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Temps et éternité
dans le livre XI des Confessions :
Augustin, Plotin, Porphyre et saint Paul*
« Jésus-Christ, saint Paul ont l’ordre de la charité,
non de l’esprit, car ils voulaient échauffer, non instruire.
Saint Augustin de même. Cet ordre consiste
principalement à la digression sur chaque point qui a
rapport à la fin, pour la montrer toujours. »
Pascal
* L’origine lointaine de cet article est l’exposé présenté naguère au colloque « Augustin
philosophe et prédicateur. Hommage à Goulven Madec », organisé par l’Institut d’études augusti-
niennes les 8-9 septembre 2011. Ma dette est immense à l’égard d’Isabelle Bochet, qui m’a guidé
dans la bibliographie augustinienne, et a généreusement discuté avec moi les principales étapes
de cette recherche. Je la remercie de tout cœur, ainsi que les relecteurs anonymes de la RÉAug.
On lira en filigrane, dans ces pages, une synthèse des diverses remarques et analyses de Goulven
Madec sur le livre XI des Confessions, dont il a fortement contribué à éclairer l’interprétation.
R. Goulet, « Augustin et le De regressu animae de Porphyre », dans Augustin philosophe et
prédicateur. Hommage à Goulven Madec (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité,
195), I. Bochet, éd., Paris, 2012, p. 67 (et n. 1), a rappelé que G. Madec « s’est intéressé tout au
long de sa carrière aux rapports entre Augustin et Porphyre », et publie dans ce même volume,
avec G. Madec†, les fragments du De regressu animae.
32 PHILIPPE HOFFMANN
au monde physique et au mouvement des corps (Conf. XI, 23, 29-34, 31), et en
cela la rupture avec les conceptions de Platon, d’Aristote et des philosophies
hellénistiques est consommée, même si certaines analyses d’Augustin remontent
elles-mêmes à la tradition philosophique grecque (Aristote, les Stoïciens). Mais
il est tout aussi intéressant de souligner les différences entre le texte augustinien
et le texte plotinien, et de faire ressortir ainsi la tonalité propre de l’un et de
l’autre. La présentation des rapports entre éternité et temps est à cet égard très
significative, et fait apparaître ce qui chez Augustin ne dérive assurément pas
de Plotin. Le propos de cet article n’est pas de donner une analyse continue, et
parallèle, du Traité 45 de Plotin et du livre XI des Confessions, pour lesquels nous
disposons déjà d’études nombreuses et détaillées, qui seront citées au cours de
ces pages, mais de rappeler – pour souligner la différence des deux pensées – les
traits principaux de la doctrine plotinienne de l’éternité et du temps, puis de faire
le point sur les sources d’Augustin, et enfin de dégager, à partir d’un examen
de plusieurs interprétations déjà proposées, une lecture d’ensemble du livre XI.
Certains éléments doctrinaux sont assurément néoplatoniciens. D’autres échos
ont pu être décelés entre l’analyse augustinienne et la tradition grecque, celle des
stoïciens, celle, peut-être, de Grégoire de Nysse. Plutôt que Plotin, c’est peut-être
Porphyre qui a inspiré à Augustin sa doctrine de la triple intentionnalité de l’âme,
par laquelle il se distingue nettement de Plotin. Si Augustin situe la distentio animi
dans l’âme humaine, et non plus comme Plotin dans l’Âme universelle qui régit
à la fois la Nature et les âmes singulières – et donc tout à la fois le temps de la
nature et le temps « psychologique » –, cela ne signifie nullement qu’il se livre à
une « subjectivation » radicale du temps, et qu’il situe l’origine de celui-ci dans
les seules âmes humaines, oubliant alors l’objectivité du temps de la Création
muable. Le livre XI commence et s’achève par l’exégèse du premier verset de la
Genèse (Gn 1, 1 In principio fecit Deus …), et la pensée augustinienne du temps,
enchâssée dans l’exégèse de ce verset, se déploie dans l’écart maintes fois affirmé
entre l’éternité de Dieu et le temps de la Création et des âmes humaines, elles aussi
créées. L’analyse du temps, si énigmatique et aporétique soit-elle, est un exercice
spirituel, une exercitatio animi destinée à permettre une prise de conscience de cet
écart entre l’éternité divine et le temps humain, et une expression de la misère de
l’âme dispersée. À la distentio qui est la loi de l’âme humaine déchue, Augustin
oppose, avec saint Paul (Philippiens 3, 12-14), une intentio en direction de
l’éternité du Créateur, par quoi l’âme, aspirant à participer à la « stabilité » divine,
passe de la multiplicité malheureuse à l’unité et aux « délices » promis par Dieu.
L’analyse augustinienne du temps ne prend donc toute sa signification que dans
une lecture globale et unitaire du livre XI, qui ne sépare pas philosophie, théologie
et exégèse1, et qui la relie à la question rectrice – celle de la bonne interprétation
1. C’est déjà le sens des pages très claires de É. Gilson, Introduction à l’étude de saint
Augustin, Paris, 3e éd. 1949, p. 248-255 (La création et le temps), spéc. p. 252-255 ; v. aussi p. 274
et n. 4.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 33
2. Pour un panorama général, lire par exemple : K. Flasch, Was ist Zeit? Augustinus von
Hippo. Das XI. Buch der Confessiones. Historisch-Philosophische Studie. Text-Übersetzung-
Kommentar, Frankfurt am Main, 1993, qui consacre un chapitre de l’introduction de son gros
livre à la philosophie du xxe siècle (Bergson, Paul Yorck von Wartenburg [1835-1897], Husserl,
Heidegger, Wittgenstein et Russell) ; I. Bochet, « Variations contemporaines sur un thème
augustinien : l’énigme du temps », Recherches de science religieuse, 89, 2001, p. 43-66 (analyse
des « déplacements » effectués par les approches contemporaines de Paul Ricœur, Jean-Toussaint
Desanti, Claude Romano, mais aussi, du côté de la théologie, H. U. von Balthasar) ; ead., Augustin
dans la pensée de Paul Ricœur, Paris, 2004, p. 10 ; ou encore E. Falque, « Augustin et la phé-
noménologie au xxe siècle », dans Augustin philosophe et prédicateur, I. Bochet, éd., p. 537-550
(Husserl, Heidegger, Hannah Arendt, Gadamer, Paul Ricœur [et le temps, v. p. 545-546], Jean-Luc
Marion, Jean-Louis Chrétien) : « …le rapport de la phénoménologie à saint Augustin n’est peut-
être qu’une vaste histoire de contresens, de mésinterprétations et de manquements à l’historicité »,
que l’on peut aussi envisager sous l’angle d’une « conversion de la dette » (p. 537-538). On lira
aussi l’étude de M. Bettetini, « Measuring in accordance with dimensiones certae: Augustine of
Hippo and the Question of Time », dans The Medieval Concept of Time. Studies on the Scholastic
Debate and its Reception in early Modern Philosophy (Studien und Texte zur Geistesgeschichte
des Mittelalters, LXXV), P. Porro, éd., Leyde – Boston – Cologne, 2001, p. 33-53 : voir p. 33-34
et 41 (à propos de Martin Heidegger, et des interprétations « subjectivistes » de la doctrine augus-
tinienne). Dans cet essai, M. Bettetini insiste très justement sur la nécessité d’interpréter l’analyse
du temps dans le contexte global du livre XI, des Confessions dans leur ensemble, et de l’œuvre
entière d’Augustin.
34 PHILIPPE HOFFMANN
degrés divers, chez des philosophes français comme Paul Ricœur3, Jean-Toussaint
Dessanti4 ou encore Claude Romano5. Ces recherches, dont je mentionnerai le cas
échéant tel ou tel élément – sans pouvoir, faute de compétence et d’espace, les
présenter et les commenter comme il se devrait –, ont assurément leur légitimité
philosophique propre, mais ne relèvent pas de l’histoire de la philosophie. Goulven
Madec en a rendu compte, il est vrai avec une certaine sévérité parfois, dans le
3. Voir P. Ricœur, Temps et récit. 1. L’intrigue et le récit historique, Paris, 1983, réimpr. éd.
Points. Essais, 1991, p. 21-65 (Les apories de l’expérience du temps. Le Livre XI des Confessions
de saint Augustin), voir aussi le t. 3 (éd. 1983), p. 19-36. — Le commentaire de P. Ricœur,
qui croise la lecture de Conf. XI (la distentio animi) et de la Poétique d’Aristote (le μῦθος),
accentue l’énigme du temps et la dimension aporétique de Conf. XI, 14, 17 sqq. Il met en scène
une dialectique entre la distentio (qui est distension du triple présent) et l’intentio, alors que ces
termes n’apparaissent ensemble qu’une seule fois, en Conf. XI, 29, 39 (comme l’a fait remar-
quer G. Madec, RÉAug, 30, 1984, p. 373-374), et il tire dans un sens phénoménologique le mot
intentio de Conf. XI, 29, 39 (Augustin étant réinterprété à partir de Husserl et de Merleau-Ponty).
Ricœur prend en considération, parfois, les données de la lecture « philologique » [commentaire
de E. P. Meijering, Augustin über Schöpfung, Ewigkeit und Zeit. Das elfte Buch der Bekenntnisse
(collection « Philosophia Patrum », IV), Leiden, 1979 ; notes de A. Solignac, dans Œuvres de
saint Augustin. Les Confessions. Livres VIII-XIII (BA 14), M. Skutella (édition), A. Solignac
(Introduction et notes), E. Tréhorel† et G. Bouissou (trad.), Paris, 1962, p. 581-591, avec biblio-
graphie p. 591], et il embrasse, en définitive, aux p. 49-65, l’ensemble du livre XI pour interpréter
le contraste du temps et de l’éternité, et la détermination de celle-ci comme présent éternel,
comme « intensification de l’expérience du temps », qui permet d’atteindre le « sens plénier » de
la distentio animi.
4. J.-T. Desanti, Réflexions sur le temps (Variations philosophiques I). Conversations avec
Dominique-Antoine Grisoni, Paris, 1992, p. 15-86 (notamment p. 50-86), inspiré par la lecture
de Paul Ricœur, privilégie, à partir de Conf. XI, 29, 39, trois états d’activité de l’âme que l’on ne
trouve simultanément mentionnées que dans ce texte : l’intentio, l’extensio, et la distentio (voir
infra, p. 69 et 76). Le compte rendu assez sévère, et précieux, de G. Madec, RÉAug, 39, 1993,
p. 536-537, expose les lignes d’interprétation du livre XI, qui seront suivies dans cet article.
5. Cl. Romano, L’événement et le temps, Paris, 1999, p. 90-124 (§ 4 : Augustin et la subjectiva-
tion du temps), qui juge prépondérante l’influence de Plotin sur Augustin, et propose une analyse
phénoménologique critique à l’égard d’Augustin (et en définitive peu crédible, selon I. Bochet,
« Variations contemporaines sur un thème augustinien … » [cité supra n. 2], p. 65-66). Il distingue,
ainsi, entre les « dimensionnels du temps » (Passé, Présent, Futur) qui sont les caractères structu-
rels du temps lui-même dans lequel les choses (passées, présentes, futures) peuvent apparaître,
et les prédicats intratemporels « passé », « présent », « futur » : les « dimensionnels du temps »
sont ainsi les « horizons d’apparition de toute chose intratemporelle ». Augustin ne fait pas cette
distinction et est conduit à concevoir le temps tout entier comme un « passage » et un « transit ».
C. Romano défend surtout, à la suite de l’interprétation de Kurt Flasch (voir infra, p. 59-62), l’idée
d’une subjectivation radicale du temps dans « l’âme individuelle de tel homme particulier », afin
de « fonder l’être du temps sur un support plus stable et permanent » et d’« assurer à sa fugacité
toujours changeante un supplément de présence », à travers la « réduction méthodique des trois
temps à leur mode de présence dans l’esprit sous forme de trois facultés » (mémoire, attention,
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 35
Bulletin augustinien6, et ses comptes rendus ont été l’occasion pour lui d’exposer
discrètement sa propre interprétation du livre XI des Confessions, rapidement
résumée aussi dans l’article du Dictionnaire des philosophes antiques de Richard
Goulet7. Isabelle Bochet8, de son côté, a donné une vision panoramique – et
critique – de plusieurs lectures contemporaines, accompagnée d’une proposition
globale d’interprétation du livre XI en accord avec la lecture de Goulven Madec.
Je voudrais, dans les pages qui suivent, emprunter les voies tracées par ces deux
spécialistes d’Augustin, en reprenant notamment la question des sources et de la
forme littéraire observable dans le livre XI, et en faisant le point sur les principales
propositions de lecture qui ont été avancées.
attente). C’est l’esprit qui produit le temps ; la conscience « n’est pas seulement une conscience
passive qui se bornerait à enregistrer de l’extérieur un écoulement : elle est partie prenante dans
le passage du temps, c’est elle qui le produit et l’engendre de quelque manière » (p. 116), et la
décosmologisation du temps serait poussée à son terme chez Augustin.
6. G. Madec dans RÉAug, 30, 1984, p. 373-374 (sur P. Ricœur), et 39, 1993, p. 536-537 (sur
Jean-Toussaint Desanti).
7. G. Madec, article « Augustin », dans Dictionnaire des philosophes antiques, I, R. Goulet,
éd., Paris, 1989, n° 508, p. 673, et aussi id., « Le chant et le temps (Confessions, livre XI).
Méditation avec Augustin philosophe, théologien et pasteur », dans Actes du Colloque internatio-
nal du Collège dominicain d’Ottawa, août 2000 (= Science et esprit, 53, 2000, p. 111-121) ; repris
dans Lectures augustiniennes (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 168), Paris,
2001, p. 185-195, où (p. 189) Madec critique à juste titre les choix de P. Ricœur et de K. Flasch
(« Je reste persuadé que la méditation, coupée de son contexte, est incompréhensible »). Il consi-
dère l’inspiration néoplatonicienne comme « secondaire, subsidiaire » (p. 192-193) par rapport à
l’inspiration biblique, et propose (p. 193-195) d’organiser les réflexions d’Augustin sur le temps
(et l’éternité) selon trois thèmes : le temps de la création (les hommes sont des esprits créés par
Dieu, qui « ont la faculté, dans le temps qui leur est imparti, de mesurer le temps qui passe », dans
la distentio), le temps des épreuves dans le multiple (Conf. XI, 29, 39) et le temps du salut.
8. I. Bochet, « Variations contemporaines sur un thème augustinien : l’énigme du temps », cité
supra, n. 2.
36 PHILIPPE HOFFMANN
9. Voir par exemple, pour mémoire, les tentatives de rapprochements faits par L. Grandgeorge,
Saint Augustin et le néo-platonisme (coll. « Bibliothèque de l’École des hautes études. Sciences
religieuses », 8), Paris, 1896 [réimpr. Frankfurt/Main, 1969], spéc. p. 75-80 (étude dépassée) ; plus
sérieusement le commentaire de A. Solignac, BA 14, p. 581-591 ; les analyses de R. J. Teske,
« The World-Soul and Time in St. Augustine », Augustinian Studies, 14, 1983, p. 75-92, et
Paradoxes of Time in Saint Augustine (The Aquinas Lecture, 1996), Marquette University Press,
1996, évoquées infra, p. 55-59 ; ou encore, après d’autres auteurs, le commentaire rapide de
U. Schulte-Klöcker, Das Verhältnis von Ewigkeit und Zeit als Widerspiegelung der Beziehung
zwischen Schöpfer und Schöpfung. Eine textbegleitende Interpretation der Bücher XI-XIII der
‚Confessiones‘ des Augustinus, Bonn, 2000, par ex. p. 55-57 (n. 90 et 92), p. 63-64 n. 97, p. 97-101
(l’a. a le mérite d’appréhender la question du temps et de l’éternité dans l’ensemble constitué par
les livres XI-XIII).
