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Bertin
S.O.S
Urgences
(A2)
Didier
2009
Chapitre 1
Mariette sans réponse
— Allô ! Allô ! Allô !
— Allô, S.O.S. Médecins, je vous écoute...
— C’est pour mon petit frère, il faut venir, vite, vite, il faut
venir !
— Tu peux me passer ta maman ?
— Elle est pas là, crie la voix pleine de larmes, mais il faut
venir pour mon frère !
— O.K., j’ai compris. Quel âge il a, ton frère ?
— Six ans.
— Je t’envoie un médecin. C’est à quel nom ?
— Quel nom ?
— Ben oui, donnemoi ton nom.
— Simon.
— Simon... D’accord. Rue ?
— Rue des Co...
Silence, puis un « bip » dans les écouteurs.
— Allô ? Allô ?
Mais le silence se prolonge.
— Allô ? répète la standardiste.
On ne répond plus chez les Simon, rue des Co.
Chapitre 2
Monsieur Simon Alexandre
— Ça alors ! s’exclame Mariette en arrachant son casque, c’est
la meilleure ! J’ai eu un gosse au bout du fil, affolé. Son petit
frère a je ne sais quoi, ils sont seuls, bref, je lui demande son
nom, son adresse, et crac ! Plus rien.
— Et alors ? Si tu as le nom et l’adresse, tu t’en fiches.
— J’ai le nom, mais je n’ai qu’un morceau de l’adresse, voilà le
hic. Simon, rue des Co.
— Bah, avec ça on devrait y arriver. Et puis, tu devrais
patienter : il va sûrement rappeler.
— Tu as raison, il a dû raccrocher parce que le petit frère avait
mal et pleurait, il va rappeler, évidemment.
Mais, après plusieurs minutes d’attente, Mariette doit se
rendre à l’évidence, son mystérieux correspondant ne se
manifeste plus. Elle ôte ses écouteurs, demande, découragée :
— Qu’estce qu’on fait ?
— Il a quel âge à peu près ton gosse ?
— Six ans... Non, je dis des bêtises, six ans c’est le petit frère...
Lui, il doit avoir... Je ne sais pas moi ! Comment veuxtu ?...
J’ignore même si c’est une fille ou un garçon. Je connais juste
son nom de famille, Simon.
— Il avait l’air très affolé ? demande Clotilde.
— À quoi tu penses ?
— Imagine des enfants battus, le plus petit a reçu une
correction, il a mal, le grand profite que les parents ne sont pas
dans la pièce pour lancer un message, n’importe où, au premier
numéro auquel il pense, en l’occurrence, nous. Mais un des
parents arrive et le gosse est obligé de raccrocher. D’où l’appel
brutalement interrompu...
— Tu lis trop de polars, dit Mariette en riant. Enfin, quoi, c’est
juste un enfant qui téléphone parce que son frère est malade.
— Il t’a dit de quoi il souffrait ?
— Euh... Attends... Non, il a dit qu’il avait mal.
— Tu vois...
— Tout de même... dit Mariette, ébranlée.
— Quand on a deux côtes cassées, on a mal. Quand on est
couvert de brûlures de cigarettes, on a mal. Quand on est battu
comme plâtre, on a mal.
— Et alors ? Qu’estce qu’on fait? Qu’estce qu’on peut faire ?
Admettons que tu aies raison... Comment retrouver ce gamin
avec quelque chose d’aussi vague que « Simon » et « rue des Co
» ?
Mais Clotilde, casquée, penchée sur le micro, ne l’entend pas.
Mariette reprend le correspondant mis en attente, lève la tête
vers la pendule : neuf heures moins le quart.
Clotilde a ôté ses écouteurs et étudie le Guide des rues de Dijon
et de son agglomération.
— Qu’estce que tu fais ? demande Mariette.
— La liste des rues commençant par « Co » et précédées de « des
». À Dijon même, tu as la rue des CoteauxdeSuzon et la rue des
Corroyeurs; à Talant, la rue des Cottages et le chemin des
Cototes ; à Plombières, le chemin des Côtes; à Sennecey,
l’impasse des Coteaux; à Longvic et à Couternon la rue des
Coquelicots et, à Fontaine, le chemin des Conottes. Ouf !
— Passemoi la liste... Après tout, ça ne fait que neuf
possibilités: ce n’est pas énorme... On regarde sur la toile
d’araignée ce que ça donne, on trace un itinéraire qui prenne en
compte toutes les rues des « Co... » et on le file au toubib par
radio.
— Auquel des deux ?
— À Daniel.
— Pourquoi à Daniel ?
— Il est plus cool que Gilles, déclare Mariette.
— Tu as raison... N’empêche, ça va prendre du temps
d’organiser tout ça, soupire Clotilde.
— J’y ai pensé : il me semble qu’on pourrait demander à Yann
de venir nous donner un coup de main.
— Je l’appelle.
Yann arrive. Il propose aussitôt de regarder sur le minitel. Un
coup de chance ! On y trouve un Simon Alexandre, 38 rue des
Cottages à Talant. Mariette repère l’endroit sur le plan de Dijon
et de sa région. Il est neuf heures.
Chapitre 3
Un appel pour Daniel
Neuf heures. Daniel vient de sortir de chez un malade. Il est un
peu fatigué et il gare sa voiture le long du trottoir. Il sort son
thermos, boit un café brûlant et pense à son travail. Il y a une
épidémie de gastros et les appels sont nombreux.
— Daniel ? appelle Mariette, tu peux prendre la communication
?
— Oui, oui, vasy... Mais je te préviens: j’ai déjà un planning
chargé, je ne...
— Justement, le coupe Mariette, tu annules tout.
— Comment ça, j’annule tout ?
— C’est Gilles qui les prend.
— Et moi ? Je vais me coucher ? Ça tombe mal, je viens de boire
un café, je risque de ne pas dormir.
— Si tu me laissais parler ?
— O.K. Je t’écoute...
— Tu vas te rendre à Talant, au 38 rue des Cottages, chez les
Simon. C’est un gamin ou une gamine qui a appelé. L’appel s’est
interrompu ou a été volontairement interrompu, on ne sait pas.
Ça nous a semblé bizarre et nous avons peur qu’il s’agisse d’un
enfant maltraité, d’un... d’une sorte de S.O.S. lancé dans la nuit.
Tu comprends ?
— Pas bien, non. Il s’est plaint de quoi, le gosse ?
— De rien. Il voulait un médecin pour son frère qui avait mal.
Mal où ? Je n’en sais rien. Il a répété deux fois qu’il fallait venir,
vite...
— Encore une chance qu’il ait eu le temps de te donner
l’adresse !
— Ben... Pas vraiment. Il ajuste dit: rue des Co...
— Des quoi ?
— « Rue des Co » et puis un grand silence. Nous avons trouvé
sur le minitel un seul Simon rue des « Co... » quelque chose. C’est
là que je t’envoie.
— Ce qui signifie, en clair, que je vais arriver chez des gens qui
ne m’ont peutêtre même pas appelé ?
— C’est vrai... Au fait, tu as dit « chez des gens », mais en
principe les enfants sont seuls ; le plus grand m’a dit que sa
mère n’était pas là. Mais elle est peutêtre revenue depuis... Ou
le père... Ou les deux... L’enfant a peutêtre téléphoné en
cachette, on ne sait pas. On imagine le pire.
