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de la vie, son sens
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« La passionnante histoire


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« Dans les coulisses


de l’une des sociétés
les plus secrètes et
puissantes au monde »
Couv_1825_Couverture 10.11.11 09:23 Page1

Près de 1800 000 espèces vivantes (animales et végétales) ont

Daniel Cherix
été recensées aujourd’hui sur la Terre, avec des fortunes diverses:
certaines sont sur le point de disparaître, d’autres au contraire
profitent des changements climatiques ou de l’activité humaine
pour se répandre hors de leur habitat d’origine et conquérir le
monde. D’autres encore sont parvenues à rester si discrètes, que
ce n'est que très récemment qu’elles ont été découvertes. Toutes
partagent pourtant un point commun: elles alimentent un mer-
veilleux bestiaire naturel, en permanente évolution.
Ce sont 190 d’entre elles que Daniel Cherix, scientifique et jour-
naliste, présente ici sous forme de petites chroniques pleines Daniel Cherix Dessins de
Michel Krafft

Mille
d’humour et de savoir, illustrées des superbes dessins de Michel

Mille milliards de pattes


Krafft.
En les lisant, vous saurez s’il est possible de sympathiser avec la
crevette tueuse, si le sucre volant présente un intérêt en confise-
rie, pourquoi votre grand-père ment quand il raconte ses chasses

milliards
au grand pingouin, si le coelacanthe est aussi vieux qu’il le pré-
tend, ou si vous avez une chance de trouver, un jour au fond de
votre jardin, l’une parmi les milliers de nouvelles espèces décrites
chaque année par les chercheurs.

de pattes
Daniel Cherix est ancien conservateur au Musée cantonal de zoologie à
Lausanne et professeur honoraire de l’Université de Lausanne. Au cours de sa
carrière il a collaboré avec de nombreux médias (journaux, radio, télévision)
pour communiquer sa passion du monde animal.

Michel Krafft, responsable du secteur image au Musée cantonal de zoologie,


est aussi photographe et dessinateur de talent, talent qu’il met ici à disposition

(et au moins autant de plumes)


de son collègue et ami pour illustrer cet ouvrage.

19 o espèces surprenantes,
envahissantes, menacées ou oubliées

Presses polytechniques et universitaires romandes Presses polytechniques et universitaires romandes


Couv_1825_Couverture 10.11.11 09:23 Page1

Près de 1800 000 espèces vivantes (animales et végétales) ont

Daniel Cherix
été recensées aujourd’hui sur la Terre, avec des fortunes diverses:
certaines sont sur le point de disparaître, d’autres au contraire
profitent des changements climatiques ou de l’activité humaine
pour se répandre hors de leur habitat d’origine et conquérir le
monde. D’autres encore sont parvenues à rester si discrètes, que
ce n'est que très récemment qu’elles ont été découvertes. Toutes
partagent pourtant un point commun: elles alimentent un mer-
veilleux bestiaire naturel, en permanente évolution.
Ce sont 190 d’entre elles que Daniel Cherix, scientifique et jour-
naliste, présente ici sous forme de petites chroniques pleines Daniel Cherix Dessins de
Michel Krafft

Mille
d’humour et de savoir, illustrées des superbes dessins de Michel

Mille milliards de pattes


Krafft.
En les lisant, vous saurez s’il est possible de sympathiser avec la
crevette tueuse, si le sucre volant présente un intérêt en confise-
rie, pourquoi votre grand-père ment quand il raconte ses chasses

milliards
au grand pingouin, si le coelacanthe est aussi vieux qu’il le pré-
tend, ou si vous avez une chance de trouver, un jour au fond de
votre jardin, l’une parmi les milliers de nouvelles espèces décrites
chaque année par les chercheurs.

de pattes
Daniel Cherix est ancien conservateur au Musée cantonal de zoologie à
Lausanne et professeur honoraire de l’Université de Lausanne. Au cours de sa
carrière il a collaboré avec de nombreux médias (journaux, radio, télévision)
pour communiquer sa passion du monde animal.

Michel Krafft, responsable du secteur image au Musée cantonal de zoologie,


est aussi photographe et dessinateur de talent, talent qu’il met ici à disposition

(et au moins autant de plumes)


de son collègue et ami pour illustrer cet ouvrage.

19 o espèces surprenantes,
envahissantes, menacées ou oubliées

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Mille milliards de pattes
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(et au moins autant de plumes)
19 o espèces surprenantes, envahissantes, menacées ou oubliées

Daniel Cherix
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Dessins: Michel Krafft


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technique fédérale de Lausanne ainsi que d’autres universités et écoles d’ingé-
nieurs francophones. Le catalogue de leurs publications peut être obtenu par
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Learning Center, CH-1015 Lausanne, par E-Mail à ppur@epfl.ch, par téléphone au
(0)21 693 41 40, ou par fax au (0)21 693 40 27.

www.ppur.org

ISBN 978-2-88074-836-4
© Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012
CH – 1015 Lausanne
Imprimé en Italie
Tous droits réservés.
Reproduction, même partielle, sous quelque forme ou sur quelque support que
ce soit, interdite sans l’accord écrit de l’éditeur.
Sommaire

Avant-propos 1

Les espèces invasives 3


Black-bass : un poisson carnassier d’Amérique du Nord – Brun du pélargonium :
un petit papillon invasif  – Cacatoès rosalbin : cet oiseau a colonisé l’Australie  –
Cafards, blattes ou cancrelats : redoutables envahisseurs  – Cerfs sikas : le grand
voyage – Chacal doré – Charançon rouge du palmier – Chien viverrin : un nouveau
canidé en Suisse ? – Clausilie romaine : un escargot aux arènes – Coccinelle asia-
tique – Crépidule : une espèce invasive à découvrir gastronomiquement – Crevette
tueuse – Criquets ravageurs – Criquet pèlerin et criquet migrateur – Ecrevisses : en
expansion en Suisse ? – Ecureuils : l’écureuil roux et son cousin d’Amérique – Eris-
mature rousse : un canard d’Amérique – Esturgeon : du caviar dans le Léman ? –
Fourmi invasive des jardins – Frelon asiatique – Merle : un oiseau familier des villes
aujourd’hui – Mouche des greniers: invasion saisonnière – Moule : drôle d’espèce –
Nouvelle-Zélande : la lutte contre les espèces étrangères  – Organismes marins :
bonne nouvelle pour la pollution des eaux et la coque des bateaux ! – Pélopée –
Perche du Nil  – Petit coléoptère des ruches  – Pigeons : comment ils envahirent
les cités – Punaise américaine – Punaises : attention une punaise diabolique arrive
en Suisse ! – Raton laveur – Renouée du japon – Tordeuse grise : retour en Enga-
dine – Tourterelle : la grande migration de la tourterelle turque – Varroa : petit et
rusé – Xénope lisse

Les espèces menacées 51


Extinctions d’espèces – Abeilles : leur importance dans un monde troublé – Aigrette
garzette : autrefois massacrée pour l’industrie du chapeau – Amphibiens – Amphi-
biens : liste rouge suisse  – Antilope saïga  – Baleine à bec !  – Bécasse des bois  –
Bisons en Europe – Bruant ortolan – Caïmans – Campagnol amphibie – Castor :
2008, une année importante – Chouette chevêche : en voie d’extinction ? – Chiru –
Cistude d’Europe ou tortue bourbeuse  – Eléphants d’Afrique du Sud  – Fulmar
boréal – Gélinotte des bois – Glouton, wapiti et autres disparus de Pennsylvanie –
Gorilles  – Grand pingouin  – Grand tétras  – Grenouilles australiennes : étrange
destin  – Grillon : le chant des pâturages  – Gypaètes barbus : réintroduction en
Suisse – Hérissons : attention au 1er août – Hiboux et chouettes – Iguanes marins :
VI Mille milliards de pattes

quelle chance de survie reste-t-il ? – Lérotin : il se fait rare en Suisse – Libellules :


liste rouge Suisse – Lièvre brun – Loup d’Abyssinie – Loutres de mer : bonne nou-
velle !  – Lucane : magnifique cerf-volant  – Lycaon d’Afrique en sursis  – Lynx  – 
Manchots de Humboldt : plongée dans leur monde  – Marsouin  – Martinets  –
Morue ou cabillaud  – Nacrés  – Oiseaux suisses : conservation  – Omble cheva-
lier – Ombre : superbe poisson indigène – Ours brun – Ours : le dernier spécimen
suisse – Pêche et faune sauvage en Afrique – Perdrix grise – Petit rhinolophe ou petit
fer-à-cheval – Pic mar : il lui ressemble, mais attention ce n’est pas le pic épeiche ! –
Pique-prune : un ermite dans les vieux arbres – Poissons de rivière : programme de
survie – Poissons de Suisse : liste rouge – Putois – Rainettes : comment les suivre –
Reptiles australiens : péril aux antipodes – Requins de Méditerranée – Saga pedo : la
magicienne dentelée – Salamandres géantes – Saola : un bovidé vietnamien en voie
de disparition – Singes bonobos – Spirlin – Superprédateurs – Tapirs : une petite
trompe et un faux air de cochon – Tarier pâtre – Taupe-grillon : drôle d’insecte –
Tétras-lyre  – Thon rouge de l’Atlantique  – Tigre  – Tsunami : catastrophe écolo-
gique ? – Vipères européennes – Vison d’Europe : le danger vient d’Amérique…

Les nouvelles espèces 149


Alpagas : le Valais accueille de drôles de chameaux – Autruches en Suisse – Baleine :
une nouvelle espèce  – Cœlacanthe : une très longue histoire  – Deux nouvelles
espèces de mammifères en 2008  – Eléphant : découverte d’une nouvelle espèce
en Asie – Ephémères et faune malgache – Goral de l’Himalaya : des poils de yéti
qui n’en sont pas – Gorilles – Grenouille indienne : des questions intéressantes –
Héron garde-bœuf à Lausanne – Kipunji : un nouveau singe en Tanzanie – Krill :
promenade en profondeur  – Mouflon : de Corse … et du Valais  – Nouvelles
espèces découvertes, le classement 2009 – Onza : étrange félin mexicain – Pic à bec
d’ivoire – Protée : batracien au nom mythique – Rainette : espèce intermédiaire aux
Grangettes – Sphinx livournien – Syntomidés : des papillons exotiques en Suisse

Drôles de bêtes 179


Araignées : mimétisme – Ascalaphes – Blennies : des poissons sans écailles – Bœuf
musqué : l’Ovibos qui venait du froid – Bousiers : de beaux coléoptères mais de sales
habitudes – Buprestes : des coléoptères qui aiment le feu ! – Cachalot : mastodonte
des abysses – Calmar : une espèce pas comme les autres – Carpocapse : le célèbre
pois sauteur qui n’en est pas un ! – Chabot ou cabot : drôle de poisson – Cham-
pignons : les insectes en raffolent ! – Charançon de la prune – Chevêche des ter-
riers : curieuses mœurs – Cigales : la longue vie des cigales américaines – Condylure
étoilé : une espèce bien particulière de taupe au Canada  – Crocodiles : excellents
navigateurs  – Desman des Pyrénées : l’animal le plus étrange d’Europe  – Epeire
diadème : son piège gluant – Espadon : ce poisson pêche au harpon – Fourmilion :
un drôle de croisement – Fourmis des bois : « Fourmidables » bébêtes… – Galéo-
pithèques ou lémures volants  – Gecko casqué  – Genette commune : un animal
étonnant !  – Glouton, irascible glouton !  – Grand requin blanc : une découverte
sensationnelle – Guêpes bruyantes – Harle bièvre : quand un canard a des dents ! –
Sommaire VII

Huppe fasciée – Ichneumon : quand la rhysse part à la chasse – Invertébrés : ils se


soucient de leur régime ! – Langoustes : drôles de migrations marines – Lemmings :
mythes et réalités  – Limules  – Marées : la lune et ses influences  – Mouche espa-
gnole et autres insectes aphrodisiaques… – Mouches : aussi détestables qu’utiles et
habiles – Murènes : entre serpents et monstres marins – Oryctérope : un drôle d’ani-
mal – Outarde canepetière : l’oiseau le plus lourd d’Europe – Péripates : curiosité
zoologique – Poisson-archer : quelles prouesses ! – Poissons chirurgiens – Poissons-
perroquets  – Protoptères  – Pseudo-scorpions  – Psoques… domicoles  – Starique
cristatelle : un pingouin qui distribue un antimoustique à ses congénères ! – Strep-
siptères – Sucre volant : quel drôle d’animal ! – Termites : bâtisseurs de cathédrales
en Australie – Triongulins : histoires de voleurs – Vanesse des chardons : une migra-
tion extraordinaire – Vers lumineux – Zygènes
Avant-propos

L’heure est grave, la radio vient de l’annoncer, la coccinelle asiatique a envahi


toutes les vignes de Sierre à Genève, impossible de s’en débarrasser, des mil-
lions de coccinelles se noient dans le moût, les vendanges battant leur plein. 
De nombreux viticulteurs ont dû vider leurs cuves dans les égouts, à cause
du goût exécrable donné par ces insectes! Les prix du vin montent en flèche. 
Sur les bords du Léman, la crevette tueuse a fait deux nouvelles victimes dans
la faune locale. Au niveau international, le dernier pâté aux ortolans vient
d’être misé chez Christie’s à plus de 500 000 euros. Les bruants ortolan ayant
disparu depuis plusieurs années d’Europe.
Mais non je rigole et pourtant en l’espace de quelques décennies la faune
mondiale a subi des changements importants, le plus souvent dramatiques. Si
1 800 000 espèces vivantes (animaux et végétaux) ont été recensées à la surface
de notre planète, l’érosion de cette diversité semble inéluctable, même si paral-
lèlement on décrit chaque année plusieurs milliers de nouvelles espèces. Parmi
les principaux facteurs affectant notre biodiversité, le premier est la fragmen-
tation et la disparition des milieux naturels, le deuxième en importance est
l’envahissement de certaines régions par des espèces originaires d’autres
régions. On parle, de manière erronée d’espèces invasives, un anglicisme
de plus, alors que nous devrions parler d’espèces envahissantes. L’Europe a
recensé plus de 6000 espèces envahissantes autant animales que végétales avec
des conséquences parfois importantes pour la santé des populations humaines
et animales. Le moustique-tigre transmet la dengue aux êtres humains par
exemple, ou le frelon asiatique qui s’attaque aux abeilles déjà en voie de dispa-
rition dans certaines régions.
Le propos de cet ouvrage n’est pas de jouer aux alarmistes, mais bien d’ap-
porter des éléments raisonnables sur ces espèces envahissantes, mais aussi
sur les nouvelles espèces découvertes et récemment décrites qui ont réussi, 
comme cette antilope vietnamienne, à échapper à la sagacité des scientifiques
pendant des siècles. Evidemment on ne peut parler de la faune qu’elle soit
européenne ou mondiale sans évoquer la disparition d’espèces embléma-
tiques, pensez au grand pingouin, dont les deux derniers spécimens ont été
2 Mille milliards de pattes

tués en 1844. D’autres espèces risquent bien de disparaître si rien n’est tenté
pour assurer leur survie, raison de plus pour en parler ici. Finalement, pour
terminer sur une note un peu plus optimiste, parlons un peu de ces animaux
étranges, dont les mœurs prêtent à sourire : une cigale de 17 ans aux Etats-
Unis ou encore la mouche espagnole qui est un coléoptère et dont on extrayait
des soi-disant aphrodisiaques, parfois mortels !
Il me paraissait intéressant de réunir ces chroniques publiées séparément,
il y a quelques années dans Le Matin Dimanche ou sur le site du Musée canto-
nal de zoologie, pour vous rendre attentifs à ces espèces qui nous entourent.
Alors dégustez ce monde fascinant et faites ce qui est en votre pouvoir pour
éviter qu’il ne continue à disparaître, cette fois vous ne pourrez pas dire que
vous ne le saviez pas !
Les espèces invasives
Les espèces invasives 5

Black-bass : un poisson carnassier d’Amérique du Nord

En 2006, le Journal des Grèves, bulletin d’information sur la gestion de la


Grande Cariçaie, recense trois nouvelles espèces dans le lac de Neuchâtel.
Pour commencer, un poisson que les pêcheurs américains adorent et que l’on
nomme en anglais black-bass et dont l’aire de répartition originelle se situe en
Amérique du Nord (grands Lacs, baie d’Hudson, bassin du Mississippi).
Malheureusement, ce poisson été introduit un peu partout dans le monde
que ce soit en Europe, en Asie, en Afrique ou encore en Amérique sans comp-
ter un certain nombre d’îles comme Madagascar, Fidji ou encore les îles Mau-
rice. Dans ce cas, il semble que la majorité des introductions ont été faites
volontairement, ce qui est grave et irresponsable, par des amateurs forcenés de
pêche sportive. En effet la publicité faite à ce poisson est liée directement aux
millions d’américains moyens pratiquant la pêche dite sportive. La découverte
de deux spécimens dans les eaux du lac de Neuchâtel devrait nous inquiéter.
En effet, les seuls facteurs limitants pour cette espèce très vorace sont la tem-
pérature de l’eau (en principe inférieure à 10°C) et son acidité (inférieure à
6). Donc, à première vue, ce poisson pourrait survivre chez nous et compte
tenu de ce que l’on sait déjà, il est capable d’éradiquer les espèces locales avec
lesquelles il va entrer en compétition pour la nourriture. Ce poisson se nourrit
d’invertébrés et d’autres poissons et en cas de disette, il peut devenir cannibale.

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) vient de


le classer parmi les 100 espèces invasives les plus graves (world’s worst inva-
ders). Il existe deux espèces de black-bass, celui à grande bouche et celui à
petite bouche. C’est le premier qui a été découvert chez nous. Mais il faut
savoir qu’il a déjà été introduit en France au siècle passé et qu’aujourd’hui on
le rencontre dans la moitié sud de la France et en Suisse. Suivant l’Atlas des
poissons de Suisse paru en 2003, il a été recensé au Tessin dans le bassin du Pô
où il aurait été introduit au début du XXe siècle, ainsi que dans deux sites du
bassin du Rhin, le lac de Zurich et un étang proche de la Thur. Sa présence
est susceptible d’entraîner une modification indésirable de la faune indigène.
Précisons qu’il s’agit d’une espèce dont l’introduction est interdite en Suisse,
même dans des eaux privées et fermées. Atteignant dans de bonnes conditions
6 Mille milliards de pattes

jusqu’à 60  cm pour un poids de 3 kilos dans les eaux européennes, il peut
atteindre 1 m et peser 10 kg en Amérique du Nord. C’est son allure puissante
avec une bouche très grande et son côté agressif, lié à une chair assez fine qui
attire les pêcheurs. Malheureusement les conséquences d’une telle introduc-
tion sont pour l’instant difficiles à évaluer et le plus souvent très importantes
avant que l’on ne mette en place les moyens de l’éradiquer.

Brun du pélargonium : un petit papillon invasif

Ce petit papillon appartient à la famille des lycènes, dans laquelle nous trou-
vons, notamment chez nous, les argus, petits papillons bleu métallique. Cette
espèce est indigène dans le sud de l’Afrique. En 1988, elle a été découverte aux
Baléares (Majorque) où elle s’installe. En 1993, elle fait une première appa-
rition sur le continent européen dans les provinces d’Alicante, Valencia et 
Murcia. Mais un spécimen est découvert en 1991 en Belgique. Depuis, l’espèce
est signalée en France, dans les Pyrénées-Orientales à Amélie-les-Bains, puis
elle envahit le sud-est de la France ensuite l’est jusqu’à la région lyonnaise. En
Suisse, elle est présente actuellement au Tessin, dans la région zurichoise et à
Coire. On connaît encore peu la biologie de cette espèce nommée Cacyreus
marshalli ou brun du pélargonium. On va trouver les chenilles de cette espèce
sur les pélargoniums et les géraniums cultivés.