10. G. J. P. O’Daly, « Time as Distentio and St. Augustine’s Exegesis of Philippians 3, 12-14 »,
RÉAug, 23, 1977, p. 265-271, discuté infra, p. 69-73.
11. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 41 (διάστασις οὖν ζωῆς χρόνον εἶχε) : cf. la riche note
ad loc. de W. Beierwaltes, Plotin. Über Ewigkeit und Zeit (Enneade III 7), Frankfurt am Main,
19954 (1967), p. 265-267 (qui esquisse une comparaison entre Plotin et Augustin).
12. Platon, Timée, 37 d 5-7 : εἰκὼ δ᾽ ἐπενόει κινητόν τινα αἰῶνος ποιῆσαι, καὶ
διακοσμῶν ἅμα οὐρανὸν ποιεῖ μένοντος αἰῶνος ἐν ἑνὶ κατ᾽ ἀριθμὸν ἰοῦσαν αἰώνιον
εἰκόνα, τοῦτον ὃν δὴ χρόνον ὠνομάκαμεν. Une grande partie de la Sentence 44 de Porphyre
commente elle aussi le même passage de Platon (v. L. Brisson, dans aa. vv., Porphyre. Sentences
[coll. « Histoire des doctrines de l’Antiquité classique », XXXIII], t. II, Paris, 2005, p. 768).
13. Voir Plotin, Enn. III, 7 [45], 1, 16-24 (projet d’une recherche sur l’essence de l’éternité et
sur l’essence du temps), et l’ensemble des chapitres 11-13 (par ex. 11, 41-62).
14. G. J. P. O’Daly, « Augustine on the Measurement of Time: some Comparisons with
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 37
Le cadre théologique général des deux doctrines, en outre, n’est pas du tout le
même : d’un côté un face-à-face entre un Dieu créateur, éternel et immuable, et
l’âme humaine singulière, temporelle et déchirée qui dit « je » ; de l’autre un sys-
tème complexe15 qui, au-dessous de l’Un et de l’intellect divin éternel (le Νοῦς),
situe l’apparition du temps dans le procès d’auto-temporalisation16 d’une Âme
universelle (une Âme-hypostase, pourrait-on dire) qui surplombe à la fois l’Âme
du Monde (et secondairement le temps universel, « objectif », du Monde et de la
Nature, qui en dérive)17 et les âmes singulières évoquées non par un « je », mais
par un « nous » (ἡμεῖς)18. La description plotinienne de l’éternité (αἰών)19 repose
sur une méditation de quelques mots du Timée (μένοντος αἰῶνος ἐν ἑνί)20 dont
Plotin interprète le ἕν comme « unité »21, comme « identité »22 puis comme l’Un
Aristotelian and Stoic Texts », dans Neoplatonism and Early Christian Thought. Essays in honour
of A. H. Armstrong, H. J. Blumenthal et R. A. Markus, éd., Londres, 1981, p. 171-179, repris et com-
plété dans Augustine’s Philosophy of Mind, Londres, 1987, ch. VI, p. 152-161 : The Measurement
of Time (voir infra, p. 47 n. 65 et p. 70) ; et les remarques pénétrantes de J. M. Rist, Augustine.
Ancient thought baptized, Cambridge University Press, 1994, p. 73-85, spéc. p. 81-82 : « Part of
the problem of understanding Augustine’s discussion of time, however, is that it is difficult to be
sure what exactly is being discussed. It is often assumed that he is looking for a definition of time,
and certainly a remark such as ‘I wonder whether time is an extension (distentio) of the mind
itself’ would suggest such a reading. Nevertheless, unless he is quite confused, what Augustine
is doing is not defining time, but asking how, in view of the present non-existence of the past,
the not-yetness of the future, and the durationless state of what we misleadingly call the present,
we can measure the passage of time. For what he gives us in the Confessions, is an analysis of
Ambrose’s line ‘Deus creator omnium’ broken down into his constituent long and short syllables,
is an account of how we determine times in relation to one another (…) [suit un renvoi au De
musica, 6, 8, 21]. In the Confessions, there is no complete answer to the question ‘What is time?’,
but there is an answer to the question of how we measure time; we do it through the ‘distending’
capacity of our mind, which can only ‘grasp’ physical objects and events when ‘pulled apart’ into
a sequence. »
15. Le Traité 45, ch. 1-6, doit lui-même se lire dans l’ensemble des Traités 42-46 : entre
l’enquête sur les catégories (critique d’Aristote et des Stoïciens, et interprétation des Genres du
Sophiste comme structure de l’Intelligible) et le traité Sur le bonheur.
16. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 29-30 : πρῶτον μὲν ἑαυτὴν ἐχρόνωσεν ἀντὶ τοῦ αἰῶνος
τοῦτον (scil. τὸν κόσμον) ποιήσασα…
17. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 31-32 : …ἔπειτα δὲ καὶ τῷ γενομένῳ (scil. κόσμῳ) ἔδωκε
δουλεύειν χρόνῳ, ἐν χρόνῳ αὐτὸν πάντα ποιήσασα εἶναι.
18. Plotin, Enn. III, 7 [45], 13, 66-68 : ἆρ᾽ οὖν καὶ ἐν ἡμῖν χρόνος ; etc. Voir infra, n. 101.
19. Plotin, Enn. III, 7 [45], ch. 1-6.
20. Platon, Timée, 37 d 6.
21. Plotin, Enn. III, 7 [45], 2, 31-32 : εἶτα τὸν αἰῶνα οὐ μόνον ἐν στάσει δεῖ νοεῖν,
ἀλλὰ καὶ ἐν ἑνί (traduction de μένειν ἐν ἑνί), et 2, 33-34 (la notion de repos, στάσις, ne
comporte pas en elle-même la notion d’unité, τὸ ἕν, ni celle d’inétendu, τὸ ἀδιάστατον).
22. Plotin, Enn. III, 7 [45], 3, 16 : ζωὴν μένουσαν ἐν τῷ αὐτῷ ; et lignes 20-21. Peut-être
aussi Enn. III, 7 [45], 11, 4 (une vie ἐν ἑνὶ καὶ πρὸς ἓν ἑστῶσα) ?
38 PHILIPPE HOFFMANN
23. Plotin, Enn. III, 7 [45], 6, 1-9, où τὸ ἕν et ἐκεῖνο désignent clairement l’Un-Bien autour
duquel est l’Éternité, dont elle procède et vers lequel elle retourne (περὶ τὸ ἓν καὶ ἀπ᾽ ἐκείνου
καὶ πρὸς ἐκεῖνο), sans sortir de Lui (οὐδὲν ἐκβαίνουσα ἀπ᾽ αὐτοῦ), mais en demeurant
toujours autour de Lui et en Lui (μένουσα δὲ ἀεὶ περὶ ἐκεῖνο καὶ ἐν ἐκείνῳ), c’est-à-dire en
définitive en vivant « selon l’Un » (ζῶσα κατ᾽ ἐκεῖνο) : l’Éternité est la « vie » (ζωή) de l’Être
(intelligible) « autour de l’Un » (περὶ τὸ ἕν).
24. Plotin, Enn. III, 7 [45], 3, 12. 16. 37 ; 5, 13. 22. 26 ; 11, 3.
25. Sur l’unimultiplicité de l’Intellect divin, voir les commentaires de P. Hadot, Plotin.
Traité 38 (VI, 7) [coll. « Les écrits de Plotin »], Paris, 1988, p. 246-255 (à propos de ch. 13, 1-14,
23).
26. Voir, par exemple, des formules très claires dans Enn. V, 1 [10], 4, 25-33. Cf. P. Hadot,
« La conception plotinienne de l’identité entre l’intellect et son objet. Plotin et le De Anima d’Aris-
tote », dans Corps et âme : sur le De Anima d’Aristote (Bibliothèque d’histoire de la philosophie.
Nouvelle série), G. Romeyer Dherbey et C. Viano, éd., Paris 1996, p. 367-376, repris dans Id.,
Plotin, Porphyre. Études néoplatoniciennes (L’âne d’or, 10), Paris, 1999, p. 267-278.
27. P. Hadot, « Être, Vie, Pensée chez Plotin et avant Plotin », dans Les sources de Plotin
(Entretiens de la Fondation Hardt, V), Vandœuvres – Genève, 1960, p. 107-157 ; repris dans
Plotin, Porphyre. Études néoplatoniciennes, p. 127-181.
28. Platon, Sophiste, 254 b-256 d.
29. Plotin, Enn. III, 7 [45], 3, 4-12. 36-38.
30. Plotin, Enn. III, 7 [45], 5, 23-28 (ligne 26, ζωὴν ἄπειρον) ; 11, 3 (ἄπειρον ἤδη ζωήν).
— Un exposé très complet sur la multiplicité des acceptions d’ἄπειρον chez Plotin est donné par
Ph. Soulier, Simplicius et l’infini, Paris, 2014, p. 290-342 ; v. p. 339-340, sur le procès à l’infini,
εἰς ἄπειρον, qui caractérise les réalités sensibles, temporelles (III, 7 [45], 11, 54).
31. Plotin, Enn. III, 7 [45], 4, 1-8.
32. Plotin distingue entre l’ἀιδιότης (pure disposition éternitaire de l’essence intelligible) et
l’αἰών lui-même : Enn. III, 7 [45], 3, 1-3 ; 5, 15-18.
33. V. par exemple Plotin, Enn., V, 1 [10], 4, 5-18 et 7, 27-38 ; et les passages sur ce thème
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 39
autarcique : possédant tout, c’est-à-dire tous les Êtres, toutes les Formes, dont il est
le producteur, rien ne lui manque et il n’a donc aucun désir par lequel pourrait
s’instiller en lui la dimension du futur34 : de ce fait il est intemporel35. La contem-
plation tranquille des Formes est son activité, et c’est cette vie d’ἡσυχία36 que
l’Âme universelle, en proie à la curiosité (πολυπραγμοσύνη : l’affairement)37,
veut abandonner, déclenchant ainsi un procès d’auto-temporalisation, par l’intro-
duction de l’avant et de l’après, du πρότερον et de l’ὕστερον qui sont le principe
d’ordre – directement inspiré d’Aristote38 – régissant simultanément la temporalité
et la discursivité39. La définition du temps, « image de l’éternité » (Platon, Timée,
37 d 5-7), se déduit de celle de l’éternité, et pour Plotin la démarche cognitive se
fonde sur l’exemplarisme et détermine le plan du traité40. Le rapport de Modèle à
Image – inspiré par l’exégèse du Timée – gouverne la double définition de l’éter-
nité et du temps : la définition du temps est dérivée chez Plotin de celle de l’éternité,
et la connaissance de l’image est conditionnée par la connaissance du modèle41. À
ce rapport d’imitation (ascendante et descendante), entre éternité et temps, se
superpose chez Plotin un rapport généalogique, puisque parallèlement l’Âme-
hypostase procède de l’Intellect divin. Alors que l’éternité a pour traits majeurs le
dans le grand traité anti-gnostique, rassemblés et commentés par P. Hadot, « Ouranos, Kronos
and Zeus in Plotinus’ Treatise against the Gnostics », dans Neoplatonism and Early Christian
Thought. Essays in honour of A. H. Armstrong, p. 124-137. Voir aussi (avec une bibliographie
complète) L. G. Soares Santoprete, « Le mythe d’Ouranos, Kronos et Zeus comme argument
antignostique chez Plotin », dans Gnose et manichéisme. Entre les oasis d’Égypte et la route de
la soie. Hommage à Jean-Daniel Dubois (coll. « Bibliothèque de l’École des Hautes Études.
Sciences religieuses », vol. 176), A. Van den Kerchove et L. G. Soares Santoprete, dir., Turnhout,
2017, p. 829-858.
34. Plotin, Enn. III, 7 [45], 4, 9-22 suiv. ; et aussi 4, 33-37 (les πρῶτα n’ont aucun désir qui
porterait sur le futur, ἔφεσις τοῦ μέλλοντος, et ne « recherchent » rien, οὐδὲν ζητοῦσι).
35. Plotin, Enn. V, 1 [10], 4, 12-25 ; III, 7 [45], 3, 21-36 (négation de la temporalité, cf.
Platon, Timée, 37 e 4-38 a 5).
36. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 6-7. 14 et 20-21 (ἐπεὶ γὰρ ψυχῆς ἦν τις δύναμις οὐχ
ἥσυχος).
37. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 15 : φύσεως δὲ πολυπράγμονος… Armstrong traduit :
« since there was a restlessly active nature… ».
38. Par ex. Aristote, Physique, IV, 11, 219 a 10-b 2 (le temps, ἀριθμὸς κινήσεως κατὰ τὸ
πρότερον καὶ ὕστερον), 219 b 12.
39. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 12-13 et 17-19 ; 12, 12-13 ; 13, 30-38.
40. Plotin, Enn. III, 7 [45], 1, 18-20 : γνωσθέντος γὰρ τοῦ κατὰ τὸ παράδειγμα
ἑστῶτος καὶ τὸ τῆς εἰκόνος αὐτοῦ, ὃν δὴ χρόνον λέγουσιν εἶναι, τάχ᾽ ἂν σαφὲς
γένοιτο. Mais Plotin n’écarte pas absolument la démarche inverse – qui va du temps à l’éternité,
qui procéderait par réminiscence, et qui est justifiée par la ressemblance du temps à l’éternité.
41. En réalité, la compréhension de l’éternité est gouvernée secrètement par celle du temps :
l’éternité est intemporelle, elle se définit par la négation des marques propres du temps (comme
la dimension du futur) et par une sorte de temporalité parfaite qui est un présent transcendant.
40 PHILIPPE HOFFMANN
42. Plotin, Enn. III, 7 [45], 2, 31-34. — Lire M. Ottaviani, « L’eternità in Plotino : ΣΤΑΣΙΣ
ΑΔΙΑΣΤΑΤΟΣ ? Qualche riflessione lessicale e filosofica sull’utilizzo dell’aggettivo ἀδιάστα-
τον in Enn. III, 7 [45] », Acme, 51, 1998, p. 213-229.
43. Plotin, Enn. III, 7 [45], 3, 15 : dans l’éternité il y a τὸ ὡσαύτως καὶ ἀεὶ ἀδιαστάτως
(cf. ligne 37, ζωὴ ἀδιάστατος) ; cf. 6, 34-36 (συναιρετέον τὸ ἀεὶ εἰς ἀδιάστατον δύναμιν
τὴν οὐδὲν δεομένην οὐδενὸς μεθ᾽ ὃ ἤδη ἔχει · ἔχει δὲ τὸ πᾶν).
44. Plotin, Enn. III, 7 [45], 2, 28-29.
45. Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 45-59.
46. Voir par ex. A. Michalewski, La puissance de l’intelligible. La théorie plotinienne des
Formes au miroir de l’héritage médioplatonicien, Leuven, 2014.
