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Ouvrage collectif
Yosra ZAGHDEN
2019
Comité scientifique :
Avant-propos……………………………………………………………...……………..…5
5
d‘hétéronomie, de disciplinarité et d‘interdisciplinarité. C‘est son ouverture sur
d‘autres disciplines qui fait de la photographie un véritable lieu carrefour devenu
incapable de dessiner ses contours qui s‘engagent dans une quête
d‘entrecroisements potentiels. Plus qu‘une création soumise à la logique
interdisciplinaire, la photographie peut être définie comme une incontestable
structure carrefour, un lieu de rencontre. Cette catégorie de photographie qui
s‘adonne au champ interdisciplinaire se veut une forme de création ouverte qui
tente de trouver dans les diverses disciplines avec lesquelles elle collabore, de
nouvelles pistes pour réactualiser ses propres enjeux et usages.
6
sellette les enjeux qui émanent de ces créations. Si les réflexions touchant la scène
artistique contemporaine imprégnée par l‘esprit de l‘ouverture interdisciplinaire
sont assez abondantes, force est de constater que la photographie envisagée au sein
d‘une approche interartistique est peu abordée. C‘est alors pour questionner les
seuils de l‘image photographique qu‘un ensemble de chercheurs se sont réunis dans
cet ouvrage collectif traitant de la photographie en tant qu‘objet théorique qui
redessine ses propres frontières en les avançant comme des interfaces le reliant
avec diverses disciplines. A travers une panoplie de dix articles écrits en français et
en arabe, la réflexion théorique amorcée dans cet ouvrage tente de dégager les
problématiques relatives à la nature interdisciplinaire qui a imprégné la pratique
photographique ayant modifié ses stratégies esthétiques et réactualisé sa portée
conceptuelle.
10
dimensions culturelles par excellence. La représentation du manger dans l‘art en
général et plus spécifiquement en photographie est considérée par l‘auteure
comme l‘émanation du « sérieux de cet acte » ne pouvant être envisagé en
dehors de ses implications culturelles.
11
balbutiements de la photographie en Tunisie, de ses manifestations, des précurseurs
l‘ayant mise en œuvre et de son évolution jusqu‘à la révolution du peuple en 2011.
L‘auteur parle d‘une « révolution des objectifs » parallèle à cette autre révolution
du jasmin. Il s‘agit d‘une révolution digne d‘intérêt car elle a levé le voile sur une
réalité en ébullition et sur les soucis d‘un peuple en mutation. C‘est pour cela qu‘il
invite à reconsidérer une image accusée de trahison et à lui accorder plus de
confiance après le rôle qu‘elle a joué en documentant les agitations du peuple avec
une vision qui doit beaucoup à la plasticité.
Au carrefour de l‘artistique, du social et du politique, la photographie en
Tunisie se fraye un nouveau chemin qui la fait dépasser ses propres limites
techniques pour s‘ouvrir sur le quotidien palpitant et le personnel frémissant. C‘est
ainsi que l‘auteur traite de la photographie au cœur des problématiques
contemporaines de la création tunisienne.
imprégnation par son environnement politique et socioculturel aussi bien que par
son entourage naturel à travers des exemples de sa pratique photographique
personnelle.
L‘auteur propose, en l‘occurrence, la création de ce qu‘il appelle « une
nouvelle réalité » qui se loge hors du commun. Il s‘agit de la création d‘images qui
interprètent le réel pour appeler, elles aussi, une interprétation qui scrute leurs
dimensions plastiques et conceptuelles.
L‘auteur compte beaucoup, dans cette approche auto-poïétique, sur la
subtilité de son regard plasticien capable d‘extraire à partir du réel, des recoins
inédits qu‘un regard profane ne remarque pas malgré leur omniprésence imposante.
C‘est au sein de l‘installation photographique créée par l‘artiste que
l‘image photographique s‘ouvre sur le champ interdisciplinaire et appelle des
lectures de différents spécialistes évoqués au sein de l‘article.
12
- La chercheuse Nour KAMOUN traite dans son article intitulé
13
14
PHOTOGRAPHIE ET AUTOBIOGRAPHIE :
Wiem BENMOALLEM
1
Madeleine Ouellette-Michalska, Autofiction et dévoilement de soi, Essai, Montréal, XYZ éditeur,
coll. Documents, 2007, p. 13.
15
pictural et le scriptural donne une nouvelle dimension, voire une nouvelle
signification à ce type de création qui se veut de plus en plus souvent
interdisciplinaire. En fait, l‘intérêt est accordé notamment aux recherches des
artistes contemporains qui viennent interroger le dispositif photolittéraire dans leur
quête identitaire. Afin de comprendre la position de la photographie au sein de ces
différentes pistes autobiographiques, il est nécessaire de s‘interroger, tout d‘abord,
sur les propriétés représentationnelles de ce médium et se pencher sur son rapport à
la mémoire et à l‘écriture de soi. La jonction de ces composants qui sont
incontournables pour mener un voyage vers soi dans les créations
autobiographiques contemporaines semble, à première vue, simplifier le processus
de la représentation. Néanmoins, en réalité, cela ne le rend-il pas encore plus
complexe ?
1
Georges Jacquemin, Marguerite Yourcenar : Qui suis-je ?, Ed. La Manufacture, Lyon, 1985, p. 85.
2
Elena Real Ramos, « Le voyage dans l‟œuvre narrative de Marguerite Yourcenar», in
MargueriteYourcenar. Une écriture de la mémoire. Actes du colloque international «Marguerite
Yourcenar» qui s‘est déroulé à l‘Université de Tours en mai 1985. Textes réunis par Jean-Pierre et
Castellani Daniel Leuwers, Sud, hors-série, 1990, pp. 197-209 (surtout p. 206).
3
J.-Ph.Miraux, (1996), L‟autobiographie. Écriture de soi et sincérité, Nathan, Paris, 1996, p. 7.
16
L'autobiographie, comme son nom l'indique 1 , consiste à relater les
péripéties de la vie d'une personne consignées par soi-même. Dans ses ouvrages
théoriques fondateurs, L‟autobiographie en France et Le pacte autobiographique,
Philippe Lejeune propose un modèle-type de l‘autobiographie qui se révèle à partir
de critères principaux : l‘autobiographie est un « récit rétrospectif en prose que
quelqu‟un fait de sa propre existence quand il met l‟accent principal sur sa vie
individuelle, en particulier sur l‟histoire de sa personnalité »2. Lejeune constate
que cette forme d‘écriture a une longue tradition, car ses origines remontent au
XVIIIe siècle en Angleterre, en conquérant ultérieurement toute l‘Europe. C‘est
dès que l‘expérience personnelle prend une place si importante dans la création
littéraire, la popularité des récits de soi n‘a cessé de croître. Or, « la valeur
historique de ce genre n‟est pas en cause ici, mais bien son aspect esthétique :
l‟autobiographie a une forte puissance de suggestion d‟authenticité, du fait que
l‟auteur soit en quelque sorte intégré dans l‟œuvre. »3. Selon Lejeune, dans ce type
de discours où l‘auteur s‘identifie à la fois au narrateur et au protagoniste, le lecteur
doit être au courant de cette corrélation pour que « le pacte autobiographique»4
puisse être instauré. Toutefois, l‘interaction du lecteur avec le récit de soi a été
affectée de façon considérable par l‘inventivité au sein de la création
autobiographique.
1
L‘autobiographie consiste à écrire (graphein en grec), sa vie (bios), soi-même (auto).
2
Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 14.
3
Etienne Souriau, Vocabulaire d‟esthétique, Quadrige / Presses Universitaires de France, Paris, 1999,
p.254.
4
Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, op. cit., p. 24.
17
L‘état de foisonnement qui caractérise le type d‘écriture autobiographique
a été bien diagnostiqué par Julie Le Blanc : « l‟on ne manque pas d‟appellations
pour désigner les nombreux sous-genres autobiographiques qui foisonnent dans la
littérature depuis de nombreuses décennies : littérature personnelle ou intime,
témoignages autobiographiques, récits de soi, littérature du moi, histoires de vie,
documents vécus. Nombreuses sont les catégories qui, dans l‟histoire de la
littérature, désignent ce que l‟on nomme communément l‟écriture
autobiographique : journal, autobiographie, carnet, mémoires, souvenirs,
confessions, récit épistolaire »1.
1
Julie LeBlanc, « Introduction – écritures autobiographiques », L‘autobiographique, Toronto, Ed
Trintexte, 2006-2007, vol.1, p. 7.
2
Déjà en 1964, à l‘ARC, Musée d‘Art Moderne de la Ville de Paris, une première exposition avait mis
en scène les « mythologies quotidiennes », puissamment marquées par l‘esthétique du Pop‘art. En
1977, une deuxième édition est proposée dans les mêmes lieux, avec une forte présence des peintres
de la figuration narrative.
18
littéraire ou à "l‟autofiction" »1. En fait, ce procédé, qui s‘avère tellement naturel,
permet à l‘écriture de soi d‘être versatile et unique. Quoique, « texte et image sont
deux matériaux hétérogènes, et qu‟il n‟y a pas d‟équivalence, et encore moins
d‟identité, entre l‟un et l‟autre »2, comme le constate Véronique Montémont. Il
faudrait donc s‘interroger sur cette jonction entre les mots et les images qui parait
dans certains cas, indispensable pour les créations d‘ordre autobiographique. En
l‘occurrence, il serait important de savoir d‘où vient cette présomption que la
photographie et le texte s‘allient puissamment, se conjuguent et se supportent
puissamment, malgré tout ce qui les différencie ?
En général, il nous faut des mots pour pouvoir démêler le contenu saisi sur
les images, et des images pour pouvoir révéler ce qui ne peut être exprimé que
partiellement par la langue. Or, cette observation ne nous semble pas, d‘emblée,
quelque peu simpliste, surtout si la photographie sera considérée « beaucoup plus
qu‟une illustration : médiation de soi à soi, elle reconstruit, véritablement, un
monde »3.
Certes, il est assez évident que les photos et les mots se nourrissent les uns
les autres. Ils entretiennent un rapport de complémentarité. Cependant, « nul
besoin d‟une coprésence de l‟image et du texte pour que ce phénomène existe »4.
Mais quant à l‘interdépendance du pictural et du scriptural dans le discours
autobiographique, cette complémentarité acquiert également un autre sens, car ces
deux moyens de langage ont noué une relation spéciale. Texte et photo partagent
un matériau commun : l‘histoire individuelle. L‘un comme l‘autre est un
témoignage de vie. C‘est pourquoi, si on veut dépeindre une existence dans toute
son intégralité et intégrité, la jonction au sein de ces deux modes d‘expression
semble assez logique, tout à fait légitime, voire quasiment obligatoire.
1
Danièle Méaux, et Jean-Bernard Vray, Traces photographiques, traces autobiographiques,
Publications de l‘Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2004, op. cit., p. 10.
2
Véronique Montémont, « Le pacte autobiographique et la photographie », Le français d‘aujourd‘hui,
vol 2, no 161, 2008, p. 44.
3
Ibid., p. 46.
4
Martine Joly, Introduction à l‟analyse de l‟image, Nathan, Paris, 1993, p.106.
19
En outre, la prise des photos et la rédaction des récits de soi sont souvent
des procédés de lutte contre l‘oubli et l‘anéantissement.
Jonas Mekas, A pétrarque, aux éditions DIS VOIR, Collection ZAGZIG dirigée par
Philippe Langlois & Frank Smith. Format 165X215 / Photos: 53 couleurs + 1 CD audio inclus /
Pages : 96.
A l‘instar de Jonas Mekas, Jean Le Gac injecte des éléments de son histoire
personnelle dans son œuvre. À plusieurs reprises, il s‘est comparé à un archéologue
en remuant« le passé pour comprendre le présent»1. Tout le travail de Le Gac est
tissé de reprises et d‘échos qui retracent la vie de l‘artiste à travers des
combinaisons de plusieurs moyens d‘expression. « Je pense et ressens par la
1
Jean Le Gac, « Le carnet », in La Chasse au trésor de Jean Le Gac, RMN, Paris, 2007, ouvrage non
paginé.
21
peinture – l‟œil, la main, la matière – images, photos, bribes de textes, objets mixés
ensemble. Une sorte d‟opéra à mon échelle » 1 , confie Le Gac. Malgré cette
hétérogénéité, l‘artiste inscrit une forme de continuité entre ses travaux en s‘y
mettant en scène. La plus grande partie des œuvres de Jean Le Gac s‘organisent
autour de la figure protéiforme du peintre où se brouille les pistes
autobiographiques et autofictionnelles. Par le biais de la photographie, Le Gac
prête souvent son apparence à ce personnage récurrent qui est tout à la fois unique
et multiple, fictif et gorgée de « graphèmes » puisés de la vie même de l‘artiste.
L‘usage de la photographie fonctionne couramment comme argument d‘existence ;
sa nature indicielle2 en fait la garante de l‘authenticité de ce qu‘elle représente. On
s‘attend donc à ce que, lors de son jonction avec les mots au sein d‘un récit, le
cliché agisse comme témoignage de véridiction, qu‘il réalise un ancrage dans le
réel (et ce, notamment quand la création est d‘aspect biographique). Or, chez Le
Gac, il se pourrait que la photographie devienne une forme d‘une inéluctable virée
face à la réalité. Ses images, le plus souvent, ternes et floues, qui sont réalisées
normalement pour immortaliser un moment, retracer une scène crédible et bien
évidemment pour convaincre le spectateur, n‘acquièrent l‘intérêt qu‘à leur
articulation avec les mots. Elles se trouvent détournées en des dispositifs
complexes où le sens se perd dans une atmosphère d‘irréalité et d‘ambiguïté qui
imprègne les fragments de vécu de cet artiste. Se situer à mi-chemin entre la fable
et l‘autobiographie pour suggérer un itinéraire personnel, place Le Gac à proximité
d‘artistes qui exploitent diverses manières d‘autofictions pour se "façonner" une
identité d‘ordre artistique. Ils se sont pris comme "sujet" de leurs œuvres pour se
créer un destin, engendrer une autre représentation de soi, et ce, en nouant une
« fiction d‘événements et de faits strictement réels » comme l‘exprime Serge
Doubrovsky3, celui qui a baptisé ce genre. L‘invention d‘autobiographies, d‘alter
1
Jean Le Gac, in Evelyne Artaud, L‟Atelier de Jean Le Gac, Edition Thalia, Paris, 2010, p. 26.
2
Voir, entre autres, Roland Barthes, la Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Cahiers du
Cinéma/Gallimard/Seuil, 1980.
3
Serge Doubrovsky, est un auteur assimilé par la critique au courant nommé « autofictif » dans, entre
autres, Fils (Galilée, 1977), Le livre brisé (Grasset, 1989), Un homme de passage (Grasset, 2011).
22
ego, de pseudonymes, voire de « mythologies personnelles »1 … est devenue une
pratique habituelle chez Gérard Gasiorowski2, Christian Boltanski, Joseph Beuys,...
Joseph Beuys, I like america and america likes me, circa 1975.
Quatre pages de photos. Signé en haut à droite sur l'une des pages. 35,5 × 55,5 cm.
1
Harald Szeemann, l‘organisateur de la Documenta 5 de Kassel qui regroupait des artistes mêlés d'art
populaire ou d'Art brut, a employé en1972 le terme de « mythologie personnelle » pour désigner des
pratiques qui naissent du quotidien, mais qui étaient surélevées au rang de croyance, de nouvelles
mythologies.
2
Gérard Gasiorowski s‘est fabriqué une identité artistique en marge de l‘académisme contemporain.
L‘autofiction chez cet artiste a été un opérateur de transfert, lui permettant de puiser aux tréfonds de
son être. Il s‘est détaché de son œuvre et a entrepris un voyage en lui-même pour pouvoir assumer son
identité artistique.
23
n‘exige pas a priori une reproduction d‘une préalable réalité, mais surtout qu‘elle
produise la vérité propre de l‘artiste qui serait prête à tout, même au mensonge.
