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lundi 22 août 2011
L’idéologie
Antonio Gramsci
(1891-1937).
En 1986, à la convention nationale du Parti socialiste, Lionel Jospin soulignait "la
nécessité de fonder les valeurs du socialisme dans la réalité, faute de quoi elles
risqueraient de se réduire à une idéologie, c’est-à-dire une vision abstraite de la société".
Cette définition qui distingue la réalité de la dimension abstraite propre à l’idéologie est
conforme à son étymologie qui signifie un discours sur les idées (du grec idea "idée" et
logos "discours"). Mais elle est aussi réductrice car elle sous-estime la capacité
mobilisatrice de l’idéologie, c’est-à-dire son pouvoir de motivation des individus dans le
cadre de la lutte politique. La difficulté propre à cette notion est qu’elle fait partie à la
fois du discours militant et du discours scientifique.
Si l’idéologie sert en effet d’outil rhétorique pour disqualifier l’adversaire (1), elle peut
également servir à désigner des systèmes de représentations (2).
Dans ses Recherches philosophiques (1937), Raymond Aron estime que "la formule
''l'idéologie est l'idée de mon adversaire" serait une des moins mauvaises définitions de
l'idéologie". En effet, depuis la fin du XVIIIe siècle, l’idéologie est une notion employée
pour disqualifier un ensemble d’idées du fait qu’elles seraient sans lien avec la réalité et
défendues avec une passion dogmatique. Elles seraient le signe de la manifestation d’
une rébellion du bon sens et du pragmatisme contre des théories conjecturales qui se
donneraient pour ambition de penser l’ordre social.
Par exemple, Raymond Boudon dans L’idéologie (1986), définit les idéologies comme
"des doctrines reposant non sur des théories scientifiques, mais sur des théories
fausses ou douteuses, ou sur des théories indûment interprétées auxquelles on accorde
une crédibilité qu’elles ne méritent pas". Il place ensuite le marxisme au rang des
idéologies. Pourtant selon Marx, c’est son propre discours qui est scientifique, et les
discours de Smith ou Ricardo qui sont idéologiques.
Le point commun de ces approches est d’avoir une vision réductrice de l’idéologie. La
frontière qui permet de distinguer la science et l’idéologie n’est pas aisée à tracer. Les
scientifiques se sont souvent fourvoyés dans des illusions avant de parvenir à la vérité
et toutes les idéologies cherchent un appui scientifique pour se légitimer. Cependant, la
différence essentielle réside dans le degré de croyances subjectives présentes dans une
idéologie, ainsi qu’une tendance à mettre en avant certains faits plutôt que d’autres ou
bien même à en donner une interprétation déformée.
Dans Sociologie politique, Philippe Braud souligne que "ce qui fait la force des
idéologies, ce n’est pas leur justesse mais leur capacité mobilisatrice". L’intérêt des
croyances subjectives est de fournir une explication du monde simplifiée qui dispose d’
une capacité mobilisatrice. Les vérités démontrées ne suffisent pas à motiver les
individus dans la vie sociale et politique, car elles sont trop éparses et incertaines. En
revanche, les idéologies favorisent sa compréhension et l’émergence d’une volonté d’
engagement politique.
B/ Philippe Braud ajoute que l’idéologie fait appel à un second élément : la croyance
politique. Les croyances répondent à des exigences fondamentales de la vie sociale :
Pour Antonio Gramsci, chaque classe sociale secrète son groupe d’intellectuels
organiques qui lui permet ensuite de prendre conscience de son identité en légitimant
ses attentes et ses revendications, en formulant un projet historique ou des
perspectives d’avenir. Dans ses Carnets de prison (1975), Gramsci considère que les
intellectuels se définissent surtout par ce rôle de direction technique et politique qu’ils
jouent au sein de la société :
"tout groupe social, qui naît sur le terrain originaire d'une fonction essentielle dans le
monde de la production économique, se crée, en même temps, de façon organique, une
ou plusieurs couches d'intellectuels qui lui apportent homogénéité et conscience de sa
propre fonction, non seulement dans le domaine économique, mais également dans le
domaine social et politique".
Les idéologies sont élaborées par des individus possédant un haut niveau de capital
culturel et une autorité légitime reconnue : les entrepreneurs, les scientifiques
médiatiques, les intellectuels consacrés, les journalistes influents ou les dirigeants de
mouvements représentatifs. Elles peuvent l’être aussi par des acteurs sociaux qui se
trouvent dans une situation privilégiées pour imposer leurs croyances parce qu’ils
exercent une influence particulière sur les instances de socialisation comme l’Ecole, les
organisations religieuses, politiques ou les médias.
D/ Dans L'Opium des intellectuels (1955), Raymond Aron estime que les grandes
idéologies (fascisme, communisme) sont entrées dans une phase de déclin et que la fin
de l'âge idéologique est proche. Cette idée est reprise quelques années plus tard par le
sociologue Daniel Bell, qui dans La fin de l’idéologie (1963), anticipe le déclin des
doctrines politiques universalistes et humanistes propres à l'Occident, en particulier
celle du marxisme.
Pour Philippe Braud, il s’agit de ne pas se laisser abuser par un effet d’optique : s’il y a en
effet un déclin de la visibilité des idéologies, cela ne signifie pas pour autant qu’elles ont
disparu. Selon lui, tant qu’il existe dans une société une hiérarchie de légitimité entre les
croyances et des dispositifs efficaces pour faire prévaloir certaines d’entre elles, il existe
aussi un travail idéologique actif en son sein.
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