Les chenilles récemment écloses se déplacent vers un bourgeon floral en


perforant les sépales. Puis elles restent dissimulées dans les bourgeons floraux
et se nourrissent des tissus en créant une cavité. Lorsqu’elles atteignent le troi-
sième stade, elles quittent les bourgeons floraux et creusent une galerie dans
la tige. A une température de 20°C, les chenilles achèvent leur développement
en un mois et demi. Les individus adultes mesurent entre 15 et 25 mm d’en-
vergure et possèdent une couleur bronze marron en surface avec des points
blancs sur les bords. A première vue ce petit ravageur pourrait facilement faire
deux générations par année sous nos climats. Aux Baléares, il arrive à dévelop-
per jusqu’à 6 générations. A Majorque 99% des pélargoniums sont atteints.
Les espèces invasives 7

La lutte contre ce nouveau ravageur est assez difficile. Comme les premières
phases de développement de la chenille sont cachées, les populations semblent
pouvoir se développer assez rapidement. Enfin, il faut relever la très grande
disponibilité de sa plante hôte, présente un peu partout en Europe et l’absence
de prédateurs spécifiques restés au sud de l’Afrique.

Cacatoès rosalbin : cet oiseau a colonisé l’Australie

Le cacatoès rosalbin, ou galah en anglais, est l’un des oiseaux les plus abondant
du continent australien. Facilement reconnaissable à son dos gris, sa poitrine
et son cou roses, il mesure de 35 à 38 cm pour un poids variant de 300 à 500 g.
Essentiellement végétarien, il se nourrit de graines, de fruits, de bourgeons et
parfois d’insectes. Le nom cacatoès vient du mot malais kakatuwa qui signifie
« tenailles ».
Sa distribution sur le continent australien a augmenté au cours des soixante
dernières années. C’est l’une des rares espèces qui ont profité des modifica-
tions de l’environnement dues à l’homme. Il n’hésite pas à vivre au voisinage
des zones habitées, en bandes très nombreuses et bruyantes. Par exemple, il est
commun dans la région de Sydney et le long de la côte est, alors qu’il en était
absent il y a une trentaine d’années. Si les amateurs d’oiseaux l’apprécient
pour sa familiarité, les paysans lui vouent une haine farouche. Il est considéré
comme un ravageur des cultures céréalières et, suivant les régions, il peut être
tiré avec un permis spécial, les œufs récoltés et les nids détruits. Le commerce
de jeunes individus entre les différentes parties de l’Australie a provoqué un
peu de confusion génétique dans les différentes populations de cette espèce
(adoption puis relâchement par des particuliers).
8 Mille milliards de pattes

Habituellement, les rosalbins passent la nuit en groupe très nombreux et


dès que le jour se lève, ils se rendent à un point d’eau pour s’abreuver, avant
de se séparer en plus petits groupes pour aller se nourrir. Evidemment, si un
champ dont la récolte est à maturité se trouve dans les parages, c’est parfois
plus d’un millier de cacatoès qui se ruent sur l’aubaine et, en quelques heures,
le champ est irrémédiablement saccagé. Dans d’autres cas, ils peuvent parcou-
rir plus de 15 km par jour pour trouver leur nourriture.
Le rosalbin est monogame et, à première vue, les couples sont unis pour la
vie. Il est très difficile de distinguer mâles et femelles. Les mâles ont les yeux
marron alors que les femelles ont les yeux rouges. La saison des amours se
déroule vers le mois de septembre (hémisphère Sud !). Le nid est installé dans
la cavité d’un eucalyptus, qui est défendue tout au long de l’année, même si les
couples ne s’y installent que pour quelques semaines. La femelle pond de deux
à six œufs. Mâle et femelle couvent en alternance pendant 22 à 26 jours. Après
l’éclosion, les petits restent au nid durant sept à huit semaines avant d’être mis
à la crèche. En effet, l’une des particularités des rosalbins est d’avoir inventé
la crèche : les oisillons passent leur journée au sommet des arbres nourris par
leurs parents et s’entraînant au vol. Ils s’habituent ainsi à la vie de groupe et
se perfectionnent. Une fois âgés de deux mois, les petits quittent le lieu pour
coloniser, toujours en groupes bruyants, d’autres régions.

Cafards, blattes ou cancrelats : redoutables envahisseurs

Les blattes ont une origine très lointaine qui remonte au Carbonifère, il y
plus de 250 millions d’années. Il y a longtemps, elles étaient classées parmi
les grillons et les sauterelles (orthoptères), puis avec les coléoptères ou les
punaises (hémiptères). Aujourd’hui, un ordre particulier a été créé pour elles.
Leurs caractéristiques principales sont un corps aplati, de longues antennes
et des pattes avec des épines. L’un des faits les plus intéressants est que les
œufs sont pondus dans une capsule appelée « oothèque » que la femelle trans-
porte un certain temps au bout de son abdomen. Il existe plus de 3500 espèces
de blattes dans le monde. En Suisse, une quinzaine d’espèces sauvages a été
recensée. Ces espèces ne posent pas de problèmes et se rencontrent souvent en
forêt. Cependant, certaines espèces tropicales sont devenues cosmopolites et
anthropophiles, donc envahissantes.
On admet aujourd’hui que la blatte germanique, la blatte orientale et
l’américaine ont des origines africaines à partir desquelles elles ont entrepris
leurs colonisations fructueuses de la planète. Par exemple, la blatte germa-
nique, originaire d’Afrique du Nord, aurait utilisé les bateaux grecs et phé-
niciens pour arriver en Europe, tout en colonisant l’Asie mineure puis une
Les espèces invasives 9

partie de la Russie. A partir du moment où elle fut installée en Europe, la blatte


germanique conquit le reste de la planète. C’est sans conteste l’envahisseur le
plus efficace, puisqu’elle a même réussi à gagner l’Australie en 1893, pourtant
réputée pour être très restrictive vis à vis des pestes envahissantes.
Marquant une préférence pour les lieux chauds et humides, cette espèce se
retrouve dans les cuisines et restaurants, où l’on trouve à la fois nourriture et
conditions écologiques très favorables. En revanche, sa survie en milieu natu-
rel est nettement plus difficile. Elle peut néanmoins se rencontrer à l’occasion
dans des décharges. D’une taille de 10 à 15 mm de long, la blatte germanique
est un petit cafard comparée à la blatte orientale (20-28 mm) ou à la blatte
américaine (25-32 mm).
Quelques jours après la copulation, les femelles produisent leur oothèque.
Elle sera transportée entre six et seize jours avant d’être abandonnée dans un
lieu favorable au développement des jeunes. Il est intéressant de noter qu’une
femelle peut produire au maximum une dizaine d’oothèques au cours de sa
vie, et que le nombre d’œufs diminue au cours du temps. Ainsi les premières
oothèques contiennent une quarantaine d’œufs, alors que les dernières n’en
contiennent qu’une trentaine. Il ne faudra que six semaines pour que le déve-
loppement soit complet dans des conditions optimales de température, d’hu-
midité et de nourriture.

Cerfs sikas : le grand voyage

A son origine, le cerf sika (Cervus nippon) se trouvait en Asie de l’Est, prin-
cipalement au Viêtnam, en Chine et au Japon. Il a été introduit accidentelle-
ment en Suisse il y a plus de soixante ans. Son habitat originel se situait dans
des forêts à feuillus caduques, avec des clairières. Assez peu exigeante en ce
qui concerne ses besoins alimentaires, cette espèce arrive à survivre avec une
nourriture peu abondante. Grâce à cela, le cerf sika a pu trouver refuge dans
des régions non colonisées. Depuis fort longtemps, l’homme l’a déplacé et on
le rencontre aujourd’hui en Europe, en Asie centrale, en Nouvelle-Zélande et
même à Madagascar.
10 Mille milliards de pattes

En ce qui concerne la Suisse, c’est en 1941 que des cerfs sikas s’échappèrent
d’un enclos allemand situé près de notre frontière. Quelques individus s’ins-
tallèrent dans le canton de Schaffhouse. Et depuis, l’espèce a colonisé la partie
sud des Randen, et quelques individus se déplacent jusque dans le canton de
Zurich. Cette espèce demeure cependant discrète. Ses effectifs et ses déplace-
ments ne sont guère connus. Il arrive, de temps en temps, que l’un ou l’autre
de ses représentants se manifeste. Il marque une prédilection pour les régions
boisées et semble éviter les étendues découvertes.
Sa longueur, tête et corps compris, peut atteindre 150 cm pour une hauteur
au garrot ne dépassant guère 110 cm. Le poids des individus tués en Suisse
variait entre 30 et 60  kg. Il s’agit donc d’une espèce plus petite que le cerf
rouge – espèce que l’on peut observer abondamment au Parc national suisse
aux Grisons. Cela se remarque aussi à ses bois relativement plus petits et pos-
Les espèces invasives 11

sédant rarement plus de quatre branches. Son pelage est roux à brun clair,
tacheté en été et devenant très sombre en hiver. A cette période, les taches
claires disparaissent complètement.
Son mode de vie diffère peu de celui du cerf rouge. Sous nos climats, la femelle
met un petit au monde au mois de juin, après une gestation de plus de sept
mois. Par conséquent, le rut débute à fin septembre et s’étend jusqu’à fin
octobre. Contrairement au cerf rouge – dont le brame est caractéristique – le
cerf sika émet simultanément des cris et des sifflements.

Chacal doré

Le chacal doré est un canidé de taille moyenne. Mesurant entre 70 et 85 cm de


longueur, il possède une queue de 25 cm environ et sa hauteur est de 40 cm.
Sa fourrure est généralement jaune à jaune pâle avec des traces ou des bandes
brunes, mais elle varie beaucoup suivant la région et la saison. Le chacal doré
est strictement monogame et les familles regroupent le couple reproducteur
et quelques individus qui sont des jeunes du couple ayant atteint leur maturité
sexuelle et qui restent quelque temps avec les parents. Le chacal doré est omni-
vore. Son régime alimentaire varie selon les saisons et les habitats. En Afrique
de l’Est, 60% de son régime alimentaire est composé de rongeurs, lézards,
serpents, oiseaux, léporidés et de gazelles de Thomson. A l’occasion, il peut
aussi consommer des fruits et des invertébrés. Il occupe de ce fait une niche
écologique intermédiaire entre celle du loup et du renard. Normalement il vit
sur un territoire de deux à trois kilomètres carrés qu’il défend toute l’année et
marque périodiquement avec de l’urine.
12 Mille milliards de pattes

Son aire de répartition s’étend sur l’ensemble de l’Afrique du Nord et de


l’Est ainsi que l’Asie jusqu’au Sri Lanka. Il a colonisé une partie de la Bulga-
rie, de la Roumanie et de la Grèce depuis la Péninsule arabe et la Turquie.
Après 1960, il s’est aussi établi dans la région de l’ex-Yougoslavie. Il a atteint
l’Autriche et l’Italie en passant par la Hongrie, la Croatie et la Slovénie à par-
tir des années 1980. Un mâle a été tiré pour la première fois en Autriche en
1987. Aujourd’hui le chacal doré est présent aux abords de la ville de Vienne
jusqu’aux rives du Danube au Nord de l’Autriche. En Italie, il est présent dans
la région de Friuli-Venezia Giulia dans la province d’Udine ainsi que vers
Trieste et Veneto dans les provinces de Belluno et Treviso. Jusqu’à aujourd’hui,
il n’y a pas eu d’observations en Suisse. L’observation la plus proche se situe à
une distance de 125 km de la frontière suisse.

Charançon rouge du palmier

Une étude menée en France a montré qu’entre 2000 et 2005, 41 nouvelles


espèces d’insectes nuisibles aux plantes avaient été recensées. L’une des causes
principales, si ce n’est la cause principale, en est l’augmentation des échanges
mondiaux. Ainsi l’arrivée du charançon rouge du palmier (Rhynchophorus
ferrugineus), un coléoptère classé aujourd’hui dans la famille des dryophto-
ridés, pose plus d’un problème. En effet, cette espèce est strictement inféo-
dée aux palmiers et s’attaque à une vingtaine d’espèces. L’impact n’est pas
négligeable, car les palmiers ont une forte valeur biologique, économique
et socioculturelle. Prenez, par exemple, le dattier dans les pays méditerra-
néens. Dans les régions relativement arides, les dattes font partie des produits
de première importance autant dans l’alimentation qu’en tant que produit 
de vente.

Le voyage du charançon rouge du palmier a débuté il y a plus de 20 ans,


partant de l’Inde, où il s’attaque aux cocotiers pour arriver en Europe et même
aux îles Canaries. Jusqu’à la fin des années 1970, il était strictement tropical,
puis il apparaît au Moyen-Orient puis en Afrique dans l’aire du dattier dans
les années 1980 et il est signalé en Egypte en 1992. A partir de là, il gagnera
Les espèces invasives 13

l’Espagne et sera détecté en 2004 en Toscane, puis en 2006, un lot de pal-


miers d’Egypte importés dans le sud de la France sera détruit par le Service de
Protection des végétaux de Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Mais cela ne suffira
pas. Cet insecte au stade adulte mesure de 2 à 4  cm de long et possède un
corps orangé vif avec des tâches noires variables. Il est caractérisé par un rostre
allongé présent chez tous les charançons. Dans sa patrie d’origine, l’Inde, il
vole toute l’année, mais en Espagne il est limité à la saison estivale. Doué d’un
vol puissant, il peut parcourir plusieurs kilomètres à la recherche de parte-
naires et de palmiers. Les femelles pondront entre 100 et 300 œufs au cours
de leur vie qui ne durera que quelques mois (2 à 4 mois). Les mâles émet-
tent une phéromone, dite d’agrégation, qui attire mâles et femelles. Mais, en
plus, l’odeur du palmier attire tout le monde. Après la ponte, les larves vont
provoquer des dégâts en se nourrissant des zones tendres et bien irriguées,
détruisant le système vasculaire et favorisant la pourriture de la plante. A la
fin de son cycle, qui peut durer plusieurs mois, la larve se rend à la base des
palmes où elle construit une coque de fibres végétales dans laquelle elle se
nymphosera. Une des mesures prophylactiques est de limiter au maximum les
blessures causées aux palmiers qui les attirent. Il convient, en tous les cas, de
protéger la cicatrice par du mastic pour empêcher la ponte.

Chien viverrin : un nouveau canidé en Suisse ?

On pouvait lire dans les médias en 2003 qu’un cadavre de chien viverrin avait
été découvert dans le Jura et qu’il s’agissait d’une première pour la Suisse.
Pourtant, vers la fin des années 1980 déjà, dans la région d’Yvonand un spé-
cimen avait été retrouvé écrasé. Cependant ceci faisait suite à la disparition
de deux spécimens d’un parc zoologique de la région bernoise. En octobre
2003, un chasseur a tiré un mâle dans le canton d’Uri alors qu’il cherchait de
la nourriture dans les poubelles. Au printemps 2004, un naturaliste amateur
a réussi à en prendre un en photo dans le Jura. Un nouveau prédateur semble
donc s’installer chez nous.
Le chien viverrin est probablement originaire du continent américain. Il
aurait profité de l’époque glaciaire pour coloniser l’Asie orientale puisqu’on
le rencontre aujourd’hui de la Sibérie au Viêtnam en passant par la Chine, la
Corée et le Japon. Or entre 1928 et 1950, environ 9000 individus ont été lâchés
dans la partie européenne de l’ex-URSS. A partir de là, l’espèce s’est répandue
en direction du nord, du centre et du sud de l’Europe. La première observa-
tion proche de nos frontières date de 1960 où un spécimen avait été observé
en ex-Allemagne de l’Est. Mais en 1995, près de 400 individus ont été tirés
sur l’ensemble du territoire allemand et en 1998 plus de 3000. Cela indique
14 Mille milliards de pattes

une rapide expansion en direction de l’ouest. Aujourd’hui l’espèce est présente


dans toute l’Allemagne, à l’exception des Alpes. Il n’est dès lors pas étonnant
qu’elle finisse par arriver chez nous.
Ce canidé est un prédateur généraliste et opportuniste. Il se nourrit pour
moitié d’aliments d’origine végétale comme des baies, des fruits ou des glands,
mais aussi de maïs ou d’avoine. Son côté opportuniste se manifeste dans les
dépôts d’ordures qu’il exploite fréquemment. Il atteint la taille d’un renard
pour un poids variant entre 4 et 10 kg. Il est le seul représentant des canidés à
pratiquer une sorte d’hibernation. Il semblerait que seuls les individus ayant
pu se nourrir abondamment en automne pratiquent l’hibernation, les maigres
continuant à s’activer pour se nourrir.
On peut se demander quel sera l’impact d’une telle espèce sur notre faune
autochtone. La première consiste en l’apparition d’un nouveau prédateur
concurrençant les prédateurs locaux (renards, blaireaux) et pouvant affecter
leurs populations. Comme toutes ces espèces se nourrissent de charognes en
hiver, le chien viverrin pourrait empêcher les plus petits prédateurs d’accéder
à une telle source de nourriture. Le deuxième problème concerne le rôle du
chien viverrin en tant que vecteur de parasites et de maladies infectieuses. Ce
brave canidé pourrait aussi transmettre la rage. Mais que l’on se rassure, la
rage a pu être éradiquée en Europe occidentale grâce à l’immunisation orale
des renards et il semble que cette méthode ait été utilisée avec succès contre
une épidémie de rage à la fin des années 1980 en Finlande.
Les espèces invasives 15

Clausilie romaine : un escargot aux arènes

Connaissez-vous la clausilie romaine ? Non ? Allez donc visiter les arènes de


Nîmes et demandez au guide si elle se porte toujours bien ! Toujours car, à
première vue, ce petit mollusque dont la coquille ne dépasse pas 1 cm est resté
cantonné aux arènes de Nîmes depuis près de 2000 ans. Pourtant, cette espèce
pourrait bien porter l’étiquette d’espèce néophyte. A savoir une espèce qui se
trouve hors de son aire de répartition originale et qui aurait le potentiel de
devenir une espèce envahissante.
L’histoire scientifique de la clausilie romaine débute en 1903, année où
Georges Coutagne fait sa découverte dans les arènes de Nîmes. Georges Cou-
tagne est un naturaliste, ingénieur et agronome français né à Lyon en 1854.
C’est la première découverte de cette espèce en France. Mis à part cette loca-
lisation assez particulière, on ne la retrouve que dans les Apennins près de
Rome. Originellement cette espèce vivait probablement sur les falaises mais
se serait acclimatée aux murs de pierre construits par les hommes. On pense
qu’elle aurait pu être importée par les Romains, lors de la construction des
arènes ou encore à la suite d’échanges commerciaux. Imaginez une amphore
avec un escargot collé dessus… orignal mais pas dénué de sens. Or le plus
extraordinaire est que 20 siècles ont passé et la clausilie est toujours là.

La clausilie romaine répond au nom latin de Leucostigma candidescens. Elle


possède des stigmates blancs sur le pourtour des sutures de la coquille. Autre
particularité, sa coquille possède un enroulement sénestre. Cela signifie que la
coquille s’ouvre à gauche de l’axe de la spire, contrairement à la majorité des
escargots. Les murs et les plantes éparses qui poussent dans les arènes sont les
lieux privilégiés de cette espèce. Or aujourd’hui, l’entretien des arènes s’effec-
tue à l’aide de désherbants chimiques. C’est ainsi que le régisseur des arènes a
fait venir deux malacologues (spécialistes des escargots) pour vérifier si cette
espèce était toujours bien présente dans les arènes. C’est le 11 mars 2009 que
les deux chercheurs retrouvent cette espèce. Le 23 avril, le Muséum national
d’histoire naturelle de Paris, dont est issu l’un de ces chercheurs, publie un
communiqué de presse à ce sujet.
Malgré tout le tapage (plutôt sympathique !) autour de cet escargot, il faut
rappeler qu’aucun témoignage littéraire ou archéologique n’atteste de la pré-
sence de la clausilie romaine dès la construction des arènes. Néanmoins cette
médiatisation pourrait être le départ d’une étude et d’un suivi d’une espèce,
dont la population sur le territoire français ne dépasse pas la centaine d’indi-
vidus. Une manière assez efficace de protéger une espèce qui aurait pu dispa-
raître très facilement.

Coccinelle asiatique

La coccinelle asiatique a été volontairement importée en Belgique et, malheu-


reusement relâchée dans la nature comme agent de lutte biologique. Elle était,
au départ, surtout utilisée par les horticulteurs, mais des particuliers ont pu
s’en procurer pour lutter contre les pucerons dans leurs jardins. Il faut dire que
cette espèce, Harmonia axyridis, possède des caractéristiques qui en font un
prédateur très intéressant pour la lutte biologique. Elle est vraiment très vorace
et polyphage et sa fécondité est très élevée. De plus, elle semble survivre sous
presque n’importe quel climat. Les premières tentatives de lutte biologique
avec cette espèce eurent lieu aux Etats-Unis dans les années 1900, mais sans
succès. De nouvelles introductions eurent lieu à partir de 1978. Aujourd’hui,
on la trouve sur toute la côte est du Québec au Texas.