47. Aristote, Métaphysique, Λ (XII), 7, 1072 b 28.
48. Cf. P. Golitsis et Ph. Hoffmann, « Simplicius et le ‘lieu’. À propos d’une nouvelle édition
du Corollarium de loco », Revue des études grecques, 127, 2014, p. 119-175 (avec une bibliogra-
phie), traduction partielle de cet article en anglais dans : Aristotle Re-Interpreted: New Findings
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 41
suffisamment que les analyses de Plotin ne se retrouvent pas chez Augustin. Aucun
terme, aucun thème des chapitres 11-13 du traité III, 7 [45] ne se lisent dans la
digression augustinienne, la ζωή de l’âme plotinienne (Âme universelle, Âme du
Monde, âmes particulières des ἡμεῖς) n’est pas la uita de l’âme humaine péche-
resse et priante décrite dans sa subjectivité. En ce qui concerne l’éternité, les
éléments de description donnés par Augustin sont très pauvres en comparaison du
raffinement philosophique des chapitres 2-6 du traité de Plotin, qu’il semble ne
pas connaître au moment où il rédige ces célèbres analyses, ou dont, en tout cas, il
ne s’inspire pas ici. Mais, surtout, Conf. XI décrit, dans un discours à la première
personne adressé à Dieu, la différence, l’écart pathétique entre l’éternité de Dieu
et la temporalité du sujet humain, sans jamais situer la seconde dans un rapport de
dérivation par rapport à la première, qui n’est pas un paradigme ontologique mais
le but vers lequel tend une aspiration spirituelle animée par la Foi et l’Espérance.
L’éternité du Dieu personnel qui dit « je » (ego sum qui sum)49 n’est évidemment
pas celle de l’Intellect-Cronos de Plotin.
on Seven Hundred Years of the Ancient Commentators, R. Sorabji, éd., Londres, 2016, ch. 21
(Simplicius’ Corollary on Place: Method of Philosophizing and Doctrines), p. 531-540. — Un
exemple chez Proclus, Éléments de Théologie, Proposition 54.
49. Lire la note de Solignac, BA 14, p. 584.
50. Il faut renvoyer au livre important de W. Theiler, Porphyrios und Augustin (Schriften der
Königsberger Gelehrten Gesellschaft. 10. Jahr. Geisteswissenschaftliche Klasse. Heft 1), Halle,
1933 (qui essaie de montrer que la science néoplatonicienne d’Augustin vient de Porphyre), et
par exemple aux discussions et critiques de cette thèse excessive formulées naguère en divers
endroits du livre de O. du Roy, L’intelligence de la foi en la Trinité selon saint Augustin. Genèse
de sa théologie trinitaire jusqu’en 391, Paris, 1966, v. Index p. 534, s.v. Influence de Porphyre (et
aussi p. 70-71). On trouve dans ce même livre, aux p. 61-72, une étude sur les Platonicorum libri
dont Augustin a raconté la lecture dans le livre VII des Confessions (9, 13-15). Sur tout ceci, voir
G. Madec, « Augustin et Porphyre. Ébauche d’un bilan des recherches et des conjectures », dans
ΣΟΦΙΗΣ ΜΑΙΗΤΟΡΕΣ. « Chercheurs de sagesse ». Hommage à Jean Pépin (Collection des
Études augustiniennes. Série Antiquité, 131), Paris, 1992, p. 367-382 ; et, pour l’évolution récente
de la recherche, marquée par une quête de points de vue équilibrés : V. H. Drecoll, Die Entstehung
der Gnadenlehre Augustins (Beiträge zur historischen Theologie, 109), Tübingen, 1999, p. 113-
120, 333-339, et « Augustin und Porphyrios », dans Die Christen als Bedrohung? Text, Kontext
und Wirkung von Porphyrios’ Contra Christianos (Roma Æterna, Bd 5), I. Männlein-Robert, éd.,
Stuttgart, 2017, p. 275-288 (spéc. p. 275-276 : 1. Augustin und Porphyrios in ‚Mainstream‘ der
Augustinforschung), et aussi C. Tornau, « Ratio in subiecto? The Sources of Augustine’s Proof
for the Immortality of the Soul in the Soliloquia and its Defense in De immortalitate animae »,
Phronesis, 62, 2017, p. 319-354 (voir p. 321-324).
42 PHILIPPE HOFFMANN
51. Texte latin : « Omne autem quod tempore mouet (mouet<ur> Hörmann, CSEL 89) corpus,
tametsi ad unum finem tendat, tamen nec simul potest omnia facere, nec potest non plura facere ;
neque enim ualet quauis ope agatur, aut perfecte unum esse, quod in partes secari potest, aut ullum
est sine partibus corpus, aut sine morarum interuallo tempus, aut uero uel breuissima syllaba
enuntietur, cuius non tunc finem audias, cum iam non audis initium. Porro quod sic agitur, et
exspectatione opus est ut peragi, et memoria ut comprehendi queat quantum potest. Et exspectatio
futurarum rerum est, praeteritarum uero memoria. At intentio ad agendum praesentis est tem-
poris, per quod futurum in praeteritum transit, nec coepti motus corporis exspectari finis potest
sine ulla memoria. Quomodo enim exspectatur ut desinat, quod aut coepisse excidit, aut omnino
motum esse ? Rursus intentio peragendi quae praesens est, sine exspectatione finis qui futurus
est, non potest esse, nec est quidquam quod aut nondum est, aut iam non est. Potest igitur in
agendo quiddam esse, quod ad ea quae nondum (non codd. Hörmann) sunt pertineat. Possunt
simul in agente plura esse, cum ea plura quae aguntur simul esse non possint. Possunt ergo
etiam in mouente, cum in eo quod mouetur non possint. At quaecumque in tempore simul esse
non possunt, et tamen a futuro in praeteritum transmittuntur, mutabilia sint necesse est. ” Voir
C. W. Wolfskeel, ‘De immortalitate animae’ of Augustine. Text, translation and commentary,
Amsterdam, 1977, p. 54-55, et 58-59 ; et W. Hörmann, CSEL 89, p. 104-105. Le rapprochement
avec l’analyse du temps dans les Confessions est fait par P. de Labriolle, dans sa traduction
de la BA 5 (1948), p. 176-177 note 1 ; par H. Müller dans Aurelius Augustinus, Soliloquia.
De immortalitate animae – Selbstgespräche über Gott und die Unsterblichkeit der Seele (coll.
« Die Werke des Augustinus », Bd 2), H. Müller et H. Fuchs, éd., Zürich, 1954, p. 288 n. 129 ;
par J. J. O’Donnell, Augustine. Confessions. III : Commentary on Books 8-13. Indexes, Oxford,
1992, p. 284-285; par M. Bettetini, « Measuring in accordance with dimensiones certae » (cité
supra, n. 2), p. 42-44 ; ou encore par G. Catapano, dans : Agostino, Sull’anima: L’immortalità
dell’anima, La grandezza dell’anima, Testo latino a fronte. Introduzione, traduzione, note e
apparati di G. Catapano, Milan, 2003, p. 321 n. 38, qui signale qu’Augustin lisait chez Cicéron
(Tusc. I, xxvii, 66 ; inv. II, liii, 160, cité par Aug. en div. qu. 31, 1) la correspondance entre les
trois dimensions du temps et les trois actes psychiques (passé et mémoire, présent et attention,
futur et attente, ou plutôt prévoyance). On lit en Tusc. I, xxvii, 66, à propos de l’origine divine
de l’âme : [dans les éléments corporels] « …nihil inest, quod uim memoriae, mentis, cogitationis
habeat, quod et praeterita teneat et futura prouideat et complecti possit praesentia » (citation de la
Consolation) ; et dans le De inuentione, II, liii, 160, une définition de la prudentia : « Prudentia
est rerum bonarum et malarum <ne>utrarumque scientia. Partes eius : memoria, intellegentia,
prouidentia. Memoria est per quam animus repetit illa quae fuerunt ; intellegentia, per quam ea
perspicit quae sunt ; prouidentia, per quam futurum aliquid uidetur ante quam factum est. »
52. Traduction de G. Madec, Saint Augustin et la philosophie. Notes critiques, Paris, 1996,
ch. 12 : Tempus-Aeternitas, p. 93-99 (v. p. 96). Voir aussi id., « Le spiritualisme augustinien à
la lumière du De immortalitate animae », dans Petites études augustiniennes (Coll. des Études
augustiniennes. Série Antiquité, 142), Paris, 1994, p. 105-119 (ch. 6), spéc. p. 115-116 [étude
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 43
publiée initialement dans L’opera letteraria di Agostino tra Cassiciacum e Milano. Agostino nelle
terre di Ambrogio (1-4 ottobre 1986), Palerme, 1987, p. 179-190] ; et « Conversion, intériorité,
intentionnalité », dans Petites études augustiniennes, p. 161-162 et notes 53-55.
53. H. Dörrie, Porphyrios’ „Symmikta Zetemata“. Ihre Stellung in System und Geschichte des
Neuplatonismus nebst einem Kommentar zu den Fragmenten (coll. « Zetemata », 20), Munich,
1959, en particulier p. 10, p. 12-103 (reconstitution du ζήτημα sur l’union de l’âme et du corps)
et p. 152-155 (le ζήτημα sur l’immortalité de l’âme). — G. Madec, « Augustin, disciple et
adversaire de Porphyre », RÉAug, 10, 1964, p. 365-369, a par ailleurs discuté certaines vues de
Dörrie sur la transmission du néoplatonisme, de Porphyre à Augustin.
54. J. Pépin, « Une nouvelle source de saint Augustin : le ζήτημα de Porphyre sur l’union de
l’âme et du corps », Revue des études anciennes, 66, 1964, p. 53-107 ; repris dans : J. Pépin, « Ex
Platonicorum persona ». Études sur les lectures philosophiques de saint Augustin, Amsterdam,
1977, p. 213-267. J. Pépin conclut qu’« Augustin a connu au moins une partie des Σ. ζ., peut-
être à travers une traduction de Victorinus », et suppose que les Σ. ζ. « contenaient nombre de
citations textuelles de Plotin, comme c’est, par exemple, le cas des Sententiae » (p. 91 [251]).
— En fait, dans son étude J. Pépin ne mentionne pas spécialement le passage qui nous occupe (De
immort. animae, 3, 3), mais c’est le passage immédiatement suivant (De immort. animae, 3, 4-4,
5 : l’immortalité de l’âme conclue de sa nature vivante : Pépin, p. 76-77 [p. 236-237], cf. Dörrie,
Porphyrios’ „Symmikta Zetemata“, p. 58, et Madec, « Le spiritualisme augustinien », cité supra
n. 52, p. 112) qui est considéré par lui comme reposant sur le ζήτημα porphyrien.
55. G. Madec, « Le spiritualisme augustinien », cité supra n. 52, p. 108-113, résume la situa-
tion en ces termes : « H. Dörrie se contentait […] d’affirmer que le De immortalitate animae
est une esquisse formée d’excerpta (ou à partir d’excerpta ?) du Zètèma sur l’immortalité de
l’âme, en proposant une rétroversion en grec de l’argument tel qu’il se trouve dans les Soliloques,
II, 13, 24 et en notant que le style en est porphyrien. En un sens, on ne peut guère aller plus
loin, puisque Némésius n’a rien retenu du Zètèma en question. Cependant, en se livrant à une
comparaison minutieuse du Zètèma voisin et de divers textes d’Augustin, J. Pépin a relevé une
impressionnante série de thèmes et de formules, qui recouvre en somme toute la problématique
du De immortalitate animae » (p. 111), et il donne (p. 112) en parallèle deux séries de passages
du De immortalitate animae et de références (Plotin, Porphyre, Claudien Mamert) proposées par
J. Pépin. Voir aussi G. Madec, article « Augustin », dans Dictionnaire des philosophes antiques,
44 PHILIPPE HOFFMANN
I, n° 508, p. 667 (sur la découverte des Libri platonicorum) et p. 670 (sur le De immort. animae) ;
et Introduction aux « Révisions » et à la lecture des œuvres de saint Augustin (Collection des
Études augustiniennes. Série Antiquité, 150), Paris, 1996, p. 31 et n. 32 (« On sait aujourd’hui
que ce recueil de notes dépend étroitement d’un livre de Porphyre », allusion aux Συμμικτὰ
ζητήματα), p. 130 (v. aussi p. 160). Dans les Retractationes, I, 5, 1-3 (BA 12, p. 294-297),
Augustin se plaint lui-même de l’obscurité de l’ouvrage. — Cf. E. Zum Brunn, « Le dilemme de
l’être et du néant chez saint Augustin. Des premiers dialogues aux ‘Confessions’ », Recherches
augustiniennes, 6, 1969, p. 34-41 (v. p. 34 et n. 63-64) sur le De immort. animae.
56. G. Madec, Saint Augustin et la philosophie, Paris, 1996, p. 95-96 et n. 13. Opinion
signalée aussi par B. Stock, Augustine the Reader. Meditation, Self-Knowledge and the Ethics of
Interpretation, Cambridge (Mass.) – Londres, 1996, p. 405-406 (n. 205, avec bibliographie), dont
le livre offre un exemple d’une lecture globale de Conf. XI (v. p. 234-240 et 401-406).
57. À paraître dans la série Augustinus Opera - Werke, publiée par V. H. Drecoll et J. Brachtendorf
(éditeur Ferdinand Schöningh). Je remercie très vivement Christian Tornau, qui a eu la générosité
de me communiquer l’introduction de son ouvrage, dont la section 3.2.3 expose son évaluation
critique des travaux de Pépin et de Madec. — Sur la question du rapport d’Augustin à Porphyre,
et pour un point de vue critique à l’égard des hypothèses de Dörrie, voir aussi V. H. Drecoll et
C. Tornau (cités supra, note 50).
58. G. Madec, Saint Augustin et la philosophie, Ch. 12, p. 96, formule même l’hypothèse que
le déplacement, opéré par la réflexion augustinienne sur le temps, du « plan hypostatique de l’âme
universelle qui produit le temps cosmique par ‘diastase’ de la vie », au « plan psychologique de
l’esprit créé individuel » pourrait aussi avoir été influencé par Porphyre.
59. En énonçant la solidarité de l’éternité et de l’intellect, du temps et de l’âme (παρυφιστάναι).
L’éternité se définit par le ἅμα, le « toujours », le « maintenant » éternel et intemporel (au-delà du
passé et du futur), l’unité, l’inétendu (τὸ ἀδιάστατον), la permanence (μονή) de l’intellect en
lui-même. Le Νοῦς intellige éternellement « toutes choses sur le mode de l’unité, dans une unité
à la fois inétendue et intemporelle » (πάντα καθ᾽ ἓν ἐν ἑνὶ καὶ ἀδιαστάτῳ καὶ ἀχρόνῳ).
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 45
Le Stoïcisme ?
On peut s’interroger aussi sur l’existence d’autres sources philosophiques
qui pourraient être décelées derrière le livre XI. Pour Augustin non seulement
le passé et le futur ne sont pas, mais le présent lui-même, insaisissable et sans
épaisseur, n’existe pas, et ses analyses semblent faire écho, sur le fond, aux apo-
ries aristotéliciennes sur l’existence du temps et sur les paradoxes de l’instant (τὸ
νῦν)63 – apories qu’il reviendra à Damascius, à la fin de l’Antiquité, de résoudre
dans le cadre de la dernière philosophie néoplatonicienne64. La distinction entre
un présent physique insaisissable et labile et un présent comportant une certaine
durée construite par la conscience rappelle plus précisément l’analyse stoïcienne.