Mariette demande à Daniel de procéder en douceur, puis elle
lui explique comment il doit se rendre au 38, rue des Cottages, à
Talant. Daniel demande à Mariette de le rappeler une demi
heure plus tard.
Chapitre 4
Les deux frères
—Tu es vraiment pas marrant. Tu es vraiment pas marrant du
tout, dit le plus grand des enfants.
— J’ai... ai mal au ven... entre... sanglote le plus petit.
— Ça, je le sais, que tu as mal au ventre ! Je commence à
drôlement le savoir : tu es toujours fourré aux W.C., tu vomis et
tu chies partout ! Mais qu’estce que je peux y faire ? Dismoi
qu’estce que je peux y faire ?
Les sanglots du petit redoublent :
— Je... euh le dirai à ma... a... man !
— Quoi ? Qu’estce que tu diras à maman encore ?
— Que... euh t’as dit que j’a... j’arrête pas de... de...
— Et alors ? C’est pas vrai peutêtre ?
— Si, c’est vrai ! piaille le petit. Mais tu as... tu as dit un mot
que maman elle veut pas qu’on... qu’on dise.
— Je sais... je sais bien mais j’ai dit chier parce que je ne sais
plus comment t’essuyer, que j’ai les mains qui sentent mauvais
et que je voudrais bien que ça s’arrête !
Les sanglots du gamin redoublent :
— C’est... est pas ma faute, c’est que j’ai... ai... mal au ventre !
Même que tu as dit que j’étais ma... a... lade.
— C’est pour ça que j’ai appelé le docteur.
— Oui, mais il... il vient pas et moi, j’ai mal au ventre...
— Oui, ben, il va venir. C’est un docteur spécial du weekend.
— Et quand il va venir ?
— Bientôt. Si tu n’avais pas fait tomber le téléphone, j’aurais
pu lui poser la question.
— Et pourquoi tu as pas retéléphoné ?
— Mais je ne peux pas lui retéléphoner, JE NE PEUX PAS !
Le petit se remet à pleurer :
— Je... je l’ai pas fait exprès de... de le perdre, le papier a... avec
le numéro.
— Tu avais qu’à pas le prendre. Et maintenant, on ne le trouve
plus et je pense qu’il est tombé de ta poche quand tu étais aux
W.C. et qu’après tu as tiré la chasse et... pfuitt ! plus de papier.
— Tu crois que... que je l’ai perdu dans les W.C. ?
— Possible, parce que j’ai cherché partout.
— Alors, co... comment on va faire ? J’au... j’aurai mal au ventre
tou... toute la nuit ?
— Mais non, t’inquiète pas. D’abord, ça va passer et puis le
docteur va arriver... Tiens, je te raconte une histoire si tu veux...
Chapitre 5
Bonsoir Léa
Il n’y a pas de sonnette au 38 rue des Cottages. Daniel traverse
le jardin et frappe à la porte de la maison. Une adolescente
blonde aux yeux noirs ouvre la porte.
— Bonsoir, dit Daniel, je suis bien chez M. et Mme Simon ?
Et il sursaute parce que, dans le couloir, vient d’apparaître une
deuxième tignasse blond paille, coupée beaucoup plus court que
la précédente, et qu’une petite voix demande :
— C’est qui le monsieur, Léa ?
— C’est quelqu’un qui veut savoir si on s’appelle bien Simon.
— Oui, dit l’enfant. Moi, c’est Julien Simon et ma sœur c’est
Léa Simon. Et toi, comment tu t’appelles ?
— Je m’appelle Daniel et je suis docteur. Dismoi, Léa, c’est
bien toi qui as téléphoné à S.O.S. Médecins pour ton petit frère ?
La fillette secoue la tête :
— Je n’ai pas téléphoné, ditelle.
— Tu es sûre ? Tu es sûre que tu n’as pas profité de l’absence de
ta maman pour nous téléphoner ?
— Évidemment, je suis sûre, je n’ai pas du tout téléphoné.
— Tu peux me dire la vérité, Léa, insiste Daniel. Tu ne dois pas
avoir peur.
Léa fronce les sourcils :
— Je ne comprends pas...
— Tu pourrais avoir peur d’être grondée... ou punie... ou battue,
peutêtre, si tu téléphones... On t’a peutêtre interdit de
téléphoner ?
— Oui, le téléphone ce n’est pas fait pour jouer.
— Alors, tu m’as peutêtre appelé tout à l’heure, et maintenant
tu n’oses pas l’avouer.
— Non, je ne t’ai pas appelé, déclare Léa.
— Mais tu comprends, on a téléphoné pour demander un
médecin, alors je suis venu.
Léa éclate de rire :
— Mais on n’est pas malades !
Daniel caresse sa barbe, pensif. Les deux enfants ont l’air en
pleine forme, la voix de Léa est criante de sincérité. Oui, mais...
Comment savoir ? Comment savoir vraiment ?
— Ta maman est là ? demandetil.
— Non.
— Léa, l’enfant qui nous a téléphoné nous a dit, lui aussi, que
sa maman n’était pas là. Il a un petit frère et il s’appelle Simon...
Tu comprends pourquoi j’insiste ?
— Je comprends bien, mais c’est pas moi... D’abord, estce qu’il
t’a dit qu’il s’appelle Léa, cet enfant ?
— Non. Il nous a seulement donné son nom de famille.
— Tu vois bien...
— Tu as dit que ta maman n’était pas là : vous êtes seuls tous
les deux ?
— Non, papa est dans le bureau, il fait un puzzle et, quand il se
concentre, il n’entend rien.
Daniel soupire : il est à peu près persuadé que Léa n’est pas
l’enfant du coup de téléphone, pourtant il ne se décide pas à
partir.
— Tu es très embêté que ça ne soit pas moi qui aie téléphoné ?
demande Léa.
— Assez, oui. Et si c’est toi, malgré tout, si c’est toi, Léa, il faut
me le dire !
— C’est pas moi, je t’assure. D’abord, tu vois bien que Julien
n’est pas malade !
Daniel peut s’assurer que Léa et Julien ne sont pas des enfants
battus. Daniel explique qu’il est à la recherche d’une famille
Simon qui habite dans une rue des Co..., mais qu’il ne connaît
pas le nom exact de la rue. Quand il veut partir pour continuer
ses recherches, Léa lui demande si elle peut l’accompagner pour
l’aider à retrouver l’enfant du téléphone.
Chapitre 6
Daniel et les standardistes
Au standard de S.O.S. Médecins, il n’y a plus beaucoup
d’appels. Mariette rappelle Daniel comme promis. Il lui raconte
sa visite chez les Simon de la rue des Cottages et lui annonce
que la fille de la famille, Léa, lui a demandé de l’accompagner
pour l’aider à retrouver l’enfant du téléphone. C’est ainsi que
Daniel va poursuivre ses recherches en compagnie de Léa et de
son père, Alexandre Simon. Mariette communique à Daniel une
autre rue en « Co... »: le chemin des Cototes, pas très loin de
Talant. Alexandre connaît ce chemin où le trio va se rendre.
Chapitre 7
Le trio enquête
Daniel, Alexandre et Léa ont pris place dans la 205. Alexandre,
qui connaît parfaitement le quartier, guide Daniel. Ils sont en
pleine conversation.
— Tu fais ça toutes les nuits ? demande Léa.
— Non, certaines nuits seulement.
— Et tu as pas sommeil ?
