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1
Aurell Martin, La légende du Roi Arthur, 550-1250. Paris, éditions académiques Perrin, 2007, 632 p.
2
Gautier Alban, Arthur, Ellipses, Paris , 2007.
mythe soit un système de symboles agencés en récit. Qu’en
est-il donc du roi Arthur ?
Légende.
Il y a le légendaire roi Arthur, né de l’union illégitime d’Uter
Pendragon et de l’épouse du duc de Cornouailles, surprise
grâce à un stratagème de Merlin, lequel élèvera le futur roi en
retrait et dans l’anonymat. Tout un chacun connaît l’épisode de
son accession à la vie publique. Encore écuyer, une nuit de
Noël, il parvient à arracher l’épée royale de l’enclume (ou du
perron) et reconnu comme roi, ralliera à lui les tribus de
Grande Bretagne, épisode directement emprunté au folklore
irlandais qui voulait que les rois insulaires soient acclamés sur
la pierre de souveraineté, la pierre de Fail qui crie dans la nuit.
Après avoir fondé la Table Ronde, le plus ancien ordre
chevaleresque du monde voué à la quête du Saint Graal, vaincu
nombre d’ennemis dans douze batailles dont, opposé aux
Saxons (la plus célèbre étant celle du Mont Badon), il sort
victorieux, il finira, tué par Mordred le fils incestueux qu’il avait
eu de sa sœur Morgane. Transporté par les fées en l’Ile
d’Avalon, il doit en revenir pour apporter la paix à ce monde
troublé. « Encore y est, bretons l’attendent », écrivait Rober
Wace, le vieux trouvère anglo-normand.
Mais comment comprendre son immense popularité ?
Histoire et historiographie.
Après le sac de Rome, en 410, et la perte d’influence des
romains qui en résulta, la Mer d’Irlande devint de fait le centre
d’une nouvelle culture d’où émerge une fore originale de
chrétienté dite insulaire (cf.la figure de saint Patrick). Aux 6ème
et 7ème siècles, les moines irlandais, tel saint Columba,
établirent leurs monastères de part et d’autre de l’Ecosse
encouragés par le pape Honorius. La chrétienté s’organise alors
autour des abbayes face à une église organisée autour des
évêques. Bientôt considérée comme anarchique, elle fut
détractée et détruite.
Le gallois est la langue celtique la plus vivace, elle contient
deux dialectes, Nord et Sud, et les textes les plus intéressants
sont ceux des 12ème -15ème siècles. On y a trouvé nombre de
toponymes mentionnant Arthur.
Pour retrouver sa figure, il convient donc d’explorer deux
sources, les galloises et les latines d’où dériveront les écrits
légendaires anglo-normands. Elles sont, bien entendu, en
interaction constante.
Littérature galloise.
C’est là que l’on est le plus proche du folklore celte, de la
tradition populaire proprement dite, les plus anciens écrits
datent du 6ème siècle, ils sont rédigés en gallois médiéval car,
dés le 5ème siècle, on y trouve trace de poésie.
Sources latines.
Il s‘agit d’abord des Vitae sancti (vies de saints). Vers 100-1130,
cinq vies de saints copiées dans le scriptorium de Marmoutiers
(prieuré bénédictin de Dol de Bretagne rattaché à St Florent de
Saumur et doté par Wihenoc), mentionnent Arthur et en Galles
celles de saint Cadog, saint Illtud, saint Carannog, saint Padern,
et à Glastonbury, saint Gildas.
Quelle figure ?
La figure d’Arthur dans ces récits renvoie au paganisme celte, il
est en effet:
• Un géant entouré de colosses, il participe à la chasse au
sanglier,
• Un roi transformé en bête sauvage suite à une punition
divine,
• il navigue vers l’Autre Monde,
• il affronte un cerbère intraitable,
• Il veut obtenir dans cet Au-delà quelques talismans
de richesse et de domination, ou libérer sa femme retenue
par des forces mystérieuses,
• il reviendra un jour mener son peuple à la victoire,
Rex Arturus, rex quondam futurus.
Et sa propagation ?
Les souverains anglo-normands surtout avec Henri II
Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine devenue son épouse vont
favoriser la diffusion de la légende arthurienne en Occident4
« Grâce à eux elle sera appréciée au delà d’un groupe restreint
d’initiés normands qui la connaissaient sur le continent ».
Martin Aurell a fit l’inventaire minutieux des diverses sources
bibliographiques existantes en les discutant soigneusement.
• Ainsi, Robert de Gloucester a contribué à la propagation de
L’Histoire… de Geoffroi traduite en anglo normand par
Robert Gaimar. Il est par ailleurs lié à Robert de Torigni
abbé du Mont saint Michel, ancien bibliothécaire du Bec
Helluin !
• Aliénor d’Aquitaine connaît la Matière de Bretagne et
plusieurs des troubadours de sa cour mentionnent les
thèmes arthuriens dans leurs écrits,
• L’auteur du Roman de Brut, Wace, est né en l’île anglo-
normande de Jersey et a été éduqué à Caen et où il a écrit
la majeure partie de son œuvre, il est sensible aux réalités
continentales.
