1983.
_ АО-

en matière de télécommunication et de territoire soit celle des


aménageurs. Dans cette vision des choses, les télécommunications
facilitent la redistribution des activités économiques sur le
territoire et pallient les déséquilibres suscités par l 'effet
d'entraînement des grands centres industriels et commerciaux.
On peut aussi considérer que l'idée d'une substitution des
télécommunications aux transports procède de cet état de fait,
conforté par les crises énergétiques des années soixante-dix (i).
La lecture des ouvrages récents historiques et socio-
économiques révèle ce que tout un chacun s'était empressé d'oublier :
le projet technique de la télécommunication est une histoire
collective. Celle-ci est faite d'affrontements idéologiques et conceptuels.
Histoire collective où l'interconnexion généralisée que nous
connaissons maintenant n'est que l'ultime étape technique. Enfin
Histoire qui redéfinit à coup de communications sans cesse répétées,
le tissu de notre vie quotidienne. Activité collective où le réseau
technique constitue le nouveau territoire de nos relations
interpersonnelles.

Ainsi pour renouveler la problématique Télécommunications-


Réseaux-Territoire, nous tenterons de faire apparaître de quelle
façon le projet de l'interconnexion s'est nourri de projections
imaginaires qui circonvenaient déjà l'espace bien avant que la
technique ne le fasse réellement. Ensuite, nous étudierons
les relations qui ont unis les principes techniques de la
commutation et de la transmission à chaque nouveau déploiement
spatial des réseaux. Enfin, avec l'évolution de la notion de
réseau d'infrastructure vers celle de réseau de service, nous
dirons que les nouvelles formes de télécommunication constituent
le réseau d'infrastructure en un lieu d'expressions et de solidarités

(i ) La thèse de doctorat d'état de H. BAKIS constitue une excellente


synthèse de ce double courant de pensée, aménagement et
substitution (Télécommunications et organisation de l'espace ;
Université de Paris I, 1983).
différentes qui transforment l'idée de territoire. Si celui-ci
s'appuie toujours sur une affinité culturelle, la proximité
spatiale s'est changée en séquences communes de branchements.
LE TERRITOIRE ET LA DIMENSION DES PROJECTIONS DE L'IMAGINAIRE

Si l'on accepte que la genèse et le développement des


télécommunications constituent une histoire collective, plusieurs
acteurs se sont rassemblés pour donner un corps au projet de
communiquer à distance. Dans cette participation, chaque acteur
s'est donné une représentation de l'espace et du temps qui lui
est propre. L'amalgame de ces représentations, et leur
concrétisation ont produit les réseaux de télégraphie, puis de téléphonie.
Pour comprendre les raisons de la représentation dont nous avons
parlé dans l'introduction, il n'est pas inutile d'étudier les
caractéristiques du terrain sur lequel chaque catégorie d'acteur
projette les performances de son moyen de communication. De façon
schématique, on peut distinguer trois grandes familles d'acteurs :
les entrepreneurs (1), les scientifiques, et les usagers.

LE MONOPOLE : TERRITOIRE DE L'ENTREPRISE

Quel est le terrain que l'entreprise privée ou publique


investit en développant son réseau ? On pourrait toujours dire
qu'il s'agit de l'espace physique. Ce serait trop simple ! Revenons
aux déclarations de celui que tous les responsables de systèmes de
télécommunications ont considéré et considèrent encore comme le
père fondateur de l'entreprise moderne de télécommunication :
Théodore VAIL.

(1 ) Par certains aspects de nos propos, nous rejoignons et


adhérons à ceux de G. DUPUY, notamment l'idée du réseau analysé
sous la forme d'un équipement technique de solidarité (Cf.
DUPUY G. : "Villes, systèmes et réseaux : le rôle historique
des techniques urbaines" • In Réseaux, Communication-Technologie*
Société. CNET, Jan. 1984, n° 4) ainsi que l'idée d'un réseau
empruntant simultanément à l'infrastructure technique, à la
circulation d'informations et à une gestion des flux (Cf.
DUPUY G : "L'enjeu des réseaux", communication présentée au
colloque Crise de l'Urbain-Futur de la Ville ; Cerisy-La-
Salle, juin 1985).
_ лъ -

L'ambition d'un chef d'entreprise

Aux Etats-Unis 9 dans les années 1880, quelques personnes


seulement sont convaincues que les lignes téléphoniques à grande
distance sont promises à un bel avenir. Dès 1885, 1 'American
Bell Telephone Company crée une filiale chargée d'exploiter la
téléphonie interurbaine. Dans les statuts de la nouvelle entreprise,
1 'American Telephone and Telegraph Company (ATT), on peut lire que
des liaisons sont prévues "par câble ou par tout autre moyen", que
seront établies "des interconnexions par des moyens appropriés avec
tout le reste du monde si cela est nécessaire ou souhaitable pour le
développement de la nouvelle société" (1). Directeur d'ATT,
Th. VAIL fut l'un des artisans des statuts de la nouvelle société.
Après vingt ans d'éclipsé, lorsqu'il revient à la tête d'ATT en
1907, il prononce un discours dans lequel il déclare : "Nous
bâtirons un système téléphonique tel que toute personne puisse
communiquer rapidement, économiquement avec toute autre personne,
en quelque point qu'elle se trouve" (1).

A travers ces deux déclarations, le lecteur prend la


mesure des ambitions de son directeur et du projet d'ATT. Il
n'est pas inutile de rappeler qu'en 1885, les Etats-Unis ne
comptent que 147*700 postes téléphoniques de toute nature. En
1880, on pensait encore qu'il ne serait pas utile ni "satisfactory"
d'entretenir une conversation au-delà d'une trentaine de kilomètres ;
aussi la première ligne véritablement interurbaine de grande
longueur ne fut construite qu'en 1884 entre New York et Boston,
et encore, à titre expérimental (2).

(1) Oité par LIBOIS L.J. (1983), p. 314 et suivantes. Lire aussi
à ce sujet les pages 7 et suivantes de KLEIMPIELD S. The
Biggest Company on Earth, a profile of ATT (HOLT, RINEHART and
WINSTON, New York, 1981). L'emphase du soulignement nous
appartient.
(2) Cf. p. 32 et suivantes. STEHMAN J.W. The Financial history of
the American Telephone and Telegraph Company. Augustus M.
KELLEY Publishers, New York, 1967. 1ère édition en 1925.
II est clair que Th. VAIL fait de l'interconnexion
universelle un projet politique. Dans un premier temps (1985),
l'interconnexion servira les intérêts de la toute nouvelle entreprise qui se
donne "tout le reste du monde" comme champ d'action. Dans un second
temps, 1907, l'interconnexion profitera à l'usager. Le glissement
de l'objectif institutionnel vers le service à l'usager ne modifie
pas le dessein politique. Le service public couvre les activités
de l'entreprise. Et Th. YAIL résume ainsi sa doctrine : "One
policy, one system, universal service" (i).

De fait ou naturel, monopole de toutes façons

Dans les télécommunications, contrairement à ce qui s'est


passé dans bien d'autres moyens de communication, notamment les
transports, l'enjeu des entreprises fut d'emblée le monopole.
Qu'elles aient été privées ou publiques, qu'il fut de fait ou
naturel, que leur zone d'action ait été vaoto, ou uu contraire
restreinte. Le terrain ou se battent les entreprises est celui
de la concurrence et de la législation. L'extension du réseau
sur le pays n'est que le signe d'une progression dans le champ
institutionnel .

En Prance, où la loi précède souvent l'action, celle de


1837 fixait le monopole de la télécommunication bien avant que
celle-ci soit pensée comme un ensemble aux multiples
ramifications techniques. A cette époque, la télégraphie optique vivait
ses plus belles heures. A la fin du XIXème siècle, lorsque
naîtront téléphonie et radiocommunication, il suffira d'ajouter
quelques alinéas au texte de loi pour préciser ce qui était
déjà très clair.

(i) "Une politique, un système, le service universel".


Les péripéties de la nationalisation des réseaux de
téléphonie en 1889 sont significatives de ces questions. La Société
Générale des Téléphones, à qui lfEtat octroyait 1 * établissement
des premiers réseaux urbains, était prisonnière des conditions
fixées par la concession (i). Incapable de développer une stratégie
d1 entreprise, la SGT s'est contentée de prélever des bénéfices
sur ses terrains. D'ailleurs, des 1882, l'Etat fait directement
concurrence à la SGT en installant et exploitant des réseaux
dans les villes non encore investies par celle-ci.

Ces quelques lignes sur la situation française, indiquent


que l'Etat, garant du service public, s'était fourvoyé dans une
impossible (2) concession à une compagnie privée. La reprise des
réseaux par l'Etat n'améliorera pas vraiment la situation
téléphonique, mais réglera le problème des entreprises privées (3).

De nos trois acteurs principaux des réseaux de


télécommunications, les entreprises privées ou les administrations
nationales ne se posent pas vraiment la question de la couverture
du territoire national ou planétaire. Cette couverture est inclue
dans la logique de la technique, môme si parfois il est difficile
de la mettre en oeuvre, ainsi que nous le verrons plus loin. Si le
réseau n'est pas donné d'emblée, la vision que s'en construit le
responsable est immédiatement totalitaire. Jusqu% ces dernières années, un
réseau de télécommunication ne se concevait que par l'extension
maximale de son infrastructure. La complexité technique, le service
public, le projet d'interconnexion justifiaient et légitimaient le
monopole. Il suffisait de le conquérir ou de l'établir. L'extension
spatiale de l'infrastructure n'en était que le moyen.

Cf. ВЕЕШЮ С (1981 ), p. 203 et suivantes).


2) Encore une fois, impossible dans les termes accordés et les
pratiques commerciales de la SGT, à l'époque.
(3) II est difficile de dire que le problème du monopole en fut réglé
à tout jamais. Dans l'esprit, il l'était dès 1837. En 1923, le
vote d'un budget annexe pour le Ministère des PTT n'est que
l'issue d'un combat qui opposait encore les partisans du privé
et du public. Aujourd'hui, en 1985, le débat est encore de mise,
mais pour des raisons totalement différentes et il ne porte pas
sur les mêmes points qu'à l'époque. Nous reviendrons sur ce
problème plus loin.
"SANS REVE. POINT DE SCIENCE" ; L1 DEFINITE PARADOXALE

Télégraphie et téléphonie ont été réalisées à travers la


maîtrise croissante de l'électricité. Au siècle dernier, la
recherche fondamentale et appliquée en électricité est une branche
particulière de la recherche sur la lumière. Si quelque chose est
donné d'emblée, c'est bien la lumière. Qui peut bien percevoir le
déplacement et la nature de la lumière ? C'est dans cette filiation
scientifique que se produisent les travaux sur la propagation des
courants électriques et sur les ondes électromagnétiques.

Propagation relayée, répétée, amplifiée..»

Ainsi un double mouvement se met en place dès les premières


heures de la télégraphie électrique. Il faut trouver les moyens de
propager l'électricité le plus loin possible et d'émettre les
signaux dans le moins de temps possible. La maîtrise de l'électricité
est un moyen de mesurer le possible en matière d'instantanéité. La
vision totalitaire du scientifique est de donner le signal
signifiant comme est donnée la lumière. Partout. Simultanément.
La construction de l' infiniment grand en terme d'espace, et de
1' infiniment petit dans le temps commence avec celle d'un milieu
propre à la propagation et à l'amplification du signal électrique.

Si l'on considère le télégraphe optique de Claude CHAPPE


comme le premier exemple de réseau de télécommunication, c'est,
entre autres (i), parce qu'il correspond à cet état d'esprit, et
utilise des techniques encore à l'état rudimentaire, mais qui
seront reprises ensuite sur des infrastructures plus performantes.