«J‟ai toujours fait une équivalence entre un vêtement usagé, un nom, une
photographie de quelqu‟un ou maintenant, un battement de Cœur. C‟est un objet
qui renvoie à un sujet absent. Il y a eu quelqu‟un.
1
Dominique Baqué, La photographie plasticienne, un art paradoxal, Paris, Editions du Regard, 1998,
p. 267.
2
http://www.ladilettantelle.com/article-boltanski-christian-1944-124466967.html
3
Ibid., p. 268.
24
Christian Boltanski, Le Lycée Chases, 1987.
Dans ce recueil, Boltanski propose une série de photos de jeunes lycéens
représentant la classe de terminale d‘un lycée privé juif à Vienne en 1931. Ces
images ont été agrandies au point de les rendre floues et grenues, ce qui a pour
effet d‘évoquer des corps en décomposition.
25
de la quête d‘une identité singulière qu‘à l‘approche d‘une image stéréotypée de
l‘enfance en général.
1
Dominique Baqué, op.cit., p. 266.
2
Ibid.
26
De son côté, Hubert Renard 1 considère la fiction comme un outil très
efficace pour penser l‘art, la reproduction, l‘histoire, l‘archive, son identité
d‘artiste. Il déclare : « J‟aime l‟ambiguïté, pas pour elle-même, mais pour
s‟interroger sur la légitimité, la pertinence, le sens d‟une proposition. Mon travail
est bien réel, c‟est son sujet, son motif, qui est fiction » 2 . Il envisage par la
réécriture de l‘histoire à développer une réalité fictionnelle, lui donner une
crédibilité historique et lui permettre une existence matérielle. Hubert Renard
documente le travail d‘un Hubert Renard fictif, dont les productions et les
expositions sont médiatisées par l‘artiste avec un décalage d‘environ dix ans.
1
Hubert Renard est un artiste majeur du livre d‘artiste. Il produit des pratiques choisissant l‘archivage
et cherchant à rendre réelle une fiction. Son rôle consiste à simuler des situations artistiques, à
bousculer les notions d‘originalité et de reproductibilité, à présenter des modes de production des
objets d‘art en l‘absence même de ces objets. C‘est un processus par lequel l‘artiste s‘intéresse non de
l‘œuvre, mais de son contexte : la photographie documentaire, l‘architecture muséale, l‘article de
presse, le catalogue d‘exposition, etc.
2
Jérôme Dupeyrat, « Entretien avec Hubert Renard », in Entretiens - Perspectives contemporaines sur
les publications d‘artistes, Ed : Incertain Sens, Coll "Grise", vol.5, Rennes, 2017, p. 66.
3
La valise contient, outre la reproduction photographique au format A2 du « Faux mariage », un
matériel diversifié et complet pour appréhender son parcours artistique, susceptible de compléter
27
en jouant sur l‘ambiguïté des vrais-faux documents. Elle passe par un faux-moi
pour tromper le spectateur et lui fait croire à l‘authenticité de ses documents : récits
et images erronés, mais qui finalement permettent la révélation de son « moi ».
l‘étude de l‘autobiographie au collège et au lycée. Des planches reproduisant des œuvres de Sophie
Calle, DVD du film de l‘artiste, DVD du documentaire conçu pour elle, des coffrets (Doubles-jeux,
Les Dormeurs, Où et quand ?), des livres, un agenda-classeur contenant une bibliographie sélective,
des extraits d‘articles et de textes divers consacrés à l‘artiste,…
28
2- Rencontre du visible et du lisible dans le cadre d’un
discours autobiographique
1
Véronique Montémont, « Le pacte autobiographique et la photographie », op. cit., p. 46.
2
Martine Joly, op. cit., p.106.
3
Ibid., p.115.
29
consulte l‘œuvre, le récepteur commence sans doute par laisser son regard errer
dans l‘espace imagé. Par le biais des images photographiques, l‘autobiographe
invite le lecteur à voir certaines scènes, endroits, visages,… à plonger son regard
dans sa vie un peu plus que ne le permettent les mots. Il lui accorde la possibilité
d‘en être le témoin. Et ce n‘est probablement que dans un second temps que ce
lecteur se rend à un examen plus ordonné en suivant de continuelles sautes du
régime visuel au régime textuel, du lisible au visible.
30
texte simple ou qui perçoit une image seule. Il doit s‘assurer de la cohésion des
éléments constitutifs du rendu autobiographique. Le constat d‘un manque
d‘adhérence entre les mots et les images (même si ces derniers n‘entrent pas
réellement en contradiction) peut venir éveiller le sentiment de suspicion et
compromettre gravement la confiance du lecteur-spectateur. En d‘autres termes,
une autobiographie, qui en elle-même aurait pu être crédible, peut se trouver, par
l‘absence de liens suffisants entre le texte et les clichés, fragilisée, voire même
minée : force est de signaler l‘importance de ce qui se passe dans l‘interstice entre
les mots et les photographies.
D‘après Danièle Méaux, « entre les clichés et les mots, il est des décalages
et des contrepoints ludiques, des mises en perspective ironiques qui amènent le
lecteur à interroger avec suspicion le fonctionnement du texte comme celui de
l‟image (…)» 1 . Néanmoins, elle explique que c‘est possible aussi de repérer
certaines parallèles dans l‘utilisation de l‘image photographique au sein d‘un texte
autobiographique : « Dans certains récits rétrospectifs, la photographie est
présentée comme pièce à conviction, label d‟authenticité ou encore source
d‟information sur le passé. (…) Mais le plus souvent, l‟empreinte photochimique se
révèle décevante, insuffisante et précaire ; elle contribue surtout, semble-t-il, par
sa nature à traduire une forme d‟aimantation vers le passé, de dynamique de
remontée vers l‟origine. »2
1
Danièle Méaux, et Jean-Bernard Vray, op. cit., p. 10.
2
Ibid.
31
leur mystère. C‘est pourquoi elles apparaissent en même temps avec une mémoire
souvent sélective, comme la source d‘« une déformation supplémentaire »1.
Par ailleurs, dans un certain nombre de travaux amorcés dès les années
soixante-dix, les photographies se conjuguent au texte pour produire des structures
narratives se situant à mi-chemin entre la fable et l‘autobiographie. Dans ces
œuvres, la valeur testimoniale des images parvient à activer le récit ; la
photographie ancre dans l‘expérience passée et agit à la fois comme embrayeur
fictionnel.
1
Sylvie Jopeck, La photographie et l‟(auto)biographie, Gallimard, Paris, 2004, p. 97.
2
Nicholas Fève, « Rhétorique de la photographie dans l‘autobiographie contemporaine : Des Histoires
vraies de Sophie Calle », dans Reading Images and Seeing words, Alan English, Rosalind Silvester
dir., Amsterdam, Rodopi, 2004 p. 162.
3
Danièle Méaux, et Jean-Bernard Vray, op. cit., p. 12.
32
vision cohérente et complète de soi. Cependant, cette tentation de saisir la vraie
nature de soi, avec la pluralité fournie des perceptions et représentations d‘une
même personne, introduit une certaine incohérence dans l‘élaboration du soi
autobiographique et cause de confusion représentationnelle. « Se mettre en scène
photographiquement, c‟est essayer de se rattraper, mais c‟est aussi contribuer à
une prolifération de soi-même »1 - constate Nicholas Fève. En outre, l‘éphémère de
la scène captée, ainsi que la délimitation temporelle et spatiale ne permettent
d‘accéder à ce qui transcende la photo, et de montrer un être humain dans toute son
intégralité.
1
Nicholas Fève, op. cit., p. 164.
2
Philippe Dubois, L‘acte photographique et autres essais, Nathan, Paris,1990. p. 31.
33
et l‘interprétation, donc dans la recherche du sens recelé, au-delà de ce qui est
représenté.
Conclusion
Cette étude avait pour but d‘explorer la relation et les interactions entre le
médium photographique et l‘écriture autobiographique. Le survol de la recherche
théorique dévoile un trait important que l‘écriture de soi et la photographie ont en
commun. Le genre autobiographique était considéré au début comme la forme
d‘expression objective et authentique ; de même, le médium photographique, grâce
à ses capacités de transposer la réalité avec une exactitude jamais atteinte. Et
pourtant, ces deux médiums ont été identifiés par la suite comme la conception
subjective conditionnée de manière considérable par les interprétations, les choix et
les compétences individuels.
1
Jean Starobisky, « Le style de l‘autobiographie », Poétique, no 3, 1970, p. 257.
34
qui dans aucun cas n‘assurent la véracité de la représentation, sont essentiels pour
mener une trajectoire vers soi et relater une vie.
1
Danièle Méaux, et Jean-Bernard Vray, op. cit., p. 10.
35
Bibliographie
36
Le Gac Jean, in Evelyne Artaud, L‘Atelier de Jean Le Gac, Thalia, Paris,
2010.
37
http://www.ladilettantelle.com/article-boltanski-christian-1944-
124466967.html
http://www.galeriedujour.com/expositions/0259_jonasmekas/jonasmekas_com
munique_francais.pdf
38
PHOTOGRAPHIE ET REALITE AUGMENTEE :
UNE PRATIQUE DE L’HYBRIDATION
Roya ZAGHDEN
1
. F. Forest, Repenser lʼart et son enseignement. Les écoles de la vie, Paris, Ed.
LʼHarmattan, 2002, p. 32.
39
d‘écran et, d‘autre part, les œuvres du Land art, la photographie de la performance
et les œuvres de George Rousse.
Dans la langue française, cette appellation n‘a pas de sens puisque cela
paraît délicat d‘augmenter la réalité. Le grand public s‘étant maintenant approprié
cette appellation, il serait vain de vouloir la changer. Cependant, il n‘est pas inutile
de proposer un nom qui pourrait mieux représenter ce système. En effet, si la
réalité est par définition tout ce qui existe, alors, à strictement parler, la réalité ne
peut pas être augmentée puisqu‘elle est déjà tout. Alors qu‘est-ce-qui est
augmenté? De prime abord, la réponse paraît évidente : ce n‘est pas la réalité mais
la perception de la réalité qui est augmentée. La réalité augmentée ne met pas en
œuvre une modification quantitative de la perception, mais c‘est bien
qualitativement qu‘elle est modifiée : elle lui donne un autre sens.
1
. M. Mallem, D. Roussel, « Réalité augmentée - Principes, technologies et applications,
L‘expertise technique et scientifique de référence », 2008, [en ligne] :
http://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/technologies-de-l-information-
th9/realite-virtuelle-42299210/realite-augmentee-te5920/
2
. I. Sutherlandestl‘auteur du fameux logiciel sketchpadqui, en 1966, a mis au point
―ultimate display‖.
40
Kishino dans leur article « Taxonomy of Mixed Reality Visual Displays » (1994).
Ils y décrivent un continuum entre le monde réel et le monde virtuel baptisé
« réalité mixte » où la réalité augmentée évolue du côté du monde réel, tandis que
la virtualité augmentée évolue du côté du monde virtuel (on y reviendra). Milgram
qualifie la réalité augmentée comme étant un système capable « d‟augmenter la
rétroaction naturelle de l‟opérateur avec des indices virtuels » ou encore comme
« une forme de réalité virtuelle où l‟afficheur tête-porté du participant est
transparent ».
1
.Cité in thèse de doctorat de F. -Z. Azough, Modèle et expériences pour la visite des
musées en réalité augmentée sonore, sous la dir. de P. Cubaud, CNAM de Paris, 2014, p.
9.Cf. Aussi :R. Azuma, Y. Baillot, S. Feiner, ―Recentadvances in augmented reality‖, 2001,
[en ligne] : http://www.cc.gatech.edu/~blair/papers/ARsurveyCGA.pdf
2
. G. Simon, J.Decollogne, Intégrer images réelles et images 3D : Post-production et
réalité augmentée, Paris, Ed. Dunod, 2006, p. 123.
41
paradigme qui augmente la perception humaine en fournissant de l‟information qui
ne serait ordinairement pas détectable par les sens humains »1. Tandis que pour
James Richard Vallino, la réalité augmentée ne consiste pas uniquement à
superposer des images réelles et virtuelles du fait qu‘elle requiert une connaissance
détaillée de la relation entre les éléments du monde réel, la caméra et l‘utilisateur2.
1
. A. Backman, ―Augmented reality‖, Dept. Computing Science, VR00 - AR, 2000, [en
ligne] : http://www8.cs.umu.se/kurser/TDBD12/HT00/lectures/ar.pdf
2
. J. Richard-Vallino, ―Interactive augmented reality‖, Rapport technique, sous la dir. de C.
M. Brown, Université de Rochester, NY, USA, 1998, [en ligne] :
http://www.se.rit.edu/~jrv/publications/VallinoThesis.pdf
3
. B.Jolivalt, La réalité virtuelle, Paris, Ed. P.U.F., 1995, p. 94.
4
. A part le domaine artistique, le « temps réel » est une notion qui, à l‘ère actuelle de la
numérisation de l‘information, concerne tous les autres domaines dans toutes les sociétés ;
et ce, en s‘impliquant dans presque tous genres d‘activités : politiques, économiques,
sociales, culturelles, etc. Cette nouvelle forme de temporalité possède donc une incidence
de tout premier ordre sur l‘œuvre de la réalité augmentée (Cf. E. Couchot, « Le temps réel
dans les dispositifs artistiques », in N. Nel (sous la dir. de), Les enjeux du virtuel, Paris, Ed.
L‘Harmattan, Coll. « Communication et Civilisation », 2001).
42
visualiser des informations créées numériquement. Ce faisant, la réalité augmentée
touche les cinq sens du spectateur et principalement la perception visuelle :
« Le concept de réalité augmentée vise à compléter notre perception du
monde réel, en y ajoutant des éléments fictifs, non perceptibles
naturellement. Ce concept est rendu possible par un système capable de
faire coexister spatialement et temporellement un monde virtuel avec
l‟environnement réel. Cette coexistence a pour objectif l‟enrichissement de
la perception de l‟utilisateur de son environnement réel par des
augmentations visuelles, sonores ou haptiques. La réalité augmentée est
interdisciplinaire et s‟appuie sur le traitement du signal, la vision
artificielle, la synthèse d‟images, les interfaces homme-application et les
technologies nomades »1.
1
. « Etat de l‘art », Projet de Réalité augmentée à l‘Ensicaen, [en ligne] :
http://projetar.renous.fr/etat-de-lart/
43
réalité augmentée est achevée seulement lorsque le spectateur voit dans le contexte
de son site et - prend une capture d‟écran -, en adoptant exactement le même sens
du timing et de la juxtaposition qu‟un photographe exerce»1.Cette évocation de
l‘implication de la photographie dans l‘œuvre de la réalité augmentée nous amène à
se poser la question suivante : la capture d‘écran est-elle une photographie? Peut-
on définir l‘état final de l‘œuvre de la réalité augmentée comme étant une nouvelle
forme d‘image photographique?
1
. ―I consider the AR artwork to only be complete when the viewer views it - or takes a
screenshot - and sees it in the context of its site, engaging exactly the same sense of timing
and juxtaposition that a "real world" photographer exercises‖ (extraitd‘une interview faite
via e-mail le 03/05/2013avec l‘artiste T. Thiel. C‘est nous qui traduisons).
2
. Cité in « Land art : temps, espace ? », 27 juin 2013, in Arts et technologies
contemporaines, [en ligne] : https://artzerotrois.wordpress.com/2013/06/27/land-art-temps-
espace/
3
. ―no... not photography... its what the artist wants it to be- it could be a form
of Photography‖ (extraitd‘une interview faite via e-mail le 22/05/2013 avec l‘artiste
M.Skwarek. C‘est nous qui traduisons).
4
. ―… it AR photographyˮ (op. cit.).