Chrysippe distinguait entre le présent « au sens rigoureux » (κατ᾽ ἀπαρτισμόν)
et un présent « au sens large » ou « considéré selon une certaine étendue » (κατὰ
πλάτος)65. Aucun temps n’est présent κατ᾽ ἀπαρτισμόν, en raison de la
63. Aristote, Physique, IV, 10, 217 b 32 – 218 a 30 ; et 11, 219 b 10 – 220 a 24 : le temps
n’existe absolument pas ou bien n’existe qu’à peine et de façon obscure (ἢ ὅλως οὐκ ἔστιν ἢ
μόλις καὶ ἀμυδρῶς), car en lui le passé n’est plus et le futur n’est pas encore (τὸ μὲν γὰρ
αὐτοῦ γέγονε καὶ οὐκ ἔστιν, τὸ δὲ μέλλει καὶ οὔπω ἔστιν). Or le temps est composé de
telles parties, qui sont dénuées d’existence, et il ne semble pas, de ce fait, avoir lui-même d’exis-
tence (τὸ δ᾽ ἐκ μῆ ὄντων συγκείμενον ἀδύνατον ἂν εἶναι δόξειε μετέχειν οὐσίας), bien
qu’il soit divisible (ὄντος μεριστοῦ). Quant à l’instant présent (τὸ νῦν), il n’est pas une partie
du temps (μέρος), mais une limite (πέρας), qui sépare et délimite le passé et le futur (διορίζειν
τὸ παρελθὸν καὶ τὸ μέλλον), il est à la fois identique et différent (le même « quant à son
sujet », ὅ ποτ᾽ ἦν, alors que son être, ou son essence, est autre, τὸ εἶναι αὐτῷ ἕτερον 219 b 11),
il « mesure » le temps « en tant qu’antérieur-postérieur » (ᾖ πρότερον καὶ ὕστερον 219 b 12).
64. Voir Simplicius, In Phys., Corollarium de tempore, p. 773, 8 – 800, 25 Diels (CAG IX),
spéc. p. 795, 27 – 800, 25. Je prépare, en collaboration avec Pantelis Golitsis (cf. supra, n. 48), une
nouvelle édition, avec traduction et notes, de ce texte fondamental.
65. Chrysippe, transmis par Arius Didyme (fr. 26 Diels [Doxographi Graeci, p. 461, 23 – 462,
3] ; apud Stobée, I, 106, 5-23 Wachsmuth, spéc. lignes 17-18 : ὥστε μηθένα κατ᾽ ἀπαρτισμὸν
ἐνεστάναι χρόνον, ἀλλὰ κατὰ πλάτος λέγεσθαι) = SVF, II, 509. Par ailleurs, toujours
selon Chrysippe, seul le présent (c’est-à-dire le présent κατὰ πλάτος) « existe » (ὑπάρχει),
au sens où l’accident (par exemple « se promener », τὸ περιπατεῖν, appartient présentement
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 47
au sujet), alors que le passé et le futur « subsistent » (ὑφιστάναι) ; sur le sens, discuté, de ces
deux termes, ὑπάρχειν et ὑφιστάναι, v. la note suivante). — L’expression κατὰ πλάτος est
souvent comprise comme signifiant « au sens large », mais on ne peut exclure qu’elle signifie
aussi, de façon corrélative, « selon une étendue » – l’étendue, πλάτος, conférée au présent par
la conscience qui le découpe et lui donne une certaine consistance. C’est l’interprétation de
V. Goldschmidt, Le système stoïcien et l’idée de temps (cité infra, note 66), p. 37. — Lire aussi
les excellentes pages de G. J. P. O’Daly, « Augustine on the Measurement of Time » et Augustine’s
Philosophy of Mind, références données supra n. 14. O’Daly rappelle in fine que l’on ne dispose
d’aucun argument explicite prouvant qu’Augustin dépend des doctrines stoïciennes du temps.
Mais M. L. Colish, The Stoic Tradition from Antiquity to the early Middle Ages. II. Stoicism in
Christian Latin Thought through the Sixth Century (coll. « Studies in the History of Christian
Thought », 35), Leiden, 1985, p. 203, admet l’influence du stoïcisme sur la pensée augustinienne
du présent.
66. Voir le fragment 98 de Posidonius (transmis par Arius Didyme, fr. 26 Diels [Doxographi
Graeci, p. 461, 13-22] ; apud Stobée I. 105, 17 – 106, 4 Wachsmuth), où l’on lit : τὸ δὲ νῦν καὶ
τὰ ὅμοια ἐν πλάτει χρόνον [χρόνον corr. Usener Diels Wachsmuth Kidd Theiler : χρόνου
codd. FP Stobaei, secluserunt Heeren Long-Sedley] καὶ οὐχὶ κατ᾽ ἀπαρτισμὸν νοεῖσθαι.
Λέγεσθαι δὲ τὸ νῦν καὶ κατὰ [κατὰ secl. Wachsmuth Kidd] τὸν ἐλάχιστον πρὸς αἴσθησιν
χρόνον περὶ τὸν διορισμὸν τοῦ μέλλοντος καὶ παρεληλυθότος συνιστάμενον, « Le
‘maintenant’ et les expressions semblables sont conçus comme du temps au sens large, et non
au sens rigoureux. Mais on exprime aussi le ‘maintenant’ selon le temps le plus petit que l’on
puisse percevoir, et qui se constitue en englobant (περί) la limite séparant le futur et le passé. »
A. A. Long et D. N. Sedley (The Hellenistic philosophers, Cambridge University Press, 1987,
vol. I p. 305-308 [51 E], vol. II, p. 303-304 [texte grec]) traduisent : « Now and the like are thought
of broadly and not exactly. But now is also spoken of with reference to the least perceptible time
encompassing the division of the future and the past », et rapprochent κατὰ τὸν ἐλάχιστον
πρὸς αἴσθησιν χρόνον d’une expression d’Épicure (τὸ ἐλάχιστον τὸ ἐν τῇ αἰσθήσει, Lettre
à Hérodote, DL X, 58). Voir aussi W. Theiler, Poseidonios. Die Fragmente, Berlin – New York,
1982, t. I, p. 191-192 (F 270), et t. II, p. 144-145 (le Fragment 270 de Theiler, t. I, p. 191-192,
correspond à une section du fragment 26 d’Arius Didyme [Diels, Doxographi Graeci, p. 461,
13 – 462, 3], qui contient le passage sur Chrysippe [= SVF, II, 509], et le commentaire rassemble
[t. II, p. 145] une bibliographie sur le débat relatif au sens de ὑπάρχειν et ὑφιστάναι, qui a
notamment opposé P. Hadot et V. Goldschmidt). Et aussi L. Edelstein et I. G. Kidd, Posidonius. I.
The Fragments, Cambridge University Press, 19892 (19721), p. 103 (F 98); I. G. Kidd, Posidonius.
II. The Commentary: (i). Testimonia and Fragments 1-149, Cambridge University Press, 1988,
p. 395-403 (avec un dossier très complet sur les doctrines d’Aristote et des Stoïciens), spéc. p. 398
(remarque sur Augustin et les Stoïciens), p. 402-403 (où est mise en doute l’interprétation de
Goldschmidt, selon qui il y a une articulation entre les analyses de Chrysippe et de Posidonius),
et III. The Translation of the Fragments, 1999, p. 157-158. — Sur tout ceci, lire aussi les pages
classiques de V. Goldschmidt, Le système stoïcien et l’idée de temps, Paris, 1989 (= 19794)
[1e éd. 1953], p. 30-39.
48 PHILIPPE HOFFMANN
67. Voir Kidd, vol. II (i.), p. 403, et III, p. 158. — Voir aussi G. J. P. O’Daly, « Augustine on
the Measurement of Time: some Comparisons with Aristotelian and Stoic Texts », p. 177 et p. 179
n. 31, et Augustine’s Philosophy of Mind, p. 161, suite de la n. 45 (renvoi à W. James dans le cadre
d’une comparaison entre Augustin et le De memoria d’Aristote).
68. W. James, The Principles of Psychology, New York, 1890, vol. I, ch. XV (The Perception
of Time), p. 608 sqq. : « …the specious present, the short duration of which we are immediately
and incessantly sensible » (p. 631).
69. Je renvoie aux éditions mentionnées supra, n. 66.
70. Cf. Ch. Baguette, Le Stoïcisme dans la formation de saint Augustin, Thèse de doctorat en
philosophie et lettres, Louvain, 1968.
71. Voir G. Madec, RÉAug, 15, 1969, p. 292-293 (n° 107 : c. r. de Ch. Baguette, Le Stoïcisme
dans la formation de saint Augustin) : « Nous ne saisissons que rarement à l’état pur les données
stoïciennes dans l’œuvre d’Augustin. » L’article très intéressant de Ch. Baguette, « Une période
stoïcienne dans l’évolution de la pensée de saint Augustin », RÉAug, 16, 1970, p. 47-77, s’attache
à étudier les résumés cosmologiques du livre VII des Confessions en les comparant à la fois au
De natura deorum de Cicéron et à l’Histoire naturelle de Pline, mais cet article ne contient pas
d’élément susceptible d’éclairer la question du temps, qui nous intéresse ici. Sur l’influence stoï-
cienne sur la pensée d’Augustin dès la rédaction du De pulchro et apto, voir aussi les suggestions
de M. Testard, Saint Augustin et Cicéron, I: Cicéron dans la formation et dans l’œuvre de saint
Augustin, Paris, 1958, p. 53 et 55 (et note 2). Voir aussi supra, note 65 (opinions de G. J. P. O’Daly
et de M. L. Colish).
72. Traité Περὶ τῶν καθόλου λόγων. Sur cet apocryphe pythagoricien (terminus post quem
seconde moitié du ier s. avant J.-C.), voir la notice de B. Centrone, « Pseudo-Archytas », dans
Dictionnaire des philosophes antiques, vol. I, n° 323, p. 342-345 (p. 343-344).
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 49
73. Simplicius, In Phys., Corollarium de tempore, p. 785, 17-21 Diels [CAG IX] (= Simplicius,
In Cat., p. 352, 25-30, cf. p. 353, 18-19 et p. 354, 20. 28-30 Kalbfleisch [CAG VIII]). Cf.
Th. A. Szlezák, Pseudo-Archytas über die Kategorien (coll. « Peripatoi », Bd 4), Berlin – New
York, 1972, p. 48-49 = H. Thesleff, The Pythagorean Texts of the Hellenistic Period, Åbo, 1965,
p. 29, 12-17.
74. J. F. Callahan, « Greek Philosophy and the Cappadocian Cosmology », Dumbarton Oaks
Papers, 12, 1958, p. 29-57 (p. 36-39, 55-56, spéc. n. 101) ; et surtout « Basil of Caesarea, A New
Source for St. Augustine’s Theory of Time », Harvard Studies in Classical Philology, 63, 1958,
p. 437-454.
75. Conf., XI, 23, 29 : « Audiui a quodam homine docto, quod solis et lunae ac siderum motus
ipsa sint tempora, et non adnui. Cur enim non potius omnium corporum motus sint tempora ? »
76. Basile de Césarée, Adu. Eunom. I, 21 : « Mais puisque cet homme à la sagesse encyclo-
pédique en arrive à nous donner la définition de la nature du temps, voyons aussi sur ce terrain la
solidité et la circonspection de sa pensée. Il dit donc : le temps est un indéfinissable mouvement
des astres (χρόνον τοίνυν εἶναί φησι ποιάν τινα κίνησιν ἀστέρων), c’est-à-dire du soleil,
de la lune et des autres astres, de tous ceux qui ont la faculté de se mouvoir en eux-mêmes. Mais
l’intervalle qui va de l’origine du ciel et de la terre à la création des astres, qu’est-il donc alors ?
Que déclarera à son sujet notre grand astronome ? » (traduction B. Sesboüé, SC 299, Paris, 1982,
p. 246-247 ; sur la conception du temps selon Eunome et Basile, v. l’introduction, p. 86-89). Le
Contre Eunome doit avoir été rédigé vers 363-364.
77. Voir le compte rendu dans RÉAug, 7, 1961, p. 89 (par A. de Veer) ; et Solignac, BA 14,
p. 586, qui juge peu précis et partant non convaincants les parallèles proposés entre le texte
de Basile et les Conf. Des réserves ont aussi été formulées par E. P. Meijering, Augustin über
Schöpfung, Ewigkeit und Zeit, cité supra n. 3, p. 79-80 et 85.
50 PHILIPPE HOFFMANN
créées dans un cadre spatio-temporel, et la nature éternelle (ἀΐδιος), qui est au-
delà du temps et du lieu. Grégoire explique que cette nature éternelle est stable en
elle-même, qu’elle est exempte de la « division » introduite par le passé et le futur
(οὔτε τῷ παρῳχηκότι οὔτε τῷ μέλλοντι συνδιαιρουμένη) car il n’y a rien
en dehors d’elle dont la venue et le « passage » (παροδεύειν) introduiraient une
distinction entre passé et futur. Dans cette nature éternelle, donc, rien ne passe, il
n’y a ni passé ni futur, car c’est dans la Création que l’on rencontre ces affections
(πάθη), « parce que la vie se scinde, par la division du temps, en espérance et en
mémoire (πρὸς ἐλπίδα καὶ μνήμην) ». Et lorsqu’il oppose à cet éternel présent
le passé et le futur, Grégoire emploie à la fin du passage, pour désigner le futur, le
participe substantivé τὸ προσδοκώμενον (littéralement : « ce qui est attendu »).
La ressemblance avec l’analyse d’Augustin ne peut manquer de retenir l’atten-
tion. Le verbe παροδεύειν, dont on remarquera qu’il est connu de Porphyre83,
pourrait-il être une source du transire si important dans l’analyse d’Augustin, et
τὸ προσδοκώμενον annonce-t-il l’expectatio ? Peut-on suggérer une influence
de Grégoire sur Augustin ? Ou n’est-ce pas plutôt une simple convergence de
deux penseurs qui font, indépendamment l’un de l’autre, une même découverte
philosophique ? Comme Callahan lui-même le signale84, Aristote, déjà, dans sa
Rhétorique, utilise la notion d’ἐλπίς pour décrire le caractère de la jeunesse, qui
a l’avenir devant elle et vit d’espérance85.
οὔτε ἐν χρόνῳ, ἀλλὰ πρὸ τούτων καὶ ὑπὲρ ταῦτα κατὰ τὸν ἄφραστον λόγον αὐτὴ
ἐφ᾽ ἑαυτῆς διὰ μόνης τῆς πίστεως θεωρεῖται, οὔτε αἰῶσι παραμετρουμένη οὔτε
χρόνοις συμπαρατρέχουσα, ἀλλ᾽ ἐφ᾽ ἑαυτῆς ἑστῶσα καὶ ἐν ἑαυτῇ καθιδρυμένη, οὔτε
τῷ παρῳχηκότι οὔτε τῷ μέλλοντι συνδιαιρουμένη · οὐδὲ γὰρ ἔστι τι παρ᾽αὐτὴν ἔξω
αὐτῆς, οὗ παροδεύοντος τὸ μέν τι παρέρχεται τὸ δὲ μέλλει. ταῦτα γὰρ ἴδια τῶν ἐν
τῇ κτίσει τὰ πάθη, πρὸς ἐλπίδα καὶ μνήμην κατὰ τὴν τοῦ χρόνου διαίρεσιν τῆς ζωῆς
σχιζομένης · ἐκείνῃ δὲ τῇ ὑψηλῇ καὶ μακαρίᾳ δυνάμει, ᾗ πάντα κατὰ τὸ ἐνεστὸς ἀεὶ
πάρεστιν ἐπίσης, καὶ τὸ παρῳχηκὸς καὶ τὸ προσδοκώμενον ὑπὸ τῆς περιεκτικῆς τῶν
πάντων δυνάμεως ἐγκρατούμενα καθορᾶται.
83. Porphyre, Περὶ ἀγαλμάτων = Fragment 359 Smith (ligne 90) [p. 427] διὰ τῶν
καιρῶν ὁ χρόνος παροδεύει, « le temps passe à travers les saisons ». Que Porphyre puisse être
une source de Grégoire pour la doctrine du temps est une hypothèse invérifiable, mais qui ne peut
être exclue (voir les observations de P. Courcelle, « Grégoire de Nysse lecteur de Porphyre »,
Revue des études grecques, 80, 1967, p. 402-406).