(1) Entre autres, car un réseau est bien autre chose que les
éléments que nous avons explicités, notamment l'organisation
humaine et réglementaire permettant sa mise en oeuvre.
А Л-

Claude СНАРРЕ et ses collaborateurs utilisaient des tours


qui servaient de relais à la propagation des signaux. Cette notion
de relais nfest pas neuve. Depuis fort longtemps, elle était mise
en oeuvre par la Poste et les transports. Mais, avec la
télécommunication, le relaie est directement attaché au signal et à sa
formo signifiante. Lorsque DAVY en Angleterre et GINTL en
Autrloii* mettent au point le principe du relaie électrique, dès
Ш37, on pout oonsidérer que l'espace qui épuisait les chevaux
par son seul parcours, et le temps qui confortait l'idée du voyage
par sa seule durée, s'alignent enfin sur la représentation que tous
les acteurs de réseaux s'en sont toujours construit. L'un se
constitue en un infini dont la conquête est comprise dans sa
définition même. L'autre se rétracte en un point si infinitésimal
que l'on peut se demander si son concept conserve une valeur
autrement que par l'acharnement qu'il suscite, à vouloir le réduire
définitivement. Finalement, le temps et l'espace ne se donnent plus
que par des mesures infiniment grandes ou infiniment petites* Cette
substitution des mesures au continuum lui-même a pour effet de le
disqualifier comme réalité extrinsèque au site propre que l'on
construit pour la propagation du signal.

Après le relais électrique, qui fut à la base des réseaux


télégraphiques, vint la bobine de PUPIN, puis les répéteurs à tube
et à transistors, qui furent et sont encore les éléments
indispensables des réseaux téléphoniques* Tout cet ensemble de découvertes
techniques font de la propagation et de l'amplification, des
disciplines majeures de la télécommunication (i).

(1) En fait la transmission. C'est Yves STOUBDZE qui considère


l'amplification du signal comme la principale technique de
la télécommunication. Cf. STOURDZE Y. "Le statut de
l'opérateur humain dans les systèmes de communication11. In
La Revue Internationale des Sciences Sociales, n° 2, 1980.
лЪ -

Guidage à l'infini

A la technique du relais, de la bobine et du répéteur, qui


permettent d'outrepasser l'espace physique, le terrain et ses
territoires, s'adjoint celle du site propre (i). Car il s'agit bien de
passer outre l'espace constitué en épaisseur épuisante. C'est le
parcours qui affaiblit* Pour réaliser cette abstraction du sol, il
n'est meilleure solution que de créer un environnement propre à la
propagation. Au temps des tours optiques de la télégraphie, on
parlait déjà de ligne* Ce qui se justifiait par l'alignement des
sémaphores et par le fait que les signaux étaient dirigés vers tel
ou tel sémaphore* Mais le site propre cessait d'exister la nuit,
ou par temps de brouillard lorsque la gesticulation des bras
n'était plus visible. Cette recherche sur des milieux propres à
guider le signal se retrouvera tout au long de l'histoire de la
télécommunication* Les fils télégraphiques et téléphoniques seront
les premiers sites propres de la télécommunication, que l'on
implantera même, au début de la télégraphie, sur d'autres sites
propres, pour plus de sécurité : ceux du chemin de fer.

Par ailleurs, à la charnière du XIXème et du XXème, on


mettra en place, dans la capitale, un réseau de tubes à air comprimé
pour y faire circuler à grande vitesse les petits rouleaux de
papier, porteurs des messages. Avec le téléphone, le courant
électrique, porteur du signal de parole, circulera sur un fil ou
une artère hertzienne* Ensuite au sein ноете du fil téléphonique, on
distinguera des voies ou circuits que l'on délimitera sur des
fréquences porteuses, augmentant ainsi les capacités de transmission*
On normalisera le signal en le contenant dans une certaine bande
passante, de 300 à 3*300 Hz. Un câble contient autant de voies
téléphoniques que de bandes étagées sur de très hautes fréquences*

(i) Nous reprenons ainsi une expression chère aux gens du transport*
Four réaliser cette augmentation de la capacité de
transmission, il faut mettre au point un guide plus performant que la
paire de fils ordinaires. C'est le câble coaxial. Celui-ci est
constitué d'un fil plein entouré d'un tube métallique qui lui est
concentrique et qui en est séparé par quelques millimètres de
diélectrique. Les courants électriques circulent sur la face
interne du tube et à la surface du fil plein. Un phénomène
d ' autoblindage réduit l'affaiblissement de façon considérable,
tout particulièrement aux très hautes fréquences. Tout se passe
comme si les signaux s'enfermaient eux-mêmes dans un espace
restreint favorable à la multiplication des circuits par
augmentation des fréquences ( 1 ) . Mais les câbles coaxiaux ne sont pas
les seuls guides d'ondes. Depuis fort longtemps, les physiciens
travaillent sur les guides à conducteur parfait (2) et utilisent
des ondes toujours plus courtes. Aujourd'hui, les guides (3) en
milieu fermé sont constitués par les fibres optiques où circulent
des ondes lumineuses, aux fréquences extrêmement élevées. En milieu
ouvert, les faisceaux hertziens se comportent aussi comme des
guides d'ondes. Celles-ci sont émises vers des directions très
précises, à de très hautes fréquences et supportent, elles aussi,
jusqu'à plusieurs milliers de communications. On les appelle
parfois les artères hertziennes.

(1 ) Mis au point dans les années trente et quarante, le câble


coaxial permit, au lendemain de la seconde guerre mondiale, de
réaliser les grandes artères interurbaines et les câbles sous-
marins intercontinentaux.
(2) Est-ce vraiment possible ? La logique même de la mesure du
continuum spatio-temporel semble interdire une telle découverte.
Serions-nous à la veille d'un changement de paradigme
scientifique (Cf. Thomas S. KDHN. La structure des révolutions
scientifiques. Flammarion, Paris, 19,72).
(3) L.J, LIBOIS (1983, op. cit., p. 128) retrace les principaux
travaux sur le sujet. Les premières théories sont l'oeuvre de
Lord RALEIGH en 1897. En 1936, SCHELKDHOPF a démontré qu'il
existe une onde, appelée alors HO, dont l'affaiblissement
décroît avec la fréquence... Désormais, le point des recherches
se trouve consigné dans l'ouvrage de Ch. VASSALO. Théorie des
guides d'ondes électromagné tiques. CNET-ENST, Eyrolles, Paris,
1985, deux tomes.
^ 20-

Ainsi les cohortes de chercheurs et d'ingénieurs ont


dépassé, outrepassé, déclassé le terrain par la double technique
de la régénérescence et du site propre. L'espace physique, perçu
comme catégorie de l'action est disqualifié par la continuité du
réseau de télécommunication. Où en est-on aujourd'hui en matière
de propagation ? Dans cet espace désormais conquis, au moins de
façon théorique, jusqu'où les signaux de télécommunications sont-
ils maîtrisés ? Non plus seulement à la périphérie de la Terre
grâce aux satellites (1 ) géostationnaires, à 36.000 Kins d'altitude.
Non plus seulement jusque sur la Lune dont nous avons obtenu des
retransmissions télévisées. Non plus seulement à la proximité des
planètes voisines que viennent observer satellites américains et
soviétiques. Mais aussi jusqu'aux confins de notre système solaire
que quitte aujourd'hui une sonde de la série "Voyager" qui
continue d'émettre des signaux encore déchiffrables.

Si la télécommunication participe ei activement à la


conquête de l'espace, c'est parce qu'elle a aussi tordu le cou à
l'autre catégorie philosophique indispensable à la situation de
nos actions. Le temps*

Contraction sans limite

Là encore, pour comprendre le rêve du scientifique, il faut


remonter aux premières recherches sur l'électricité. Dès 1834» en
voulant mesurer la vitesse de propagation de l'électricité le long
des fils métalliques, WHEATSTONE, professeur de philosophie
expérimental о nu King's Collogo h Londres, в '«S tait llluatré dano
une expérience retentissante. 11 avait calculé que l'électricité
circulait à la vitesse de 500.000 Kms/seconde. Plus vite que ce
que noue appelons maintenant la lumière ! En 1837, lorsque COOKE
voulut donner quelque éclat scientifique et merveilleux à ses
appareils télégraphiques, il s'associa à WHEATSTONE.

(1 ) Véritable relais hertzien spatial.


Aujourd'hui, si l'on parcourt le livre de Marcel LACOUT et
Daniel CADE (i), des chiffres attirent sans cesse l'attention. On
les rencontre de façon très dense dans les chapitres consacrés à
la commutation, à la transmission et à la signalisation. Ils
concernent des mesures de temps. Ils n'auraient rien d'extraordinaire
si les durées qu'ils indiquent n'étaient infinitésimales. A la
propagation infinie s'oppose la contraction instantanée. Les temps
qui servent de référence au parcours de l'espace sont inconcevables
pour l'usager des réseaux. La dépossession du temps est si parfaite,
et la représentation de l'instantanéité si assurée, que c'est un
calibrage électro-temporel qui sert de discours entre les organes
du réseau. Electrique car différentes fréquences ou intensités
sont utilisées pour signifier des commandes précises. Temporel, car
l'électricité caractéristique n'est émise que pendant quelques
centièmes de secondes ou milli-seconde. A doses aussi
infinitésimales, on peut s'offrir le luxe de multiplier les significations
en répétant simplement certaines durées. Leur somme reste encore
souvent imperceptible (2).

Imperceptible

Le lecteur aura compris : le temps que manipule l'ingénieur n'est


pas celui que le quidam sait reconnaître. L'histoire de la commutation
le prive peu à peu de sa seule appréhension du temps du système
technique. A l'époque de la commutation manuelle, le temps d'une
connexion simple pouvait atteindre plusieurs secondes. Tout

(1) LACOUT M. et CADE D. Les télécommunications françaises ; 1932.


Sous la direction de, assisté de. Ministère des FTT, Direction
Générale des Télécommunications* Paris, 1982.
(2) C'est le cas en signalisation terminale. La numérotation au
cadran transmet des trains d'impulsions. Une impulsion est
constituée par une ouverture du circuit électrique de 66
milli-secondes. Deux impulsions sont séparées par un intervalle
de 33 milli-secondes. Ainsi, lorsqu'on compose le "З", il suffit
de 264 milli-secondes. Encore faudrait-il dire que ce système
est particulièrement lent. En effet, le 0 nécessite 10 impulsions.
Les nouveaux systèmes multi-fréquences sont beaucoup plus rapides,
ils peuvent absorber sans dénaturer la signification jusqu'à 10
compositions de chiffre à la seconde... Cf. LACOUT M. et CADE D.
(1982), p. 373 et suivantes.
particulièrement si les opératrices étaient surchargées. Il
s'agissait alors d'une attente. La commutation rotative stabilisera
ce délai au niveau de la seconde. Celle, dite à barres croisées,
la réduisit au centième de seconde. Depuis l'invention de la
commutation électronique, les milli-secondes ont succédé aux durées
précédentes. Viennent maintenant nano et pico-secondes.
La vitesse do l'opération donne l'espace on consommation. Раз
seulement celui, extrinsèque, de notre réalité physique, mais aussi
celui, intrinsèque, du réseau comme maîtrise des phénomènes physiques.
Désormais, la mesure fondamentale de l'activité d'un réseau moderne
de télécommunication est le bit/seconde. En quelque point du réseau
-autant dire de la Terre-, les scientifiques et les ingénieurs
savent en produire et en compter plus de deux millions par secondes.
Le débit, alliance d'unités physique, temporelle et spatiale, mesure
désormais la capacité de communication.

