Vous êtes sur la page 1sur 11

Économie

Soros l’Africain : enquête sur les réseaux du milliardaire


américain
Réservé aux abonnés
11 juillet 2017 à 16:01
Par Michael Pauron
Mis à jour le 12 juillet 2017 à 10:43

George Soros, à Budapest en 2012. © Akos Stiller/Bloomberg


via Getty Images
Philanthrope, homme d’affaires, lobbyiste… George Soros,
milliardaire américain, admiré par certains, vilipendé par
d’autres, est omniprésent sur le continent. Qui est vraiment
l’homme qui a tissé l’un des réseaux les plus puissants de la
planète ?

Un opposant équato-guinéen, un homme d’affaires sulfureux


d’origine libanaise, un avocat français réputé et un
milliardaire américain, tous alliés dans le but de déstabiliser
un régime africain : le scénario déroulé ce 27 juin par l’ancien
mercenaire britannique Simon Mann devant les juges ébahis
de la 32e chambre correctionnelle de Paris est digne des plus
grandes intrigues hollywoodiennes.

« En 2011, j’ai prévenu le président Obiang que Severo Moto,


Ely Calil, William Bourdon et George Soros envisageaient de
déstabiliser la Guinée équatoriale », lance ce personnage tout
droit sorti d’un SAS de Gérard de Villiers. La « bombe » a eu
l’effet escompté par la défense : les frasques du vice--
président de Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang
Mangue, jugé notamment pour blanchiment et recel de fonds
publics dans le premier procès dit des biens mal acquis
(BMA), ont cédé la place à la thèse d’un complot ourdi par
des puissances étrangères – et dont, bien sûr, Teodorín serait
une victime collatérale.

Soros, l’homme de la situation

George Soros, à la tête d’une fortune estimée par le magazine


américain Forbes à 25 milliards de dollars (22 milliards
d’euros), ne devrait pas s’émouvoir outre mesure d’avoir été
ainsi jeté en pâture.
À 86 ans, ce natif de Budapest, en Hongrie, en a vu d’autres
et est toujours admiré par des générations de spéculateurs
pour l’un de ses principaux faits d’armes : avoir fait « sauter »
la Banque d’Angleterre en 1992 en misant contre la livre
sterling, empochant 1 milliard de dollars en une nuit et
forçant Londres à dévaluer.

Un parcours remarquable

Les rumeurs les plus folles qui circulent à son sujet sont donc
à la hauteur de ce personnage, qui aime à cultiver le secret.
Philanthrope avec l’Open Society Foundations (OSF),
businessman à travers le Soros Fund Management (20 % de
rentabilité en moyenne par an), lobbyiste adossé à l’un des
réseaux les plus puissants de la planète… Qui est vraiment
George Soros, né György Schwartz en 1930 ?

Homme complexe aux multiples facettes, il fait l’objet de


vives critiques – dont il n’a apparemment cure –, depuis sa
Hongrie natale, où le président Viktor Orbán l’a récemment
vilipendé (alors qu’il a lui même bénéficié d’une bourse
Soros), jusqu’aux États-Unis, sa terre d’adoption depuis 1956
et où ses relations avec Donald Trump sont exécrables, en
passant par Israël, où les nationalistes les plus radicaux
l’accusent d’antisémitisme – un comble pour ce Juif
ashkénaze qui a subi le nazisme.

Une vidéo largement diffusée sur la Toile depuis mars par le


Français d’origine béninoise Kemi Seba est symptomatique du
« Soros bashing » ambiant : pêle-mêle, durant treize minutes
et sans apporter l’ombre d’une preuve, le polémiste
« afrocentriste » habitué des plateaux sénégalais lie le
milliardaire aux Printemps arabes, à l’assassinat de Kadhafi,
mais aussi aux mouvements citoyens comme Y’en a marre.

Motivé à la fois par la réussite financière et par la


lutte contre les régimes autoritaires, il se dit «guidé
par le bien public»

Soros VS Wade

Figure de proue des manifestations qui ont émaillé la


présidentielle sénégalaise de 2012 (Abdoulaye Wade briguait
un troisième mandat dont la légalité était très contestée),
Y’en a marre avait défrayé la chronique trois ans plus tard à
cause d’une photo sur laquelle George Soros, entouré de
militants, apparaissait vêtu d’un tee-shirt du collectif.

Polémique née l’année où le mouvement citoyen recevait son


premier financement de l’Open Society Initiative for West
Africa (Osiwa, branche ouest-africaine de l’OSF).

Beaucoup y ont vu les preuves de l’implication de Soros dans


l’éviction d’Abdoulaye Wade. Sauf que le scénario ne tient
pas face à la chronologie des faits, la visite de Soros à Dakar
remontant en réalité à 2013, bien après l’élection
présidentielle et la création du mouvement, et bien avant la
subvention de l’Osiwa. Un non-événement, donc, si
l’anecdote n’avait pas été manipulée.

Le cas sénégalais n’est pas une exception, et pour cause.