84. J. F. Callahan, Augustine and the Greek Philosophers, cité supra (n. 81), p. 76.
85. La liaison entre τὸ μέλλον et ἐλπίς, et entre τὸ παροιχόμενον (ou τὸ παρεληλυθός)
et μνήμη est nettement affirmée dans l’analyse contrastée des caractères de la jeunesse et de la
vieillesse (portée à se ressouvenir plus qu’à espérer) dans la Rhétorique d’Aristote, livre II, 12,
1389 a 18-32, et 13, 1390 a 4-9. Cf. aussi Aristote, De memoria, 449 b 27 : τοῦ μὲν παρόντος
αἴσθησις, τοῦ δὲ μέλλοντος ἐλπίς, τοῦ δὲ γενομένου μνήμη ; mais également les textes
de Cicéron (cités supra, note 51).
52 PHILIPPE HOFFMANN
86. Conf. XI, 30, 40 : « Et intellegant te ante omnia tempora aeternum creatorem omnium
temporum neque ulla tempora tibi esse coaeterna nec ullam creaturam, etiamsi est aliqua supra
tempora. »
87. J. Pépin, « Recherches sur le sens et les origines de l’expression caelum caeli dans le
livre XII des Confessions de s. Augustin », Archivum Latinitatis Medii Aevi [Bulletin Du Cange],
23, 1953, p. 185-274 ; repris dans « Ex Platonicorum Persona ». Études sur les lectures phi-
losophiques de saint Augustin, Amsterdam, 1977, p. 41-130 (à compléter par la discussion et
retractatio p. XVII-XXVIII). Voir aussi A. H. Armstrong, cité infra, n. 90 ; et le commentaire de
J. Pépin au livre XII (avec une recherche approfondie des parallèles néoplatoniciens, notamment
plotiniens), dans : Sant’Agostino, Confessioni, Volume V (Libri XII-XIII), Milan, 1997, p. 151-
229 (spéc. p. 157-161 [sur le Caelum caeli] et p. 168-169, 189). — Le dossier du caelum caeli
est présenté, également, dans la note complémentaire de A. Solignac, BA 14, p. 592-598 (qui
présente et discute les analyses de Pépin et Armstrong) ; et par R. J. Teske, « The World-Soul and
Time in St. Augustine », Augustinian Studies, 14, 1983, p. 80 sqq.
88. L’étude de J. Pépin, « Recherches sur le sens et les origines de l’expression caelum caeli »,
comporte une mise au point sur la place des anges par rapport à l’éternité et au temps et par
rapport au caelum caeli, mais elle ne concerne pas directement l’interprétation des Confessions. Il
apparaît que dans le livre XII des Confessions, il ne faut pas introduire les anges dans le caelum
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 53
caeli de Conf. XII est une cité des esprits célestes qui ressemble fort à l’Intellect
plotinien ; il participe de l’éternité divine et en lui il n’y a aucune distension89.
J. Pépin montre qu’Augustin en propose deux descriptions : le caelum caeli est
présenté soit comme une créature d’emblée « formata », soit comme une créature
initialement informe – analogue à la matière intelligible plotinienne – puis for-
mée après une conversion vers le Verbe, selon un schème métaphysique lui aussi
plotinien90. Ce caelum est à la fois intellectuale et intelligibile, sujet et objet de
l’intellection. En cela il est aussi l’héritier de l’intuition centrale de la noétique
plotinienne et de sa doctrine de l’Intellect divin – elles-mêmes héritières de
l’affirmation aristotélicienne de l’identité de la science et de son objet dans le cas
des réalités immatérielles91. Le caelum caeli des Confessions représente ainsi un
chapitre important de la longue histoire de la relation entre la Pensée et son objet,
esquissée par Jean Pépin dans un autre article fondamental92. On doit par ailleurs
à ce savant une belle étude dans laquelle il montre, sur ce point de doctrine, la
dépendance d’Augustin par rapport à Plotin93.
caeli. — Voir aussi le commentaire de J. Pépin au livre XII, cité à la note précédente.
89. Conf. XII, 11, 12 ; 15, 22 : le ciel du ciel est exempt des vicissitudes du temps et dépasse
toute distension temporelle (estne ista domus dei, non quidem deo coaeterna, sed tamen secun-
dum modum suum aeterna in caelis [II Cor. 5, 1], ubi uices temporum frustra quaeritis, quia
non inuenitis ? supergreditur enim omnem distentionem et omne spatium aetatis uolubile … « elle
dépasse en effet toute distension et tout espace du temps fugace »). Le mot « distentio » revêt ici
une signification « objective », et permet de décrire, négativement, l’éternité du caelum caeli.
90. Sur la reprise de la matière intelligible plotinienne par Augustin, et la parenté du Νοῦς
plotinien et du caelum caeli (ou de la spiritalis creatura), lire A. H. Armstrong, « Spiritual or
intelligible Matter in Plotinus and St. Augustine », dans Augustinus Magister I (Communications
du Congrès international augustinien, Paris, 1954), Paris, 1955, p. 277-283 (repris dans Plotinian
and Christian Studies, Londres, 1979, article VII).
91. Aristote, De anima, III 4, 429 b 30 – 430 a 5 ; 5, 430 a 19-20 ; 7, 431 a 1-2 et 431
b 17. Sur les origines de l’interprétation néoplatonicienne de ces affirmations d’Aristote, voir
P. Hadot, « La conception plotinienne de l’identité entre l’intellect et son objet. Plotin et le De
Anima d’Aristote », cité supra n. 26.
92. J. Pépin, « Éléments pour une histoire de la relation entre l’intelligence et l’intelligible
chez Platon et dans le néoplatonisme », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 81,
1956, p. 39-64 ; repris dans De la philosophie ancienne à la théologie patristique, Londres, 1986,
Étude I (avec une précieuse note bibliographique complémentaire, dans les Addenda et corrigenda,
Étude I, p. 1 [références aux travaux fondamentaux de H. J. Krämer, P. Hadot, A. H. Armstrong,
Th. A. Szlezák, S. E. Gersh, M. Baltes, H.-R. Schwyzer]).
93. Sur l’identité de l’intellectuale et de l’intellegibile, voir J. Pépin, « Une curieuse déclaration
idéaliste du ‘De Genesi ad litteram’ (XII, 10, 21) de saint Augustin, et ses origines plotiniennes
(‘Ennéade’ 5, 3, 1-9 et 5, 5, 1-2) », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 34, 1954,
p. 373-400 (version complète d’une communication au XIe Congrès international de Philosophie
[Bruxelles 20-26 août 1953], Actes, vol. XII, p. 137-145) ; repris dans « Ex Platonicorum per-
sona », p. 183-210 (avec mention, p. 380 [190] du « Ciel » de Genèse 1, 1 dans Conf. XII, conçu
comme un collège d’esprits angéliques).
54 PHILIPPE HOFFMANN
94. Conf. XI, 31, 41 : « Certe si est tam grandi scientia et praescientia pollens animus, cui
cuncta praeterita et futura ita nota sint, sicut mihi unum canticum notissimum, nimium mirabilis
est animus iste atque ad horrorem stupendus, quippe quem ita non lateat quidquid peractum et
quidquid reliquum saeculorum est, quemadmodum me non latet cantantem illud canticum, quid et
quantum eius abierit ex exordio, quid et quantum restet ad finem. Sed absit, ut tu, conditor univer-
sitatis, conditor animarum et corporum, absit, ut ita noueris omnia futura et praeterita. Longe tu,
longe mirabilius longeque secretius, neque enim sicut nota cantantis notumue canticum audientis
expectatione uocum futurarum et memoria praeteritarum uariatur affectus sensusque distenditur,
ita tibi aliquid accidit inconmutabiliter aeterno, hoc est uero creatori mentium. »
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 55
95. G. Madec, « Le spiritualisme augustinien », cité supra n. 52, p. 116 et n. 60, rappelle la
référence au De immortalitate animae, XV, 24 (« per animam ergo corpus subsistit, et eo ipso est
quo animatur, siue uniuersaliter, ut mundus ; siue particulariter, ut unumquodque animal intra
mundum » : cf. Retractationes, I, 5, 3 « hoc totum prorsus temere dictum est »), et il renvoie à
C. W. Wolfskeel, « Augustin über die Weltseele in der Schrift De immortalitate animae », dans
THETA-PI, 1, 1972, p. 81-103, article dont il a donné un compte rendu très critique et dubitatif
(ainsi que d’une autre étude, « Ist Augustin in ‘De immortalitate animae’ von der Gedankenwelt
des Porphyrios beeinflusst worden? », Vigiliae Christianae, 26, 1972, p. 130-145), dans la RÉAug,
19, 1973, p. 336-337. C. W. Wolfskeel suppose une source porphyrienne et a maintenu son inter-
prétation dans son édition déjà citée (supra, n. 51), ‘De immortalitate animae’ of Augustine, en
VIII, 14 (p. 104-107, à propos du mot « conditor »), VIII, 15 (p. 108-111) et surtout XV, 24 (p. 144-
148). — Voir aussi J. Pépin, « Une nouvelle source de saint Augustin », cité supra n. 54, p. 89-90
[249-250], sur le De quantitate animae (XXXII, 69) et le problème du nombre des âmes (une âme
unique ou des âmes multiples ?) – question aussi traitée dans la Sentence 37 de Porphyre, qui est
tissée d’emprunts aux textes de Plotin ; Pépin n’exclut pas qu’un ζήτημα porphyrien puisse être
à l’arrière-plan du passage du De quantitate animae.
96. R. J. Teske, « The World-Soul and Time in St. Augustine », Augustinian Studies, 14, 1983,
p. 75-92 (voir le c. r. critique de G. Madec, RÉAug, 31, 1985, p. 354). Textes cités (outre le De
quantitate animae, XXXII, 69) : De immortalitate animae, XV, 24 ; De ordine, II, 11, 30 ; De
musica, VI, 5, 13 ; De Genesi ad litteram liber imperfectus, IV, 17 ; De consensu euangelistarum,
I, 23, 35. Analyses reprises par R. J. Teske, Paradoxes of Time in Saint Augustine (The Aquinas
Lecture, 1996), Marquette University Press, 1996, spéc. p. 38-55 ; dans cet ouvrage, Teske déve-
loppe l’idée d’une dépendance forte d’Augustin par rapport à Plotin, Enn., III, 7 [45]. Présentation
de cette thèse, et discussion, chez J. M. Rist, Augustine, cité supra n. 14, p. 83 n. 75. — Le dossier
de l’Âme du Monde est aussi examiné par O. du Roy, L’intelligence de la foi en la Trinité selon
saint Augustin, cité supra n. 50, p. 130-131 et n. 6, et p. 192 et n. 3 et 4; et par G. J. P. O’Daly,
Augustine’s Philosophy of Mind, Londres, 1987, p. 62-70, réservé à l’égard de la position de Teske
(p. 70 n. 196 : « Teske’s attempt to demonstrate that Augustine believed at least implicitly in the
existence of the world-soul as late as the time of writing of the Confessions is ingeniously argued,
but is too dependent on special pleading to be convincing »). — L’hypothèse de l’âme du Monde
est discutée, également, par M. Bettetini, « Measuring in accordance with dimensiones certae »
(cité supra, n. 2), p. 34, 45-46 (à propos d’une analyse de K. Flasch).
56 PHILIPPE HOFFMANN
97. J. M. Colleran, St. Augustine. The Greatness of the Soul and the Teacher, transl. by JMC
(Ancient Christian Writers, vol. 9), Westminster (Maryland), 1950, 19642, p. 212 n. 86.
98. « Ce qui (…) imite dans cette beauté (i.e. la beauté du corps des hommes et de tous les ani-
maux) la constance, c’est que les mêmes corps conservent la même organisation, aussi longtemps
qu’ils sont en vie, et cela vient du Dieu suprême qui en pénètre les corps par l’intermédiaire de
l’âme. L’âme maintient cette organisation même et l’empêche de se dissoudre et de se défaire,
comme nous voyons qu’il arrive dans les corps des animaux, après le départ de l’âme. Par contre,
si l’on entend que cette beauté fragile existe dans tous les corps, mes expressions obligent à croire
que le monde lui-même est un être animé et que ce qui, en lui, imite la constance, provient du Dieu
suprême qui l’y introduit par l’intermédiaire de l’âme. Platon et d’autres philosophes en très grand
nombre ont pensé que ce monde est un être vivant ; mais je n’ai pu m’en persuader par aucune
raison certaine et je n’ai pas trouvé que l’autorité des Écritures divines en apporte la preuve. Par
suite, si j’ai dit quelque chose qui puisse être interprété dans ce sens dans le livre De l’immortalité
de l’âme (15, 24) je l’ai noté comme téméraire (Retract., I, 5, 3) : je n’affirme pas qu’il soit faux
mais je ne déclare pas qu’il soit vrai que le monde est animé. En tout cas, je ne doute pas qu’il
faut retenir comme une vérité indiscutée que ce monde n’est pas un Dieu pour nous, qu’il soit ou
qu’il ne soit pas animé. S’il est animé, celui qui a fait son âme “est notre Dieu”. Et s’il ne l’est
pas, il ne peut être le Dieu de personne, à plus forte raison pas le nôtre. Il existe pourtant une force
spirituelle et vitale, même si le monde n’est pas un être animé : cette force est au service de Dieu
dans les saints anges pour orner et pour administrer le monde, et les anges n’en pénètrent pas le
secret : du moins on peut le croire avec la plus grande probabilité. Sous le nom des saints anges,
je désigne maintenant toute sainte créature spirituelle établie dans les secrets et dans les desseins
cachés de Dieu » (Retractationes I, XI, 4, trad. G. Bardy, BA 12, p. 336-339, à propos de De
musica, VI, 14, 44). Texte commenté par Teske, « The World Soul and Time », p. 78-80.
99. Pace Teske « The World-Soul and Time », p. 90, qui considère qu’Augustin ne met pas en
doute, dans cette proposition hypothétique, l’existence même de l’animus.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 57
100. Est-il vraiment certain que l’animus de Conf. XI, 31, 41 soit l’âme du monde ? G. Madec,
c. r. de Teske, dans RÉAug, 31, 1985, p. 354 : « …il ne me paraît pas certain qu’Augustin pense
ici encore à l’âme du monde. » Mais dans « Le spiritualisme augustinien », p. 116 et n. 60, Madec
semble plus neutre (voir supra, n. 95).