Si les entreprises se battent sur le terrain du monopole,


les scientifiques et les ingénieurs le font sur celui de l'infinité
paradoxale. Simultanément, ils abstraient l'espace, le conquièrent
dans son infini, et le recréent sous une forme technique propre au
réseau. Cela est possible parce que leur temps est aussi une
construction technique dont les ordres de grandeur sont infinitésimaux
contrairement à ceux qui mesurent l'espace.

PUISSANCE ET CONNEXION

L'usager n'a que faire du monopole et prend pour acquises


les performances du réseau, même si elles l'émerveillent toujours
un peu. La télécommunication fait partie de son environnement.
Sur quel terrain va-t-il projeter son usage téléphonique ? Qu'est-
ce qui le fait rêver ? Où puise-t-il un sentiment de puissance
comparable à celui procuré par les maîtrises monopolistiques et
scientifiques. Dans la communication interpersonnelle. Ce pourquoi
le réseau est construit. Dans l'acte de communication lui-même,
mais aussi et surtout dans la représentation qu'il s'en donne et
tout particulièrement dans la virtualité des actes possibles.

Fraternité globale

En 1971, A. MOLES et C. ZELTMANN reprennent l'idée de


Me LUHAN. Alors que celui-ci considérait son "Village global" comme
une réalité technique acquise, MOLES et ZELTMANN insistent sur le
fait que la dynamique technique trouve un écho dans une
représentation fraternisante de la communication : "Par des extensions
successives, on entrevoit le mement où tous les habitants de la
planète pourront se parler à tous -si les réseaux sont en bon
état. L'importance sociale de ce concept est si grande qu'il s'est
imposé comme un mythe dynamique de l'évolution avant même qu'il
se soit véritablement réalisé sur le plan technique" (i).

Par rapport à Me LUHAN, la nuance est importante. Pour le


premier, la technique est conviviale à elle seule, et en impose
la caractéristique aux hommes. Pour les auteurs de la citation, les
télécommunications sont "des machines à choisir permettant de relier
simplement n'importe quel individu à n'importe quel autre". Ces
machines sont la réalisation technique d'un projet utopique :
celui de la communication universelle.

La lecture de l'ouvrage de Françoise BOfiKOT et Anne CORDESSE (2)


ne contrevient pas à cette vision de la télécommunication. Elle
l'enrichit d'une perspective historique et sociologique. Pour les
auteurs marseillais, l'organisation de notre vie quotidienne ne
permet plus d'entretenir des communautés de présence. Disloqués

(1 ) MOLES A., et ZELTMANN С La communication ; Les Dictionaires


du Savoir Moderne (Sous la direction de, assisté de). CEPL,
Paris, 1971.
(2) ВОШЮТ F. et CORDESSE A. Le téléphone dans tous ses états.
Actes Sud, Le Parádou, 1981.
- 2-4 -

aux quatre coins du pays (territoire national !), les familles ont
des difficultés à maintenir leurs liens. La complexité croissante
des activités professionnelles suscite la quête d'informations
toujours plus spécialisées. Devant cette atomisation des lieux de
1 • affectivité et de l1 exercice professionnel, mass-media et télé-
communicatiora sont devenus les nouveaux outils de la cohésion
sociale. Les media sont le lien entre 1* individu et "la Grande
Voix" du groupe (i). Le réseau de télécommunication relie les
hommes comme le dit le slogan publicitaire, mais il les réunit
aussi. Il est la trace d'une communauté et le moyen de son
expression : "L'équipement ne trouve sa logique que par la
solidarité physiquement réalisée entre les éléments desservis
(et avec l'extérieur du système)" (2).

Le signal téléporté ou le songe d'une communication

Mais dans cette vision de la fraternité socio-technique si


spécifique de la télécommunication, on retrouve une sorte de
pulsion démiurgique qui croit pouvoir créer le sens par la seule
existence de la parole téléportée. Si tout le monde s'émerveille
de pouvoir téléphoner à Tokyo ou à Nev York aussi facilement qu'à
son conjoint ou à ses amis, c'est aussi parce que la magie de la
communication téléphonique fait accroire qu'il suffit d'une
connexion pour communiquer le sens de notre existence auprès d'un
interlocuteur lointain. Le contact électrique réaliserait la fusion
de l'espace et du sens. Leur confusion ?

Il nous semble très facile de témoigner de notre expérience


humaine, territoriale -nous, ici, maintenant- auprès d'un inconnu,
aussi lointain et différent de nous-mêmes soit-il, car la télécom-

(1) Cf. ВОЮЮТ E. et CORDESSE A. (1981). Le chapitre intitulé


"Le Pil Rouge".
(2) Cf. DTJPUY G. "Villes, systèmes et réseaux : le rôle historique
des techniques urbaines". In Réseaux, CNET, n° 4, janvier 1984.
muni cation ne noue représente pas ce dernier comme distant. Il
est proche ; et nous confondons alors proximité et familiarité.
Nous mélangeons espace et sens. Le coup de fil dans son appartement
donne l'impression de pouvoir faire l'économie de la reconnaissance,
de l'allégeance aux significations d'un autre lieu de vie.
Finalement, par le téléphone , il semble facile d'entrer en
communication avec l'autre, malgré tout ce que cette expression
comporte de mysticisme (1 ) parce que la représentation dominante
que nous attachons à la télécommunication nous fait oublier que
nous entrons chez le Japonais ou l'Américain comme nous le ferions
si nous entrions dans un moulin.

"Télé-phone : télé signifie cet écart entre on et je,


cette tension de on vers je, qui n'est qu'apparemment distance
dans l'espace et petite différence dans, le temps, mais plus
essentiellement désir de sortie de l'absence vers une présence,
du silence vers une voix, désir de manifestation, de position
de sujet" (2). L'entrée dans le moulin veut réaliser cette
transformation du on en je. Le sujet prend position sur le
territoire de l'autre. Tout donne à penser que cette
représentation et cette pratique d'une télécommunication omni -puissante
emprunte beaucoup à 1 'Anschluss, au Blitz Krieg ou plus
prosaïquement au viol. Elle ignore l'autre comme charge
signifiante autonome et souveraine sur son univers. Tous les
traités de bonne éducation appellent un code de la politesse
téléphonique pour que soient respectés les lieux personnels.

(1) Au sens propre de ce terme, c'est-à-dire la possibilité


d'entretenir une communication directe et interpersonnelle
-avec Dieu, avec l'Autre— fondée sur le sentiment et
l'intuition.
(2) MARIN L. "Allô ! J'écoute...". Brèves variations sur la
fonction phatique téléphonique. In Traverses, Circuits
Courts-circuits, n° 16, Sept. 1979.
C orme xi on et transport narcissique

Au-delà de cette entrée en communication, au pas de charge,


l'économie de la reconnaissance altruiste sert notre fond
narcissique* Pourquoi un Japonais ou un Américain, pourquoi pas un
Australien ou un Argentin ? Tous s'équivalent devant l'urgent
désir de prendre position, pourvu qu'ils décrochent* La commutation
remplit parfaitement son rôle. Elle les indifférencie et les situe
à peu de choses près -quelques milliers de kilomètres- à égale
distance de notre appel* Nous pouvons donc projeter notre message
dans quelques terres lointaines que ce soient* La technique le
permet et notre vision démiurgique nous y incline* Alors l'important
n'est pas l'univers signifiant et signifié de l'autre, mais la
projection du notre* Américain ou Australien, peu importe ! Ici,
-là-bas, plutôt- (1 ) l'important est la distance, celle précisément
que fait oublier la téléphonie. Pas tant la distance que nous
signalions plus haut, (antinomique de familiarité et proximité à
la fois), mais le kilométrage qui mesure le paradoxe, devenu
flagrant instantanément, entre notre capacité à nous déplacer et le
dépôt de notre message existentiel à l'autre bout du monde. La
Poste faisait cela très bien et le fait toujours. Nais ne fait
point rêver. Car toute la différence entre les deux dépots,
c'est que le téléphonique est notre réalisation, en deçà de notre
seuil de perception. Ni ne lésinons sur la distance, ni ne
déléguons notre transport narcissique !

Encore n'est-il pas certain que la différence de l'Autre


ne soit pas une bonne façon de contre-vérifier notre projection
narcissique. Lorsqu'on s'émerveille de pouvoir téléphoner partout
instantanément, on ne rêve pas d'appeler l'épicier du coin pour
vérifier cette performance* Nais, en fin de compte, c'est ce que

(i) Ces spécifications spatiales n'ont plus de sens...


l'on fait* L'épicier ne participe pas au songe parce que le rêveur
et le commerçant se connaissent. Ce qui abolit la plus grande
partie de la différence et de la distance psychologique. La
puissance narcissique ne se mesure vraiment qu'avec la
combinaison du lointain et du différent. Et pourtant c'est bien à
l'épicier que l'on téléphone, plutôt qu'à l'Américain. Parce que
l'on a quelque chose a dire au premier, parce qu'il signifie
quelque chose pour notre petit univers. Tout relatif aux boîtes
de conserves que soit son approvisionnement, il n'en contribue
pas moins, et quotidiennement, à la construction de notre charge
signifiante. •• L'Américain n'en sera jamais que la brume onirique.

Ainsi, à la logique technique qui se suffit à elle-même


pour imposer la vision -et la réalisation !- d'un réseau répandu
en tous points, frappant ainsi de caducité la notion
traditionnelle de territoire (1), nous avons adjoint plusieurs renforts :
l'urgence d'une communication interpersonnelle qui se complait
dans la démonstration narcissique, la quête des infiniments
grands et petits, et l'ambition d'un monopole qui facilite
l'homogénéité du réseau. Autant de puissantes raisons pour un
réseau, sans fin, surapposé, de façon a- topique aux espaces
traditionnels de notre existence.
LA COMMUTATION : CONQUETE DU TERRITOIRE ET BRASSAGE DE SIGNAUX

Les projections imaginaires des acteurs ont soutenu la


mise en oeuvre du réseau. Celui-ci a déjà plus de cent ans* Bien
qu'on se le représente donné d'emblée, quelques éléments de son
histoire technique indiquent que sa conquête de l'espace ne se
fit tout de même pas sans difficultés. Au cours de notre première
partie, nous avons laissé entendre plusieurs points* Au fur et
à mesure que le réseau s'étend sur les pays, sa capacité de
transmission augmente. Comme s'il menait, de front, l'abstraction
de l'espace physique et la construction d'une nouvelle dimension
articulée sur le spectre de très hautes fréquences, puis des
débits* Nous avons aussi laissé entendre que la technique de la
télécommunication était porteuse d'une aspiration universelle
d'infinité. Ses roseaux furent les premiers à susciter des
accords internationaux permettant l'interconnexion des équipements


Nous ne reviendrons pas sur ces points dans notre seconde partie.
Autant nous avons essayé de démontrer que la téléphonie,
indifférente à l'espace et aux frontières, s'appuyait sur trois
projections imaginaires différentes, correspondant à trois
acteurs, investissant chacun un terrain bien particulier par
rapport au réseau, autant nous tenterons de démontrer dans cette
seconde partie que l'évolution d'une technique spécifique de la
télécommunication rend parfaitement compte de la progression des
réseaux sur l'espace» Cette technique est la commutation.

L'IMPOSSIBLE CONNEXION BIPOLAIRE GENERALISEE

Le statut de la commutation est particulier car elle


fut imposée de l'intérieur même du roseau. Dès que le nombre
d'abonnés à un réseau atteignait la dizaine, des dispositifs de
commutation devenaient indispensables. Les solutions techniques
retenues pour sa réalisation renvoient très précisément à
I1 étendue du réseau, à la pratique des usagers et aux possibilités
d'interconnexion des réseaux*

Rigueur mathématique et génération spontanée

Une simple formule

Dans la mesure où ce qui distingue la téléphonie de la


télégraphie en tant que services s'articule autour de
l'appropriation de la premiere par le grand public, le rêve utopique
de la téléphonie est l'interconnexion généralisée de tous les
postes deux à deux et cela de façon permanente • Pour les premiers
concepteurs de réseaux, il restait à tirer les câbles et à
installer les postes* A priori, les choses semblaient d'une grande
simplicité... Si, et seulement si, les câbles ne rejoignaient
qu'un petit nombre de postes ; si, et seulement si, le nombre
d'abonnés restait très limité.

