Abstract
Larry Portis, Popular Music and Capitalism : Towards a Sociology of Authenticity
Music has an important place in the evolution of capitalist societies in adapting its rhythms, its cadences and the expression of
themes which reflect emotional needs in a changing social environment. A sociology of popular music must therefore consider
musical sensibilities and tendencies from both aesthetic and political points of view. Nowhere have musical cultures resisted
entirely the powerful influence of African-American music, the result of marketing strategies and of cultural fascination. The
notion of authenticity is central in the process of subordination and revolt in industrial-capitalist societies.
Portis Larry. Musique populaire dans le monde capitaliste : vers une sociologie de l'authenticité. In: L'Homme et la société, N.
126, 1997. Musique et société. pp. 69-86.
doi : 10.3406/homso.1997.2916
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1997_num_126_4_2916
Larry PORTIS
1. Voir Theodor ADORNO, Introduction to the Sociology of Music, New York, Seabury
Press, 1976 et Philosophy of Modern Music, New York, Continuum, 1973 ; Prisms,
Cambridge, Mass., MIT Press, 1981 t et Herbert MARCUSE, One-Dimensionnal Man î
Studies in the Ideology of Advanced Industrial Society, Boston, Beacon Press, 1964 %
Negations : Essays in Critical Theory, Boston, Beacon Press, 1968 i Max HORKHEIMER
and Theodor Adorno, Dialectic of Enlightenment, New York, Continuum, 1972.
72 Larry PORTIS
musique symphonique) et cela est compréhensible en raison des conditions
historiques qui existaient en Allemagne pendant ses années de formation, mais
réduit en même temps plus qu'elle ne facilite l'étude de la culture et de la
conscience populaires. Il est insuffisant, par exemple, de qualifier le jazz de
« musique de danse qui a tenu trente ans et qui a maintenant capitulé devant les
demandes du marché ». La caractérisation de la consommation de la musique
populaire comme un plaisir sensoriel maximisé, opposée à la « bonne musique »
susceptible d'impulser une prise de conscience, est à nuancer. Il n'est pas aisé,
contrairement aux déclarations d'Adorno, de distinguer « le sentiment qui anime
le travail artistique » du « sentiment qui l'excite 2 ».
Des études récentes reprennent les analyses d'Adorno et de Marcuse pour
décrire et expliquer une relation bien plus complexe entre formes culturelles et
classes sociales. L'étude de la culture populaire en Grande-Bretagne a fourni
notamment une explication historique plus complète sur les divertissements
populaires. L'analyse montre en effet leur insertion dans la culture capitaliste tout
en étant l'expression culturelle et esthétique de groupes sociaux spécifiques, avec
ses intérêts et ses termes de références 3.
La relation entre les goûts musicaux, les sensibilités et les identifications des
classes sociales n'est pas immédiatement évidente comme auparavant, ce qui
donne à l'analyse de classe de la musique populaire un intérêt renouvelé et exige
une approche nuancée de son évolution. La structure et le contenu de la musique
populaire ont indéniablement changé comme la composition des classes sociales,
en accord avec les changements économiques, des modes de la communication et
de la technologie du son. Cependant, si la plupart des personnes issues de
milieux sociaux divers écoutent souvent la même musique, ses effets sur le public
sont différents et suscitent des identifications également différentes. Le rock'n'roll
des années cinquante ou le rap des années quatre-vingt n'ont pas la même
résonance au sein des groupes sociaux privilégiés ou chez les non privilégiés. De
tels styles de musique populaire représentent des identifications fondamentales
pour les dominés et les opprimés et jouent un rôle ludique pour des individus
favorisés, ayant accès au savoir ou à des positions d'autorité sociale.
La sensibilité musicale implique la valorisation en fonction de styles musicaux
spécifiques, et la valeur est toujours un concept relatif influencé par des
perceptions socioculturelles. L'identification avec les attitudes et les émotions
4. Voir Lucy O'BRIEN, She Bop : The Definitive History of Women in Rock, Pop and
Soul, New York, Penguin Books, 1996.
Musique populaire dans le monde capitaliste 75
7. Type de chant populaire au début du xxe siècle parmi les Blancs des États-Unis qui
consistait à imiter l'expression vocale noire. Coon est un terme raciste pour noir et to
shout signifie crier.
