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Petitjean André. Les typologies textuelles. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°62, 1989. Classer les textes. pp.
86-125;
doi : https://doi.org/10.3406/prati.1989.1510
https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1989_num_62_1_1510
André PETITJEAN
INTRODUCTION
(1) Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, sous la direction de J.-L. Chiss, J.-P. Laurent, J.-C. Meyer,
H. Romian, B. Schneuwly, De Boeck, 1987.
(2) I.O. de 1985 parues dans le Livre de Poche, n° 6129.
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Au niveau des collèges (3), l'intérêt pédagogique d'un recours à la
classification des textes est nettement affirmé et on ne peut qu'y souscrire.
En témoignent les extraits suivants :
« [...] favoriser la création par les élèves de phrases et de textes oraux et écrits
[...] et la connaissance de la diversité des types de discours » (Collèges,
page 28).
A la fin du cycle d'observation, l'élève doit savoir, entre autres, « 6. définir la
spécificité d'un texte, reconnaître les principaux traits qui caractérisent certains
types de textes (narratif, théâtral, poétique, documentaire) » (BO, p. 4).
Des exercices spécifiques sont prévus concernant « l'observation du
fonctionnement des textes » parmi lesquels on retiendra, révélateurs de
notre propos :
« trouver des points communs ou des différences entre deux ou plusieurs textes
brefs» (BO, p. 12).
Classer des faits de langue, des textes, des coupures de journaux, des
ouvrages, selon des critères précis » (BO, p. 12).
De même, on trouve à la page 28 du Livre de Poche une définition
du « texte littéraire » que l'on pourra discuter mais qui a le mérite d'exister.
Il reste que l'on peut regretter qu'un certain flou terminologique
demeure dans les classifications. Ainsi, page 23, seul le contexte permet
d'inférer que « discours » signifie texte oral alors que page 29, il semble
désigner des textes écrits. Autre exemple, page 47 on oppose « récit »,
« théâtre », « poésie », « textes d'auteurs étrangers » alors qu'à la page 49,
dans la même série d'oppositions, « écrits en prose » remplace « récit ».
Chacun comprendra que l'hétérogénéité de tels classements ne peut que
poser des problèmes, au niveau des élèves comme à celui des enseignants.
Il faut dire, à la décharge des auteurs de la « noosphère » (4), que du
côté des savoirs savants ae référence (en particulier les théories
linguistiques) les modes de classification sont tout aussi peu précis. Pour les uns,
discours et texte sont des expressions synonymiques (5), pour les autres
discours s'oppose à texte, le premier désignant un énoncé mis en situation
et le second un mode d'organisation abstrait (6). Pis encore, pour certains,
l'entreprise typologique est nécessaire et possible (7), pour d'autres, elle est
un objet impensable (8).
(3) Je me réfère à la fois aux LO de 1985 parues dans Le Livre de Poche intitulé Collèges. Programmes et
Instructions et aux Compléments aux Progammes et Instructions des classes de collège publiées dans le BO
supplément au n° 25 du 30 juin 1988.
(4) J'emprunte ce terme à Yves Chevallard (1985) pour désigner les agents qui contribuent à l'élaboration du
discours didactique (Instructions, manuels, revues et ouvrages spécialisés).
(5) Je pense entre autres à Irèna Bellert (1970) qui inaugure ainsi son article : « que l'on accepte la définition de
travail suivante d'un texte ou d'un discours cohérent... ».
(6) On aura reconnu l'opposition entre les théories de l'analyse du discours et les modèles relevant des
grammaires de texte. Sur l'origine et les développements de ces paradigmes théoriques, je renvoie à Michel Cha-
rolles (1988).
(7) « C'est seulement par la typologie que la linguistique s'élève à des points de vue tout à fait généraux et
devient une science » (L. Hjelmslev, 1966).
(8) « Pour maîtriser un tant soit peu l'univers discursif on utilise constamment des typologies fonctionnelles
(discours juridique, religieux, politique...) et formelles (discours narratif, didactique...) qui s'avèrent aussi
inévitables que dérisoires [...]. On est condamné à penser un mélange inextricable de même et d'autre, un réseau
de rapports constamment ouvert [...]. En outre si l'on veut prendre en compte les facteurs de variations
spatio-temporelles qui spécifient ces typologies [...], on conçoit aisément que l'on se trouve confronté à
quelque chose d'insensé dès qu'on entend accéder à un peu de généralité » D. Maingueneau (1984).
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Il m'a donc semblé utile, compte tenu de l'enjeu théorique, didactique
et pédagogique des classifications textuelles de tenter un essai de
classification des problèmes en menant ma réflexion sur l'acte même de la
classification selon qu'il est abordé par différents champs théoriques de
référence (9).
(9) Sur les enjeux épistémologiques de l'activité classificatoire dans les théories des textes, J.-L. Chics (1987) et
P. Tort (1989).
(10) Voir essentiellement : P. Parmentier (1986), Pour une sociologie de la lecture, sous la direction de Martine
Poulain, Ed. du Cercle de la Librairie, 1988, et dans Pratiques, J.-M. Privât et M.-C. Vinson (1986) et Y. Reuter
(1986a et 1986b).
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hiérarchique (attribution, à des textes, de valeurs ou de qualités différentes).
Il s'en suit que les genres et leurs consommation servent, en fait, à définir
des niveaux de culture. Ce que prouve P. Parmentier (1988) à l'aide d'un
tableau à double entrée :
• celle qui concerne les genres répertoriés ;
• celle qui désigne la légitimité sociale des textes selon une répartition
ternaire (lecture cultivée [grande littérature ou ouvrage scientifique] ;
culture moyenne [lisible du grand public mais porteuse de légitimité
culturelle] ; culture « bis » [infra-littérature]).
LES DEUX DIMENSIONS DU CODAGE DES TITRES
Niveaux
Lecture Culture « Bis »
de
Genres légitimité cultivée moyenne
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Science-fiction cultivée : « Ailleurs et demain » Laffont, « Présence du futur »
Denoël.
Classiques (Wells, M. Renard) ; écriture difficile (J.-G. Ballard, F. Herbert).
Essais vécus : expériences, témoignages, biographies ou autobiographies de
vedettes non politiques ou de contemporains obscurs, enfances (rurales,
malheureuses, etc.).
M. Cardinal, E. Caries, Cavanna, H. Vincenot, S. Signoret.
Essais grand public : grands problèmes d'actualité, psychologie, sociologie,
politique. Journalistes, médecins-essayistes. F. de Closets, B. Groult, T. Laîné,
Dr Olivenstein, Dr Schwarzenberg.
Essais savants : Gallimard, Maspero, Payot, PUF.
Philosophie, sciences humaines de circulation restreinte.
Science-fiction « bis » : Fleuve Noir « Anticipation ».
Essais «parallèles » : « L'aventure mystérieuse » J'ai Lu.
Parapsychologie, médecines parallèles, astrologie, OVNI, clés des songes.
Livres de loisirs : voyages, sports, jeux, photo.
Livres pratiques : bricolage, jardinage, cuisine, couture, artisanat de loisir.
Livres d'art et sur l'art (peinture, musique, etc).
Vulgarisation scientifique : Marabout, Cousteau, Gamow.
Sciences et techniques spécialisées.
Histoires actuelle : autobiographies contemporaines politiques, témoignages,
récits de guerres du XXe siècle.
Histoire vulgarisée : biographies de grands personnages jusqu'au XIXe siècle.
Castelot.
Histoire spécialisée : histoire savante, études synthétiques, mémoires antérieurs
au XXe siècle.
Duby, Saint-Simon.
Tous les noms propres cités à titre indicatif ou typique dans cette liste figuraient
dans le corpus des réponses.
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— Le niveau qualitatif dépend de l'autorité qui entend légiférer la légitimité.
Ce sera le critère de rupture par rapport aux genres établis pour l'écrivain
d'avant-garde (voir l'intérêt des surréalistes pour Lautréamont et le rejet
de ce dernier par un manuel tel que Lagarde et Michard), ce sera le
critère de lisibilité pour la tradition critique {voir, pour ne prendre qu'un
exemple, l'accueil critique qu'a reçu Proust lors de la parution de son
œuvre (11)], ce sera le critère d'élaboration textuelle pour le théoricien
(les travaux de sémiotique ont prouvé qu'un roman policier ou de
science-fiction était tout aussi stimulant, pour la réflexion théorique, que
les classiques du roman réaliste) (12).
Finalement, comme le confirme par ailleurs la désespérante quête des
linguistes d'un critère de littérarité, je proposerai, après Searle (1982), de
renoncer à l'idée de vouloir conceptualiser sémiotiquement la notion de
littérature (à distinguer de la notion de fiction) :
« D'abord, il n'y a pas de traits ou d'ensemble de traits communs à toutes les
œuvres littéraires qui constitueraient les conditions nécessaires et suffisantes
pour qu'un texte soit littéraire. La littérature est, pour reprendre la terminologie
de Wittgenstein, un concept de « ressemblance familiale ».