"Mais pour interconnecter n points deux à deux, il faut


établir n — -я —' liaisons. C'est ainsi que, s'il y avait n
abonnés au téléphone, chacun d'eux devrait disposer de n - 1
appareils reliés par n - 1 lignes aux n - 1 autres abonnés* La
situation deviendrait donc bientôt digne d 'IONESCO au fur et à
mesure que n augmenterait" (i). La nécessité de la commutation
était prouvée. Il restait à l'inventer. La commutation sépara les
protagonistes pour gérer leur connexion. Dans la propagation
infinie des courants, elle installa la césure. Elle inscrivit
l'espace sous la forme d'un choix de direction et de connexion*
L'annuaire des abonnés interconnectables commença la description
du terrain couvert par le système*

(i) p. 1 et 2, tome 1* GRINSEC. La commutation électronique.


2 tomes. CNET-ENST, Eyrolles, Paris, 1981.
Mais plutôt par la force des choses

Les tout premiers réseaux téléphoniques reliaient les postes


deux à deux. Grâce à une magnéto et à des batteries directement
reliées aux postes, les équipements étaient entièrement autonomes.
On commença à installer des petits réseaux d1 inter communication à
quelques lignes et postes, commutés par les usagers eux-mêmes. Le
principe de commutation s'apparentait à celui en usege dans la
télégraphie (i). En tournant une manette, on passait d'une ligne
à l'autre (2). Puis, dès les années 1880, parce que ces dispositifs
limitaient les potentialités du réseau, la fonction de commutation
fut isolée et constituée en service commun aux utilisateurs des
postes. L'idée de centralisation de la commutation s'imposait
d'elle-même dès que le réseau comptait plus de 5 à 10 abonnés. Le
principe des liaisons permanentes entre chaque paires de postes
constituait une solution technique impossible à grande échelle.
Les lignes de chaque poste furent rassemblées en un seul point et
les liaisons furent établies entre les lignes à la demande de
l'usager pour la durée de sa conversation seulement (3)«

Tout naturellement, à une époque où l'automatisation


était encore dans les limbes de la mécanisation, c'est à des
opérateurs, ou plutôt à des opératrices, que l'on demande
d'établir les connexions temporaires entre les lignes. La
centralisation des possibilités de connexion instaure la nécessité d'un
dialogue avec l'opératrice, que l'on peut considérer comme
l'intelligence du réseau. La signalisation produite par l'usager

(1 ) Sur les premiers dispositifs de commutation télégraphique, se


reporter à H. THOMAS, Traité de Télégraphie électrique, Librairie
Polytechnique, Baudry et Cie. Paris, 1984.
(2) Aujourd'hui sur les systèmes ď intercommunication, on enfonce
la touche correspondant à la ligne désirée.
(3) Bien que ces remarques paraissent banales, nous allons voir
que le constat est lourd de conséquences en matière
d'organisation spatiale des réseaux et de développements socio-
techniques ♦
demandeur est double. Il se signale à Impératrice puis lui
indique la connexion à établir. Le premier central fut mis en
service à New Haven dans le Connecticut (Etats-Unis) (i). Il
comptait 21 abonnés. C'était en 1878, deux ans après que BELL
eut déposé son brevet relatif au poste téléphonique.

Lignes temporaires et connexions centralisées

Le cordon de communication

Bien que cette description évoque un univers technique


assez rudimentaire, Michel JACQUET et Pierre LAJA.RRIGE (2)
confirment cette vision des choses : "Dès que tombait le volet
d'un annonciateur (3), un employé allait le relever puis
insérait la fiche de son téléphone portatif dans le jack
correspondant, ce qui le mettait en communication avec le
client. Il lui "lançait le cri d'usage", ainsi que s'expriment
les documents d'époque : le "allô" bien connu de nos jours, qui
s'orthographiait alors de cette manière ou bien "hallo" (•••).
Sur ce, le demandeur indiquait la personne désirée. Si cette
dernière se trouvait au même tableau ou à un tableau assez
rapproché, l'employé appelait l'interlocuteur désigné puis
reliait le jack de l'un à l'autre par un cordon de co^ffî^i cation (4/
à deux fiches : opération qui nécessitait en réalité des manoeuvres
complexes, si bien que lo délai (4) normal pour mettre en présence
deux abonnés était de douze à quinze secondes".

GRINSEC (1981), p. 2, tome 1.


JACQUET, M. et LAJARRIGE, P. : "Le téléphone et sa chronique".
In La Revue Française des Télécommunications, n° 3, 1972.
L'annonciateur est le volet placé au bout de la ligne de
l'usager. Dès que celui-ci appelle une opératrice, le volet
tombe et découvre le nom du demandeur. Par la suite, les
annonciateurs ont été remplacés par des lampes- témoins. (Cette
note nous appartient).
(4) Ce soulignement appartient à Messieurs JACQUET et LAJARRIGE.
li s'agit donc d'établir une ligne entre deux abonnés. Le
"cordon de communication" est un véritable câble temporaire qui
relie les deux extrémités de ligne à la surface du meuble de
commutation. Robert J. CH/LPUIS (1 ) signale que, pendant les premières
années, ce meuble s'appelait "permutateur de lignes" (2).

Il faut rappeler que les opérateurs des premiers centraux


travaillaient debout (3), un paquet de "cordons de commutation" (4)
sous le bras. Ils circulaient devant les panneaux où aboutissaient
les lignes des abonnés et posaient les liaisons que requéraient
les interlocuteurs. On comprend à quelles difficultés furent
confrontés les agents dès que les abonnés devinrent plus nombreux.

Par ailleurs, les premières installations téléphoniques


sont autonomes sur le plan électrique. Jusqu'en 1890, l'énergie
est fournie par des batteries installées chez les usagers. Cette
alimentation était souvent défectueuse et source de désagréments
pour l'abonné. Peu à peu, à partir de 1907, en Prance, les batteries
centrales disposées dans une salle particulière du standard se
substitueront aux installations locales.

Complexité centrale et réplique du terrain

Pour soulager les opérateurs, la première des solutions fut


de regrouper sur un même tableau de permutateur les abonnés qui
conversaient le plus souvent entre eux. Certains tableaux constituaient

(1) p. 49, CHâPUIS, R.J. 100 years of Telephone Switching (1878-1978).


North Holland Publishing Company, Amsterdam, 1982.
(2) Le terme de commutateur s'est imposé bien plus tard avec
l'apparition des centraux automatiques. Permutateur renvoie aux
commutateurs télégraphiques, qui servaient surtout à connecter
l'appareil émetteur-récepteur avec son environnement, sonnerie,
sources électriques, etc. Les commutateurs de lignes télégraphiques
furent construits sur le même modèle et furent utilisés aux plus
belles heures de la télégraphie, soit pour changer de ligne (de
direction), soit pour connecter plusieurs appareils sur la môme
ligne (afin d'augmenter le rendement de celle-ci).
(3) En France, les premières positions assises sont installées en
1890 au central Opéra.
(4) Par la suite, ces cordons devinrent les dicordes des standards
et des multiples.
donc une véritable cartographie des relations téléphoniques. Avocats
et hommes d'affaires étaient ensembles. Les banquiers figuraient
avec les agents de change, les commerçants avec les industriels, les
journalistes avec les imprimeurs et les éditeurs (1).*> La
topographie des installations calque celle des communications. Les
annonciateurs identifiés par le nom de l'abonné ne seront remplacés
par des lampes et des numéros qu'à partir de la dernière décennie
du XIXème siècle.

Malgré les visions mégalomanes (pour l'époque) de réseaux


interconnectés et internationaux, d'un seul réseau universel, en
somme, les trente premières années de la téléphonie sont celles
d'un rêve impossible. Les dispositifs ď intercommunication et les
premiers centraux a position debout sont des tentatives,
infructueuses, de réaliser l'interconnexion générale et permanente. Le
seul terme "cordon de communication" en évoque toute la nostalgie.
Ce que la complexité et la raison économique rendaient impossible
à l'échelle du territoire des abonnés, la commutation commença à
le réaliser dans un espace limité, où l'organisation du travail
se pense peu à peu en fonction de la demande croissante de
connexion. L'interconnexion se dresse comme une figure autonome
de la complexité, qui requiert elle aussi son propre espace, au
coeur même du système.

Hais que reste- t-il du ou des territoires desservis par ces


techniques qui instaurent, par leur dénomination même, centre et
périphérie, où les usagers sont numérotés dès 1897, entrant ainsi
dans un anonymat algébrique. Plusieurs choses !

Le tableau du standard où sont rassemblées les extrémités


de lignes est une véritable carte du terrain couvert par le réseau.

(1 ) D'après un article "L'organisation des bureaux téléphoniques"


paru dans la revue La Lumière Electrique, n° 78, décembre 1881.
Les abonnés sont regroupés par «affinités
i » de communication. Dans
les centraux manuels, comme plus tard dans les premiers centraux
automatiques, le principal obstacle à l'écoulement du trafic est
le changement de tableau, puis de multiple, enfin de central.
Tant que les conversations se cantonnent dans des territoires
techniques et spatiaux exactement superposés, les délais de
connexion sont très réduits. Dans cette optique, le positionnement
des lignes dans le système technique ne concerne pas que celles
des abonnés, mais aussi celles qui assurent l'interconnexion des
centraux* Des rosaces rassemblent des fils qui entrent ou sortent
du central* Un certain nombre de ceux-ci sont réservés aux
liaisons entre centraux* Le principe de la rosace facilite les
branchements en fonction du trafic à écouler entre centraux.

L'ancrage territorial de la technique se lit aussi dans les


noms des centraux qui reprennent ceux des grandes rues les plus
proches. Malgré la numérotation des abonnés, les trois premiers
chiffres sont en fait des lettres qui indiquent le territoire sur
lequel se trouve l'abonné demandé. On voit ainsi comment l'essence
de l'espaoe est transférée peu à peu au système technique. Au
coure de son automatisation générale dans les années soixante et
soixante-dix, le système fera disparaître ces dernières traces du
territoire physique. Les trois lettres des centraux parisiens
seront abandonnées (1).

(1 ) T. STOtffiDZE ("Généalogie des télécommunications françaises".


In Les Réseaux Pendants, Télécommunications et Société*
Sous la direction de GIRAUD A.. MISSIKA J.L. et WOLTON D. ;
CNET-ENST, Masson, Paris, 1978) et C. BERTHO (1984, a, op.
cit.) pensent que ce dispositif avait été imaginé, au temps
de la commutation manuelle, pour que transparaisse l'appartenance
sociale des abonnés à chaque usage du téléphone. S'il est vrai
que l'on peut lire ici la trace des enjeux sociaux et du
découpage de la ville, il n'en est pas moins vrai que, face aux
difficultés que soulevait le passage à la numérotation pour
les abonnés, ce procédé représentait aussi une excellente
astuce mnémotechnique. Après vingt ans d'une telle pratique,
au moment de l'automatisation, c'était encore faciliter la
tftche de l'usager que de conserver cette numérotation articulée
sur les quartiers.
Ainsi » dans ces vingt premières années de commutation, bien
des solutions techniques indiquent que la configuration du réseau
dépend étroitement du terrain. Celui-ci est décalqué, reproduit
dans l'organisation du réseau. Et pourtant tous les dispositifs
trahissent le rêve secret de l'interconnexion généralisée. Tant
que les opératrices ne sont pas assises» on ne fait pas vraiment
de commutation. On interconnecte des abonnés de façon temporaire.
Lorsque les positions sont assises, le rendement l'emporte. Alors,
bien qu'elles aient toujours été des machines très imparfaites (i),
les opératrices commencent à commuter des lignes anonymes. Elles
entrent dans le réseau. Elles en font partie* Celui-ci les malmène
car les demandes sont trop nombreuses. Le réseau va les remplacer.