5
. Selon B. Laurel, « l‘utilisateur est un terme trop froid, passif, et ne décrit finalement
qu‘une manipulation envers la machine [...] Nous utilisons ici ―interacteur‖ à la place d‘
44
de la chance” pour le photographe de la réalité augmentée à travers laquelle il
produit ses tensions artistiques » 1 . La photographie de l‘œuvre de la réalité
augmentée représente le« sens personnel de la synchronisation de l‟instant »2.Par
la même occasion, la photographie incarne la clôture de l‘acte d‘interactivité de
l‘interacteur avec l‘œuvre de la réalité augmentée dans l‘espace du musée. En effet,
après avoir orienté son smartphone en direction d‘un point précis de l‘espace
muséal donnant ainsi naissance à l‘œuvre de la réalité augmentée, l‘interacteur,
endossant le rôle d‘un photographe, passe à la prise d‘une capture d‘écran. Et celle-
ci sert à figer l‘instant de l‘augmentation de l‘espace muséal lors de l‘apparition
des éléments virtuels au sein de l‘espace réel.
―utilisateur‖ [...] parce qu‘il permet d‘identifier pour l‘instant l‟être humain qui agit » (B.
Laurel, « Computers as Theatre », in Addison-Wesley, 1993, [en ligne] :
http://www.abstractmachine.net/lexique/texts/interaf.htm). Aussi, A. -G. Baboni-Schilingui
propose le terme d‘« interacteur » qui a justement le mérite de distinguer, entre autre, le
visiteur du monde virtuel du visiteur du musée, tout en englobant les installations ayant
recours à l‘interactivité numérique (cf. A. -G. Baboni-Schilingui, « Installations et
interactivité numérique », in Les Cahiers Numériques, vol. 1, n° 4, 2000, pp. 167-178).
1
. ―… "lucky moment" of the AR photographer to produce its artistic tensions‖ (op. cit.).
2
. ―… personal sense of timing and of the moment‖ (op. cit.).
45
sa réalisation tout en mettant en jeu le temps et l‘espace. Cependant, elle n‘est pas
destinée à rester ainsi, vu qu‘elle a été documentée ou illustrée par la photographie
ou par la vidéo. En effet, ces deux techniques constituent deux moyens de
conservation de l‘œuvre d‘art sans lesquels celle-ci ne pourra plus perdurer. Plus
précisément, elles conservent la trace de l‘œuvre, mais ne préservent pas l‘œuvre
elle-même. En réalité, pour garder une trace de leurs œuvres éphémères, la plupart
des artistes ont eu recours à la photographie. Afin de saisir l‘instant de création de
ce genre d‘œuvres précédant leur inéluctable disparition, la photographie demeure
un des moyens incontournables pour témoigner de la réalisation et de l‘existence de
ces œuvres. Le choix du médium photographique pour immortaliser les œuvres
d‘art éphémères revient, en fait, aux qualités de l‘image photographique elle-même
en tant que représentation fidèle de la réalité, reflet du monde réel. Les artistes
veulent que cette image soit dépourvue de tout artifice susceptible de nuire à la
mission principale de l‘image. En effet, l‘image photographique se base, ici, sur la
neutralité de la représentation, afin de nous montrer l‘œuvre d‘art éphémère comme
elle était avant qu‘elle ne disparaisse. Elle est, ainsi, un témoin de l‘existence de
l‘œuvre d‘art, une sorte de relique, une représentation d‘une création que nous ne
sommes plus en mesure d‘aborder physiquement. La photographie n‘est, dès lors,
qu‘un outil technique qui permet la conservation d‘un moment fugitif, un accès à
l‘intemporalité.
A ce propos, les œuvres du Land art sont des œuvres éphémères et vouées
à la disparition et à la destruction. Elles sont façonnées par des matériaux naturels
et sont inscrites de manière provisoire dans un environnement naturel. Elles
disparaissent progressivement sous l‘effet des aléas et des intempéries jusqu‘à
s‘estomper totalement. Les conditions climatiques qui entourent l‘œuvre peuvent
également accélérer cette disparition, comme est le cas, par exemple, de l‘œuvre
Incredible Serpentine Tree Root sd‘Andy Goldsworthy. Utilisant le sable comme
matériau, celle-ci nʼa duré que quelques heures. La photographie paraît alors, à ce
titre, indispensable pour sauver la mémoire de l‘œuvre d‘art afin de lui faire
accéder à l‘éternité. Nous pouvons citer, aussi, l‘exemple de la fameuse œuvre ou
46
site-monument Spiral Jetty(1970) de Robert Smithson. Il s‘agit d‘une œuvre
éphémère créée avec des pierres de basalte noire et de la terre même du site où elle
a été située. Dans l‘extrait ci-qui suit, Jean-Paul Brun1 revient sur quelques détails
de cette œuvre disparue ce qui démontre, encore une fois, l‘importance du support
photographique :
1
. J. -P. Brun, Nature, art contemporain et société : le land art comme analyseur du social,
Paris, Ed. L‘Harmattan, Coll. « Logiques sociales. Sociologie des arts », 2007, pp. 342-344.
2
. Ibid. p. 343.
3
. F. Choinière et M. Thériault (sous la dir. de), Point & shoot : performance et
photographie, Montréal, Ed. Dazibao, Coll. « Les Essais », 2005, p. 25.
47
fig.3) par Nadar sont parmi les premiers exemples de la photographie de
performance : « il s‟agit d‟une série totalement mise en scène, et dont l‟objet n‟est
pas de documenter une personne dans son apparence naturelle, posant pour la
postérité »1. Le photographe français accorde beaucoup d‘importance à la mise en
scène qui précède la prise de vue de ses portraits. Il adopte pour sa mise en scène :
« un acteur (soit le mine Charles Debrau), un même décor en arrière-plan (la toile
tendue du studio), et un costume (emblématique du Pierrot). De portrait en
portrait, ce qui varie, ce sont la posture et les gestes du personnage »2. Le propre
de la photographie de Nadar est de capter ces gestes, « un moment de rien, juste un
cadre et une action coupée du temps »3. La photographie de la performance est,
alors, une capture d‘une action artistique dans un lieu et un moment bien précis :
elle capte l‘instant de la mise en œuvre.
1
. Ibid., p. 25.
2
. Ibid., p. 26.
3
. Ibid.
48
A vrai dire, ces photographies captent le corps de Pierrot qui est entrain
d‘effectuer un acte bien précis. Elles représentent, de l‘aveu de Chantal Pontbriand,
ceci :
« […] un moment isolé dans le temps... un micro moment que l‟œil lui-
même n‟arrive pas à isoler, physiquement parlant. Ce moment de stase ;
c‟est ce qui équivaut à la pause photographique se déclenche, et où il capte
une action dans le temps. Dans la stase, le sujet est stationnaire. Il devient
lié au lieu et au temps de manière ultra-précise. Il est capturé dans un état
qui ne peut plus changer, et qui demeurera à tout jamais le même, sujet
hors de changement »1.
Ces dernières années, d‘autres artistes comme par exemple Beat Streuli,
Philip-Lorca di Corcia, Michael Snow, Raymond April, Douglas Gordon, ainsi que
des artistes de l‘histoire récente de la photographie tels que Marina Abramovic, Urs
Luthi, Vito Acconci ou encore Suzy Lake, ont élaboré « une mise en scène dans un
temps préalable à celui de la prise de vue ». Ils ont su prouver, à partir de leurs
travaux respectifs, que l‘acte photographique est« performé ». Ainsi, comme l‘écrit
Pontbriand :
1
. Ibid., p. 27.
2
. Ibid., p. 34.
49
corps du performant dans la première est remplacé dans la deuxième par les
éléments virtuels issus de l‘acte d‘interactivité.
1
. Ibid.
2
. Ibid., p. 64.
3
. Ibid, p. 78.
50
« Dans ce scénario, on pourrait dire que l‟art devient photographie par la
performance. Argenter des roches (Kaprow avait utilisé du papier
d'aluminium) renvoie au processus argentique requis pour produire une
photographie, soit classique épreuve aux halogénures d‟argent. La
documentation (“record” à laquelle réfère le titre semble privilégier la
photographie, sous-entendant par-là la rupture du temps opérée par les
photographies) et son remplacement par l‟image, cet artefact d‟une vision
arrêtée dans le temps, ne demandant “aucune explication”, et dispersée en
autant de fragments. Les photographies et le scénario deviennent la
performance »1.
1
. Ibid., p. 79.
2
. Ibid., p. 80.
51
automatiquement leur disparition. Nous estimons que cette caractéristique de
l‘œuvre de la réalité augmentée repose sur le concept de l‘anamorphose1. Comme
nous le savons, ce concept a été déjà utilisé par plusieurs artistes dans l‘histoire de
l‘art dont notamment Hans Holbein le Jeune (voir Les ambassadeurs, 1533) et, tout
récemment, Georges Rousse. Les œuvres de ce dernier sont focalisées sur la
transformation des lieux. L‘artiste crée de nouveaux espaces grâce aux effets de la
perspective, de l‘anamorphose et de trompe l‘œil. A cet égard, nous estimons que
les photographies des œuvres de Georges Rousse tissent des rapports visuels étroits
avec celles des œuvres de la réalité augmentée ; et ce, à deux niveaux.
Ensuite, les œuvres de Rousse semblent se tenir sur cette frontière non
moins équivoque entre la réalité et l‘illusion. Et elles acquièrent cette position en
joignant la peinture à la sculpture, en connectant l‘installation et l‘architecture à la
photographie. Ainsi, comme l‘écrit Pontbriand :
1
. « L‘anamorphose- le mot fait son apparition au XVIIe siècle mais en se rapportant à des
combinaisons connues auparavant- renverse ses éléments et ses principes ; au lieu d‘une
réduction à leurs limites visibles, c‘est une projection des formes hors d‘elles-mêmes et leur
dislocation de manière qu‘elles se redressent lorsqu‘elles sont vues d‘un point déterminé.
Le système est établi comme une curiosité technique, mais il contient une poétique de
l‘abstraction, un mécanisme puissant de l‘illusion optique et une philosophie de la réalité
factice. C‘est un rébus, un monstre, un prodige. Tout en appartenant au monde des
singularités qui, dans le fonds humain, a toujours eu un ―cabinet‖ et un refuge, il en déborde
souvent le cadre hermétique. Les jeux savants sont, par définition, quelque chose de plus »
(J. Baltrušaitis, Anamorphoses, ou Perspectives curieuses, Paris, Ed. O. Perrin, Coll. « Jeu
savant », 1955, p. 58).
52
du physique et du métaphysique, des ténèbres et de la lumière, de l‟ordre et
du chaos enfin »1.
1
. F. Choinière et M. Thériault (sous la dir. de), Point & shoot : performance et
photographie, op. cit., p. 18.
53
Fig. 5 : Tamiko Thiel, Art Critic Face Matrix, MoMA, 2010.
Références iconographiques :
54
LA PHOTOGRAPHIE DE MODE AU-DELA DE SES FRONTIERES…
1
Gisèle Freund, Photographie et société, ed.Seuil, 1974, p.5.
2
Sylvaine Conord, Usages et fonctions de la photographie in Ethnologie française, 2007/1, Vol. 37,
p.11.
3
André Gunthert, La conquête de l‟instantané, archéologie de l‟imaginaire photographique en
France
(1841-1895), Thèse de doctorat d‘histoire de l‘art sous la direction d‘Hubert Damisch, soutenue en
février 1999, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, p.107.
55
photographie a été considérée comme la copie de la réalité, les productions
scientifiques, anthropologiques, ethnologiques, sociales, etc. publiées depuis
presque un demi-siècle, témoignent du développement de ce champ où l‘image
photographique est envisagée plutôt comme un instrument de recherche à part
entière dans la compréhension du monde contemporain et de son histoire.
1
L‘étude de la nature du signe photographique, faut-il le rappeler, doit beaucoup aux articles de
Roland Barthes (1961, 1964, 1980), mais aussi à ceux de Rosalind Kraus (trad. Française en 1990), de
Philippe Dubois (1988) ou de Jean-Marie Schaeffer (1987).
2
André Bazin, Ontologie de l‟image photographique, in Qu‟est- ce que le cinéma ?, ed. Cerf, Paris,
2011, p. 14. Le texte lui-même date de 1945.
56
Avant même d‘être une image, la photographie, « enregistrement d‟une
situation lumineuse à un instant donné, est un processus » 1 , « produit d‟une
technique et d‟une action » 2 . « Résultante d‟une interaction médiatisée par le
dispositif technique, entre photographe et sujet(s) photographié(s) » 3 , constitue,
désormais, un mode de représentation spécifique ancré dans les pratiques et les
rapports sociaux de notre monde contemporain. Et même la question « La
photographie est-elle un art ? » qui a prévalu aux errements statutaires et
esthétiques du médium est réglée par l‘assimilation de la photo à l‘art
contemporain.
1
Aumont Jacques, L‟image, ed. Nathan, Paris, 2001 (1990), p.125.
2
Dubois Philippe, L‟acte photographique, ed. Nathan Paris, 1990, p.9.
3
Terrenoire Jean-Paul, Images et sciences sociales : l‟objet et l‟outil in Revue française de sociologie,
Paris, 1985, p.198.
4
Voir Alexandre Castant, La photographie dans l'œil des passages, Paris, L'harmattan, 2004. La
constatation prolonge celle de Sontag qui, dans son ouvrage sur la photographie, observe que depuis
son invention en 1839, il n'est « pas une seule chose (du monde) qui n'ait été photographiée ». Avec
la photographie, « le monde entier peut tenir dans notre tête, sous la forme d'une anthologie d'images
», dit-elle.
5
Susan Sontag, Le monde de l‟image in Sur la photographie, trad. Ph. Blanchard, Paris, ed. Christian
Bourgois, 2008, p. 210.
6
André Gunthert, Éditorial in Études photographiques, 1 Novembre 1996, mis en ligne le 18
novembre 2002.
7
Howard S. Becker, Exploring Society Photographically, ed. University of Chicago Press, 1982,
p.31.
57
photographie de mode se réinvente sans cesse repoussant les frontières
commerciales à la quête de nouveaux terroirs. Alors ce genre photographique lié
principalement à l‘industrie et au commerce, pourra-t-il être lu et appréhendé
comme une figuration du social dans toutes ses interactions et ses illusions, dans
ses mythes comme dans ses réalités et ses problématiques?
1
Propos d‘Audrey Trabelsi, cofondatrice d'Art Photo Expo, extraits de l‘article en ligne In Fashion :
la photo de mode s'expose au Royal Monceau, www.grazia.fr
2
Nathalie Herschdorfer, Papier glacé : un siècle de photographie de mode chez Condé Nast,
ed.Thames & Hudson, Paris, 2012, p.9.
3
Cally Blackman, 100 ans d'illustration de mode, ed.Eyrolles, Paris, août 2007, p.11
4
Frédéric Monneyron, La photographie de mode. Un art souverain, ed.Presses Universitaires de
France, 2010, p.23.
58
artistique. Ces deux magazines vont avoir une influence considérable sur le
traitement de la mode mais aussi sur la photographie de mode.
Dès lors, les magazines de mode féminin les plus célèbres dans le monde
telles que Vanity Fair, Le Jardin des modes, Elles, Marie-Claire, etc., sollicitaient
les photographes qui savaient représenter leurs produits d‘une manière singulière.
Et depuis, « les plus belles créations des grands couturiers sont immortalisées sur
papier glacé dans les grands magazines. » 1 De nombreux photographes vont
utiliser la mode et le vêtement pour laisser parler leur créativité et façonner leur
propre style.
1
Propos d‘Audrey Trabelsi, cofondatrice d'Art Photo Expo, extraits de l‘article en ligne In Fashion :
la photo de mode s'expose au Royal Monceau, www.grazia.fr
2
Frédéric Monneyron, La photographie de mode. Un art souverain, ed.Presses Universitaires de
France, 2010, p. 79.
59
La photographie de mode se définit donc par la destination commerciale de
ses images, sa fonction première est celle, économique ; de faire vendre, ou de
mieux faire vendre, en tout cas de contribuer à faire vendre. Elle est conçue pour
faire rêver, et crée, au travers d‘une réalité idéalisée, un univers ou une histoire
mettant en valeur des produits de la mode. Nathalie Marchetti confirme dans ce
sens que « la photographie de mode est pensée pour faire rêver. » 1 En
l‘occurrence, c‘est du côté de la réalité que nous serions enclins à l‘appréhender a
priori.
