LE PONT MIRABEAU »
La poésie de Guillaume Apollinaire est placée sous le signe d’un lyrisme nouveau. Alcools,
recueil publié en 1913, s’inscrit dans ce lyrisme de la modernité. « Le Pont Mirabeau », 2ème poème
du recueil, arrive juste après « Zone » tardivement et délibérément placé en exergue (au début).
« Le Pont Mirabeau » participe d’un ensemble de poèmes qui, dans le recueil, évoquent la relation
amoureuse du poète avec l’artiste peintre Marie Laurencin. Il est redevable à une certaine tradition et
relève de l’élégie, une forme connue depuis l’Antiquité. Le poème jette un regard rétrospectif
douloureux sur la fin d’un amour. Le défi pour Apollinaire est double : rendre hommage à la femme
aimée et demeurer fidèle à ses engagements envers une nouvelle esthétique. Le poème long de 24
vers exprime la fugacité des sentiments en s’emparant d’un topos littéraire qui est le motif de l’eau
qui court. L’auteur reprend également un topos élégiaque celui de la disparition de l’amour liée avec
l’expérience négative du temps. Sur une musique triste, le poème déplore l’échec amoureux avec
Marie Laurencin.
« La joie venait toujours après la peine » > antithèse ; « joie » / « peine » > les deux bornes du
vers ; souvenir de joie victorieuse > usage de l’imparfait pour dire un temps révolu.
- La plainte se devine dans la sonorité > Assonance en [ou] : « sous », « coule », « amours »,
« souvienne », « toujours ».
2ème refrain
Le refrain, quoique par nature répétitif, introduit cependant en fonction des endroits où il apparait, des
nuances au niveau sémantique (au niveau du sens).
- L’affirmation de « je demeure » peut revêtir une valeur positive : marque de fidélité, de constance.
A l’encontre des images mouvantes, le poète exprime le sentiment de la permanence de son
propre être par le biais de la répétition obsédante de « je demeure » auquel correspond l’image
du pont symbolisant la fixité, la pérennité au-dessus du flot continu.
- Cette expression est à nouveau chargée d’ambiguïté : s’agit-il de déplorer le décalage entre la
fugacité généralisée et la permanence du « je » subissant la « lenteur » d’une vie monotone ? Ou
bien d’affirmer malgré tout un énergique sentiment de continuité et de résistance à la souffrance ?
Les deux sens coexistent.
3ème refrain
Ce refrain fait résonner la note du désespoir puisque l’Espérance elle-même est violence et douleur.
Le refrain final
Le sens du refrain s’affine. La dernière strophe vient couronner le constat d’une perte irrémédiable :
l’amour ne renaît pas de ses cendres. Dès lors, le « je demeure » final peut être compris comme la
manifestation d’une solitude profonde.
Conclusion
L’enjeu du poème « Le pont Mirabeau » malgré son titre n’est pas spatial mais bien temporel. Le
texte épouse une progression qui résume un destin sentimental. Le poète y évoque la fin d’un
amour. Cette progression illustre la thématique mélancolique de la perte et de l’abandon qui
caractérise la condition du « Mal-aimé ». Le poème met en scène la figure du poète esseulé,
souffrant, victime du désamour. La déploration mélancolique de la fuite du temps et des amours
s’exprime dans un poème nostalgique qui chante le regret d’un amour perdu. Ainsi se vérifient les
tonalités élégiaque et lyrique. Mais il serait faux d’affirmer que le poète se limite à reprendre un
cliché littéraire dans une forme ancienne. La modernité s’immisce subtilement dans l’écriture à
travers la dislocation grammaticale et syntaxique, la suppression de la ponctuation et une référence
« monumentale » (le pont) à la vie moderne, renouvelant ainsi la veine lyrique élégiaque.