LA COMMUTATION ROTATIVE OU LE BRANCHEMENT PERIPHERIQtE

Au début du siècle, la télécommunication est essentiellement


urbaine et réservée aux milieux d'affaires et bourgeois. Elle se
distribue autour d'un central, distant des installations terminales
privées pour des raisons d'économie de câble et de qualité du
service public. Mais les premières formes de commutation manuelle
se nourrissent à la nostalgie de l'interconnexion généralisée, les
grands centraux manuels et les premiers autocommutateurs rotatifs
renvoient l'image d'une télécommunication locale. Certes, le
central est déporté, mais о 'est bien à la périphérie du demandeur
que bras et balais de commutateurs recherchent la ligne de
l'interlocuteur.

(О C'est à partir de ce défaut de fonction que les opératrices


resteront des Demoiselles du téléphone et deviendront ainsi
légendaires.
L ' automatisation balbutiante

Sur le modèle de l1 opératrice

La légende veut que la commutation automatique ait été


inventée parce que des demandée de connexion étaient détournées
vers une destination équivalente en terme de service, mais
différente en terme de communication. L.J. LIBOIS (i) relate les
motivations qui ont stimulé Almon B. STROWGER dans la mise au
point du premier autocommutateur public, installé à La Porte
(Indiana), en novembre 1882. STROWGER assurait le service des
pompes funèbres. Il avait remarqué que bien des appels qui lui
étaient destinés aboutissaient chez son concurrent. Il est
vérifié que 1' épouse de son rival était opératrice dans le central
de la ville où exerçaient les deux hommes.

STROWGER imagina alors un appareil qui reproduisait la


démarche psychomotrice de l'opératrice dans sa recherche de la
ligne demandée. Les extrémités de lignes étaient rangées par
centaines et par dizaines sur un tableau vertical. En analysant
le travail de l'opératrice, on s'aperçoit qu'elle sélectionne
d'abord le tableau correspondant à la centaine de son numéro. Puis,
par un mouvement vertical, elle s'arrête à la rangée de la dizaine
comprenant la ligne de l'abonné. Puis, par un second mouvement,
horizontal celui-ci, elle repère l'arrivée de ligne dans laquelle
elle fixe le dicorde établissant la liaison. Le numéro du demandé
est un point géographique dans le tableau de l'opératrice. Celle-
ci effectue un repérage progressif, en affinant les coordonnées.

Le dispositif de STROWGER, qui fit l'objet de ses brevets


de base en 1889 et 1899, fonctionnait sur ce principe. Grâce à un
boîtier de numérotation activé par le demandeur, les impulsions

(1) LIBOIS, L.J. (1983, op. cit.), p. 39.


ólec triques (autant que présuppose chaque chiffre : une impulsion
pour le chiffre 1, deux impulsions pour le chiffre 2...) font
monter un contact le long d'un axe jusqu'à la dizaine
correspondante, puis le contact pivote autour de l'axe jusqu'à l'unité de
ligne voulue. La connexion est ainsi réalisée.

Pas à pas

Les premiers autocommutateurs STRONGER rassemblaient cent


lignes* La téléphonie vivait encore sur un modèle de relations
locales entre un petit nombre d'abonnés. Lorsque les réseaux
devinrent plus importants, il fallut rajouter des commutateurs
(on dis.ait alors des connecteurs) dans les centraux. Faisant
correspondre directement une ligne entrante avec une ligne sortante,
le dispositif de STROWGER permettait que le nombre d'abonnés
augmente indéfiniment (en théorie !) sans que l'on ait à modifier
la numérotation des abonnés. Le réseau pouvait comporter des
numéros de longueur variable. Plus le numéro était long, plus il
fallait emprunter de connecteurs. Ainsi, la recherche d'une ligne
identifiée par un nombre à quatre chiffres nécessitait de passer
par les sélecteurs de millier, puis centaine, puis dizaine et enfin
le connecteur (1 ) d'unité.

11 apparaît très vite que l'augmentation du nombre d'abonnés


posait des problèmes d'accessibilité aux sélecteurs et connecteurs.
Il fallut installer une étape de présélection permettant à l'abonné
demandeur d'accéder à un ensemble de sélecteurs possibles.

(i) En fait, très rapidement, il fallut s'entendre sur les termes.


On appela connecteur le dernier commutateur qui sélectionnait
la ligne demandée. Furent appelés sélecteurs, les commutateurs
précédents qui travaillaient au repérage d'une ligne disponible
dans les milliers, centaines et dizaines correspondant au numéro
de l'abonné.
La présélection fut réalisée avec des appareils analogues
aux connecteurs, qui furent appelés chercheurs. Lorsqu'elle était
trouvée, la liaison était réalisée avec un ensemble de sélecteurs
et la tonalité d'invitation à numéroter était adressée au demandeur.
Les lignes des abonnés étaient multiplées (i) sur plusieurs
chercheurs, ce qui augmentait les chances de trouver un chercheur
disponible.

Chcfchrui
pnmure Chcicheui
«conduit 7 Abonné

demandé
7584 :
o— Illustration Sélecteur
non autorisée à la diffusion
£ Sélecteur Sélecteur v
DFMANDEUR de milliers de centaines de dizaines • **
Sélecteur
d'unités

(1 ) Selon le même principe que celui de la commutation manuelle.


Le premier chercheur disponible à rencontrer la ligne demandeuse
en assurait la liaison et simultanément il stoppait l'action des
autres chercheurs*
(2) II est extrêmement difficile d'expliquer dans le détail en peu
de pages comment fonctionnent les autocommutateurs. Ce sont des
machines d'une très grande complexité. Dans ces paragraphes trop
courts, nous ne retenons et présentons que les dispositifs qui
concourront à notre démonstration.
On dit d'un autocommutateur qu'il est à commande directe lorsque
la composition des numéros au cadran commande sans intermédiaire
la mise en place de la chaîne de connexion. Par la suite, avant
celle-ci, à l'entrée du central, on installa, entre autres, des
enregistreurs qui recevaient et stockaient le numéro demandé.
La commande devint alors indirecte. La chaîne de connexion ne se
mettait en place qu'à partir des instructions des enregistreurs
et des traducteurs.
Pour une explication détaillée et claire des principes et des
solutions techniques de la commutation, se reporter à l'excellent
ouvrage de Mireille NOUVION : L'automatisation des
Télécommunications, la mutation d'une administration. Presses Universitaires
de Lyon, Lyon, 1982.
-ъъ-

de l'opératrice à l'abonné. Après avoir été individuelle dans les


premiers réseaux ď intercommunication, la fonction de commutation
est centralisée pour plus d'efficacité. Elle est assurée par les
opératrices. Mais, avec les premiers autocommutateurs, la commande
de commutation est renvoyée à l'usager qui agit directement sur les
organes des chaînes de sélection.

Une commutation de quartier

Le rayon de la communication

Quel rapport peut-on établir entre ces techniques de


commutation automatique rotative et à commande directe et la notion de
territoire ?

Tout d'abord, il existe une grande analogie entre la


conception du commutateur et la pratique de la communication. Le
commutateur est circulaire. Les balais et contacts cherchent le
demandé à la périphérie de l'axe commandé directement par l'abonné.
Moi, ici , maintenant, je veux être connecté avec tel abonné. La
commutation de la belle époque ne cherche pas tant à établir des
itinéraires qu'à connecter deux lignes le plus directement possible.
Le modèle idéal de cette commutation aurait été d'attribuer un
sélecteur à chaque abonné et de brancher ses correspondants les
plus fréquents sur les couronnes. Si cela avait été possible !
Cette forme de commutation ne se distingue de 1' intercommunication
que par la centralisation de la fonction et par le nombre des
abonnés interconnectables.

Ensuite, on comprend qu'un tel dispositif renvoie


principalement à de petits réseaux urbains ou ruraux. Petits par le
nombre d'abonnés. Si 1' intercommunication est limitée à la dizaine
de lignes, la commutation rotative peut tout de même atteindre la
dizaine de milliers dans les grands centres urbains. Mais elle reste
pour ainsi dire une commutation de quartier» Lee lignes sont en
étoiles autour du central (i). La commutation ne fonctionne bien
que si elle reste dans le môme central» Mireille NOUVION (2)
démontre que les autocommutateurs ont commencé h connaître des
difficultés bien avant que le nombre de lignes raccordées approche
leur seuil de saturation, et aussitôt que s'est développé le
trafic intercentraux et plus particulièrement interurbain. Deux
raisons principales à cela : la commande directe et la lenteur
et l'ampleur des mouvements de sélection (3)«

Ainsi on voit que deux logiques contradictoires sont à


l'oeuvre dans la commutation rotative des premiers centraux
automatiques* La commande directe qui est un reliquat d '
intercommunication et fait rêver au commutateur individuel, et la fonction
centralisée de commutation qui permet de réaliser un service
public honorable à l'échelle d'un réseau local. Si l'on poussait
plus loin la logique de la fonction centrale, le gros
autocommutateur unique desservant toute une ville constituerait rapidement
la solution idéale. Bien sûr, ce sont des considérations économiques
et techniques (4) qui interdisent une telle réalisation dans les

(i) II ne s'agit pas seulement d'une figure. Elles le sont vraiment.


La position du central est choisie pour sa ... centrante par
rapport au quartier à desservir. (Se reporter à Gabriel DUPUY :
"Un téléphone pour la ville : l'enjeu urbain des centraux". In
Metropolis : Télécommunications : villes froides ou Télécommu-
nautés", n° 52, 53, 1982). En effet, le plan d'automatisation
de la ville de Paris, en 1922, ne prévoit ni bobine de PUPIN,
ni répéteur (cf. С BERTHO, 1984, a, op. cit.). A cause de
l'affaiblissement du signal, les lignes ne peuvent pas être très
longues. Il faut donc choisir l'emplacement des centraux de façon
judicieuse et étudier soigneusement le raccordement des abonnés.
NOUVION, M. (1982, op. cit.)
Très rapidement, le Ministère des PTT opta pour des
autocommutateurs à enregistreurs, ce qui améliorait les chances de
connexion, mais ne diminuait pas le temps d'occupation des circuits,
ni ne réglait la pénurie de liaisons intercentraux et interurbaines.
(4) Notamment le coût des lignes d'abonnés, l'absence de répéteurs
sur les premiers réseaux urbains français, la lenteur du
fonctionnement des organes, et enfin le taux important de demandes
rejetées dues au décalage entre capacité de raccordement et
capacité d'écoulement des appels*
grandes villes. Mais toutes proportions gardées, lorsqu'on prévoit
l'automatisation de Paris, en 1922 (1 ) il y a effectivement moins
de centraux rotatifs que de manuels. Far ailleurs, les ingénieurs
de l'époque proposent quatre centres de jonction inter centraux.

