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DE LA RAISON COMME HISTOIRE: Une confrontation avec Hegel

Author(s): Pierre-Jean LABARRIÈRE


Source: Archives de Philosophie , JUILLET-SEPTEMBRE 1989, Vol. 52, No. 3, FAUT-IL
OUBLIER MARCUSE ? 90e anniversaire de Herbert Marcuse (1888-1979) (JUILLET-
SEPTEMBRE 1989), pp. 399-408
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43036609

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Archives de Philosophie 52, 1989, 399-408

DE LA RAISON COMME HISTOIRE


Une confrontation avec Hegel

par Pierre-Jean LABARRIÈRE


{Paris)

RÉSUMÉ : Herbert Marcuse, dès l'orée de sa carrière universitaire, engagea un débat


avec Hegel, en confrontant son « ontologie » avec la « théorie de l'historicité » qu 'elle
a dessein de fonder. Mais lorsque, trente années plus tard, il dénonce la réduction
de nos univers à /V unidimensionnel » et vient à prôner un nouveau mode de
fonctionnement de la négativité, il tente de briser le cercle de la rationalité techni-
cienne dans la seule direction du futur et de la « transcendance » du projet qui nous
porte vers lui. Perspective réductrice au regard d'une authentique logique dialectique,
qui ne saurait s 'accommoder de cette simple bi-dimensionalité ; l'absence de toute
référence à la « mémoire » et à l 'intemporalité de l'essence grève en effet toute
transition véritable de l'ontologique à l'historique, et l'émergence créatrice de la
raison dans les conditions de cette histoire.

SUMMARY . From the very beginning Marcuse undertook a discussion with Hegel,
whose « ontology » he compares with the theory of historicity to which such ontology
is meant to give a foundation. But when, thirty years later, he denounces the reduction
of our universe to the « unidimensional » and begins advocating a new kind of the
working of negativity, he endeavours to break the circle of technician rationality and
to move towards the future and the « transcendance » of the project which draws us
to it. That is a reducing perspective, for the genuine dialectical logic cannot agree
with such a simple bidimentionality ; the absence of any reference to « memory » and
to the intemporality of the essence is a setback for any true transition from the
onto logical to the historical and for the creative emergency of Reason in this historical
frame.

Herbert Marcuse, mort voici maintenant dix années, est pour la plupart
d'entre nous, qui avons eu l'occasion de le rencontrer et de l'entendre, un
« contemporain ». Il l'est d'autant plus qu'il ne connut que tardivement une
notoriété publique, ce qui fait que sa trace, dans la culture de notre temps,
s'est trouvée décalée d'une ou deux générations, et que son influence s'exerça
surtout, dans la proximité des options et la différence des âges, sur une
jeunesse qui se reconnut en lui le temps de ce que l'on appela une « révolu-
tion manquée ». Est-ce la raison de l'oubli dont on le dit aujourd'hui

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victime ? Il est vrai que les temps ont bien changé de