Daniel rit :
— Je dors le matin !
— Et le matin, c’est quelqu’un d’autre qui prend ta place ?
— Bien sûr.
— Nous, nous avons un docteur, mais il ne fait pas comme toi.
Il est installé dans sa maison. Quand il a fini de soigner les gens,
il remonte chez lui à l’étage. C’est quand même moins fatigant.
— La prochaine à droite est le chemin des Cototes, annonce
Alexandre.
Daniel manœuvre, se gare à cheval sur le trottoir devant la
première maison.
— Il y a de la lumière, je vais en profiter pour déranger ces
braves gens, ditil en s’emparant de sa mallette.
— C’est peutêtre eux, les Simon ! s’exclame Léa.
— Peutêtre...
Il pousse un portillon de fer, grimpe trois marches, sonne à la
porte à demi vitrée. Des voix, une femme qui lance « je vais voir
», la porte s’ouvre sur une vieille dame.
— Bonsoir madame, excusezmoi de vous déranger, je suis
médecin, dit Daniel en présentant sa carte professionnelle.
— Entrez, docteur, entrez, ne restez pas dehors...
Un petit couloir. Un brouhaha de voix dans la pièce voisine.
— C’est l’anniversaire de mon petitfils, explique la vieille
dame, on fait un peu la fête.
— Je vous dérange, je suis désolé.
— Mais non, ce n’est rien... Qu’estce que je peux faire pour
vous ? Y a un malade chez les voisins ?
— C’est un peu ça, oui... Je cherche des gens qui s’appellent
Simon et qui habitent cette rue. On n’a pas bien compris leur
numéro quand ils ont téléphoné au standard, ce qui fait que l’on
n’a pas pu me le transmettre. Estce que vous pourriez me dire
s’il y a bien des Simon dans votre rue ?
— Oh là là, mon pauvre docteur, il y en a peutêtre, mais
comment savoir ? Je connais les voisins proches, bien sûr, mais
les autres on ne les connaît pas... Non, je ne peux vraiment pas
vous dire s’il y a des Simon... En tout cas, pas parmi les proches
voisins, parce que ceuxlà, forcément, je les connais. Ailleurs,
peutêtre...
— Eh bien, merci quand même, et excusezmoi de vous avoir
dérangée.
— Mais non, ce n’est rien... La rue n’est pas longue, vous
trouverez sûrement vos Simon en regardant les noms sur les
boîtes à lettres.
— C’est ce que je vais faire. Merci encore et... bon anniversaire
au petitfils !
— Merci. Bonsoir docteur.
La porte se referme sur les bruits de la fête. Daniel replonge
dans la nuit qui sent l’herbe et la feuille.
— Chou blanc, déclaretil en ouvrant la portière, la brave dame
ne connaît pas de Simon. Elle me conseille d’examiner les noms
sur les boîtes à lettres: on s’y met ?
— Tu vois qu’on a bien fait de t’accompagner, s’exclame Léa, à
trois on ira plus vite. Qu’estce que tu cherches ?
— Une lampe de poche... Ah, la voilà... Et j’ai aussi ma petite
lampe dans ma valise... Voilà...
— Et moi j’en ai pris une, dit Alexandre.
— Au boulot ! crie Léa.
— Moi, je reste avec toi, Daniel, dit Léa.
— Alors je vais en face, déclare Alexandre en traversant la rue.
— O.K.
Léa, Alexandre et Daniel s’éclairent avec leur lampe de poche et
regardent les noms indiqués sur les boîtes aux lettres dans
l’espoir de trouver un Simon. Ils n’ont pas de chance. Ils décident
alors de se rendre chemin des Conottes, à Fontaine. En route,
Alexandre dit qu’il se balade souvent à vélo dans le coin.
— Moi aussi, je fais du vélo ! s’exclame Daniel.
— Moi aussi, ajoute Léa, avec mon papa.
— Je parie que tu as un VTT ?
— Gagné !
— Je parie qu’il est rouge ?
— Regagné ! Comment tu fais pour savoir ?
Daniel se contente de rire, se tourne vers Alexandre :
— Vous faites du vélo en famille ?
— Souvent, oui, mais aussi avec des copains. Et vous ?
— On est une bonne petite bande, dont deux vraiment mordus
qui entraînent les autres.
— Et vous, vous êtes vraiment « mordu » ?
— Non, j’aime trop de choses : le ski, la voile, la marche à pied,
la plongée à l’occasion... Ah, je vais prendre ici, j’arriverai pile
sur la mare...
— Moi aussi, j’aime plein de choses, intervient Léa. C’est bien,
on ne s’ennuie jamais.
— Oui, mais il faudrait que les jours aient quarantehuit
heures pour avoir le temps de tout faire.
— C’est pour ça que tu travailles la nuit ? Pour avoir du temps
dans la journée ?
Le trio arrive chemin des Conottes. Là, armés de leur lampe de
poche, les deux hommes et l’adolescente ne découvrent aucun
Simon. Ils sont un peu découragés quand ils remontent en
voiture.
Chapitre 8
Tu danses Stéphane ?
Héloïse fête son anniversaire. La boum bat son plein: il fait
chaud, Stéphane vient de danser avec son amie Caroline et boit
un verre de Coca avec elle. Caroline repart danser tandis que
Stéphane va retrouver Hervé, le discjockey, qui trie des C.D.
— Alors finalement, tu as pu venir. Comment tu as fait ?
— Je me suis débrouillé, mais je serai obligé de partir tôt : ma
mère ne sait pas que je suis là. Et comme elle revient vers une
heure, faut absolument que je rentre avant elle !
— Et tes frangins alors, demande Hervé, qu’estce que tu en as
fait ?
— Rien, je les ai laissés à la maison après leur avoir fait jurer
au moins vingt fois de ne rien dire à maman. J’ai fait cent mille
recommandations à Simon et je les ai installés devant la télé
avec une cassette. Ça m’a coûté cher, un truc débile que Samuel
voulait absolument regarder. Et puis j’ai donné un papier à
Simon avec deux numéros de téléphone: celui d’ici, et celui de
S.O.S. Médecins.
— Et tu n’as pas peur que demain ils racontent à ta mère que
tu es parti à une boum au lieu de les garder ?
— Non, ils ne feraient pas un truc pareil: ce n’est pas dans
leurs habitudes. Et puis... s’ils le faisaient, eh bien tant pis ! Je
ne pouvais pas ne pas venir à la boum d’Héloïse alors que je
savais que Caroline y serait.
— Toi, tu es drôlement amoureux, hein ? Il faut reconnaître que
ça tombait mal, le voyage de ton père au Canada...
— Un peu, oui ! Avec ma mère qui n’est jamais là le samedi soir
! Ah les parents, je vous jure...
— Ta mère a un métier formidable. Tu en connais beaucoup
dont la mère fait du théâtre, part en tournée ?
— Des petites tournées dans de petits théâtres.
— Possible, mais c’est plus original que comptable comme la
mienne.
— Ouais, c’est plus fatigant aussi pour la famille, soupire
Stéphane. C’est pas une mère, c’est un feu follet.
— Justement, s’exclame Hervé, j’ai un truc, là, qui s’appelle
Feu follet. Je n’y pensais plus du tout, c’est toi qui... Où il est ?...
Voyons... Ah, le voilà: je vais le passer, tu verras, c’est super.