Pléthore de petits centraux

Ces projets font apparaître que la notion de grand réseau


urbain ou interurbain hiérarchisé commence juste à émerger en
France entre les deux guerres. Mais l'outil dont dispose
l'Administration, le commutateur rotatif, fut conçu 25 ans auparavant
pour desservir de petits réseaux. Le souci majeur de la conception
de cette technologie reste la prolongation du fil de l'abonné
demandeur jusqu'à celui du demandé. La télécommunication, même
automatique, fonctionne encore sur le modèle d'échanges
interpersonnels (2) locaux. En France, jusqu'aux années 1960-1970, il
est difficile de parler d'un réseau téléphonique. Il s'agit plutôt
d'une multitude de petites unités juxtaposées. En 1956, la France
compte 1 .756.000 abonnés répartis en 26.709 centres de rattachement
26*000 de ceux-ci ont moins de 200 abonnés. Dane cette écrasante
majorité de petits réseaux, le nombre moyen d'abonnés par centre
est de 18 (3) ! Le seul vrai grand réseau, posant les problèmes
en d'autres termes que celui de la liaison à établir ou de la
communication à passer, est celui de Paris qui compte 517*000
abonnés en 1956. Nous avons vu que son automatisation commença en
1926 et sera achevée en 1934 ; Paris compte alors près de 300.000
lignes.

(1 ) Proportions gardées, car il faut compter avec la croissance du


nombre d'abonnés et les prévisions. A ce sujet, se reporter à
C. BERTHO (1984, a, op. cit.).
(2) Au temps de la commutation manuelle, "passer la communication"
était l'expression consacrée, aussi bien par les abonnés que
les opératrices, pour décrire les opérations de connexion*
(3) Cf. tome 2, p. 60. Ministère des PTT. Encyclopédie des Postes,
Télégraphes et Téléphones ; 2 tomes, Rombaldi, Paris, 1957*
La situation de la téléphonie en France est particulièrement
symbolique de cette conception. Dans les autres pays occidentaux,
l'idée de réseau national a déjà émergé. En Angleterre, en 1956,
on compte 4 millions d'abonnés répartis dans 6.000 centres
seulement. Enfin, rappelons qu'aux Etats-Unis, ATT fut créé dès
1885 avec pour seule mission d'assurer les télécommunications à
grande distance.
Des notions nouvelles et particulièrement importantes
apparaissent : le trafic et la capacité d'écoulement* Dans les
grandes villes, il ne suffit plus de réaliser des connexions* 11
faut aussi gérer le trafic des abonnés et dimensionner les organes
de commutation en fonction des demandes de communication. A l'idée
de connexion temporaire, se rajoute celle de trafic. Il faut
maintenant écouler les demandes de connexion avec le moins de
matériel possible et le plus vite possible. La rapidité d'écoulement
est un gage de limitation du nombre d'organes de commutation. Car,
dès qu'un appel est écoulé, les commutateurs redeviennent disponibles
pour d'autres abonnés.

C'est dans l'entre-deux guerres que ces notions se


développèrent et que l'on comprit pourquoi la structure du réseau de
connexion de la commutation rotative, ainsi que son principe
mécanique, atteindraient rapidement leurs limites*

LA COMfflJTATION A MRRES CROISEES OU L'EMERGENCE DES GRANDS RESEAUX

Dès 1917, le suédois G. A. BETTJLANDER avait déposé un brevet


de sélecteur entièrement différent de celui de STROWGER. Nous avons
vu que la rotation de celui-ci était lente et lourde, elle usait
rapidement les contacts par des frictions constantes. Tout différent
et sans doute imaginé à partir d'un modèle de standard manuel (i),
le sélecteur de BETULANDER est composé de barres horizontales et
verticales.

(1) C'est R.J. CBAPUIS (1982, op. cit.) qui évoque cette possibilité,
p. 360* Notre hypothèse est différente. En télégraphie, il
existait un commutateur de lignes manuel, à barres croisées* Son
nom était le commutateur suisse* A l'intersection des lignes,
il suffisait d'enclencher un pivot métallique pour que le
contact soit établi entre les deux barres* Faute de documents
sur la genèse des idées de BETULANDER, le débat reste sans
verdict.
Croisées de barres et matrices de connexion

Contacts à l'intersection et relais de logique

Le principe de BETULANDER repose sur deux idées principales :

- Les lignes des abonnés et les lignes sortantes sont associées


à des contacts positionnés à la croisée de barres verticales et
horizontales* Les lignes que forment les barres se croisent donc (i).
Elles constituent une véritable matrice. Activées par des électro'-
aimants, les barres horizontales et verticales peuvent pivoter de
quelques millimètres sur elles-mêmes. A chaque croisée des barres
est placé un jeu de contacts fixes et mobiles* Dans leur mouvement,
les barres horizontales ont pour fonction de venir se porter sur
les contacts choisis, et les barres verticales de les maintenir dans
la position fermée le temps nécessaire, alors que les barres
horizontales de sélection retournent à la position de repos.

1
ч ч ч
Lignes

entrantes ■а ч

Point de connexion
11 12 Lignes
Q 13ouvert
sortantes
M 1Ь ф16 fermé

(liaisons établies .entre /es lignes 1 et 1 5, 4 et 1 1 )

Représentation schématique d'un autocommutateur à barres croisées (2)

(1 ) D'où le nom d'autocommutateur à barres croisées, ou Crossbar.


(2) LACOUT, M. et CADE, D. (1982, op. cit.), p. 243.
Conmrutateur Crossbar - principe et réalisation (1 )

- L'autre idée maîtresse de BETULANDER était de faire


réaliser les opérations logiques (réception de numérotation, envoi
de signaux, commande d'organes, etc*) par des relais électriques*
Le dispositif du relais permet d'ouvrir ou de fermer des circuits
électriques en utilisant les champs magnétiques pour attirer ou
repousser des contacts qui servent ainsi d'interrupteurs* En
combinant le fonctionnement de plusieurs relais entre eux, et en
utilisant des vitesses ď activation et de relâchement différentes,
il est possible d'effectuer des analyses d'état et des commandes
de circuits très complexes* L'intérêt des relais est aussi de
pouvoir fonctionner à très haute vitesse* BETULANDER pensait donc
que les organes de la chaîne de présélection, tels que les
enregistreurs ou les traducteurs, pouvaient être construits à partir
de relais, ce qui améliorerait nettement la vitesse et la fiabilité
des opérations*

(1) LACOUT, M. et CADE, D. (1982, op. cit.), p. 247.


Maillage contre blocage

Autour des sélecteurs de conception entièrement nouvelle


et des systèmes de relais électromécanique, BETULANDER avait aussi
proposé toute une série d'innovations qui permettaient de tirer un
meilleur profit de la largeur du champ de sélection de ses barres
croisées et de leur vitesse d'opération. 11 proposa notamment une
façon de relier (1 ) les matrices les unes aux autres qui à la fois
permettait une bonne concentration du trafic et évitait les blocages
de trafic que l'on rencontrait trop souvent dans les systèmes
rotatifs* Les chaînes de présélection et de sélection sont
construites à partir de sélecteurs à barres croisées (matrices) rangés
en deux étages, reliés par des mailles.

Ce dispositif améliorait considérablement les chances de


trouver des lignes disponibles dans la chaîne de connexion. Mais
il ne supprimait pas complètement les risques de blocage. Ainsi,
au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsqu'il faudra
interconnecter les centraux urbains, les études de trafic et de
qualité d'écoulement (taux de blocage) deviendront extrêmement
importantes. Par ailleurs, contrairement à la commutation rotative,
le dispositif de BKTULANDER permet de connaître instantanément
l'état de tous les points de connexion : disponible ou occupé
L'intérêt de cette mémoire d'état du système est de pouvoir choisir
un itinéraire de connexion à travers les matrices.

(0 R. CHAPUIS (1982, op. cit.) insiste (p. 360 ) pour que soit
reconnue à BETULANDER la valeur de cette innovation. CHAPUIS
écrit que les trois idées à la base de la commutation
crossbar sont la sélection par matrice de connexion, la mise
en place de celle-ci par l'usage de relais électromagnétiques
et l'écoulement-concentration du trafic grâce aux étages de
matrices reliés par des mailles.
•M-

Réseau de connexion à deux étages (i)


E ss entrée ; S s sortie

(1) In GRINSEC (1980), Tome 1, p. 143. Ce réseau est composé


de deux étages de huit matrices chacun. Chaque matrice
comprend huit entrées et huit sorties*
Au-delà des connexions, la progression des flux

Connexions accélérées et capacité d'écoulement

Entièrement nouvelle, cette conception de la commutation


modifie peu à peu la représentation de la télécommunication. Autour
des matrices d'interconnexion émergent des notions que la commutation
rotative avait révélées mais que leurs limites techniques ne
permettaient pas vraiment de mettre en oeuvre*

11 s'agit tout d'abord de la notion de trafic. Pour respecter


la notion de service public, il convient que l'accessibilité des
chaînes de connexion et leur disponibilité soit égale pour tous.
Four des raisons à caractère économique, qu'il est facile
d'imaginer, les capacités de commutation doivent être adaptées
très précisément aux demandes de connexion. Il est impérieux que
les équipements collectifs fonctionnent à grand rendement sans être
toutefois surchargés, pour éviter la dégradation de la qualité de
service, seconde notion qui apparaît dès les premières heures de
la commutation automatique.

A l'origine de tous les problèmes d'écoulement des appels


se trouve le temps nécessaire aux opérations de commutation. Nous
avons vu que ce point était dramatique en commutation manuelle et
que la commutation rotative avait apporté quelques améliorations.
Cependant, en commutation à barres croisées, il est possible
d'explorer l'état d'un millier de points de connexion en une
centaine de milli-secondes (i), alors que la composition d'un
numéro relève de la seconde ou de la dizaine de secondes. Le temps

(1) LUCAS P., LEGARE R., DONDOUX J. : "Les idées modernes en


commutation téléphonique". In Commutât i m Electronique, n° 9,
4/1965.
gagné dans le réseau de connexion est considérable. Celui-ci est
commandé par les enregistreurs et traducteurs. Sa mise en place
est instantanée. Aussitôt» tous les organes d'opération peuvent
être affectés à d'autres demandes de connexion.

Le principal avantage de la commutation à barres croisées


se manifeste dès les premières générations de matériel : alors
que les systèmes rotatifs R 6 avaient une capacité maximale de
10.000 lignes, les premiers Pentaconta urbains et Socotel 1040
acceptaient déjà jusqu'à 30.000 lignes. Si l'augmentation de la
capacité de raccordement est appréciable, celle de la capacité
d'écoulement l'est encore plus. Alors que les rotatifs pouvaient
écouler de façon théorique (i) 600 erlangs, les nouveaux
autocommutateurs écoulent 2.000 erlangs (2). Une deuxième génération
atteindra 30.000 lignes et 4.000 er langes. Enfin, sous la pression
de la demande en téléphone, les ingénieurs cherchent encore à
améliorer les performances de ces centraux en leur adjoignant
certaines commandes électroniques. Quelques autocommutateurs
pourront ainsi atteindre 40.000 lignes et 9*000 er lange.

La vision de la télécommunication inclue dans le principe


du commutateur rotatif était celle d'une pratique aux dimensions
locales. On recherchait des connexions à la périphérie du demandeur.
La centralisation autour du demandeur et au niveau de l'unité
urbaine était très prégnante. La notion de capacité de raccordement
est encore essentielle. Bile ne se distinguait pas vraiment de celle de
connexion. Le réseau n'avait pas encore inventé sa propre dimension de
fonctionnement. Il s'organisait autour des données de son environnement.

