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L’entretien

“J’ai su très vite que


je ne passerais pas ma vie

Valérie à courir après des poules.”

Lemercier
Fille d’agriculteurs normands, nourrie aux airs classiques, la piquante actrice
s’est glissée dans le rôle de conteuse de “Pierre et le loup”. A s’en lécher les babines.
Difficile de figer Valérie Lemercier dans la glace d’une définition. tellement que j’en possède une bonne vingtaine de versions :
Actrice étonnante et drôle au cinéma (Les Visiteurs, celle de Gérard Philipe, évidemment, qui a bercé mon enfance,
Vendredi soir, Fauteuils d’orchestre…), elle est aussi réalisatrice celles de Peter Ustinov, de Claude Piéplu – de loin ma préférée,
(Le Derrière, Palais royal !), tout en revendiquant fièrement son à cause de l’orchestre très pêchu et de la voix lunaire
appartenance au monde du théâtre et un petit penchant pour et distanciée que savait prendre ce comédien extraordinaire –,
la performance seule en scène. Elle ne se prive pas non plus celles de Jean Rochefort, de Sophie Marceau, de Smaïn...
de pousser la chansonnette ni de se livrer aux délices du métier Je me suis même procuré des versions plus inattendues,
d’auteur pour ses longs métrages et ses spectacles. comme celles de Bill Clinton ou de David Bowie !
Dénominateur commun de toutes ces activités qui donnent un Cette musique me poursuit depuis toujours. Je peux l’écouter
peu le tournis : amuser et s’amuser. Car cette éternelle grande plusieurs fois par jour, sans jamais me lasser. J’ai d’ailleurs
enfant (pas loin de 1,80 m) est une bête de scène qui aime le rire, souvent essayé de l’utiliser, par exemple pour la bande-son
en toute simplicité. Naturellement, à l’instar des grands de mon film Palais royal !, ou tout dernièrement dans mon
comiques, elle est sérieuse comme un pape. Le temps de trouver spectacle aux Folies Bergère. Je rêvais d’entrer en scène au son
quelques minutes dans son emploi du temps de ministre, elle se de la marche des chasseurs, mais c’était trop lent, trop beau
pose, réfléchie, comme pour faire le point avec elle-même. – je veux dire, musicalement ! –, trop solennel pour l’effet
que je voulais produire.
Vous venez d’enregistrer Pierre et le loup, de Serge Prokofiev, Quel est votre rapport à la musique ?
et quelques autres contes russes. Une expérience J’ai fait du solfège et un peu étudié le violon dans mon enfance.
plutôt inattendue pour une actrice... J’adorais la sonorité de l’instrument, mais c’était vraiment
Pierre et le loup est pour moi une œuvre fétiche, d’abord parce trop ingrat à étudier. Qu’est-ce que j’ai pu ramer ! Mes sœurs,
qu’elle est belle, mais aussi parce qu’elle renvoie au monde elles, avaient choisi des instruments plus traditionnels, comme
de l’enfance. Elle fait peur, elle fait rêver. Encore maintenant, la flûte traversière ou le piano. Grâce à ma mère, qui a tout fait
je suis effrayée quand j’entends le motif du loup ! Je l’apprécie pour que ses enfants pénètrent dans cet univers, je me suis <

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Cinéma, théâtre,
chanson…
valérie lemercier
touche à tout avec
gourmandise.
La comédienne VAlérie lemercier entretien

avec Mme Charlot, une vieille dame de 84 ans qui a eu


des élèves comme Julien Clerc. Avant, j’aurais trouvé cela
un peu ridicule de suivre des cours, de m’enfermer avec
quelqu’un pour apprendre... ce que, au fond, tout le monde sait
faire plus ou moins instinctivement, à condition d’avoir un peu
d’oreille et de chanter juste ! N’empêche, elle m’a aidé à bien
poser ma voix, à être plus exigeante sur la diction.
Je suis arrivée à la chanson par hasard. A le demande
de Bertrand Burgalat, j’ai écrit des paroles sur ses musiques,
comme ça, juste pour voir, et je me suis dit : après tout,
pourquoi ne pas les interpréter moi-même ? Après, j’ai eu
d’autres expériences, avec Neil Hannon de Divine Comedy
ou tout dernièrement sur la scène de La Cigale en chantant
avec Vincent Delerm et Christophe Willem. Chanter, j’adore !
J’aimerais beaucoup faire de l’opérette, comme interprète
ou comme metteuse en scène – d’Offenbach, par exemple,
qui a l’art de vous trousser des mélodies particulièrement
géniales. Cela a failli se faire, d’ailleurs, et même dans le cadre
prestigieux de la Scala de Milan. Mais mon emploi du temps
était trop chargé. Dommage...
En ce moment, je tourne dans le prochain film d’Etienne
Chatiliez, une comédie musicale intitulée Agathe Cléry, aux
côtés d’Anthony Kavanagh, de Jean Rochefort, d’Isabelle Nanty,
de Dominique Lavanant et de trois cents danseurs. L’histoire
est à la fois cocasse et émouvante. C’est celle d’une bourgeoise
ordinaire, pas complètement Front national, mais très raciste
tout de même, qui est en train de... devenir noire ! Elle est
atteinte d’une affection bien réelle, la maladie d’Addison, qui
rend votre peau de plus en plus foncée. C’est évidemment un
drame pour elle. D’autant plus qu’Etienne Chatiliez force le trait
en la faisant devenir carrément noire. Mais l’expérience