Disposant d’une fortune colossale qu’il redistribue depuis
quatre décennies (il a dépensé à ce jour 12 milliards de
dollars dans des activités philanthropiques), il est partout,
notamment en Afrique, où le fonds Leapfrog Investment,
dont il est l’un des principaux actionnaires, entend
notamment investir quelque 800 millions de dollars dans les
prochaines années, en particulier dans la banque et les
assurances.

Soros et l’Afrique, une histoire qui dure

Les liens de Soros avec le continent remontent à 1979, année


de la création de sa fondation Open Society Institute (qui
deviendra en 2010 l’OSF) et de l’octroi de bourses aux
étudiants noirs de l’Université du Cap alors que sévit
l’apartheid.

Traumatisé par le nazisme et la dictature communiste, Soros


a très tôt mis ses moyens au service de la lutte contre les
régimes autoritaires, en Europe de l’Est comme ailleurs dans
le monde. Parfaitement rodée, la méthode allie bourses
universitaires, développement de médias libres, appuis
logistiques à l’opposition, rapports sur les Droits de l’homme
via des ONG qu’il finance…
Dès le début des années 1980, il tisse des liens avec des élites
africaines, qui n’hésiteront pas à le solliciter pour leur
carrière politique. C’est le cas de la présidente libérienne
Ellen Johnson-Sirleaf. Cette proche faisait partie des 500
invités au troisième mariage du milliardaire, avec Tamiko
Bolton, de quarante et un ans sa cadette, le 20 septembre
2013 dans sa vaste propriété de Bedford.

Johnson-Sirleaf a connu Soros lorsqu’elle était en exil aux


États-Unis et occupait le poste d’économiste à la Banque
mondiale. Près de vingt ans plus tard, en 2001, elle est la
première responsable d’Osiwa. En 2005, alors farouche
opposante au dictateur Charles Taylor – emprisonné à la Cour
pénale internationale (CPI, créée avec le soutien de Soros) –,
elle contribue à la création de la West Africa Democracy
Radio (WADR), financée par l’Osiwa et basée à Dakar. L’année
suivante, elle est élue présidente du Liberia.

Des liens avec ADO

Le lancement de la WADR est appuyé par un autre opposant,


l’Ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO). Le tombeur, en
2011, de Laurent Gbagbo (lui aussi jugé par la CPI) ne se
considère pas comme un intime du milliardaire, mais les deux
hommes se rencontrent régulièrement en marge des
sommets internationaux, comme à New York en
septembre 2014, à l’occasion de l’Assemblée générale de
l’ONU.

Leurs liens prennent racine en 1999, lorsque ADO est


directeur général adjoint du FMI, où il a également connu
Jeffrey Sachs, un ami de Soros. Sachs tient une place centrale
dans le dispositif Soros, tout comme l’ancienne secrétaire
d’État américaine Madeleine Albright et l’ancien Premier
ministre britannique Tony Blair.

Il est intervenu auprès de nombreux gouvernements


africains, dont ceux du Nigeria et du Ghana. Jeffrey Sachs a
également fourni ses services pour le compte de Soros à São
Tomé-et-Príncipe. En 2004, alors que les spéculations vont
bon train sur les potentielles réserves d’hydrocarbures au
large de ce petit archipel de 300 000 âmes, le président
Fradique de Menezes fait appel aux bons offices du
milliardaire.
Il lui dit vouloir établir un cadre législatif pour gérer au mieux
les futurs revenus pétroliers. Alors directeur de l’Institut de la
Terre à l’université Columbia, Sachs débarque avec une
armée de conseillers pour plancher sur ce projet. Mais, selon
un proche témoin de l’époque, « Sachs s’est vite rendu
compte que, derrière, la volonté politique n’existait pas. Le
président Fradique de Menezes était surtout préoccupé par
sa proximité avec Soros ».
En plein apartheid il octroie des bourses aux
étudiants noirs de l’université du Cap.
Milliardaire et industrielle

Les ressources naturelles sont depuis longtemps une


préoccupation du spéculateur. Il est notamment à l’origine de
l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives
(Itie), signée à ce jour par 52 pays dont 25 africains.

Sur ce terrain, deux affaires illustrent son implication. En


2013, l’ONG Oxfam (financée par l’OSF) et le Réseau des
organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire
(Rotab, financée par l’Osiwa), tous deux membres de la
coalition Publish What You Pay (également financée par
Soros), présentent « Areva au Niger : à qui profite
l’uranium ? », un rapport qui fait grand bruit. Doit-on y voir la
main directe de l’Américain ? Si oui, dans quel dessein ?

Pour Ali Idrissa, coordinateur national du Rotab, « la question


ne se pose même pas ! ». Il précise : « L’Osiwa fait des appels
à propositions, nous y répondons. À aucun moment on ne
nous a demandé d’écrire un quelconque rapport. »
En Guinée, l’affaire du mont Simandou, l’une des plus
importantes réserves de fer au monde, révèle cependant des
méthodes moins orthodoxes (comme nous le révélons dans
cet article : Bras de fer de titans entre Soros et Steinmetz
autour d’une mine géante en Guinée).

