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La diversité des cultures est une des valeurs de base de la francophonie. Elle est
inséparable du dialogue des cultures promu dés le début du mouvement francophone
international par ses promoteurs et militants, raison pour laquelle « la recherche du moyen
linguistique capable de véhiculer la pensée et la réalité africaine est primordiale »1 en
littérature francophone, notamment dans l’écriture de Kourouma qui est une écriture
qui se distingue par sa capacité à transposer la langue. Dans son roman Allah n’est pas
obligé, cet écrivain affirme le « souffle africain »2 à travers son écriture qui lève le voile sur
plusieurs vices sociaux qui rongent l’Afrique. Dans ce roman, l’auteur emprunte la voix de
Birahima, un enfant-soldat qui raconte dans un français malinkisé, un français de « p’tit
nègre », sa confrontation quotidienne à la mort. Il expose explicitement l’effroyable et
pitoyable vie que mènent les enfants-soldats. Et ce, en apportant un témoignage réaliste de la
guerre tel qu’il l’a connue, de ses aléas et de ses terreurs. Le personnage de Sarah qui un
enfant-soldat, représente la première victime sur laquelle le narrateur s’attarde: elle
connait une mort affreuse qu’il raconte dans le IIème chapitre du livre. De ce chapitre, est
extrait le passage sur lequel portera notre étude. Il s’agit d’une séquence textuelle où
Birahima fait un retour sur la vie de la défunte en mettant en abyme dans un récit
introspectif, la « vie de merde, de bordel de vie » de son amie, afin d’expliquer comment
celle-ci a pu « dans ce grand et foutu monde devenir un enfant-soldat ». Nous allons donc
voir dans ce commentaire comment Kourouma adopte le récit de la vie de Sarah.
Afin de mener à bien notre commentaire, nous verrons en premier lieu les conditions de vie
d’une enfant-soldat que le narrateur expose à travers un singulier discours d’oraison
funèbre que nous étudieront en deuxième lieu. Nous expliquerons enfin comment ce discours
tend à mettre le lecteur dans un récit du passé de Sarah.
1
Carnavalisation et dialogisme dans Soleil des indépendances d’Ahmadou Kourouma,
Francophonia,Adebayo Toyo.
2
Kourouma, le voleur la langue, Bessem Aloui, Labolima.
Commentaire composé : Extrait du chapitre II [« D’après mon Larousse » page 88 «Gnamokodé
(bâtardise) » page 91].
Devoir de contrôle continu de littérature francophone
Professeur : M.Bessem Aloui Etudiante : Yosr Larbi-M1
D’ailleurs, nous avons l’impression que la mort hante le texte tout comme elle hante le
personnage, cela transparait à travers la reprise constante du lexique de la mort « fauchée », «
tuée », « tuerait », « comme morte », « crever ». Nous soulignons de même que Sarah est un
personnage qui a vécu à maintes fois la privation ; Elle a été d’abord privée de ses parents
« on chercha son père mais on le trouva pas », « sa mère fut fauchée et tuée par un
automobiliste soul ». Elle vit ensuite la privation matérielle et sociale, notamment, lorsque
Mme Kokui « la priva de souper » et l’a mise dans la contrainte de « mendier » et elle se
trouve également privée d’abri lorsque la guerre « éclata » et massacra l’orphelinat qui
recueillait la misérable enfant. Après quoi elle se trouve dans la contrainte d’ « entrer dans les
enfants-soldats pour ne pas crever de faim ».
Nous dirons ainsi que les conditions de vie de Sarah qu’expose le narrateur sont marqués par
la fatalité, la violence, la privation et le malheur qu’a vécu le personnage. Il s’agit là
d’une représentions d’une enfant-soldat, victime non seulement de la guerre, mais surtout de
la politique d’oppression qui faisait alors triompher les plus forts au détriment des plus
faibles. Cette politique très en vogue à l’époque est symbolisée par des figures de l’autorité
dans le texte telles que celle du père qui abandonna l’enfant, la tutrice qui l’exploitait où
encore le monsieur compatissant qui élabora un stratège dans la seule fin de la violer. Nous
soulignerons ainsi que Sarah représente également une personnification de l’Afrique ;
abandonnée, exploitée et violée. Il s’agit là d’une réflexion instillée par le singulier
discours d’oraison funèbre dans lequel se lance le narrateur.
Commentaire composé : Extrait du chapitre II [« D’après mon Larousse » page 88 «Gnamokodé
(bâtardise) » page 91].
Devoir de contrôle continu de littérature francophone
Professeur : M.Bessem Aloui Etudiante : Yosr Larbi-M1
« accusa », « déclara », demanda » ainsi que le recours au passé simple, temps du récit et à
l’imparfait qui souligne la vocalité du discours. A travers cette vocalité, le narrateur met le
lecteur dans la position de l’auditeur «Le père de Sarah s’appelait Bouaké, il était marin. Il
voyageait et voyageait ne faisait que ça ». Nous soulignons de même les déictiques « on » et
« nous », embrayeurs exclusifs qui marquent une distance à l’égard de l’énonciation,
notamment, à la fin du discours d’oraison fait le narrateur « voilà Sarah que nous avons
laissée aux fourmis magnans et au vautours ». Le présentatif « voilà » appuye dans cette
phrase la distance que prend le narrateur par rapport à l’énonciation initiale marquant ainsi la
fin du récit de vie de Sarah et par conséquent la fin de la mise en abyme. Il s’agit donc
effectivement d’une recodification des normes du discours d’oraison funèbre. Cette
recodification, cette réécriture de normes scripturales propre à Kourouma transparait surtout à
travers la distanciation avec le discours religieux, nature première du discours d’oraison
funèbre. Il n’y a dans ce discours aucune référence à Dieu, aucune référence à la religion.