Musique populaire dans le monde capitaliste 77
s'étonne de découvrir que les racines de la musique africaine de l'Ouest renvoient
à des sources proches des traditions musicales européennes.
«J'étais surpris », explique-t-il, « de savoir à quel point la musique arabe était influente. Les
instruments les plus élaborés étaient dans leur quasi-totalité plus arabes qu'africains. Certains
des morceaux entendus étaient également influencés par un autre style apparenté à h musique
arabe, le flamenco. »
8. Samuel CHARTERS* The Roots of the Blues. An African Search, Londres, Quartet
Books, 1981, p. 125.
78 Larry PORTIS
des différentes composantes d'un ensemble ». Et cette tension, ce stress, est la
différence primordiale entre la sensibilité musicale européenne et africaine.
«Quand nous écoutons en Occident plusieurs tons différents ensemble, nous les
percevons comme une unité, et nous avons le terme « harmonie » (ou « accord » s'il y a trois
notes ou plus) pour exprimer l'unité du son. De manière plus significative, nous n'avons pas de
noms pour les rythmes spécifiques, et nos termes pour décrire la relation des rythmes séparés
dans le temps accelerando, ritardando, rubato, syncope se réfèrent a la vitesse du
rythme, à son tempo, ou à l'accent mis sur une progression constante. En Afrique, les différents
« beats » de la musique ont un nom et des variations rythmiques spécifiques qui peuvent
« s'insérer dans un temps (un beat) » ; dans la musique africaine, chacun participe en intégrant
les rythmes variés pour percevoir le « beat », et le « beat » de la musique vient de cette relation
entre les rythmes plus que de tout autre chose 9. »
9. John Miller CHERNOFF, African Rhythm and African Sensibility. Aesthetics and
Social Action in African Musical Idioms, Chicago, University of Chicago Press, 1979,
p. 95.
Musique populaire dans le monde capitaliste 79
revanche, est une musique qui jaillit de la participation de la communauté plus
que d'une introspection individuelle. Le «big beat», l'incessant temps fort
marqué dans le jazz, le rock'n'roll, le rhythm & blues, apporte sa magie à la
psyché occidentale parce qu'il représente la négation de l'aliénation psychique et
de l'exclusion sociale produites dans les sociétés industrielles capitalistes. Et le
«beat», comme le souligne Chernoff, émerge du chemin où «les rythmes
s'engagent et communiquent entre eux 10 ».
U semble que l'accent soit mis sur l'harmonie dans la culture occidentale
tandis , que l'associabilité prime dans la culture africaine. L'harmonie se
différencie de la sociabilité au sens où celle-ci exige un degré significatif de
participation populaire spontanée, tandis que l'harmonie est le produit de la
règle et de la structure. Le blues et le jazz doivent leur popularité en grande partie
à ce qui a été perçu comme de la dissonance le manque d'harmonie. La
musique américaine-africaine utilise la dissonance pour exprimer sa dissidence.
Comme le blues et le jazz évoquent des liens sociaux collectifs au sein de la
communauté américaine-africaine, ils expriment un défi implicite à l'idée
d'« harmonie » propagée par la société américaine-européenne dominante.
Comme dans presque toutes les sociétés préindustrielles, cette fonction
communautaire semble être l'aspect prédominant de la production musicale
africaine. La musique fait partie en Afrique des rituels collectifs et des institutions
qui ont formé le caractère de chaque individu. Comment s'opère le transfert de
cette qualité à la musique américaine-africaine ? La socialisation exprimée dans la
musique américaine-africaine est certes différente de celle de la musique
africaine, mais les affinités existent sous une autre forme. En 1957, l'écrivain
Norman Mailer aborde cet aspect en suggérant que la vie communautaire, et donc
la mentalité des Noirs américains, a été structurée par le besoin de survie dans un
environment de tension permanente. Une oppression aussi meurtrière que
constante exige une capacité d'adaptation, voire d'assimilation extraordinaire tout
en intensifiant la préservation et le développement d'une culture spécifique des
opprimés. Selon Mailer, le signe le plus perceptible de cette mentalité est de rester
« cool » face à tous les dangers. Etre « cool » suppose une tension contrôlée
sous surveillance personnelle, résultat d'une hypersensibilité à tous les aspects
d'une situation donnée. Être cool signifie garder le contrôle de soi-même car
l'affolement mène directement à une rigidité psychique et physique qui nuit à la
capacité de réagir 11. Dans la jungle industrielle-capitaliste, les Noirs américains
ont appris à penser et à se comporter comme des êtres traqués, qui cultivent une
vie culturelle secrète, exutoire et refuge des frustrations d'un peuple ghettoïsé.