Ami de George Soros depuis au moins 2010 – les deux


hommes s’appellent de temps en temps –, le président Alpha
Condé s’est appuyé sur le milliardaire pour faire le ménage
dans le secteur minier à son arrivée au palais de
Sékoutoureya. Soros dépêche alors à Conakry, en 2011, le
cabinet d’avocats DLA Piper, dont fait partie son ami de
trente ans Scott Horton.

Le Franco-Israélien Beny Steinmetz s’en souviendra


longtemps : alors qu’il était le principal actionnaire de la mine
à travers BSGR, des soupçons de corruption révélés durant
l’enquête de Horton l’écarteront définitivement du pays.

L’histoire serait banale si elle n’avait pas un relent de


revanche personnelle. Soros et Steinmetz s’étaient en effet
déjà affrontés en 1998 en Russie lors d’un appel d’offres. Le
second l’avait emporté sur le premier dans des conditions
pour le moins opaques. Depuis, Soros et Steinmetz se
détestent cordialement.

Les ressources africaines : Le pactole de Soros

Les mines africaines ont également fourni à Soros l’occasion


de réaliser un autre de ses plus beaux coups financiers. Au
début de 2016, il achète 19,41 millions d’actions du minier
Barrick Gold (notamment présent au Mali, au Burkina, au
Kenya et en Tanzanie à travers sa filiale Acacia Mining), puis
en revend 94 % alors que l’action a grimpé de 191,46 %.

Il effectue une plus-value nette de 127 millions de dollars en…


quatre-vingt-dix jours. Alors qu’Acacia Mining est interdit
d’exportation en Tanzanie, accusé par les autorités de sous-
déclarer ses quantités d’or produites.

Il lutte contre les régimes autoritaire

Chez Soros, le business ne s’embarrasse pas d’éthique. « Le


personnage a, il est vrai, un côté schizophrène », admet
Vincent Barbé, coauteur des Réseaux Soros à la conquête de
l’Afrique. « Mais ce qu’il faut aussi comprendre, c’est qu’il est
capable de rappeler à l’ordre certaines de ses connaissances
si leurs actions ne vont plus dans le sens de ses objectifs »,
poursuit-il.

Ellen Johnson-Sirleaf elle-même en a fait les frais. En 2015,


Global Witness, ONG soutenue par l’OSF et dont Alexander,
l’un des fils du milliardaire, est un des administrateurs, publie
un rapport soupçonnant la firme Golden Veroleum,
spécialisée dans l’huile de palme, d’avoir corrompu les
autorités pour obtenir des terres en pleine crise Ebola. La
Libérienne s’est fait publiquement sermonner par Alexander.

Autre chef d’État ayant connu un revirement « sorosien », le


Sud-Africain Thabo Mbeki. Arrivé au pouvoir en 1999, le
successeur de Nelson Mandela intègre Soros à un conseil
économique aux côtés d’autres hommes d’affaires
internationaux, pensant pouvoir compter sur le soutien
inconditionnel de son ami américain. Mais, dès
décembre 2000, le milliardaire accuse Mbeki d’aider Robert
Mugabe à rester au pouvoir, alors qu’il rend ce dernier
responsable du climat délétère entretenu dans la région, qui
rend peu propice le développement des affaires.

Celui qui se dit « guidé par le bien public » est ainsi motivé à
la fois par la réussite financière et par la lutte contre les
régimes autoritaires, obstacles selon lui au développement
humain. De là à le soupçonner d’utiliser tous les moyens dont
il dispose pour provoquer des alternances à son profit, il n’y a
qu’un pas que l’ancien mercenaire Simon Mann n’a pas hésité
à franchir.
À lire aussi

• [Série] Beny Steinmetz : les aventures africaines du


sulfureux magnat franco-israélien (1/3)
• George Soros : quelles sont les principales organisations
financées par le milliardaire ?
• Biens mal acquis : l’ex-mercenaire Simon Mann raconte
son parcours sulfureux
• Guinée : Beny Steinmetz tient George Soros responsable
de sa déroute au pied du mont Simandou et l’attaque en
justice
• Enquête : les milliardaires qui disent vouloir aider les
Africains sont-il vraiment philanthropes ?

Sur le même sujet


International

• France-Russie − Duel entre Le Drian et Prigojine :


jusqu’où ira la nouvelle guerre froide en Afrique ?
• Sommet Turquie-Afrique : Istanbul à l’heure du
continent
• Russie-Afrique : Sergueï Lavrov, le penseur-étoile de
Vladimir Poutine

Droits de l’homme

• Rwanda : décès de Théoneste Bagosora, « le cerveau »


du génocide des Tutsi
• Négocier avec les talibans, un acte de trahison envers les
femmes
• [Tribune] Libérer Germain Rukuki, une opportunité à
saisir pour le Burundi

Abdoulaye Wade

• Sénégal : Abdou Latif Coulibaly, de l’autre côté du ring


• Mandat présidentiel au Sénégal : l’effet girouette
• Sénégal : Macky Sall, Abdoulaye Wade et la maison
rénovée

Vous aimerez peut-être aussi