Au-delà du commerce…
1
Propos de Nathalie Marchetti extraits de L'express international, Numéros 3018 à 3034, ed. Groupe
Express, 2009, p. 71.
2
Frédéric Monneyron, La photographie de mode. Un art souverain, ed.Presses Universitaires de
France, 2010, p. 49.
60
En conséquence, le premier souci des photographes de mode fut
d‘échapper à la tutelle de « l‘industrie » et du commerce, laquelle avait annexé la
photographie à son vaste domaine. Ces derniers qui semblent au premier abord
respecter les codes de la mode, s‘en déjouent aussi rapidement pour explorer les
possibilités photographiques.
1
Ibid., p.79.
2
Barthes Roland, Système de la mode, ed.Seuil, 1967, p.13.
61
Alors la photographie de mode peut-t-elle évoluer de l‘état de « sous-art »
vers un véritable art avec ses techniques, son imaginaire et son propre langage qui
suit et traduit les mouvements sociaux et les influence à son tour ? Cantonné dans
sa seule fonction illustrative et commerciale, cet art de l‘éphémère serait-il en passe
d‘aller au-delà de ses frontières pour exprimer l‘impalpable, refléter les
préoccupations les plus partagées et témoigner de son époque ?
1
Frédéric Monneyron, Sociologie de la mode, ed. Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.77.
62
abstraites : le photographe est indissociable du contexte socio-historique avec
lequel son travail trouve son intérêt.
Du rêve au discours….
1
Frédéric Monneyron, La photographie de mode. Un art souverain, ed.Presses Universitaires de
France, 2010, p. 67.
2
Ibid., p.156.
63
Comme le disait l‘historien James Laver, « l‟appareil photo [fut] la
première machine à imposer certains types de beauté »1. Ainsi, l'apparence est sans
doute la notion qui définit le mieux le rapport que la photographie entretient avec la
mode. Mais cette notion doit être élargie car elle ne concerne pas seulement les
aspects esthétiques ; la photographie de mode c‘est travailler sur l‘apparence mais
elle témoigne aussi de son époque. Ses images varient selon les préoccupations
esthétiques et sociales de l‘époque, dans une éternelle séduction.
A ce titre, durant les années 1960, époque marquée par la libération des
mœurs, un changement des mentalités où le féminisme commençait à poser et à
imposer son empreinte, avec des questions marquantes sur le stéréotype des
genres, de grands photographes vont utiliser la photographie de mode pour
témoigner de l‘évolution des mœurs et des enjeux de société. C‘était un tournant
majeur pour le rôle de l‘habit dans la photographie de mode : les photographes ne
cherchent plus à recouvrir le corps mais à le révéler, l‘exposer, le sublimer et
l‘exalter sans aucune retenue.
1
Nathalie Herschorfer, Papier glacé- Un siècle de photographie de mode chez Condé Nast, ed.
Thames & Hudson, octobre 2012, p.17.
2
Pascal Bollon, Morale du masque. Merveilleux, Zazous, dandys, Punks, etc., ed.Seuil, Paris, 1990,
p.184.
64
le plus approprié pour l‘étude des représentations du genre féminin ; elle est le lieu
« naturel » d‘expression des corps de femmes, lieu d‘identification et de fantasme,
de reconnaissance et de nouveautés.
Maître dans le jeu de ces nouveaux codes, Guy Bourdin, pour ne pas citer
d‘autres, un avant-gardiste qui s‘en donne à cœur joie et photographie sans filtre la
femme sous toutes ses coutures et ses courbes. Ses photos de mode les plus
connues, pour la plupart parues dans Vogue France dans les années 70, témoignent
que le porno chic des années 2000 n'a rien de novateur. Ses clichés de mode, d‘une
sensualité troublante, dévoilent ce qui est caché pour célébrer le plaisir féminin.
L‘homosexualité, encore tabou à l'époque, était déjà abordée notamment via un
cliché sur lequel les lèvres de deux modèles semblent vouloir se rapprocher. Cette
sensualité peut paraître moins contrariante aujourd'hui, mais « il faut avoir
conscience qu'elle a pu choquer à l'époque », rapporte Shelly Verthime.
1
Harrison Martin, Apparence, la photographie de mode depuis 1945, ed.Chène, p.270.
65
Figure 1: The Guy Bourdin, Estate 2016 / Courtesy of Louise Alexander Gallery
1
Alison M. Gingeras, Guy Bourdin, coll. 55, éd. Phaidon, p.13.
66
Les photographies de mode s‘élèvent ainsi au rang d‘indicateurs sociaux.
Audrey Trabelsi explique à ce titre : « Les photographie de mode ne laissent
personne indifférent et demeurent le reflet d'une époque et de la société»1. Ils sont
comme des anticipations sociales créatives, support de nouvelles connaissances. Il
faut entendre ces connaissances contenues dans l‘image dans le sens d‘une
encyclopédie de valeurs, de normes, de croyances, de transgressions ou bien de
comportements partagés par des audiences et des publics.
1
Propos d‘Audrey Trabelsi, cofondatrice d'Art Photo Expo, extraits de l‘article en ligne In Fashion :
la photo de mode s'expose au Royal Monceau, www.grazia.fr.
2
Frédéric Monneyron, La photographie de mode. Un art souverain, ed.Presses Universitaires de
France, 2010, p. 155.
3
Susan Sontag, On photography, ed. Penguin, 1979, p. 91.
67
ce une manière de dénoncer avant l'heure l'objectivation à laquelle sont souvent
réduites les femmes ? Ou la violence dont elles sont victimes ?
1
Shelly Verthime, Guy Bourdin: Untouched, ed. Steidl Verlag, 2017, p.45
2
Ibid., p.45.
68
tout, parce que c‟est un milieu de création. »1 Elle rajoute : « une série mode est
belle ou intéressante justement quand elle va au-delà de la mode.»2 Effectivement,
depuis un certain temps, la photographie de mode s‘imprègne de tout ; tous les
sujets semblent être admissibles d‘où son immersion dans des faits de société et des
problématiques qui n‘ont rien à voir avec la mode. « Ce n‟est pas un problème de
remodeler dans son domaine quelque chose qui concerne la société et qui, à ce
titre, touche forcément photographes et artistes. »3, explique Nathalie Marchetti.
1
Propos de Nathalie Marchetti extraits de L'express international, Numéros 3018 à 3034, ed. Groupe
Express, 2009, p. 74.
2
Ibid., p.75.
3
Ibid., p.75.
4
Le shooting de mode « Der Migrant » de Norbert Baksa a été dévoilé sur le site du photographe
ainsi que sur son compte Twitter le 5octobre 2015.
69
photographe hongrois Norbert Baksa dévoilée sur son site ainsi que sur son compte
Twitter ont suscité polémiques et avalanche de critiques, pour ne donner que
quelques exemples.
Figure 3: « State of Emergency » par Steven Meisel pour Vogue Italie 2006.
70
Figure 5: Photo du Shooting mode « Horror Story »1 de Steven Meisel pour Vogue
Italie, Avril 2014.
1
Les photos du shooting mode « Horror Story » de Steven Meisel pour Vogue Italie sont directement
inspirées des films d'horreur tel que « Shinning » de Stanley Kubrick avec la scène culte de la hache.
Les mannequins femmes sont mis en scène, et reproduisent des scènes de grandes violences avec
leurs maris avec des armes ensanglantées, des visages apeurés, une atmosphère glaciale et des pièces
de créateurs. Les mannequins portent des vêtements Miu Miu, Fendi, Balenciaga ou encore Marc
Jacobs.
2
Propos de Carlo Ducci, directeur de rubrique à Vogue Italie extraits du numéro 764 de Vogue Italie,
avril 2014.
71
La photographie de mode, un moyen d’expression comme un autre ?
Pour Franca Sozzani, le Vogue Italie est un magazine mode mais également
un médium par lequel elle tient à véhiculer des messages forts. Un défi qu'elle
souhaite relever en éditant ce shooting intitulé « Horror Movie » et qui vise à
choquer les récepteurs pour qu'ils se sentent davantage concernés par les violences
conjugales endurées par les femmes. Elle explique ainsi: « C‟est vraiment un
spectacle d‟horreur, ce que nous regardons et ce que nous voyons tous les jours
1
Propos de Raj Shetye lors de son entretien avec BuzzFeed, un site d'information et une société
américaine de médias Internet.
72
dans tous les journaux du monde, ceci montre que la femme est, jusqu‟à ce temps
là, fragile, elle peut être attaquée, maltraitée, tuée… »1
1
Propos de Franca Sozzani pour le jounal en ligne The Independent.
2
Frédéric Monneyron, La photographie de mode, Un art souverain, ed. Presses Universitaires de
France, Paris, 2010, p.49.
3
Propos de Raj Shetye lors de son entretien avec BuzzFeed, un site d'information et une société
américaine de médias Internet.
73
Figure 6: Photo tirée de la campagne « Nudicome » du photographe Oliviero Toscani
pour United colors of Benetton, automne/hiver 2018.
74
blanc ou encore la série de photos « HIV positive » sortie à l‘automne 1993 pour lutter
contre le sida, montrant des individus tatoués de l'inscription « HIV Positive » sur
plusieurs parties de leur corps. Ces clichés, souvent sans aucun slogan, évoquant la
haine, la maladie, la discrimination, le racisme ou l'homosexualité emmènent la
mode à autre niveau, celui du militantisme.
Nous pouvons ainsi remarquer que, dans ces photographies de mode, les
traces de matérialité du vêtement et sa valeur d'usage sont estompées, pour ne
donner à voir que des mondes autonomes. Monneyron explique à ce propos : «
dans la photographie de mode contemporaine [...] le vêtement, qui n‟est bien
souvent que prétexte, est de plus ou plus oublié par le regard du spectateur, il
pourrait même être tentant de transformer cette addition en soustraction, et de
définir l‟imaginaire de la mode comme l‟imaginaire se formant autour d‟un
mannequin et d‟un contexte mais auquel on aurait enlevé toute référence au
vêtement.»2
1
http://unhate.benetton.com/
2
Frédéric Monneyron, La photographie de mode, Un art souverain, ed. Presses Universitaires de
France, Paris, 2010, p.157.
75
Dans son essai « Le système de la mode » Roland Barthes notait à ce
propos : « le bon ton de la mode, qui lui interdit de rien proférer de disgracieux
esthétiquement ou moralement. » 1 Apparemment, à cette époque (entre 1957 et
1963), Barthes ne pouvait prévoir que la mode et notamment la photographie de
mode n‘allait pas tarder à devenir déplaisante et disgracieuse, esthétiquement et
moralement.
1
Barthes Roland, Système de la mode, ed.Seuil, 1967, p.264.
2
Tom Ang, La photographie sous tous les angles, ed. Pearson Education, France, 2010, p.94.
3
Norberto Angeletti, Alberto Oliva, In Vogue: An Illustrated History of the World's Most Famous
Fashion Magazine, ed. Rizzoli, 2012, p.89.
4
Norberto Angeletti, Alberto Oliva, In Vogue: An Illustrated History of the World's Most Famous
Fashion Magazine, ed. Rizzoli, 2012, p.90.
5
Ibid., p.90.
76
éditoriale, elles ne consistent alors qu‘en une idée vaporisée, en une pensée
éphémère qui peut certes inspirer quelqu‘un, mais demeure le plus souvent peu
mémorable. »
1
Propos de Nathalie Marchetti extraits de L'express international, Numéros 3018 à 3034, ed. Groupe
Express, 2009, p.81.
77
photographes de mode réinventent la beauté et l‟élégance en racontant la vie, en
témoignant de la société de leurs temps. »1
2
Alors « les photographies disent-elles la vérité ? » A ce sujet, le
journaliste Jena-Claude Germain constatait avec à-propos : « ainsi, comme les
sculpteurs antiques qui faisaient surgir de la pierre la justice armée, la Beauté
fatale ou la force brute, les photographes de mode tentent de présenter la Beauté
parfaite sans ride, sans cerne, sans histoire, vierge et pure. Et vetue évidemment
avec art et un gout indiscutable. Comme au temps de Botticelli, de Pérugin, de
Raphael, les photographes de mode sont des artistes attentifs et fidèles dont les
œuvres reflètent en effet nos idéaux. »3 De notre part nous croyons que ceci est
toujours une question ouverte, pour laquelle chaque photographe tente de trouver
sa propre réponse.
Conclusion :
1
Michel Lessard, La photographie témoin et servante de la mode in Cap-aux-diamants, Vol 4, N°2,
été 1988, p.62.
2
Howard S. Becker, Exploring Society Photographically, ed. University of Chicago Press, 1982,
p.37.
3
Michel Lessard, La photographie témoin et servante de la mode in Cap-aux-diamants, Vol 4, N°2,
été 1988, p.62
4
Denoyelle Françoise, Vanités-Photographies de mode des XIXe et XXe siècles (Préface de Robert
Delpire), in Réseaux, volume 11, n°62, 1993, dossier Les conventions, p. 208.
78
représentants d‘une culture, des représentants d‘imaginaires à l‘intérieur d‘une
culture.
Les travaux présentés dans cet article, laissent toute la place à des «
expériences photographiques» différentes, à des contextes dans lesquels les images
prennent sens, à des situations qui en expliquent les genèses. Nous supposons alors
que la croyance que «l‘appareil photo fait la photo » n‘est plus valable, ce sont
plutôt les « contextualités » et les « situations » photographiques qui créent des
regards avec les photographes. Penser ces « regards photographiques » nous
renseigne, en retour, sur notre humanité. Ils sont la traduction d‘un ressenti et d‘un
vécu, ce « miroir continué » des réalités sociales qui cristallise en lui les tensions et
les valeurs existant au sein des sociétés.
Il nous semble qu‘il est possible aujourd‘hui d‘esquisser une approche des
« regards photographiques », en envisageant ceux-ci comme « de véritables
dispositifs non seulement de savoir-faire mais aussi de communication, de
situations, d‟imaginaires, d‟expériences, de contextes sociaux, économiques voire
politiques. Autant de cadres de référence qui concernent une multiplicité de
dimensions sociales et culturelles.»1
1
Voir Vancassel Paul, Les regards photographiques comme dispositifs anthropotechniques et
processus transindividuels, Thèse de doctorat en Sciences de l‘Information et de la Communication,
Université Européenne de Bretagne (Rennes 2), soutenue le 8 février 2008 (disponible sur
http://tel.archives-ouvertes.fr/ et en micro-fiches)
79
encyclopédie mouvante de corps, de postures, de parades, d‘univers, de références,
de valeurs, de normes, de croyances, de significations, mais aussi de transgressions
et de nouveautés. Il semble qu‘elle va toujours nous surprendre en restant
explicitement dans le périmètre tracé par ces critères.
1
Frédéric Monneyron, La photographie de mode. Un art souverain, ed.Presses Universitaires de
France, 2010, p.177.
2
Le mot Normcore, fraîchement débarqué dans le langage des jeunes, est la contraction des mots
«normal» et «hardcore». Des termes assez opposés qui, une fois unis, militent pour un retour au non-
look, mais de façon presque exagérée.
80
mode « joue aussi un rôle dangereux comme manipulateur pour créer des besoins,
vendre les marchandises et façonner les esprits. »1
Bibliographie:
Ouvrages:
1
Gisèle Freund, Photographie et société, ed.Seuil, 1974, p.204.
81
- Freund Gisèle, Photographie et société, ed.Seuil, 1974.
- Gingeras Alison M., Guy Bourdin, coll. 55, éd. Phaidon.
- Gunthert André, Éditorial in Études photographiques, 1996.
- Harrison Martin, Apparence, la photographie de mode depuis
1945, ed.Chène.
- Herschdorfer Nathalie, Papier glacé : un siècle de photographie de
mode chez Condé Nast, ed.Thames & Hudson, Paris, 2012.
- Howard S. Becker, Exploring Society Photographically, ed.
University of Chicago Press, 1982.
- Lessard Michel, La photographie témoin et servante de la mode in
Cap-aux-diamants, Vol 4, N°2, été 1988.
- Monneyron Frédéric, Sociologie de la mode, ed. Presses
Universitaires de France, Paris, 2006.