Mais cette attitude « cool » a-t-elle quelque chose à voir avec une quintessence
africaine ? Ce que l'on perçoit comme un style « naturel », mêlé de sensualité
féline, associé aux Noirs, a d'autres sources socioculturelles que l'environnement
menaçant qui encadre la plupart des Américains-Africains. Chernoff observe que
10. John Miller CHERNOFF, African Rhythm and African Sensibility. Aesthetics and
Social Action in African Musical Idioms, Chicago, University of Chicago Press, 1979,
p. 157.
11. Norman Mailer, The White Negro, San Francisco, City Lights Books [s. d., publié
à l'origine dans le magazine Dissent en 1957].
80 Larry PORTIS
« généralement, la sensibilité musicale africaine offre un exemple hautement raffiné d'une
tendance fréquemment observée dans les institutions politiques et économiques africaines, une
tendance à inscrire les multiples forces conflictuelles dans un processus de communication
intermédiaire et équilibré 12 ».
Et Davies de conclure :
« Si nous avons la vision du rythme comme étant de seconde importance par rapport à la
tonalité, c'est seulement parce que notre propre culture musicale implique souvent une telle
distinction en ignorant les possibilités de rythme 14. »
12. CHERNOFF, African Rhythm and African Sensibility. Aesthetics and Social Action
in African Musical Idioms, Chicago, University of Chicago Press, 1979, p. 162.
13. John Booth DAVIES, The Psychology of Music, Stanford, Stanford University
Press, 1978, p. 188.'
14. Ibidem.
Musique populaire dans le monde capitaliste 81
Malgré son insistance à les qualifier de « musiciens primitifs », Davies souligne
dans ses écrits la richesse de la musique africaine en comparaison avec les
musiques occidentales.
De ce point de vue, la musique africaine représente à bien des égards un
contrepoint à la culture abstraite du monde capitaliste. Cela explique sa
pénétration grandissante dans la musique populaire des pays occidentaux
capitalistes pendant les deux derniers siècles. Dans la musique des ménestrels
« black-face », le ragtime, le jazz, le rhythm & blues, le rock'n'roll, le rock, et
autres formes de musiques américaines-africaines, l'essence rythmique a été
médiatisée par des modes européens de structure musicale et d'instrumentation.
De plus récentes manifestations de l'influence africaine ont permis à la sensibilité
africaine d'infiltrer plus directement les modes occidentaux d'innovation
musicale. Le « house » anglo-saxon et la « techno » sont décrits comme une
implosion de la mélodie et de l'harmonie dans les fréquences de tissus rythmiques
construits. Autre exemple : le reggae. « L'influence rasta et burru » a été majeure
pour la transition « de la « seconde génération » du rudie blues au son original
du ska», puis du reggae aux musiques occidentales^. Comment expliquer cet
engouement croissant pour des rythmes venus d'Afrique sans faire référence au
retour, dans les pays industrialisés, à une sensibilité épicurienne, voire parfois
nihiliste, dû au climat de dislocation économique, de malaise social et de
désespoir politique. Comme le rock'n'roll, le rock, le punk, la new wave, et
autres formes de musique populaire, les dernières assimilations de la sensibilité
musicale africaine représentent un rejet romantique de la logique fataliste d'une
civilisation capitaliste rationaliste et faussement utilitaire.
« Black is black. I want my baby back », « Noir c'est noir. Il n'y a plus
d'espoir» dans sa version française, la chanson a été un tube en 1966 et
représente le rhythm & blues joué par un groupe blanc dans les années soixante.
Comme d'autres compositions de l'époque, une phrase musicale répétée de
l'orgue a fait monter la tension qui culmine avec le chant violent et désespéré.
« Black is Black » a surtout été un succès européen. Il n'a pas eu l'impact
international de « Louie Louie » interprété par les Kings m en, ou de
« Satisfaction » des Rolling Stones, mais cette chanson a été un événement qui a
marqué un changement dans le développement de la musique populaire.
