L'HISTOIRE
NE PARDONNE PAS
Tunisie : 1938-1969
Éditions L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
ACHEVÉ D'IMPRIMER
EN JUIN 1988
SUR LES PRESSES DE
L'IMPRIMERIE SZIKRA
90200 GIROMAGNY
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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TABLE DES MATIERES
AVERTISSEMENT .......................................................................... 11
INTRODUCTION ..................................................................... 13
QUATRIÈME CHAPITRE. Documents inédits pour ceux qui ont oublié …….. 37
NOTE DE L'ÉDITEUR……………254
ANNEXES…………255
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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Notre souhait est que ce récit, ainsi que la documentation inédite qui
l'illustre, participe à sa manière à la réécriture de l'histoire contemporaine de
la Tunisie.
... Le 26 septembre 1983, Azzedine Azzouz est enterré à Tunis, avec pour
linceul, le drapeau tunisien, dans l'anonymat le plus total...
Ashraf Azzouz
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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AVERTISSEMENT
Nous avons, sciemment, choisi de garder le ton et les mots choisis par le
narrateur, afin de laisser au lecteur la liberté de mieux cerner la
personnalité et l'œuvre de Azzedine Azzouz.
Dès lors, il connaîtra les aléas d'un nationaliste désintéressé, d'un « militaire
pacifiste » et d'un démocrate indépendant face à l'acharnement d'un leader dont
le souci constant aura été d'utiliser, pour ensuite briser, tous ceux qu'il
considérait comme étant ses concurrents ou, ses éventuels dauphins.
Notre souhait est que ce récit, ainsi que la documentation inédite qui l'illustre,
participe à sa manière à la réécriture de l'histoire contemporaine de la Tunisie.
... Le 26 septembre 1983, Azzedine Azzouz est enterré à Tunis, avec pour
linceul, le drapeau tunisien, dans l'anonymat le plus total...
Ashraf Azzouz
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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Introduction
9 avril 1975.
Le peuple tunisien commémore aujourd'hui le trente-
septième anniversaire des martyrs tombés le 9 avril 1938
sous les balles d'un colonialisme aveugle et sans pitié.
9 avril 1938...
C'était une date importante dans ma vie ; c'était le jour où
j'avais failli être tué durant le massacre, devant le Palais de
justice de Tunis. C'était aussi le jour où j'avais vu, de mes
propres yeux, des dizaines de Tunisiens et de
Tunisiennes, jeunes et vieux, tomber autour de moi comme
des mouches. C'était le jour où j'avais vu une mère éplorée
porter son enfant mort, les entrailles ouvertes par les balles
des soldats français.
C'était aussi le jour où j'avais réalisé que le peuple tunisien
avait beaucoup à apprendre pour pouvoir lutter efficacement
contre un colonialisme organisé, fort et armé jusqu'aux
dents. Devant cette débandade générale des foules
désorganisées, sans chefs et sans cadres, poursuivies sans
merci par une soldatesque déchaînée et par des blindés tirant
à bout portant, à la Kasbah, à Bab Souika, sur des innocents,
j'avais alors réalisé qu'il fallait « faire quelque chose».
Dans le crépitement lointain des mitraillettes tirant sur nos
martyrs qui tombaient au bord du lac Sedjoumi, je m'étais
alors juré de lutter efficacement, et de tout sacrifier pour
libérer notre malheureux peuple de ce joug qui durait depuis
1881.
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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9 avril 1938…
C’était pour moi le point de départ, la date qui devait
influencer ma vie pour toujours et commander toutes mes
actions et mes activités. C'était pour moi le « tournant
décisif » qui devait justifier mon idéal, mes attitudes et mes
principes.
Que faire ?
J'avais eu, fort heureusement, la chance d'appartenir à un
mouvement de jeunesse, « les Scouts musulmans de
Tunisie», depuis avril 1934. Ce mouvement qui venait de
s'organiser en 1933, offrait de grandes possibilités d'action et
contenait un « potentiel » de jeunes Tunisiens, pleins de
bonne volonté et d'enthousiasme. Cette poignée de jeunes qui
s'était placée sous mes ordres avec foi et abnégation, avait
accompli des miracles et formé le « levain » de la
Résistance tunisienne.