- Monneyron Frédéric, La photographie de mode. Un art souverain,
ed.Presses Universitaires de France, 2010.
- Susan Sontag, On photography, ed. Penguin, 1979.
- Sontag Susan, Le monde de l‟image in Sur la photographie, trad.
Ph. Blanchard, Paris, ed. Christian Bourgois, 2008.
- Terrenoire Jean-Paul, Images et sciences sociales : l‟objet et l‟outil
in Revue française de sociologie, Paris, 1985.
- Verthime Shelly, Guy Bourdin: Untouched, ed. Steidl Verlag,
2017.
Thèses de doctorat :
82
- André Gunthert, La conquête de l‟instantané, archéologie de
l‟imaginaire photographique en France (1841-1895), Thèse de doctorat d‘histoire
de l‘art sous la direction d‘Hubert Damisch, soutenue en février 1999, Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales, p.107.
83
84
LE PHOTOMONTAGE A L’EPREUVE DE LA PSYCHANALYSE
Sonia BENARAB
1
« Le concept de pulsion, dit Freud, nous apparaît comme un concept limite entre le psychique et le
somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l‘intérieur du corps et
parvenant au psychisme, comme une mesure de l‘exigence de travail qui est imposée au psychique en
conséquence de sa liaison au corporel. » Ibid., p. 18.
85
selon ses désirs pour impressionner ses parents. En effet, c‘est pour nous-mêmes et
pour l‘autre que nous créons1 avec cette anxiété pour cause d‘un jugement.
L‘art et l‘intention de l‘artiste n‘est-elle pas cette trace que veut laisser
l‘homme pour s‘immortaliser, jouir, communiquer, plaire, déplaire, irriter, ou
tourmenter ? Certes. En positionnant le ressort de cette exploration sur une forme
de psychologie, celle-ci révèle que l‘action humaine peut s‘avérer intentionnelle.
Cela vient, justement des intentions prénommées, qualifiées ou causées par cette
dite action. J‘en conclus que mes intentions dans mes langages photographiques,
seront identifiables par les usages de noms (espace, maison, intérieur, …) qui
forment et justifient dans le sujet la présence des objets photographiés. Dès lors,
mes intentions, mes états mentaux ou mes actes mentaux seront identifiés. Ils me
permettent de distinguer divers rapports à l‘image, diverses préoccupations de l‘art
photographique dans l‘analyse des clichés réalisés et « photomontés ». Rappelons
toutefois que l‘objectif ici n‘est pas de faire de la psychanalyse ou de l‘auto-
psychanalyse, mais de puiser dans quelques connaissances de cette discipline ce
qui permettrait de mieux comprendre et de mieux gérer le discours et l‘étude auto-
poïétique.
1
Nous distinguons deux types de pulsions : les pulsions sexuelles qui sont nombreuses et ont pour but
l‘obtention du plaisir d‘organes, et les pulsions du moi ou d‘autoconservation. Pour Freud, créer, c‘est
détourner les pulsions sexuelles de leur but initial pour les placer au service de l‘art – un processus
qu‘il a appelé la sublimation. Dans son ouvrage « Ma vie et la psychanalyse », Freud a inventé la
psychanalyse appliquée pour tenter de résoudre le mystère de la création artistique, notamment en
analysant l‘œuvre de Léonard de Vinci.
86
I. Photographie et psychanalyse : cadre théorique
1. Image photographique et métaphores de la
psychanalyse :
« Empreinte de réel sans cesse elle se retourne vers et contre le réel qu'elle
enregistre. Parce qu'elle est ressemblante, elle démontre que la ressemblance ne
fait que mieux nous mettre à distance de la réalité du réel pour mieux nous en faire
prendre conscience. Plus la proximité avec les choses s'augmente et plus nous
connaissons l'irréductible différence qui rétablit les choses dans leur vérité propre.
(…) Les photographies convoquent le réel par leur ressemblance manquée » 1 .
C‘est ce vacillement qui s‘installe autour de la réalité se déguisant en image qui
supporte les réflexions de Francois Soulages et Gilles Perriot à travers le
psychiatrique2.
1
Jean Claude Lemagny, préface à « Photographie et inconscient », François Soulages et al.,
Séminaire de philosophie, octobre 1985-janvier 1986, Editions Osiris, 1986, p 7.
2
cf. François Soulages, « Photographie avant analyse » et Gilles Perriot, « La Psychiatrie révélée par
la photographie même », in Photographie et inconscient, op. cit. (à propos des usages psychiatriques
de la photographie au XIXème siècle, voir infra le chapitre sur le laboratoire scientifique : I.2.4).
3
Serge Tisseron, « La photographie entre certitude de réalité et souvenir sans image », in
Photographie et inconscient, op. cit., p 66. Daniel Sibony observe pour sa part que ce phénomène
d'inquiétante étrangeté est particulièrement sensible dans la photographie de famille, qui « rend
87
La photographie faisant une activité similaire à notre mémoire, présente
des images préalablement cachées, des images latentes enfouies par refoulement et
qui se laissaient autrefois entrevoir par les négatifs et aujourd‘hui se déposent dans
les cartes et mémoires des appareils numériques. La ressemblance de la
photographie à l‘appareil psychique fonctionne sur le mode du bloc-notes-magique
établi par Freud : Le bloc-notes-magique analogue au système psychique se
compose de trois couches : une couche de résine, un papier ciré translucide et une
feuille de celluloïd : influence, très remarquable, du système technique
photographique. Le fonctionnement commence en appuyant sur la feuille de
celluloïd qui protège le papier ciré, à son tour celui-ci collera à la résine pour
donner trace. Si l‘on décolle le papier ciré il ne reste plus de traces même si l‘on
voit de légères empreintes sur la résine. Ces trois couches du bloc-notes magique
correspondent 1 , aux trois couches du dispositif psychique : l‘inconscient, le
préconscient et le conscient. Le système préconscient-conscient correspond à la
feuille de celluloïd-papier ciré. Le celluloïd joue le rôle d‘inhibiteur de stimulus
pour diminuer l‘intensité des excitations. La couche de résine joue le rôle de
l‘inconscient qui conserve les traces durables après décollement des autres
couches.
visible le nœud du transfert qui la porte ». Cf. Daniel Sibony, « Photo-transfert », in La Recherche
photographique,n°8, 1990, p 77.
1
Sigmund Freud, « Huit étude sur la mémoire et ses troubles », Édition Gallimard, 2010, p. 135.
88
que les autres la voient et non plus telle que le miroir nous la restitue, de raviver ce
questionnement dont notre premier reflet était d'abord l'objet. Questionnement qui
pourrait bien à son tour étendre son ombre sur la manière dont je reçois toute
photographie… »1
1
Maurice Merleau-Ponty, « Le Visible et l‟invisible », Paris, Édition Gallimard, 1997, p. 64.
2
Ibid.
3
Christophe Joulanne, « Walter Benjamin. Sur l‟art et la photographie », présentation de Christophe
Joulanne, Paris, Édition Carré, 1997, p.8.
4
L'endoscopie photographique, la radiographie, les rayons X en sont l‘illustration. Sans oublier que
les sciences utilisent la photographie microscopique depuis longtemps comme ce fut le cas avec le
télescope. La thermographie représente les températures en images. La photographie aux ultraviolets
permet de détecter les faux documents ou aide à la restauration de tableaux... Plus poétique que
scientifique, au siècle dernier, l‘homme a espéré retrouver un assassin en photographiant le globe
oculaire disséqué de sa victime, obtenant ainsi un optogramme.
5
Philippe Dubois, « L‟Acte photographique », Paris, Édition Nathan, 1990, p. p. 213, 214.
91
croire et du faire croire, de l‟être et du non-être. » 1 Mais, aussi dans un cas
extrême du vouloir à tout prix dévoiler ce qui se passe ou ce qui s‟est passé.
Certes, l‟expérience est intéressante, néanmoins elle relève plus de l‟impossible
car, même si elle a été effectuée, ses résultats sont dans l‟imprécision et présentent
au spectateur une image quasi fantomatique. Serait-ce là un premier point commun
avec ce qui est à définir clairement : l‟inconscient, une notion inaccessible en soi
et qui n‟est, en aucun cas, la découverte progressive d‟une réalité définie de
disposition claire et non équivoque ! Car, l‟optogramme reste « l‟impossible
représentation d‟un irreprésentable » 2 , « trouver cet instant unique, cette faille
(impossible, rêvée) entre la vie et la mort, entre le visible et l‟invisible, c‟est-à-dire
finalement, entre le voir et le non-être. Je vois donc je ne suis pas. Entre les deux,
pas d‟échappée possible – rien qu‟un rêve, des fantômes : la photographie, c‟est la
fiction du fond de l‟œil »3.
« La photographie nous donne aussi loin que nos yeux peuvent l‟atteindre,
éventuellement la supervision, dans le temps et dans l‟espace. Une simple et sèche
énumération des éléments spécifiques photographiques (éléments purement
techniques et non artistiques) suffit pour deviner le pouvoir divin latent et pour
pronostiquer à quoi il conduit. » 4 Ce que Moholy-Nagy appelle 5 pouvoir divin
« L‘optogramme, comme l‘explique Philippe Dubois, est un fantasme scientifique qui a hanté la
seconde moitié du XIXe siècle. En 1870, le docteur Vernois, membre de la société de médecine légale
de Paris, présente la question de l‘optogramme dans un article de la Revue photographique des
hôpitaux de Paris intitulé « Etude photographique sur la rétine des sujets assassinés » dans le but de
retrouver l‘image des meurtriers : « En janvier 1869, M. le Dr Bourion, de Darney (Vosges), adressa à
notre secrétaire général une épreuve photographique portant la mention suivante : Cette photographie,
offerte par Dr Bourion, a été prise sur la rétine d‘une femme ayant été assassiné le 14 juin 1868. Elle
représente le moment où l‘assassin, après avoir frappé la mère, tue l‘enfant, tandis que le chien de la
maison se précipite vers la malheureuse petite victime. »
1
Ibid., p. 214.
2
Ibid., p. 215.
3
Ibid., p. 216.
4
Laszlo Moholy-Nagy, « Peinture photographie film et autre écrits sur la photographie », Édition
Jacqueline Chambon, Paris, 1993, pp. 192. 193.
5
Parallèlement aux procédés techniques photographiques ou auxiliaires de la photographie que
donne Benjamin, Moholy-Nagy cite quelques-unes des « variétés de la vision photographique5 » ou
ce que permet la technique photographique : tel que la vision par la création lumineuse : le
photogramme, la vision exacte des apparences : reportage, l‘instantané, la vision par un temps plus
long à l‘exposition, la vision microphotographique et philtrophotographie située dans des régions très
éloignées embrumés, enfumées et obscures : Photographie infra rouge, la vision par rayons X :
92
latent peut rejoindre ce que Walter Benjamin désigne par ce qui se passe ou
inconscient optique, qui pourrait se dire des aperceptions qui ont lieu et que nous
n‘avons pas conscience.
Les auxiliaires techniques que propose Benjamin et les variétés de la
vision photographique de Lazlö Moholy-Nagy restituent un deuxième état de
la chose qui se présente. Une double représentation se trouve dans un même et
unique objet. À partir de là, dès que la technique s‘interpose entre l‘œil et un objet
donné, celle-ci dévoile une autre nature. « La nature captée par la caméra est
forcée dans ses derniers retranchements, car elle demeure habituellement
invisible. »1
L‘analogie et les divergences subsistent entre l‘œil et l‘appareil
photographique. Il s‘agit, d‘abord, d‘optique et, surtout, d‘une question spécifique
à la vision concernant l‘objet vu dans son univers en trois dimensions, et l‘objet
photographié, produisant une image photographique sur un même plan en deux
dimensions.
1
François Soulages, « Esthétique de la photographie la perte et le reste », Éditions Nathan, Paris,
1998, p. 75.
2
G. Fernàndez Carrera, « La Photographie. Le Néant, digressions autour d'une mort occidentale »,
Presses universitaires de France, 1986, p 27.
94
une chambre peinte en bleu réside encore dans ma mémoire. Paradoxalement c‘est
une chambre que je n‘ai pas photographiée. Pour les autres chambres peintes en
vert et couleur saumon les souvenirs s‘emmêlent dans ma tête et seules les traces
de mes photocompositions surgissent.
95
l‘imagination se caractérisant par un laisser-aller de l‘esprit à diverses évocations
successives.
96
Un chaos que présente ma cuisine qui me rappelle à l‘ordre d‘une activité
que je déteste plus que tout. Je rafle du regard et avec mon appareil photo pour
surmonter le quotidien.
Je me réfère à cette forme de discours pour, mes prises de vue et pour mes
photocompositions qui en découlent. Toutes les images que capte mon regard
(Fig.2-3), et dont je ne me souviens pas, sont là quelque part enfouies dans ma
mémoire. Mes clichés, prises de mes regards, sont stockés dans mes outils
numériques. Ces moments marquants reconstitués avec les logiciels informatiques,
représentant mes espaces sont cette forme agréable de mes résistances à décrypter.
L‘association à la résistance des formes artistiques est en rapport direct avec
l‘intensité psychique que je traverse dans certains espaces.
1
« L‟énigme du contenu du rêve, touffu et comprimé dans le moment le plus bref, nous a semblé
pouvoir s‟expliquer comme la brusque appréhension d‟une production psychique longtemps préparée
et achevée. » Sigmund Freud, « L‟Interprétation des rêves », Édition Puf, 1996, p. 501. Sachant que
l‘un des points importants à noter dans la théorie Freudienne c‘est que les désirs d‘origine infantile
sont le moteur essentiel pour la formation de tout rêve.
97
où l‘énergie cherche à se décharger pour se maintenir, elle se transforme en
investissement arrêté. Pour se maintenir, mes pensées arrêtées sont absorbées par
d‘autres représentations des désirs inconscients actifs. Elles s‘emparent de
l‘excitation des pensées laissées à elles-mêmes et font, dans un premier temps, la
liaison entre ces pensées et un désir inconscient. Le renforcement que subissent ces
pensées leur permet de surgir à la conscience1, et de se matérialiser d‘abord en
photographies (prises du regard) puis en photomontages.
Les différentes représentations étranges des rêves, sont capables de former
des représentations de grandes intensités. Projetée dans les procédés
photographiques, cette opération entraîne l‘accumulation d‘une suite de pensées sur
un seul élément représentatif (une photographie réalisée), et se déroule suivant les
mécanismes de compression ou de condensation 2 , de déplacement 3
, de
symbolisation et de dramatisation. Tous ces déterminants s‘accordant parfaitement
avec la photographie. Ces mécanismes opèrent dans le but d‘obtenir les intensités
nécessaires pour faire irruption dans le système perceptif par des représentations à
formes mixtes et anormales, des compromis4. Il s‘agit de simples manifestations de
l‘inconscient ou des irruptions de l‘inconscient dans la conscience comme des
lapsus, des oublis momentanés d‘objets ou de projets, de perte d‘objets, d‘actes
manqués et de fausses perceptions (non-perception ou aperception). Les instants de
ma vie réelle en tant que photographe se rassemblent en ces termes.
Selon la pensée freudienne la formation des rêves est due à deux processus
psychiques différents : l‘un intervient en créant des pensées de rêve semblables à
1
Par rapport aux pathologies, Freud affirme qu‘« à partir de là, le courant de pensées subit une série
de transformations, qui ne sont plus des processus psychiques normaux et dont le résultat surprenant
est une formation psychopathologique. ». Ibid., p. 506.
2
« Dans le processus de condensation, toute la cohésion psychique est transposée en intensité du
contenu représentatif. C‘est comme lorsque je mets en italique ou en caractères gras un mot qui me
paraît particulièrement important pour la compréhension d‘un texte. En parlant, je prononcerais ce
même mot plus haut et plus lentement que les autres, j‘insisterais ». Ibid.
3
Filloux, op. cit., p.71. « Il y déplacement lorsqu‘une pulsion substitue, à son objet propre, un autre
objet » … « L‘objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Le but
d‘une pulsion est toujours la satisfaction ». Sigmund Freud, « Métapsychologie », Édition Gallimard,
2002, pp. 18. 19.