En second lieu, je crois [...] que « littérature » désigne une série d'attitudes que
nous prenons à l'égard d'un champ du discours plutôt qu'une propriété interne
de ce champ, même si le fait de prendre telle ou telle attitude dépend, au
moins en partie, des propriétés du discours [...].
En troisième lieu, la littérature est en continuité avec le non-littéraire. Il n'y a
entre eux ni frontière stricte ni même l'ombre d'une frontière » (p. 103).
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a) les activités de compréhension
Comme cela a été abondamment vérifié pour le récit (cela reste à
prouver pour les autres types de textes), il semblerait que l'organisation
globale d'un texte (sa superstructure) joue un rôle fondamental dans le
processus de compréhension des textes. En d'autres termes, la connaissance
du type d'écrit ou du genre de discours influe sur la lisibilité d'un texte
particulier.
(13) « Les typologies de textes, approche cognitive », Colloque de Poitiers, 1986 (à paraître).
(14) Voir entre autres S. Ehrlich (1975) et F. Smith (1979).
(15) J'écarte du corpus la majorité des théories des genres qui, sauf exceptions récentes, ne sont pas d'inspiration
linguistique.
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Or, quels que soient leurs objets d'étude, quelles que soient les
méthodologies qu'ils utilisent, ces travaux ont pour caractéristique :
1) De traiter les phénomènes linguistes dans un cadre supraphrasti-
que. En témoignent des linguistes aussi différents que O. Ducrot (1972) ou
R. Martin (1985), pour ne prendre que ces deux exemples.
« II n'y a de texte que si renonciation de chaque phrase prend appui sur l'une
au moins des phrases précédentes, de sorte que la compréhension de ce qui
suit exige celle de ce qui précède » (0. Ducrot).
« Un texte répond aux exigences de cohésion si toutes les phrases qu'il
comporte y sont acceptées comme des suites possibles du contexte
antécédent » (R. Martin).
2) De proposer, directement ou indirectement, des classifications ou
des typologies de textes.
Comme l'écrit F. Jacques (1987) :
« Aujourd'hui, la grammaire textuelle ne veut plus ignorer que le discours a
une structure spécifique à laquelle sont liés des effets de sens. On s'oriente
vers une modalisation des dimensions qui constituent des facteurs de
cohérence discursive remarquable. On s'aperçoit que l'argumentation est une
régulation transphrastique qui n'est pas d'un moindre niveau de généralité que la
narrativité. Et aussi que les règles d'enchaînement d'une conversation ne sont
pas les mêmes que celles d'un discours électoral. »
Un second constat, de perplexité théorique. Les propositions de
typologies sont très diverses mais ont en commun le fait de poser de véritables
problèmes épistémologiques :
— elles ne possèdent généralement pas de théorie explicite du texte ;
— elles se constituent souvent par dérivation à partir d'une théorie
linguistique (ex. : les différents modèles de la communication) ;
— elles se définissent en faisant abstraction de l'évolution historique ;
— elles sont des « modèles » de classement qui, comme l'indique E. Gùlich
(1986), ne se préoccupent pas de savoir « de quelle manière les
différenciations typologiques textuelles sont [elles] significatives pour les
interlocuteurs dans un contexte d'interaction concret ? ».
On peut cependant trouver dans ces classifications savantes, à
condition de ne pas les utiliser de manière applicationniste, de stimulantes
réflexions didactiques sur le principe même de la classification.
a) L'objet à classer
Ce sont des verbalisations orales ou écrites, émises en situation, c'est-
à-dire des réalités sémiotiques complexes et pluridimensionnelles. Dans la
mesure donc où les textes sont stratifiés à des niveaux différents, il est
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possible de leur trouver des propriétés communes très hétérogènes et cela
suivant un nombre incalculable de combinaisons possibles. Luis J. Prieto
(1987) l'a réalistement souligné :
peut
partie
porte
« [...] posséder
quelle
objets. Comme
des
laquelle
caractéristique
» caractéristiques
chaque
un
de nombre
ses que
objet
identités
indéfini
présente
d'un
possède
autre
spécifiques
d'identités
unun
objet,
objet
nombre
chaque
avec
spécifiques
donné
infini
unobjet
peut
nombre
deetpeut
toujours
caractéristiques,
comme
partager
infini
aussi
n'importe
d'autres
n'im¬
faireil
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Se pose donc le problème de statut des critères, de leur degré de
généralité, des modes de leur combinaison... en un mot, de l'heuristique
même de la démarche du classificateur.
b) La démarche du classificateur
Les typologies qu'élaborent les linguistes sont des objets de
connaissance, c'est-à-dire des constructions abstraites, descriptives, falsifiables et
plus ou moins puissantes :
« [...] La classification se présente comme une activité cognitive taxinomique,
comme une procédure qui consiste à appliquer à un objet soumis à l'analyse,
une suite de catégories discriminatoires ayant pour effet de mettre à jour les
éléments dont est composé l'ensemble et de construire ainsi la définition de
l'objet considéré » (16).
ou encore :
« [...] La classification apparaîtra d'abord comme « découpage » de ce réel,
sélection de caractères, marquage de régularités, indexation de groupes
homogènes, discrimination de « familles d'objets » — grille par conséquent. Toute
classification met en œuvre ce que j'appellerai une critériopraxis (P. Tort, 1989).
Pour illustrer cet aspect construit des typologies, j'emprunterai un
exemple à Robert E. Longacre (1982), non sans l'avoir « bricolé » pour la
cause explicative.
Soit, au départ, le choix de deux critères définis comme (A)
Succession temporelle et (B) Orientation vers la personne émettrice. Ils permettent
de discriminer quatre classes de texte :
1) Discours narratif (A+, B+) ex. : récit conversationnel.
2) Discours procédural (A+, B-) ex. : mode d'emploi.
3) Discours de conduite (A-, B+) ex. : discours politique.
4) Discours d'exposition (A-, B-) ex. : texte théorique.
Ajoutons un troisième critère (C) défini comme situation et/ou action
souhaitée ou anticipée. On obtient alors huit classes de textes.
1) discours (A+, B-, C+) ex. annonce météorologique
narratif (A+, B-, C-) ex. récit d'historien
2) discours (A+, B-, C+) ex. mode d'emploi
procédural (A+, B-, C-) ex. description d'actions
3) discours (A-, B+, C+) ex. profession de foi
de conduite (A-, B+, C-) ex. bilan de gestion
4) discours (A-, B-, C+) ex. budget prévisionnel
d'exposition (A-, B+, C-) ex. traité économique
Il devrait apparaître qu'il suffit de faire varier le nombre de critères
(la base typologique), d'utiliser ces derniers in praesentia ou par défaut pour
que s'élargisse ou non le domaine d'application. C'est pourquoi on dira
qu'une typologie est une construction savante qui possède trois
paramètres :
1) Une base typologique.
2) Un domaine d'application caractérisé.
3) Une description des formes de mise en rapport entre la base et le
domaine d'application.
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Rappelons chacun de ces points.
1) Par base typologique définie, il faut entendre qu'une classification
se donne des critères explicites (uniques ou multiples, homogènes ou
hétérogènes, hiérarchisés ou non) en fonction desquels seront distinguées des
classes de textes (17).
2) Le domaine d'application peut prendre la forme d'un corpus (les
discours de De Gaulle, les récits des faits divers dans les quotidiens
régionaux ou nationaux ou dans la presse spécialisée) ou s'étendre à tous les
messages (oraux ou écrits) possédant les caractéristiques définies dans la
base typologique (sur la base d'une définition du récit, seront appelés
narratifs tous les textes qui possèdent cette forme d'organisation).
3) Quant à la mise en rapport entre la base et le domaine, on dira
que la base se réalise totalement ou partiellement dans le domaine, dans
un rapport d'unicité (texte très typé) ou de mixité (hétérogénéité textuelle)
à l'intérieur d'une relation de successivité (récit + dialogue + récit +
description) ou de hiérarchie à dominante (récit + description au service d'une
argumentation).
On doit à H. Isenberg (1978) un article stimulant dans lequel :
1) II écarte comme faibles les typologies construites sur des critères
référentiels (18) ou sous la forme d'une addition de critères hétérogènes (19).
2) II propose ce qu'il appelle « les exigences minimales
méthodologiques» [...] « d'une typologie supérieure», à savoir l'homogénéité, la mono-
typie, la non-ambiguité et l'exhaustivité. Sachant que tout classificateur est
prisonnier du dilemme suivant : plus une typologie se veut exhaustive et
moins elle sera monotypique, plus elle sera polytypique et moins elle sera
généralisable.