jeune septuagénaire enflammait les espoirs d'un monde é
à la libération qu'une société entière serait capable de v
rapport aux contraintes véhiculées par les idéologies
diverses crises connues depuis lors - économiques, pol
sont passées par là, engendrant un scepticisme univers
qu'aurait l'homme d'inverser son destin et de faire brè
Oublier Marcuse ? La formulation du thème de ce collectif balancerait
entre le constat et le souhait, n'était ce point d'interrogation qui remet
heureusement le propos sous le régime de l'indécision. Constat de dispari-
tion, procès en appel, inventaire des questionnements authentiques qui
auraient survécu à leur formulation de ce temps, voire qui feraient retour à
nos consciences avec plus d'acuité qu'alors et plus d'urgence encore, tout
cela est possible. Nul d'entre nous ne possède toutes les pièces de ce vaste
procès, et c'est pourquoi nul d'entre nous ne peut apporter à lui seul une
réponse à ces interrogations. Pour ma part, à cette œuvre commune je
tenterai d'apporter une pierre modeste, produit d'une coupe consciente
opérée dans cette œuvre polymorphe. Puisque l'on nous demande si l'échec
de Marcuse - un échec qui n'annule pas, mais avive au contraire l'espoir
d'une émancipation individuelle et sociale - laisse encore quelque place, ici
et maintenant, à la défense et illustration d'une « philosophie de l'histoire »,
j'irai tout droit à ce qui, dans sa réflexion, me paraît constituer les deux pôles
d'une vision à la fois théorique et fortement enracinée dans l'événement,
dans la culture et les aspirations d'un temps : je veux donc parler de l'étude
sérieuse que le jeune universitaire a consacrée à Hegel autour des années 30,
et la critique que, trois décennies plus tard, il engagea contre l'enfermement
et l'utilitarisme universel de nos sociétés hypertechnicisées. C'est pourquoi,
laissant totalement de côté le débat capital qui fut le sien avec la tradition
freudienne, je m'appuierai sur sa thèse, publiée en 1932 sous le titre Hegels
Ontologie und die Grundlegung einer Theorie der Geschichtlichkeit, et sur son
ouvrage le plus fameux, qui vit le jour à Boston en 1964 sous le titre
One-dimensional Man. Il me semble en effet que ces deux études - avec une
référence, en contrepoint, à Reason an Revolution (1941) - permettent, aux
deux extrémités, pourrait-on dire, de son itinéraire, de prendre la mesure de
l'articulation qu'il prône entre une « théorie de l'historicité » et le projet
subversif qu'appelle de soi une réflexion sur « l'idéologie de la société
industrielle avancée» (sous-titre de L'Homme unidimensionnet). Tension
que j'ai osé inscrire sous le titre « Raison et Histoire », parce qu'il me paraît
rendre compte d'une préoccupation constante du philosophe Marcuse en
même temps qu'il porte la mémoire visible du philosophe qui, à côté de
Marx, de Freud et de Heidegger - ou dans l'espace qui antécède tous
ceux-là - représente, si je ne me trompe, l'influence la plus durable et la plus
forte qui s'exerça sur lui : je veux parler de Hegel.
Mais si j'ai dessein de souligner la réalité de cette trace, ce n'est pas pour

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faire de Marcuse un hégélien bon teint. Le mouvement qui


propos me conduira presque au contraire en dernière instan
hypothèse : celle qui verrait la raison ou Tune des raisons
échec il y eut - dans une certaine méconnaissance de ce qu
entre ontologie et historicité, l'idée-force et la pièce maîtress
tion hégélienne, je veux dire la réalité d'une logique qui in
médiation obligée. Mais auparavant, deux autre parties nou
de mieux entendre la critique justifiée qu'il opère de la r
univers à 1'« unidimensionnel », et l'appel qu'il lui oppose
mode de fonctionnement de la négativité.

Briser le cercle

Puisque j'ai l'intention d'être attentif à la marche du discours que vient à


produire Marcuse, je voudrais réfléchir d'abord quelques instants à l'articula-
tion des trois parties qui composent L'Homme unidimensionnel. D'abord
une analyse des clôtures de la société industrielle libérale, qui touche aussi
bien les formes de l'organisation sociale que celles de l'univers conceptuel
et de ses traductions symboliques ; ensuite une étude, à tous égards centrale,
de la mise à mal qui là s'opère des ressources d'une pensée négative, avec,
en filigrane et par écart différentiel, ce qui pourrait surgir de sa remise en
œuvre ; enfin l'espoir raisonné d'un changement historique, fruit d'un
engagement critique de la philosophie, seule susceptible de faire servir à la
« pacification de l'existence » la libération que laisse espérer le développe-
ment du progrès technique. Je me donnerai seulement la liberté de traiter
d'un même mouvement la première et la troisième de ces considérations
- l'invitation à briser le cercle du présent en faisant brèche en direction du
futur -, avant que de revenir à ce qui, au centre du propos de Marcuse,
constitue le véritable fondement de ce procès d'émancipation : le mode de
gestion du négatif.
1. Et d'abord le constat: «Les droits et les libertés, qui étaient des
facteurs essentiels aux premiers stades de la société industrielle, perdent leur
vitalité à un stade plus avancé, ils se vident de leur contenu traditionnel ».
C'est que la recherche spontanée d'une optimisation technicienne entraîne,
sur le terrain des rapports sociaux et du rôle qu'ont à y jouer les individus,
l'apparition d'un « style d'une concrétude écrasante ». D'un mot, Marcuse
caractérise de la façon la plus juste cette sorte d'uniformisation et d'aplatis-
sement lorsqu'il parle d'une universelle « identification de la chose et de sa
fonction ». Nouvelle version de « l'utile », en lequel Hegel voyait l'extrême
des conséquences réductrices qu'entraînait, à l'époque des Lumières, cer-
taine intelligence abstraite de la négativité. Avec Marcuse, c'est plutôt de
positivité omnidominante qu'il s'agit, une positivité qui n'épargne même pas
- surtout pas - l'ordre des valeurs, pour nous en tenir ici à ce terme ambigu
que Marcuse utilise pour signifier tout ce qui, traditionnellement, excédait