“Ma vraie nature : faire rire les gens, d’un rire franc, imprévisible. Je me méfie du rire intelligent,
du mot d’esprit qui provoque le sourire. Car le sourire, comme son nom l’indique, se situe sous le rire.”
< toujours entourée de musique. Dans ma loge, avant d’entrer va la changer de l’intérieur et la conduire à s’ouvrir au monde...
en scène, j’écoute beaucoup de choses, des trucs gais, Quels ont été vos débuts ?
comme les Frères Jacques ou Mireille, ou alors les Spice Girls, J’ai commencé comme toute petite figurante – c’était dans
Michaël Youn... Mais de la musique classique, très rarement. la série télévisée Palace, de Jean-Michel Ribes. Au fil des
C’est trop triste, trop mélancolique. Ça vous donne épisodes, mes rôles sont devenus de plus en plus importants,
un peu trop vite du vague à l’âme. Du moins les musiciens et voilà : je me suis retrouvée au théâtre, en train de jouer
que j’aime : Tchaïkovski, Chopin, Prokofiev... Il faut du Feydeau. C’est ma vraie nature. Faire rire les gens,
une certaine gravité pour les recevoir. Moi je suis spontanément, à gorge déployée, d’un rire franc, imprévisible,
plutôt entourée de légèreté, de gaieté, de rires. complice. Je me méfie beaucoup du rire intelligent, du mot
Autre surprise, c’est vous qui avez dessiné les illustrations d’esprit qui provoque le sourire. Car le sourire se situe,
de la pochette de Pierre et le loup, dont une caricature comme son nom l’indique, « sous » le rire. J’ai eu la révélation
assez rigolote de vous-même, face au micro, de ma vocation à l’âge de 15 ans, à l’école, où je m’ennuyais
en train d’enregistrer... un peu. Mes parents possèdent une grosse ferme en Normandie
Oui, j’adore dessiner. Le seul problème était de ne pas être trop et je savais bien que je ne passerais pas ma vie à courir
inhibée par les illustrations de Marcel Tillard pour le disque derrière les poules ! Heureusement, je me suis vite retrouvée
de Gérard Philipe, que j’ai si souvent regardées. Alors j’ai choisi à ma place, au rayon art dramatique !
un style radicalement différent, une sorte d’abstraction épurée, Mais c’est plutôt le cinéma qui vous a fait connaître
aux antipodes du réalisme que je déteste ; quelque chose du grand public, en particulier votre prestation
d’enfantin, de joyeux et de très simple. J’ai réalisé les premiers ahurissante dans Les Visiteurs, de Jean-Marie Poiré...
dessins à la plume et scanné le tout sur mon ordinateur. Restait Je n’ai pourtant rien vu venir. J’ai trouvé le scénario
simplement à ajouter une petite touche de couleur – un beau très drôle, plein de gags complètement délirants.
rouge, bien franc – pour que cela paraisse encore plus gai. Le tournage s’est déroulé sans problème. Nous nous
Musique, dessin, théâtre, cinéma... Vous êtes une vraie sommes tous beaucoup amusés. Mais de là à
touche-à-tout ! Vous avez même fait un disque de chansons imaginer le succès que le film allait remporter !
qui semble avoir bien marché, Valérie Lemercier chante. Les premières semaines, d’ailleurs, ont été plutôt calmes.
Pour l’occasion, j’ai même pris des leçons de chant ! C’était Les critiques avaient à moitié boudé, enfin, <

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La comédienne valérie lemercier entretien