Après examen de plus d'une centaine d'articles disponibles sur le
marché anglo-saxon, allemand et français, il faut bien reconnaître que cette
typologie « idéale » n'existe pas et que les démarches classificatrices sont
très variées.
— Le classificateur peut partir de caractéristiques (par exemple des marques
linguistiques) pour constater, pour une classe donnée de textes, qu'il
existe un assemblage d'indicateurs formels qui rendent compte d'une
structure partielle du texte (cf. J. Heslot (1985) pour l'article scientifique
ou H. Weinrich (1973) pour son opposition « monde commenté »
(dialogue dramatique, éditorial, essai philosophique...) vs « monde raconté »
(conte, légende, roman...) ou J.-C. Beacco et M. Darot (1984) pour la
critique journalistique et les textes de vulgarisation ou B. Combettes (1987)
pour son opposition entre « passages de premier plan » vs de « second
plan ».
(17) ■« Le défaut des auteurs de classifications, c'est d'oublier le besoin premier d'une classification : le besoin
d'une unité de base » (M. Bakhtine (1979)).
(18) II vise les typologies fondées sur le domaine de référence (géologie, physique, histoire...) qui ne rendent pas
compte du fait que pour un même domaine (ex. la biologie) il existe des textes aussi différents qu'un manuel,
un article de revue spécialisée, une communication scientifique...
(19) L'exemple caricatural est celui de B. Sandig (1972) qui utilise jusqu'à vingt critères hétérogènes du type parlé,
spontané, de 1re personne...
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— Le classificateur peut construire une combinaison de critères qu'il
conceptualise en les hiérarchisant à l'intérieur d'un « foyer classifica-
toire» (cf. J.-P. Bronckart (1985) et B. Schneuwly (1988)) qui, à partir de
deux « foyers » (« l'acte de production » et « l'interaction sociale »)
distinguent quatre « types discursifs » de base : discours en situation, récit
conversationnel, discours théorique, narration).
— Le classificateur part d'un genre de texte précis pour lequel il existe un
lexique dans la langue ordinaire et cherche à coordonner une
combinaison de propriétés qui deviennent distinctives (cf. T. Todorov (1970)
qui, partant d'un genre historique (le fantastique), le transforme en genre
savant).
On peut néanmoins, à partir de la multiplicité des propositions
typologiques, dégager (démon de la classification oblige!) de grandes attitudes
classificatoires (20). Dans le cadre de cet article, je me contenterai de les
présenter succinctement, généralement sans prendre parti sur le degré de
validité de leur fondement théorique.
Selon que leur base typologique est constituée d'un ou de plusieurs
foyers conceptuels, je distinguerai trois types de classification : homogène,
intermédiaire, hétérogène.
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Tel est le cas aussi de J.-M. Adam (1985, 1987) avec ses types de
« structures séquentielles de base » qui soit servent à organiser la
planification globale d'un texte (« superstructure »), soit à enchaîner une suite limitée
d'unités linguistiques (« plan de texte »).
a) Séquentialité narrative (roman, nouvelle, faits divers, publicité
narrative...).
b) Séquentialité injonctive-instructionnelle (notice de montage,
consignes, règlements, guide d'itinéraire, bulletin météorologique...).
c) Séquentialité descriptive (description dans un récit, publicité, guide
touristique...).
d) Séquentialité argumentative (éditorial, publicité, texte à thèses...).
e) Séquentialité explicative-expositive (page d'un manuel, article de
vulgarisation, article d'information...).
f) Séquentialité dialogale-conversationnelle (conversation
téléphonique, interview, dialogue romanesque ou théâtral...).
g) Séquentialité poétique-autotélique (poème, prose poétique,
slogans publicitaires ou politiques...).
Comme le précisait E. Werlich, J.-M. Adam souligne que les textes
sont rarement mono-séquentiels mais qu'ils sont structurés, de façon
complète ou partielle par plusieurs séquences, identiques ou différentes,
l'hétérogénéité pouvant avoir la forme d'une successivité ou d'une hiérarchie à
dominante (cf. une fable comme Le loup et l'agneau qui est diversement
hétérogène :
— le récit est présenté dans une forme poétique,
— l'histoire est au service d'une thèse qu'elle illustre et joue ainsi le rôle
d'un argument,
— ce récit comporte des actions qu'entrecoupent des segments descriptifs,
— le noyau actionnel se présente comme un échange conversationnel sous
la forme d'une argumentation polémique).
Chaque superstructure (ou plan de texte) peut être détectée à partir
de marques linguistiques de surface qui servent d'instructions sur la
stratégie typologique utilisée.
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De même J.-P. Bronckart (1987) parle de :
«[...] l'influence particulière qu'exerce sur le discours chacun des paramètres
de l'interaction sociale. En effet, quand se met en place une action langagière,
c'est un but particulier qui est choisi, un destinataire, un énonciateur et un lieu
social [...]».
Bien que les frontières qui les séparent soient fluctuantes d'une base
typologique à l'autre (un modèle élargi de renonciation intégrera le situa-
tionnel (22)), on distinguera trois grandes familles typologiques qui rendent
compte de la mise en situation des textes :
— les typologies énonciatives,
— les typologies communicationnelles,
— les typologies situationnelles.
Dans les limites de cet article, je ne leur accorderai pas un traitement
égal mais m'arrêterai plus particulièrement sur les énonciatives.
(22) Pour J.-P. Bronckart (1985) « le concept de discours renvoie enfin à une entité plus large, celle de la formation
discursive à l'œuvre dans le texte, entité qui n'est appréhendable qu'en prenant en compte un ensemble de
paramètres de nature sociale ».
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comprend le passé-composé, le futur simple, le futur antérieur, le
conditionnel mode, l'imparfait et plus-que-parfait (ex. : « aujourd'hui il pleut »).
— Les temps du récit. Dans ce système, l'ancrage se fait en disjonction
avec le présent de renonciation. Centré autour du passé-simple, le récit
comprend le plus-que-parfait, l'imparfait, le conditionnel temps, le passé
antérieur (ex. : « ce jour-là il sortit à quatre heures »).
Je rappelle que la catégorie de la « deixis » s'étendra par la suite (23)
aux modalisateurs puis aux actes de langage (interrogation, injonction)...
3) Propose une typologie des discours fondée sur la présence/absence,
la corrélation et la densité de ces indicateurs linguistiques, l'ensemble
reflétant un choix énonciatif possible entre deux attitudes élocutives : V
enonciation personnelle et renonciation historique.
i Qu'on se souvienne des définitions qu'en donne Benveniste :
« L'énonciation historique, aujourd'hui réservée à la langue écrite, caractérise
le récit des événements passés [...]. Il s'agit de la présentation des faits
survenus à un certain moment du temps sans aucune intervention du locuteur
dans le récit [...].
[...] Nous avons, par contraste, situé d'avance le plan du discours. Il faut
entendre discours dans sa plus large extension : toute enonciation supposant
un locuteur et un auditeur, et chez le premier l'intention d'influencer l'autre en
quelque manière [...].
On a pu établir, comme le proposent B. Combettes et J. Fresson
(1975) une typologie, non pas des textes mais des modes énonciatifs en
distinguant le cas où le locuteur se réfère « limpidement» à l'un ou à l'autre
des modes d'énonciation (« Nous désignerons par ce terme les textes que
leurs auteurs placent clairement dans le système du discours ou dans celui
du récit») et les cas où il « hésite» entre les deux. Appartiennent au récit
un conte merveilleux, un roman réaliste, une chronique historique...,
relèvent du discours correspondance, tracts politique ou syndical, recette de
cuisine, notice de montage... et la quasi-totalité des messages oraux. Sont
« hésitants » des textes aussi différents qu'un fait divers, un récit de vie, un
récit fantastique ou une rédaction d'élève.
Sans nier l'utilité pédagogique du modèle énonciatif de Benveniste
et de la typologie que l'on peut en dériver (24), il faut bien reconnaître qu'il
pose des problèmes théoriques, au point qu'il a été nécessaire de le réviser.
« Le linguiste moyen ne peut à ce stade manquer d'être surpris par la bonne
faveur d'une hypothèse — à peine retouchée par Harald Weinrich et, encore
une fois, avec le succès que l'on connaît — qui n'a jamais été soumise à une
vérification tant soit peu serrée, dont la séduisante simplicité dissimule mal la
faiblesse , voire les contradictions » (M. Wilmet, (1979)).
C'est pourquoi les linguistes (25) se sont attachés à reformuler la
notion même d'énonciation et à affiner le paradigme des indicateurs
linguistiques. Ce qui se traduira par un élargissement du domaine d'application
de cette nouvelle base typologique.
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«Autrement dit, ce n'est plus seulement le moment d'énonciation, l'endroit
d'énonciation et les participants (locuteur et interlocuteur) à renonciation qui
forment le cadre déictique mais également les objets résidant dans la situation
d'énonciation » (G. Kleiber (1986)).