4
Les « compromis », se forment dans le but « de satisfaire partiellement, et la partie consciente de la
personnalité, et l‘inconscient domaine du refoulé : les formations de compromis, ce sont précisément
les symptômes névrotiques ».Sans que cela soit des symptômes névrotiques. Ibid., p.41.
98
celles de la veille et l‘autre procède à la manifestation de pensées étranges.
Comparons le processus de création des images, qu‘elles soient photographiques
ou autres, à celui de la formation des rêves. L‘accumulation d‘excitations, éprouvé
comme un déplaisir (être dans état d‘inconfort : situation imposée, chambre au
décor insupportable, taches ménagères détestables), provoque la répétition de
l‘expérience de satisfaction (d‘atteindre le plaisir esthétique) afin de diminuer
l‘excitation et atteindre le plaisir. Mais, il s‘avère que désirer (prendre des
photographies ou peindre) provient de l‘investissement du souvenir de satisfaction
qui pour se maintenir se trouve dans l‘incapacité de faire cesser le besoin d‘aboutir
à la satisfaction (sinon pourquoi prendre et reprendre des photographies, peindre et
repeindre autant de fois qu‘il est possible et nécessaire de le faire). C‘est ainsi que
parfois une autre activité entre en jeu pour interdire au souvenir de satisfaction
d‘atteindre la perception1 : le refoulement.
J‘utilise le photomontage dans le but de générer, par la représentation, des
espaces inexistants ou qui ne peuvent se présenter de la sorte dans le monde réel
(Fig.4). Dans cette pratique, je me soucie de dissiper au mieux le montage afin de
parfaire l‘illusion et de nourrir le vraisemblable. Le montage des photogrammes est
traité de façon numérique et ensuite imprimée donnant l‘impression au spectateur
d‘être devant une unité spatiale. Mais, au regard attardé de celle-ci, « un certain
nombre d‟éléments secondaires se font rapidement remarquer… un ensemble de
signes qui conspirent contre la lecture lisse de l‟image en lui conférant une
rugosité, une dimension d‟étrangeté, ou de suspicion. Provisoirement, nous
nommerons une telle conspiration, l‟Inconscient photographique »2.
1
« Voilà jusqu‘où nous avons déjà conduit notre schéma de l‘appareil psychique ; les deux systèmes
sont le germe de ce que nous nommerons, dans l‘appareil achevé, l‘inconscient et le préconscient. ».
Ibid., p. 509.
2
Cette citation est prolongée par une note entre parenthèses disant : « (l‘expression appartient à
Benjamin mais, on le verra, elle est étendue, projetée, prolongée à des phénomènes auxquels, sans
doute, Benjamin n‘a jamais songé). » Ruiz, « Poétique du cinéma », op. cit., p. 55.
99
ironie que j‘ai pu vivre, expérimenter et enfin déjouer avec mes photomontages
(Fig.4). Les recherches théoriques et artistiques se sont toujours manifestées en
réponse à cette farce que : depuis les romantiques, et, bien avant depuis l‘antiquité,
les efforts se sont déployés afin de capter et varier les possibilités pouvant s‘offrir
dans les illusions et jeux de l‘optique. À cet égard, Platon avait dit dans « la
République » Livre VII1 que les images sont d‘abord les ombres, ensuite les reflets
qu‘on voit dans les eaux ou à la surface des corps opaques, polis et brillants, et
toutes les représentations de ce genre. Il entend que la réalité intelligible est le vrai
réel et que les objets du monde ne sont que des reflets.
1
Platon, La République Livre I à X, établi et traduit par Émile Chambry, (1982/1989) Paris,
Gallimard éditeur, coll.Tel, 1992, Livre VII.
100
chronophotographie. Rosalind Krauss, en intitulant son ouvrage : « L‟inconscient
optique », relate l‘histoire de cette puissance visuelle nommée « inconscient
optique » tel une force indomptable et dérangeante n‘ayant jamais cessé de hanter
le champ du modernisme des années 20 aux années 50, et continue à le perturber
aujourd‘hui. Elle s‘appuie sur des artistes qui ont offert la meilleure représentation
de leurs fantasmes et de leurs obsessions, en proposant une appréhension de
l'œuvre dans sa structure même, dans l'immédiateté de la vision de son auteur.
La différence essentielle entre l‘œil et la machine réside dans la perception.
L‘impression en tant que moyen ou plutôt finalité de nos organes de sens peut être
altérée. Il arrive que la perception ne renvoie pas idéalement ce qui se passe :
percevoir sans s‘apercevoir. Pour donner un exemple : il m‘arrive parfois de tenir
conversation avec une personne en tête à tête, yeux dans les yeux : je la regarde me
parler, mais je n‘entends rien ou il me semble ne rien entendre et réalisant la
situation, j‘entends un mot, parfois le dernier. Les mots que j‘ai entendus auxquels
je n‘ai pas fait attention, ne se sont pas transformés en informations pour prendre
sens dans mon esprit. Il m‘arrive, aussi, dormant à l‘hôtel ou dans un endroit
inhabituel, au moment d‘un réveil nocturne ou au petit matin encore allongée sur le
lit, de penser découvrir la porte de la chambre à ma gauche comme c‘est le cas
chez moi (Fig.5). Je la cherche des yeux mais ne la perçois pas. La situation dure
quelques secondes, donnant une surimpression de deux espaces qui se créent dans
ma tête. C‘est une confusion inconsciente due à l‘entre-deux du sommeil-éveil qui
me fait perdre la conscience de l‘espace.
1
Rosalind Krauss, « Le photographique, Pour une théorie des écarts », Édition Macula, 1990, p122.
2
François Noudelmann, « Image et absence, Essai sur le regard », Édition L‘Hartmann, Paris, 1998,
p. 137.
102
dont celles des publicités, à l'aide des concepts rhétoriques a été proposée par
Roland Barthes1 quand il ajoutait que cette rhétorique ne pourrait être constituée
qu'à partir d'un inventaire assez large, mais qu'on pouvait « prévoir dès
maintenant qu'on y retrouverait quelques-unes des figures repérées autrefois par
les Anciens et les Classiques »2.
1
Roland Barthes, « Rhétorique de l'image », in Communications, n°4, Paris, 1970, p. 40.
L‘analyse approfondie d'une annonce le conduisait à jeter les bases d'une « rhétorique de l‘image ».
2
Ibid., p. 50.
103
l‘espace matériel. Un tiers percevant mon photomontage, peux ne pas reconnaître
l‘architecture de l‘espace.
104
métamorphose, répétition, dédoublement ou hyperboleen agrandissement, ellipse
en montage, etc.
Conclusion :
1
Gaston Bachelard, « La Psychanalyse du feu, Le complexe de Novalis », (1949) Paris, Édition
Gallimard, coll. Folio essais, 1985, p 48.
105
photographie et aux photomontages dans ce rapport allant de l‘individu au collectif.
La sollicitation de la mémoire et l‘adaptation des souvenirs à ces travaux offre cette
compréhension de l‘espace-temps qui tisse les liens entre ce qui est visible et
l‘invisible. Donc, avec les archives photographiques reconstituées par
photomontage, se formule une réactualisation de certaines séquences de ma vie
comme une instance de vigilance, travail d‘inspection permettant l‘exposé,
l‘analyse, l‘évaluation, l‘explicitation, et enfin la légitimation de ma démarche. Le
trajet réel se précise entre des images vues ou intuitionnées et ce que je peux en
dire dans l‘explication non seulement du comment elles auraient été produites mais
aussi, du pourquoi.
106
L’ART DE LA PHOTOGRAPHIE ET L’INTERDISCIPLINARITE
EN PARTAGE : COOPERER POUR INNOVER?
Basma HNANA
1
L'âme du photographe: Comment donner un sens à vos images ?, David Du Chemin, Ed. Pearson,
2009, p.156.
107
déterminées. Actuellement la chambre noire a cédé sa place aux logiciels de
traitement d‘images et de retouches des photographies digitales et numériques.
Les deux approches se sont appuyées sur le monde palpable puisque les
scènes photographiées ont véritablement subsisté. Mais l‘énorme antinomie entre
les deux approches est que l‘une est une image authentique d‘un moment donné et
d‘un endroit bien déterminé et que l‘autre est une interprétation du monde réel.
D‘où, les disciplines photographiques ne sont pas toutes en rapport avec le volet
artistique puisque, quelques-unes reproduisent la réalité telle qu‘elle est, où le
photographe documente un fait précis.
Deux siècles en arrière, figer un instant dans le temps grâce à une image
était irréalisable. Pourtant, maintenant, que l‘on soit spécialiste ou amateur,
enthousiaste ou simplement affairé de sauvegarder une trace de ses souvenirs,
l‘appareil photo est absolument l‘une des découvertes dont l‘utilisation est devenue
un besoin délié. Bourdieu affirme que « le besoin de photographier n‟est pas autre
109
chose qu‟un besoin de photographies qui, grâce à leur qualité de reproduction du
réel, témoignent et expriment la vérité du souvenir »1.
1
Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales, Ed. Maison des sciences de l'homme,
2000, p.84.
2
Le Cours de photographie de René Bouillot 6e édition, Ed. Dunod, p.7, 2016.
3
Charles Chevalier : (1804-1859) ingénieur-opticien français. Il travaille dans l'effervescence
scientifique des années 1840-1850, à l'amélioration du procédé photographique.
4
Guide du photographe. Description et emploi raisonné des instruments d‘optique appliqués à la
photographie, documents historiques, Charles Chevalier, Paris, 1854, p. 1.
110
Dans le même contexte, Wim Wenders déclare qu‘ « avec l‟image
numérique, le rapport image-réalité est cassé pour toujours. Nous approchons une
époque où personne ne pourra dire si une image est vraie ou fausse »1.
1
. Florence de Méredieu, Arts et nouvelles technologies, Wim Wenders, Ed. Larousse, Québec-
Canada, 2005, p.197
2
Photographie contemporaine et art contemporain, sous la direction de François Soulages et Marc
Tamisier, Ed. Klincksiek, Paris, 2012, p.48.
111
professionnels, n‘est pas facile comme le croyait les amateurs. Si cette technique
avec son ampleur et sa richesse, entre dans un cadre collaboratif dégagée par
l‘interdisciplinarité et par l‘interconnexion entre les arts, quelle aubaine ajoutée lui
sera offerte ?
A partir des années 1960 la photographie est entrée dans le champ des arts
plastiques et elle n‘en n‘est jamais ressortie. Elle intègre dès lors, progressivement
les salles d‘exposition. Ayant envie d‘enrichir et de renouveler leurs approches
photographiques, plusieurs sont les photographes qui œuvrent autour du
développement de leurs expériences dans la perspective de l‘interconnexion des
disciplines pour une pratique plus prometteuse, équilibrée et plus inventive. De
même, nombreux sont les plasticiens qui exploitent l‘appareil photographique
comme médium d‘expression et peignent avec sa lumière au lieu du pinceau. Gina
Pane, body-artiste, intègre la photographie dans le processus de sa création et
déclare que : « La photographie, c‟est mon pinceau »1.
1
Entretien avec Bernard Marcadé, in Ceci n‘est pas de la photographie, Bordeaux, FRAC-Aquitaine,
1985, p.24.
112
On peut de même se rappeler de l‘artiste Man Ray qui s‘est offert un
appareil photographique pour reproduire ses propres œuvres d‘art. Ses
photographies le poussaient à la destruction des originales et au maintien des
reproductions uniquement. Il explique par ailleurs : « J‟ai commencé par être
peintre. En photographiant mes toiles, j‟ai découvert l‟intérêt de leur reproduction
en noir et blanc. Un jour, j‟en suis venu à détruire l‟original pour ne garder que la
reproduction. A partir de là, je n‟ai jamais cessé de croire que la peinture est une
forme d‟expression dépassée, et que la photographie la détrônera quand le public
sera visuellement éduqué… Pour moi, une chose est sûre- j‟ai besoin
d‟expérimenter sous une forme ou une autre. La photographie m‟en donne le
moyen, un moyen plus simple et plus rapide que la peinture» 1 . Au départ, la
photographie était, pour lui, un moyen d‘enregistrement et de sauvegarde de ses
pratiques artistiques, ensuite il peint pour photographier sa peinture, enfin la
photographie devient une finalité en soi, toute à fait autonome de la peinture. La
photographie de ses œuvres ne demeure plus en tant que simple enregistrement
pour faire un constat ou une autocritique, mais plutôt un enregistrement pour
développer les possibilités de condition de la même œuvre. Il abandonne, dès lors,
l‘esthétique de la peinture pour celle de l‘art de la photographie. Il désirait « être
totalement libéré de la peinture et de ses implications esthétiques » 2 . Cette
expérience peut mettre l‘index sur le cheminement de cet artiste, alternant entre la
peinture et la photo-peinture. Man Ray enracine la photographie et la peinture dans
la logique de sa création, on se trouve au cœur de la transdisciplinarité qui a pu
ouvrir de nouveaux horizons face à ce plasticien. On peut dire concernant cette
approche que la photographie de la peinture de Man Ray marque bien le passage de
la photographie comme document de l‘œuvre à la photographie de notation.
1
Cité in MAN RAY, Centre National de la Photographie, Photopoche n°33, 1992, p.5.
2
Idem, p.6.
113
Le Violon d’Ingres, 1924 Noire et Blanche, 1926
Notons cependant que dans son cadre relationnel avec les autres formes de
l‘art, la photographie sert uniquement à l‘enregistrement de l‘œuvre. C‘est un
moyen pour garder la trace des nouvelles catégories de disciplines artistiques qui
ont émergé à partir des années 50, telles que l‘Arte-povera, le Land Art, le Body-
art, les Happenings, les installations et les performances, en vue d‘éterniser l‘Art.
114
d‘Enrico Job, et tant d‘autres qui photographient leurs compositions et y
interviennent par un jeu d‘échelle pour réaliser une œuvre d‘art
N'est-ce pas ici le cas de dire que dans la majorité des genres de
collaboration et d‘interconnexion, la photographie a un rôle actif. Elle intervient
sur la reproduction de l‘œuvre, qui ne soit pas fidèle à l‘originale. Elle intervient
dans la transformation, l‘authentification et le sauvegarde des interventions
chorégraphiques et des pratiques éphémères, puisque le photographe a sa propre
opinion, concernant le cadrage et l‘éventail des paramètres photographiques. La
photographie transforme l‘art et agit sur sa réception (les détails de traitement, les
dimensions réelles, l‘échelle des objets, l‘appartenance stylistique,…), et transmute
115
l‘œuvre d‘art de son monde palpable à un autre intangible, c‘est-à-dire d‘un monde
réel à un autre irréel, voire même de sa matérialité à son immatérialité.
La photographie réunit, non seulement, tous les arts sans exception, mais le
plus important, c‘est qu‘elle les incorpore en elle et s‘en ravitaille. Elle assure dès
son invention l‘actualité des œuvres d‘art et rend contemporain et éternel tout type
d‘art, puis, elle devient incitatrice et dictatoriale face à l‘Art. Autrement dit, la
photographie est indispensable pour toutes les disciplines artistiques sans exception
c‘est-à-dire elle est essentielle à l‘art. Tout d‘abord parce qu'elle représente un
moyen pour l‘art, ensuite parce qu'elle a l‘opportunité d‘être une fin en soi de l‘art
actuel.
116
carrefour », espace de rencontre de différentes disciplines scientifiques et
artistiques.
Cette idée démontre bien ce que la science, conjuguée à l'art, peut nous
fournir de nouvelles technologies sensorielles. Ceci laisse penser que l‘art est une
pratique aussi physique que spirituelle. En fait, les sciences humaines et sociales
ont largement contribué à mettre en perspective les usages, les processus de
production comme de circulation des images, aboutissant à convertir la
photographie en un véritable objet culturel aux multiples implications
sociologiques. En effet, « les productions scientifiques publiées depuis la fin du
XXe siècle témoignent du développement de ce champ où l‟image photographique
est considérée comme un instrument de recherche à part entière dans la
compréhension du monde contemporain et de son histoire »1.