101. Teske, « The World-Soul and Time », p. 84 : « The world-soul of Plotinus has become
in Augustine a creature that God uses to form, administer, and order the world, but […] even
as late as the Confessions the idea of the world-soul with which individual souls are identical
remains an operative element in Augustine’s conceptual scheme. For, when he speaks of time as
a distentio animi, as a distention of the mind-soul, he is […] still thinking in terms of individual
souls being one with the world-soul, with that soul by which God gave form to this world. If this
hypothesis is correct, […] time as a distention of mind-soul is ‘un temps des choses’, an objective
and not merely a subjective time. » Teske considère (p. 85) qu’Augustin avait une connaissance
fine du Traité 45 (Enn. III, 7) de Plotin, et que les précisions données par Plotin à la fin du
traité, ch. 13, lignes 66-69 (ἆρ᾽ οὖν καὶ ἐν ἡμῖν χρόνος ; ἢ ἐν ψυχῇ τῇ τοιαύτῃ πάσῃ καὶ
ὁμοειδῶς ἐν πάσῃ καὶ αἱ πᾶσαι μία. διὸ οὐ διασπασθήσεται ὁ χρόνος · ἐπεὶ οὐδ᾽ ὁ
αἰὼν ὁ κατ᾽ ἄλλο ἐν τοῖς ὁμοειδέσι πᾶσιν, « Est-ce que le temps est aussi en nous ? Il est
en toute âme de ce type, et sous la même forme en chacune, et toutes n’en font qu’une : c’est
pourquoi le temps ne sera pas morcelé, pas plus que l’éternité qui, d’une autre manière, est dans
toutes les réalités éternelles, qui sont de même forme ») et qui décrivent l’homogénéité entre le
temps de l’Âme universelle (dont dérive le temps physique et cosmique) et le temps des âmes
humaines (qui ne font qu’une avec l’Âme universelle) constituent un schéma repris et transposé
par Augustin. Pour Plotin, le temps est partout parce que l’Âme universelle est en toute partie du
Monde, comme notre âme est présente en nous en chacune de nos parties (ch. 13, lignes 47-49 :
πῶς οὖν πανταχοῦ ; ὅτι κἀκείνη οὐδενὸς ἀφέστηκε τοῦ κόσμου μέρους, ὥσπερ οὐδ᾽ ἡ
ἐν ἡμῖν οὐδενὸς ἡμῶν μέρους, « Comment, donc, le temps est-il partout ? Parce que l’Âme
[universelle], elle-même, n’est absente d’aucune partie du Monde, tout comme l’âme qui est en
nous n’est pas non plus absente d’aucune partie de nous-mêmes »). La διάστασις objective –
une et première – de l’Âme universelle est la source commune du temps du Monde et du temps
psychologique. En « plotinisant » Augustin, Teske tente ainsi de résoudre la difficulté majeure du
livre XI des Confessions. Cf. aussi Teske, Paradoxes of Time, p. 46-55 et p. 58, qui confirme son
analyse (nombreuses notes aux p. 92-102).
102. Teske, « The World-Soul and Time », spéc. p. 89-92.
103. Voir supra, p. 52-53, et surtout l’étude de J. Pépin, « Recherches sur le sens et les origines
de l’expression caelum caeli », citée n. 87.
58 PHILIPPE HOFFMANN
avec laquelle les âmes individuelles ne feraient qu’une seule âme ; on ne lit pas
dans ces lignes un schème qui rappellerait la psychologie plotinienne dans sa
double dimension universelle et particulière. L’identification proposée par Teske
est impossible, et doit être abandonnée. Elle supposerait en outre qu’Augustin
a confondu deux niveaux principiels essentiels dans le néoplatonisme, celui de
l’Intellect et celui de l’Âme, ce qui est peu vraisemblable104. Teske, toutefois,
exprime avec beaucoup de clarté (aux p. 84-86 sqq.) la difficulté qu’il y a à
admettre que la définition augustinienne du temps soit uniquement psychologique,
et que la distentio animi de l’âme humaine individuelle permette de rendre compte
du temps de la Création, dans son universalité105. Comment la rendre compatible
avec les autres analyses d’Augustin (sur le temps objectif, celui de la Création),
si l’on n’admet pas une solution échappatoire consistant à dire qu’il y aurait deux
types de temps chez Augustin – en quelque sorte dissociés –, le temps objectif et le
temps subjectif106, et comment exonérer Augustin des reproches lourds, de fond,
exprimés, par exemple, par Bertrand Russell107 ? Teske cherche dans l’hypothèse
d’une adhésion maintenue d’Augustin à la théorie de l’Âme du monde – allégée
certes de l’idée selon laquelle cette âme vivifie le monde, mais identifiée par lui
de façon abusive au caelum caeli –, et au prix d’une interprétation plotinisante
104. Remarque très juste de G. Madec, dans RÉAug, 31, 1985, p. 354 (c. r. de Teske).
105. Teske, « The World-Soul and Time », p. 86 (avec renvoi à plusieurs textes du corpus
augustinien), résume excellemment la difficulté : « […] God is the maker of all times, and time
began to be along with heaven and earth. Times pass by means of the changing motions of a
creature, or times began to run by means of the motions of a creature that was made. There is time
by means of which the future succeeds the past through the present in virtue of the motion of a
creature – either spiritual or corporeal. Hence, it seems clear that time began with the existence of
the motion of a creature – no matter whether that creature was spiritual or corporeal. Such time
would not seem to be dependent upon the existence of individual souls; rather it would seem to
be objective and independent of human consciousness. Hence, Augustine’s definition of time as
distentio animi seems inconsistent with what he says elsewhere. »
106. Teske, « The World-Soul and Time », p. 86-88 : « […] there seems to be no evidence that
Augustine intended to distinguish several kinds of time and to define only human or psychological
time, and there are good reasons to believe that he meant his definition to be a definition of time,
not of a kind of time. »
107. Teske, « The World-Soul and Time », p. 88 (et n. 41) : « If, then, ‘distentio animi’ is a
definition of time, one might – as generally seems to have been done – understand the animus that
is stretched out or distended to be the individual mind-soul. Such an understanding of Augustine’s
definition of time not merely is not consistent with what else he says about time […] ; such
an understanding also has to face the very serious objections that Bertrand Russell has raised,
namely, that Augustine “substitute[d] subjective time for the time of history and physics” » (suit
une citation de B. Russell, Human Knowledge: its Scope and Limits, New York, 1948 p. 212) [cf.
Teske, Paradoxes of Time, p. 39-40] ; et p. 89 : « […] if Augustine’s definition of time as ‘distentio
animi’ is to be consistent with what else he says about time and if that definition is to escape the
charges that it makes time subjective and private to individual souls, the animus that is distended
must be the world-soul by which God gave form to the world and with which individual souls are
somehow one. »
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 59
108. Teske, « The World-Soul and Time », p. 88 : « …both Plotinus and Augustine approach
the nature of time from the nature of eternity and the definition of time as diastasis or distention
is developped in contrast with eternity which is all at once. »
109. Teske, « The World-Soul and Time », p. 92 : « …time, if my very tentatively suggested
hypothesis is correct, is for Augustine as it was for Plotinus primarily a distention of that soul by
which form is given to the world and with which we are all somehow one. » L’a. insiste beaucoup
(p. 92 n. 49) sur le caractère hypothétique de la solution qu’il propose.
110. Voir, déjà, les travaux de J. Chaix-Ruy, « La Cité de Dieu et la structure du temps chez
saint Augustin », dans Augustinus Magister. Congrès international augustinien, Paris, 21-24
septembre 1954, vol. 2, p. 923-931, qui affirmait l’impossibilité de réduire le temps augustinien à
son seul versant psychologique (et aussi id., Saint Augustin. Temps et histoire, Paris, 1956).
60 PHILIPPE HOFFMANN
111. De même E. P. Meijering, Augustin über Schöpfung, Ewigkeit und Zeit, cité supra
n. 3, p. 98 : « Aber wie wird das Zukünftige, das noch nicht ist, weniger oder verbraucht, oder
wie wächst das Vergangene, das nicht mehr ist, wie anders als weil in der Seele, die das tut,
es drei Handlungen gibt? » ; et G. Chiarini, dans aa.vv. Sant’Agostino. Confessioni. Volume IV
(Libri X-XI), Milan, 1996, p. 155 : « Ma come può diminuire o consumarsi il futuro, che non è
ancora, o crescere il passato, che non è più, se non perché nella nostra mente, sede dell’operazione,
ci sono tre fasi ? » — Le verbe agere sera amplement repris par agitur et une itération multiple de
actio en Conf. XI, 28, 38, et cet effet littéraire de reprise confirme l’interprétation.
112. Voir C. Romano, L’événement et le temps, cité supra n. 5, p. 115-117, qui écrit : « Le
temps se confond, pour Augustin, avec l’expérience subjective du temps, avec la conscience du
temps, il est cette conscience elle-même. Mais ces formulations sont encore insuffisantes, car la
conscience en question n’est pas seulement une conscience passive qui se bornerait à enregistrer
de l’extérieur un écoulement : elle est partie prenante dans le passage du temps, c’est elle qui le
produit et l’engendre de quelque manière. »
113. K. Flasch, Was ist Zeit?, cité supra n. 2, traduction p. 275 « Nur weil im Geist, der
das bewirkt, diese drei Tätigkeiten sind », et commentaire p. 389 : « Die Zeitdimensionen,
Vergangenheit, Gegenwart und Zukunft, werden also bewirkt von dem Geist, der erinnert, der als
gegenwärtig auffasst und der erwartet. Diese psychischen Tätigkeiten bewirken den Vorrat des
Kommenden und des Gewesenen bzw. das Hindurchlaufen des Kommenden durch den Jetztpunkt
ins Gewesene. A[ugustin] spricht davon, dass der Geist, animus, diese drei Dimensionen bewirkt,
agit. » — Le livre de K. Flasch a reçu un accueil réservé de G. Madec, RÉAug, 40, 1994, p. 525-
526, qui considère qu’isoler la digression sur le temps (XI, 14, 17-29, 39) de son contexte est une
« erreur fatale » pour l’interprétation de Conf. XI.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 61
pensée d’Augustin, qui s’est heurtée, dès le Moyen Âge, aux objections d’Albert
le Grand ou de Bonaventure114. Et le faux sens sur le verbe agere risque de faire
surgir deux conséquences problématiques. Tout d’abord, il n’y aurait plus, à la
limite, que des séries de temporalités individuelles et privées115. Ensuite, d’un
point de vue théologique, si l’homme est créateur du temps, ne risque-t-il pas de
devenir central dans la Création116 ? Or Dieu est le créateur du temps (Conf. XI,
13, 15 : operator omnium temporum ; 14, 17 : ipsum tempus tu feceras)117.
Bien qu’Augustin ne thématise pas explicitement la distinction entre temps
objectif (cosmologique) et temps subjectif (esprit humain singulier), l’évidence
des textes prouve qu’il pense les deux, et les trois livres des Confessions consacrés
à l’interprétation de la Genèse le montrent sans ambiguïté. Dieu est le créateur à la
fois du temps physique (celui qui se réalise dans le Monde à travers la mutabilité
des choses créées118), du caelum caeli – lui-même créé, muable en droit mais
co-éternel – et des esprits qui mesurent le temps et sont les sujets de la distentio
114. Cela est rappelé par C. Romano, L’événement et le temps, cité supra n. 5, p. 115-116 et
n. 153. Albert le Grand affirme que ce qui dépend de l’âme, c’est non pas l’être du temps (esse
temporis), mais la perception du temps (temporis perceptio). Pour Bonaventure, le temps n’est pas
fictio animae, mais dispositio rei.
115. C’est la critique de fond adressée par Bertrand Russell (cité par R. Teske : voir supra,
note 107) à la lecture « subjectiviste » d’Augustin. Mais la critique ne porte pas, car il n’y a pré-
cisément pas de subjectivation intégrale du temps chez Augustin ! Voir sur ce point B. Stock,
Augustine the Reader, cité supra n. 56, p. 237.
116. Voir K. Flasch, cité supra n. 2, p. 224-225 ; et C. Romano, L’événement et le temps,
cité supra n. 5, p. 117 (et n. 159-160) et p. 118, lequel répond à cette possible objection, que la
distentio animi n’est pas quelque chose qui exalterait l’homme au sein de la Création, car elle
est la marque de la chute (et il fait un parallèle avec le ὅπως δὴ πρῶτον ἐξέπεσε χρόνος de
Plotin, Enn. III, 7 [45], 11, 7, qui est une citation d’Homère, Iliade, 16, 113 [ἔμπεσε], déjà cité
par Platon, République, VIII, 545 d 8-e 1).
117. On notera que ce thème apparaît dès le début du livre XI, dans la prière où Augustin
dit (Conf. XI, 2, 3, BA 14, p. 274-275) : tuus est dies et tua est nox (Ps 73, 16) : ad nutum tuum
momenta transuolant (« C’est à toi qu’est le jour, c’est à toi qu’est la nuit : sur un signe, à ton gré,
s’envolent les instants »).
118. Conf. XI, 4, 6 (sur le monde créé : « ecce sunt caelum et terra, clamant, quod facta sint ;
mutantur enim atque uariantur ») ; XII, 6, 6 (« et intendi in ipsa corpora eorumque mutabilitatem
altius inspexi, qua desinunt esse quod fuerant et incipiunt esse quod non erant »), passage dans
lequel est mentionnée la mutabilitas rerum mutabilium ; XII, 8, 8 : dans ce monde muable (muta-
bilis mundus) se constitue le temps (« …ipsa mutabilitas apparet, in qua sentiri et dinumerari
possunt tempora, quia rerum mutationibus fiunt tempora, dum uariantur et uertuntur species,
quarum materies praedicta est terra inuisibilis »). — É. Gilson, « Notes sur l’être et le temps chez
saint Augustin », Recherches augustiniennes, 2, 1962, p. 205-223, étudie la métaphysique de Dieu
comme οὐσία (au sens d’Exode 3, 14) face à la mutabilité de la créature. À partir de l’ontologie
platonicienne d’Augustin, Gilson explique le lien indissociable qui relie la théologie du Dieu
créateur et l’analyse augustinienne de la création et de la créature, dans leur mutabilité.
62 PHILIPPE HOFFMANN
119. Voir, par exemple, G. Madec, « Le chant et le temps », cité supra n. 7, qui résume (aux
p. 189-190) l’analyse de U. Duchrow (« Der sogenannte psychologische Zeitbegriff Augustins im
Verhältnis zur physikalischen und geschichtlichen Zeit », Zeitschrift für Theologie und Kirche, 63,
1966, p. 267-288) et sa critique par E. A. Schmidt (Zeit und Geschichte bei Augustin, Heidelberg,
1985) : le temps de l’âme « est fondé sur le temps de la créature », Dieu et le créateur des temps, et
il n’y a pas chez Augustin d’évanouissement du temps objectif.
120. Conf. XIII, 37, 52 : « …et tamen facis et uisiones temporales et ipsa tempora… ». Voir
I. Bochet, « Variations contemporaines sur un thème augustinien », cité supra n. 2, p. 49.
121. Ainsi, dans des perspectives différentes, Paul Ricœur ou Kurt Flasch.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 63
127. H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique (coll. « Bibliothèque des
Écoles françaises d’Athènes et de Rome », fasc. 145), Paris, 1938, p. 299-327 (Ch. VI. Reductio
artium ad philosophiam. II. Exercitatio animi) ; v. aussi p. 59-76 à propos de la composition litté-
raire des œuvres d’Augustin (la dispositio), p. 63-64 sur le plan des Confessions (les livres XI-XIII
sont un commentaire allégorique du premier chapitre de la Genèse, qui pourrait constituer un
traité indépendant).
128. Cette piste d’interprétation a été suivie de manière féconde par G. Madec, article
« Augustin », dans Dictionnaire des philosophes antiques, I, n° 508, p. 673 (« La ‘digression’
sur le temps (§ 17-38) est une exercitatio animi, au cours de laquelle Augustin s’attarde sur la
complexité du temps et de sa mesure pour se mettre en état de comprendre que la transcendance
de Dieu par rapport au temps est très différente de la maîtrise, toute relative, que l’esprit créé
s’assure sur le temps par son intentionnalité : souvenir du passé, observation du présent, attente de
l’avenir ») ; RÉAug, 40, 1994, p. 525-526 (c. r. de K. Flasch), et Saint Augustin et la philosophie.
Notes critiques, cité supra n. 52, p. 95 ; et par I. Bochet, « Variations contemporaines sur un
thème augustinien », cité supra n. 2, p. 48. Voir aussi O. du Roy, L’intelligence de la foi en la
Trinité selon saint Augustin, cité supra n. 50, p. 173-174 (et note 1), qui suit et développe l’analyse
de Marrou, et p. 177.
129. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 61 : « Saint Augustin compose mal. »
130. K. Flasch, Was ist Zeit?, cité supra n. 2, p. 61, accuse Augustin de « mal composer », en
se fondant sur Marrou (1e éd. 1938), mais sans tenir compte de la Retractatio du même Marrou
(2e éd., 1949, p. 665).