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l'immédiat ou le rentable. Des éléments que l'esprit du


souci de combattre, puisqu'il lui est devenu loisible de
masse dans l'ordre établi ».
Aucun signe plus parlant que celui-là pour donner à connaître l'uniformi-
sation universelle des perspectives et des ressources. C'est pourtant sur ce
point, nous le verrons, qu'une question non résolue va ressurgir subreptice-
ment au cœur de l'analyse marcusienne, évitant que la pensée elle-même ne
vienne à s'éteindre sous l'effet dramatique de cette réduction. Mais avant
d'en venir là, et sans spécifier plus avant cette part de l'ouvrage qui est de
loin la plus connue, soulignons encore qu'aux yeux de Marcuse les « techni-
ques d'industrialisation » qui commandent cette évolution des choses repré-
sentent une réalité que l'on ne saurait comprendre sous un mode régional,
en imaginant qu'il s'agit là de l'aménagement d'un domaine particulier ; en
fait, leur puissance d'extension vient de ce qu'elles s'expriment immédiate-
ment dans des « techniques politiques », et que, « comme telles, elles
condamnent d'avance les objectifs de la Raison et de la Liberté » ; cela dans
la mesure où ces objectifs, comme on peut le penser, ne se laisseraient pas
mesurer d'abord par la seule utilité. À ce stade, par conséquent, on peut dire
que l'histoire, avec son opacité foncière, paraît sur le point d'absorber la
raison. L'oubli de Hegel est total dans cette réduction sans faille au pur
homogène qu'opère, au sommet de son développement, la société indus-
trielle.
2. Voilà qui ne nous situe pas pour autant dans l'ordre d'un pur irration-
nel, mais dans la perspective d'une raison réductrice, ramenée à la positivité
d'une histoire pensée sous la seule loi de l'immédiat et de l'efficace. Le
rapprochement de cette figure, placée sous la domination de l'utile, avec
celle que Hegel, dans sa Phénoménologie de l'Esprit, présente comme
caractéristique de la «Weltanschauung» philosophique du 18e siècle, se
révèle instructive. Hegel mettait le dysfonctionnement de cette figure sur le
compte d'un emballement du négatif, qui ne se serait appréhendé pour
l'heure que sous la prévalence de son pouvoir déconstructeur, alors que
Marcuse décèle là pour son compte une extinction quasi totale de la pensée
négative : plus exactement, sa mise au pas, sous la domination d'une
positivité technicienne. Première confirmation de l'hypothèse que j'avançais
d'entrée de jeu : ce qui marquera la distance du second par rapport au
premier, c'est peut-être l'absence de véritable négativité dialectique chez
l'auteur de L'Homme unidimensionnel L'omnipositivité que revêt à ses yeux
la figure dont il traite le contraindra dès lors à n'envisager d'issue à la
situation que par la grâce d'un « salut » extérieur. La raison sera nécessaire-
ment révolutionnaire.
Mais avant d'en venir là, disons ce qui peut se dire, à un niveau premier
de description, du mouvement qu'il convient d'engager pour briser, s'il se
peut, ce cercle mortifère, et pour mettre en œuvre une authentique émancipa-
tion de l'homme et des hommes. Face à l'extinction potentielle de toute