Dans les régions froides, les individus passent l’hiver au stade adulte et
se réfugient en masse dans les habitations. Cette espèce peut engendrer des
problèmes pour nos vignobles. En effet, elle s’attaque aux fruits endomma-
gés. Elle peut donc se trouver sur le raisin au moment des vendanges et si les
coccinelles sont récoltées avec le raisin, elles émettent une série de substances
malodorantes qui modifient le goût du vin.
Depuis la Belgique, cette coccinelle asiatique a progressivement gagné la
Norvège au nord, la République tchèque à l’est et a traversé la Manche jusqu’en
Grande-Bretagne, en France et récemment en Suisse romande.
Les espèces invasives 17

La détermination de la coccinelle asiatique n’est pas évidente. Elle présente


de grande variabilité de couleurs. Attention, il ne faut pas la confondre avec
notre coccinelle indigène à 2 points qui hiverne aussi dans les maisons ! Néan-
moins, deux caractéristiques doivent vous permettre de distinguer la coccinelle
asiatique. Tout d’abord, sa taille dépasse 5  mm de longueur. Ensuite, il faut
regarder ce que l’on appelle le pronotum, soit le premier segment du thorax
vu de dessus. Il est assez facile à situer car la première paire de patte part de ce
segment. Donc, le pronotum peut présenter trois types principaux de dessin :
une sorte de M noir, une patte de chat (tache centrale avec 4 autres taches en
demi-cercle) et enfin noir avec deux bandes latérales blanches. Sur les élytres, le
nombre de taches est très variable. Il faut rappeler que les spécialistes des musées
d’histoire naturelle peuvent vous aider à préciser une telle identification.
Un projet de recherche a démarré à l’Inra (Institut scientifique français de
recherches agronomiques) afin de comprendre les facteurs qui déterminent le
succès invasif de cette coccinelle. Les chercheurs essaient de retracer les routes
d’invasion de cette espèce et les diverses populations sont identifiées généti-
quement. A côté de cela, ils étudient aussi divers aspects de la biologie de cette
espèce, notamment ce qui a trait à sa fécondité et à sa capacité de survie, où
elle semble nettement dominer ses cousines européennes !

Crépidule : une espèce invasive  


à découvrir gastronomiquement
A première vue, le nom d’espèce fornicata est assez bien choisi compte tenu
du potentiel reproducteur de cette espèce, qui a envahi les côtes européennes
depuis de nombreuses décennies. Cette espèce est originaire des côtes atlan-
tiques de l’Amérique du Nord et du Golfe du Mexique. Il s’agit d’une espèce
qui vit à faible profondeur et à proximité des côtes. Malheureusement, elle a
été introduite hors de son milieu naturel à deux reprises et est devenue une
espèce invasive indésirable à moins que l’on ne commence à s’intéresser à
elle du point de vue gastronomique. La première invasion remonte à la fin
du XIXe siècle où les ostréiculteurs ou éleveurs d’huîtres ont introduits des
huîtres de Virginie en Angleterre, ce qui lui a permis d’envahir une partie du
littoral anglais. Puis, elle est apparue en Normandie, favorisée par les déplace-
ments des bateaux militaires lors du débarquement en 1944 lors de la Seconde
Guerre mondiale.
La seconde vague est plus récente et remonte aux années 1970, lorsque l’on
a introduit l’huître japonaise en Europe à partir du Japon et de la Colombie
britannique pour remplacer l’huître portugaise décimée. De là, la crépidule,
18 Mille milliards de pattes

présente dans les élevages, a envahi toute la côte européenne de la Suède à


l’Espagne. Elle est aussi présente en Méditerranée.
L’une des particularités est que les crépidules vivent les unes sur les autres
en s’encastrant, formant ainsi des colonies qui résistent facilement au cou-
rant et à la plupart des prédateurs marins. Elles se nourrissent de plancton
en filtrant l’eau et n’ont pas d’exigences particulières. Grâce à une stratégie
de reproduction efficace, les individus sont hermaphrodites et se reprodui-
sent par fécondation directe, cette espèce pouvant alors proliférer de manière
incroyable. Aujourd’hui, c’est le littoral allant de la baie de Saint-Brieuc
jusqu’à Flamanville qui est le plus colonisé. On estime que la biomasse pré-
sente atteint 1,6 millions de tonnes. Ses effets dévastateurs sur l’écosystème
marin sont impressionnants. Un chef français travaillant dans la région de
Rennes (Sylvain Guillermot, une étoile au guide Michelin) pense pourtant que
cette espèce pourrait être utilisée en cuisine. Selon ses dires, son goût se situe
entre la moule et la palourde. Il serait possible de développer des méthodes
douces de prélèvement afin de commercialiser cette espèce invasive. Selon cer-
tains spécialistes, prêt à se lancer dans la commercialisation de ce mollusque,
il serait possible de prélever entre 5000 et 10 000 tonnes par année sans altérer
la population existante et sans favoriser son caractère invasif. Vendu à moins
de 3 euros le kg, la crépidule deviendrait le coquillage le meilleur marché de
la planète !

Crevette tueuse

Dikerogammarus villosus est une petite crevette d’eau douce qui appartient
au groupe des amphipodes (crustacés supérieurs au corps comprimé latérale-
ment). Notre crevette tueuse se reconnaît à sa taille qui peut atteindre 30 mm
et ses pièces buccales très puissantes. On distingue aussi deux petites pointes
à l’arrière de l’abdomen. Il existe une espèce locale, le gammare (Gammarus
pulex) qui est plus petit et plus foncé, mais qui comme sa cousine de l’est
nage sur le côté. Le problème est que notre espèce locale est avant tout détri-
tivore, alors que l’espèce introduite est carnivore et semble éliminer tout sur
Les espèces invasives 19

son passage, à commencer par les gammares locaux. Son régime alimentaire
comprend bien d’autres espèces d’invertébrés aquatiques et on a déjà observé
de la prédation sur les œufs et les stades juvéniles des poissons. Mais comme
tout envahisseur, cette espèce pourrait être aussi porteuse de vers parasites
du groupe des acanthocéphales. Ce sont des vers parasites du tube digestif
dont la taille varie de quelques millimètres à quelques centimètres. Ces vers
parasites possèdent un cycle de développement compliqué et comportant dif-
férents stades larvaires et un ou deux changements d’hôtes, les gammares et
certaines larves d’insectes et des poissons jouent le rôle d’hôte intermédiaire.
L’hôte définitif peut être un poisson mais aussi un oiseau ou un mammifère.

Cette crevette est originaire de la mer Noire et a été probablement intro-


duite dans le bassin du Danube avant de poursuivre son périple qui l’a ame-
née chez nous. Elle est signalée dans le Léman depuis plusieurs années déjà.
Dans son article paru dans la Revue suisse de zoologie en 2004, Loïc Bollache de
l’Université de Bourgogne signale sa présence en 2002 et 2003 et la considère
comme relativement bien établie, tout en prédisant de sérieux problèmes sur
les écosystèmes aquatiques. Cette espèce envahissante possède d’étonnantes
capacités d’adaptation. En effet, elle présente une grande tolérance à la tem-
pérature, ce n’est qu’à partir de températures de l’ordre de 30°C que l’espèce
commence à présenter des défaillances. Elle est aussi capable de vivre dans
des eaux à faible taux d’oxygène, ce qui signifie aussi la possibilité de survivre
dans des eaux présentant différents degrés de pollution. Et enfin cette espèce
résiste aussi à des degrés de salinité jusqu’ à 20 pour mille. Autant dire qu’une
telle espèce a toute les chances de pouvoir s’installer à long terme et qu’il sera
probablement très difficile de s’en débarrasser. Si l’on essaie de résumer sa
progression au cours des dernières décennies, on constate qu’elle est signa-
lée en Hongrie dès 1950, en 1989 en Autriche, toujours sur le Danube, puis
elle arrive en Allemagne dès 1992, aux Pays-Bas en 1995. Après cela elle est
signalée sur le Rhône en France en 1997 avant d’être découverte en Suisse en
2002. Aujourd’hui elle semble avoir envahi une bonne partie de l’Europe et les
Américains sont très inquiets.
20 Mille milliards de pattes

Criquets ravageurs

Si le phénomène n’est pas nouveau, puisque déjà évoqué dans la Bible comme la
huitième plaie d’Egypte, il faut savoir que plus de la moitié des terres émergées
peut être sujette à l’attaque d’essaims d’insectes ravageurs. Il existe quelques
12 000 espèces d’acridiens (criquets) dans le monde, dont un peu plus de 500
peuvent causer des dommages à l’agriculture. Heureusement, seule une ving-
taine d’espèces figurent parmi les ravageurs véritablement destructeurs.
Les orthoptères sont un ordre d’insectes relativement diversifié qui compte
quelques 20 000 espèces au monde, réparties en 28 familles. En Suisse, on
compte environ 120 espèces avec plus de 40 espèces d’acridiens. On distin-
gue les criquets des sauterelles et des grillons par leurs antennes courtes et
l’absence d’oviscapte (organe de ponte très développé  chez les sauterelles).
Les mâles de la majorité des espèces stridulent pour attirer les femelles. Le
son est produit par le frottement des pattes postérieures sur une nervure des 
élytres.
Les espèces ravageuses présentent une faculté tout à fait particulière : la
possibilité de passer d’une phase solitaire à une phase grégaire. Cette dernière
phase est responsable des invasions au cours desquelles des bandes de larves
et des essaims peuvent causer des dégâts considérables. Ce polymorphisme
« phasaire » désigne les formes successives que prennent les états apparents
d’un même individu. L’expression de ce polymorphisme est liée essentiel-
lement aux conditions de l’environnement social de chaque espèce mise en
présence ou au contraire isolée de ses congénères. Le facteur principal déclen-
chant est la densité des individus. En simplifiant, il suffit de rassembler des
individus d’une même espèce grégaire pour observer des effets immédiats sur
eux-mêmes et sur leur descendance. On observe un changement de couleur et
de comportement ainsi que l’augmentation du nombre d’ovarioles et de tubes
séminifères, donc du potentiel de reproduction. D’autres facteurs intervien-
nent aussi dans l’expression du polymorphisme phasaire : la photopériode, la
température, la sécheresse, la pauvreté de l’alimentation ou encore la salinité
du sol. A partir de ce moment, les criquets se multiplient très rapidement et
la moindre amélioration de leur environnement augmente encore leurs capa-
cités de reproduction. C’est le cas lorsque, sous l’effet des pluies, la végétation
croît rapidement. Mais un autre phénomène permet aussi d’atteindre la den-
sité critique : l’arrivée dans une zone « tranquille » de criquets venus d’ailleurs
(appelés allochtones) qui, dans ces conditions, vont pondre une descendance
à la fois nombreuse mais surtout dévastatrice. Certaines pratiques agricoles
favorisent les pullulations de criquets : surpâturage, déforestation, irrigation
etc. Par exemple, il suffit de 500 criquets pélerins adultes sur un hectare pour
que s’amorce une pullulation alors qu’il en faut près de 2000 pour le criquet
migrateur.
Les espèces invasives 21

Criquet pèlerin et criquet migrateur

Les principales espèces de criquets ravageurs sont le criquet pèlerin, le criquet


migrateur, le criquet nomade ou criquet rouge et le criquet arboricole.
Le criquet pèlerin est une espèce de grande taille, probablement le plus
redouté et aussi le plus largement répandu dans le monde. En période d’in-
vasion, ses essaims peuvent atteindre l’Europe du Sud, l’Afrique au nord de
l’équateur et la péninsule arabique et indo-pakistanaise. Inoffensif pour les
cultures dans sa phase solitaire, il devient une véritable plaie dans sa phase
grégaire. Les grégaires sont d’abord roses quand ils sont immatures, puis fran-
chement jaunes au moment de la reproduction. Le criquet pèlerin peut réa-
liser 2 à 3 générations par année, avec une pause pendant les périodes sèches,
mais il ne faut pas oublier qu’une femelle en phase grégaire pond 2 à 3 fois
plus d’œufs qu’une femelle solitaire. Les solitaires se reproduisent dans une
aire limitée en zone désertique, alors que les grégaires colonisent à peu près
tous les milieux.

Le criquet migrateur est largement répandu dans l’Ancien-Monde. On le


trouve en Afrique, au sud du Sahara, dans la péninsule arabique et indo-pakis-
tanaise, mais aussi en Europe et sur le pourtour méditerranéen, en Asie orien-
tale et en Australie. Il existe aussi quelques stations au Tessin. Il devait être plus
largement distribué chez nous il y a un siècle et semblait apprécier les zones
alluviales. Il est intéressant de noter que dans les collections muséologiques on
trouve un certain nombre d’individus en phase grégaire, indiquant par-là qu’il
s’agit d’individus égarés d’essaims importants passant sur le sud de l’Europe.
Le criquet migrateur recherche la chaleur et les milieux un peu humides. C’est
un granivore strict. En région tempérée, il résiste aux conditions rigoureuses
de l’hiver en effectuant une diapause à l’état embryonnaire. Cette espèce peut
avoir de 3 à 5 générations par an. En période grégaire, les essaims volent de
jour, plus loin et plus longtemps que les solitaires qui se déplacent en début de
nuit et suivant un système de vent différent.
Les dégâts infligés aux cultures par ces acridiens sont de plusieurs types :
prélèvements alimentaires sur les feuilles, les fleurs, les fruits, les semences,
les jeunes écorces ou blessures provoquées par les morsures qui peuvent 
22 Mille milliards de pattes

entraîner des conséquences majeures. D’une part, cela ouvre une voie d’infec-
tion aux parasites et aux maladies végétales, d’autre part cela crée des lésions
(rupture des vaisseaux nourrissant la plante) entraînant une destruction des
tissus 5 à 10 fois plus importante que la prise de nourriture elle-même. Enfin,
il faut tenir compte de la rupture des végétaux sous le poids des individus et la
souillure des surfaces foliaires qui vont perturber la photosynthèse.

Ecrevisses : en expansion en Suisse ?

Les écrevisses appartiennent aux crustacés et plus particulièrement à l’ordre


des décapodes. Il existe plus de 570 espèces d’écrevisses, réparties en 3 familles.
Tout d’abord les astacidés et les cambaridés qui colonisent de petites régions
limitées à l’hémisphère Nord et enfin les parasticidés qui occupent l’hémis-
phère Sud. En Suisse, on trouve 3 espèces locales : l’écrevisse à pattes rouges
(Astacus astacus), l’écrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes)
et l’écrevisse des torrents (Austropotamobius torrentium) et 2 espèces intro-
duites : l’écrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus) et l’écrevisse signal
(Pacifascatus leniusculus).
Autrefois répandues en Europe, puis rares en raison de la pollution des
eaux douces, les écrevisses semblent à nouveau en expansion. A première vue,
une nouvelle réjouissante et pourtant, cette relative abondance est due à deux
espèces invasives, introduites volontairement par les gestionnaires de la faune
qui ont pensé qu’il serait judicieux de repeupler les milieux aquatiques avec
des espèces plus résistantes d’Amérique du Nord. Malheureusement, ces deux
espèces ont des impacts très dommageables sur les espèces locales. Il y a deux
raisons principales permettant d’expliquer ce désastre. Pour commencer, les
espèces américaines sont responsables de transporter un champignon patho-
gène provoquant la fameuse « peste des écrevisses ». Or celles-ci ne semblent
pas être affectées par ce champignon alors que les populations locales peu-
vent disparaître en l’espace de quelques semaines. La deuxième raison est que
les espèces introduites sont d’une plus grande résistance à la pollution des
eaux, mais aussi plus fécondes et ont une croissance plus rapide que les espèces
locales. Autant dire que la compétition entre espèces introduites et espèces
locales tourne largement à l’avantage des premières. Les trois espèces locales
sont toutes menacées voire fortement menacées d’extinction.
De nombreux pays européens ont mis en place des mesures de pro-
tection. La principale est de réaliser des sanctuaires, surfaces aquatiques de
grande taille où la présence d’écrevisses exotiques est complètement prohibée. 
Malheureusement, l’isolement et la fragmentation des populations indigènes
rendent cette méthode inapplicable en Suisse. En revanche, d’autres mesures
Les espèces invasives 23

pourraient être prises : l’entretien et la revitalisation des sites potentiellement


propices au développement de nos espèces indigènes, la lutte contre l’intro-
duction illégale des espèces exotiques et empêcher l’expansion de leurs popula-
tions lorsqu’elles sont déjà établies. Aujourd’hui 8 espèces se trouvent en Suisse
dont 5 n’appartiennent pas à notre faune et sont potentiellement invasives.

Ecureuils : l’écureuil roux et son cousin d’Amérique

L’écureuil roux (Sciurus vulgaris) était distribué dans toutes les forêts d’Eu-
rope et d’Asie du Nord. Malheureusement, au cours du dernier siècle, ses
populations ont dramatiquement été modifiées par l’apparition d’une espèce
concurrente : l’écureuil gris d’Amérique du nord.
Plus lourds et plus résistants aux conditions hivernales, capables d’ingé-
rer des noisettes avant leur maturation, de mieux digérer les glands que son
cousin européen, cet envahisseur est un compétiteur beaucoup trop efficace.
Ainsi l’écureuil roux occupait toute la Grande-Bretagne et ses populations y
étaient prospères avec certaines fluctuations jusqu’à la fin du XIXe siècle. C’est
à ce moment que des gens irresponsables introduisirent en plusieurs endroits
d’Angleterre l’écureuil gris (Sciurus carolinensis) pour agrémenter l’animation
dans les parcs et jardins. Il faut dire que l’écureuil gris est moins craintif que
l’écureuil roux et qu’il est volontiers attiré par des passants offrant des graines
ou de la nourriture. Le résultat fut dramatique et aujourd’hui la distribution
de l’écureuil roux est réduite à l’Ecosse et au nord de l’Angleterre. Ses popula-
tions sont estimées à moins de 160 000 individus alors que pour l’écureuil gris
on atteint près de 3 millions d’individus !
En Europe continentale, la situation n’est pas meilleure même si elle
semble, pour l’instant, plus confortable. L’écureuil gris a été introduit au nord
de l’Italie dans le Piémont dans les années 1940 et plus récemment dans le
Parc régional Ticino en Lombardie. Jusqu’en 1970, l’aire d’occupation de cette
espèce ne dépassait guère 25 km2. Mais tout à coup, l’espèce commença à se
24 Mille milliards de pattes

répandre très rapidement et la surface occupée passa de quelque 240 km2 en


1990 à 900 km2 en 1999. On a calculé que l’Italie du Nord a été colonisée à
la vitesse de 17,2 km2 par année, ce qui correspond à ce qui s’était passé en
Angleterre. La présence de ce concurrent a entraîné rapidement la diminution,
puis l’élimination de l’espèce locale ainsi que des dégâts non négligeables dans
les plantations de peupliers. Une campagne d’éradication a été lancée à la fin
des années 1990, mais a rapidement été stoppée, suite aux protestations des
associations de défense des droits des animaux. Ces braves personnes auraient
mieux fait de considérer la situation plutôt que de réagir sans mesurer les
conséquences de leurs actes. Aujourd’hui, on peut admettre que la situation
a échappé à tout contrôle et qu’une éradication de l’écureuil gris n’est plus
envisageable. Or, la France, la Suisse et le reste des pays européens pourraient
faire l’objet d’une invasion prochaine par ce colonisateur américain. Des spé-
cialistes européens cherchent actuellement des solutions pour enrayer cette
expansion et maintenir des populations viables d’écureuils roux.