Je ne nie pas l'action des autres mouvements nationalistes, et
notamment celle du Néo-Destour, mais je suis en mesure
d'affirmer que les méthodes suivies par la Résistance
tunisienne, loin des propagandes tapageuses, des discours et
des slogans tout faits avaient largement contribué à
l'indépendance de notre patrie. Que ce soit dans la
clandestinité ou bien ouvertement, à l'intérieur ou à l'extérieur
de la Tunisie, les résistants méritent une place plus grande
sous le soleil de la Tunisie indépendante. Leur action,
menée dans le silence, avec courage, foi et abnégation,
a été ignorée ou presque, par nos dirigeants et surtout par le
peuple tunisien.
Écrire ce livre, cette « histoire de la Résistance », est pour
moi un devoir sacré et une dette envers tous ceux qui ont
souffert et qui souffrent encore parce qu'ils avaient préféré
suivre la voie tracée par notre mouvement en ayant pour seule
devise « Servir la Patrie » et non servir un parti ou une
personne donnée. Ce livre, écrit par un résistant de la première
heure, ne peut se recommander au lecteur que par sa sincérité
absolue. S'il ne vise à aucune prétention littéraire, il est aussi
dénué d'artifices. On voudra bien en excuser les
imperfections. Tous les documents publiés dans ce livre sont
rigoureusement authentiques et représentent autant de
témoignages de l'ampleur de notre résistance
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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Autant de bonnes pour masquer le chemin parcouru et
surtout autant de « souvenirs » historiques pour rafraichir la
mémoire de ceux qui ont oublié….et qui dirigeant
aujourd’hui la Tunisie indépendante…
Un rêve étrange
En liberté provisoire !
Page 239
Le baise-main de Bourguiba...
+
Complément d’informations sur la
tentative de Coup d’Etat de 1962 :
Les trois articles de Noura Borsali
parus à Réalités (hebdomadaire
tunisien)
“Entre temps, Hédi Gafsi s’était rendu chez Salah Hachani à la Cité Bouchoucha pour
l’amener à la réunion ; l’officier lui apprit qu’il attendait son collègue, le commandant
Ben Saïd et il lui demanda d’aller à La Marsa à la recherche de Kebaïer Maherzi
lequel, contacté, fit savoir qu’il viendrait à bord de sa voiture. A son retour chez lui,
Gafsi trouva Témime qui le mit au courant de tout ce qui s’était passé pendant son
absence ; sur ces entrefaites, arriva Kebaïer Maherzi ; Gafsi la pria de rejoindre le
domicile de Salah Hachani et lui apprit que tout le groupe était déjà parti vers le lieu
de la réunion.
Il était 20 heures 45 ; l’officier Maherzi quitta les lieux ; aussitôt après arriva Amor
Bembli qui informa Hédi de la décision prise par les militaires ; de son côté, Gafsi lui
apprit la décision des civils de se rendre à Ezzahra, ajoutant que Hachani, Meherzi et
Ben Saïd attendaient de rejoindre la réunion. En entendant Gafsi prononcer le nom de
Ben Saïd, Bembli pria son interlocuteur de lui prêter sa voiture pour aller à la
rencontre de ces officiers ; il se rendit chez Hachani où il les trouva ; mais il prit Ben
Saïd avec lui dans la voiture, sans dire à ses deux autres collègues où il l’amenait ; “ Je
serai bientôt de retour ”, se contenta-t-il de préciser.
Pendant que Hachani et Maherzi attendaient tout en ergotant sur les intentions
suspectes de Bembli et les raisons qui l’avaient poussé à les séparer de leur collègue
Ben Saïd, survint Hédi Gafsi à bord de la voiture de la délégation destourienne de
Bizerte qu’avait empruntée Habib Hanini pour se rendre à Tunis ; il demanda des
nouvelles de Bembli ; on lui répondit qu’il était allé chez le capitaine Moncef Materi
où probablement devait se tenir une réunion.
Comme ils ignoraient son adresse, Gafsi les y conduisit, à Montfleury où ils virent
Bembli, à l’intérieur de la voiture de Gafsi.
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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Hachani et Meherzi se joignirent à la réunion des militaires, tandis que Bembli
s’approcha de Hédi Gafsi et lui apprit que ses collègues étaient en réunion ; aussi
devait-il contacter les civils pour les en informer et leur laisser entendre que si les
militaires ne se joignaient pas à eux, dans un délai de deux heures, c’était parce qu’ils
avaient renoncé à assister à la réunion.