« Black is black », créée par un groupe espagnol, Los Bravos, et interprétée
par leur chanteur allemand, est une chanson importante par la composition
même du groupe. Pour la première fois, un titre de rhythm & blues lancé par un
groupe autre que nord-américain ou britannique a connu un succès notoire. Los
Bravos n'était toutefois pas un groupe vraiment original. Il était dans la mouvance
d'artistes comme Tom Jones, chanteur originaire du Pays de Galles qui chantait la
soul dans un style qui rappelait James Brown. Mais le groupe innovait car, si
l'invasion musicale britannique avait commencé en 1964 avec de grands succès
15. Dick Hebdige, Subculture: The Meaning of Style, Londres, Methuen, 1979,
p. 65.
82 Larry PORTIS
des Rolling Stones, des Animals et autres groupes britanniques universellement
considérés comme maîtres du genre, le succès de Los Bravos faisait la
démonstration que des groupes en provenance d'autres cultures nationales
pouvaient réussir à infiltrer l'exclusivité britannique.
Ce n'est pas l'originalité qui est en cause dans la production, le marketing et
la popularité de la musique populaire, mais plutôt l'« authenticité ». L'exemple
de musiques s'inspirant de la musique américaine-africaine est emblématique à
cet égard. À titre d'exemple, il est certain que le rock'n'roll n'a pas été
«inventé» comme on l'entend. L'émergence du rock'n'roll provient d'une
dynamique d'assimilation interethnique. Le rhythm & blues américain-africain a
été imité par des Américains-européens de la classe ouvrière et est devenu le
rock'n'roll. Les deux courants ont ensuite été assimilés par les musiciens nord-
américains et britanniques et sont devenus le rock. En France, où la population
partageait encore une culture influencée par des schémas d'expression
préindustrielle, l'émergence du rock'n'roll et du rock a été plus tardive mais, et
en dépit d'une résistance culturelle importante, ces musiques ont finalement eu
du succès pour des raisons à la fois émotionnelles, esthétiques et commerciales. D
faut comprendre les décennies dominées par cette forme de musique populaire
comme une indication de l'amalgame culturel à un niveau planétaire.
L'analyse sociologique de la musique populaire exige une différenciation entre
l'expression sociale d'une population les valeurs et les conceptions propres à
des communautés particulières , et les sollicitations commerciales destinées à
séduire ou à manipuler une clientèle potentielle. En ce qui concerne la
production de musique populaire dans une société capitaliste, la difficulté d'en
faire une telle analyse réside dans le fait que toute la culture est imprégnée par
des valeurs et des perceptions générées par une civilisation mercantile.
L'expression sociale primaire de la société industrielle capitaliste est indissociable
des réflexes commerciaux. Le résultat est que, lorsque la formation des valeurs
produites par le processus que Karl Marx appelle le « fétichisme de la
marchandise » constitue la culture d'une société, la notion d'authenticité se
réduit au relativisme qui est sa propre négation. Si toutes formes et manières
d'expression sociale sont « authentiques », l'idée d'authenticité est un non sens
dans la mesure où il n'existe rien qui ne soit inauthentique.
Accepter cette prémisse la notion de l'« authentique » est dépourvue de
sens , revient à limiter l'analyse à la simple description. S'il est possible
d'identifier les particularités fondamentales d'une culture, il est possible de
déterminer le processus d'évolution de la culture, et l'on admet ainsi que
l'« authenticité » est elle-même une qualité historiquement spécifique, impossible
à quantifier. Dans ce sens, la notion d'authenticité devient un élément de la
compréhension, et l'on réalise qu'il n'existe pas de valeur absolue. Il s'agit plutôt
d'un phénomène social et historique relativement concret qu'on peut situer dans
le temps.