• Le cycle des chansons des amours de Tristan et Yseut,
composé en Angleterre (nous savons aussi que Béroul
4
Aurell Martin, op cit p .165.
était de Mortain) présente des ressemblances avec les
événements et les attitudes politiques du temps (p. 177),
• Marie de France et ses lais : réexaminant la question
controversée de l’identité de Marie de France, Martin
Aurell la rattache par ses origines (elle est fille de Galeron
de Meulan) à l’aristocratie normande de la cour d’Henri II
qu’elle aurait fréquenté.
• A propos de l’utilisation de la Matière de Bretagne en
idéologie favorable à la maison d’Anjou, Aurell montre
qu’elle participe de la « légitimation de sa dynastie en
Normandie ». L’invention en 1190-1191 des dépouilles
d’Arthur et de Guenièvre à Glastonbury, à l’avènement de
Richard Cœur de Lion, est ainsi examinée dans le sens
d’un détournement de la vocation initiale du héros des
celtes au profit de Plantagenêts, comme d’ailleurs le don
de Caliburn (Excalibur) à Tancrède de Sicile, (un normand),
par Richard en signe d’alliance en 1191. Richard ne se
privera pas non plus de cette captation légendaire étant le
premier roi d’Angleterre à être comparé à Arthur. Dans ce
sens les latimers (clercs traducteurs et « transmetteurs »)
au travers de la Manche, plus trait d’union que frontière,
joueront un rôle important (nous avions nous même
montré par exemple quelle avait pu être l’influence de
l’Abbaye de Lonlay en Passais via ses prieurés en
Angleterre –dont Stogursey, proche de Glastonbury- et sur
le continent). Ils contribuent, comme les jongleurs, à
passer la Matière de Bretagne d’un univers linguistique à
l’autre. Ainsi l’image d’Arthur va proliférer à l’époque
jusqu’à Santiago de Compostella (on trouvait sur la façade
de l’édifice pré romanique des scènes du Tristan), à
Modène (le célèbre archivolte de la cathédrale du 12ème
siècle présente Arthur libérant Guenièvre de ses
ravisseurs) ainsi qu’à Otrante (mosaïque arthurienne
rappelant la Chasse Hellequin appelée Chasse Artus au
bocage normand). Cette ville fut de fait conquise par le
normand Robert Guiscard (originaire d’une famille du
Contentin), en 1070, et dont le fils Bohémond 1er, futur
prince d’Antioche, présidera aux travaux de la cathédrale.
• Chrétien de Troye est situé5 avec une très grande
probabilité de certitude dans l’entourage de Marie de
Champagne (fille d’Aliénor) et de son époux Henri le
Libéral, c’était un chanoine très érudit, sans doute de la
cathédrale Saint Loup de Troyes. L’auteur du Cligés avait
une connaissance précise du Sud de l’Angleterre et, pour
Le chevalier à la Charrette, entretenait une certaine
familiarité avec la Basse–Normandie. Ainsi constate Martin
Aurell, : « les micro toponymes de l’Avranchin ou la
disposition exacte du site de Windsor (nous pourrions
ajouter celle du site de Gorron ou de certains paysages du
Passais), que Chrétien est capable de donner cadrent mal
avec des informations de seconde main ». D’où cette
proposition que fait Martin Aurell d’un voyage de Chrétien
en Normandie et en Angleterre à l’époque de la publication
du roman d’Erec et Enide, (1170-1176). Chrétien y aurait
fréquenté la cour d’Henri II, d’où les synchronismes et
concordances onomastiques ave les événements de
5
Aurell op. cit. p 182 sq
l’époque. Il est en tout cas certain que Chrétien est bien
renseigné sur la géographie de l’empire Plantagenêt dont
les habitants lui valent respect et admiration : « vers ces
gens mon cœur m’attire » écrit-il dans Erec et Enide (v.
6036), après avoir listé les peuples gouvernés par Henri II.
Et « il est presque certain qu’il a visité l’Angleterre et la
Normandie, principauté de prédilection du roi ». Chrétien a
marqué, de façon quasi irréversible, la littérature
arthurienne, soumettant le merveilleux breton à un
traitement réaliste, humanisant les fées… christianisant en
profondeur cette matière et faisant du thème du Graal un
des plus populaires de l’Occident et ce sur fond de
Croisades, entreprise de chevalerie spirituelle et guerrière
qui marque profondément les esprits et à laquelle
participe aussi la littérature de Chrétien.
Conclusion.
Sur ce point nous pensons toutefois qu'il ne faudrait
toutefois pas enfermer par trop le mythe arthurien
dans la celtitude. S'il en fait l'héritage, il la précède et
la dépasse de beaucoup et nous connaissons de
nombreux travaux qui montrent la contamination des
romans arthuriens, par exemple, par les récits
orientaux. Arthur est une figure universelle, comme la
Table Ronde qu'il a fondée même s’il nous faut ancrer
résolument le roi Arthur comme figure originelle dans
les archétypes liés à la pierre (Arz en breton), ou
encore, pour d’autres approches, à la Grande Ourse, et
d'admirer le rôle de conservatoire des langues celtes à
cet égard dans la transmission du synthème.