En ce qui concerne les civils, ils demeurèrent à attendre, chez Lazhar Chraïti, l’arrivée
des militaires. Vers 21 heures 30, Hédi Gafsi arriva dans tous ses états, reprochant
avec véhémence aux civils de ne pas avoir patienté et les informant du comportement
des militaires et des paroles que lui avaient rapportées Bembli : “ La responsabilité
dans tout cela, précise-t-il, vous en incombe parce que vous n’avez pas voulu attendre
les militaires chez moi ”. A ce moment Abdelaziz Akremi, s’adressant à l’assistance,
dit avec fermeté que pareille attitude constituait “ un manque d’égard pour nous,
d’autant plus que nous sommes venus de l’extrême Sud ”, puis il invita Hédi Gafsi à se
rendre au lieu de la réunion des officiers, pour lui amener Amor Bembli afin de
s’expliquer avec lui ; sitôt dit, sitôt fait, Abdelaziz Akremi se mit à parler des
possibilités du Sud et de ses hommes durs, capables de se passer de l’appui de l’armée.
Il ajouta qu’il était en mesure d’armer deux mille hommes du Sud et d’occuper le pays
avec seulement 500 fusils ; il s’étendit sur la description de sa bravoure et de celle de
ses partisans ; mais il fit remarquer que les armes lui faisaient défaut car, au Sud, elles
manquaient, pour avoir été fournies aux Algériens pendant leur Révolution. Ahmed
Rahmouni partageait ses idées, tandis que les autres écoutaient.
Entre temps, Hédi Gafsi revint et déclara que les militaires lui avaient interdit l’accès
du lieu de la réunion, ajoutant que Bembli lui apprit qu’il contacterait les civils, à la fin
de la réunion des militaires, pour les informer des décisions prises ; “ Il est fort
possible ” précisa-t-il, que leur attente se prolongerait jusqu’à une heure du matin ;
toutefois, ils devaient cesser toute attente, s’ils ne recevaient pas de message ; car cela
voudrait dire que les militaires avaient décidé de ne pas les compter parmi eux. A ces
mots, Lazhar Chraïti entra dans un violente colère et déclara qu’il pouvait se passer
des officiers, Amor Bembli y compris, et qu’il pouvait entreprendre le soulèvement
tout seul ; il jura de couper tout rapport avec les militaires, qu’il se mit à ridiculiser
ainsi que l’armée. Il ajouta avec ironie “ même la sentinelle du Président de la
République ” participe au mouvement insurrectionnel et a promis de sortir Son
Excellence le Présidentt de son lit avec la plus grande aisance pour le remettre aux
putschistes.
Lazhar Chraïti déclara fermement qu’il était décidé à donner le signal du soulèvement
par l’assassinat du Président de la République à Aïn Ghelal où la surveillance était
réduite et les circonstances très favorables. “ Il suffit de couper la tête pour que les
racines se dessèchent ”, ajouta-t-il.
C’est ainsi que Lazhar Chraïti continua à expliquer son plan d’action, tout en parlant
des étapes de sa vie privée et de sa participation à un soulèvement effectué en Syrie.
Il était environ une heure du matin lorsque Hédi Gafsi quitta les lieux pour
Hédi Gafsi et eux-mêmes pour les mettre au courant de tout fait nouveau ; ceux-ci, à
leur tour, en aviseraient les civils ; Salah Hachani ajouta que ses collègues avaient
décidé de l’empêcher d’assister désormais à leurs réunions et de contacter les civils
sauf en cas de nécessité ; il expliqua que le jour de l’exécution du soulèvement n’a pas
été fixé par les militaires étant donné des difficultés et des détails techniques qu’il
faudrait étudier avec minutie, d’autant plus qu’il y avait de nouveaux officiers parmi
les membres du mouvement. A ces mots, Abdelaziz Akremi, saisi par une violente
colère, s’écria : “ Les militaires se moquent de nous et se refusent à faire quoi que ce
soit ; au nom des civils et par devant Dieu et l’histoire, je prends acte de leur faiblesse
et de leur hésitation ” ; ce comportement des militaires, précisa-t-il, est décevant et
oblige les civils, membres de la conjuration à s’adresser aux Algériens pour se
procurer des armes ; aussi mit-il les officiers devant leur responsabilité en faisant
valoir que leur méfiance à l’égard des civils était un prétexte pour accaparer les leviers
de commande.