Erismature rousse : un canard d’Amérique

Le mâle adulte a, en été, un plumage châtain vif, les joues blanches, la calotte
et la nuque noires. L’abdomen est strié de blanc. Le bec est bleu, aplati et
concave. Les pattes et les grands doigts palmés sont gris. En hiver, le mâle est
plus terne et le bec devient grisâtre. La femelle adulte est, en été, plus brune
que le mâle, avec une légère teinte fauve. Le front et la calotte sont brun foncé,
la tête est blanchâtre avec une rayure brun foncé en travers des joues, et des
stries brunes. Le bec est foncé. En hiver, la femelle est plus foncée. Même si la
description est assez précise, il est difficile de distinguer cette espèce améri-
caine de l’espèce européenne : l’érismature à tête blanche. Comme son nom
l’indique l’érismature européenne possède une tête blanche chez le mâle en
plumage nuptial. De plus, l’érismature rousse possède une tête petite et carrée
Les espèces invasives 25

et la partie supérieure du bec est concave, sa base n’étant pas renflée comme
chez l’espèce européenne.
C’est probablement dans les années 1940 que des individus conservés en
captivité en Bretagne se sont échappés. Et malheureusement, l’érismature
rousse est vite devenue envahissante. Les premiers exemplaires se sont échap-
pés de captivité en Angleterre en 1953. La première nidification en liberté y
a été observée en 1960. Dès cette date, la population d’érismatures rousses a
augmenté rapidement. Vers les années 2000, on comptait plus de 5000 indi-
vidus. Depuis, l’espèce a commencé à envahir l’Europe continentale et elle
est présente dans une vingtaine de pays, dont la Suisse. C’est à son arrivée en
Espagne que les ornithologues se sont rendus compte des problèmes. Pour
commencer, cette espèce concurrence sa cousine européenne qui était déjà
malheureusement menacée d’extinction à l’échelle européenne. D’autre part,
elle s’hybride avec elle entraînant un mélange du patrimoine génétique. Les
hybrides étant fertiles, on rencontre des hybrides de 2e et 3e générations. Il est
donc nécessaire d’agir pour éviter sa prolifération et l’appauvrissement géné-
tique de l’érismature à tête blanche. Cette espèce est rare et est représentée
dans le monde par deux populations : une à tendance migratrice et relative-
ment importante, à l’est, de la Bulgarie à l’Asie centrale, une autre à tendance
sédentaire, limitée et confinée à la Méditerranée occidentale. En Suisse, sa pré-
sence est occasionnelle.

Un plan d’action du Conseil de l’Europe a été mis en place et prévoit l’élimi-


nation de l’érismature rousse. La Grande-Bretagne a pris les devants en tirant
plusieurs milliers de ces oiseaux. Des campagnes similaires ont été lancées en
France, au Portugal et en Espagne. Même s’il est relativement rare d’obser-
ver des érismatures rousses dans notre pays, il est indispensable d’éliminer
immédiatement les individus vivants, d’empêcher d’éventuelles nidifications
et n’autoriser la détention en captivité que dans des volières fermées. Ces inter-
ventions sont confiées aux surveillants de la faune des différents cantons.
26 Mille milliards de pattes

Esturgeon : du caviar dans le Léman ?

Vous avez sans doute déjà dégusté un petit canapé recouvert de petites boules
noires ou rouge rosé : du caviar. Il s’agit d’œufs d’esturgeon.
Parmi les poissons osseux, les plus primitifs ne comprennent qu’un seul
ordre actuel, celui des acipensériformes, soit les esturgeons et les poissons spa-
tules. Ces poissons sont caractérisés par leur squelette interne en grande partie
cartilagineux et aspect général rappelant celui des requins.
Les esturgeons se reconnaissent d’emblée aux cinq rangées longitudinales
d’écussons osseux. Leur bouche est précédée par deux paires de barbillons à
rôle tactile et gustatif grâce auxquels ils recherchent dans la vase du fond les
petits invertébrés qui forment l’essentiel de leur régime. C’est vrai que, par
certains côtés, ils ressemblent aux requins, avec une bouche ventrale et une
nageoire caudale dissymétrique. Cependant, d’autres caractères, comme les
branchies recouvertes d’un opercule, les nageoires supportées par des rayons
et une vessie natatoire assurant l’équilibre hydrostatique, les placent du côté
des poissons osseux.

L’esturgeon d’Europe occidentale peut atteindre une taille de plus de 


3,5 m pour un poids de 300 kg. Mais ce n’est rien par rapport à l’esturgeon
blanc du Pacifique Nord, qui atteint 6 m pour 600 kg, ou encore le béluga de
la mer Caspienne et de la mer Noire, qui peut mesurer 9 m et peser 1400 kg.
Il reste actuellement 25 espèces d’esturgeon toutes réparties dans l’hémis-
phère Nord. Certaines espèces vivent en mer et se reproduisent en eau douce,
alors que d’autres passent toute leur vie en eau douce.
Autrefois l’esturgeon commun (Acipenser sturio) remontait le Rhin jusqu’à
Bâle et le Pô, puis le Ticino jusqu’au Tessin, mais cette espèce a toutefois
toujours été très rare dans notre pays et ces captures étaient occasionnelles.
Aujourd’hui, la pêche excessive, les obstacles artificiels dressés sur ses routes
migratoires et la pollution en font une espèce disparue en Suisse et menacée
en France, notamment dans la Gironde.
Alors du caviar dans le Léman ? Six individus ont été péchés dans les eaux
suisses du Léman et trois dans les eaux françaises. Les chercheurs du musée
d’histoire naturelle de Genève ont réussi à identifier l’espèce. Il s’agirait d’in-
dividus hybrides, issus d’un croisement entre le béluga et l’esturgeon russe. Ils
proviennent probablement d’un élevage piscicole.
Les espèces invasives 27

On pourrait, de prime à bord, se réjouir de cette présence mais cette « enri-


chissement » de la biodiversité n’est pas souhaitable. Il faut savoir que chaque
introduction accidentelle ou volontaire provoque des réactions en chaîne peu
prévisibles et peut mettre en péril la faune locale. Ainsi sur les 26 espèces de
poissons qui vivent dans le Léman, seules 14 sont indigènes. Il est donc plus
raisonnable d’oublier le caviar lémanique et de préserver la faune indigène.

Fourmi invasive des jardins

Suivant le document publié récemment par l’UICN (Union internationale


pour la conservation de la nature) sur les 100 espèces invasives les plus redou-
tables, on trouve 3 espèces de fourmis. Il s’agit de la fourmi de feu (introduite
notamment aux Etats-Unis), de la fourmi d’Argentine qui a envahi le sud
de l’Europe et la fourmi du pharaon que l’on rencontre aujourd’hui dans la
majorité des grandes villes d’Europe.
A l’exception près de la fourmi du pharaon qui vit dans les habitations,
les autres espèces de fourmis semblent limitées par les hivers froids et ne peu-
vent pas envahir nos régions. Cette restriction ne semble pas affecter la fourmi
invasive des jardins, découverte en Hongrie en 1990. En effet, cette espèce de
fourmi, qui ressemble étrangement à l’une de nos espèces de fourmis (notam-
ment celles qui rentrent périodiquement dans les habitations au printemps et
en automne pour chercher de la nourriture) est très bien adaptée aux hivers
froids et s’est installée progressivement à travers l’Europe et l’Asie.

En 2000, on avait recensé une trentaine de populations alors qu’au-


jourd’hui plus de 100 populations ont été identifiées de l’Espagne à la Turquie.
Cette espèce se rencontre presque uniquement dans les habitats remaniés par
l’homme comme les parcs, les jardins et les serres. Elle a récemment été décou-
verte en Suisse à Genève. Lasius neglectus, c’est son nom latin, se confond aisé-
ment avec Lasius niger qui est notre espèce des jardins. En revanche, elle forme
rapidement des super-colonies dans les zones envahies. Cela signifie qu’elle
construit de nombreux nids reliés entre eux par des ouvrières et chaque nid
28 Mille milliards de pattes

possède de nombreuses reines pondeuses. Autant dire que la faune locale ne


supporte guère cet envahisseur. On admet que c’est par le déplacement non
intentionné que cette espèce a pu envahir petit à petit l’Europe.
Un groupe de chercheurs a tenté d’y voir plus clair et a analysé 14 popu-
lations réparties de la Turquie à l’Espagne à l’aide de la génétique, des odeurs
individuelles et du comportement agressif. Leurs résultats indiquent que
les différentes populations proviennent de quelques introductions et sont
presque toutes reliées entre elles génétiquement. Cette espèce possède donc
un fort pouvoir invasif et il convient d’être vigilant en Suisse !

Frelon asiatique

C’est en 2006 que des scientifiques français signalent la présence d’une redou-
table nouveauté : le frelon asiatique (Vespa velutina). En été 2004 déjà, un pro-
ducteur de bonzaïs de Sainte-Livrade-sur-Lot aurait vu voler des frelons de
couleur brune. Il revenait d’un voyage en Chine où il avait aperçu cette espèce.
En automne, il aurait découvert deux nids sphériques dans des arbres de son
voisinage, nids qu’il aurait détruits à coups de fusil ! En 2006, il a récolté un
individu pour identification. Il s’agissait bien de Vespa velutina. Ce frelon asia-
tique a certainement été importé avec les cartons de poteries chinoises que ce
producteur ramène régulièrement depuis plusieurs années.

Présente habituellement du nord de l’Inde à la Chine, cette espèce est


considérée en Chine comme un redoutable ennemi des ruchers. En effet,
ce frelon peut détruire jusqu’à 30% d’une colonie de l’abeille asiatique
Apis cerana. Le frelon s’attaque aux gardiennes de la ruche avant de s’atta-
quer au couvain que le frelon utilise pour nourrir ses propres larves. Pour se
défendre, les ouvrières d’Apis cerana ont mis au point une stratégie relative-
ment efficace. Les ouvrières s’agglutinent autour du frelon en formant une
boule compacte et font vibrer leurs ailes ce qui a pour effet de faire monter la
température. Au bout de 5 minutes le centre de la boule atteint 45°C, tempé-
rature létale pour le frelon, mais pas pour les abeilles. Bien que cette stratégie
soit très efficace, les colonies s’affaiblissent car le temps passé à l’approvision-
Les espèces invasives 29

nement diminue. Apis mellifera, l’abeille mellifère, utilise la même stratégie,


mais semble-t-il de façon nettement moins efficace.
Ce frelon est un peu plus petit que le frelon ou talène que l’on rencontre
chez nous. Il se reconnaît tout de suite par sa coloration plus sombre, la réduc-
tion des plages jaunes sur son abdomen et ses ailes fumées. Il construit des
nids généralement sphériques pouvant atteindre une hauteur d’un mètre avec
une circonférence de plus de deux mètres. Les nids peuvent se trouver sur de
grands arbres, mais aussi dans des habitations ouvertes comme les hangars ou
les granges.
Vespa velutina se comporte malheureusement comme une véritable espèce
invasive. On ne peut pas, pour l’instant, mesurer l’impact sur la faune locale,
mais il est probable qu’elle entre directement en compétition avec les autres
espèces de guêpes indigènes et risque d’avoir un impact au niveau de la pré-
dation sur les abeilles domestiques et indirectement sur la pollinisation, prin-
cipalement des arbres fruitiers. Il convient de rendre nos autorités attentives
aux conséquences de l’arrivée de cette espèce en Suisse et de lui attribuer tout
de suite le statut d’invasive afin de mettre en place tous les moyens nécessaires
à son éradication.

Merle : un oiseau familier des villes aujourd’hui

Bien sûr, il s’agit d’une des espèces les plus familières de notre avifaune et faci-
lement identifiable. Elle fréquente aujourd’hui presque tous les milieux, mais
autrefois le merle était l’hôte timide des forêts. Il a su s’adapter à un environ-
nement parfois assez artificiel comme celui des villes.
Le merle existe dans la majeure partie de l’Europe et il niche jusque dans
le sud de la Finlande, pousse vers le sud jusqu’en Afrique du Nord et à l’est
jusqu’en Chine. Comme oiseau nicheur, sa distribution altitudinale s’étend
du bord du Léman jusqu’à 1600 mètres dans le Jura et peut atteindre 2000
mètres dans les Alpes. En altitude, il va rencontrer un proche parent, le merle
à plastron.
Le merle peut commencer à nicher très tôt, exceptionnellement en février
mars déjà. Le gros des pontes commence généralement à la fin du mois de
mars. Grâce à une longue période de reproduction, le merle peut élever de
deux à trois nichées par année. C’est grâce à lui que nous pressentons l’arrivée
du printemps, car, dès la fin de l’hiver, les mâles se mettent à chanter.
Si le couple de l’année précédente existe encore, le chant sert à raffermir
les liens, qui se sont un peu relâchés pendant l’hiver. Dans le cas contraire, il
s’agit pour le mâle d’attirer une ou plusieurs femelles dans le voisinage. Pour
former un couple, le mâle a besoin d’un territoire qu’il va défendre contre les
30 Mille milliards de pattes

autres mâles. Suivant le nombre d’individus, le territoire défendu peut être


limité à 2000 ou 3000  m2. Par son chant, le propriétaire marque les limites
territoriales, évitant la bagarre, mais il peut arriver que deux rivaux se pour-
suivent en courant ou en volant et en se donnant quelques méchant coups de
becs. Lorsqu’une femelle arrive, elle est prise pour concurrent, et ce n’est que
par sa non-combativité que le mâle réalise que ce n’est pas un adversaire. A
partir de là, il se met à parader en hérissant légèrement les plumes de la tête,
ouvre le bec tendu en avant, gonfle les plumes du dos et du ventre. Les jeunes
et la femelle se distingue nettement du mâle adulte par leur plumage brun. De
plus, ce dernier possède un bec jaune à orangé bien visible.
Mâle et femelle prennent tous deux part au choix de l’emplacement. Cette
recherche peut durer plusieurs jours, jusqu’à ce que la femelle se décide pour
un emplacement favorable. La construction du nid dure de deux à cinq jours.
La femelle pond de trois à cinq œufs, bleu-vert clair avec des taches et des traits
rougeâtres. La femelle couve ses œufs pendant quinze jours sans la participation
du mâle, mais il interviendra dès l’apparition des petits pour le nourrissage.
Principalement insectivore, le merle noir donne la chasse à nombre d’in-
sectes volant ou non, à leurs larves et captures aussi des mollusques et des
vers de terre, qu’il cherche sur les pelouses en ville. Cela ne l’empêche pas de
consommer aussi toutes sortes de fruits et de baies, variant ses menus selon la
saison et selon son humeur.

Mouche des greniers: invasion saisonnière

Vous avez sans doute déjà été frappé par des agglomérations de mouches sur
les façades de certaines maisons, ou endormies sur le sol dans votre grenier.
Pas de panique, il ne s’agit que de la mouche des greniers. Le nom de cluster
flies, donné par les anglophones, est bien représentatif du comportement par-
ticulier de cette espèce qui, en fin de saison, se regroupe par centaines, voire
par milliers pour passer la mauvaise saison.
Les espèces invasives 31

Cette mouche appartient aux calliphoridés, une famille proche de celle qui
comprend la mouche domestique. En fait, les adultes ressemblent à la mouche
domestique à quelques différences près, notamment le fait qu’au repos les ailes
se croisent sur l’abdomen comme une paire de ciseaux, ce que ne font pas les
mouches domestiques. De plus, si vous prenez le soin de les regarder de côté,
vous verrez qu’elles ont des poils blonds ou très clairs sur le thorax.

Après l’hibernation, les femelles ressortent de leur grenier pour aller


pondre dans les interstices du sol. Trois semaines après, une petite larve sort de
l’œuf et se met en route dans la terre à la recherche de vers. Les larves sont en
fait des parasites des vers de terre. Dès qu’une victime est découverte, la larve
perfore la peau du ver de terre, puis s’installe à l’intérieur pour commencer
un repas de longue durée. Ce repas dure entre 13 et 22 jours, permettant à la
larve de muer plusieurs fois avant de quitter son hôte pour se nymphoser. Le
cycle complet dure de 27 à 39 jours. Les adultes sortent ensuite de la terre et se
nourrissent de nectar de fleurs, puis se reproduisent. Il y a en moyenne quatre
générations par année.
A partir de la fin de l’été et principalement en automne, lorsque la durée du
jour diminue fortement, les mouches adultes cherchent un lieu pour hiberner.
C’est à ce moment que leur comportement change et que l’on peut apercevoir
ces fameux rassemblements sur les façades. Il faut préciser que ce sont avant
tout les façades orientées au sud ou au sud-est et de couleur claire qui attirent
la mouche des greniers. Visibles au cours de la matinée et jusqu’au début de
l’après-midi, elles se déplacent alors lentement dès que la température chute
pour trouver une fissure ou un passage pour rentrer à l’intérieur. Evidem-
ment, si la température à l’intérieur du bâtiment est suffisamment élevée, les
mouches resteront actives et mourront en grand nombre. Sinon elles s’endor-
miront pour se réveiller au printemps.
Rassurez-vous, elles quittent le grenier dès que possible et ne se reprodui-
sent pas à l’intérieur ; de plus, elles ne causent aucun dommage, si ce n’est celui
de vous importuner par leur présence en nombre, je l’avoue, parfois impres-
sionnant. Aujourd’hui, cette espèce se rencontre à travers toute l’Europe et
même jusqu’au Japon ainsi qu’en Amérique du Nord, et tout récemment elle
est arrivée ou a été introduite accidentellement en Nouvelle-Zélande.
32 Mille milliards de pattes

Moule : drôle d’espèce

Arrêtons-nous quelques instants sur un petit mollusque bivalve asiatique


appelé le Corbicula fluminalis qui a été découvert dans le lac de Neuchâtel,
mais qui est présent également dans le Léman. Il s’agit d’une moule, dont
les espèces appartenant à ce genre sont largement réparties en Afrique, en
Asie et en Australie. Deux espèces ont été récemment identifiées dans le
réseau hydrographique européen : Corbicula fluminea et justement Corbicula
fluminalis, notamment au Portugal, en Espagne, en Allemagne, en Hollande,
au Luxembourg et en Suisse. Mais ces deux espèces sont déjà signalées depuis
plus de 100 ans aux Etats-Unis.

La coquille, de couleur brune luisante est plus ou moins sphérique et la


taille maximale est de l’ordre de 40 mm. L’une des caractéristiques est la face
interne violacée. On remarque facilement les stries de croissance rappelant
celles d’un coquillage marin. Enfin, dernière caractéristique importante, la
présence de trois dents cardinales sur chaque valve.
Les Corbicula sont capables de constituer des populations très denses. Ils
ont d’ailleurs déjà causé de nombreux dégâts aux utilisateurs d’eau aux Etats-
Unis et dans le sud-ouest de la France où ils arrivent à colmater les réseaux.
Ces deux espèces apprécient aussi bien l’eau douce que l’eau saumâtre, et
vivent dans les sédiments De plus, elles supportent aussi bien des eaux fraîches
que des eaux tempérées. Il s’agit d’espèces ovovivipares et hermaphrodites. 
Les œufs sont produits et fécondés à l’intérieur du bivalve, ce qui assure une
certaine réussite dans la production de descendants. Puis les larves sont ensuite
relâchées en nombre dans l’eau. En principe elles sont emportées par le cou-
rant, mais les contre-courants de rives peuvent permettre à quelques larves de
ce petit mollusque de remonter le cours sur une distance de quelques dizaines
de mètres. L’espèce apprécie aussi les grands bassins d’eau calme. Ainsi on
la retrouve dans les circuits de centrales thermiques d’électricité en France.
Dans ce pays, il semble que les deux espèces se rencontrent aujourd’hui sur
tout le réseau hydrographique et leurs effectifs sont en constante augmen-
tation. Les densités peuvent aller de 80 à 100 individus/m2 comme observés
Les espèces invasives 33

sur le cours moyen de la Seine à Melun sur plusieurs centaines de mètres. Le


problème majeur avec ces espèces est qu’elles entrent en compétition avec la
faune autochtone et peuvent éliminer à moyen terme certaines espèces. Pour
la petite histoire en France, cette moule est consommée dans certaines régions
par une autre espèce introduite, le rat musqué !