Nous soulignerons de même qu’il s’agit d’une rhétorique ponctuée par un langage
subalterne, oralisé, très « terre à terre » et dénué de tout indice de recueillement religieux.
Nous citons notamment : « fauchée », « voyou », « foutre le camp », « crever de faim » et
« Gnamokodé, (bâtardise) ! » expression injurieuse, voir blasphématoire qui vient couronner
ce discours d’oraison funèbre. Mais ce qui distingue par-dessus tout cette redéfinition
scripturale du discours d’oraison funèbre, c’est le fait qu’il n’a rien de funèbre. En effet, la
mort y est tournée en dérision à travers une dimension grotesque du discours, cela est
souligné par le comique de mots « Voilà Sarah que nous avons laissée aux fourmis magnans
et vautours […] elle allaient en faire un festin somptueux ». D’ailleurs, au début de l’extrait,
le narrateur qualifie le discours d’oraison funèbre de « marrant ». De plus, cette dimension
grotesque ne cessera de revenir dans le discours d’oraison funèbre de Kik, de Sekou
Ouedraogo et de Sosso la panthère, chose qui peut paraitre choquante et démesurée aux
yeux du lecteur.
Nous dirons pour conclure qu’à travers la technique théâtrale de la mise en abyme, la
démesure et dimension grotesque du discours, le narrateur tend redéfinir les normes
linguistiques, rhétoriques et sociales du discours d’oraison funèbre. Il en fait un discours
grotesque, qui tourne en dérision de manière ironique la mort d’une enfant-soldat. Il en fait de
même une rhétorique qui expose en mêlant tragique et comique, la manière dont dans ce
« grand et foutu monde »,une fille puisse « devenir un enfant-soldat ».Il s’agit donc d’un récit
introspectif qui situe le lecteur dans le passé du personnage.
Commentaire composé : Extrait du chapitre II [« D’après mon Larousse » page 88 «Gnamokodé
(bâtardise) » page 91].
Devoir de contrôle continu de littérature francophone
Professeur : M.Bessem Aloui Etudiante : Yosr Larbi-M1
moment de rupture avec le récit qui précède notre extrait ; le narrateur s’arrête pour ouvrir
parenthèse métalinguistique, pour définir et redéfinir « D’après mon Larousse […] c’est
marrant ! ». D’ailleurs la parenthèse dans laquelle le narrateur s’arrête pour s’expliquer est
reprise plus d’une fois dans le texte et ponctue l’intégralité du livre de Kourouma
« (faire main basse, c’est piller, s’emparer, d’après mon Larousse)», « (compatissant, c’est-
à-dire faisant semblant de prendre part aux maux de Sarah) », « Gnamokodé (bâtardise) ! ».
Ces constantes ruptures avec le récit relèvent du style documentaire de l’auteur, de la
crédibilité et de l’authenticité de son récit du vécu de Sarah.
Ainsi, le narrateur-auteur rompt avec les codes linguistiques, littéraires et sociaux afin de
s’approprier une rhétorique nouvelle du discours d’oraison funèbre. Une rhétorique qui
se distingue par sa richesse, par sa « démesure » mais surtout par le message qu’elle vise à
transmettre, celui de la fatalité du destin d’une enfant-soldat. Et ce, en mêlant ton
tragique et ton comique, écriture théâtrale, écriture cinématographique et réflexions
métalinguistiques dans le seul but de sensibiliser le lecteur au récit de « vie de merde » et
de damnés des enfants-soldats.
Pour conclure notre commentaire, nous dirons que cet extrait de Allah n’est pas obligé
témoigne de la richesse scripturale et du génie de l’auteur. Un génie à travers lequel il
s’engage à sensibiliser le lecteur aux vices qui rongent certaines sociétés ayant vécu la
guerre. Des sociétés marginalisées où règne la loi de la jungle qui légitime les meurtres, les
viols, et bien d’autres crimes. Une loi typique de la politique des pouvoirs en place, qui
exploitent des enfants tels que Sarah, child-soldier victime de la guerre. A travers le récit de
vie « de merde » de ce personnage marqué par la misère, le malheur et la violence exercée par
la société, Kourouma cherche à illustrer la fatalité du destin des enfants-soldats en
exposant les raisons pour lesquelles des orphelins puissent devenir des child-soldiers ;
« Seule la survie explique l’enrôlement de ces enfants dans l’armée » affirme le Professeur
Mankugu dans son étude sur les Rapports sociaux entre individus et développement dans
Allah n’est pas obligé de Kourouma. Ainsi, ayant vécu en tant que témoin-acteur, un destin
commun à celui de Sarah, Kik, Fati et bien d’autres enfants-soldats, l’auteur livre son
propre vécu de « merde de damné ». Allah n’est pas obligé n’est donc pas uniquement un
roman reconnu pour sa virtuosité scripturale mais aussi un mémoire révolu et engagé de
Kourouma.
Commentaire composé : Extrait du chapitre II [« D’après mon Larousse » page 88 «Gnamokodé
(bâtardise) » page 91].