(1 ) De façon théorique, car la réalité fut très inférieure aux


calculs. L ' intensité du trafic téléphonique se mesure en
erlang : "Le nombre ď erlangs représente le nombre d'organes
ou de circuits simultanément occupés en moyenne sur une certaine
période de temps (du nom du mathématicien danois Erlang»
créateur de la théorie des probabilités en téléphonie )"• Cf. LACOUT M.
et CADE D. (1982, op. cit.)» P« 938.
(2) Chiffres fournis par FORTIN P. : "L'évolution du réseau des
autocommutateurs téléphoniques français et sa situation en
1974". In Commutation et Electronique, n° 46, 7/1974.
Avec la commutation à barres croisées, le
principe technique de base est une matrice de coordonnées dont
chaque point correspond à un contact* Cet autocommutateur est
le fruit d'une réflexion mathématique et statistique sur la
fonction de commutation. Il ne suffit plus de passer la
communication, il faut assurer les connexions et écouler les appels.
Une grande idée apparaît entre les deux guerres, dont on vérifie
l'importance au cours des trois décennies 40, 50 et 60 : le
trafic. La capacité d'écoulement devient une notion désormais
aussi importante que celle de raccordement. Les autocommutateurs
crossbar répondent aux préoccupations de ce courant de recherches
par la structure de leur chaîne de connexion, par leur temps
d'opération extrêmement bref et par l'emploi systématique des
enregistreurs et des traducteurs qui libèrent la commande de
connexion, de la numérotation de l'abonné. L'usage des
enregistreurs et des traducteurs comporte une conséquence essentielle
dans l'organisation du réseau. Les numéros de téléphone des
abonnés doivent tous avoir la même longueur* En 1955, la DGT
définit un nouveau plan de numérotage à 8 chiffres comprenant
69 zones (1). Ainsi, au moment même où les télécommunications
sont pensées en terme de réseau national, automatique, il faut
clore l'espace théorique du parc d'abonnés.

Extensions nationales et internationales

Pour la première fois de leur histoire, le système des


télécommunications envisage son extension à tout le pays et de
façon intégrée. Dans la plupart des pays occidentaux, le réseau
téléphonique que nous connaissons aujourd'hui s'est construit

(1) C'est celui sur lequel nous avons fonctionné jusqu'à présent.
En octobre 1985, ce plan sera modifié. L'indicatif régional
sera intégré au numéro de l'abonné et le pays sera redécoupé
en cinq grandes zones. On augmente ainsi la capacité de
numérotage. La croissance téléphonique des années 70 et le
développement des services télématiques ont fini par saturer
le plan de 1955.
-5'0-

dans les années 30 «t 60. Il est devenu interurbain et automatique (1 )


Pour la plupart des pays, cette période correspond à 1* adoption de
la commutation à barres croisées , aux câbles coaxiaux et aux
faisceaux hertziens de grande capacité dont nous avons déjà parlé (2).
C'est aussi la période où le réseau se structure en plusieurs
niveaux : réseau de lignes d'abonnés, réseau de distribution
incluant les autocommutateurs d'abonnés et les circuits les reliant
entre eux et à un gros autocommutateur dans une zone restreinte,
réseau interurbain construit à partir des liaisons avec les
principaux autocommutateurs du niveau précédent, réseau international
permettant les liaisons avec l'étranger. Dans cet ensemble, il
existe deux catégories d'autocommutateurs qui ont pour fonction
non pas de rassembler les lignes d'abonnés, mais d'interconnecter
les autocommutateurs entre eux. Les premiers s'appellent
autocommutateurs locaux. Les autres sont des centres de transit interurbains.
Ils assurent l'écoulement du trafic à moyenne et longue distance (З).
On comprendra aisément que les décennies 30, 60 et 70
marquent pour la plupart des pays industrialisés l'extension
maximale de leur réseau national. Pour beaucoup d'entre eux, cela
n'a été possible qu'avec l'adoption d'une commutation équipée
ď enregistreurs et de traducteurs. Outre des équipements modernes,
il leur a fallu adopter une organisation d'ensemble avec plan de
numérotage, d'acheminement et de transmission. Pour assurer la
communication entre tous les autocommutateurs, il a aussi fallu

(1 ) Quelques rares petits pays européens avaient réussi cette


prouesse dès avant la seconde guerre mondiale, notamment la
Suisse. En France, il faut attendre la fin des années 70. La
seconde guerre mondiale a retardé ces opérations d'une
vingtaine d'années sur toute l'Europe occidentale.
(2) Eh France, sur le plan strictement technique, deux éléments
retardent la modernisation du réseau. D'une part, le manque
de circuits interurbaine dégrade la qualité de service. Par
ailleurs, le nombre important de petits réseaux à commutation
manuelle retarde l'automatisation.
(3) Le réseau national est en fait à quatre niveaux. Les abonnés
sont raccordés sur des autocommutateurs locaux (N4) ou à
autonomie d'acheminement (H 3, qui regroupe plusieurs N 4).
Le trafic interurbain est assuré par des autocommutateurs de
transit secondaire (N2) ou principal (N 1). Le niveau 4
compte environ 6.000 autocommutateurs ; le 3, 2.000 ; le
2, 50 et le niveau 1 , 9 seulement (cf. LACOUT M. et CADE, D.
(1982).
mettre au point des règles de signalisation extrêmement précises.
Dans la plupart des pays industriels, jouissant d'une compétence
en télécommunication, cet ensemble de règlements administratifs
ont rapidement constitué les réseaux nationaux en ilôts techniques
singuliers. Bien que les principes généraux de commutation aient
été partout à peu près semblables, l'organisation interne et les
astuces techniques propres à la mise en oeuvre varient
considérablement d'un pays à l'autre», L'interconnexion des réseaux, au
niveau international (i), présentait de grandes difficultés. Sans
l'action de l'Union Internationale, elle n'aurait été que partielle.
A la suite des accords que cet organisme a suscités, bien des pays
ont créé des chaînes particulières d'accès aux circuits
internationaux au sein même de leurs propres réseaux. C'est le cas de
la France qui s'est dotée de plusieurs commutateurs internationaux,
associés pour la plupart aux centres de transit principaux (2). Ces
équipements assurent l'interface avec les circuits internationaux
et leurs règles de signalisation. Le lecteur comprendra aisément
que les dispositifs techniques internationaux assurant la
compatibilité des équipements de chaque pays ont été, dans les années
30 et 60, l'objet d'âpres négociations. Car chaque pays souhaitait
voir adopter des solutions les plus proches possibles de celles
retenues pour son propre réseau. Cela tf in de limiter le coût des
équipements destinés au trafic international.

(1 ) A titre indicatif, un câble avait été posé en 1956 entre


Terre-Neuve et l'Ecosse, 1* année suivante entre Marseille et
Alger. Depuis la fin des années cinquante, de nombreux câbles
ont été posés un peu partout dans le monde. A partir de 1962,
certaines liaisons internationales sont aussi assurées par
satellites*
(2) Mais tout le trafic international n'est pas automatique. A
destination de certains pays, il doit encore passer par des
opératrices.
LA COMMUTATION ELECTRONIQUE TEMPORELLE OU IA MANIPULATION DU SIGNAL

Nous avons constaté que 1 'avènement de la commutation à


barres croisées et du câble coaxial a correspondu avec celui des
réseaux nationaux et internationaux et celui de leur automatisation complète.
Ce panorama des principes techniques de commutation et des
différentes phases d'expansion du réseau ne serait pas complet si nous
n'évoquions pas la commutation électronique et la nouvelle
définition du territoire qu'elle contient.

Nous avons vu que les premières formes de commutation, par


leur simplicité, renvoyaient à une vision idéale de l'interconnexion
généralisée. Ensuite, la commutation rotative plaidait pour une
télécommunication locale. Enfin, la complexité et les performances
des commutateurs à barres croisées ont facilité l'automatisation
de réseaux dont les dimensions nationales et internationales sont
dues à des artères coaxiales ou hertziennes de grandes capacités.
Quelle nouvelle dimension territoriale, la commutation électronique
et son corollaire, la numérisation du réseau, vont-elles apporter
à cet état des réseaux et à cette représentation de la
communication interpersonnelle ? Tout en confortant la télécommunication
de type gestionnaire et systémique mise en place par son prédécesseur,
la commutation temporelle va promouvoir une représentation fondée
sur des séquences d'échanges de signaux.

De l'électromécanique au tout électronique

En passant par l'électronique spatial

Dans les paragraphes précédents, nous avons rapidement écrit


que la technique crossbar s'était adjoint les renforts de
l'électronique pour améliorer ses performances. En effet, le temps
d'opération a toujours été la difficulté traditionnelle de la commutation.
A force d'extensions successives et d'augmentation du parc d'abonnés,
la nouvelle échelle de temps (la dizaine ou centaine de milli-secondes)
-Sb -

promue par la technique des barres croisées ne suffit plus aux


impératifs de gestion du réseau que cette même technique a pourtant
rendu possible.
Par ailleurs , à la fin des années 1950, au début de la
décennie 60, cette difficulté prend de l'importance parce que les
progrès de l'électronique laissent entrevoir des vitesses
d'opération beaucoup plus rapides encore. C'est pourquoi, lorsqu'on
veut améliorer les centraux crossbar, on pense tout de suite
appliquer les transistors aux organes de commande* Ces améliorations
ne concernent pas les matrices de connexion elles-mêmes* Certaines
commandes sont réalisées à partir de programmes informatiques, mais
la connexion est réalisée par des contacts successifs qui finissent
par constituer un chemin continu à travers les matrices de connexion*
Ce système de commutation, à mi-chemin entre l'électromécanique
traditionnel et l'électronique temporel tel que nous allons le
décrire, fut dénommé électronique spatial*
Pour bien distinguer la commutation spatiale de la
commutation temporelle, nous emprunterons à Louis Joseph LIBOIS une
explication particulièrement éclairante : "En fait, le terme
"spatial" signifie simplement que le chemin qui relie, dans un
commutateur, une ligne d'entrée à une ligne de sortie, a une réalité
matérielle : on peut le suivre dans 1 ' espace à travers les contacts
d'un certain nombre de relais, électromécaniques en général, mais
qui peuvent être aussi de nature purement électronique (on parle
dans ce cas d'un "point de connexion électronique")".

On comprend alors que tous les systèmes de commutation dont


nous avons fait l'exégèse jusqu'à présent étaient de type spatial
qu'ils aient été manuels ou automatiques électromécaniques
(rotatifs ou à barres croisées). Mais notre propos devient plus
évident encore* Tous les systèmes spatiaux renvoient à
l'établissement d'une ligne temporaire, certes, mais bien réelle. En effet,
il s'agit de désigner un chemin physique entre les deux interlocuteurs.
Si la commutation manuelle en était l'expression la plus manifeste,
la commutation électromécanique ne fonctionnait pas sur un autre
modèle.
Modulation par impulsion et codage

Mais pour bien comprendre la différence essentielle


qu'apporte la commutation électronique temporelle, il faut faire
un détour par les techniques de transmission. A la fin des années
30, les premiers travaux sur l'échantillonnage numérique des
fréquences vocales donnent lieu à quelques publications (i).
L'idée qui aboutira bien plus tard, pendant les années 60, est
d'échantillonner le signal de parole de façon régulière et d'en
mesurer l'amplitude à chaque fois* Dans son théorème, С SHANNON
indiquait que la fréquence d'échantillonnage ne doit pas être
inférieure à deux fois la bande passante du signal. La voie
téléphonique ayant été normalisée à 4.000 Hz, la fréquence de
l'échantillonnage doit atteindre 8.000 fois par seconde, soit un échantillon
par chaque intervalle de 125 micro-secondes. La mesure de l'amplitude
de chaque échantillon est codée par un train d'impulsions de 8 bits
émis en 3,9 micro-secondes.