— Tu viens danser, Stéphane ? demande Caroline.
Elle a surgi à ses côtés sans qu’il l’ait vue venir. Il la trouve
ravissante.
— D’accord, je viens... ditil en lui prenant la main.
Chapitre 9
Robinson et Vendredi
— Simon... on, pleure Samuel, ça recommence... J’ai encore
ma... al au ventre...
Simon se redresse, se frotte les yeux, incertain de l’endroit où il
se trouve. Des images défilent sur l’écran de la télé... Ils se sont
endormis sur le canapé du salon.
— Simon ! répète Samuel, elle recommence la... la... la crampe !
— J’ai sommeil, grogne Simon. Et toi aussi, Samy, tu as
sommeil: rendorstoi.
— Mais je te dis que j’ai mal !
Simon soupire, repousse à deux mains sa chevelure noire qui
lui retombe sur les sourcils. Le voilà bien réveillé à présent.
— Retourne aux W.C., suggèretil.
— Mais j’ai mal, pleurniche Samuel, j’ai pas envie de marcher...
Et puis ça... ça gargouille làdedans, oh là là !
Il s’est ramassé en tas sur la moquette, crispant sur son ventre
ses deux mains.
Simon sent l’inquiétude l’envahir : et si c’était grave ? Très
grave ? Des bribes de conversations lui remontent en mémoire...
« Transporté aux urgences... Opéré in extremis... L’appendicite,
quand ce n’est pas pris à temps... Les marins se font tous enlever
l’appendice parce qu’en pleine mer... »
Simon est arraché à ses pensées par un hurlement.
— Je veux maman ! hulule Samuel. Va chercher maman ! Je
veux pas mourir du ventre ! Au secours !
« Estce qu’on peut mourir du ventre? se demande Simon. Non,
je ne crois pas. En tout cas, pas aussi vite, au bout de plusieurs
jours, peutêtre. Et dans trois ou quatre heures, maman sera
rentrée. »
— Je vais te préparer une tisane, déclaretil. Quand on a mal
au ventre, c’est excellent. Ne bouge pas, reste bien calme, je te la
prépare et je te l’apporte sur un plateau. Tu seras servi comme
un roi !
— Les rois, ils sont pas couchés sur les moquettes et ils n’ont
pas mal au ventre, grogne Samuel.
— Bien sûr que si, comme tout le monde. Installetoi sur le
canapé au milieu des coussins: ce sera ton trône. Et moi, je serai
ton fidèle serviteur !
— Et moi, je mettrai mon pied sur ta tête, comme dans
Vendredi ou la Vie Sauvage avec Robinson et Vendredi.
— Euh, oui, si tu veux. Mais juste une fois, parce que Robinson
le fait juste une fois.
Simon s’affaire dans la cuisine. Il se dit qu’il n’a vraiment pas
de chance et que Samy aurait pu tomber malade un autre jour.
Si seulement Stef n’était pas parti ! Si seulement maman
n’avait pas eu une représentation ce soir ! Mais elle en a presque
tous les samedis soir... C’est son métier qui veut ça. Comédienne.
C’est un métier qui est comme un jeu. Maman, elle fait comme
les enfants, elle joue...
Si seulement papa était là ! Il est toujours là quand maman s’en
va. « Je prends la relève », annoncetil. Maman part en tournée.
Papa reste à la maison. Il fait la lessive et prépare à manger.
C’est un très bon cuistot, papa. Meilleur que maman. Ce n’est
pourtant pas son vrai métier. Il n’est cuisinier que le weekend,
pour nous. La semaine, il est ingénieur agronome. Il travaille
dans une fermelaboratoire. C’est pour son travail qu’il est parti
une semaine au Canada. Pas vraiment une semaine, seulement
quatre jours, mais il a prolongé. Il a déclaré « Je vais en profiter
pour aller passer trois jours chez Franck ». C’est son copain, il
habite une maison en bois dans un coin perdu au nord de
Montréal. Il y a deux ans, on est tous allés chez Franck pendant
quinze jours...
— Vendredi, tu te grouilles ? s’impatiente Samuel dans le salon.
— Oui oui, j’arrive ! crie Simon.
Pour permettre à Samuel d’oublier un peu son mal de ventre,
Simon se fait donc le serviteur de SamuelRobinson, « Sa
Majesté ». Finalement, SamuelRobinson boit du thé et Simon
Vendredi, qui n’aime pas trop son rôle de serviteur, propose de
regarder à nouveau la télé. Ce que « Sa Majesté » accepte.
Chapitre 10
La Solution de Samy
Simon pense que son grand frère Stéphane et sa mère vont
bientôt rentrer et que la partie est gagnée. Tout à coup, Samuel
se lève en criant :
— J’en ai marre ! J’en ai marre ! J’en ai marre !
— Où tu vas ? demande Simon.
Samuel se met à pleurer :
— Je vais chez les voisins... ins... Maman dit tou... ou... jours
que quand ça va pas il... il faut pas hésiter à... à faire appel aux
voi... sins.
— Ça va pas ? questionne Simon. Ça recommence ?
— Oui, ça recommence ! J’ai... ai une espèce de bête qui rampe
dans... ans mon ventre et fait plein de... euh... de nœuds dans
mes boyaux et j’ai... ai mal ! Alors je vais... ais chez les voisins.
Et Samuel se dirige résolument vers la porte palière.
— Attends ! crie Simon en s’interposant entre son frère et
l’entrée.
— Poussetoi ! Tu as pas le droit de m’empêcher d’aller chez les
voisins.
— Si, j’ai le droit ! parce qu’on a juré le secret à Stef et que, si
tu vas dire aux voisins qu’il nous a laissés, maman le saura
forcément. Rappelletoi Samy, tu as juré toi aussi !
— Mais j’ai pas juré de pas avoir mal au ventre... pleurniche le
petit frère.
— Le mal au ventre, c’est le truc imprévu, on n’y peut rien.
Mais on a juré tous les deux à Stef de ne rien dire. Et il nous a
payés ! Tu as eu sept euros, une belle somme... lu n’as pas déjà
oublié quand même ?
— Ouais, et toi tu as eu quatorze euros, c’est pas juste.
Pourquoi on n’a pas eu pareil ?
— Parce que je suis plus grand et que c’est moi qui suis
responsable de toi. Mais sept euros, pour toi, c’est beaucoup.
D’habitude, tu n’as rien du tout. Alors, faut pas oublier que c’est
Stef qui te les a donnés.
Vaincu, Samuel se tait.
— Tu as toujours mal ? demande Simon.
— Ben oui... Et si on téléphonait à mamie et qu’on lui dise
d’appeler le docteur?
— Mais voyons, on ne peut pas. On sera obligés de lui dire que
Stef nous a laissés et elle le répétera à maman.
— Et si on lui fait jurer de ne rien dire ?
— Elle voudra pas.
— On a bien voulu, nous !
— Parce que Stef c’est notre grand frère. Mamie, ce n’est pas
pareil; c’est une grande personne.
— Et si on appelle le numéro spécial ? Tu sais, celui qu’on nous
a donné à l’école et qu’on nous a fait apprendre par cœur ?
— Le numéro vert ?
— Oui, c’est ça, le numéro vert.
— C’est pas pour le mal au ventre ; c’est pour si on est
maltraité par les parents, torturé par exemple. Et puis, quand on
fait ce numéro, il y a une enquête avec les gendarmes et tout le
monde serait au courant que Stef a désobéi. Et nous on a promis.