Comme ces objets peuvent avoir une présence physique ou mentale,
l'élargissement du cadre déictique sera théorisé sous la forme de ce que
A. Berrendonner (1986) appelle la «mémoire discursive» de l'énonciateur
et les « savoir partagés » entre l'émetteur et le récepteur. Certains linguistes
iront jusqu'à étendre l'empan de la deixis à la situation anaphorique.
Opération qui conduira à distinguer une deixis « indicielle » ou « contextuelle »
(renvoi à l'extra-linguistique comme dans « II part avec cette fille ! » d'une
deixis « anaphorique » ou « co-textuelle » (renvoi à du co-textuel) (26). Ce
dernier peut être explicite (ex. : « Grand-mère a vécu centenaire. L'/Cette
ignoble créature... » (27)) ou implicite (ex. : « II a sonné à la porte, le voisin
ne lui a pas ouvert ») (28).
En fonction de quoi il a été nécessaire d'une part de corriger la liste
des indicateurs déictiques de Benveniste et d'autre part de les sous-catégo-
riser :
— en déictiques « transparents », c'est-à-dire qui comportent l'instruction
d'aller chercher dans la situation extra-linguistique ce qu'ils désignent,
ex. : « Je viens tout de suite » (par qui et quand ce message a-t-il été
écrit ?), ex. : « // est sorti » (réponse à la personne venue le chercher).
— en déictiques « opaques », c'est-à-dire susceptibles d'un emploi aussi
bien déictique qu'anaphorique.
C'est ainsi que F. Atlani (1984) a montré que on est un indicateur
« opaque » qui peut être déictique (dans ce cas on = je (ex. : « Que veux-tu,
on a sa fierté » ; on = nous (ex. : « On va bien s'amuser ») ; on = tu ou
vous, assorti d'une intonation (ex. : « Alors, on a fini par venir! »)) ou
anaphorique (dans ce cas on = /7s (ex. : « On se moque de nous »)). Polyphonie
de cet élément qui explique l'usage discursif qu'en font la presse (pour les
récits de faits divers, voir A. Petitjean (1987)) ou les écrivains réalistes.
Dans le même sens, encore, A.-M. De Both-Diez (1985) a montré que
le passé composé est un temps bifide. Déictique ou encore discursif (le seul
que reconnaisse Benveniste), il se réfère à un fait passé, achevé au moment
où l'on parle ou écrit mais supposé exercer une influence, avoir un écho
dans la situation d'énonciation. D'où son usage dans les passages de
commentaires et d'évaluations qui peuvent interrompre un récit au passé
simple (cf. les autobiographies réelles ou fictives, les récits fantastiques,
l'ouverture et la fermeture des faits divers...). Historique, le passé composé
se réfère à un fait disjoint par rapport au moment où on l'énonce. Comme
le passé simple dont il est l'équivalent, le passé composé historique
représente une action de premier plan et ancre l'énoncé dans un monde donné.
On le trouve dans les récits ordinaires qu'ils soient oraux ou écrits.
On peut trouver des textes (ex. : L'Etranger de Camus) ou des genres
(ex. : le fait divers) qui mélangent ces deux passés composés.
(26) Sur les rapports entre « deixis » et « anaphore » voir G. Kleiber (1986 a et b) et M.-J. Reichler-Béguelin (1988).
(27) Sur la reprise de UN N par le N/Ce N, voir G. Kleiber (1987).
(28) Cas de renvoi à une entité non-exprimée dans le co-texte mais inférable à partir des connaissances du monde
(la porte de la maison d'à côté où habite un homme...).
101
Voici ce que j'écrivais (A. Petitjean (1987)) à propos du passé composé
dans les faits divers :
« Temps à « deux visages », le passé composé peut être employé discursive^
ment ou historiquement. Quand il est discursif, le passé composé indique que
l'état des choses référé est antérieur au moment de renonciation mais associé
à lui dans un monde actuel Uo et fait système avec les adverbes de discours.
Il se caractérise par le fait que le procès exprimé appartient à un passé si proche
que la « limite finale du procès est quasiment confondue avec le présent
effectif ». Ils « ont été cueillis », ils le sont encore, ils « ont été placés en garde à
vue », ils le sont toujours. Dans ce cas, le passé composé ne peut être remplacé
par un passé simple (* Les « cinq damnés de la Sarthe... furent finalement
cueillis dimanche matin »). Quand il est historique, le passé composé place la
situation à laquelle se réfère l'énoncé dans un monde passé U1 si bien qu'on
le trouve fréquemment comme temps servant au déploiement des noyaux
narratifs. »
Relatifs au cotexte
Déictiques Référence : y exprimé
Références : To dans le cotexte
Simultanéité En ce moment ; A ce moment-là ;
maintenant alors
Antériorité Hier ; l'autre jour ; La veille ;
la semaine passée (dernière) ; la semaine précédente ;
il y a quelques heures ; quelques heures plus tôt ;
récemment peu avant
Postériorité Demain ; Le lendemain ;
l'année prochaine ; l'année suivante ;
dans deux jours ; deux jours plus tard ;
dorénavant ; peu après ;
bientôt ; prochainement dès lors
Neutres Aujourd'hui ; Un autre jour
lundi (= « le lundi le plus
proche, antérieur ou
postérieur, de To ») ; ce
matin, cet été ; tout à l'heure
102
teur ». Or, dans la mesure où tout énoncé présuppose toujours quelqu'un
qui l'énonce, comme l'écrit O. Ducrot (1972).
« II devient impossible d'admettre l'existence d'une histoire au sens de Benve-
niste, sinon comme l'horizon d'attente mythique de certains discours. »
C'est pourquoi je dirais que la majorité des textes de type récit relèvent
en fait d'une énonciation « mixte ». Ce phénomène d'interférence entre les
deux registres est d'autant plus visible que la sémantique, la pragmatique
ou l'analyse de discours ont élargi le paradigme des indicateurs
linguistiques de la présence de l'émetteur et du récepteur.
— Voir C. Kerbrat-Orecchioni (1980) qui propose, à côté des déictiques une
classe qu'elle appelle subjectivèmes, elle-même subdivisée en axiolo-
giques et en modalisateurs. Les premiers (noms, adjectifs, verbes...) sont
des unités lexicales qui, en même temps qu'elles énoncent les propriétés
d'un objet, indiquent les réactions de l'énonciateur face à cet objet (ex. :
le garçon vs le garnement). Les seconds servent à informer le
destinataire sur la façon dont il adhère au contenu de ses propos. Ceux-ci
peuvent être assertés comme vrais (assurément, évidemment, penser que...),
incertains (peut-être, sans doute, craindre que...), relatifs (dans un sens,
à certains égards...), etc.
— Voir 0. Ducrot (1980 et 1984) qui montre :
1) Qu'en admettant l'hypothèse que la modalité déclarative est « élo-
cutionnairement neutre », les autres types de phrases (interrogative, impéra-
tive, exclamative, négative) manifestent l'engagement énonciatif du locuteur
et de son destinataire.
2) Que de nombreux connecteurs (« mais », « même »...) sont autant
d'instructions données au récepteur sur l'orientation argumentative de son
propos.
— Voir 0. Ducrot encore (1984) qui, à l'aide de son concept de polyphonie
affine la notion d'énonciateur (29) et explicite le fonctionnement des
discours rapportés et des discours ironiques.
— Voir M. Bakhtine (1978) pour qui un texte est « polyphonique » au sens
où aucun mot qu'il utilise n'est « neutre» mais toujours chargé des
discours « où // a vécu son existence socialement sous-tendue ». C'est ainsi
que l'énonciateur peut incorporer un registre discursif différent du sien
(parlé jeune, familier, réactionnaire, branché...) (ex. : « II avait un plan
d'enfer pour la soirée ») ou renvoyer à un interdiscours soit spécialisé
(« N comme disent les psychologues ») soit idiolectal (« N comme disait
ma grand-mère »).
— Voir J. Authier (1984) qui, à l'intersection de Ducrot et de Bakhtine,
théorise les formes « d'hétérogénéité montrée » (30) et plus spécialement
l'usage des guillemets (1981).
(29) Aprimaire/co-relier
rapporté de L.aux
Danon-Boileau
oppositions entre
(1982)auteur/narrateur/personnage
et à une relecture des concepts
de J. Peytard
de « voix
(1982),
», « mode
de narrateur
» et « perspective »
issus de la narratologie (cf. J. Lintvelt, 1982).
(30) « Je distingue dans cet ensemble les formes marquées, repérant la place de l'autre par une marque univoque
(discours direct, guillemets, italiques, insert de glose) et les formes non marquées du montré où l'autre est
donné à connaître sans marquage univoque (discours indirect libre, ironie, pastiche, imitation... » (1984).