Une musique particulière est dans sa nature profonde une synthèse de
nombreuses influences, mais une synthèse qui produit quelque chose d'unique
en soi. L'idée d'une mutation lente débouchant sur quelque chose d'entièrement
nouveau le quantitatif suppléant le qualitatif trouve continuellement une
Musique populaire dans le monde capitaliste 83
expression concrète dans l'évolution de la musique populaire. Le danger est,
qu'en cherchant les fondements d'un style particulier ou d'une forme de
l'expression culturelle, on réduise la complexité du phénomène ou qu'on
s'identifie à l'objet d'étude pour le défendre ou le rejeter. C'est le piège de ce que
certains appellent l'« essentialisme ». D'autres pièges sont encore plus dangereux,
comme le souligne Theodor Adorno dans Le jargon de l'authenticité. Pendant les
années vingt et plus tard, des penseurs allemands, comme Karl Jaspers et Martin
Heidegger, ont érigé une forme d'essentialisme en philosophie dite
« existentialiste ». Les « Authentiques » cherchaient un sens de la vie plus
« concret » dans une Allemagne en crise sociale. Pour Adorno, cette recherche
de « racines » a représenté une sorte de « narcissisme collectif », exprimé dans
un langage romantique pour initiés. Un véritable « culte de l'authenticité » qui
alimentait, dans un certain milieu intellectuel, des courants politiques nationaux
autoritaires, et l'obsession antisémite avec des thèmes vôlkisch dont on connaît
les conséquences 16.
Pourtant, si l'essentialisme et la notion de l'authenticité comportent des
risques de dérives idéologiques, l'antiessentialisme fonctionne également comme
un élément de réaction politique. Depuis les années quatre-vingt, le rejet de
l'essentialisme semble être une nouvelle orthodoxie qui limite la possibilité même
de généralisation scientifique. Récemment, cette orthodoxie de l'antiessentialisme
a été toutefois remise en cause par notamment Paul Gilroy, dont l'étude sur la
diaspora africaine, Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness, se base
sur cette proposition : « Les cultures postesclavagistes du monde atlantique sont,
pour des raisons significatives, liées les unes aux autres, et aux cultures africaines
dont elles dérivent en partie ». Pour Gilroy « les affiliations culturelles,
religieuses, et linguistiques peuvent être identifiées même si leur signification
politique contemporaine demeure débattue n ». Gilroy ajoute que le « caractère
hybride de ces cultures noires de l'Atlantique dément une explication simpliste
(essentialiste ou antiessentialiste) du rapport entre l'identité raciale et le manque
d'identité raciale, entre une authenticité culturelle et la trahison de la culture
pop». Pour Gilroy, la valeur attribuée à l'authenticité en tant que facteur
d'appréciation musicale est historiquement spécifique et se transforme en un
élément de la culture capitaliste. Le « discours de l'authenticité », écrit-il, « a été
notable dans le marketing de masse des diverses formes de la culture noire. » En
tant que chercheur, il préconise d'adopter la position d'« anti-
antiessentialisme 18 ».
la problématique évoquée par Gilroy se trouve au cur de la vogue des
« Cultural Studies » en pays anglophones. En 1992, Lawrence Grossberg place
cette discussion dans un contexte historique différent en développant l'idée
qu'une « idéologie de l'authenticité » est née après la Seconde Guerre mondiale
16. Voir Theodor ADORNO, The Jargon of Authenticity, Londres, Routledge & Kegan
Paul, 1986 [1973], traduction de Jargon der Eigentlichkeit i Tur deutschen Idéologie,
Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1964.
17. Paul GiLROY, Black Atlantic ; Modernity and Double Consciousness, London,
Verso, 1993, p. 81.
IS. Ibidem, p. 99-103.
84 Larry PORTIS
et a servi de « stratégie par laquelle la culture de la jeunesse a pu réarticuler la
contradiction vivante entre optimisme et cynisme », La musique rock est l'outil
principal par lequel les dilemmes existentiels de cette génération se sont
exprimés.
(Parce que le] « rock articule constamment son propre centre, qui penche toujours vers le
devenir inauthentique [...] le rock doit constamment changer pour se régénérer : il cherche à
reproduire son authenticité dans de nouvelles formes, de nouveaux lieux, de nouvelles
alliances. H doit se mouvoir sans cesse d'un centre a un autre, transformant ce qui a été
authentique en inauthentique afin de constamment clamer sa revendication d'authenticité 19 ».
19. Lawrence Grossberg, We Gotta Get Out of this Place : Popular Conservatism and
Postmodern Culture, New York, Routledge, 1992, p. 208-209.
20. George Lipsitz, Dangerous Crossroads : Popular Music, Postmodernism and the
Poetics of Place, London, Verso, 1994, p. 62.
21. Ibidem, p. 90.
Musique populaire dans le monde capitaliste 85