— Alors, qu’estce qu’on va faire ? gémit Samuel.
— Je ne sais pas.
— On ne peut pas téléphoner à quelqu’un pour lui demander le
numéro du docteur qui était sur le papier ?
— Je ne vois pas qui...
— À tonton Gilles ?
— Tu dis n’importe quoi ! Les tontons, les tatas, les parrains,
tous, si on les appelle, après ils le diront à maman et Stef sera
puni. Onapromis.
— Et à un ami ? On ne peut pas téléphoner à un ami ?
— Voilà ! La voilà la solution ! hurle Simon. Tu es génial, Samy,
tu es génial !
Simon décide d’appeler Hervé, le copain de Stéphane, mais il
n’a pas son téléphone. Samuel et Simon vont dans la chambre du
grand frère pour chercher le numéro dans ses affaires. Simon
cherche dans son bureau, Samuel dans son sac d’école.
Chapitre 11
La fille du docteur
Mariette a envoyé le trio dans le lotissement des coteaux de
Suzon où ils ont été très mal reçus. Des chiens ont aboyé, des
gens ont crié. Un homme ne voulait pas croire que Daniel était
médecin. Pour qu’on le laisse tranquille, Daniel a même expliqué
que Léa était sa fille. L’adolescente rit et demande si on peut
vraiment le prendre pour son père. Daniel pense que oui. Léa
trouve qu’ils ne se ressemblent pas assez.
— Bon, bon, j’ai compris ! s’est exclamé Daniel. Tu ne veux pas
être ma fille.
— Mais si, je veux bien être ta fille pour rire... Tu aimerais
avoir une fille ?
— Sûrement, oui.
— Pourquoi tu en as pas ?
— Parce que je ne suis pas marié.
— Ah... C’est dommage... Tu ferais un gentil papa.
— Merci Léa, a dit Daniel.
Ils ont continué à examiner les portes et portails, passant en
revue les diverses allées aux noms de fleurs.
— Pourquoi tu n’es pas marié ? a lancé Léa.
— Je te l’ai expliqué: j’aime trop de choses... Le ski, le vélo, la
voile, les voyages... Ce n’est pas vraiment compatible avec le
mariage. Encore moins avec la vie de famille.
— Mais un jour tu te marieras ?
— Sûrement.
C’est à ce momentlà qu’ils ont rejoint Alexandre. Tous trois
marchent à présent de front en direction de la voiture. Léa
traîne un peu les pieds.
— On va jamais y arriver, murmuretelle.
— Mais si, dit Daniel, il faut du temps voilà tout... J’espère
seulement que le petit malade ne souffre pas trop... Que ce n’est
pas une très méchante gastro...
— Vous savez combien il nous reste de rues des « Co... » à
inventorier ? demande Alexandre.
— Non, je vais demander à Mariette en arrivant à la voiture.
— On risque d’y passer la nuit.
— Papa ! crie Léa en s’arrêtant pile. Papa ! On est
complètement nuls ! On a tout loupé depuis le début.
Les deux hommes s’arrêtent. Ils regardent la fillette.
— Vasy, explique... ordonne Alexandre.
— Daniel nous a raconté que l’enfant du téléphone, quand
Mariette lui a demandé son nom, il a répondu Simon. Moi, si
quelqu’un me demande mon nom, je dis Léa. Et lui, c’est pareil.
Il s’appelle Simon quelque chose. On peut chercher toute la nuit:
on ne le trouvera jamais.
Chapitre 12
Allô, Mariette ?
Au standard de S.O.S. Médecins, Yann et Clotilde dorment.
Mariette révise son anglais, mais elle ne peut pas s’empêcher de
penser à l’enfant.
Elle a dit, comme d’habitude, comme elle l’a déjà fait des
milliers de fois : « Allô, S.O.S. Médecins, je vous écoute... » Et
l’enfant a crié : « Il faut venir. » De cela elle est sûre. Il était
alors huit heures et demie, neuf heures moins vingt au plus tard.
Il est maintenant plus de onze heures. Et ils n’ont toujours rien
fait. Il avait dit: « Il faut venir » et personne n’y est allé...
Mariette soupire, elle pense à l’enfant. Quel âge peutil avoir ?
Neuf, dix ans ? Comment savoir, d’après une voix ? Estce un
garçon ou une fille ? Il lui semble que, si elle le garde ainsi au
cœur de ses pensées, elle l’aidera à traverser la nuit, elle le
protégera jusqu’à ce que Daniel le trouve.
Daniel... Elle l’imagine, allant de porte en porte dans les rues
silencieuses, une lampe de poche à la main. Avec la petite Léa et
son père.
La sonnerie grelotte dans le silence. Daniel ! Vite, elle coiffe les
écouteurs, crie :
— Daniel ? Alors ?
— Écoute, Mariette, on est en train de se demander si c’est bien
utile...
— Mais qu’estce que tu veux faire d’autre ?
— Voilà, Léa a eu une idée : et si Simon était le prénom de
l’enfant et non pas son nom de famille comme nous l’avons pensé
?
— Tu veux dire...
— Eh bien oui ! S’il s’appelle Simon Dupont, nous pouvons
toujours chercher !
— Pourtant... Quand j’ai demandé le nom...
— Qu’estce que tu lui as dit au téléphone ? Estce que tu t’en
souviens avec exactitude ?
— Je lui ai dit: « C’est à quel nom? » C’est clair, ça ?
— Oui, c’est clair. Et il t’a dit : « Simon » ?
— Non, il a répété après moi: « Quel nom? » comme s’il ne
comprenait pas. Et je lui ai dit: « Donnemoi ton nom. »
— Eh oui, il est là le problème...
— Tu penses que le nom, pour un enfant, ce n’est pas le nom de
famille ?
— C’est ce que dit Léa.
Il y a un long silence.
— Mariette ? Mariette ? appelle Daniel.
— Vous abandonnez les recherches ?
— Non... On va continuer tout de même... Mais on n’y croit plus
guère.
— Daniel, s’il s’agit simplement d’un mal de gorge ou de ventre,
si la maman s’est seulement absentée quelques heures parce
qu’elle travaille de nuit, ce n’est pas très grave que vous ne
trouviez pas de Simon. Sa mère reviendra et tout rentrera dans
l’ordre... Encore que, si c’est une crise d’appendicite, il vaudrait
mieux ne pas tarder. Mais si c’est autre chose ? Si ce sont des
enfants qu’on a battus ? Des enfants en détresse ? Nous avons
reçu cet appel. Nous sommes responsables, nous devons les
trouver !
— À moins de contacter la police, je ne vois pas ce que nous
pouvons faire...
— Tu penses qu’eux, à partir d’un prénom... ?
— Je pense qu’ils peuvent établir la liste de tous les Simon âgés
de huit à douze ans habitant en région dijonnaise. Il leur suffit
d’aller à l’état civil. Mais, pour cela, il faut qu’il y ait de notre
part dépôt de plainte auprès d’un juge pour enfants. Je ne
connais pas spécialement la procédure, mais c’est forcément
quelque chose comme ça.
— Et tu penses que nous n’avons pas assez d’éléments pour
porter plainte ?
— Je pense qu’il s’agit d’un enfant malade, seulement d’un
enfant malade... D’un autre côté... En fait, je ne sais plus que
penser.