1
Conord, Sylvaine. « Usages et fonctions de la photographie », Ethnologie française, vol. vol. 37, no.
1, 2007, pp. 11-22.
117
L‘avènement des technologies numériques a remis en question les acquis
de l‘Art et surtout il a détourné constitutionnellement et concrètement l‘art de la
photographie. En effet, l‘art de la photographie argentique amalgamé aux
technologies numériques est nommé photographie numérique. Si le numérique
ravage in extenso la photographie, c‘est parce que la photographie numérique
invente une toute autre circulation et investiture des photos issues d‘un appareil
ayant une nouvelle vision donc un nouveau possible aboutissant à une nouvelle
image. Avec un appareil numérique, la relation entre le photographe et le monde
change complètement, il n‘attend plus le développement de ses captures mais
plutôt il les consulte et les médite directement dans leur nouveau foyer à travers
l‘écran. L‘appareil n‘est plus un simple outil, mais plutôt un lieu de contemplation
et d‘intervention. Il s‘agit bien d‘un passage du réel à « l‘écranique »via un
appareil à multiple fonctions (photographique, numérique et informatique).
118
peut être purement technique via un processus technologique. Le résultat est
l‘enregistrement de prises de vue de l‘ensemble de la terre en couleurs telles
qu‘elles sont dans la réalité.
119
compte les systèmes de géolocalisation par satellite « GPS ». Ce programme offre à
l‘utilisateur un tour du monde en restant devant l‘écran de son ordinateur ; il est
régulièrement mis à jour, et propose de plus en plus de fonctions concernant la
détermination des coordonnées géographiques de chaque point appartenant à la
surface terrestre et les itinéraires entre une position donnée et un autre endroit.
120
interactive et personnifiée. L‘expérience est ainsi allégorique des carrefours entre
les logiques « hyper-médiatiques1 » et « cyber-médiatiques2 ».
1
Hypermédiatiques : C‘est un sous-concept de l‘univers numérique, dont il est le dérivé du
terme hypermédia. Il assimile un fondement analogique entre des images, du texte et du son dans une
interface de type écran. Les pratiques hypermédiatiques «sont caractérisées par des hyperliens, une
non-linéarité, la présence d‘une interactivité soutenue, l‘interconnexion, et une grande
hétérogénéité» : Bertrand Gervais, « Arts et littératures hypermédiatiques : éléments pour une
valorisation de la culture de l‟écran », Digital Studies/Le champ numérique, vol. 1, no 2, 21 février
2017.
2
Cyber médiatiques : Préfixe des termes ayant un rapport aux méditations ou pratiques humaines sur
le réseau Internet. C‘est relatif aux médias présents dans le cyberespace.
121
opérations effectuées sur les prises de vue originales. Cette action associe les
disciplines et opte pour leurs coopérations en faveur d‘une création artistique
innovée et renouvelée. Cette interdisciplinarité est basée sur l‘interconnexion entre
la photographie, les moyens du bord techniques, technologiques, numériques et les
sciences de l‘informatique. La sensibilité des artistes photographes, le
professionnalisme des concepteurs techniques et le savoir des informaticiens
favorisent une dynamique interdisciplinaire qui contribue au jaillissement d‘une
créativité spécifique entre les images photographiques et les rouages
algorithmiques. C'est notamment le cas du programme Google-Earth.
Au cours de cette étude nous avons tenté d'illustrer et de mettre en lumière
la méthodologie interdisciplinaire exploitée par l‘équipe d‘experts du logiciel
Google-Earth, et la figure ci-après illustre les interconnexions disciplinaires qui ont
modulé ce programme :
122
123
Les images photographiques représentent la principale attraction de ce
dispositif. Ce sont les principaux piliers mis à la portée d‘un grand public, elles
constituent un éventail de visualisation numérique des données au service de leur
organisation spatiale : « l‟objectif de la société Google est d‟organiser les savoirs
du monde entier et de les rendre disponibles et accessibles universellement. Face à
cet objectif, la carte du monde proposée par Google est une base sur laquelle
s‟accumulent tous les renseignements recueillis. En d‟autres termes, cette carte est
un chemin d‟accès à tout type d‟information localisée, c‟est-à-dire une voie
“royale” pour la recherche d‟informations localisées »1.
1
Potentialité du géoweb, L'Internet sémantique géographique, Robert Laurini et Sylvie Servigne,
Dans L‘Espace géographique 2011, tome 40, p.110.
2
Florence de Méredieu, Arts et nouvelles technologies, Wim Wenders, Ed. Larousse, Québec-
Canada, 2005, p. 197.
124
En guise de conclusion et en remuant la chronique de la photographie vers
une méditation de ses emplois et de ses significations nous estimons que les
sciences offrent une diversité de disciplines. La permutation des regards théoriques
permettent une coopération pour l‘accomplissement d‘une méthodologie
interdisciplinaire. Cette interconnexion des approches représente un intérêt
scientifique et méthodologique pour toutes les sciences de l‘Homme.
CONCLUSION :
1
Painting and Photography: 1839-1914, Dominique de Font-Réaulx, Ed.Random House Incorporated,
2012 p.76.
125
techniques et comportementales sont positives ; on est dans un monde où tout sera
centralisé, fusionné au sein d‘un seul appareil.
126
cadres de référence (cadres scientifiques, « cadres techniques », cadres
médiatiques, contextes socio-culturels ou politiques…). Comme pratique artistique
interdisciplinaire, la photographie peut servir certainement comme jalon qui lie les
sciences humaines et sociales à une approche pluridimensionnelle pour repenser
l‘Homme.
127
Références bibliographiques :
Ouvrages individuels :
Ouvrages collectifs :
128
"MANGER A L’ŒIL"1 : LA PHOTOGRAPHIE A L’EPREUVE
DU CULINAIRE
L‘image photographique est certes silencieuse mais elle est aussi inodore et
surtout insipide ! Généralement, l‘image d‘une odeur ou d‘un goût, est le souvenir
qu‘on en a. Mais la fixer visuellement dans une image photographique semblerait
impossible. Pourquoi les photographes s‘abstiennent-ils alors aujourd‘hui à ériger
la photographie culinaire comme une pratique qui commence à définir son propre
territoire dans le domaine de l‘art en tant que discipline à part entière ?
1
Du 20 juillet jusqu‘au 30 septembre 2018, l‘exposition « Manger à l‘œil » s‘est installée au Mucem à
Marseille. Une exposition ludique qui raconte l‘histoire des habitudes alimentaires des Français de
1823 à nos jours, à travers près de deux siècles de photographies.
2
Michel MELOT, Dossier Image, BBF 2001 Paris, t.46, n°5. http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2001-
05-0015-001
129
manger dans l‘image photographique. La cuisine étant un acte culturel par
excellence qui ne se limite pas à la facette gastronomique, elle doit être considérée
dans ce qui détermine sa dimension symbolique et socioculturelle. « L‟artification
et la spectacularisation du culinaire »1 qui se fait via le médium photographique
n‘est pas, certes, sans rapport avec la société et ses mutations. La photographie
culinaire n‘est pas, pour cela, un simple enregistrement d‘un mets ou une fixation
d‘un souvenir censé s‘évanouir sous l‘emprise du temps. La rencontre du culinaire
et de la photographie comme deux disciplines différentes ne relève pas d‘une
simple variation des référents soumis à l‘enregistrement photographique. C‘est
plutôt à l‘émergence d‘une nouvelle discipline que l‘on assiste : il s‘agit ici de la
photographie culinaire comme discipline.
1
Cohen, Évelyne, et Julia Csergo. « L'Artification du culinaire », Sociétés & Représentations, vol. 34,
no. 2, 2012, p. 7.
130
vie, d‘autre part. Ceci, en tenant compte des conditions qui suscitent des attitudes
devant la « table » de plus en plus diversifiées. Se nourrir est un besoin biologique
important et c'est aussi une activité sociale, culturelle, très respectée dans les
familles tunisiennes traditionnelles. Notre temps est différent de celui de nos
grands-parents. Avant, les femmes étaient ordinairement toutes des femmes au
foyer, qui s‘occupaient d‘une dizaine d‘enfants, préparaient à manger et faisaient le
ménage. Les maris étaient très exigeants, surtout en ce qui concerne la cuisine. Il
fallait faire attention que le repas ne soit ni salé, ni brûlé ; le risque pour ces
femmes étant un divorce. Aujourd‘hui, manger nécessite de mobiliser presque toute
la famille, y compris le mari.
Dans notre pays, les gens apprécient beaucoup les repas conviviaux en
famille ou entre amis, ce partage est même une exigence morale. Ce que nous
mangeons, et la manière dont nous le mangeons, ont un impact sur notre vie et nos
comportements. «Faire-la-cuisine est le support d‟une pratique élémentaire,
humble, obstinée, répétée dans le temps et dans l‟espace, enracinée dans le tissu
des relations aux autres et à soi-même, marquée par le “roman familial” et
l‟histoire de chacune, solidaire des souvenirs d‟enfance comme des rythmes et des
saisons.»1
1
Michel DE CERTEAU, Luce GIARD, Pierre MAYOL, L‟Invention du quotidien, 2. Habiter,
cuisiner. Paris, Edition Gallimard, 1994. p. 221 - 222.
2
Ibid. p. 221 - 222.
131
2- La représentation du manger dans l’image
photographique :
Dans le sérieux de cet acte de manger, acte de survie et de quotidien,
beaucoup de photographes se sont élancés. Des photographies montrent des rituels
qui ont permis de distinguer des actes, des repas et des cultures différentes.
Laura Letinsky, Sans titre n ° 38, de la série À peine plus que jamais, 2001
1
Charlotte COTTON, La Photographie dans l‟art contemporain, Traduit de l‘anglais par Pierre Saint
Jean, Londres, Edition Thomas & Hudson, 2005, p.132.
132
What I eat est le dernier recueil photographique de Peter Menzel qui fait
suite à la série What the world eats, réalisée avec sa femme Faith D'Aluisio.
Ensemble, ils ont parcouru le globe pour observer le rapport des hommes à la
nourriture. Les photos témoignent plus que tous, sur la pauvreté des pays du sud et
soulignent fortement le contraste avec les pays occidentaux. Ils ont remarqué aussi
que les plus pauvres avaient une alimentation plus riche en nutriments que les
occidentaux qui pourraient se permettre plus de produits frais par exemple. Cette
série d'images de Peter Menzel est pertinente et prouve que nous ne sommes pas
tous égaux devant le manger.
133
Photographies de plats, de fruits et de légumes, des images qui donnent
envie ! Chaque composition photographiée doit généralement ouvrir l‘appétit et
inspire sa propre cuisine mais aussi elle doit ouvrir les papilles et donner faim!
Mais avant cela, la photographie culinaire était avant tout une nature morte.
Cette mise en scène existe bien avant l‘apparition de la photographie. En effet, la
nature morte était utilisée comme sujet en peinture. De nombreux peintres se sont
prêtés à l‘exercice de la représentation des choses naturelles ou plus précisément
"cose naturali" comme l‘appelait Vasari.
1
La photographie culinaire : manger avec les yeux, Contenu de Marque
(https://parismatch.be/author/cdemarque) | Publié le 21 juin 2017 | Mis à jour le 26 juin 2017
https://parismatch.be/lifestyle/voitures-et-mobilite/52465/photographie-culinaire-manger-yeux
134
représentation du mouvement et entre autres ils ont repris les codes de la nature
morte. L‘ombre et la lumière sont très importants pour obtenir une belle photo.
Cette technique de représentation des aliments a évolué pour s‘intéresser plus aux
aliments et moins aux artifices. « Mais qu‟est-ce exactement que la nature morte ?
Une définition est parfaite, c‟est celle de Charles Sterling, expert en la matière qui,
en 1952, écrivait : “ ...Une authentique nature morte naît le jour où un peintre
prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et d‟organiser en une entité
plastique un groupe d‟objets. Qu‟en fonction du temps et du milieu où il travaille,
il les charge de toutes sortes d‟allusions spirituelles, ne change rien à son profond
dessein d‟artiste : celui de nous imposer son émotion poétique devant la beauté
qu‟il a entrevue dans ces objets et leur assemblages”. » Jean Turco ajoute qu‘ « Il
suffit de remplacer peintre par photographe et tout est dit ! Un genre à essayer,
absolument.»1
1
Jean TURCO, La nature morte L‟art de l‟éclairage, Pearson Education France, 2012. p. 22.
2
2017.
3
FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA PHOTOGRAPHIE CULINAIRE : GASTRONOMIE ET
HAUTE COUTURE À L‘HONNEUR - 6 NOVEMBRE 2017
https://phototrend.fr/2017/11/festival-international-de-la-photographie-culinaire-2017/
135
Jupe évasée Six Pans En Satin De Soie Imprimée FRANCESC GUILLAMET
La soupe aux truffes Elysée VGE de Paul Bocuse vue par Patrick Rougereau.
136
aussi une pratique populaire et commerciale, on pense à la publicité ou à la presse
et ce parallélisme donne lieu à des classifications de genres qui perdurent, voire se
renforcent. »1
Devant des publicités pour des fast foods ou face à des affiches de
restaurants on a bien remarqué qu'il y a une grande différence entre ce qui est sur la
photo et ce que l'on va consommer. Cette différence varie et dépend des aliments et
des lieux où on les consomme.
1
Jean LAUZON, La photographie malgré l'image, University of Ottawa Press, 2002. Préface.
137
*
*
https://hitek.fr/42/astuces-nourriture-publicite_4734
1
Louis-Georges Soler, Publicité et comportements alimentaires, Inra UR 1303 ALISS, Alimentation
et sciences sociales, Ivry sur Seine p. 473.
http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/6522/?sequence=22
138
La photographie est-elle une représentation fidèle de la réalité ? J‘entends
ici par réalité, le sujet photographié ou plus spécifiquement la chose placée devant
l‘objectif au moment de la prise photographique. Chaque photographie est une
affirmation de l‘existence d‘un instant, d‘une pose, d‘un lieu précis. La photo
devient un « miroir », un « témoin » de cet instant photographié.
Toute image photographique est considérée comme une trace d‘un réel qui
a déjà existé. Roland Barthes écrit : « …Au contraire de ces imitations, dans la
photographie, je ne puis jamais nier que la chose a été là. » 1 Toutefois, la
photographie n'est pas qu‘une technique, c‘est avant tout un art, dont les buts sont
multiples: informer, communiquer, provoquer, remémorer, faire comprendre un
concept, etc. La liste pourrait s'étirer longuement. On peut dire que la photographie
est un moyen de communication qui transmet des émotions et une vision du
monde. Elle reste un outil qui sert à figer des instants, fixer des lieux, afin d'en
conserver la mémoire. « La photo apparaît ainsi, au sens fort, comme une tranche,
une tranche unique et singulière d‟espace-temps. »2. Aussi fait-on encore souvent
involontairement l'amalgame entre la réalité et l'image.
1
BARTHES Roland. La chambre claire. Note sur la photographie. Paris, Cahiers du cinéma
Gallimard Seuil, 1980. Page : 120.
2
DUBOIS Philippe. L‟acte photographique et autres essais. Ed Nathan, Série Cinéma et image, 1990.
Page : 153.
3
BARTHES Roland. La chambre claire. Note sur la photographie. Paris, Cahiers du cinéma
Gallimard Seuil, 1980. Page : 119.
139
concentre le regard sur le superficiel. Ainsi elle obscurcit la vie secrète qui brille à
travers les contours des choses dans un jeu d‟ombre et de lumière. »1
Dans le cas contraire, tous les réalisateurs de films de fiction seraient des
menteurs, des affabulateurs. L‘auteur expose deux adjectifs qui « découlent de
fiction : fictionnel et fictif. Si le premier qualificatif engage un monde parallèle et
nous y transporte passivement, l‟autre circonscrit un comportement qui fonctionne
comme un insert de fiction qui détourne temporairement (de) la réalité. »3
1
DUBOIS Philippe. L‟acte photographique et autres essais. Ed Nathan, Série Cinéma et image, 1990.
Page : 39.