103
— Voir M. Pêcheux (1975) et P. Henry (1977) qui décrivent les coups de
force discursifs que permettent d'effectuer les nominalisations, les
présuppositions, les relatives...
104
Texte D) : A cette même heure, dans le bureau des sous-chefs, Roubaud
commençait à sommeiller, au fond du vieux fauteuil de cuir, d'où il se levait vingt
fois par nuit, les membres rompus. Jusqu'à neuf heures, il avait à recevoir et
à expédier les trains du soir. Le train de marée l'occupait particulièrement :
c'étaient les manœuvres, les attelages, les feuilles d'expédition à surveiller de
près. Puis, lorsque l'express de Paris était arrivé et débranché, il soupait seul
dans le bureau, sur un coin de table, avec un morceau de viande froide,
descendu de chez lui, entre deux tranches de pain. Le dernier train, un omnibus
de Rouen, entrait en gare à minuit et demi (E. Zola, La Bête Humaine).
Texte E) : Nous manipulons des forces qui dépassent de plus en plus notre
capacité d'adaptation. La bombe atomique, par exemple... On connaît
parfaitement les résultats de son emploi sur une ville (devrais-je dire « sur un objectif
civil»?). On a vu des films sur Hiroshima, sur Nagasaki. Mais cela nous
empêche-t-il de continuer à fabriquer des bombes de plus en plus grosses, de
plus en plus meurtrières, qui vont de plus en plus loin, de plus en plus vite?
Quand je dis nous, je veux dire nous et les autres, évidemment... seulement il
est difficile d'oublier que c'est bien nous qui avons commencé. De toute façon
l'histoire que j'ai à raconter n'a rien à voir avec la bombe atomique. Il s'agit
d'une expérience faite dans le cadre d'une recherche absolument pacifique.
Oh ! je sais bien que la conquête de l'espace... Mais en l'occurrence il serait
difficile de trouver une utilisation militaire au translateur temporel de l'équipe
du professeur Bowman. Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit : un translateur
temporel. La machine à voyager dans le temps. Wells. La science-fiction... En réalité
la machine de Bowman n'a rien à voir avec ce qu'on a pu lire à ce sujet dans
les romans d'imagination. D'abord c'est un prototype et rien n'indique encore
qu'elle ne restera pas à l'état de prototype, avant d'être mise définitivement
sous le boisseau. Et dans un certain sens, à cause de ce qui m'est arrivé, il se
pourrait bien que la relation de mon aventure, si je me décide à parler, soit
pour quelque chose dans la décision d'arrêter les recherches. Mais j'anticipe...
Quand je repense à ce voyage (il n'y a pas encore d'autre mot que « voyage »
pour cela), je me dis que j'aurais mieux fait de me casser une jambe ce jour-là...
Oui, mais si je n'étais pas parti ! Et c'est là que je bute à nouveau sur l'énigme
que représente ma performance. Elle pose tant de questions physiques,
morales, biologiques, philosophiques, juridiques même, que je ne peux m'empêcher
de penser que nous avons mis en branle des forces qui... Oh ! Rassurez-vous...
Je ne vais pas pousser le petit couplet sur les recherches interdites, sur le
« domaine réservé au Créateur ». Premièrement, je ne suis pas croyant (et je
vous assure que ce n'est pas une position aussi facile à tenir que cela) ;
deuxièmement, je suis fermement pour le progrès, dans toutes les directions. Mais
le voyage dans le temps... Si le mot génie peut encore s'appliquer à quelqu'un,
de nos jours, c'est bien au professeur Alfred Bowman. Je sais que toute
découverte scientifique d'importance est le fait d'une équipe, mais qui dit une équipe
dit aussi quelqu'un pour la diriger. Et, incontestablement, Bowman est
« quelqu'un ». Je sais aussi que je vais paraître partial en disant cela, car sans
le professeur Bowman je ne sais pas ce que je ferais aujourd'hui... (J.-P. Andre-
von, Un petit saut dans le passé).
A2. L'après Benveniste du point de vue des typologies énonciatives
On n'a pas manqué de relever dans la démarche de Benveniste
certains « points aveugles » qui font problème :
— Comment classer les textes écrits au passé simple et à la première
personne?, les fictions du Nouveau Roman qui bien qu'écrites au présent
ne sont pas des discours? Les textes théoriques écrits au présent?
— Comment, en affirmant que renonciation historique « caractérise le récit
des événements passés » rendre compte de l'usage du passé simple
dans les romans de science-fiction?
On trouve des éléments de réponse à ces questions dans les
typologies élaborées par J. Simonin (1975, 1984) et par J.-P. Bronckart (1985).
Pour des raisons de place, je me limiterai à l'apport de la première.
105
Le critère essentiel retenu pour établir le classement des textes est,
comme chez Benveniste, l'ancrage, c'est-à-dire le point de départ en fonction
duquel un énoncé est produit. En fonction de quoi J. Simonin distingue non
plus deux mais cinq modes majeurs d'ancrage : le discours, l'histoire, le
discours indirect (31), les textes théoriques (32), les textes poétiques.
(31) Un énoncé peut être primaire (énonciateur auteur ou narrateur) ou rapporté (parole de personnages). Dans
ce cas il a la forme d'un discours direct (énonciation déictique) ou du style indirect (énonciation anaphorique)
ou être ambigu discours direct libre (énonciation déictique) ou style indirect libre (énonciation anaphorique).
(32) Des énoncés comme « L'eau bout à 100° » ou « On a toujours besoin d'un petit poids chez soi » (publicité
:
possible pour un club de musculation) ne relèvent ni d'une énonciation déictique ni d'une énonciation
anaphorique et se caractérisent (voir les discours théoriques) par l'usage d'un temps présent à valeur « Quel
que soit T », de déterminants définis à valeur générique... Y a-t-il dans le discours théorique, dans certains
commentaires philosophiques, dans les récits réalistes... un plan d'énonciation particulier? Ce serait là l'objet
d'une recherche à mener...
(33) A l'aide de descriptions qui précisent l'espace-temps de l'histoire (cf. J.-M. Adam et A. Petitjean (1989), le
texte de fiction élabore son propre univers de référence et c'est pourquoi on a pu dire qu'il a un auto-référent,
ce qui ne signifie pas absence de référence.
106
On appellera histoire les textes dans lesquels le repérage dit anapho-
rique s'effectue non par rapport à la situation d'énonciation mais par rapport
à un moment de l'énoncé (en ce temps, là-bas...). Ce que Benveniste
décrivait quand il disait que dans ce cas les événements semblent se raconter
d'eux-mêmes. J. Simonin prend par contre ses distances avec Benveniste
en refusant de réduire renonciation historique au « récit des événements
passés » et montre que, là encore, il faut distinguer textes référentiels et
textes fictionnels. Avec les premiers (récit de fait divers, chronique
historique...), les événements étant considérés comme « réels » ils ne peuvent être
que passés par rapport au moment où ils sont racontés, que renonciation
soit déictique ou anaphorique. Avec les seconds, quel que soit le genre de
la fiction (roman réaliste, de science-fiction, nouveau roman) on voit très
bien qu'il ne faut pas confondre l'époque de l'énoncé et le temps référentiel.
Ainsi, que le temps verbal soit le passé simple (cf. l'incipit de La Bête
Humaine (« En entrant dans la chambre, Roubaud posa sur la table... ») ou
celui de Dune de F. Herbert (« Durant la semaine qui précéda le départ pour
Arrakis... ») ou le présent (cf. l'incipit de La Jalousie de Robbe-Grillet
(« Maintenant l'ombre du pilier — le pilier qui soutient l'angle sud-ouest du
toit — divise en deux parties égales... »), il s'agit de temps anaphoriques
dans la mesure où les actions sont présentées comme disjointes avec le
moment de renonciation.
Conformément au travail de remodelage de la déixis temporelle ou
personnelle, précédemment signalé, on comprend mieux que certains
indicateurs, uniquement déictiques chez Benveniste, soient en fait susceptibles
d'être utilisés dans les deux systèmes.
— C'est ainsi que maintenant, déictique signifie « aujourd'hui » dans
une énonciation de type discours et « alors » dans une énonciation
anaphorique (ex. : « Maintenant l'ombre du pilier... » (Robbe-Grillet) ; « Le taxi
s'éloigna et William leva de nouveau les yeux vers les deux jeunes femmes
qui entendaient maintenant les pas de... » (Doris Lessing).
— C'est ainsi que le présent déictique est totalement étranger au présent
anaphorique (présent historique), ce dernier que l'on trouve aussi bien
dans une fable, un fait divers, un nouveau roman est équivalent au passé
simple.