Un nouveau silence au bout du fil.
— Alors, vous abandonnez, conclut Mariette.
— Non, nous allons quand même rue des Corroyeurs. Guide
moi, je t’écoute...
Chapitre 13
Hervé le D.J.
Certains adolescents dorment à moitié. Héloïse souhaite une
autre ambiance pour sa boum. Elle demande à Hervé de passer
une musique à réveiller les plus fatigués. Il met un nouveau CD.
C’est à ce momentlà que la sonnerie du portable grelotte.
Hervé extirpe l’appareil de sa poche arrière.
— Allô ! Allô ! s’égosille Hervé. Qui est à l’appareil ? Parlez plus
fort ! Il a beau s’éloigner de la sono, la musique vient le
débusquer jusque dans le coin où il s’est isolé.
— Qui est à l’appareil ? répète le garçon.
— C’est moi, hurle une petite voix. C’est Simon !
— Ça va, j’ai compris ! Qu’estce qui se passe ?
— Je veux parler à Stéphane ! crie l’enfant.
— Stéphane ?
— Oui ! Passemoi Stéphane ! ! !
Hervé cherche des yeux son ami dans la foule des danseurs. Où
estil donc passé ? Et Caroline, où estelle ? Disparue, elle aussi ?
— Passemoi Stéphane ! répète Simon avec véhémence.
— Écoute, je ne le vois pas, je vais te rappeler...
— Il n’est pas là ? s’affole la voix au bout du fil.
— Mais si ! Mais il y a beaucoup de monde, laissemoi le temps
de le trouver! Je lui dis de te rappeler, d’accord ? Hein, tu as
compris ?
— Oui !
Hervé met fin à la communication, rempoche son portable,
regarde autour de lui. Les copains et copines se déplacent
lentement sous les lumières tamisées. Où sont Caroline et
Stéphane ?
— Il m’embête, Stef... Il m’embête avec ses histoires à la noix et
ses petits frangins... grogne Hervé.
Il plonge dans la foule des danseurs, se glissant entre les
couples, écartant sans ménagement ceux qui le gênent. Mais il
ne rencontre ni les cheveux noirs de Stéphane ni la longue
chevelure châtain de Caroline.
Où ontils disparu ?
Finalement, Hervé retrouve Stéphane et Caroline assis sur un
banc dans le jardin. Hervé passe son portable à Stéphane et lui
demande d’appeler son frère Simon.
— Simon ? Qu’estce qui t’arrive ? demande Stéphane.
— Ah, c’est toi, enfin ! Y en a marre, ça ne va pas du tout, Samy
a mal au ventre, il a des crampes et il n’arrête pas d’aller aux
W.C. et moi je ne sais plus quoi faire !
— Du calme. C’est vraiment un gros mal au ventre ou juste une
petite colique ?
— Mais tu ne comprends pas ! C’est un ÉNORME mal au
ventre. Il pleure, il crie, il se roule par terre et il voulait aller
chercher les voisins !
— Pourquoi tu as pas appelé S.O.S. Médecins ?
— J’ai appelé, mais je n’ai pas eu le temps de bien leur
expliquer où on habitait parce que Samy a appuyé sur le
téléphone. Alors, je ne suis pas sûr qu’ils ont vraiment notre
adresse... En tout cas, ils ne sont pas venus.
— Et tu ne pouvais pas rappeler ? s’énerve Stéphane.
— Non, je ne pouvais pas parce que Samy a perdu le papier !
hurle Simon.
— Tu n’avais qu’à chercher le numéro !
— Chercher où ? Y a pas d’annuaire à la maison !
— Et le minitel, c’est fait pour les chiens ?
— Le minitel je ne sais pas m’en servir, parce que c’est défendu
d’y toucher ! Et d’abord, t’avais qu’à être là et si tu n’es pas
content, je téléphone à mamie !
— Non, c’est bon, t’affole pas, je rentre.
— Et le docteur ?
— Je l’appelle tout de suite.
— Tu jures ? Tu jures que tu t’en occupes ?
— Mais oui, t’inquiète pas.
— Et tu reviens ?
— Bien sûr, dans cinq minutes je suis là.
Stéphane rend le portable à son propriétaire, pousse un soupir,
regarde Caroline d’un air malheureux.
— Ne fais pas cette tête, murmuretelle, je te verrai demain.
— Grouilletoi, dit Hervé, téléphone au toubib !
Chapitre 14
L’artiste en coulisse
Le public bat des mains, tape des pieds. Des bravos fusent.
Le rideau est tombé une dernière fois. Sylvia et ses compagnons
regagnent les coulisses, se dispersent dans les loges. Sylvia et
Tifaine partagent la même cabine minuscule.
Elles procèdent avec méthode et rapidité, en actrices habituées
à partager la même loge et à ôter, chaque fin de semaine, le
lourd maquillage qui leur fait les pommettes plus hautes, la
bouche ardente, les yeux plus grands.
— Tu crois qu’il y aura des irréductibles pour des autographes ?
demande Sylvia.
— Va savoir ! Le public était vraiment enthousiaste !
— Pourtant, c’est un petit théâtre...
— Petite ville, petit théâtre, mais on ne peut jamais deviner à
l’avance... En tout cas, c’était plein.
— Archiplein, oui !
— On ne va pas s’en plaindre, hein ? C’est porteur un public
comme celuilà, ça donne envie de donner le meilleur de soi
même, de se dépasser, encore et encore...
— C’est vrai...
Tifaine rêve, le flacon de lait démaquillant dans une main, un
morceau de coton dans l’autre.
— Allez, secouetoi ! dit Sylvia. Je ne voudrais tout de même
pas moisir ici.
— Tu te fais du souci pour tes enfants ?
— Non, je ne me fais pas de souci: Stéphane a quinze ans, il est
largement capable de surveiller ses deux frères et de prendre la
décision appropriée s’il se passe quoi que ce soit.
On frappe trois coups à la porte. Elles répondent d’une même
voix :
— Entrez !
Martial passe une tête barbue et bouclée :
— Vous venez prendre un pot, les filles ?
— Comme tu veux, dit Tifaine. Moi, je suis libre ! Ma fille est
chez ma mère, personne ne m’attend à la maison, mais si tu
préfères rentrer tout de suite pour retrouver tes garçons, je peux
comprendre !
— Bof, qu’estce qu’ils risquent, mes garçons ? J’imagine qu’ils
n’ont pas besoin de moi. Que je rentre une demiheure plus tôt
ou plus tard ne changera pas grandchose !
— Alors on vous emmène ? conclut Martial.
— Il y a un bistrot potable ?
— Un bistrot ! s’exclame Martial. Ma chère, il y a le café du
théâtre, ni plus ni moins.
Chapitre 15
Simon Dechaume
Il est onze heures. Au standard de S.O.S. Médecins, Yann et
Clotilde dorment toujours. Mariette s’est assoupie.
La sonnerie soudaine déchire la fragile enveloppe de son
sommeil ; Mariette se dresse d’un bond, court au standard, coiffe
les écouteurs, enfonce la fiche.
— Allô ! C’est toi, Daniel ?
— Allô ! Je suis bien à S.O.S. Médecins ? demande une voix
jeune à l’autre bout de la nuit.
Mariette se reprend :
— Ici S.O.S. Médecins, je vous écoute...
— Voilà, c’est pour quelqu’un qui a mal au ventre.