< je ne me souviens pas, car je ne lisais pas beaucoup A écouter C’est pour éviter ce genre de pépins
les journaux à l’époque. Toujours est-il que le bouche-à-oreille Pierre et le loup que vous adorez les performances
et autres pièces
a commencé à fonctionner et c’est devenu une véritable folie, russes, de Serge seule en scène ?
une sorte de phénomène de société. Les gens y retournaient, Prokofiev, racontés Le one-man-show, c’est le sommet ! Ecrire et
entraînant leurs enfants, leurs cousins, leurs amis… par Valérie jouer, conjuguer le plaisir de l’auteur et
Lemercier.
Un tel effet boule de neige ne peut ni se prévoir, ni se maîtriser. Avec l’Orchestre la performance de l’interprète. Quand les gens
Mais alors, pourquoi ne pas avoir tourné la suite, du Capitole de rient, ce n’est pas sur le tour de force
Toulouse, sous
Les Visiteurs 2 ? Pour des raisons... financières ? la direction de
d’un acteur. C’est votre bon mot à vous qui
Si cela avait été une question d’argent, au contraire, je l’aurais Tugan Sokhiev, fait mouche ! D’ailleurs, jouer, c’est trop facile.
peut-être fait. Mais le scénario me plaisait moins que le premier. 1 CD Naïve. Ce n’est rien, absolument rien !
Alors, pourquoi refaire la même chose en moins bien ? Vous n’avez jamais le trac !
Vous savez, on accepte parfois de faire un film sans trop savoir Si, bien sûr. Mais c’est tellement bon ! Il n’y a pas un soir
ce qu’il peut donner. Mais là, franchement, je ne le sentais pas... où je ne sente cette peur au ventre, mais pas un soir non plus
La suite ne m’a pas donné tort. Beaucoup de gens ont critiqué où je n’aie envie de jouer. C’est le charme du métier.
la performance de Muriel Robin, qui a repris le personnage Au fond, vous ne ressemblez guère à l’héroïne que vous
de Béatrice de Montmirail. Mais il aurait fallu tout changer, incarnez dans Fauteuils d’orchestre, le film de Danièle
le nom du personnage, son entourage familial, ses relations, Thompson qui vous a valu le césar 2007 du meilleur
ses tics de langage… pour qu’elle puisse se sentir complètement second rôle : une star capricieuse et déterminée,
à l’aise. Un bon comédien éprouve toujours beaucoup qui fait son numéro en permanence...
de difficultés quand il essaye de se caler sur la performance Je ne suis pas star pour deux sous, je ne m’engueule jamais avec
d’un autre acteur. Et c’est exactement ce qu’on lui avait demandé les metteurs en scène, je n’ai pas besoin d’intriguer pour exercer
de faire. Je me souviens d’une histoire arrivée à Jacques Villeret mon métier, je n’ai aucune exigence exorbitante, aucun caprice.
pendant les répétitions du Fil à la patte, une comédie de Georges L’héroïne du film est une vedette de la télévision lasse de
Feydeau que nous avons jouée ensemble au Théâtre du Palais- tourner ces soaps qui font sa popularité. Elle est égocentrique,
Royal en 1989 sous la direction de Pierre Mondy. Il était prête à tout pour arriver et obtenir ce qu’elle désire : incarner
extraordinaire, pétillant, drôle, enfin pleinement lui-même. un grand rôle dans une superproduction américaine.
Allez savoir ce qui lui a pris, il a brusquement décidé de calquer Sur le papier, c’était déjà un personnage en or...
son jeu sur celui de Robert Hirsch, qui avait joué le même rôle, Et puis, il y a cette fameuse scène où vous expliquez
des années avant, à la Comédie-Française et qu’il avait trouvé dans un anglais irrésistible au cinéaste Sydney Pollack,
bien meilleur que lui... Cela a été une vraie catastrophe. producteur à la recherche d’une actrice pour tenir le rôle

“Je ne suis pas star pour deux sous, je ne m’engueule jamais avec les metteurs en scène, je n’ai pas
besoin d’intriguer pour exercer mon métier, je n’ai aucune exigence exorbitante, aucun caprice.”
de Simone de Beauvoir, que son scénario n’est pas juste,
qu’il fait fausse route, que « Jean-Paul Sartre was
a wonderful fucker » !
Pollack, qui joue justement un rôle de producteur-cinéaste
dans le film, est un acteur génial qui sait vous donner la réplique.
Il s’oublie en permanence, attendant, exigeant même,
le meilleur de son partenaire. Il n’est jamais aussi bon que
lorsque la caméra n’est pas sur lui ! Ce sens du partage et de
l’échange, cette connivence, on ne la retrouve que très rarement
chez les acteurs. J’avais déjà tourné avec lui, un tout petit rôle
dans Sabrina, un remake du film de Billy Wilder.
Ce film, Fauteuils d’orchestre, reste d’ailleurs comme
une parenthèse éclair dans mon souvenir. Quinze jours
de tournage seulement ! Je n’ai rien vu passer,
à la différence des cent jours de tournage du film
de Chatiliez que je suis en train de tourner et des six mois
d’apprentissage – chant et danse – qu’il a nécessités !
Pierre et le loup... vous amuser... faire rire... le monde des rois
et des reines de votre film Palais Royal ! : on dirait que vous
refusez de sortir de l’enfance...
Je vous vois venir : et le clown triste, dans tout ça ? Eh bien,
très peu pour moi. Je veux rendre les choses légères. La vie
me plaît telle qu’elle est. Je veux la rendre encore plus facile,
quitte à passer pour une fille frivole ou superficielle. En un mot,
pour le CD j’ai décidé de rire et de faire rire. Un point, c’est tout p
“Pierre et le loup”,
valérie Lemercier Propos recueillis par Xavier Lacavalerie
dr

s’est autocroquée. Photos : benoît peverelli Pour Télérama

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