Hédi Gafsi déployait tous ses efforts pour essayer de convaincre ses compagnons civils
que dès le lendemain, il leur fournirait les détails des discussions entre les militaires ;
ainsi ils se séparèrent, mais, ce jour-là, leur secret fut dévoilé.
Il convient de remarquer que Habib Hanini demeura chez lui à Bizerte après avoir
quitté ses amis ; vers midi, il s’adressa par téléphone à l’officier de la garde nationale,
Hassan Marzouk, à Bir Bouregba et l’informa que le programme de “ Jannane ” c’est-
à-dire Amor Bembli, et de ses partisans, n’était pas valable, ajoutant qu’il s’agissait
d’un groupe vivant dans l’anarchie ; il lui recommanda de s’abstenir de le rencontrer
au cas où il cherchait à le contacter, ils se mirent d’accord pour se rencontrer le jeudi
20 décembre 1962 à 19 heures 30 chez l’officier de la garde nationale au Bardo.
Hanini espérait mettre son ami au courant de tout ce qui s’était passé la nuit du 18
décembre, mais la découverte du complot en décida autrement.
La crise tunisienne était bien liée à des problèmes de fond. “ Six ans après
l’indépendance, il y a dans la Tunisie de Bourguiba plus qu’un malaise et les
dirigeants eux-mêmes parlent de crise grave ”, note un journal français.
Certes, parmi les accusés, il y a ceux qui, se réclamant de l’araboislamisme, ont été
choqués par le “ laïcisme ”, la remise en cause de l’enseignement zeitounien, la
marginalisation de la langue arabe et la réforme Messadi, tels que Abdelaziz Akremi,
Ahmed Rahmouni, Ali Gafsi et bien d’autres. La politique étrangère de Bourguiba,
marquée par son prooccidentalisme, les a exaspérés. Pour eux, il s’agit de
repositionner la Tunisie dans son aire arabe et islamique et aussi dans le mouvement
des non-alignés. Certes, il y a aussi ceux qui sont influencés par les expériences
égyptienne et algérienne, comme Omar Bembli qui demeure nostalgique d’un Orient
en proie à des soulèvements périodiques auxquels il a participé. Mais, ils ont puisé
aussi leur colère dans les difficultés économiques résultant de la nouvelle orientation
d’économie planifiée. “ Nul ne conteste les efforts que fait Bourguiba pour lutter
contre le sousemploi et la misère. Mais, beaucoup jugent que les sommes englouties
dans tel palais ou construction de prestige seraient mieux investies dans une usine
d’engrais ”, note l’éditorial du “ Monde ” du 27 décembre 1962.
Ces changements dans les rapports Etat-Parti, commencés en mars 1963, à l’occasion
de la réunion du Conseil national du parti et appliqués avant d’être entérinés par le
congrès de Bizerte d’octobre 1964, consacrent l’institutionalisation du parti -devenu
socialiste destourien- en tant que parti unique. “ Au sein de cet Etat dont il est l’artisan,
le parti assume une mission qui est celle de la nation entière…Le Néo-Destour étant
l’artisan incontesté de cet Etat, son Président étant en même temps le chef de l’Etat, il
est normal que toutes les responsabilités du pouvoir soient assumées par les membres
du parti ”. Ainsi s’exprimait Al-Amal en mars 1963. “ Les étudiants tunisiens de Paris
critiquent l’attitude et la manoeuvre du Néo-Destour de vouloir profiter du complot
pour liquider le peu de démocratie qui existait en Tunisie ”, note Slimane Ben
Slimane. De son côté, Jean Lacouture terminera son article publié le 25 janvier 1963
dans Le Monde dans ces termes : “ On reconnaît un Etat paisible à ce que, lorsqu’un
coup de révolver est tiré, chacun se dit : “ c’est une porte qui claque ”, et un Etat
fiévreux au fait que, si une fenêtre bat, tout le monde se jette à terre. Dans la Tunisie
d’hier, quand l’avion décollait d’El Aouina avec quelque retard, chacun souriait et
parlait de panne légère, ou de sieste prolongée du pilote. La semaine dernière, au bout
de deux heures d’attente, chacun des voyageurs commençait à compter ses voisins,
pour savoir combien d’entre eux avaient été retenus par la police ? C’est tout
bonnement une panne ”.