— C’est un adulte ou un enfant ?
— Un enfant. Il a six ans... Mais il a mal au ventre depuis
plusieurs heures... Dépêchezvous !
— Bien, c’est à quelle adresse ?
— Au 18 rue des Corroyeurs.
— Quoi ?! Rue des Corroyeurs, vous dites ?
Mariette crie dans son micro ; son interlocuteur reprend, étonné
:
— Oui, rue des Corroyeurs, au deuxième étage.
— Excusezmoi, mais l’enfant qui a mal au ventre, ce n’est pas
le petit frère de Simon ?
— De Simon ? Oui, bien sûr, mais comment...
— Et le nom ? crie Mariette, quel est le nom ?
— Dechaume, c’est marqué sur la porte. Au deuxième à droite,
vous ne pouvez pas vous tromper.
— Dechaume, deuxième à droite, répète Mariette.
— Sur la porte, il y a marqué monsieur et madame Dechaume.
Vous serez là dans longtemps ?
— Non non, ne vous inquiétez pas : le médecin arrive tout de
suite.
On a raccroché. Mariette dit à voix haute :
— Léa avait raison.
Elle reprend le micro, enfonce la touche, et appelle :
— Daniel ? Daniel ?
Rien à faire : il n’y a personne dans la 205 garée dans cette rue
des Corroyeurs où Daniel, Léa et Alexandre cherchent un Simon
qui se nomme Dechaume.
— Ah, c’est trop bête ! gémit Mariette. Ils ont rappelé, je sais à
présent leur nom, et pas moyen de joindre Daniel. Je me
demande qui a appelé ? Ce n’était pas Simon : je l’aurais
reconnu. D’abord, ce n’était pas un enfant... Mais un jeune
homme. Pourquoi n’ontils par rappelé plus tôt ? Et si le gosse
fait une crise d’appendicite aiguë ?
Chapitre 16
Un scooter dans la nauit
Stéphane traverse la ville à toute allure sur son scooter. Il a dit
à Simon qu’il serait là dans les cinq minutes, mais il sait qu’il lui
faudra plus longtemps. Il va bientôt arriver à la maison.
Les minutes coulent dans le local de S.O.S. Médecins. Mariette
a essayé deux fois encore de joindre Daniel, en vain. Figée
devant le standard, elle attend. Elle n’a plus aucune patience et
ses doigts crispés blanchissent sur le bord de la table qu’elle
agrippe.
— Daniel ? Allô, Daniel ? répètetelle.
— Mariette ! crie la voix essoufflée. J’arrive à l’instant !
— Daniel, ça y est, on l’a ! On a le nom !
— Le nom ? Le nom de famille de Simon ?
— Oui, ils ont rappelé ! Et, tienstoi bien, c’est rue des
Corroyeurs !
— Pas de problème : on la connaît par cœur ! On vient de la
faire en long et en large. Quel numéro ?
— Au 18. Dechaume.
— Dechaume ? Ça ne me dit rien, mais, des noms, on en a
tellement vu sans les voir! On était obsédés par Simon... Quel
étage ?
— Deuxième à droite.
— Bien, qu’estce que tu sais d’autre ? Le mal de ventre du
gosse ?
— Je n’en sais pas plus. Il ne vomit pas, mais qu’estce que ça
prouve ?
— C’est le même gosse qui a rappelé ?
— Non. Un adulte, mais une voix très jeune.
— D’accord. Eh bien, on y va.
— Comment ça « on y va »? Tu emmènes Léa et son père en
consultation avec toi ?
Daniel rit :
— Je vais emmener Léa, elle m’a supplié de lui permettre de
rencontrer Simon. Elle s’est tellement inquiétée pour lui ! Je ne
peux pas la priver de ce plaisir... Son père est d’accord...
— Bon, tu me rappelles, hein ? Tu me tiens au courant ?
— Mais oui ma vieille, ne t’inquiète pas. Salut !
— Salut, dit Mariette d’une petite voix.
Le voyant rouge s’est éteint.
Le silence a réinvesti la pièce.
Mariette reste immobile devant le standard. Muette. La tête
vide.
Chapitre 17
L’enfant du téléphone
La rue des Corroyeurs dans laquelle s’engage Stéphane est
paisible; le scooter déchire le silence; un chien aboie derrière des
volets clos. Une portière claque sur sa gauche: celle d’une 205
garée le long du trottoir. Un homme se penche à l’intérieur,
prend quelque chose...
Déjà, Stéphane pénètre sous le porche du numéro 18, range son
scooter à la diable, s’élance dans la cage d’escalier. Sur le palier
du deuxième étage, Simon attend.
— Tu arrives enfin ? Tu avais dit cinq minutes ! Samy a
toujours mal au ventre !... C’est pas toi qui es avec lui depuis
huit heures du soir !
Stéphane accompagne son frère dans le salon où Samuel tient
son ventre à deux mains.
— Ah, tu es là ! murmure le petit.
Mais la sonnette interrompt la réponse de l’aîné qui se
débarrasse de son casque et de son blouson et se rue sur
l’interphone.
— S.O.S. Médecins, grésille une voix masculine.
— Montez, c’est au second ! crie le garçon.
Ils sont alignés sur le seuil quand Daniel débouche de la cage
d’escalier, suivi de Léa.
— Bonsoir docteur, ditil, Dechaume c’est ici.
Son regard descend jusqu’à Léa qui s’est plantée à côté de
Daniel, remonte jusqu’au visage du médecin, interroge
clairement : qui c’est cellelà ?
— Léa est mon assistante, explique Daniel.
Puis, devant l’air soupçonneux du garçon, il ajoute :
— Ne t’inquiète pas, je suis vraiment médecin et je vais tout de
suite examiner ce jeune homme. Léa m’a accompagné en visite...
C’est une longue histoire !
Il pose sa grande main sur l’épaule de Samuel :
— Allez, viens me raconter ce qui ne va pas...
— Tu viens aussi, Stef ? réclame Samuel.
Simon reste en têteàtête avec Léa. Il propose, rogue :
— Tu veux t’asseoir ?
— Bof, je suis pas très fatiguée, dit Léa.
— Le docteur, c’est qui ? C’est ton père ?
Léa éclate de rire :
— J’étais sûre que tu allais me le demander ! C’est surprenant,
hein, un docteur qui vient voir les malades avec quelqu’un
comme moi ?
— C’est parce que tu es sa fille qu’il t’emmène avec lui ?
— Non, c’est un ami. Il m’a emmenée avec lui parce que je
voulais voir à quoi tu ressemblais.
— Moi ?
— Oui, toi.
— Tu me connais ? Tu savais que je serais là ?
— Bien sûr, c’est toi qui as téléphoné à S.O.S. Médecins pour
qu’ils envoient un docteur pour ton frère.
— Comment tu le sais ?
— C’est Daniel qui nous l’a raconté.
— Daniel, c’est le docteur ? J’y comprends rien. Pourquoi tu
voulais me connaître ?
— C’est toute une histoire, je vais t’expliquer...
Léa raconte à Simon l’épopée du début de la nuit. Elle le
regarde, elle le trouve sympathique et il a un beau sourire.
— Alors, si je comprends bien, l’interromptil brutalement, toi
tu t’appelles Simon, mais c’est ton nom de famille ? Et ton
prénom, c’est quoi ?
— Léa.
— Léa Simon, murmure le garçon.