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liberté, il ne servirait de rien de faire appel simplement à u


intérieure des individus tentés d'exciper d'un titre imprenable,
inaliénable ; ce qu'il faut montrer, c'est qu'est possible un autr
la raison - ou l'exercice d'une autre raison - qui se jugera à so
qu'il convient, à son efficace dans l'histoire. Cette raison ne
d'autre but que de faire échec à cette entreprise universelle de
à cette clôture dans l'unidimensionnel.
C'est alors que s'affirme, si je ne me trompe, l'essentiel de la thèse de
Marcuse : une telle « sortie » hors du cercle désenchanté ne saurait se faire
tous azimuts, dans le but de restaurer la pluridimensionalité de l'antique
métaphysique ; elle se joue dans la seule direction du futur, et, à l'unidimen-
sionalité des sociétés closes, substitue la bidimensionalité d'une vision des
choses qui maintient ouverte la possibilité d'« alternatives historiques ». Pour
cela, il convient d'abord d'opérer ce que Marcuse appelle une « analyse
transcendante des faits ». Lexie complexe que nous ne saurions épuiser en
une première rencontre ; la notion marcusienne de « transcendance » nous
retiendra dans quelques instants lorsque nous évoquerons la place de la
négativité dans ce type de pensée. Disons d'abord, simplement, que pareille
ouverture à l'avenir, qui se présente sans justification ni fondement intérieurs
- il n'est pas question de faire appel à une quelconque transcendance du
sujet et moins encore à un principe absolu qui se traduirait par le consente-
ment à un dynamisme créateur participé -, se traduit seulement par un effort
d'optimisation des ressources matérielles et spirituelles. On aura tout dit en
citant le programme complet que Marcuse établit à la fin de l'ouvrage,
lorsqu'il énonce « les critères d'une vérité historique objective, en tant que
critères de sa rationalité » :

1 ) Le projet transcendant doit être en accord avec les éventualités qui pourraient se
réaliser au niveau qu'a atteint la culture matérielle et intellectuelle.
2) Le projet transcendant, pour mettre en cause la totalité établie, doit faire la preuve
que sa propre rationalité est supérieure, en ce sens
a) qu'il offre la perspective de préserver et d'améliorer les réalisations producti-
ves de la civilisation ;
b) qu'il définit la totalité établie dans sa structure véritable, dans ses tendances
fondamentales et dans ses relations ;
c) que sa réalisation offre une plus grande chance de succès pour la pacification
de l'existence, à l'intérieur d'un cadre institutionnel qui favorise mieux le
développement des besoins et des facultés humaines.

Culture, totalité, rationalité, réalisation, production, civilisation, tendan-


ces, relations, succès, développement : autant de termes qui assortissent,
peu ou prou, à la galaxie hégélienne, dans la description qu'ils permettent
du mouvement susceptible de répondre aux besoins - autre vocable signifi-
catif - de l'homme et des hommes. Reste l'arrachement de ce vocabulaire
à toute perspective « idéaliste » (si tant est que l'on puisse affubler Hegel de
ce terme qu'il rejette, au moins sous cette forme non qualifiée) lorsque

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Marcuse définit « la base de la rationalité historique » en


utilisation des ressources matérielles et spirituelles : « C
peuvent être empiriquement définis en termes de ress
matérielles et intellectuelles disponibles, si on env
systématiquement pour alléger la lutte pour l'existence
Mais se pose alors la question décisive : au nom de q
critères pourront être faits les choix qu'impose cette e
tion des ressources ? Marcuse ne peut éviter de se mes
légitime une telle « incursion de la liberté dans la néce
question des références - Marcuse ne craint pas, nou
d'employer ici le terme si ambigu de « valeurs » - qui au
la vérité (objective) des différents projets historiques ». V
crois, écrit encore Marcuse, que le concept même de Ra
de ce jugement de valeur, et que le concept de vérité n
de la valeur de la raison ». Vérité, objectivité, raison, jug
autre tranche de vocabulaire, qui nous ramène déc
extérieure, objet de description, vers les coulisses de l'h
d'une justification « rationnelle ».