Nouvelle-Zélande : la lutte contre les espèces étrangères

L’une des problématiques mondiale est la lutte contre les espèces introduites
volontairement ou pas dans des régions, des pays, voire des continents. Pensez
seulement à la fourmi de feu qui a été introduite dans le sud des Etats-Unis il
y a moins d’un siècle et qui couvre aujourd’hui une surface atteignant 20 fois
la superficie de la Suisse !
C’est très inquiétant, d’autant plus que les efforts entrepris pour lut-
ter contre cette espèce ont coûté des millions et des millions de dollars avec
presque aucun résultat. Or depuis quelques décennies les scientifiques com-
mencent à s’intéresser de plus près à ce problème.
Un exemple intéressant concerne la Nouvelle-Zélande. Ce pays qui compte
1% des espèces animales du globe pour une surface de terre émergées de 0,17%
seulement est caractérisé par la forte originalité de sa faune. Ainsi l’absence de
mammifères terrestres (excepté deux espèces de chauves-souris) a permis aux
oiseaux d’occuper des milieux très différents et d’acquérir des particularités
originales. Ainsi par exemple certaines espèces ont perdu l’aptitude au vol ou
d’autres ont atteint des tailles considérables.
Malheureusement l’introduction de mammifères prédateurs dans un
milieu qui n’en a jamais connu peut avoir de fâcheuses conséquences. En effet
les espèces perdent rapidement la capacité de fuir devant un prédateur. Ainsi
par exemple le chat, qui a été introduit à partir des années 1830 sur de nom-
breuses îles, a contribué à la disparition de plusieurs espèces d’oiseaux et de
lézards. En 1894, on signalait l’extinction d’un petit roitelet endémique de l’île
de Stephen. Le rat noir introduit lui aussi depuis quelques siècles a provoqué
de gros dégâts sur l’avifaune. Or parfois ces processus peuvent se dérouler très
rapidement. En 1962, deux ans seulement après son introduction sur l’île de
Cap Sud, il faisait disparaître trois espèces d’oiseaux.
Mais il peut y avoir d’autres problèmes même avec des espèces qui ne sont
pas prédatrices. Toujours en 1830, le lapin de garenne fut introduit comme
gibier. Une cinquantaine d’années plus tard, il proliférait tellement qu’il entra
en compétition avec le mouton. Donc pour lutter contre le lapin on introdui-
sit des furets et aujourd’hui la plus grande population mondiale de furets se
trouve en Nouvelle-Zélande. Ces prédateurs après avoir eu une indigestion de
34 Mille milliards de pattes

lapins se tournèrent vers les kiwis participant à leur rapide raréfaction. L’in-
troduction de cette espèce dans l’île du Nord constitue la première menace à
l’égard du kiwi puisqu’elle prélève jusqu’à 60% des poussins.

Organismes marins : bonne nouvelle pour la pollution  


des eaux et la coque des bateaux !
Les invasions d’espèces exotiques figurent parmi les causes les plus impor-
tantes de diminution de la biodiversité sur notre planète. Or, de nombreuses
espèces invasives sont transportées par mer et le plus souvent sans qu’on le
sache. D’une part, les eaux de ballast, pompées à un endroit et relâchées à
des milliers de kilomètres ont amené quantités d’espèces hors de leurs aires
de répartition naturelle, provoquant des graves problèmes. D’autre part, les
coques de bateaux transportent de nombreux invertébrés marins directement
fixés. Or pour empêcher l’attachement d’organismes, on utilise des peintures
biocides assez toxiques (antifouling) à base de composés cuivrés ou de syn-
thèse. Leur nocivité pour l’environnement et même pour la santé humaine est
clairement démontrée.
La présence d’organismes fixés (biosalissures) à la coque d’un bateau peut
ralentir sa vitesse et augmenter sa consommation d’énergie. Avec ces orga-
nismes fixés, la consommation augmente de 20% et jusqu’à 50 ou 90% si le
phénomène est plus avancé. On a donc cherché des solutions pour éviter cette
surconsommation. L’une des techniques actuellement proposée est d’utiliser
un revêtement composé de polymères de silicone ou de fluor qui rend la sur-
face glissante, ce qui limite fortement l’accrochage des organismes. Malheu-
reusement, les longues périodes d’amarrage ou lorsque le bateau se déplace
lentement favorisent la colonisation de la coque avec ce type de protection. 
Ce sont des chercheurs d’une organisation australienne (DSTO, soit Defense
Science and Technology Organisation) qui ont développé une méthode phy-
sique, garantie sans effet toxique. Cette méthode est basée sur la création de
bulles d’air sur la surface à protéger. Pour produire des bulles d’air, il faut sim-
plement de petits appareils résistants, et de surcroît en silicone, avec un flux de
3 à 8 litres par minute et par mètre de carène. Une pompe à air commerciale
fournit l’air nécessaire à la création de ces bulles. L’appareillage a été expéri-
menté en laboratoire, puis en situation réelle. Ces expériences ont montré que
les surfaces revêtues de peinture à base de silicone traitées n’étaient que peu
colonisées et par des organismes de moindre importance. A première vue, on
possède donc une technique capable de limiter la pollution des eaux (lacs,
mers et océans) et aussi, à terme, de réaliser des économies de carburant de
l’ordre de 20 à 30%. Donc il ne faut plus hésiter !
Les espèces invasives 35

Pélopée

Le pélopée, Sceliphron curvatum, est présent en Asie (Népal, Pakistan, Tadjikis-


tan, Chine). C’est en 1979 qu’un scientifique signale la présence de cet hymé-
noptère sphécidé dans le Steiermark autrichien. Pendant plusieurs années,
l’espèce reste tranquille avant de poursuivre son invasion de l’Autriche. Quand
on parle d’invasion, il ne s’agit pas de milliers d’insectes, mais seulement de
quelques exemplaires ayant eu la chance d’être observés par des entomolo-
gistes attentifs capables de distinguer cette espèce. Par la suite, notre pélopée
colonise petit à petit le sud des Alpes notamment l’Italie du Nord où elle est
signalée dès 1995 et atteint Rome en 1998, mais curieusement est récoltée
en 1996 en Sardaigne. La région de Turin est atteinte en 1997. A partir de ce
moment, l’espèce se lance aussi plus à l’est et gagne la Slovénie et la Croatie.
Il faut bien se rendre compte que pour repérer une nouvelle espèce d’insecte
cela demande plusieurs qualités et un brin de chance. Mis à part quelques
spécialistes qui peuvent identifier les pélopées en vol, pour une majorité il est
indispensable de capturer le spécimen et de l’identifier. Donc la chance d’être
démasqué par un entomologiste non-spécialiste demeure tout de même assez
faible et les spécialistes des pélopées ne courent pas les rues…

En ce qui concerne la Suisse, c’est en 1999 que le directeur du Centre suisse


de cartographie de la faune à Neuchâtel, Yves Gonseth, reçoit d’un corres-
pondant (Paul Imbeck) domicilié à Liestal un spécimen qui s’avère être une
femelle de Sceliphron curvatum. C’est durant l’hiver 1998-1999 que M. Imbeck
découvre 11 petites urnes en mortier dans le coin supérieur de l’armoire de
sa cuisine. Fait intéressant, l’année suivante Yves Gonseth se rend en vacances
en France dans le Gard et rendu attentif par la découverte de cette espèce en
Suisse, il observe et récolte plusieurs spécimens également nouveaux pour la
France. Mais il est bien surpris de constater en rentrant à Neuchâtel qu’il avait
déjà récolté un spécimen deux ans auparavant qui attendait sagement d’être
identifié et épinglé dans un cadre entomologique. Au cours de l’année 2000,
notre pélopée sera découverte dans le val Maggia au Tessin. Il ne s’agit évidem-
ment que d’observations ponctuelles, mais c’est lors de l’été 2003, bien parti-
culier du point de vue des températures, que les scéliphrons vont apparaître en
nombre chez nous. De nombreuses personnes se sont manifestées pour savoir
36 Mille milliards de pattes

qui est responsable de la construction de ces urnes de mortier sur les rideaux,
dans la pharmacie en bois du grand-père ou encore sous le capot de la voiture.
L’arrivée d’une espèce « exotique » pose alors un certain nombre de questions,
notamment sur ses potentialités de déplacement : s’agit-il de transport passif
ou l’espèce est-elle capable de déplacements importants ? Va-t-elle éliminer
d’autres espèces ? Tout ceci est à suivre très sérieusement car à l’heure actuelle
nous ne pouvons encore rien dire sur l’impact de cette espèce chez nous.

Perche du Nil

La perche du Nil (Lates niloticus), appelée aussi à tort « capitaine » (nom


réservé aux poissons de la famille des lethrinidés), est un poisson de la famille
des centropomidés qui peut atteindre une taille imposante (jusqu’à 2 m) et un
poids tout aussi conséquent (plus de 200 kg). Il existe 8 espèces différentes du
genre Lates dans les eaux africaines. On leur attribue une origine au niveau des
lacs de la région éthiopienne.

En 1954, les autorités locales déversaient quelques perches du Nil dans


le lac Victoria. Ceci est le début d’une invasion aux conséquences écolo-
giques désastreuses. La faune ichtyologique mobilise l’intérêt des scienti-
fiques depuis qu’ils se sont aperçus que la survie de centaines d’espèces endé-
miques était menacée par les activités humaines comme la pêche excessive,
l’introduction d’espèces ou l’eutrophisation des eaux. Ces lacs hébergent,
en effet, la faune lacustre la plus riche au monde et constituent de véritables
laboratoires naturels pour l’étude de l’évolution et les processus de spécia-
tion qui sont à l’origine de cette grande diversification d’espèces, en parti-
culier chez les cichlidés (Tilapia, Haplochromis). Le lac Victoria en fournit
une bonne illustration. Cette cuvette, grande comme l’Irlande, s’est formée
il y a environ 500 000 ans et des études récentes montrent que le lac se serait
complètement asséché il y a 14 000 ans, ce qui rajeunirait encore l’origine de
sa faune. Il y a 50 ans, avant l’introduction de cette espèce, les cichlidés consti-
tuaient plus de 99% des captures ichtyologiques dans le lac. Il faut savoir que
l’on a recensé quelque 300 espèces de poissons dans ce lac dont 297 sont des
espèces endémiques, c’est-à-dire uniques au monde. A titre de comparaison,
Les espèces invasives 37

les eaux douces d’Europe ne contiennent que 129 espèces ! Alors qu’en 1977
les prise de cichlidés représentaient encore 32% du tonnage pêché contre 1%
pour les perches du Nil, 6 ans plus tard c’est l’inverse soit 68% de perches du
Nil et 1% de cichlidés.
La vitesse d’extinction des espèces est devenue très importante. Plus de
la moitié des espèces endémiques semblent déjà éteintes ou en voie de l’être
(environ 65% des espèces) et beaucoup possèdent des populations si réduites
que leurs chances de se rétablir paraissent très faibles. Ces extinctions massives
sont directement liées à la destruction de l’habitat, à l’introduction de la perche
du Nil, à la pollution agricole, à la croissance démographique et à la surexploi-
tation des stocks. Les chiffres montrent que l’introduction de la perche du Nil,
dans le but d’augmenter les rendements de la pêche, a réduit, en une trentaine
d’années, la population des cichlidés d’un facteur 10 000. Parmi ces proies,
un certain nombre se nourrissait d’algues. En leur absence, les algues mortes
s’accumulent et se décomposent, favorisant la consommation d’oxygène et
raréfiant son taux dans le milieu. Ainsi, quelques parties du lac sont devenues
quasi mortes biologiquement à certaines époques. Aujourd’hui, la surpêche
menace l’espèce et pour le lac Victoria, on a passé de 654 000 tonnes en 2006
à 310 000 en 2010 !

Petit coléoptère des ruches

Les abeilles domestiques n’ont pas vraiment de chance, après le varroa, petit
acarien arrivé en Suisse dans les années 1980, c’est un nouvel envahisseur qui
pointe le bout de ses mandibules. Aethina tumida est un petit coléoptère de la
famille des nitidulidés qui mesure de 5 à 7 mm. Originaire d’Afrique du Sud,
on lui a donné le nom de petit coléoptère des ruches (small hive beetle) pour
le distinguer du grand coléoptère des ruches (Hyplostoma fuligineus), aussi
originaire d’Afrique du Sud. Ces deux espèces se rencontrent dans les colonies
d’abeilles et ne semblent pas poser trop de problèmes en Afrique du Sud où
les abeilles ont développé des comportements de défense. L’une des techniques
consiste à envelopper l’envahisseur dans de la propolis (résine récoltée par les
abeilles) et à éliminer les œufs et les larves rapidement. Or si les abeilles afri-
caines ont développé ces comportements de défense, les abeilles européennes
sont sans défenses face à ce petit ravageur.
Les femelles s’introduisent dans la ruche et recherchent des fissures pour y
déposer leurs œufs. Ces derniers sont blancs et mesurent environ 1,4 mm de
long et 0,26 mm de large. Deux ou trois jours après, les œufs éclosent et les
petites larves se déplacent à travers les rayons en perçant les alvéoles de cire
pour se nourrir de leur contenu. Les larves mangent tout, à savoir : pollen,
38 Mille milliards de pattes

miel, œufs et larves d’abeilles. Le résultat est rapidement assez dramatique, car
lors de ses déplacements, les trous causés dans la cire laissent le miel s’échap-
per. Ce dernier coule et fermente, s’il n’est pas encore à maturité. Au bout
de 21 à 28 jours, les larves du coléoptère, qui se sont rassasiées, quittent la
ruche pour aller s’enfouir dans la terre et se nymphoser. Les nouveaux adultes
qui sortent de terre peuvent voler et sont capables d’aller infester des ruches
situées à plusieurs kilomètres de leur lieu d’émergence.
Ce petit coléoptère semble se répandre rapidement depuis quelques années
en Amérique du Nord, en Australie, en Egypte. Originaire des régions tropi-
cales et subtropicales situées au sud du Sahara, il a été identifié et décrit en
1867. Ce n’est que depuis 1940 qu’il est connu comme parasite des abeilles.
Les Etats-Unis auraient été colonisés par un essaim d’abeilles présent sur un
bateau en provenance d’Afrique du Sud ! Ainsi en quelques années la côte est
des Etats-Unis a été envahie. Pour l’Australie, c’est en novembre 2002 qu’il a
été signalé aux environs de Sydney. Puis, profitant semble-t-il d’un transport
de matériel apicole, il s’est déplacé dans le Queensland. En 2004, le petit colé-
optère des ruches a atteint l’Europe au Portugal. Nous ne sommes donc pas
à l’abri d’une invasion discrète, car des abeilles sont parfois introduites dans
notre pays sans autorisation d’importation !

Pigeons : comment ils envahirent les cités

Tous les pigeons des villes descendent du pigeon bizet, qui se rencontre encore
dans les falaises de Bretagne, de Grande-Bretagne et des côtes méditerra-
néennes, mais pas en Suisse. Si la couleur de base du bizet est un mélange de
noir et de brun-roux, la majorité des pigeons des villes ne diffère pas tellement
de ce type de base. Mais comment s’est-il urbanisé ?
On admet aujourd’hui que la domestication du pigeon remonte à l’Anti-
quité. Ainsi en Mésopotamie, il y a quelques 5000 ans, on capturait des tour-
terelles des bois pendant leur migration. Les Egyptiens, de leur côté, aimaient
les gaver de grains avant de les manger. Quant aux Grecs, il y a 4000 ans, ils éle-
vaient probablement des pigeons pour se procurer de la viande et de l’engrais.
Les espèces invasives 39

Parce qu’il faut savoir que les fientes de pigeons contiennent 30 % de matière
organique, 5 % d’azote et 5 % de phosphate et de potassium. Si l’on sait qu’un
couple peut produire quelques 5 kg de fientes séchées par année, vous voyez 
de quelle manière on pouvait aider l’agriculture…

Ce sont les Romains qui par la suite, se mirent à perfectionner l’élevage à


tel point que la production de viande de pigeons devint une véritable indus-
trie. Ils construisirent d’immenses pigeonniers et grâce à un système révolu-
tionnaire à cette époque – les volatiles recevaient de la nourriture et de l’eau
par un système de tuyaux – un couple de pigeons produisaient plus d’une
trentaine de descendants au cours de l’année. C’est grâce aux Romains et sur-
tout à leur esprit de conquête que les pigeons parvinrent au nord des Alpes.
Même si l’empire romain a fortement décliné depuis, les pigeons sont restés.
Parallèlement à ces aspects gastronomiques, les Romains utilisaient égale-
ment, il y a plus de 2000 ans, les pigeons voyageurs. A cette époque déjà, on
distinguait trois types de courriers : le C, représenté par le messager à pied
(10-12  km/h), le B, soit le messager à cheval (25-40  km/h) et finalement le
A, grâce aux pigeons qui atteignaient une moyenne de l’ordre de 60  km/h.
Evidemment, les distances parcourues demeuraient assez modestes (quelques
dizaines de kilomètres), alors qu’aujourd’hui les pigeons voyageurs peuvent
facilement parcourir plus de 1000 km par jour à une vitesse de croisière
moyenne de 70 km/h !
Il est clair également que certains problèmes se posent dans les villes. Si la
place Saint-Marc de Venise n’avait pas de pigeons, elle ne serait plus la place
Saint-Marc, et pourtant… Le nourrissage des pigeons favorise des effectifs
élevés, ce qui, finalement se retourne contre eux. En effet, l’augmentation
des populations favorise la propagation de maladies, dont certaines peuvent
être transmises aux animaux domestiques. Ne parlons pas des déjections, qui 
causent de nombreux problèmes aux habitations et notamment aux anciens
bâtiments et monuments historiques, dont les frais d’entretien sont supportés
par la communauté.
40 Mille milliards de pattes

Punaise américaine

La globalisation, l’augmentation du trafic des personnes et des marchandises


permettent, n’en déplaise à certains politiciens, à certaines espèces étrangères
de coloniser d’autres pays, voire d’autres continents. C’est le cas d’une punaise
récemment arrivée en Suisse et dont un exemplaire provenant du Valais
(Sierre) a atterri au Musée cantonal de zoologie de Lausanne.

Cette punaise, dont la taille des adultes varie entre 16 et 20 mm, appartient
à la famille des coréidés. Elle a été décrite en 1910 de spécimens récoltés en
Californie. Jusqu’en 1969, elle est restée sagement confinée dans l’Ouest amé-
ricain, puis à partir des années 1970, on la rencontre dans l’état du Wisconsin
et dans l’Illinois. Elle a poursuivi sa progression pour arriver dans l’état de
New-York en 1990 et en Pennsylvanie en 1992. Il faudra attendre alors 1999
pour que les premiers spécimens traversant l’Atlantique se retrouvent en 
Italie, soit en Lombardie et Vénétie. La récolte d’individus mâles, femelles ainsi
que de larves indique que des populations permanentes se sont installées dans
ces régions. Depuis l’Italie du Nord, la Suisse ne se trouve qu’à un saut de puce
et récemment des individus ont été trouvés dans le canton du Valais. Personne
n’est capable d’expliquer ces déplacements autrement que par le commerce et
le transport de marchandises ou de végétaux. Cette punaise répond au doux
nom anglais de western conifer bug ou en latin de Leptoglossus occidentalis.
Il s’agit d’une punaise liée aux conifères. D’une couleur générale brune,
on peut remarquer deux V inversés blancs sur les ailes antérieures. La face
dorsale de l’abdomen est jaune ou légèrement orange avec cinq bandes trans-
versales foncées. Aux Etats-Unis, cette espèce n’a qu’une seule génération par
année. Au printemps, les adultes se déplacent sur des pins ou d’autres coni-
fères. Ils se nourrissent des graines et des structures florales. Puis la femelle
dépose une bande d’œufs sur les aiguilles de l’arbre. Les œufs éclosent au bout
de 10 jours et les jeunes larves commencent à se nourrir au niveau des cônes
ou des aiguilles. Après 5 stades larvaires, de nouveaux adultes apparaissent à
l’automne. C’est aussi à ce moment que se manifeste un comportement qui a
Les espèces invasives 41

alerté les personnes vivant à proximité de cette espèce dans les zones conquises
notamment à l’est des Etats-Unis. Les adultes se rassemblent parfois en grande
masse et pénètrent dans les habitations pour passer l’hiver dans un endroit
sec. Il est assez gênant de partager son logis avec des insectes que l’on n’a pas
forcément invités.
Actuellement cette espèce n’est pas considérée comme une espèce nuisible
et l’on n’a pas développé d’insecticide spécifique. En revanche il suffit de les
empêcher d’entrer dans les habitations en fermant les fenêtres surtout lorsque
les soirées deviennent plus fraîches et que les adultes se rassemblent pour
chercher un lieu où passer l’hiver.

