Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/annuaire-ehess/20655
ISSN : 2431-8698
Éditeur
EHESS - École des hautes études en sciences sociales
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2011
Pagination : 389-392
ISSN : 0398-2025
Référence électronique
Brigitte Derlon et Monique Jeudy-Ballini, « Anthropologie de l’art et du rapport à l’objet », Annuaire de
l’EHESS [En ligne], | 2011, mis en ligne le 15 juin 2015, consulté le 20 mai 2021. URL : http://
journals.openedition.org/annuaire-ehess/20655
EHESS
Anthropologie de l’art et du rapport à l’objet 1
Anthropologie de l’art
1 À la différence de l’anthropologie de la parenté, du politique ou de l’économique qui
traitent de phénomènes dont la définition est simple, l’anthropologie de l’art porte sur
des objets mal définis. Leur délimitation problématique donne lieu à plusieurs pages
d’analyse dans la plupart des textes consacrés spécifiquement à la présentation de ce
domaine de recherche sans que leurs différents auteurs (Robert Layton, Howard
Morphy, Carlo Severi, Michèle Coquet...) ne s’accordent au terme de leurs réflexions. Ne
vont de soi ni l’usage et la définition du mort « art » en anthropologie, ni les classes, les
genres et l’origine géographique ou culturelle des arts étudiés par les spécialistes de ce
domaine.
2 Dans un premier temps, on a constaté le privilège accordé par ceux-ci aux expressions
plastiques et picturales sur les autres arts. En effet, la musique, la danse, le théâtre, la
littérature ou encore le cinéma – dont l’étude, il est vrai, nécessite des compétences
spécifiques – se distribuent en autant de domaines distincts, plus ou moins développés,
au sein de l’anthropologie. Deux invités ont permis de souligner le caractère artificiel et
regrettable de certains de ces découpages : Bernard Lortat-Jacob, en montrant
comment l’ethnomusicologie, moins technique qu’on ne l’imagine, était traversée
d’interrogations partagées par l’anthropologie de l’art ; Jean Jamin, en révélant
certaines corrélations inédites entre la littérature, la musique et la peinture de l’après-
guerre à travers son analyse du ballet La Création du monde (Blaise Cendrars, Darius
Milhaud, Fernand Léger).
3 Le séminaire s’est ensuite concentré sur l’utilisation et la définition du mot « art » en
anthropologie. Est-il légitime d’employer ce terme, forgé en Occident, pour désigner les
que les écrits relatifs à des expositions ou créations de musées qui firent couler
beaucoup d’encre aux États-Unis ou en France, nous nous sommes aussi intéressées à la
façon dont ces auteurs traitaient les réinterprétations d’objets exogènes quand elles
sont pratiquées non plus par les anciens colonisateurs mais par les anciens colonisés.
Les uns les jugent tout aussi négativement, par exemple en renvoyant dos à dos la
satisfaction esthétique que nous tirons des objets papous exposés dans les musées et la
fonction esthétique que les Papous attribuent à nos emballages alimentaires en les
intégrant à leurs décorations corporelles. Les autres les considèrent positivement,
comme des signes réjouissants de la vitalité de groupes sociaux culturellement
hybrides, mais réinstaurent par ce traitement différentiel la dichotomie Nous/Eux
qu’ils critiquent par ailleurs. Dans les deux cas, les jugements portés sur les usages et
sens nouveaux attribués aux objets importés ne se départissent jamais d’une dimension
morale.
7 C’est ce que d’autres auteurs ont évité de faire en prenant simplement acte des
transformations que les objets subissent quand ils circulent d’un régime de valeur à un
autre. Également influencés par le postcolonialisme mais peu impliqués dans la critique
des musées, ils ont approché la question des interprétations des objets étrangers à
travers une réflexion sur le commerce transculturel lié à la colonisation ou à la
mondialisation. Montrer qu’au cours de ce qui s’apparente à une « vie sociale », les
objets sont susceptibles d’être des marchandises à un moment et des biens inaliénables
à un autre (Igor Kopytoff), c’est laisser penser que les usages et les interprétations
qu’en font les hommes ne sont pas contraints par les intentions de leurs producteurs.
Noter que plus la distance spatiale et cognitive entre la production et la consommation
des objets est grande, plus le savoir les concernant est partiel, différencié et empreint
de « mythologie » (Arjun Appadurai), c’est reconnaître implicitement le caractère
« naturel » des écarts interprétatifs souvent observés aux deux pôles de leur trajectoire
transculturelle. Enfin, avancer que lors des premières phases de la colonisation, un
parallèle existe entre la collecte européenne des artefacts indigènes et l’assimilation
par les indigènes des biens importés – les deux processus relevant pareillement d’une
forme de créativité qui a souvent modifié radicalement le sens des objets –, c’est voir
l’appropriation interprétative comme une réception productive et un phénomène
universel où s’abolit la différence entre Soi et l’Autre (N. Thomas). Qu’elle ait été
acquise par le vol ou à l’issue d’un échange équitable, la lance indigène transformée en
spécimen ethnographique confiné dans un musée a subi un processus similaire à celui
de la hache métallique européenne devenue un objet précieux offert aux dieux. Dans les
deux cas, s’effacent les intentions des producteurs de l’objet qui se trouve reconfiguré
dans les catégories de sa culture d’adoption.
8 En conclusion, nous avons donc remarqué que l’anthropologie d’inspiration
postcoloniale avait produit deux approches concurrentes des réinterprétations des
objets, sans qu’elles soient perçues telles et reliées l’une à l’autre, au point que certains
auteurs ont pu se référer à ces deux courants sans les percevoir comme contradictoires.
Publications
• Avec Monique Jeudy-Ballini, « L’Art d’Alfred Gell. De quelques raisons d’un
désenchantement », L’Homme, n° 193, 2010, p. 167-184.
• Avec Monique Jeudy-Ballini, « The Theory of Enchantment and the Enchantment of Theory.
The Art of Alfred Gell », Oceania, vol. 80, n° 2, juillet 2010, p. 129-142.
INDEX
Thèmes : Anthropologie sociale‚ ethnographie et ethnologie