LA FORCE « SUBVERSIVE » DU NÉGATIF

On ne peut en effet espérer une modification de cett


qu'en recourant à un principe de détermination que
Hegel à Kant, ne craint pas de désigner comme « Va pr
sociale » : l'affirmation selon laquelle « la vie humain
vécue », qu'elle « peut l'être » et qu'elle « doit être ren
fondateur, que beaucoup de nos jours pourront trouver
optimisme injustifié ; il engendre, chez Marcuse, un vér
la capacité qu'a l'homme, usant des ressources de sa r
d'atteindre à une authentique « pacification » de s
m'attarder davantage sur l'évocation de cet eldorado d
humains, j'essaierai de dire comment l'analyse théoriq
laquelle s'attache le philosophe Marcuse se pose par n
ce qu'il faut bien appeler une pré-conception intérieur
Vient alors, au centre de l'analyse, un terme dont j
réservé l'emploi, un terme que Marcuse confesse emplo
tion explicitement sartrienne, le terme de « projet ». L
ment ce par quoi se réalise le bris des scellés que la rais
à apposer sur la situation présente ; c'est l'effraction en
qui dessine, par rapport à l'enfermement actuel, l'esp
« alternative historique » ; c'est la restauration du bi-d
et place des unidimensionalités réductrices.
Mais reprenons toutes choses « à la base », c'est-à-d
l'empirie. La situation paraît totalement bloquée. Tan

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modification éventuelle des choses ne peut venir que d'une


rieure : l'idéal d'une « pacification de l'existence » n'a cha
effectif que s'il est pris en charge par une volonté révolut
procède à son tour d'une sorte de condensation des condi
parvenue à ce que l'on appellerait, en chimie, un état « cr
qu'alors le salut ne peut être pensé uniquement sous c
risquerait, au sens propre de ce terme, d'être « aliénant »
revient de découvrir, sinon de susciter, une connivence in
possible bouleversement des choses. C'est alors qu'il faut
Marcuse appelle, dans un sens encore une fois plus kantien qu
« théorie critique de la société ».
Il convient de préciser d'emblée que l'on ne saurait v
quelconque restauration d'une visée métaphysique qui puiser
dans un domaine fermé par principe à toute vérification dire
ici une « connotation négative » - c'est à ce propos que M
dimension « dialectique » - et si l'essence dialectique du pro
Kant!) dans une «tension entre être et devoir-être, entre l'essence et
l'apparence, entre le potentiel et l'actuel », cette évocation d'une sorte de
Hintergrund - devoir-être, essence, potentialité - ne commande aucune-
ment la possibilité de mener des analyses qui nous permettraient d'en
demeurer, fut-ce pour un temps seulement, au niveau d'une conceptualité
déployée dans l'espace d'un préalable. L'incidence du négatif, du dialectique,
est à chercher et n'est à trouver que dans la transformation de la métaphy-
sique en « physique », une physique sociale, si l'on peut dire, à l'horizon de
la tâche historique qui vise à réduire la distance entre l'idée et ses « condi-
tions historiques ». Cela par une mise en œuvre raisonnée des ressources que
laisse espérer le développement de la technique, la robotisation ouvrant la
porte à un univers des loisirs : c'est sur cette « base technologique », affirme
Marcuse, que « la métaphysique tend à devenir physique ».
Une postulation qui nous ramène à nouveau vers ces réalités que l'on peut
seulement décrire... Marcuse est-il donc rebelle à tout ordre de clarification
décidément conceptuelle, à toute fondamentalité logique, et cela dans l'ins-
tant où il fait appel lui-même à une tension structurante entre essence et
apparence ? Je reviendrai dans un instant, au cours de ma troisième partie,
sur ce qui représente peut-être (sans doute ?) une rupture de sa part avec
l'univers de Hegel, lequel se caractérise par l'ouverture d'un espace logique
qui procède à une intériorisation de l'histoire pour la ressaisir dans sa totalité
principielle, - un « moment » sans lequel la décision concrète manquerait
de rectitude originante, et donc de force de réalisation. Reprenant un terme
que nous avons déjà croisé plus haut, et acceptant sans réticence de ne
rencontrer la dimension de l'essence que sur le terrain de l'apparence - la
raison et l'histoire deviennent ici la raison dans l'histoire -, il nous faut
parler de transcendance (seulement) horizontale, un mouvement qui ne
prend en compte que cette forme de « récusation du présent » qu'est l'appel