— C'est ainsi que je représente bien l'énonciateur mais qu'il peut être utilisé
dans une énonciation anaphorique pour désigner un personnage (ex. :
« Selon la coutume, /embrassai M. Chantai [...] et je fis... » (Maupas-
sant)). On sait que les genres narratifs qui veulent accréditer la vérité de
leur assertion « sérieuse » (mémoires) ou « fictives » (autobiographie,
fantastique, science-fiction) alternent des séquences actionnelles
effectuées par le je personnage dans une énonciation anaphorique et les
passages commentatifs du je narrateur à l'intérieur d'une énonciation
déictique.
107
« En tant qu'objet « empirique », un discours est un énoncé ou une énonciation
de nature verbale qui a des propriétés textuelles et qui doit en outre être
caractérisé contextuellement, en tant qu'acte de langage ou de discours accompli
dans certaines conditions de communication » (Dominique Brassait (1987)).
« On s'apercevra alors que tout discours dépend de circonstances de
communication particulières et que chacune de ces circonstances est le produit d'un
certain nombre de composantes qu'il faut essayer d'inventorier. Dès lors on
pourra établir une relation étroite entre ces composantes et les caractéristiques
des discours qui en dépendent. On pourra donc fonder une typologie des
discours sur les composantes du procès de communication » (Patrick Charau-
deau et Anne-Marie Houdebine (1973)).
« [...] Les discours explicatifs servent lorsqu'un dysfonctionnement lié à la
compréhension d'un phénomène quelconque apparaît dans l'interaction et la
perturbe» (J.-F. Halte (1988)).
Comme l'indique ce petit montage de citations, le second foyer
conceptuel, qui détermine un type de discours, se théorise sous la forme
d'une intention communicationnelle ou d'un macro-acte de langage (34).
A l'origine des typologies communicationnelles ou fonctionnelles, outre
K. Bùhler et Ch. Morris (35), il y a bien sûr le travail de R. Jakobson (1960).
L'hypothèse de Jakobson a consisté à réduire la diversité des
échanges sociaux sous la forme d'un modèle de la communication construit
à partir des paramètres présents dans un procès de communication :
l'émetteur, le destinataire, le contexte de référence, le code commun à
l'émetteur et au destinataire, le canal de transmission et le message réalisé.
A ces six composantes d'un acte de communication Jakobson associe six
fonctions principales :
— La fonction référentielle. Orientée vers le contexte elle a une visée
expositive et on la trouve à la base aussi bien des discours narratifs,
descriptifs qu'informatifs (ex. : « Hier, Paul n'est pas sorti »).
— La fonction émotive. Centrée sur le producteur du message, elle
manifeste « l'expression directe de l'attitude du sujet à l'égard de ce dont il
parle ». Elle utilise des moyens expressifs variés (intonation,
exclamations, emphase...) mais aussi les « subjectivèmes » de C. Kerbrat-
Orecchioni (ex. : « Moi, je pense que c'est bien »).
— La fonction conative. Centrée sur le destinataire, elle inscrit ce dernier
dans le message au moyen de tournures impératives et d'injonctions
diverses (ex. : « Tu montes dans ta voiture et tu arrives
immédiatement »).
— La fonction phatique. Centrée sur le maintien du contact entre l'émetteur
et le destinataire elle se manifeste dans des formules ritualisées (ex. :
« Allô »).
— La fonction métalinguistique. Centrée sur le code, elle permet aux
interlocuteurs de métacommuniquer sur les mots qu'ils emploient (ex. :
« Les N, je veux dire... »).
(34) Dans les limites de cet article je ne prendrai pas en compte les typologies d'énoncés élaborées à partir des
actes de langage (déclaratifs, interrogatifs, exclamatifs, impératifs, performatifs... (cf. pour un travail récent
P. Charaudeau (1983) et D. Vanderveken (1988)). Je souligne simplement que des types de discours seront
dérivés à partir des macro-actes et que les typologies fonctionnelles emprunteront souvent des concepts à
la philosophie analytique d'Austin (1970) ou de Searle (1972, 1979) tels que force illocutoire, effet perlocutoire,
acte directif, acte de langage directif...
(35) C'est ainsi que Ch. Morris déjà en 1946 proposait une classification fonctionnelle de ce qu'il appelle les
« types majeurs de discours ».
108
— La fonction poétique. Centrée sur le message elle « met en évidence le
côté palpable des signes » en les utilisant aussi bien pour leur sens
(signifié) que pour leur forme sonore ou graphique (signifiant) (ex. : « Un
Vaquet ça va, Devaquet bonjour les dégâts »).
Jakobson ajoute qu'« // serait difficile de trouver des messages qui
rempliraient seulement une seule fonction. La diversité des messages réside
non dans le monopole de l'une ou de l'autre fonction, mais dans les
différences de hiérarchie entre celles-ci. La structure verbale d'un message
dépend avant tout de la fonction prédominante. »
C'est cette notion de « fonction prédominante » qui, en dépit de
nombreuses critiques adressées au modèle de Jakobson (36), servira, par
dérivation, à l'élaboration d'une typologie de textes et de discours.
— Textes référentiels. Tous les textes « objectivants » : plaque
commémorative, extrait d'une carte Michelin, annonces journalistiques,
procès-verbal...
— Textes expressifs. Tous les textes qui manifestent un point de vue, une
émotion... : billet d'humeur, évaluation dans un récit, commentaires,
journal intime, poésie lyrique...
— Textes conatifs. Tous les textes directifs ou prescriptifs qui agissent sur
autrui ; lettre publicitaire, tract politique, mode d'emploi, fable, littérature
« engagée »...
— Textes phatiques. Tous les textes qui facilitent le contact : lettre à en-tête,
formule de politesse, conversation sur le temps du jour...
— Textes métalinguistiques. Tous les textes qui réfléchissent sur la langue
ou sur les textes : article de dictionnaire, ouvrage critique, commentaire
composé...
— Textes poétiques. Tous les textes où la langue est prise moins comme
un moyen que comme un objet : message publicitaire, slogans
politiques, comptines, poèmes, jeux d'écriture...
D'autres typologies ont été dérivées de Jakobson en exhaussant
comme base typologique l'un des six facteurs de la « situation canonique ».
— J. Peytard (1982) distingue « trois types de messages» en fonction du
canal de transmission utilisé :
1) Les linguistiques. Ils se réalisent soit dans « l'ordre de l'oral»
(conversation en face à face, conversation téléphonique...) soit dans « l'ordre
du scriptural» (lettre, tract, affiche, journal quotidien...).
2) Les non-linguistiques. Ils sont assurés « par des moyens qui
n'appartiennent pas au langage naturel» (feux de la circulation, mime,
symphonie musicale, tableau...).
3) Les mixtes. Cette mixité peut s'opérer entre les deux ordres du
linguistique (cours du professeur qui parle et écrit au tableau) ou entre le
linguistique et le non-linguistique (ex. : bande dessinée, mise en scène
théâtrale).
(36) Voir en particulier celles de F. Flahaut (1978) reprises par F. Vanoye (1983) auxquelles je rajouterai des
critiques textualistes. Ex. : comment discriminer dans les textes référentiels les textes narratifs des
descriptifs ?
109
J. Peytard ajoute qu'il existe des messages qui sont le produit d'un
transcodage d'un ordre à l'autre (ex. : oralisation) par l'acteur d'un texte
dramaturgique vs prise de notes ou compte rendu à partir d'un exposé oral
ou d'un débat). , , n IU J? j,. 6
— P. CharaudearrerffrTvT. Houdebine (1973) croisent les critères émetteur-
destinataire-canal pour construire la typologie suivante (37).
— H. Isenberg (1984) croise les deux critères que sont l'attente dominante
du récepteur et le but communicationnel dominant qui gouverne la
production du discours.
(37) Voir aussi J. Peytard (1971) : « Pour une typologie des messages oraux
110
Nom du type Critère global But fondamental
de textes d'évaluation d'interaction Exemples de textes
111
Pour ce qui concerne le message réalisé, certains poéticiens ont
dérivé de la fonction poétique le concept d'autotélicité qui, sous des formes
différentes, a été utilisé pour construire le concept de littérarité (voir les
théories suivantes : « clôture de l'énoncé» (M. Arrivé (1969)) ; « fexfe
polyisotopique » (M Arrivé (1976)) ; « langage de connotation » (R. Barthes
(1970)) ; « système modélisant secondaire » (I. Lotman (1973)) ; «
potentialité de polyfonctionnalité » (S.J. Schmidt (1973)...) (38).
Désormais :
« la "matrice " communicationnelle proposée est d'une grande complexité
puisqu'elle prétend intégrer "tous" les éléments constitutifs et modélisants
d'une communication donnée en positionnant les locuteurs comme les lieux
d'intégration de l'ensemble. Très puissante, cette modélisation est à considérer
comme un cadre, permettant de se représenter les tâches impliquées dans la
communication et d'éviter toute réductionnisme [...]. La compétence de
communication — terme entendu ici comme l'intégration de l'ensemble des
compétences linguistique, textuelle, discursive, classiquement repérées, mais
aussi des compétences culturelle, sociale, idéologique — se forme
génétiquement dans cette matrice complexe et (que), pratiquement, il faut en tenir le
plus grand compte » (J.-F. Halte) (1988).