Punaises : attention une punaise diabolique  


arrive en Suisse !
Les noms vernaculaires des espèces animales, notamment des insectes, sont
parfois très imagés. Pensez à la fourmi de feu (Solenopsis invicta) dont la
piqûre est effectivement très douloureuse, mais que dire de la pyrale glauque
(Orthopygia glaucinalis) dont la chenille vit dans une toile soyeuse parmi les
graminées sèches. Il est parfois indispensable de retourner à la description ori-
ginale pour connaître l’histoire du choix du nom latin, puis ce qui arrive par-
fois, est que les noms vernaculaires dérivent ou ne dérivent pas vraiment du
nom latin. C’est le cas de la punaise diabolique (Halyomorpha halys), décou-
verte en 2007 pour la première fois en Suisse. Ce sont des scientifiques de
l’Institut fédéral du WSL (Institut de recherches sur la forêt, neige et paysage à
Birmensdorf) qui ont trouvé cet insecte jusqu’alors inconnu en Europe. Ori-
ginaire d’Extrême-Orient (Japon, Chine, Corée et Taiwan), il s’attaque sur-
tout aux arbustes d’ornements mais hélas aussi aux arbres fruitiers. Dans son
aire de répartition originelle, il provoque des dommages considérables aux
cultures de soja et aux cultures fruitières. Mais cette punaise ne dédaigne pas
l’arbre aux papillons (Buddleias), le buisson ardent (Pyracantha) ou encore
les chèvrefeuilles. Elle pourrait aussi se contenter de feuillus sauvages comme
les saules, les érables et même certains conifères. Pour l’instant cette espèce
semble cantonnée à la région zurichoise, mais pour combien de temps ?
Les Etats-Unis ont été touchés dès 2001. Les premiers insectes ont été trou-
vés en Pennsylvanie, et depuis plusieurs autres états ainsi que le Canada ont
été touchés.
Sous nos latitudes, il n’ y aurait qu’une seule et unique génération par
année. La femelle dépose en été au maximum 150 œufs, groupés par paquets
de 20, sur la face inférieure des feuilles. Après éclosion, les larves se dévelop-
pent et atteignent le stade adulte juste avant l’hiver. C’est sous cette forme
42 Mille milliards de pattes

qu’elles vont se regrouper dans les habitations pour passer l’hiver. C’est ainsi
que nous aurons certainement l’occasion de les découvrir. Cette punaise, de
12 à 17 mm de long, possède une couleur de fond allant du brun jaunâtre au
gris, mais l’un des critères est la présence de bandes claires sur les antennes.
Arrivée chez nous avec l’importation de plantes ornementales exotiques,
cette punaise diabolique ne fait qu’illustrer l’intensification des échanges
commerciaux globaux et surtout les moyens dérisoires que l’on met pour
le contrôle de ces échanges. Cette globalisation favorise une expansion non
contrôlée de nombreuses espèces devenant invasives et parfois dangereuses
lorsqu’elles s’installent chez nous (moustique-tigre, moustique japonais, berce
du Caucase). L’autre point étant que venant d’un climat comparable au notre,
leur survie est quasi assurée.

Raton laveur

Les ratons laveurs font partie d’une famille de petits carnivores du Nouveau-
Monde. A l’origine, ils habitent l’Amérique du Nord, du sud-est du Canada
jusqu’à l’isthme de Panama. De la taille d’un renard, le raton laveur circule
au sol, la tête basse, le dos voûté, la queue pendante. La longueur du corps est
de 40 à 70 cm, avec une queue de 25 à 40 cm. Il a une tête arrondie, museau
pointu. Il se reconnaît aisément à son masque noir, à ses oreilles bordées de
blanc et à sa queue grise annelée de noir. Les membres sont fins et ont cinq
doigts munis de griffes, les mains possèdent des doigts très écartés, qu’ils utili-
sent avec une grande dextérité.
Le raton laveur est le principal fournisseur de fourrure en Amérique du
Nord, depuis David Crockett. L’espèce n’est pas en voie de disparition puisque
chaque année plus de 4 millions de ratons laveurs sont chassés. Il s’est éta-
bli accidentellement en Europe Centrale en s’échappant d’élevage à la fin de
la Seconde Guerre mondiale. De plus, deux couples ont été lâchés dans les
années 1930 sur l’Edersee (Hesse, Allemagne). Depuis, le raton laveur a colo-
Les espèces invasives 43

nisé de nouvelles régions, puisqu’on le rencontre maintenant en Hollande,


au Luxembourg, en France, en Autriche et même en Suisse. Les premières
indications de sa présence en Suisse sont précises, elles datent de 1976 au sud
du canton de Berne (Wynigen et Auswill). Depuis, sa présence a été confir-
mée dans de nombreux cantons de plateaux alémaniques. Comme c’est un
phénomène récent, tout laisse à penser qu’il pourra continuer sa progression
le long du Jura jusqu’à Genève et même remonter la vallée du Rhône. Il est
attiré par les terres cultivées et la civilisation. Il pénètre jusqu’en bordure des
villes et des villages où il cherche sa nourriture dans les jardins, parcs, cam-
pings, décharges publiques. Il peut même s’installer dans des remises ou des 
granges.

Le raton laveur est principalement nocturne et tant qu’il ne gèle pas il


demeure actif. Par mauvais temps, il peut rester de une à quatre semaines
dans un abri terrestre sans sortir. Il est très opportuniste et adapte son ali-
mentation aux variations saisonnières. Grosso modo, son régime alimentaire
se compose pour un tiers de substances végétales (fruits, glands, céréales), un
tiers d’invertébrés terrestres (vers de terre et insectes) et un tiers de vertébrés
(micromammifères, oiseaux et leurs œufs, poissons). Le raton laveur est-il
vraiment laveur ? Il faut savoir que nom anglais racoon dérive de l’algonquin
aroughcoon, qui signifie « gratter avec les mains ». Cela signifie qu’il mani-
pule sa nourriture entre les doigts des pattes antérieures avant de manger, ce
qui lui permet d’éliminer les éléments non comestibles. Ce comportement
permet de laver sa nourriture. Cependant, ce n’est qu’en captivité que l’on
observe le véritable comportement de laver la nourriture en la trempant dans 
l’eau.
44 Mille milliards de pattes

Renouée du japon

Les plantes invasives sont parfois détestables parce que certaines peuvent être
très allergènes (ambroisie ou berce du Caucase) tandis que d’autres peu hos-
tiles, se développent un peu partout. C’est le cas de la renouée du Japon. Cette
espèce fait partie des 100 espèces exotiques envahissantes les plus nuisibles
selon une liste établie par l’UICN (Union internationale pour la conservation
de la nature).
En Suisse, on la rencontre un peu partout. Lorsque les populations sont
denses, ces plantes favorisent l’érosion des berges des cours d’eau, car les
tiges aériennes meurent en hiver, laissant le sol nu exposé. Mais, en été, leur
feuillage dense apporte de l’ombre et empêche les espèces de la flore indigène
de se développer. A première vue il semble difficile de pouvoir lutter contre
cette espèce.

Cependant, une espèce d’insecte semble avoir passé la majeure partie des
tests avec satisfaction et pourrait devenir l’ennemi numéro un de la renouée
du Japon. Il s’agit d’un psylle de la famille des aphalaridés. Les psylles appar-
tiennent à l’ordre des homoptères dans lequel on trouve notamment les
cigales. Les psylles sont de minuscules insectes (généralement 2 à 3 mm), res-
semblant à des cigales miniatures. Ils sont nombreux et se trouvent surtout
sur la végétation. De nombreuses espèces sont inféodées à une seule espèce
végétale et beaucoup provoquent l’apparition de galles. S’ils ne sont pas de très
bons voiliers, en revanche, ils sautent assez bien.
Aphalara itadori viendra-t-il à bout d’une des pires plantes envahissantes
en Europe comme la renouée du Japon ? Ce psylle japonais est le meilleur
candidat à la fonction d’auxiliaire de lutte biologique contre la renouée du
Japon malencontreusement introduite en 1840 en Europe pour ses qualités
mellifères (en automne), fourragères, décoratives, de fixation des sols… et qui
Les espèces invasives 45

bouche les cours d’eau, les chemins et les voies de chemin de fer ! Actuellement
en examen au Royaume-Uni, A. itadori supporte bien l’élevage en cage et se
prête à des études poussées. Strictement monophage, il ne se développe que
sur les renouées exotiques (3 espèces en Suisse). On lui a proposé 90 autres
plantes  – qu’il a dédaignées  – et surveillé le devenir de 145 000 œufs dont
0,6% seulement ont été pondus ailleurs sur d’autres plantes  – sans y don-
ner naissance à la moindre descendance. Il reste un petit doute à lever : au
Japon, l’espèce passe l’hiver sur divers ligneux. Mais il est tout à fait impro-
bable qu’en Europe, ceci se traduise par des dégâts directs ou la transmission 
de virus.

Tordeuse grise : retour en Engadine

Tous les 8 à 9 ans, la tordeuse grise du mélèze, un petit papillon, fait une appa-
rition explosive dans les hautes vallées alpines situées à une altitude supérieure
à 1200 m et où l’on rencontre des mélèzes. Les dégâts se manifestent par un
brunissement plus ou moins accentué des arbres.
Le cycle de cette espèce est univoltin (une seule génération par année) mais
il varie en fonction de l’altitude. En Engadine, vers 1800 m, les adultes volent
au crépuscule de mi-juillet à mi-septembre. Chaque femelle pond environ 150
œufs par petits paquets qu’elle place à l’abri d’un lichen qui pousse sur les
branches. Après une semaine d’incubation (température idéale : 11°C), l’œuf
subit immédiatement un début de développement ; toutefois celui-ci s’inter-
rompt au bout d’une quinzaine de jours pour une diapause obligatoire. L’œuf
passe ensuite toute la fin de l’été, l’automne et l’hiver au repos pour reprendre
son développement au printemps suivant. L’éclosion des chenilles coïncide
avec le débourrement du mélèze. Les jeunes chenilles gagnent l’extrémité du
bourgeon et y pénètrent en s’insinuant entre les aiguilles qu’elles rassemblent
avec un fil de soie avant de les dévorer. Pour que la chenille se développe, il
faut une très grande synchronisation entre la phénologie du mélèze et celle
du papillon.
46 Mille milliards de pattes

Les chenilles sont des consommatrices gaspilleuses. Les parties non dévo-
rées et rassemblées par les toiles confèrent au mélèze cet aspect brunâtre si
caractéristique. Il peut arriver que les chenilles aient tout dévoré et épuisé
l’arbre avant que leur développement ne soit terminé. Il peut y avoir jusqu’à
2 millions de chenilles sur un seul arbre ! Elles vont se mettre, dans ce cas, à la
recherche de nourriture et cheminer en masse sur les branches et les troncs. Il
arrive même qu’elles se laissent tomber au sol et se mettent à attaquer la végé-
tation du sous-bois, notamment les rajeunissements de conifères.
A la fin du dernier stade larvaire, la chenille descend sur le sol pour se nym-
phoser. Selon les conditions locales et annuelles, elle achève sa croissance en 39
à 60 jours. Le stade nymphal dure de 25 à 36 jours. L’émergence des papillons a
lieu principalement le matin. Le vol, l’accouplement et la ponte se manifestent
essentiellement au crépuscule et jusqu’à la nuit noire. Et il est intéressant de
noter que ce rythme journalier se maintient en laboratoire sous des condi-
tions de températures constantes et d’éclairement alternatif, mais disparaît en
lumière ou obscurité constantes. Une chute de température entraîne une aug-
mentation de l’activité avant le crépuscule, ce qui permet d’observer un grand
nombre de tordeuses en cours de journée volant autour de la cime des arbres.

Tourterelle : la grande migration de la tourterelle turque

Voici un oiseau qui ne mérite pas son nom. La tourterelle turque devrait plutôt
s’appeler tourterelle indienne, car son aire de répartition d’origine est l’Inde,
où elle occupe l’ensemble de la péninsule. Son nom lui fut attribué à l’époque
où l’Empire ottoman était florissant, car elle était sacrée pour les Turcs. 
Ces derniers l’introduisirent alors dans les pays conquis. A la fin de la Pre-
mière Guerre mondiale, ces mêmes pays (Grèce et Balkans) exterminèrent
l’oiseau sacré du tyran turc. Heureusement, il subsista quelques couples après
le massacre. La tourterelle fut laissée en paix et c’est ainsi qu’elle commença
son extension vers l’ouest et le nord. Elle envahit à nouveau les Balkans au
début des années 1930, puis l’Europe centrale et occidentale assez rapidement.
La Suisse et la France l’accueillirent dès le début des années 1950. Si elle est
toujours présente chez nous aujourd’hui, la tourterelle turque a atteint l’océan
Atlantique et progresse vers le sud. Elle a niché pour la première fois en Corse
en 1975.
Mâles et femelles sont semblables et mesurent environ 27 cm de long. Le
plumage est de teinte générale brune, plus clair en dessous ainsi que sur la tête
et sur le cou. La grande caractéristique de l’oiseau réside dans le demi-collier
noir bordé de blanc, porté derrière le cou et dont les jeunes sont dépourvus.
Les yeux sont rouges vifs.
Les espèces invasives 47

Peu exigeant et opportuniste, ce volatile semble se contenter d’une faible


quantité de nourriture. Il se nourrit principalement de graines, mais aussi de
fruits, de bourgeons ou de verdure. Active la journée et peu farouche, la tour-
terelle se manifeste tôt le matin. Elle se mêle volontiers aux bandes de pigeons.
Lors de la parade nuptiale, le mâle effectue une montée en chandelle accompa-
gnée de claquements d’ailes, suivie d’un vol plané au cours duquel il chante. Le
chant est monotone et à trois syllabes. On ignore la nature de son habitat ori-
ginel, mais on constate que cette espèce est très anthropophile. Inféodée aux
agglomérations, elle niche principalement dans les villes et villages des régions
basses du pays. On peut aussi rencontrer des individus en lisières forestières
ou dans des pépinières proches des villages. Le nid est construit de préférence
sur les arbres des parcs, d’allées ou de jardins. Il peut parfois être érigé en des
lieux insolites comme des enseignes lumineuses, des poteaux électriques ou
même des lignes du bus.
La première mention de l’espèce dans le canton de Vaud date du 26 avril
1955 à Missy. La première nidification certaine est signalée à Yverdon au prin-
temps 1960. Les sites récemment colonisés en Suisse se trouvent dans le Jura
en altitude, ainsi que dans les Alpes, notamment en Haute Engadine où elle
atteint entre 1700 et 1800 m.

Varroa : petit et rusé

Il existe de nombreux acariens parasites des abeilles. On distingue les internes,


comme l’Acarapis woodi, parasites des voies respiratoires et les externes,
comme le Varroa jacobsoni, agent de la varroase. Connu depuis fort longtemps,
ce dernier a provoqué un grand émoi lors de son arrivée sur le continent euro-
48 Mille milliards de pattes

péen, puis en Suisse en 1984 qu’il colonisa en quelques années seulement. En


effet, il survit sur les abeilles domestiques adultes pendant les hivers froids, et
peut donc se répandre dans toutes les régions apicoles du monde ! Ce parasite
a été décrit pour la première fois en 1904, sur l’île de Java, par un dénommé
Oudemans. A cette époque, le petit acarien avait été trouvé sur deux espèces
d’abeilles asiatiques (Apis cerana et Apis dorsata). Il ne causait guère de pro-
blème et les races européennes n’avaient pas encore eu de contacts avec l’Asie.
Mais dès 1958, on note sa présence au Japon, et bientôt il débarque dans nos
contrées.
Le varroa parasite le corps des larves et des ouvrières, reines et mâles
adultes. Il leur suce littéralement le sang après avoir piqué entre les segments
de l’abdomen. Certaines abeilles peuvent porter jusqu’à 10 acariens ! Si une
ruche abrite plus de 10 000 parasites, les colonies d’abeilles faiblissent et meu-
rent. La forte sensibilité des insectes européens est due au fait que le varroa se
reproduit à la fois dans les cellules d’ouvrières et de mâles, tandis que chez sa
consœur asiatique, sa reproduction ne se fait que dans les cellules mâles.

Le varroa est visible à l’œil nu. La femelle est brunâtre et mesure environ
1,3 mm de long pour 1,7 mm de large. Le mâle plutôt jaunâtre n’atteint pas
1 mm. Ce dernier est difficile à observer, car il passe sa vie dans les alvéoles
de cire. Toute la reproduction se passe dans les alvéoles. Les abeilles adultes
ne sont parasitées que par des femelles adultes, qui semblent montrer une
préférence pour les nourrices. Grâce à cela, les femelles du parasite peu-
vent se glisser dans une alvéole juste avant sa fermeture (ou operculation). 
Elles pondent alors cinq ou six œufs dont seul le premier se développe en
mâle. Dès que leur développement est terminé, les jeunes adultes s’accouplent.
Lorsque la jeune abeille émerge, les femelles parasites s’aggripent et quittent la
cellule tandis que le mâle meurt. Grâce aux travaux des chercheurs entrepris
en Suisse depuis l’apparition du varroa, on peut suivre en direct toutes les
phases de la reproduction et du développement du varroa dans les cellules :
les chercheurs remplacent la cire des abeilles par des petits tubes en polystorol
qu’ils placent ensuite dans une ruche infestée. Une fois que la reine abeille a
pondu, les tubes sont ressortis et transférés dans un incubateur. Il suffit ensuite
de suivre ce qui se passe à l’aide d’une caméra vidéo !
Les espèces invasives 49

Xénope lisse

Le xénope lisse est un crapaud originaire d’Afrique, dont l’aire de répartition


s’étend de la zone du Cap aux plateaux du Cameroun et du Nigeria. Cette
espèce est devenue malgré elle une véritable bête de laboratoire. Elle doit ceci
à sa facilité d’élevage. Dès les années 1950, elle a été utilisée à grande échelle
d’une part dans les recherches en biologie du développement et d’autre part
pour réaliser des tests de grossesse. Ce crapaud possède un mode de vie essen-
tiellement aquatique, ne remontant à la surface de l’eau que pour respirer. A
l’inverse de la plupart des autres amphibiens qui nécessitent l’aménagement
d’un aquaterrarium, le xénope se satisfait d’un simple aquarium ou d’un
bac dans lequel il vit en pleine eau. La contenance minimum d’un bac pour
maintenir une quinzaine de femelles doit être de l’ordre de 50 litres d’eau 
seulement.