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du futur ; un futur qui refuse de se laisser enfermer dans


puisqu'aussi bien ceux-ci ne sauraient être compris,
vivre de l'homme, comme dessinant un « contexte défin
la « théorie critique de la société » que propose Marcu
mise en forme du principe de la négativité « diale
affirme-t-il, à toute métaphysique par le caractère rigo
sous lequel la transcendance est envisagée ». Où l'on v
se trouve décidément ramenée à l'ordre d'une phéno
figure en vient simplement à remplacer l'autre en l
univalorisation du linéaire semble bien dévaluer par prin
médiation de l'idée, laquelle n'inscrit son parcours, ici
dans le mouvement d'une distension du présent dans l
s'il s'agit de Platon, ou de la profondeur, si l'on en c
m'amène à la question que l'on ne peut manquer de p
quelles conditions et sous quelles formes l'essence peut
tence ? Quelles sont, pour reprendre une nouvelle foi
malheureux, les « valeurs » de la raison qui command
plusieurs projets historiques, face à l'espoir d'une opt
tions matérielles et intellectuelles de l'existence huma
fonctionnement du discours qui nous permet de ten
- c'est-à-dire dans la définition des objectifs et des mo
les atteindre - à la très nécessaire « pacification de l'ex
de réponses convaincantes à ces questions m'engage à c
comme je l'ai annoncé, en déplorant ce que je crois ê
l'absence d'une véritable logique, dans la transition de
physique.

« Rôle historique de la théorie »

« Les concepts théoriques, écrit Marcuse, trouvent leur fin dans le


changement social ». Voilà qui est en cohérence avec une perspective qui vise
à articuler « dialectiquement » la liberté et l'histoire. Ici et là, dans l'ordre du
principe et/ou dans celui de l'effectivité, ce qui est en jeu c'est une certaine
articulation entre l'idée et ses propres conditions ; mais il est vrai que
l'exigence « conceptuelle » et « théorique » se trouve toujours mesurée par la
faculté qui doit être la sienne de mettre en mouvement l'univers bloqué des
représentations et des hiérarchies sociales. Hegel l'un des premiers, nous a
appris à renvoyer dos à dos, sur ce terrain comme sur tout autre, les
unilatéralités que constituent l'idéalisme et le matérialisme, pour donner
force et vigueur au procès de véri-fication qu'implique l'exercice, pour
reprendre un mot de Lénine, d'une « logique en action ».
Mais je ne suis pas certain, pour tout dire, que Marcuse ait exactement
saisi - en tout cas il ne l'a pas faite sienne - la présupposition de fait et de
droit qui commande, chez Hegel, cette émergence structurante de l'idée dans

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DE LA RAISON COMME HISTOIRE 407