Certes, il est intervenu, six ans après l’indépendance du pays, dans un contexte
régional arabe et africain où les coups d’Etat se multiplient. Des Etats nouvellement
indépendants connaissent des crises violentes qui amènent à des coups d’Etats soit
avortés soit réussis, comme l’attestent l’assassinat du président togolais, le complot
contre Senghor, les renversements militaires en Syrie, en Egypte, en Irak, au Yémen
etc.
Les nouvelles sur le complot disparurent des bulletins de radio. Les journaux tunisiens
publiaient un communiqué officiel de 70 mots sur la découverte du complot, diffusé la
veille par le Gouvernement ”.
Driss Guiga fut, en effet, démis de ses fonctions et remplacé par Béji Caïd Essebsi. “ Il
n’y avait rien à lui reprocher personnellement, écrit le Journal de Genève (du 19-
20/1/1963), mais ses services avaient immanquablement manqué de vigilance ”. Le
complot a été découvert, selon la source officielle, par la partie militaire. La déposition
manuscrite faite au siège du Parquet militaire, le 19 décembre 1962, par Slaheddine
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
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Baly, alors procureur de la République auprès du tribunal militaire permanent, informe
que la découverte du complot s’est faite le mercredi 19 décembre 1962 grâce à la
dénonciation d’un sous-officier de l’armée tunisienne, le dénommé Amor Toukabri. La
sûreté nationale a-t-elle failli à ses responsabilités ? Même si Driss Guiga a été nommé
au poste de Caïd Essebsi à la tête de la direction du tourisme, cette permutation ne
constituerait-elle pas une sorte de “ sanction ” ? Mohamed Sayah, dans son Histoire du
Mouvement national, montre bien les déficiences des rouages du ministère de
l’Intérieur qu’il explique aussi par “ des conflits de compétence et de susceptibilités ”
ainsi que par “ l’absence d’un système d’analyse et de coordination qui aurait pu, à
partir d’informations disparates, rentabiliser davantage le travail des services de
sécurité ”. Ces informations auraient été délivrées, selon Sayah, par Béchir Zarg el
Ayoun et aussi Cheikh Hassen Ayadi. Driss Guiga n’a pas nié que les services de
sécurité auraient dû être plus vigilants. “ Pour nous, il est tout à fait normal qu’un chef
de département qui n’a pas été à la hauteur de l’évènement en question puisse être
déchargé de cette responsabilité ”, nous a-t-il précisé.
Nous n’avions pas non plus d’armes. Il a fallu attendre deux années après
l’indépendance pour pouvoir acquérir les premiers fusils de la police tunisienne (avec
ses 300 policiers et ses quatre ou cinq commissaires), d’autant que nous n’avions pas
beaucoup d’argent pour en acheter. De plus, nous vivions aussi avec les séquelles du
conflit inter-destourien. La situation du pays était difficile ”.
Crime et châtiment
Les chefs d’inculpation retenus sont : complot contre la sûreté intérieure, attentat à la
sécurité de l’Etat, tentative d’assassinat du Président de la République, tentative de
renversement du gouvernement et substitution d’un autre gouvernement à celui
existant et détention d’armes et approbation des biens de l’Etat. L’éditorial de (
L’Action ) du 12 janvier, s’intitulant : “ Tels des microbes dans un organisme sain ”
souligne, que l’enquête a duré près d’un mois, et évoquant “ ces forces obscures, ces
forces du mal ”, note : “ Les ayant anéantis, l’organisme n’en sera que plus sain et plus
prospère ”. Le procès a été retransmis en différé par la radio.
La préparation du complot
Le tribunal a, par ailleurs, réservé une séance à huis clos d’un peu plus d’une heure
pour discuter ou mettre en évidence des complicités avec l’étranger, et plus
précisément l’Algérie. Bon nombre d’observateurs ont estimé que cette accusation
n’était pas sérieuse vu qu’Alger n’était pas du tout impliquée dans le complot. Que le
pays ait offert l’asile politique à des Yousséfistes comme Chouchène et Tobbal ou
qu’un agent consulaire ait remis un passeport algérien à l’un des accusés, Mostari Ben
Saïd —qui est effectivement d’origine algérienne— ne pouvait justifier aucunement
une complicité avec le projet du complot.
La quasi-totalité des accusés ont reconnu leur rôle et demandé la clémence de la Cour.