(38) Notion de littérarité qui n'est pas à confondre avec la théorie de la fiction telle que Searle (1979) l'a fondée
à partir d'un acte de langage. Hypothèse qui a été retravaillée par A. Reboul (1986), T. Pavel (1988), R. Martin
(1988), C. Jacquenod (1988) et plus récemment par G. Genette (1989). Y a-t-il une définition sémiotique et/ou
pragmatique de la fiction ? Nous y reviendrons dans un numéro de Pratiques consacré aux textes de fiction.
(39) Pour une synthèse voir C. Bachmann, J. Lindenfeld, J. Simonin (1981).
(40) Voir la reformulation du schéma de Jakobson proposée par C. Kerbrat-Orecchioni (1980, p. 19) ou celle
qu'opère M. Pêcheux (1969). On parle alors de compétence hétérogène (Labov), communicationnelle (Hymes),
spécifique et élargie (Slakta)...
(41) Voir M.A.K. Halliday (1975), J. Tough (1974), J. Wight (1976), J. Valiquette (1979)...
112
FONCTIONS
Expressive Transactionnelles
(centrée sur (centrée sur le récepteur)
l'émetteur)
i
Informative Conative
113
« Le concept de discours renvoie enfin à une entité plus large, celle de la
formation discursive à l'œuvre dans le texte, entité qui n'est appréhendable
qu'en prenant en compte un ensemble de paramètres de nature sociale »
(J.-P. Bronckart (1985)).
« Même s'il reste vrai qu'un énoncé est en général pris en charge par un
locuteur individuel, il est également vrai qu'à un autre niveau d'analyse,
l'énonciateur peut être considéré (avec plus ou moins de pertinence selon le
type d'énoncé dont il s'agit) comme le représentant et le porte-parole d'un
groupe social, d'une instance idéologico-institutionnelle (sur le modèle de
« l'idiolecte », du « dialecte » et du « sociolecte », on pourrait proposer le
néologisme d'« idéolecte » pour désigner la compétence propre à un ensemble
d'individus appartenant à une même communauté idéologique [...] (C. Kerbrat-
Orecchioni (1980)).
Le foyer conceptuel mis en œuvre ici, pour classer les textes est le
domaine social à partir duquel les discours sont produits.
Qu'il existe des médiations entre les formes et les contenus des
discours et des institutions, les rhétoriciens en avaient déjà conscience. En
témoigne cet extrait de la Rhétorique française de Crevier (1765), cité par
R. Robin (1976) :
« Les discours de la première espèce du genre démonstratif, c'est-à-dire ceux
qui ont pour objet de louer, sont très usités parmi nous. Nous connaissons les
panégyriques des saints, les oraisons funèbres, les éloges qui se lisent dans
les Académies. La douceur de nos mœurs rend très rares au contraire les
invectives publiques, si ce n'est contre les vices en général sans attaquer les
personnes. Les Mercuriales, qui se font dans le Parlement de Paris à certains
jours marqués, pouvaient être regardées comme appartenant à ce genre de
discours. Mais outre qu'elles n'ont jamais admis les grands mouvements de
l'éloquence, n'étant que des répréhensions faites gravement à la face de la
justice par le magistrat exerçant l'autorité de la censure, aujourd'hui et depuis
longtemps elles se réduisent presque toujours à des avertissements généraux
souvent mêmes tournés en éloges. Les occasions du discours dans le genre
délibératif ne sont pas communes dans nos usages. Sous un gouvernement
monarchique tel que le nôtre, les affaires qui se traitaient à Rome et à Athènes
devant le Sénat et dans l'assemblée du peuple sont réservées à un conseil que
préside le Roi et auquel n'est admis qu'un petit nombre de ministres. Là les
grands ornements de l'éloquence seraient déplacés. Cependant la bonté et
l'équité de nos Rois les engagent souvent à demander les avis de leurs Cours
sur les affaires publiques et alors les délibérations qui se font dans ces grandes
compagnies ressemblent beaucoup à celles de l'ancienne Rome. Seulement
elles sont plus tempérées par le respect pour le souverain. »
114
Ce que nous avons désigné dans notre précédent article sous le terme de
situation n'est nulle autre chose que la réalité effective, dans la vie concrète,
de telle ou telle formation, de telle ou telle activité du rapport de
communication sociale.» (M. Bakhtine)
«Nous avons défini le lieu social comme la «zone de coopération» dans
laquelle se déroule l'activité humaine spécifique à laquelle s'articule l'activité
langagière ; il s'agit donc d'un concept très général, couvrant notamment les
différents types d'institutions et d'appareils idéologiques de la société, mais
aussi d'autres zones d'exercice des pratiques quotidiennes. A titre d'essai, nous
proposerons quelques valeurs de lieu social, dont la pertinence semble
malheureusement limitée aux sociétés occidentales contemporaines :
— 1. Institutions économiques et commerciales.
— 2. Institution étatico-politique.
— 3. Institution littéraire (ou « littérature »).
— 4. Institution académico-scientifique.
— 5. Institutions de soin.
— 6. Institutions de répression (justice et police).
— 7. Institution scolaire.
— 8. Institution familiale.
— 9. Institutions médiatiques.
— 10. Lieu des pratiques de loisirs.
— 7 7. Lieu des pratiques de contact quotidien. » (J.-P. Bronckart).
115
Une troisième catégorie d'écrits relève de la communication scientifique. Il
s'agit d'une part de la rédaction d'articles spécialisés (comptes rendus de
recherche, d'expériences, etc.) ou de communications scientifiques (actes de
congrès, séminaires, symposiums, etc.) ; il s'agit d'autre part de mémoires ou
de thèses de doctorat présentées dans le pays de la langue qu'on apprend ».
3) Un classement des paramètres qui configurent le statut des inter-
actants dans une situation sociale de production.
« Quelles sont les dimensions selon lesquelles le rapport destinataire/énoncia-
teur se définit dans les lieux sociaux définis plus haut? Il me semble qu'on
peut retenir provisoirement les dimensions suivantes :
— Statut socio-économique (supériorité (+), identité (=) ou infériorité (-) de
l'énonciateur par rapport au destinataire).
— Age, lié éventuellement à une évaluation du niveau cognitif supposé atteint
(+, = ou -).
— Identité/différence idéologique et culturelle (= ou ¥=).
— Niveau de connaissances dans le domaine concerné (+, = ou -).
— Rapport familier/non familier (= ou ¥=).
— Statut universel/particulier sur les deux pôles en interaction (pour
l'énonciateur : absence ou masquage de l'énonciateur <—> énonciateur particulier ; pour
le destinataire : auditoire universel <— groupe socio-culturel défini —>
destinataire particulier). »
(42) C'est ainsi que L. Goldmann (1955) attribue comme auteur véritable des tragédies de Racine ou des Pensées
de Pascal un auteur « transindividuel » (noblesse de robe et jansénisme).
(43) Voir Cl. Haroche, P. Henry, M. Pêcheux (1971) qui écrivent : « Nous avancerons, en nous appuyant sur un
grand nombre de remarques contenues dans ce qu'on appelle « les classiques du marxisme » que les
fonctions idéologiques ainsi définies comportent nécessairement, comme une de leurs composantes, une ou
plusieurs FORMATIONS DISCURSIVES interreliées qui déterminent CE QUI PEUT ÊTRE ET DOIT ÊTRE DIT
(articulé sous la forme d'une harangue, d'un sermon, d'un pamphlet, d'un exposé, d'un programme, etc.) à
partir d'une position donnée dans une conjonction donnée. »
116
(A.-J. Guespin (1976)). Il a donné lieu à des descriptions et des classifications
de discours collectifs (bourgeoisie/noblesse) (44) ; discours patronal/dis¬
cours syndical (B. Gardin (1976)) ou individuels (45).
b) Comment repérer linguistiquement la dominante discursive dans
un texte donné. (Je renvoie ici à l'évolution interne du continent problé¬
matique de l'analyse du discours depuis l'utilisation dérivée des systèmes
de Harris (1969) et de Benvéniste jusqu'aux modélisations complexes
par emprunt au marxisme et à la psychanalyse (M. Pêcheux et C. Fuchs
(1975)) (46).
(44) qu'intrication
divers
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«Implicitement
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éléments
(1979)).
«genre
(45) G. Chauveau (1978), à partir des textes produits par Jaurès, discrimine ce qu'elle appelle le «discours
parlementaire » du « dicours de meeting » à l'aide de critères hétérogènes, ce qui me fait dire qu'elle théorise
en fait un genre de discours.