131. Voir BEFAR 145bis, Paris, 1949, la Retractatio, p. 665-672, où Marrou revient sur la
question de la composition des œuvres d’Augustin, avoue que le jugement sévère émis naguère
par lui (p. 61) était celui d’« un jeune barbare ignorant et présomptueux », et interprète les procé-
dés de composition d’Augustin comme « le raffinement suprême d’un art, parfaitement maître de
ses procédés et en quête d’effets subtils ».
132. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 71.
133. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 302, p. 325 sqq. : la dialectique apprend à
penser, à manier le raisonnement etc., et elle est aussi une méthode de recherche.
134. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 304.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 65
Un passage décisif :
distentio animi et expérience du chant (Conf. XI, 28, 37-38)
À l’éternité de Dieu s’oppose la mutabilité du monde créé (le temps « objec-
tif » de la création) [Conf. XI, 4, 6 ; 5, 7], et Augustin établit un lien explicite
entre la mutabilité des créatures et la succession qui est la loi du langage humain
(Conf. XI, 6, 8 ; 7, 9), lequel est fortement opposé à l’éternité du Verbe. Lorsque
135. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 299 sqq., p. 306-308 et suivantes : exposés
scientifiques ou dialectiques qui interrompent ou alourdissent les dialogues ou les traités, comme
le De Trinitate, digressions qui semblent sans rapport avec le propos principal, longues analyses,
développements anormaux ou disproportionnés donnés à certaines questions, « apparent[s]
défaut[s] de composition » etc.
136. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 321.
137. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 325.
138. Saint Augustin et la fin de la culture antique, p. 326.
66 PHILIPPE HOFFMANN
Dieu dit « Que cela soit fait… », il ne prononce pas une uox transitoria. L’exégèse
du verset de la Genèse oppose le Verbe créateur à la uox transitoria issue d’un
corps créé par Dieu, c’est-à-dire d’une créature muable, et introduit le thème du
langage humain régi par la succession, qui devient ensuite un paradigme pour
l’analyse du temps, et qui s’affine jusqu’à aboutir au texte central que nous allons
relire à présent (Conf. XI, 28, 38). D’ailleurs, le discours même d’Augustin dure
dans le temps (« confiteor tibi, domine, scire me in tempore ista dicere et diu me
iam loqui de tempore… ») [Conf. XI, 25, 32]139, et l’analyse des huit syllabes du
premier vers de l’hymne de saint Ambroise, Deus creator omnium (Conf. XI, 28,
35), permet de montrer comment l’esprit mesure la syllabe longue par la syllabe
brève, c’est-à-dire en définitive quelque chose qui est fixé dans la mémoire (« ali-
quid in memoria mea metior, quod infixum manet »). L’art littéraire tisse ici un fil
qui unifie le livre XI, et corrélativement, dès le début, on relève diverses notations
opposant un longum tempus et l’éternité de Dieu (Conf. XI, 11, 13)140, décrivant
l’intemporalité de Dieu comme présent éternel opposé au caractère labile du pré-
sent temporel, et la temporalité comme succession et passage (sans considération,
il est vrai, de la perception et de la mesure du temps par l’esprit humain).
Venons-en au passage décisif, sur lequel Goulven Madec a souvent attiré l’atten-
tion. Il s’agit (en Conf. XI, 28, 37-38) de l’ensemble constitué par les descriptions
des trois actes de la conscience, et de l’expérience du chant, dont l’importance
est cruciale141, et qui est empreint d’une grande sérénité, faisant contraste avec le
développement suivant (Conf. XI, 29, 39). L’ensemble constitué par les deux cha-
pitres 28, 37-38 se répartit en deux moments. Dans le premier (28, 37) Augustin
explicite le contenu de la distentio animi et décrit les trois actes intentionnels que
sont la mémoire, l’attention et l’attente142. Dans ces lignes, le membre de phrase
139. Voir aussi Conf. XI, 2, 2 (« et si sufficio haec enuntiare ex ordine, caro mihi ualent stillae
temporum. […] et nolo in aliud horae diffluant »).
140. La distinction entre un longum tempus et l’éternité de Dieu (Conf. XI, 11, 13) sera accen-
tuée par le contraste final (Conf. XI, 31, 41) entre l’animus universel omniscient et Dieu, qui est
exempt de uariatio dans sa connaissance (notitia) et de distentio [ou distinctio ?] dans son action
créatrice (actio).
141. Le cœur de la pensée d’Augustin sur le temps : Conf. XI, 28, 37-38 ; et 31, 41, comme
l’a souvent suggéré G. Madec (par ex. RÉAug., 30, 1984, p. 373-384 [c. r. de Paul Ricœur] ; 31,
1985, p. 354 [c. r. de Teske] ; 39, 1993, p. 536-537 [c. r. de Desanti]).
142. Conf. XI, 28, 37 : « Sed quomodo minuitur aut consumitur futurum, quod nondum est, aut
quomodo crescit praeteritum, quod iam non est, nisi quia in animo, qui illud agit, tria sunt ? Nam et
expectat et adtendit et meminit, ut id quod expectat per id quod adtendit transeat in id quod memi-
nerit. Quis igitur negat futura nondum esse ? Sed tamen iam est in animo expectatio futurorum.
Et quis negat praeterita iam non esse ? Sed tamen adhuc est in animo memoria praeteritorum. Et
quis negat praesens tempus carere spatio, quia in puncto praeterit ? Sed tamen perdurat attentio,
per quam pergat abesse quod aderit. Non igitur longum tempus futurum, quod non est, sed longum
futurum longa expectatio futuri est, neque longum praeteritum tempus, quod non est, sed longum
praeteritum longa memoria praeteriti est. »
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 67
« nisi quia in animo, qui illud agit, tria sunt ? nam et expectat et adtendit et memi-
nit », a été traduit, nous l’avons vu, de diverses manières et parfois interprété de
façon erronée 143. Le verbe agere ne signifie pas « produire »144, et Augustin décrit
l’action globale (illud) de l’esprit qui, de façon dynamique, « attend » (expectat)
ce qui va se produire (futura), « est attentif » (adtendit) à ce qui entre dans sa
conscience présente – la scène sur laquelle s’effectue la transition qui fait sombrer
le futur dans le passé –, et « se rappelle » (meminit) ce qui n’est plus. C’est la dis-
tinction et la concaténation de ces trois actes mentaux qui constituent la distentio
animi. Il ne s’agit aucunement d’une production du temps, qui ferait de chaque
conscience singulière, de chaque âme, un foyer créateur d’une temporalité propre,
et conduirait à admettre une pluralité de temporalités humaines irréductibles,
faisant disparaître la possibilité d’un temps « objectif » universel – temps physique
ou temps historique. Cette ligne interprétative, qui s’est heurtée aux sarcasmes de
Bertrand Russell, repose en grande partie sur une interprétation à contresens du
verbe agere.
La description générale des trois actes qui constituent la distentio animi est
suivie d’un exemple, sorte d’application concrète à une expérience familière
pour Augustin, l’expérience d’un acte particulier – l’émission d’un chant. Cette
description, qui fait écho à des notations éparses dans les premiers chapitres du
livre XI, aura un écho dans le tout dernier chapitre, et est un élément qui unifie
l’ensemble. Ce texte est, pour Paul Ricœur, qui articule distentio et intentio (pris
au sens phénoménologique)145, un « joyau » au cœur du « trésor » constitué dans le
livre XI par les § 26, 33 – 30, 40 et, dans la perspective qui est celle de Temps et
récit, il estime que « tout l’empire du narratif est ici virtuellement déployé : depuis
le simple poème, en passant par l’histoire d’une vie entière, jusqu’à l’histoire
universelle ».
146. G. Madec, « Le chant et le temps », cité supra n. 7, p. 185-186. – Texte latin : « Dicturus
sum canticum, quod noui : antequam incipiam, in totum expectatio mea tenditur, cum autem
coepero, quantum ex illa in praeteritum decerpsero, tenditur et memoria mea, atque distenditur
uita huius actionis meae in memoriam propter quod dixi et in expectationem propter quod dicturus
sum : praesens tamen adest attentio mea, per quam traicitur quod erat futurum, ut fiat praeteritum.
Quod quanto magis agitur et agitur, tanto breuiata expectatione prolongatur memoria, donec tota
expectatio consumatur, cum tota illa actio finita transierit in memoriam, et quod in toto cantico,
hoc in singulis particulis eius fit atque in singulis syllabis eius, hoc in actione longiore, cuius forte
particula est illud canticum, hoc in tota uita hominis, cuius partes sunt omnes actiones hominis,
hoc in toto saeculo filiorum hominum, cuius partes sunt omnes uitae hominum. »
147. On quitte alors l’élément qui est proprement celui de la subjectivité de la distentio animi,
car la distentio devient le noyau dynamique, la loi de développement de l’histoire universelle
objective.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 69
148. Sur la (re)découverte des épîtres de saint Paul par Augustin, dans les années 390, voir
G. van Riel, « La sagesse chez Augustin : de la philosophie à l’Écriture », dans Augustin philo-
sophe et prédicateur, I. Bochet, éd., Paris, 2012, p. 394-397.
149. G. J. P. O’Daly, « Time as Distentio and St. Augustine’s Exegesis of Philippians 3,
12-14 », RÉAug, 23, 1977, p. 265-271. On lira aussi J. J. O’Donnell, Augustine. Confessions.
III, cité supra n. 51, par ex. p. 278 (orientation bibliographique sur la question du temps, où est
signalé l’intérêt des interprétations de O’Daly, cf. p. 289-290), et p. 290 où O’Donnell n’exclut
pas l’origine plotinienne de la distentio animi (à la différence près que l’âme plotinienne est
universelle, et qu’Augustin ne parle que de l’âme humaine singulière), et se demande quelle a été
la première impulsion : Plotin à travers les libri platonicorum ou Philipp. 3, 13 ? Lequel des deux
textes a conduit Augustin vers l’autre ?
150. « Sed quoniam melior est misericordia tua super uitas, ecce distentio est uita mea, et me
suscepit dextera tua in domino meo, mediatore filio hominis inter te unum et nos multos, in multis
per multa, ut per eum adprehendam, in quo et adprehensus sum, et a ueteribus diebus colligar
sequens unum, praeterita oblitus, non in ea quae futura et transitura sunt, sed in ea quae ante
sunt non distentus sed extentus, non secundum distentionem, sed secundum intentionem sequor
ad palmam supernae uocationis, ubi audiam uocem laudis et contempler delectationem tuam nec
uenientem nec praetereuntem. Nunc uero anni mei in gemitibus, et tu solacium meum, domine,
pater meus aeternus es ; at ego in tempora dissilui, quorum ordinem nescio, et tumultuosis uarie-
tatibus dilaniantur cogitationes meae, intima uiscera animae meae, donec in te confluam purgatus
et liquidus igne amoris tui. Et stabo atque solidabor in te, in forma mea, ueritate tua… » (BA 14,
p. 338-339).
70 PHILIPPE HOFFMANN
156. O’Daly, « Time as Distentio », p. 268-269, cite : Conf. XII, 16, 23 : « Je veux […] entrer
dans ma chambre, te chanter des chants d’amour, gémissant d’indicibles gémissements dans mon
pèlerinage (gemens inenarrabiles gemitus in peregrinatione mea), me souvenant de Jérusalem,
tendu vers elle, le cœur haut (et recordans Hierusalem extento in eam sursum corde), de Jérusalem
ma patrie, de Jérusalem ma mère, et de toi, au-dessus d’elle, dominateur, illuminateur, père, tuteur,
époux, chastes et fortes délices et joie inébranlable et tous les biens ineffables, tous à la fois parce
que seul suprême et vrai bien » ; Conf. XIII, 13, 14 [l’homme qui vit dans l’espérance] « oubliant
ce qui est en arrière, il se tend vers ce qui est en avant et se met à gémir accablé … » (et quae retro
oblitus, in ea, quae ante sunt, extenditur et ingemescit grauatus…).
157. O’Daly cite (p. 269-270) plusieurs textes : De doctr. Christ. 1, 34, 38 [Paul est appelé
extentus afin de nous enseigner « ne rebus temporalibus … haereamus infirmiter »] ; Enarr. in
ps. 39, 3 [l’état ‘anticipatoire’ du chrétien dans cette vie : « non se diceret extentum, si iam perue-
nisset. Extenditur enim animus desiderio rei concupitae, non laetitia consecutae »] ; 89, 5 [« in ea
quae ante sunt extenti, quae appetitio est aeternorum »]), et surtout Enarr. in ps. 66, 10 (« praeterita
non nos delectent, praesentia non nos teneant … ne praesentibus implicemur a futura meditando ;
extendimus nos in ea quae ante sunt, obliuiscamur praeterita. Et quod modo laboramus, quod modo
gemimus, quod modo suspiramus, quod modo loquimur, quod ex quantulacumque parte sentimus,
et capere non possumus, capiemus, perfruemur in resurrectione iustorum ») et sermo 255, 6, 6
(où ces thèmes sont longuement développés, par ex. « unum nos extendat, ne multa distendant et
abrumpant ab uno »).
158. O’Daly affirme : « Even those uses of ‘distentio’ which might seem reducible to ‘exten-
sion’ prove, on examination of their context, to have more colourful, dramatic undertones. »
159. Τὰ μὲν ὀπίσω ἐπιλανθανόμενος, τοῖς δὲ ἔμπροσθεν ἐπεκτεινόμενος (3, 13).
C’est, on le sait, le leitmotiv de la pensée de Grégoire de Nysse, comme le souligne J. Daniélou,
Platonisme et théologie mystique. Doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse, Paris, 19532
(1e éd. 1944), p. 291-307 (L’épectase).
72 PHILIPPE HOFFMANN
160. « Often the words of a Scriptural text which he admires become almost technical terms for
him: the text evokes the idea and is a means of expressing and developing it. (…) Here Augustine’s
reading, sensibility and experience combine to evolve a theme with deep Scriptural roots. He will
turn to the word distentio because it is a strong, fresh and novel term, adequate to his awareness
of temporality » (O’Daly, p. 271).
161. Dans la vieille traduction latine qu’il avait sous les yeux (v. infra, note suivante, le texte
de s. Paul).
162. Grec κατὰ σκοπόν = vers le but, en direction du but. La Vulgate comporte ad destina-
tum. — G. Madec, « Léon Brunschvicg et Saint Augustin », Recherches augustiniennes, 6, 1969,
p. 143-191, à la p. 151 note 36 rassemble les citations de Philipp. 3, 13 dans l’œuvre d’Augustin,
et précise que le texte lu par celui-ci était : « Fratres, ego me ipsum non arbitror apprehendisse ;
unum autem, quae retro oblitus, in ea quae ante sunt extentus, secundum intentionem sequor
ad palmam supernae uocationis Dei in Christo Iesu » (cité, par ex., dans De Trinitate, IX, 1, 1,
BA 16, p. 72). Madec commente : « Il ressort de ces textes et de quelques autres qu’Augustin
n’envisage pas un simple futur temporel [contrairement à une interprétation de L. Brunschvicg],
mais bien l’avenir éternel promis au chrétien », et il mentionne, comme « le commentaire le plus
clair en ce sens », l’In Ps. 89, 5 : « Vnde et ea sibi apostoli postposuit intentio, quae retro sunt
obliviscentis, ubi temporalia cuncta oportet intellegi ; et in ea quae ante sunt extenti, quae appetitio
est aeternorum. » — Voir aussi à ce sujet : N. Cipriani, « L’utilizzazione di Fil 3, 13-14 nell’opera
di S. Agostino », Augustiniana, 56, 2006, p. 299-320 (spéc. p. 303-305) ; et I. Bochet, Note
complémentaire 6. L’exemple de Paul en Ph 3, 12-15 (In Ps. 38, 6. 8. 13-15), dans aa. vv., Les
commentaires des Psaumes. Enarrationes in Psalmos 37-44, BA 59/A, Paris, 2017, p. 642-648
(spéc. p. 643-644 : 1. Le désir des réalités d’en haut).