Le verdict tombe après vingt-trois heures de délibérations, de mercredi matin à jeudi
matin. “ 23 heures de suspense ”. Le journal français ( La Croix ) (du 18/1/1963) a
commenté cela en écrivant que la cour “ en délibérant si longtemps, a probablement
battu le record de toutes les juridictions du monde ”. “ Les vingt-cinq accusés, après
avoir passé toute la journée du mercredi dans la prison civile ou à la prison militaire,
avaient été conduits, sous bonne garde, la nuit du mercredi à jeudi, à 22 heures, dans
une pièce voisine de la salle d’audience. C’est là que menottes aux poings, ils ont
attendu, pendant des heures interminables, d’être fixés sur leur sort, qui leur a été
finalement signifié à la prison civile de Tunis, où ils avaient été reconduits au petit
matin ” ( La Croix ). Les attendus du jugement ont été lus pendant plus d’une heure
par le président Ali Chérif devant une salle silencieuse, en l’absence des accusés dans
la salle. Ces derniers n’en ont été informés dans leurs cellules en prison: traize
condamnations à mort : les militaires : Ben Saïd, Meherzi,
Bembli, Hachani, Barkia, Guiza et El Materi (ces deux derniers, anciens saint-cyriens,
seront graciés par Bourguiba, à la demande de Wassila et leur peine commuée en
travaux forcés à perpétuité), et les civils : Chraïti, Abdelaziz El Akremi, Gafsi, el
« L’Histoire ne pardonne pas ». Azzedine Azouz . Tunisie 1939-1969. Chapitre 18 (pp219-227)- chapitre 19
(pp 229-238) et chapitre 20 (pp239-244) mis en ligne par Sami Ben Abdallah.
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Hanini, Rahmouni et Ben Boubaker (par contumace). Les autres sont condamnés aux
travaux forcés à perpétuité, à 20, 10 ou 5 ans de travaux forcés et à 2 ou 1 an (s)
d’emprisonnement.
Tous les officiers de l’armée tunisienne sont dégradés. Les condamnés disposaient de
trois jours pour se pourvoir en cassation. Ce pourvoi contre le verdict prononcé par le
tribunal militaire permanent de Tunis a été rejeté par la Cour de Cassation qui a
confirmé le verdict. “ Ce fut, nous dit Temime H’madi Tounsi, une grande injustice et
une entorse à nos droits d’inculpés ”. Les journaux étrangers ont espéré un geste de
clémence de la part du Président Bourguiba qui disposent du droit de grâce pour les
condamnés à mort. “ On veut espérer qu’il en usera pour atténuer les rigueurs de la
justice dans une affaire où des hommes qui faisaient parfois figure de simples
comparses ont été lourdement frappés ”, juge La Croix (18/1/1963). Il n’en est rien. La
grâce n’est accordée qu’à deux condamnés Materi et Ben Guiza, dont la peine est
commuée en travaux forcés à vie.
Cette rigueur avec laquelle le Président Bourguiba a rejeté la presque totalité des
recours en grâce a été très commentée par la presse étrangère. “ 23 heures de
délibérations (…) pour décider de sévir avec cette sévérité donnent une indication sur
la complexité de l’affaire. Si fort qu’elle ait éprouvé la tentative d’assassinat d’un
leader populaire, l’opinion publique d’un peuple pacifique et peu sanguinaire serait
probablement sensible à un geste de clémence, mais l’appareil du Néo-Destour avait
senti de trop près le vent du boulet pour ne pas pencher vers la rigueur ”, écrit Jean
Lacouture dans le quotidien Le Monde (“ Tunis, un verdict vigoureux ”, 18-1-1963).
Le verdict a, en effet, été jugé très dur et très sévère, au-delà de la condamnation
unanime du complot. La revue Esprit , en mars 1963, a écrit : “ A Tunis, le tribunal de
M. Bourguiba fut plus rigoureux encore pour l’acte inaccompli des conjurés que celui
du Caire pour l’attentat effectif des Frères Musulmans : treize condamnations à mort…
J’étais dans la salle de rédaction d’un journal tunisien quand la radio annoncé le
verdict ? La stupeur ne saurait se décrire. (…). Mais peut-être ce pays de tolérance et
de sagacité a-t-il, depuis qu’on y juge plus rudement qu’au Caire, perdu quelques
amis”.