— Et toi, tu t’appelles Simon, mais c’est ton prénom !
— Moi, c’est Simon Dechaume.
— Je sais... Mais, pendant toute la soirée, tu sais comment je
t’ai appelé ?
Simon secoue la tête.
— Je t’appelais « l’enfant du téléphone ».
— L’enfant du téléphone... murmure Simon, rêveur.
— Ben oui...
— Et moi, je ne savais même pas que tu existais et que tu me
cherchais.
Simon explique à Léa pourquoi il ne pouvait pas rappeler
S.O.S. Médecins, raconte que sa mère est au théâtre, que son
père est en voyage au Canada et que son frère était chez une
copine. Il était « l’enfant tout seul du téléphone », ditil en riant.
Chapitre 18
Le retour de Maman
Quand Daniel et Stéphane sortent de la chambre de Samuel,
Léa a épuisé la liste des questions qu’elle voulait poser à Simon.
Elle sait à présent pourquoi il n’a pas rappelé S.O.S. Médecins et
elle connaît le nom de ses meilleurs copains et celui de son club
de foot favori ; elle sait dans quelle école il est et qu’il possède
depuis Noël un nouveau VTT magnifique, performant et tout
noir.
Une passion commune pour le sport les a beaucoup rapprochés
et ils sont en train d’échanger leurs adresses et leurs numéros de
téléphone.
— Je compte sur toi pour aller aussitôt chercher les
médicaments à la pharmacie de garde, dit Daniel.
— Bien sûr, d’un coup de scoot ce sera vite fait !
— Et... n’abandonne plus tes frangins pour sortir ! Stéphane
rougit, il enfile son blouson, saisit son casque et ses clefs.
— On descend avec toi, dit Daniel, tu viens, Léa ?
Ils partent tous les trois. Penché sur la cage d’escalier, Simon
regarde disparaître les cheveux blonds de sa nouvelle amie. Il
entend leurs pas décroître et Stéphane décadenasser l’antivol de
sa machine. La porte d’entrée se referme avec un bruit sourd,
puis l’immeuble retombe dans le calme.
Samuel est couché sur le canapé du salon, les yeux pleins de
larmes.
— Qu’estce que tu as ? grogne Simon.
— J’ai mal au ventre, gémit Samuel.
— Ah tu m’embêtes ! crie Simon. Tout à l’heure, quand il y
avait le docteur et plein de monde, tu n’avais pas mal au ventre
du tout ! Tu attends, pour avoir mal, qu’on soit seuls tous les
deux. Moi, je vais te dire, je n’y crois plus à ton mal au ventre.
En réalité, tu es malade quand tu t’ennuies pour que je m’occupe
de toi !
Un silence hostile s’installe entre les deux garçons. Samuel joue
avec la télécommande de la télé et zappe comme on se venge.
Simon lit ostensiblement une bande dessinée.
C’est ainsi que leur mère les trouve lorsqu’elle pousse la porte
silencieusement afin de ne réveiller personne.
Les deux enfants bondissent, courent à elle, l’entourent, la
respirent, dans un seul cri : « maman ! »
— Encore debout ? s’exclame Sylvia. Mais ce n’est pas sérieux,
il est très tard ! Et où est Stéphane ?
— Il est parti avec l’ordonnance ! crie Simon.
— Pour aller chercher les médicaments pour moi, complète
Samuel.
— Mon poussin, tu es malade ? Raconte... Pourquoi n’avezvous
pas téléphoné au théâtre ? Je me serais dépêchée ! Que se passe
til ? Où astu mal ? Viens vite sur mes genoux !
Sylvia semble n’avoir pas assez de bras pour câliner l’enfant
malade, pas assez d’oreilles pour écouter le récit des deux
garçons.
— C’est Stéphane qui a appelé le médecin ?
— Heu... non, c’est moi, dit Simon. Et comme il ne venait pas
vite, Stéphane a rappelé.
— À quelle heure astu commencé à avoir mal ? demandetelle
à Samuel.
— Je sais pas... À huit heures...
— Non, coupe Simon. À huit heures, tu as eu juste une petite
crampe, on ne pouvait pas deviner.
Samuel ouvre la bouche pour protester, le regard de son frère
l’arrête. Il marmonne :
— Oui... Oui, c’était juste une petite crampe...
— Mais à quelle heure astu eu vraiment mal ? insiste Sylvia.
— À dix heures et demie, déclare Simon.
— Et tu dis que le médecin vient de partir ?
— Oui, il n’est pas venu tout de suite parce qu’il avait beaucoup
de boulot. Il a dit qu’il y avait une épidémie de gastroentérites.
Et Samy, il fait partie de l’épidémie.
— Oui, bien sûr, murmure Sylvia.
Madame Dechaume berce Samuel sur ses genoux. Simon se
sent bien depuis que sa mère est rentrée. Stéphane est parti
chercher les médicaments à la pharmacie de garde et va bientôt
rentrer.
Chapitre 19
Printemps pour le quatuor
C’est le printemps et il fait beau. Il est encore tôt. Daniel, Léa,
Simon et Alexandre traversent le parc sur leurs machines.
La balade s’est décidée l’avantveille, sur un coup de téléphone
de Daniel. Déjà, la semaine précédente, Alexandre et lui sont
partis faire une longue virée à vélo.
— Si on emmenait les enfants cette fois ? a proposé Daniel.
— Les enfants ? Tu veux dire Léa et...
— Et Simon, oui, ça leur ferait sûrement plaisir.
— Sans aucun doute, ils se téléphonent tous les soirs !
— Dis à Léa de prévenir Simon: je passerai le prendre.
— Et on se retrouve où ?
— Qu’estce que tu dirais de la Combe à la Serpent ? a demandé
Daniel.
— Pourquoi pas ?
— Neuf heures et demie à l’entrée, côté fontaine d’Ouche, ça
marche ?
— Ça marche ! a répondu Alexandre.
Et c’est ainsi que Simon et Léa se sont retrouvés un quart
d’heure plus tôt avec leurs VTT rutilants, les yeux brillants.
S’ils s’étaient souvent téléphoné, ils ne s’étaient pas revus
depuis la fameuse nuit. Ils étaient heureux et intimidés.
À présent, ils roulent côte à côte. Loin devant eux se dresse le
mont Afrique. Daniel a parlé de pédaler gentiment jusqu’à
Flavignerot, de couper par un chemin de terre et de rejoindre le
G.R.7.
Flavignerot ou ailleurs, Léa et Simon s’en moquent. C’est un
dimanche matin de printemps, plein de fleurs au revers du
chemin. Un chemin sur lequel ils avancent ensemble, l’un sur un
vélo noir, l’autre sur un vélo rouge. Des vélos qu’ils ont bien
astiqués pour la circonstance et qui vont à un train d’enfer
quand on appuie plus fort sur les pédales.
De temps en temps, Léa tourne la tête, cherche le regard de
Simon.
De temps en temps, Simon tourne la tête, cherche le regard de
Léa.
Ils se sourient, commencent ensemble la même phrase,
s’arrêtent court, éclatent de rire. L’aventure nocturne qui a jeté
Léa dans la 205 de Daniel à la poursuite de l’enfant du téléphone
a pris fin. L’angoisse de cet inquiétant samedi soir est oubliée.
Mais les souvenirs demeurent et les rendent complices tandis
qu’ils traversent la Combe à la Serpent par cette belle matinée.