163. « The role of intentio or attentio, a uis animae essential to perception, is stressed by
Augustine in early treatises and persists into the later De trinitate. It has been argued that it may be
a translation into Neoplatonic terms of the Stoic account of cognitive perception. Whether or not
this is so, intentio is for Augustine an indispensable activity of the immaterial soul’s conscious-
ness. In discussing our awareness of duration in Conf. 11, 28, 38 he will use the related concept of
attentio » (O’Daly, p. 271). Voir aussi O’Daly, Augustine’s Philosophy of Mind, cité supra n. 14,
p. 84-87 (Intentio: the active nature of sense-perception).
164. Dans un article très intéressant qui mériterait d’être relu à la lumière notamment des progrès
plus récents de nos connaissances sur la philosophie stoïcienne, J. Rohmer, « L’intentionnalité des
sensations chez saint Augustin », dans Augustinus Magister. Congrès international augustinien,
Paris, 21-24 septembre 1954, vol. I, p. 491-498, a proposé de voir une origine stoïcienne dans les
analyses augustiniennes des actes intentionnels de l’âme (« Son mérite est d’avoir donné à l’inten-
tion qui désigne primitivement l’acte de la volonté libre, une portée universelle, signifiant l’acte
par excellence que l’âme exerce dans toutes nos connaissances et avant tout dans nos sensations.
Cette découverte, il la doit aux Stoïciens, mais il a su lui donner son cachet personnel. Il semble
même l’avoir élaborée progressivement en réfléchissant sur la fonction psychologique de l’atten-
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 73
tion »). Lire aussi, sur cette question, la note de Solignac, BA 14, p. 590 ; et L. Alici, « Intentio »,
Augustinus-Lexikon 3, Bâle, 2004-2010, col. 662-665 (spéc. col. 665, avec bibliographie).
165. G. Madec, c. r. de Jean-Toussaint Dessanti, Réflexions sur le temps (1992), dans RÉAug,
39, 1993, p. 536-537, voir p. 537.
74 PHILIPPE HOFFMANN
(le chant : Conf. XI, 28, 38), qui est un modèle pour penser la vie de l’homme,
mais aussi « la série entière des siècles vécus par les enfants des hommes », à une
autre distentio, de nature existentielle et spirituelle : l’éparpillement douloureux
de l’âme humaine qui aspire à échapper au temps à travers l’extensio paulinienne.
Le traitement accordé à la dimension du futur est particulièrement éclairant.
Dans l’analyse augustinienne du temps psychologique, le futur est celui de
l’attente (expectatio) des choses futures appelées à devenir elles-mêmes passées
(futura et transitura), et ce futur, nous l’avons dit, doit être soigneusement distin-
gué du futur plotinien – le futur du désir, de la curiosité, de la pléonexie – qui est
dans les Ennéades la dimension structurante du temps. Le futur comme expectatio
est remplacé, dans la méditation augustinienne de Philippiens 3, 12-14, par une
conscience tendue vers ea quae ante sunt et cette direction vers un « futur de trans-
cendance », intemporel, qui est alors constitutive de la tension anagogique, ne doit
pas être confondue avec le futur temporel plotinien, et correspondrait plutôt, en
régime platonicien, au désir (ἔφεσις) qui sous-tend toute ἐπιστροφή en direc-
tion d’un principe supérieur166. G. Madec167, à l’occasion d’un examen critique
des interprétations données par Léon Brunschvicg (en 1939)168 des analyses de
Jean Guitton (publiées en 1933)169, a bien précisé la distinction entre l’expec-
tatio futurorum qui s’inscrit dans l’analyse du temps psychologique170 (l’avenir
n’étant « irrémédiablement voué à venir que pour passer » : Conf., XI, 20, 26171
et 28, 37172 ; Conf., XII, 15, 18173) et d’autre part ce que Jean Guitton a appelé,
d’une expression personnelle approximativement forgée à partir des expressions
pauliniennes de Conf., XI, 29, 39, l’extensio ad superiora : cette « extensio ad
superiora est ce mouvement par lequel l’âme s’élève à la dignité d’esprit en
retrouvant son fondement en Dieu174 ». Comme le montrent tous les textes où il
cite Philippiens 3, 12-14, ce qu’envisage Augustin, c’est « l’avenir éternel promis
au chrétien », et non « un simple futur temporel »175. Et Madec cite pour finir176
un texte de J. Guitton (3e éd. p. 242) qui affirme que Plotin et Augustin distinguent
tous deux, « dans ce mélange que nous appelons le temps », entre l’expectatio
futurorum qui correspond au χρόνος des Grecs, et l’extensio ad superiora qu’il
rapproche de l’ἔφεσις plotinienne, au sens de désir des principes supérieurs, et
qui ne désigne pas un futur temporel – Guitton proposant en outre un parallèle, que
n’eût peut-être pas apprécié Léon Brunschvicg, avec, respectivement, la duratio et
l’amor intellectualis de Spinoza177.
Les analyses d’Isabelle Bochet complètent ces interprétations178 : par l’effet du
péché l’homme s’est détourné de Dieu, c’est-à-dire de l’Un, et fait l’expérience de
l’éparpillement qui s’inscrit dans la dimension temporelle de l’existence humaine,
tandis que l’extensio dépasse la distentio par laquelle l’homme se tend vers les
praeterita, nec proprie dicitur : tempora sunt tria, praeteritum, praesens et futurum, sed fortasse
proprie diceretur : tempora sunt tria, praesens de praeteritis, praesens de praesentibus, praesens
de futuris. Sunt enim haec in anima tria quaedam et alibi ea non uideo, praesens de praeteritis
memoria, praesens de praesentibus contuitus, praesens de futuris expectatio. »
172. Conf. XI, 28, 37 (BA 14, p. 334-336). Voir supra, p. 66-67.
173. Conf. XII, 15, 18 (BA 14, p. 368-370) : « Expectatio rerum uenturarum fit contuitus, cum
uenerint, idemque contuitus fit memoria, cum praeterierint : omnis porro intentio, quae ita uaria-
tur, mutabilis est, et omne mutabile aeternum non est ; Deus autem noster aeternus est. »
174. G. Madec, « Léon Brunschvicg et saint Augustin », p. 150.
175. G. Madec, « Léon Brunschvicg et saint Augustin », p. 151 n. 36.
176. G. Madec, « Léon Brunschvicg et saint Augustin », p. 151.
177. De même, J. Guitton1, p. 193 (cité par Léon Brunschvicg, dans G. Madec, « Léon
Brunschvicg et saint Augustin », p. 148) : « Dans le présent psychologique lui-même, il est aisé de
discerner deux mouvements intérieurs, séparables pour la conscience bien qu’ils interfèrent l’un
avec l’autre, l’expectatio futurorum qui nous porte vers l’avenir et l’extensio ad superiora qui, en
définitive, nous oriente vers l’éternel. Au cours de la vie présente l’âme ne peut pas dissocier ces
courants, au moins d’une manière continue, d’où ses souffrances et ses gênes. »
178. Sur la condition humaine éparpillée dans le temps, le multiple, et sur l’unité des
livres XI-XIII des Confessions [interprétation du récit de la Création] (ce qui interdit de voir dans
l’excursus sur le temps une pièce sans relation avec le reste du livre XI), lire I. Bochet, « Le
firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne (Collection des Études augustiniennes.
Série Antiquité, 172), Paris, 2004, p. 308-327, spéc. 308-314. Il y a « un lien étroit entre l’énigme
du moi, qui fait l’objet du livre X, et l’énigme du temps, à laquelle le livre XI est très largement
consacré : si l’esprit ne peut se saisir totalement lui-même, c’est précisément parce qu’il est sujet
au temps et qu’il ne le domine jamais qu’imparfaitement ».
76 PHILIPPE HOFFMANN
***
Les notions d’intentio et d’extensio présentes dans ce texte complexe (Conf. XI,
29, 39) ont reçu une grande attention de la part de philosophes contemporains,
et intentio s’est trouvé réinterprété en un sens phénoménologique – à partir de
la notion d’intentionnalité – et, corrélativement, articulé à la notion de distentio
animi, parfois avec extensio, selon des configurations diverses qui s’écartent
nettement de la pensée d’Augustin. Le développement de Conf. XI, 29, 39 est
le seul passage – comme l’a fait remarquer G. Madec – où apparaît un contraste
entre intentio et distentio, et où se lit extensio, ou plutôt extentus qui, par oppo-
sition à distentus (signifiant l’éparpillement de l’esprit), exprime la tension de la
conversion vers « les choses qui sont en avant » et qui sont l’objet de l’Espérance.
Et la mention de cet état (extentus, extensio) se prolonge dans le texte d’Augustin
par l’emploi d’intentio, traduisant σκοπός du texte grec de Paul, et signifiant la
tension vers l’éternité divine – tout en ayant par ailleurs, il est vrai, un sens précis
dans le vocabulaire augustinien de la perception180. Le sens de ces mots se trouve
sensiblement modifié en fonction de projets philosophiques divers, mais unis par
l’inspiration phénoménologique. Pour Paul Ricœur, nous l’avons vu, la théorie du
triple présent, qui s’articule à la distentio animi, « reformulée en termes de triple
intention, fait jaillir la distentio de l’intentio éclatée181 ». Selon Jean-Toussaint
Desanti182, l’intentio serait l’activité par laquelle l’âme se tend en elle-même vers
sa propre unité, tandis que l’extensio est l’activité par laquelle l’animus tend vers
Dieu. Claude Romano oppose l’activité de l’intentio à la passivité de la distentio :
« Par l’intentio l’esprit actif rend possible la transition des temps les uns dans les
autres ; par la distentio passive, il recueille en quelque sorte le résultat de cette
179. Sur la « conversion constitutive d’être », voir E. Zum Brunn, « Le dilemme de l’être et du
néant chez saint Augustin », cité supra n. 55, p. 77-97 (spéc. p. 86, p. 91 et n. 65).
180. Voir supra, p. 72-73, n. 163-164.
181. Voir supra, p. 67, n. 145.
182. Voir supra, p. 34, n. 4.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 77
***
Concluons. La description du chant (Conf. XI, 28, 38) se prolonge, par-delà le
passage « paulinien » (Conf. XI, 29, 39), dans le texte déjà évoqué (supra, p. 54)
[Conf. XI, 31, 41] où Augustin distingue l’éternité et l’immuabilité de la connais-
sance et de la science divines184, de l’hypothétique animus universel (l’Âme du
Monde ?)185 dont la sempiternité temporelle est constituée selon une distentio
structurée exactement comme la temporalité de l’âme humaine singulière. Dieu ne
connaît ni n’agit (ne crée) selon la loi de la distentio, et il transcende l’animus de
science et prescience universelle (qui doit lui-même être soigneusement distingué
du caelum caeli auquel il est fait allusion en Conf. XI, 30, 40). Après avoir prié
Dieu de le guérir de ses péchés et de le faire « participer à la joie de [sa] lumière »
(congaudeam luci tuae), et après avoir décrit l’animus de qui « toutes les choses
passées et futures [seraient] aussi bien connues […] que l’est de moi un seul chant
bien connu », Augustin résume la description donnée en Conf. XI, 28, 38 pour faire
ressortir, par contraste et négation, l’éternité immuable dans laquelle Dieu connaît
et agit : il connaît « dans le principe le ciel et la terre sans variation », de même
qu’il a fait, qu’il a créé « dans le principe le ciel et la terre sans distinction » (sine
distinctione), ou peut-être, « sans distension » (sine distentione ?)186. L’expérience,
et la connaissance, de la distentio animi humaine est une voie d’accès, par une
méthode négative, à la connaissance de l’éternité divine immuable et de ses modes
de connaissance et d’action, tandis que l’ascension spirituelle (Conf. XI, 29, 39)
qui fait passer l’âme du déchirement de l’existence ici-bas à la « stabilité » en Dieu
(stabo et solidabor) permet d’atteindre le point de vue herméneutique qui résout le
problème posé par la lecture du premier verset de la Genèse, et de comprendre que
le Créateur a agi avant toute temporalité. Les dernières lignes du livre XI retrouvent
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187. La bonne intelligence du sens de Gn 1, 1 suppose que le « cœur » se hausse jusqu’à l’éter-
nité. On se rappelle a contrario l’esprit volage de Conf. XI, 13, 15 qui imagine que pendant des
siècles innombrables Dieu n’aurait rien fait !
188. Lire É. Gilson, Introduction à l’étude de saint Augustin, p. 254-255.
189. E. P. Meijering, Augustin über Schöpfung, Ewigkeit und Zeit, cité supra n. 3. Voir la
conclusion du commentaire aux p. 113-116, spéc. 115-116 : « Es ist primär der Versuch, sich
persönlich über die Art der menschlichen und der göttlichen Seinsweise einige Klarheit zu ver-
schaffen ») ; et les réflexions de G. Madec, c. r. dans RÉAug, 28, 1982, p. 347.
TEMPS ET ÉTERNITÉ DANS LE LIVRE XI DES CONFESSIONS 79
Résumé : L’analyse du temps dans le livre XI des Confessions (14, 17-28, 38) est couramment
présentée comme dépendant du Traité 45 de Plotin (Ennéades, III, 7), et isolée indûment de
l’ensemble des livres XI-XIII, qui sont un commentaire du début de la Genèse. Une comparaison
attentive de Plotin et d’Augustin ne révèle que le possible parallèle entre distentio (animi) [XI, 23, 30
et 26, 33] et διάστασις, terme du lexique néoplatonicien. L’hypothèse d’une source porphyrienne
pour la doctrine de la triple intentionnalité de l’âme (présente dès le De immortalitate animae,
III, 3) est fragile. Des rapprochements avec d’autres doctrines philosophiques ou patristiques (les
stoïciens, Posidonius, Grégoire de Nysse) ne peuvent être exclues. Le Νοῦς néoplatonicien se
reconnaît dans une allusion au caelum caeli (XI, 30, 40), dont il est question au livre XII, mais
l’animus de science et prescience universelle, dont la distentio souligne par contraste l’éternité
de Dieu (XI, 31, 41), n’est pas l’Âme du Monde. La digression sur le temps est une exercitatio
animi destinée à faire éprouver ce qu’est la temporalité humaine, dans sa différence avec l’éternité
de Dieu. On ne peut admettre dans Conf. XI ni une « subjectivation » radicale du temps ni une
structure de type plotinien (une Âme universelle comme fondement à la fois du temps du Monde
et du temps des âmes particulières). Les trois « actes » de l’âme (memoria, attentio, expectatio, XI,
28, 37) sont illustrés par l’expérience du chant qui est au cœur du livre XI (28, 38). Et la méditation
de saint Paul, Philippiens, 3, 12-14, s’entrelace à la réflexion philosophique pour proposer à l’âme
humaine, misérable et déchirée, la perspective d’une extensio « vers les choses qui sont en avant »
(in ea quae ante sunt), en direction de l’unité et de la stabilité en Dieu – condition spirituelle d’une
intelligence correcte des versets de la Genèse. Le travail philosophique, en Conf. XI, s’ordonne
ainsi à un horizon exégétique, théologique et en définitive mystique. L’article tente de faire le
point sur les diverses interprétations proposées, jusqu’à la pensée phénoménologique moderne, et
souligne la justesse de la lecture proposée par Goulven Madec.