l'histoire et comme histoire, je veux dire la réalité d'une logique


dans l'avant intemporel de l'acte conceptuel, les potentialités
Car Marcuse, qui use pourtant, comme on l'a vu, de l'opp
« potentiel » et « actuel », s'en tient en fait à la bi-dimensionalité
tur, laquelle suffit à ses yeux pour définir la forme et le conten
transcendant », sans qu'il soit fait appel, de façon explicite, au r
de la médiation dans l'élément de la mémoire. Je ne voudrais cer
un mauvais procès à une pensée qui sait manifestement le prix d
puisqu'elle se définit par écart différentiel - une autre forme
quelques-uns des grands noms de notre passé culturel ; et je ne
reconnaître que ce serait faire preuve d'une prévention disqual
de se livrer au petit jeu d'une collecte de termes qui paraissent
que soit prise en compte leur justification logique : essence, devo
négativité, dialectique... Reste que l'affirmation d'un « projet »
se cantonne à l'analyse de la seule « transcendance historique
peut-être réducteur que Marcuse donne à cette lexie, semble met
ce qui chez Hegel, en tout état de cause, est capital pour compre
identité processuelle entre être et devenir : le ressourcement né
mouvement à la fois théorique et pratique dans l 'avoir-été de ce
l'essence, dans ce type de pensée, est l'avoir-été de l'être, le
effondrement fondateur, autrement dit l'instance de son eng
partir de son retour à l'immaîtrisabilité de l'origine : « Denn d
das vergangene, aber zeitlos vergangene Sein » ( Wissenscha
début de la Logique de l'essence).
Quel est donc le vrai rapport de Marcuse à Hegel, et en
permet-il de comprendre que l'articulation entre raison et his
l'objet d'une même postulation dans l'un et l'autre de ces « sy
mobilise pas ici et là les mêmes énergies conceptuelles, et n'est p
promise, en conséquence, au même destin historique ? Sur c
voudrais dire d'emblée que je professe une très réelle admir
thèse produite par Marcuse sur Hegel en 1932. Sa problém
audacieuse à plus d'un titre. En conformité avec l'orientation
constante chez nos amis allemands et encore dominante en France à cette
époque - nous ne sommes qu'au tout début de l'âge d'or hégéliano-phéno-
ménologique -, Marcuse entame son analyse en allant droit au cœur du
système, c'est-à-dire à la Science de la Logique. Mais il l'aborde, de façon
symptomatique, sous la raison d'une « ontologie » ; ce qui est donner le pas,
peut-être, à la reconstruction d'une nouvelle doctrine de l'être plus qu'à une
introduction à la fonctionalité réflexive du concept et de l'idée. Quoi qu'il
en soit, le retour à la Phénoménologie de VE sprit, objet de la seconde partie
de cet essai, dit bien la finalité concrète, décidément historique, de l'analyse
des modalités du discours ; et sur ce point, comme je l'ai écrit ailleurs, je
trouve particulièrement justes les modalités de l'articulation entre le logique
et l'historique qui, pour Marcuse, marque les étapes différenciées du chemi-

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nement de la conscience, avec le « retard » qu'imp


l'histoire effective, dans les trois premières sections de
lités ou le formalisme logiques qui grèvent respectiv
consacrés à la Conscience et à l'Auto-conscience d'un
d'autre part. Cela, même si je nourris quelques ré
affirmation terminale qui semble dire que le « savoir
l'atteinte d'une plénitude telle et si massive que le ret
historique risque alors de n'apparaître que comme un
aucun danger en tout cas pour la qualification du con
La question que je me pose et que je pose à Marcuse
transition de l'ontologie à l'historicité - pour repren
majeurs du titre de l'ouvrage - s'opère en direction
encore clarifiées que connaît l'Esprit lorsqu'il est affro
conscience, et qu'elle laisse dans l'ombre les formes plu
analyse dans sa Philosophie de la Nature et dans sa Ph
est peut-être l'indice de ce que n'est pas poussée j
émergence de la raison dans l'histoire et comme histoire
bien que Hegel, s'est engagé à faire la théorie. Avec u
l'univers de la logique se trouve par lui abordé davant
sa positivité que selon ses ressources intérieures nég
mémoire engagée dans un acte de création ; et par a
fondés à penser que le bénéfice essentiel que Marcuse
sance de Hegel, c'est d'abord, à un niveau de descrip
que, la connaissance de « contradictions » dans lesque
l'existence de l'homme, - contradictions moins dynam
et qui, n'ayant point en elles-mêmes les ressources de le
ne peuvent être rachetées que par un coup de force exté
qu'il se produisait en 1968, et ce fut l'heure de Marcus
laborieuse et têtue de ce qui pour lors fut perçu appelle
l'engagement de forces qui mettent plus explicitement e
lité d'une mémoire productrice de sens,- une inst
définition comme à la mise en œuvre de tout projet d

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