Les femelles adultes mesurent une dizaine de centimètres du museau à


l’anus. Les mâles sont toujours plus petits que les femelles. Parmi les caracté-
ristiques de ces animaux, on note des pattes postérieures très musculeuses et
garnies d’une large palmure. Cette disposition anatomique en fait d’excellents
et puissants nageurs. De plus, les trois doigts internes des pattes postérieures
portent des griffes cornées. Cette dernière particularité lui a donné le nom de
crapaud à griffe ou dactylère du Cap. On peut le reconnaître facilement grâce
à des petites barres blanches qui ressemblent à des coutures et aussi aux yeux
situés sur le dessus de la tête. Cette dernière caractéristique est due au fait que
cette espèce vit sur le fond, ce qui fait que sa présence est difficile à déceler. Les
têtards sont aussi aisément reconnaissables parce qu’ils possèdent deux bar-
billons comme un poisson et vivent en groupe se reposant en position incli-
née, la tête vers le fond.
Ce sont probablement ces utilisations qui sont à l’origine de son intro-
duction involontaire aux Etats-Unis, au Chili, à Java et au Royaume-Uni et
50 Mille milliards de pattes

très récemment en France. La première mention de cette espèce remonte à


1998 avec la découverte de quelques stations dans le nord du département des
Deux-Sèvres. Il pourrait s’agir d’animaux provenant d’un ancien centre d’éle-
vage destinés aux laboratoires. Un groupe de chercheurs français a été chargé
d’une étude approfondie menée de 2003 à 2005 afin d’identifier les impacts
de cette espèce. Il ressort de cette étude qu’en l’espace de 2 ans la surface cou-
verte par le xénope a passé de 60 km2 pour 81 sites connus dans le nord des
Deux-Sèvres à 127 km2 pour 160 sites occupés. Aujourd’hui cette espèce est
aussi signalée dans le Maine-et-Loire. La vitesse de progression calculée est de
l’ordre de 1km par année dans le réseau hydrographique. De plus, le xénope
lisse est porteur-sain d’un champignon parasite de la famille des chytridiomy-
cètes. Compte tenu de son impact sur les autres espèces qui disparaissent, il est
urgent de mettre en place un programme d’intervention rapide pour enrayer
cette progression, négative pour les espèces locales.
Les espèces menacées
Les espèces menacées 53

Extinctions d’espèces

L’extinction massive des espèces n’est pas véritablement un phénomène nou-


veau. Cependant, fait nouveau aujourd’hui : les extinctions actuelles sont,
malheureusement, en partie dépendantes de l’homme. L’histoire de la vie a été
marquée par cinq crises majeures d’extinction s’échelonnant de 500 millions
d’années (ordovicien) à 5 millions d’années (crétacé). Pour certains cher-
cheurs, la nouvelle et sixième phase d’extinction a été amorcée il y a environ
100 000 ans. Pour preuve, aujourd’hui en moyenne une espèce d’oiseau et une
espèce de mammifère disparaissent chaque année. Comme ces deux groupes
comportent respectivement 10 000 et 5000 espèces, cela reviendrait à dire, en
simplifiant les calculs, que la durée de vie d’une espèce de vertébré serait de
l’ordre de 10 000 ans, alors que l’on sait que la durée de vie d’une espèce fossile
est estimée à plusieurs millions d’années !
Les trois principales menaces pesant sur les espèces sont la destruction et
la dégradation de l’habitat, la pollution, mais aussi, fait nouveau, l’introduc-
tion d’espèces exotiques. Selon certaines estimations, le rythme actuel de des-
truction de la forêt tropicale serait de 0,8 à 2% par année. Cela aurait pour
conséquence un taux d’extinction des espèces de 0,1 à 0,3%, ce qui représente
entre 3 et 5 espèces par heure ! Bien évidemment il s’agit d’estimations liées à
nos connaissances parfois empiriques basées sur la relation entre la surface et
le nombre d’espèces occupant cette surface. Cette règle empirique a toutefois
été vérifiée dans de nombreux cas différents. Et on sait qu’il existe en général
une relation linéaire entre le logarithme du nombre d’espèces et le logarithme
de la surface occupée, de sorte qu’une réduction de la superficie de 90% réduit
la richesse spécifique de 50%. A partir de là, le déclin démographique d’une
espèce peut entraîner plus ou moins rapidement son extinction.
On imagine souvent que les espèces ont un fort pouvoir d’adaptation, or
ce n’est pas le fait de toutes les espèces. De plus, celles qui ont un faible taux
de reproduction (comme les mammifères par exemple) auront plus de peine
à réagir à des modifications profondes de leur environnement. Récemment,
une équipe de chercheurs finlandais a montré que cela pouvait aussi toucher
des insectes. Pendant dix ans, ces chercheurs ont étudié un papillon de jour, le
damier du plantain (Melitaea cinxia). Ils ont étudié ce papillon sur un com-
plexe de plusieurs centaines d’îles du sud-ouest de la Finlande, plus ou moins
isolées les unes des autres et de taille variable. Sur 42 populations, 7 se sont
éteintes entre 1995 et 1996, et l’un des facteurs les plus importants ou pouvant
expliquer au mieux les taux d’extinction de ces populations était le niveau de
la diversité génétique mesuré entre les individus. Evidemment le risque d’ex-
tinction est lié à la taille de la population ; mais il semble que certains effets
aléatoires peuvent avoir parfois des influences tout à fait néfastes.
54 Mille milliards de pattes

Abeilles : leur importance dans un monde troublé

Malgré les menaces qui pèsent sur les abeilles, l’apiculture a un rôle écono-
mique important pour notre pays. Depuis de nombreuses années les abeilles
doivent s’adapter à un monde en évolution constante. Cette évolution, non
seulement des pratiques culturales, mais aussi des traitements pas toujours
innocents, ainsi que l’arrivée de divers parasites comme le varroa font que les
abeilles présentent des réactions parfois très spectaculaires.
C’est notamment ce que les anglophones ont appelé le colony collapse
disorder, où les abeilles quittent les ruches en abandonnant leur descendance.
Ces hécatombes d’abeilles ont débuté aux Etats-Unis, mais se rencontrent à
plus petite échelle en Europe et même en Suisse. De nombreuses hypothèses
ont été formulées, mais il est clair que la dégradation lente et peu perceptible
de notre environnement, liée à l’utilisation de pesticides très controversés,
notamment en France, font que les abeilles, bio-indicatrices de la qualité de
notre environnement, se mettent à présenter des signes de défaillance.
Il s’agit d’ouvrir l’œil, car les abeilles et les apiculteurs ont une grande
importance économique en Suisse. Il s’agit avant tout de la pollinisation des
plantes cultivées et des plantes sauvages. Cette pollinisation par les abeilles
permet, pour un grand nombre de cultures agricoles, d’obtenir des récoltes
plus importantes et de meilleure qualité. Ainsi 80% des fleurs des cultures de
colza, de courges, de concombres, de tournesol et des cultures de semences
sont pollinisées par les abeilles. Cette proportion peut monter à 90% pour les
fruits. En chiffres, si l’on prend l’année 2002 (pour laquelle ces estimations ont
été réalisées), la valeur totale de la récolte des fruits et des baies en Suisse s’est
élevée à 335 millions dont 80%, soit 271 millions de francs sont à mettre au
compte de la pollinisation par les abeilles ! Ces dernières méritent donc effec-
tivement une attention particulière pour que l’on puisse toujours, à l’avenir,
bénéficier de leurs prestations.

Aigrette garzette :  
autrefois massacrée pour l’industrie du chapeau
Les aigrettes sont des échassiers et appartiennent à la famille des ardéidés, dans
laquelle se trouvent aussi les hérons. L’une des caractéristiques principales de
cette famille est de voler avec le cou rentré. Les cigognes, en revanche, sont
aussi des échassiers, mais volent le cou tendu. L’aigrette garzette, appelée aussi
petite aigrette, est un délicat petit héron blanc, autrefois sauvagement mas-
sacré. Il y a un siècle, la finesse incomparable de sa livrée était très appréciée
pour la chapellerie. Pour les exigences de ces dames, on n’hésitait pas à en
Les espèces menacées 55

abattre des quantités incroyables. Il faut dire que ses plumes sont d’une dou-
ceur et d’une blancheur immaculée. On dit même qu’en livrée nuptiale, les
barbes des plumes de son dos sont aussi fines que des cheveux.
Ce petit héron doit son nom aux deux longues plumes de 25 cm environ
qui ornent sa nuque durant la saison des amours. Cet oiseau a une longueur
de 55 à 65 cm pour une envergure de 88 à 106 cm. Son poids ne dépasse pas le
demi-kilo. Pour être sûr de l’identifier, c’est le seul héron de la région paléarc-
tique qui a les pattes noires et les doigts jaunes. En vol, les pattes dépassent
modérément et les ailes semblent à peu près situées au milieu du corps.
L’aigrette possède un bec très effilé, qui lui permet de pêcher de petits
poissons, batraciens, mollusques et autres animaux aquatiques. Pour ce faire,
les aigrettes se tiennent dans les eaux peu profondes, rivières, lagunes ou
lacs marécageux et chassent à la manière des hérons, à l’affût, le bec pointé 
vers le bas et le cou se détendant promptement lorsqu’une proie passe à proxi-
mité.

Dans le sud de la France, les marais d’eau douce permanents constituent


les meilleurs sites. Depuis 1981, 4600 aigrettes ont été marquées individuel-
lement, ce qui a permis de les suivre et de comprendre leurs déplacements.
L’aigrette garzette se reproduit en France, en Espagne et en Italie. En Suisse,
on peut observer des passages au printemps ainsi qu’en automne. Elle habite
56 Mille milliards de pattes

l’Eurasie méridionale et l’Afrique tropicale. En France, elle niche dans le Lan-


guedoc-Roussillon, le Massif central et l’Ain. Commune en Camargue, elle
arrive en avril. Les mâles recherchent les arbres à proximité des marais pour y
construire une plateforme de branchages et de roseaux. La femelle y pond de
trois à cinq œufs. L’incubation est assurée par les deux partenaires et dure un
peu plus de 20 jours. Les petits sont nourris ensuite par régurgitation. Après
trois semaines, ils se mettent à bouger et se déplacent dans les branches. Agés
de cinq semaines, ils vont à la pêche mais rentrent dormir tous les soirs au nid.
La migration automnale a lieu en septembre et une partie de ces populations
gagnent l’Afrique.

Amphibiens

On dénombre plus de 5000 espèces d’amphibiens dans le monde dont seule-


ment 80 se rencontrent en Europe. Les amphibiens sont les tétrapodes les plus
primitifs, mais ce sont eux qui ont réalisé le premier passage complet de la vie
aquatique à la vie terrestre chez les vertébrés. On se bat encore sur l’origine
et l’évolution de ce groupe en raison de sa grande diversité de formes et le
manque de fossiles. Cependant on admet que le plus ancien tétrapode connu
est âgé d’environ 380 millions d’années et se nomme Acanthostega. C’était un
animal avec des pattes à huit doigts en forme de pagaie, quelque chose entre
une salamandre et un crocodile. D’autres éléments montrent que cette espèce
devait encore être aquatique. Un deuxième fossile, plus récent de quelques
20 millions d’années, l’Ischthyostega, découvert au Groenland (qui n’était pas
aussi froid qu’aujourd’hui) était pourvu de membres plus adaptés à la loco-
motion terrestre.
A partir de là, dès l’arrivée sur terre ferme, l’évolution s’accélère et en
quelques millions d’années les amphibiens vont coloniser toutes sortes de
milieux humides (lacs, marécages, marais, fleuves etc.). Malheureusement
cette relative suprématie, qui durera tout de même une dizaine de millions
d’années, va diminuer fortement sous l’effet de la concurrence avec les reptiles.
Cependant on retrouve les amphibiens actuels dans l’ensemble des régions du
globe à l’exception de quelques îles océaniques et évidemment des régions
désertiques.
Aujourd’hui, les amphibiens se composent de trois groupes : les anoures
(grenouilles et crapauds), les urodèles (tritons et salamandres) et les gymno-
phiones (apodes). D’une manière simplifiée, les gymnophiones se rencon-
trent presque exclusivement dans l’hémisphère Sud, alors que les urodèles se
retrouvent dans l’hémisphère Nord à quelques exceptions près et les anoures,
un peu partout.
Les espèces menacées 57

La très grande majorité des grenouilles et crapauds se divise en deux super-


familles : les hyloidea et les ranoidea. On pense que ces deux super-familles
auraient divergé lorsque l’Amérique du Sud se serait séparée de l’Afrique.
Les hyloidea, dont l’origine est peut-être sud-américaine comptent 9
familles dont la plus importante est celle des leptodactylidés avec près de 1000
espèces. En Europe, on rencontre la famille des bufonidés et les hylidés. C’est
ce que l’on peut appeler les crapauds et les rainettes. Les crapauds, avec plus
de 400 espèces ont une distribution cosmopolite et se rencontrent un peu par-
tout à l’exception cependant de l’Australie et de certaines îles comme celle de
Madagascar. Les rainettes, réparties en 4 sous-familles comportent presque 800
espèces, aussi absentes de Madagascar, de l’Afrique subsaharienne et du sud-
est de l’Asie. C’est dans ce groupe que l’on trouve les vraies rainettes (Hyla)
soit environ 300 espèces à découvrir en Amérique, Eurasie et Afrique du Nord.
C’est dans l’une de ces sous-familles que l’on trouve des espèces assez parti-
culières dont les œufs se développent sur le dos ou à l’intérieur d’une poche
incubatrice du dos de la femelle. Parfois le développement ne passe même plus
par le stade de têtard et on assiste à l’éclosion d’une microrainette.
Il y a une famille qui regroupe quasiment toutes les espèces, celle des rani-
dés, que l’on appelle grenouilles et comprend quelques 1000 espèces. Dans ce
groupe on trouve une très grande variété de formes et de modes de vie, pas-
sant des eaux stagnantes aux torrents ou encore à des formes arboricoles. C’est
le genre Rana qui est le principal genre en Europe.
Depuis 1988, les scientifiques ont lancé des cris d’alerte signalant des dispa-
ritions accélérées d’amphibiens à la surface de la planète. Suivant Jim Hanken
de Harvard, la situation se détériore encore plus. Un nouveau phénomène a
été mis en évidence. On découvre de plus en plus d’individus malformés. Ainsi
depuis 1996, de tels individus ont été découverts dans 44 états aux Etats-Unis.
Il ne s’agit, hélas, pas d’un individu mais de pourcentages importants dans
les populations pouvant atteindre parfois 60% des individus. Or les amphi-
biens sont non seulement des éléments essentiels des écosystèmes aquatiques
notamment, mais ils sont aussi des bio-indicateurs très sensibles de la qualité
de notre environnement et leur régression devrait être un signal fort pour nos
autorités (ce qu’elles ne semblent vraiment pas comprendre aujourd’hui !).
58 Mille milliards de pattes

Amphibiens : liste rouge suisse

La dernière liste rouge des amphibiens est parue en 2006. Ce document très
intéressant fait le point sur le statut de chacune des espèces présentes en Suisse.
L’ancienne liste rouge des amphibiens remontait à 1994, la nouvelle est basée
sur les nouveaux critères établis par l’UICN (Union internationale pour la
conservation de la nature). Au niveau planétaire, 32% des espèces d’amphi-
biens figurent sur des listes rouges soit bien davantage que chez les oiseaux et
les mammifères. Les amphibiens européens paraissent à première vue encore
assez bien préservés. Toutefois deux espèces de Suisse figurent sur la liste rouge
globale, soit la rainette verte et la grenouille de Lataste. A première vue, la
situation en Suisse est assez inquiétante puisque 70% des espèces figurent sur
la nouvelle liste rouge nationale. Parmi les 20 espèces ou complexes d’espèces
présents en Suisse, 14 figurent sur la liste rouge et une est potentiellement
menacée. Une de ces espèces est éteinte, 9 sont en danger et 4 sont vulnérables.
Le crapaud vert est une espèce d’Europe centrale et orientale et toujours rare
en Suisse où sa présence se limitait à la région bâloise et au Tessin. Malheureu-
sement aucun individu n’a été retrouvé lors des derniers recensements et l’on
peut dès lors le considérer comme disparu de Suisse.

Le triton crêté, autrefois assez répandu en plaine, subit une régression


importante de ses effectifs. Ce déclin dramatique se poursuit et il s’agit de
l’amphibien le plus rare au nord des Alpes avec la grenouille agile. Mais il faut
peut-être mettre ce fait en relation avec l’arrivée du triton crêté italien au nord
des Alpes. Il s’agit d’une espèce d’Europe méridionale présente en Italie et dans
les Balkans. En Suisse, elle est présente de manière naturelle au Tessin, mais
elle a été introduite dans le canton de Genève et s’est répandue jusque dans le
canton de Vaud refoulant apparemment le triton crêté local. Une histoire clas-
sique d’espèce invasive, même si dans ce cas c’est à une échelle modeste, mais
néanmoins suffisante pour provoquer des problèmes dont les conséquences à
moyen terme risque bien d’être dramatiques pour le triton crêté local.
Seules trois espèces ne sont pas menacées en Suisse. Il s’agit de la sala-
mandre noire, du triton alpestre et de la grenouille rousse. Cette dernière
Les espèces menacées 59

espèce est probablement l’espèce d’amphibien la plus répandue en Suisse.


Dans cette classification des espèces, il faut aussi savoir que deux espèces ne
sont pas qualifiées du point de vue protection car on manque d’informations
à leurs sujets. Il s’agit du pélobate brun et de la grenouille des champs. La
Suisse a toujours été à la limite de l’aire de répartition du premier, mais il est
difficile de savoir si des populations stables se sont maintenues. Il en est de
même pour la grenouille des champs qui devait être présente dans la région
bâloise et en Ajoie, mais nous manquons de données suffisantes pour pouvoir
dresser son statut.

Antilope saïga

L’antilope saïga est bien particulière, ne serait-ce que par son physique. En
effet le museau est prolongé en avant un peu comme une trompe et possède
un nez très large. Rien à voir avec une charmante gazelle africaine. Le pelage est
blond roux et les mâles portent des cornes ambrées et translucides. Du point
de vue historique, l’antilope saïga a été décrite par Carl von Linné en 1766 et
placée dans le genre Capra, soit parmi les chèvres. Puis on la déplaça dans le
genre Antilope puis Gazella avant de créer un nouveau genre Saiga qui occupe
une place intermédiaire entre les moutons et les antilopes. En fait, le nom
Saiga est le nom russe pour antilope, le nom de l’espèce tatarica désignant la
région de Russie où elle était fréquente. Je dis bien où elle était fréquente, car
les populations ont chuté en l’espace de 10 ans et il ne restait en 2003 que 5%
de la population estimée en 1992, soit quelques 50 000 individus. Il y a eu au
60 Mille milliards de pattes

cours des dernières décennies une chasse aux mâles effrénée pour leurs cornes
qui pour leur grand malheur entrent dans la médecine traditionnelle chinoise.
Il est assez pénible de constater que malgré les progrès de nos connaissances,
on demeure assez stupide pour croire encore que les cornes d’antilopes ou de
rhinocéros peuvent avoir des effets aphrodisiaques !
Espèce des steppes arides et froides, la saïga avait une distribution assez
large et se rencontrait au nord du Caucase, au Kazakhstan, au sud-ouest de la
Mongolie et en Chine. D’une longueur de 108 à 146 cm et un poids compris
entre 21 et 51  kg, la saïga est une espèce nomade. Mais ce qui est intéres-
sant, c’est son système de reproduction. Les mâles deviennent territoriaux à
l’époque du rut et cherchent à constituer des harems de 5 à 10 femelles. La
période de gestation dure environ 140 jours et la femelle met bas un ou deux
petits au début du mois d’avril. C’est ce qui se passait en temps normal, mais
aujourd’hui comme les mâles sont chassés et diminuent en nombre, on se
retrouve à l’époque du rut avec des harems de 12 à 30 femelles et il n’y a pas
assez de mâles pour les féconder. Même si, dans ce type de population, il y a
toujours un sex-ratio en faveur des femelles avec habituellement un mâle pour
4 femelles, aujourd’hui à cause du braconnage nous avons environ un mâle
pour 36 femelles et suivant les régions un mâle pour 106 femelles. Or ce chan-
gement affecte considérablement la reproduction et entraîne la diminution
rapide des effectifs.
C’est aujourd’hui l’antilope la plus menacée. C’est une question de quelques
années avant sa perte irrémédiable. Il serait judicieux de trouver rapidement
une solution face à ce braconnage intensif. On pourrait par exemple favoriser
le développement des populations et fournir un revenu aux chasseurs en met-
tant sur pied un écotourisme ou une chasse régulée. Il faut aussi savoir que
cette espèce ne s’élève que difficilement en captivité en raison de ses habitudes
nomades. Il ne faut donc pas compter sur cet apport pour la sauver.

Baleine à bec !

En janvier 2006, une baleine à bec s’égarait dans la Tamise à Londres et mal-
heureusement mourrait avant de pouvoir être sauvée. Les baleines à bec figu-
rent parmi les cétacés les moins connus et il est rare d’en apercevoir. Certaines
espèces n’ont même jamais été vues vivantes. La plupart de nos connaissances
viennent de l’étude des cadavres échoués et dans certains cas de brèves ren-
contres en mer. Le principal problème est que ces espèces vivent dans des eaux
très profondes et souvent éloignées de la côte.
Les ziphiidés (baleines à bec) sont de taille petite à moyenne allant de 4 m à
près de 13 m. Toutes possèdent une particularité en commun, un bec allongé,
Les espèces menacées 61

un maxillaire inférieur proéminent et une denture plus ou moins rudimen-


taire, ce qui est souvent interprété comme une adaptation à un régime alimen-
taire spécialisé (calmars et poissons de grands fonds). On les différencie sou-
vent grâce à la forme et à la denture des mâles. La plupart portent seulement
deux ou quatre dents sur le maxillaire inférieur, et aucune sur le maxillaire
supérieur. Les femelles n’ont en général aucune dent. Seules la baleine de Gray
et le tasmacète de Sheperd font exception, les deux sexes possédant des rangées
de minuscules dents. Une autre caractéristique est la petite nageoire dorsale
très reculée et une nageoire caudale sans échancrure médiane. On compte
aujourd’hui une vingtaine d’espèces.