2
François NINEY, Le Documentaire et ses faux-semblants, Paris, Edition Klincksieck, 2009, p.72.
3
Idem, p. 77.
140
des gestes et des objets loin des défaillances de la mémoire. »1 Les films étaient ces
germes des premiers documentaires mais qui ne durèrent pas longtemps.
Les menteurs ont dans toutes les cultures été stigmatisés ainsi, comme celui
qui se joue de la confiance, de la naïveté de l‘interlocuteur. Et, pourtant, nous
mentons !
1
Marc-Henri PIAULT, Anthropologie et cinéma, Paris, Edition Nathan, 2000, p.13.
2
Claudine BILAND, Psychologie d‟un menteur, Paris, Odile Jacob éditions, 2004, Résumé quatrième
de couverture.
141
avant les ingrédients, les plats sans pour autant se soucier du jeu de lumière, de
couleurs, de compositions et de textures. Actuellement, elle combine esthétique et
plaisir des sens.
142
Manger ici et ailleurs.
Personnellement, je pense que ce qu‘on mange est le sujet le plus
"disponible" immédiatement pour se faire photographier, et est certainement suivi
par la nouvelle pratique du "Selfie", le dernier genre d‘autoportrait photographique
réalisé avec des Smartphones. C‘est moins grave de rater des photos de nourritures
que des Selfies.
Le récit narratif d‘une vie pour un public. Sous prétexte de l‘ART, les
évènements artistiques du banal, du quotidien, du mythique et de la fiction
(autofiction) de la personne et de sa vie sont exposés. Peurs, bonheurs, aptitudes,
habitudes, malaises, ritournelles....tous ces éléments d‘une vie personnelle au
regard du social sont mis en évidence. « L‟appareil photo et la caméra font partie
143
intégrante du quotidien, ils en sont le témoin, fidèle et discret, qui rendra compte
de façon objective et authentique d‟une réalité sans fard.»1
1
Isabelle De Maison Rouge, Mythologies personnelles, l‟art contemporain et l‟intime, Paris, Éditions
SCALA, 2004, p.15
2
Max WEBER (1864/1920), sociologue et économiste avec Vilfredo PARETO ont mis sur pied la
sociologie moderne comme sciences contemporaines.
3
Florent POUJADE vit et travaille à Angoulême, (Charente) Il utilise essentiellement des matériaux
ferreux et des aciers de récupération. Son œuvre est très stylisée, figuration très personnelle.
144
Sur Instagram, avec la publication d‘une photographie, on associe souvent
et même très souvent le hashtag1, trop d‘hashtag et trop de mots.
1
Un symbole sous forme de croisillon qui, associé à un mot ou à un groupe de mots, regroupe toute
référence à ce même terme.
145
devient la destination pour quelqu‘un d‘autre ou quelques autres. : « C‟est un
milieu où on peut se faire des amis.»1
1
Philippe LEJEUNE, Catherine BOGAERT, Le Journal intime histoire et anthologie, Paris, Edition
textuelles, 2006, p. 226.
146
diaristes d‘un peu partout. Nous lui reconnaissons des vertus thérapeutiques, il est
étudié dans les cours de littérature, il est un outil pédagogique et les internautes se
font plaisir dans leurs publications en ligne. Initialement et exclusivement écrit sur
papier, aujourd‘hui le support ne s‘arrête plus à cela. L‘évasion du monde du
papier par les diaristes apporte des solutions telles que la photographie (reportage
du quotidien ou journal intime), c‘est le compte-rendu du quotidien, résidu du
processus créateur.
Conclusion :
Pour Denis Roche, la photo est un art, un art silencieux qui permet
d‘explorer les figures du temps. Avec la photo, on montre, on fixe et le temps se
perd. C‘est une rencontre avec le perpétuel et l‘instantané. La photographie arrête
un moment de la vie. Avec la photographie culinaire on est face à une photographie
qui enregistre un mets qui existe dans le présent mais qui risque de disparaitre
après sa consommation ou de se transformer sous l‘effet du temps.
1
BARTHES Roland. La chambre claire. Note sur la photographie. Paris, Cahiers du cinéma
Gallimard Seuil, 1980. Page : 65.
2
BARTHES Roland,opus cité, p.88.
147
dictent la mode, la consommation, les modes de vie. Ils établissent ce qui est juste
et ce qui est mal, et décident quels sont les événements importants et significatifs
dans le monde.
148
LA PRATIQUE PHOTOGRAPHIQUE A L’AUNE DU PICTURAL
ET DU PATRIMONIAL
1
-Marc Guillaume. 1980. La politique du patrimoine, Paris : Galilée.
149
1. Les composantes du patrimoine
150
Notre idée force prend son point de départ dans ce qu‘on appelle,
« l‘objectif du développement durable » destiné à préserver les biens culturels des
générations à venir.
1
- Aujourd‘hui, les hommes de Daesh, en saccageant le musée de Mossoul, ne saccagent que leurs
reliques, leurs statues et leurs vestiges. A travers ces actes féroces, on s'attaque au patrimoine
mondial, à la raison d'être des musées, lieu de dialogue, de connaissance et de compréhension
mutuelle.
151
cet héritage tunisien défini par les remparts et de l‘intégrer dans un mouvement
pictural contemporain par l‘usage de la photographie.
Ainsi, loin de m‘inscrire dans une pratique plastique qui prendrait comme
continuité le modèle pictural, j‘ai souvent cherché l‘ambiguïté. En fait, je ne me
soucie pas de prendre un cadrage quotidien autant que de chercher à stimuler la
vision.
Mes préoccupations vont au-delà d‘un simple jeu visuel. J‘ai choisi par
exemple de jouer avec l‘ombre et de l‘exploiter. J‘entretiens, dans la recherche de
la prise de vue, une nouvelle représentation (l‘ombre portée, les plans, la
profondeur..).Ensuite, ce que l‘image montre n‘est pas la stricte réalité mais un
point de vue particulier qui donne une image reconstituée visuellement à partir de
l‘angle de vue, celui sous lequel mon appareil photos en a fixé la trace.
Le travail est mené en impliquant fortement l‘architecture dans l‘étude de
l‘aménagement de l‘espace qui permet, dès l‘étude architecturale, de prendre en
considération l‘environnement et de le traiter en étude d‘intérieur/d‘extérieur,
ouvertures/obstacles, concaves/convexes, pénétrations…De ce fait, en occupant
une certaine place dans l‘espace, dont l‘intervention ludique établit plutôt un réseau
de relations, j‘essaie de concevoir une topologie des formes architecturales.
Arrêts donc sur images, étalements dans l‘espace, etc…telles sont les
images photographiques proposées où s‘incarnent les relations du photographe
avec cet héritage urbain. La plupart des travaux font surgir une zone- limite où l‘on
peut questionner le statut de l‘image, celui de la captation et de la représentation.
Si le terme « photographie » peut renvoyer probablement à aménager un
nouvel espace de vision et une nouvelle possibilité de discernement, c‘est que, de
par sa construction et de sa conception, l‘intervention de l‘auteur (du photographe)
dépend largement de son esthétique personnelle, de sa sensibilité et de son rapport
avec le réel.
La photographie fait sans aucun doute partie intégrante du projet artistique
lui-même et de son concept autant que de sa réalisation. Elle est en mesure de
donner la lisibilité à « l‘architecture » (les remparts de Bab El Kasbade Sfax, El
Ribat de Monastir comme exemples).
152
1. Les forteresses côtières en Tunisie
Mis à part les berbères qui ont souvent construit des villages fortifiés sur
des versants montagneux et des ksours bien protégés, les fortifications et les
mesures de protection existaient dès les époques punique, romaine et byzantine tels
que le choix de l'emplacement, les enceintes et les ports militaires. Ces monuments
étaient chargés de surveiller la côte et de porter secours à la population. A titre
d'exemple on peut citer l'attaque des Byzantins chassés d'Ifriqiya puis de Sicile par
les Arabes. Ils ont été souvent à l'origine de la renaissance des villes après le
déclin de la vie urbaine à la fin de l'Antiquité. Ainsi, la figure d'un protecteur des
populations et gardien de la côte, est restée un modèle prégnant, remis plus tard au
goût du jour dans les époques troublées2.
1
-Jalloul Naji, les fortifications côtières ottomanes de la régence de Tunis (XVIe- XIXe siècles), 1995,
Zaghouan, Edition Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l‟information, p11
2
Guillemette Mansour ; 2003; Tunisie musée à ciel ouvert ; DAD édition; Tunis; p62
3
Idem ; p 83
153
Le qasr fortifié ou rempart désigne un ouvrage destiné à
surveiller une région, son aménagement se fait loin de la ville et il est occupé
par des détachements de l'armée régulière.
Le qasr ribat est une institution religieuse autant que défensive,
les ribats étaient des fortins entretenus par des communautés de dévots, là où
logent des "mourabitoun". Ces hommes avaient pour mission de répandre la
doctrine sunnite par l'exemple et par l'enseignement.
Notre travail consiste à établir, comme fondement, une démarche de la
prise en compte dans l‘élaboration technique au moyen de la photographie, de la
conception de l‘espace, extérieur ou intérieur. Ce travail est construit à partir de la
juxtaposition ou de la superposition de plans et de la manipulation des enjeux de
flou/ clair et net …)
Ouverture 1 Ouverture 2
Photo argentique Photo argentique
Dim 35x 60 cm (2002) Dim 35x 60 cm (2002)
154
toutes pièces. »1, alors le processus de mon projet est un jeu sur le lieu et les
ouvertures, intriguant par la présence virtuelle de la lumière et instaurant un rapport
nouveau entre le spectateur et l‘espace... (La recherche instinctive de l‘œil et de la
localisation de la lumière).De même, la recherche de Lucio Fontana à la fois
peintre et sculpteur italien d‘origine argentine et fondateur du mouvement
spatialiste associé à l‘art informel m‘a incitée à créer une analogie du projet et de
son œuvre « Spatialisme » : les incisions et les attestes (fentes) opposent à la
surface poreuse et sédimentée de la toile l‘épure d‘une réduction ad minima
procédant jusque-là à l‘addition (pour moi, le geste c‘est faire le zoom). L‘œuvre
de Fontana va se développer comme une pratique en négatifs, en quelque sorte en
creux.
Des ouvertures, des coupures et des fentes nettes se superposent,
stigmatisant l‘uniformité de la surface picturale, ouvrant ainsi dans l‘espace un
autre, non plus mathématique, mais plutôt physique qui, pour cela, s‘inscrit dans
une logique critique de l‘espace renaissant.
Grâce à l‘appareil photos, l‘image devient un environnement modulable et
un espace en soi. Autant dire que la photographie me permet, en quelque sorte, de
« recréer » l‘image, de la transposer dans une vision différente et de nous faire
saisir la manière dont je souhaiterais que le spectateur-lecteur la regarde, non pas
d‘une manière statique, mais en tournant autour car la forme change selon l‘angle
de vue.
C‘est la lumière, « saisie dans son rayonnement immédiat, fluctuant et
oscillant » 2
selon les propos de JOHN Garret, qui s‘attache à sonder la
caractéristique énigmatique, inquiétante et exceptionnelle du quotidien et à
conférer une aura à l‘habituel, l‘essentiel, à ses yeux est ailleurs : « Dans la
maîtrise des intensités lumineuses et le miracle optique du noir et blanc »3 vont
naître les rayonnements immatériels qui font appel à des sens cachés.
1
-Ageron Olivier, Cours d'Histoire de l'Art Contemporain Année 2005 / 2006 A.D.E.A. Olivier
Ageron BMPT Groupe ...Url : http://www.ageron.net/adea/contemporain/20052006.pdf
2
- John Garret, Maîtriser la photographie en noir et blanc (une approche pratique pour des résultats
professionnels), Editions La compagnie du livre, Paris 2006
3
- Idem
155
Fuite
Photo numérique
Dim 55 X 75 cm (2004)
156
Ouverture 3
Photo argentique
Dim 40 X 60 cm (2003)
1
- Elliot Erwitt, New York, 1969, Phaidon Press; Editions : Collectors, 2002.
157
Fugue
Photo argentique
Dim 40 X 60 cm (2006)
158
Ouverture 4 Ouverture 5
Photo argentique Photo argentique
Dim 35x 60 cm (2002) Dim 35x 60 cm (2002)
Quoiqu‘un creux soit le plus souvent confiné à l‘intérieur d‘un volume pris
entre quatre murs, et comme la montre la figure ci-dessous, l‘image établie procède
d‘une manifestation hors norme et hors frontière. Il ne s‘agit plus d‘opérer entre
une mémoire (du creux) et un devenir, mais de donner à voir l‘image latente d‘une
situation concrète et d‘un constat de fait.
Cela va de soi pour les figures suivantes: du même lieu et du même trou, en
appliquant la même prise de vue, je déduis ainsi différentes compositions, ce qui
me permet de procéder à une vérification du bienfondé de ce qu‘il engage.
159
Ainsi, par l‘impact de la photographie, je questionne la notion d‘intérieur et
d‘extérieur. En outre, il s‘agit de procéder à un usage d‘insertion : insertion pour
mieux incarner les usages du site. Par conséquent, l‘affirmation de l‘ombre et de
l‘ambigüité de l‘enveloppe font qu‘on hésiter entre l‘appartenance d‘un espace au-
dedans ou au dehors.
Conclusion :
160
tableau »1. A Kairouan, il note dans son journal : « la couleur me possède […] je
suis peintre ».
Dans la même perspective on peut découvrir et aborder aussi directement
les peintures du défunt peintre Néjib Bel Khodja. C‘est, sans nul doute, grâce au
lien serré que l‘artiste noue, instinctivement, entre son approche esthétique
déterminée et un territoire strictement limité à l‘antique architecture de Tunis. Dans
la force de cette relation naît une œuvre qui explore le seuil clos d‘une ville et
quelques sites historiques localisés à la lisière de ses remparts. Il amalgame
caractère coufique et caractéristiques architectoniques de la médina de Tunis et
propose d‘opposer des lignes droites à des lignes courbes.
« La culture, c'est la mémoire du peuple, la conscience collective de la
continuité historique, le mode de penser et de vivre »2 certifie Milan kundera
Pour Mohamed Berriane la culture désigne « tout ce qui permet à l'homme
de s'élever au-dessus de la nature ou encore la manière d'une population de vivre
en société »3. A travers son héritage, celui qui se mesure avec l'échelle des dizaines
de siècles ; nous découvrons que notreTunisie est une destination diversifiée,
multidimensionnelle et multiculturelle... Elle est animée par un riche patrimoine
comme une sorte de témoignage sur son fameux passé.
1
- Paul Klee, Journal, traduction de Pierre Klossowski, éditions Grasset, 1959.
2
-De Milan Kundera / Le Monde - Janvier 1979. Entretien avec Milan Kundera : "Le Massacre de la
culture tchèque" ("Le Monde des livres" du 19 janvier 1979)
3
Mohamed Berriane ; 1997; Le tourisme culturel ; Ministère de la culture; p192
161
Bibliographie :
Berriane Mohamed; 1997; Le tourisme culturel ; Ministère de la
culture.
Elliot Erwitt, New York, 1969, Phaidon Press;
Editions: Collectors, 2002.
Garret John, Maîtriser la photographie en noir et blanc (une
approche pratique pour des résultats professionnels), Editions La
compagnie du livre, Paris 2006.
Guillaume Marc. 1980. La politique du patrimoine, Paris : Galilée.
Paul Klee, Journal, traduction de Pierre Klossowski, éditions Grasset,
1959.
Jalloul Naji, les fortifications côtières ottomanes de la régence de
Tunis (XVIe- XIXe siècles), Zaghouan, Edition Fondation Temimi pour la
recherche scientifique et l‘information, Tunis 1995.
Mansour Guillemette; Tunisie musée à ciel ouvert ; DAD édition;
Tunis; 2003.
Mansour Guillemette, Tunisie mémoire de l‟humanité : sites et
monuments inscrits sur la liste du patrimoine culturel mondial, Simpact,
Tunis 2003.
Poulot Dominique, patrimoine et modernité, Editions l'Harmattan,
2000.
Entretien :
Site web :
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