Cet ensemble de normalisations et de réalisations techniques


dégage 32 intervalles pouvant contenir chacun un code à 8 impulsions
binaires. Trente de ces codes sont affectés aux échantillons de
conversations différentes et les deux intervalles restants sont
utilisés pour des codages de service (repérage des intervalles à la
réception et signalisation intercentraux). (2). Ainsi naquirent la
modulation par impulsion et codage (MIC) et le multiplexage
temporel (3). Il s'agit bien de voies temporelles, car chaque

(1) Notamment l'article de M. MARRO : "Radiotéléphonie : duplox


simultané", in L'Onde Electrique (octobre 1938) qui est considéré
comae la première approche de la numérisation du signal.
(2) Pour une description détaillée des techniques de numérisation et
de multiplexage dans le temps, se reporter à M. LACOUT et
D. CADE (1982, op. cit.) et à M. NOUVION (1982, op. cit).
(3) Far opposition au multiplexage en fréquences qui utilise la
place disponible sur des bandes de très hautes fréquences
subdivisées en voies de 4.000 Hz.
échantillon occupe le conducteur pendant un trentième de seconde.
Les impulsions relatives aux différentes conversations se suivent
et sont étroitement entremêlées. Elles sont identifiables par leur
position temporelle (toutes les 3,9 micro-secondes) dans la trame
du multiplex calée à 125 micro-secondes.

ПППП.П.ПП
MIC

Modulation par impulsion et codage (1 )


tiiior
sentantdu coûtant
la paroleélectrique
2 OC

1 BOOOp
'

Oe seconde Ten-ps
1

Temps disponible pou' d autres communications

Temps nécessaire pour transmettre 8 impulsions V • У

Vd• iI iI o• iI o• o• iI /I Suite d'impulsions binaires representant le nombre 1 50

Principe du codage MIC (2)

|1) D'après GRINSEC (1980), p. 232,


,2) D'après LCAOUT M. et CADE D. (1982), p. 7.
-si-

Les motivations de la recherche sur la modulation par


impulsions et la commutation temporelle sont multiples. Citons les
principales. Tout d'abord, l'espoir d'augmenter le rendement de la
transmission et sa qualité de service. Ensuite, la possibilité de
transférer les acquis de l'informatique à la commutation au cours
des années 50 et 60. La convergence des deux techniques laissait
entrevoir des gains de rapidité substantiels pour cette dernière.
Enfin, l'idée de réaliser un nouvel ensemble intégrant
l'électronique aussi bien dans la transmission que dans la commutation (i).
Vingt ans de recherches furent couronnées de succès par les deux
premiers autocommutateurs publics installés à Perros Guirec et
Lannion en 1970. Deux ans plus tard, un ensemble de transmission et
commutation numériques temporelles fut inauguré dans la même région (2).

La position et la fonction des signaux

La position temporelle

Ainsi la commutation temporelle consiste à interconnecter


deux voies qui se présentent dans des multiplex de transmission
à répartition temporelle. Il s'agit de transférer dans une position
temporelle donnée d'un multiplex sortant donné, les informations
véhiculées par la position temporelle du multiplex entrant qui
correspond à la voie entrante indiquée. Comme il n'y a aucune
relation entre les positions temporelles dans le multiplex entrant
et dans le multiplex sortant (qui d'ailleurs ne sont pas
nécessairement synchrones), il ne suffit pas d'ouvrir, par exemple, une
porte rapide mettant les deux multiplex en communication pendant
3,9 us, il faut effectuer en outre un déphasage correspondant à la
différence des instants d'apparition des deux voies sur leurs
multiplex de transmission respectifs.

(1) No
Nous reviendrons sur ce point plus loin.
(2) A. Guingamp et Paimpol. Pour tout ce qui concerne la passionnante
histoire de la commutation temporelle, se reporter à L.J. LIBOIS
(1983, op. cit.).
Le principe de la commutation temporelle revient à combiner
successivement deux types d'opération :

"-un changement de position temporelle (opération de type T),


qui réalise le déphasage voulu en faisant séjourner dans une mémoire
temporaire le temps convenable les signaux transportés par la voie
entrante ;

- une commutation spatiale entre des multiplex rendus


synchrones (opération de type S) qui s'obtient en ouvrant des portes
logiques rapides permettant de transférer les signaux de la voie
entrante vers l' organe chargé de reconstituer le multiplex de
transmission sortant. Ces portes logiques sont des points de
connexion (au sens de la commutation spatiale) mais commandés
dynamiquement à une cadence égale à celle des multiplex internes О)."

Réaeau de connexion temporel


Mémos* tampon
Equipement Equipement
de Multiplex entrant Multiplex entrant de
raccordement raccordement
Multiplex «ottant Multiplex sortant
V
Liaison Mémoire de
MIC commande MIC

Principe de la commutation temporelle. (2)

[i) GRINSEC (1980, op. cit.), p. 132, tome 1


\2) NOUVION, M. (1982, op. cit.), p. 533.
-52-

II apparaît que l'extrême vitesse de fonctionnement de


l'électronique et la modulation par impulsion et codage font de la
commutation une manipulation de signaux dans une dimension
essentiellement temporelle. Il s'agit de modifier la position temporelle
des signaux d'une voie MIC entrante. Four cela, on les fait
séjourner un certain temps dans une mémoire. Puis, quand ils se
trouvent en phase avec le multiplex sortant, on les injecte sur la
voie correspondante. Par ailleurs, la notion de blocage interne
qui incarnait une des limites de la commutation spatiale disparaît
en commutation temporelle. Il ne s'agit plus tant de rechercher
des itinéraires et de commander leur mise en place, en faisant
coïncider un itinéraire et une communication, mais de déphaser
des ensembles, d'analyser des signaux et de les concatener de
nouveau.

Réseaux de signaux dans l'infrastructure

Devant de tels principes de transmission et de commutation,


il n'est pas très facile a priori de trouver des relations avec
l'idée de territoire. Sauf si l'on se tourne, encore une fois,
vers la technique. L'intégration du système de transmission et de
commutation, et la commande informatique de celle-ci, suscitent de
profondes restructurations dans l'organisation du réseau. Les voies
de télé-informatique entre les ordinateurs du système sont apparues
comme des solutions appropriées. La tendance est à la séparation
des circuits de parole et de ceux de signalisation. Pour ces derniers
circuits, on parle désormais de canaux-sémaphores qui acheminent
tous les signaux relatifs à l'établissement et à la rupture des
communications, à l'exploitation et à la maintenance du système.
Ainsi se constitue un réseau dans le réseau. On distingue clairement
les circuits de parole et les canaux sémaphoriques affectés aux
signaux ď interfonctionnement. Mais déjà, au sein même des centraux
électroniques, nous avons laissé entendre qu'on pouvait distinguer

i
des logiciels de commande localisés sur les lieux mêmes de leur
application, et des logiciels d'exploitation et de maintenance,
centralisés dans un calculateur universel. A 1» avenir, la
distinction entre un réseau de circuits de paroles et un réseau de
canaux sémaphoriques sera insuffisante. Un troisième réseau se
spécialisera dans la circulation et le traitement des données
d'exploitation et de maintenance.

.
.
On voit que la commutation électronique temporelle entraîne
toute une série de restructurations* La numérisation des signaux
oblige à une définition toujours plus précise des fonctions des
signaux. On peut alors distinguer autant de réseaux que de fonctions
de signaux, le principal de ces réseaux restant, bien sûr, celui de
communication des abonnés. Mais, là aussi, l'intégration numérique
de la transmission et de la commutation apporte des modifications
importantes.
-го-

CONCLUSION

Ш RESEAU POUR DES SERVICES DE COMMUNICATION

Jusqu'à ces derniers temps, on ne faisait pas vraiment de


distinction entre réseaux-support (infrastructure des conducteurs
et commutation) et services de communication aux abonnés.
L'infrastructure téléphonique était prépondérante, ainsi que le service
qu'elle rendait. Pourtant, le réseau télégraphique existe depuis
plus d'un siècle maintenant, le réseau télex depuis 1947, et
certains réseaux de transmission de données depuis le début des
années 1970. Au plan technique, ces réseaux ne se distinguent pas
toujours par leur infrastructure. Très souvent, le réseau
téléphonique sert de support aux autres services. Deux choses seulement
les différencient nettement : les flux et la tarification. A
l'avenir, dans le réseau numérique intégrant différents services (1),
la tarification prendra une part prépondérante aux yeux de l'usager
pour distinguer les services de communication (2).

Dans la perspective d'un RNIS, le réseau support est unique


et les services de communication innombrables. Mais, pour l'instant, ils ne
sont pas encore tous imaginés. Ils rassemblent tous les services
nouveaux comme télécopie ou vidéotex. Ils peuvent comprendre des :

- "applications interactives audio avec tous leurs


prolongements (postes mains-libres, services pour handicapés, publiphonie,
service de qualité supérieure) ;
- applications interactives vidéo ;

- téléconférence (audio et vidéo) ;

'\ ) Réseau Numérique avec Intégration des Services : RNIS.


,2) Cf. CURIEN N. et GENSOLLEN M. : "Economie des Réseaux : la
mutation des Télécommunications'! Communication présentée au
colloque de С eris y-La-Salle, "Crise de l'Urbain, Futur de la
ville", mai 1985.
- diffusion audio, vidéo ou de données, en temps réel ou
différé, avec voies de retour éventuelles pour les applications
de diffusion restreinte ;

- réseaux d'ordinateurs ;
- accès à des bases de données ou banques d'images avec
possibilité de commentaires sonores ;
- transmission de documents graphiques sous toutes leurs
formes (télécopie, télé-écriture, télé-dessin, transmission
d'images) ;
- traitement de textes ;
- transfert de fonds et transactions commerciales ;

- télé-alarme, télécommande, télémesure, appel de personnes,


toutes applications désignées par le terme générique de télé-action ;
- réseaux d'entreprise ;
- messageries audio, vidéo, de textes ou d'images" (3).

Bien que, dans cette liste, nous ayons des éléments qui
relèvent encore d'une vision des services empruntant aux réseaux
et aux terminaux, elle est suffisamment élaborée pour faire
apparaître la tendance essentielle d'une nouvelle définition des
services de télécommunication. Le réseau support et le terminal
approprié a un service particulier comptent désormais beaucoup
moins que la situation de communication développée par l'usager*
Quels seront les interlocuteurs ? Quels messages désirent-ils
échanger ? On comprend que la combinaison des caractéristiques
descriptives de la situation vont servir à définir le service de
communication que l'usager voudra utiliser. Parmi celles-ci, le
mode sémio tique, le nombre, la localisation et la nature de
l'interlocuteur (2) seront déterminants. L'idée générale qui

1) Homme
ROCH A.ou (1983),
machine p.! 6.
il!
sous tend la conception des nouveaux services des réseaux
numériques , veut qu'un petit nombre, peut-être un seul, des réseaux
supports pourraient servir à définir un grand nombre de services
de communication.

Ainsi l'on voit que le réseau de télécommunication se


constitue peu à peu en un espace polyvalent de communication.
Cette génération de techniques de transmission et de commutation
ont véhiculé leur propre représentation de la communication
interpersonnelle et de l'espace appropriable par l'un des trois acteurs
initiaux du réseau (l'Administration, les scientifiques et les
usagers). Là encore, l'espace physique sur lequel courraient les
conducteurs est conquis, l'espace technique interne,
propre au réseau dont on mesurait l'étendue par sa capacité
de raccordement et d'écoulement a été suffisamment étendu pour
assurer l'abondance de circuits*

La commutation temporelle a attiré notre attention par la


manipulation de codes et le positionnement des signaux dans le
temps, ceux-ci trouvant leur identification par cette position
temporelle. Il est clair que la perspective d'un RNIS promeut
l'image d'un réseau qui non seulement permet de déplacer des
données, mais surtout crée des contextes de communication
interpersonnelle, de groupe ou par machines interposées, sans cesse
re configurables. Le réseau devient-il un lieu médiatique ? Sans
aucun doute.

Nous allons voir à travers quelques exemples ce que nous


pouvons entendre par cette expression. Nous allons essayer
d'expliquer comment la notion de service de communication
reconfigure non plus le territoire national mais individuel.
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