(46) Pour un bilan critique de l'analyse du discours je renvoie à M. Charolles (1986) ainsi qu'à A. Lecomte et
J.-M. Marandin (1986).
117
Pour illustrer cette hétérogénéité de la base typologique d'un genre,
je reproduis ici des conclusions auxquelles j'étais parvenu au termëTcle mon
étude du genre fait divers~\K Petïtjean (1986 et 1987)).
— En tant que discours, les faits divers possèdent un mode d'énonciation
ou de repérage qui se caractérise, pour les récits expansés, par une
multiplication (polyphonie) des agents énonciateurs et par une mixité
des plans d'énonciation.
— En tant que discours, les faits divers, d'un point de vue communication-
2> nel, relèvent d'une intention informative (raconter une histoire) mais qui
n'est pas dépourvue d'argumentation de valeurs et/ou d'explication de
conduites.
— En tant que discours enfin, les faits divers^ont dépendants de gonditipns
A, ^Rationnelles de production qui fonYque, /Selonia politique rédaction-
nelle du journal, un même événement aura un traitement sémantique
différent.
— En tant que texte, les faits divers possèdent une construction séquentielle
^ hétérogène. Ils relèvent d'une narrativité séquentielle dominante (dans
^""laquelle s'insèrent dialogue et description) et d'une transversalité
séquentielle qui fait que telle description possède un enjeu argumentatif
pu que telle série d'actions est ordonnée par une volonté d'explication.
Relèvent d'une classification générique aussi bien les études de
discours « sociaux » à partir de l'analyse d'un corpus (ex. : le genre
Instructions Officielles » (P. Charaudeau (1983)) ; ex. : les discours politiques
parlementaires et de meeting (G. Chauveau (1978)) ; ex. : les faits divers
(C. Fuchs (1983)), A. Petitjean (1987))... que les étuçjes_des genres « litté-
raires » (ex.: l'autobiographie (P. Lejeune (1975), ÉT^&russ (1 Ô?4)f ; le
fantastique (T. Todorov (1970), C. Masseron (1982)); le récit de rêves
(J.-D. Gollut (1988)).
La problématique du genre, surtout des genres « littéraires », a fait
l'objet de nombreux travaux théoriques (47) et de plus rares études relevant
de la didactique (48). C'est pourquoi je me contenterai d'énumérer certains
points :
— l'opposition que fait M. Bakhtine entre « genres premiers » (dialogues
quotidiens, lettres...) et « genres seconds » (roman, théâtre, ouvrages
scientifiques...). Ces derniers « absorbent et transmutent les genres
premiers». Dichotomie reprise par T. Todorov (1978) sous la forme de
l'opposition genres « élémentaires » vs genres « complexes ».
— l'opposition que l'on peut faire entre genres tendanciellement fermés (/i/
(qu'ils soient anciens comme le fabliau, la légende... (49) ou qu'ils sojent/ ^
fortement ritualisés (ex. : lettre officielle)) et genres ouverts (romarin ]"
théâtre...). A croiser avec l'opposition textes de la production « restreinte » ^
(47) Voir entre autres : R. Welleck, A. Warren (1971), T. Todorov (1970, 1978), Kate Hamburger (1986), Théorie
des genres (1986), J.-M. Caluwé (1987), J.-M. Schaeffer (1989). /. ainsi que de nombreux numéros de Poétique
et pour Pratiques, les numéros 54 et 59 intitulés respectivement « Les mauvais genres » et « Les genres du
récit ».
(48) D. Marcoin-Dubois (1987), A. Boissinot (1987), J.-M. Privât, M.-C. Vinson (1989).
(49) H.-R. Jauss (1970) établit, par exemple, une liste de genres narratifs médiévaux dont certains ont disparu.
5~
(où domine le critère de nouveauté thématique ou formelle (50) vs
textes de la production « élargie » où domine le critère de la régularité
connue (51).
L'opposition entre classe générique issue de l'héritage du passé (genre
historique) et classe produite par une élaboration théorique explicite
contemporaine (genre théorique). Voir, par exemple, les différents sens
qu'a pris le mot conte à travers l'histoire (anecdote au Moyen Age, récit
plaisant ou merveilleux au XVIIe siècle, petite nouvelle au XIXe siècle...)
et la distinction thématique et pragmatique entre conte, légende et mythe
proposée par P. Cordoba (1984).
La nécessité d'observer dans les classifications historiques comme dans
les classifications savantes si parmi les différents foyers conceptuels
utilisés il en est un qui domine :
• Trait de contenu (ex. : tragédie (actions et personnages nobles) vs
comédie (actions et personnages plus communs) ; ex. : roman réaliste
vs roman de science-fiction...).
• Trait énonciatif (ex. : énonciation « sérieuse » (lettre officielle) vs
énonciation fictive (roman par lettres) ; mode narratif (roman) vs mode
dramaturgique (théâtre) ; double énonciation du récit fantastique...).
• Traits communicationnels (ex. : visée mathésique et didactique du
roman réaliste).
• Traits organisationnels (ex. : morphologie du conte merveilleux ; ex. :
statut des descriptions dans le roman réaliste...).
Le fait que le genre se signale par des marqueurs textuels (ex. : incipit
du conte merveilleux =£ du roman réaliste (52)) mais aussi par des
indications paratextuelles (titre, couverture) ou péritextuelles (catalogues
de collection... (53)).
Le fait que le genre a toujours un mode d'être historique. En fonction
de quoi on peut distinguer une « généricité auctoriale » (perception du
genre dans le contexte de production) d'une « généricité lectoriale »
(perception du genre dans les différents contextes de réception) (54). En
fonction de quoi aussi, il est vain d'étudier un genre comme une réalité
organique transhistorique et plus judicieux d'analyser l'historicité d'un
genre ou d'une forme (55).
(50) C'est là que le paramètre « style » permet de sous-catégoriser dans un genre (ex. le roman réaliste) des
univers de discours particuliers (ex. : le roman balzacien).
:
(51) « Lorqu'un texte se contente de reproduire les éléments typiques d'un genre, d'introduire une autre matière
dans des modèles déjà éprouvés [...] il naît une littérature stéréotypée » H.-R. Jauss, op. cit.
(52) Sur les débuts de romans voir J. Verrier (1988).
(53) Voir, dans ce numéro, l'article de Catherine Schnedecker.
(54) Voir le conte philosophique, par exemple, qui, à l'époque de Voltaire, n'a pas de rhétorique constituée alors
qu'aujourd'hui il est classé comme relevant du genre « récit exemplaire » (cf. A. Petitjean (1988)).
(55) Voir par exemple mon étude de l'évolution du genre descriptif (description de paysage) dans l'écriture
romanesque du XVIIe au XXe siècle (J.-M. Adam, A. Petitjean (1989)).
119
— Le fait que le genre est une catégorie instituante qui prend la forme d'un
«horizon d'attente» au niveau de la lecture (56) d'un cadre discursif
au niveau de l'écriture et dans tous les cas d'instance de «
socialisation » (57).
m Pour achever ce parcours à l'intérieur du labyrinthe des typologies,
f je rappellerai le travail de G. Genette (1982, 1987) qui consiste à classer non
par des textes mais des types de relations textuelles :
— relation intertextuelle : présence d'un texte dans un autre (citation,
allusion, plagiat, emprunt...),
— relation paratextuelle : accompagnement d'un texte par un autre (titre,
préface, jaquette, quatrième de couverture...),
— relation métatextuelle : commentaire d'un texte par un autre (explication,
critique, exégèse...),
— relation hypertextuelle : dérivation d'un texte à partir d'un autre (suite,
pastiche, parodie (58)...),
— relation architextuelle : appartenance d'un texte à une classe (type,
discours, genre).
Cinq types de relations textuelles auxquelles il conviendrait d'ajouter
* deux modes d'opérations textuelles : l'expansion (écriture longue) et la
| réduction (résumé).
l Pour les conséquences didactiques d'une réflexion linguistique et
sémiotique sur les typologies je renvoie, ici-même, à l'article de Claudine
Garcia-Debanc. Elle montre les enjeux d'un travail taxinomique tant pour
l'apprentissage de la lecture que de l'écriture.
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(56) Comme l'a montré H.-R. Jauss (1978) l'horizon d'attente du public est un cadre qui possède trois paramètres
principaux dont l'un est « l'expérience que le public a du genre dont [l'œuvre] relève ».
(57) « [...] quiconque classe, se classe en classant [...]. Tel éditeur confère à ses produits certaines marques
génériques [...] classant des produits et leurs consommateurs espérés, l'éditeur se classe [...] après quoi
intervient le public réel ou contingent qui va reproduire l'opération en sens inverse » (J. Dubois, P. Durand
(1988)).
(58) Voir A. Petitjean (1984).
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