Le spécimen de Londres appartenait à l’espèce hypérodon arctique (Hype-


roodon ampullatus). C’est l’une des plus grosses baleines à bec, les mâles attei-
gnant 10 m et les femelles 8,5 m. La peau est brune à gris foncé, la tête et la
partie ventrale étant plus claires. La tête possède un bec assez prononcé mais
court. Cette espèce est curieuse et s’approche des bateaux en panne, ce qui l’a
rendue malheureusement très vulnérable face aux baleiniers norvégiens qui
en tuèrent des dizaines de milliers entre 1850 et 1973 ! De plus, un individu
reste aux côtés d’un compagnon blessé, facilitant encore leur capture. Heureu-
sement l’espèce est protégée depuis 1977. Les baleiniers ont calculé les temps
de plongée de cette espèce et ont été surpris d’attendre parfois entre 1h et 2h
(temps moyens de 14 à 70 minutes). L’hypérodon arctique se rencontre dans
l’océan Atlantique nord et dans l’océan Arctique au nord de l’Islande. Plus
au sud, les individus atteignent la baie de Hudson côté Canada et le sud du
Portugal côté Europe. Mais ces baleines sont aussi signalées dans la Manche.
La période de reproduction doit avoir lieu aux mois d’octobre et de novembre
et les naissances se produisent entre mars et avril, non pas de l’année suivante,
mais après une gestation de 17 mois. La maturité sexuelle est atteinte vers l’âge
de 8 ans et certains spécimens pourraient atteindre l’âge vénérable de 70 ans.
L’hypérodon arctique est une espèce migratrice. En été les individus se dépla-
cent vers le nord jusqu’aux confins de la banquise puis redescendent au sud à
l’approche de l’hiver.
62 Mille milliards de pattes

Bécasse des bois

Parmi les menaces pesant sur les oiseaux, on considère que la détérioration
des habitats est l’un des facteurs majeurs, suivi par l’arrivée d’espèces inva-
sives. Souvent, la chasse est considérée comme un facteur secondaire. Et 
pourtant…
La bécasse des bois niche en Suisse, principalement dans le Jura et les Pré-
alpes. Depuis plus de deux décennies, la majeure partie des sites de nidifi-
cation du Plateau ont été abandonnés. Un suivi démographique, réalisé en
Suisse occidentale dès 1989, montre une tendance à la diminution des effectifs.
Les deux chercheurs responsables de cette dernière étude ont travaillé dans
deux régions, la première située dans la vallée des Ormonts (canton de Vaud)
et la deuxième en Valais (région au-dessus de Vionnaz). Sept oiseaux ont été
équipés d’émetteurs et ont pu être suivis pendant plusieurs mois. Ces données
ont permis de définir le domaine vital des oiseaux, l’habitat idéal et son utili-
sation, du printemps jusqu’au départ en migration.
De la grosseur d’un pigeon, la bécasse des bois passe le plus souvent ina-
perçue dans les sous-bois, grâce à son plumage tacheté. La meilleure période
pour observer cette espèce est pendant la parade nuptiale, qui peut durer de
mars à juillet. Les mâles décrivent alors de grands cercles au-dessus de leur ter-
ritoire en poussant des cris caractéristiques. On désigne cela sous le terme de
croule. Après l’accouplement, la femelle s’occupe toute seule de l’élevage de ses
jeunes. En période nuptiale, la superficie du domaine vital couvre en moyenne
95 hectares. Le départ en migration a lieu entre le 10 et le 27 octobre et 
emmènera nos nicheurs jusqu’au Portugal. Grâce à ces travaux, il ressort
qu’une région forestière doit répondre à de nombreux critères pour être
favorable à la bécasse des bois. Parmi ces critères, la superficie, qui devrait
atteindre 8 km2 pour abriter une population viable. De plus, il faut un habi-
Les espèces menacées 63

tat très diversifié comprenant des peuplements variés. D’ailleurs, les auteurs
vont proposer aux services forestiers concernés une fiche avec l’essentiel 
des mesures proposées et des milieux à préserver ou à soigner. Mais le dernier
point est tout aussi important. Il apparaît que les bécasses restent en Suisse
jusqu’à fin octobre. Il est ainsi recommandé de ne pas ouvrir la chasse avant
la fin de ce mois, car compte tenu de la fidélité au site de croule, les indivi-
dus reviennent d’une année à l’autre sur ces lieux et une ouverture préma-
turée de la chasse risque bien d’éliminer ces individus au profit d’individus 
migrateurs. Comme nos populations sont peu importantes (entre 1000 et
1500 couples en Suisse) chaque individu est important. Considéré comme
vulnérable sur la dernière liste rouge des oiseaux de Suisse, la bécasse des bois,
mérite une attention soutenue sur la base de ce dernier travail de recherche
et l’on peut souhaiter qu’un dialogue constructif s’établisse entre chasseurs et
ornithologues.

Bisons en Europe

Si l’on remonte XIIe siècle, nous aurions fort bien pu, en Suisse, nous trouver
nez à museau avec des bisons européens. A cette époque, le bison se trou-
vait dans le sud de l’Angleterre, en France et en Suisse notamment. Mais il
va disparaître à la fin du XIVe siècle. On le retrouvait encore en Allemagne
jusqu’au XVIIe siècle. Finalement, les dernières populations de bisons ont sur-
vécu jusqu’au XXe siècle en Pologne dans la forêt primitive de Bialowieza, où
le dernier exemplaire disparut en 1919.
En 1923, une société internationale pour la protection du bison se créée à
Paris. A partir des spécimens de race pure se trouvant dans les jardins zoolo-
giques d’Europe (une quarantaine de spécimens), une première tentative de
réintroduction en milieu naturel a lieu dans un espace clôturé de quelques 60
hectares dans la forêt de Bialowieza. Malheureusement, les vicissitudes de la
Seconde Guerre mondiale vont anéantir cette petite population en 1942. Ce
n’est qu’à la fin de la guerre que l’élevage reprend et, en 1956, une nouvelle
réintroduction a lieu en Pologne. Aujourd’hui, environ 24 troupeaux, dont
cinq en Pologne et le reste en Russie (Ukraine, Biélorussie), représentent plus
de 2000 individus. La seule forêt de Bialowieza en abrite environ 400. Cela ne
signifie pas pour autant que l’espèce peut être considérée comme sauvée de
l’extinction. En effet, les bisons risquent de souffrir de problèmes génétiques
dus à la consanguinité et aussi de l’introduction de bisons américains dans le
Caucase entraînant des risques de croisement entre les deux espèces.
Le bison européen a besoin d’un immense territoire composé de forêts
de feuillus et de forêts mixtes avec un sous-bois diversifié et des clairières
humides. Grâce aux travaux récents des scientifiques polonais, on sait que
le bison est très sélectif dans son régime alimentaire. Il se nourrit de jeunes
pousses de charme, de saule, de bouleau et de frêne, sans pour autant négliger
l’écorce des arbres. Du point de vue des herbes, une graminée, le calamagrostis
roseau, représente plus de 90% des espèces consommées. Il complète cela par
« l’herbe-à-bison » (le hiérochloé odorant), que l’on vous met dans la fameuse
vodka des bisons appelée Żubrówka.
Ces besoins journaliers variant de 20 à 40  kg de végétation suivant son
âge. C’est le plus lourd mammifère terrestre d’Europe. Plus grand, plus fin et
moins trapu que le bison américain, il s’en différencie aussi par son arrière-
train plus puissant, ses cornes plus longues et moins recourbées, son front et
sa tête moins convexes. Les plus gros spécimens peuvent atteindre 1000 kg. Les
femelles sont toutefois plus légères.
Malgré son poids, le bison est un animal rapide et leste, pouvant franchir
des obstacles de deux mètres de hauteur et faire des bonds de plus de trois
mètres. Le vent et la neige ne lui font pas peur, il affectionne plutôt l’ombre et
les marais, ce qui n’est pas le cas de son cousin américain.

Bruant ortolan

Le bruant ortolan habite les zones méditerranées, tempérées et boréales


s’étendant du nord de l’Espagne au sud-ouest de la Sibérie. Au nord, il atteint
les bords du golfe de Botnie touchant à la Suède et à la Finlande. En Suisse,
Les espèces menacées 65

cette espèce ne se retrouve plus que dans la vallée du Rhône en amont du


Léman où il se concentre en Valais entre 600 et 1400  m dans les zones de
vignes, les cultures en terrasse et surtout les steppes rocheuses. Mais dans les
années 1950, l’ornithologue genevois, Paul Géroudet, faisait état d’une popu-
lation bien fournie dans les champs et cultures de la basse plaine du Rhône,
en aval de Bex et de populations plus sporadiques entre Lausanne et Versoix.
Au cours de ces dernières décennies, on a assisté à une nette régression de
cette espèce, aussi bien chez nous qu’à l’échelle européenne, au point que les
français, réputés à la fois pour leur gastronomie élaborée mais aussi pour une
gestion parfois peu respectueuse de leur environnement, ont protégé cette
espèce depuis 1999. Les changements de l’agriculture ainsi que la chasse exces-
sive sont les causes de la forte régression de cet oiseau dans une grande par-
tie de l’Europe. La chasse était responsable du prélèvement d’environ 50 000
oiseaux par an, soit 10 fois la population d’ortolans en Allemagne, Belgique
et Hollande… On estime la population totale à 400 000-600 000 couples. En
Suisse, il figure sur la liste rouge des oiseaux sous la dénomination de vulné-
rable et la population de nicheurs doit être de l’ordre de quelques dizaines 
d’individus.

De taille légèrement supérieure au moineau domestique, l’ortolan passe


souvent inaperçu. En effet les teintes dominantes brun-roux de son plumage
ne le prédisposent pas à la notoriété, même si le mâle présente sur la tête et
la poitrine des couleurs parfois d’un jaune citron éclatant. Le croupion est de
couleur rousse voire cannelle. Une petite caractéristique permet toutefois de le
reconnaître : la présence de moustaches gris-vert de part et d’autre du bec. La
femelle est exactement comme le mâle, seulement en beaucoup plus discret. Il
mesure environ 17 cm pour un poids compris entre 20 et 28 g. L’ortolan niche
au sol et après une incubation de 10 à 14 jours, entre 4 et 6 oisillons éclosent.
66 Mille milliards de pattes

Ils ne restent que deux semaines dans le nid avant de s’envoler. Donc, si les
conditions le permettent il y a possibilité d’une deuxième ponte.
C’est en avril-mai que se situe le retour de ce migrateur africain. Il reste
environ 5 mois chez nous avant de repartir. Les mâles peuvent se repérer, se
perchant souvent sur des piquets. C’est cependant grâce à son chant qu’on est
sûr de l’identifier : l’ortolan émet de courtes strophes « ti, ti, ti, tiuu ».
Finalement, l’ortolan est célèbre pour être un met de gourmet. Il était pré-
cédemment réservé aux rois et grands de ce monde. En effet, il est très recher-
ché pour sa chair délicate. En Provence, les ortolans peuvent être préparés de
deux types de façons, rôtis à la broche ou à la casserole.

Caïmans

Les crocodiliens sont répartis en quatre groupes : les gavials, les crocodiles, les
alligators et les caïmans. En Amérique du Sud, il n’existe que celui des croco-
diles et celui des caïmans. Dans le bassin amazonien, il n’y a que des caïmans.
Il existe quatre espèces de caïmans dans cette région, mais seules deux peuvent
s’observer assez facilement : le caïman à lunettes et le caïman noir. Les deux
autres espèces dont la taille maximale est de l’ordre de 1,5 m sont beaucoup
plus discrètes et se rencontrent de préférence le long de petits cours d’eau plu-
tôt rapides et turbulents ou dans des zones forestières humides assez éloignées
des grands cours d’eau comme le Rio Negro ou l’Amazone.
Le caïman à lunettes peut atteindre 2,5 m alors que le caïman noir peut
dépasser parfois 3,7 m. Ces deux espèces marquent une nette préférence pour
les grands cours d’eau avec des courants relativement faibles.
Le caïman à lunettes doit son nom à un pont osseux situé avant les yeux
et qui ressemble effectivement à la jointure de lunettes. La tête courte est
Les espèces menacées 67

pourvue de paupières saillantes reliées par une crête osseuse très nette qui
ressemble à la branche médiane d’une paire de lunettes. Le dos est brun ver-
dâtre, grisâtre ou rougeâtre avec des tâches foncées. Le ventre est clair. Le plus
souvent on aperçoit juste la tête qui dépasse de l’eau et parfois juste les narines
et les yeux à la surface. Les femelles pondent en moyenne une trentaine d’œufs
dans un nid fait avec des débris de végétation. Elles protègent leur nid, mais
on ne sait pas trop si elles assurent l’éclosion des petits. Toujours est-il que
lorsqu’ils sortent de leur œuf, les petits caïmans mesurent entre 17,5 et 20 cm.
Malheureusement les petits sont attrapés et vendus aux Etats-Unis comme
animal de compagnie et finissent souvent relâchés dans la nature. Ainsi
on sait qu’il existe des colonies bien établies dans le sud de la Floride. Bien
que de taille assez modeste, cette espèce a un comportement défensif assez 
violent.
Le caïman noir est très foncé et apparaît noir lorsqu’il est mouillé, mais
les jeunes possèdent des bandes jaunes qui demeurent parfois jusqu’à l’âge
adulte. Les femelles pondent entre 30 et 40 œufs dans un nid également fait
de débris de végétation. Les petits mesurent entre 20 et 23 cm de long. C’est
surtout la nuit que vous pourrez savoir si le fleuve sur lequel vous vous trouvez
abrite des caïmans noirs. Il est assez facile de les observer à l’aide d’une lampe,
car leurs yeux brillent d’une couleur rouge. Cette espèce est nettement plus
agressive que le caïman à lunettes particulièrement si un individu se retrouve
acculé le long d’une berge sans possibilité de plonger. Les grands individus
sont capables de s’attaquer aux animaux domestiques ou d’élevage et sont
souvent chassés ou même exterminés. Habituellement, le régime alimentaire
comprend des insectes, des poissons et des oiseaux d’eau, voire de petits mam-
mifères terrestres.

Campagnol amphibie

Le campagnol amphibie est un mammifère de l’ordre des rongeurs et de la


famille des arvicolidés, famille comprenant deux espèces : le campagnol
amphibie ou rat d’eau et le campagnol terrestre ou rat taupier. Chez le cam-
pagnol terrestre, deux sous-espèces ont été mises en évidence : une forme
fouisseuse et une forme aquatique qui peut prêter à confusion. Le campagnol
aquatique se distingue par une fourrure épaisse, foncée sur le dos, plus claire
sur les flancs et le ventre. Sa taille est également plus importante, il mesure de 
16,5 cm à 23 cm pour un poids compris entre 170 et 280 g. Cependant, il est
indispensable d’examiner le crâne et les mandibules pour une identification
précise.
68 Mille milliards de pattes

Alors que les petits rongeurs sont plutôt nocturnes, le campagnol amphi-
bie est actif de jour comme de nuit autant en été qu’en hiver. Il est essentiel-
lement végétarien et ronge les racines et les parties vertes des plantes qu’elles
soient submergées ou non. A l’occasion, il ne dédaigne pas les insectes, écre-
visses ou même les amphibiens. Il plonge très bien et peut rester plusieurs
minutes sous l’eau. Il creuse généralement des terriers dans la berge, mais on
peut aussi trouver des nids cachés dans la végétation des berges. La saison de
reproduction peut être longue (de mars à octobre) et à la période des amours,
mâle et femelle se poursuivent dans l’eau en poussant de petits cris. L’accou-
plement se déroule dans l’eau ou à proximité immédiate. La gestation est de
3 semaines environ et on compte en moyenne 3 ou 4 portées par an avec une
moyenne de 3,5 petits par portée. Suivant les régions, l’espèce peut atteindre
une densité de 5 individus pour 100 m de rives. Malgré ces densités, le cam-
pagnol amphibie ne provoque jamais de dégâts susceptibles de porter atteinte
aux activités humaines, contrairement aux rats musqués et aux ragondins qui
détruisent les berges.

Dès 1980, une réduction importante des populations de campagnols


amphibies a été constatée. Les causes de ce déclin ne sont pas encore clai-
rement identifiées. Néanmoins on peut citer les campagnes d’empoisonne-
ments des rats, ragondins, rats musqués avec des raticides ou anticoagulants,
mais aussi la concurrence avec le rat musqué et le ragondin. Il ne faut pas non
plus négliger les nombreuses modifications du milieu naturel comme le drai-
nage, les remblaiements des zones humides, les rectifications des cours d’eau
et divers entretiens des berges. Compte tenu de son aire de répartition assez
restreinte, il est important de prendre des mesures rapides et efficaces. Actuel-
lement, on le rencontre en France, Espagne et Portugal. En France, les études
récentes montrent que cette espèce a déjà disparu de certaines régions comme
la Sologne, la Bretagne, la Seine et Marne, tandis que dans les autres régions
on parle de régression importante. Ainsi, à proximité de la Suisse, en Isère,
toutes les stations connues ont été revisitées entre 2002 et 2003 sans trouver la
moindre trace de présence de cette espèce…
Les espèces menacées 69

Castor : 2008, une année importante

Le castor est le plus grand des rongeurs… après le capybara d’Amérique du


Sud. En effet, il mesure de 110 à 140 cm de longueur pour un poids compris
entre 23 et 30 kg. Si, grâce à Yakari, le petit indien de Derib, vous vous rappelez
que le castor est connu pour les barrages qu’il construit à l’aide de branchages,
de boue et de pierres dans le but de régulariser le débit de l’eau, sachez que
chez nous de telles constructions sont rares. Elles sont l’œuvre du cousin cana-
dien. A l’origine, le castor occupait toute l’Europe ainsi que de vastes zones
d’Asie et d’Amérique du Nord. Il fut malheureusement chassé jusqu’au XIXe
siècle pour sa fourrure. Cette chasse méthodique fut si efficace qu’au début du
XXe siècle il ne restait plus qu’une centaine d’individus en France. Il a disparu
de Suisse au début du XIXe siècle. Grâce à une population protégée dès 1909
dans les Bouches du Rhône, le Gard et le Vaucluse, elle prospéra et put gagner
Lyon vers 1960.

En Suisse, de nombreuses réintroductions eurent lieu dès 1956, notam-


ment le long de la Versoix ou au lac de Neuchâtel. En 1994, un recensement
dénombrait alors une population suisse riche de quelques 350 individus.
Au cours de l’hiver 2007-2008, un nouveau recensement a apporté des
résultats très réjouissants. Les castors sont aujourd’hui quelques 1600 à
peupler les cours d’eau suisses. Cette évolution remarquable est sans doute
le fruit des nombreuses mesures prises ces dernières années. Il faut savoir
qu’un service conseil castor a été mis en place sur mandat de l’Office fédéral
de l’environnement. D’autre part, il existe depuis plusieurs années une asso-
ciation pour l’intérêt du castor en Suisse (Pro castor, case postale 213, 1373 
Chavornay, www.procastor.ch) et Pro Natura Suisse a lancé en 2007 une cam-
pagne de grande envergure, intitulée « à l’eau castor ».
70 Mille milliards de pattes

Protégées en Suisse, les populations du bièvre, ancien nom du castor, se


développent donc favorablement et semblent avoir de réelles chances de sur-
vie à long terme. Cependant, certains problèmes semblent déjà surgir : la pré-
sence de centrales électriques ou autres obstacles bloquent sa migration et la
plupart de nos cours d’eau sont enclavés entre des routes et des infrastruc-
tures. Le retour permanent du castor en Suisse nécessiterait que l’on accorde
plus de place à nos rivières et nos fleuves et qu’on leur laisse un cours le plus
naturel possible.

Chouette chevêche : en voie d’extinction ?

La chouette chevêche, ou chevêche d’Athéna, est probablement le plus sym-


pathique des rapaces nocturnes. Elle doit peut-être cette notoriété à son chant
flûté ou à ses « marques d’attention » entre partenaires qui la rendent tout à
fait charmante. En effet, lorsque deux partenaires se rencontrent, il n’est pas
inhabituel qu’ils ferment les yeux, exprimant par-là ce que nous appellerions
une intense émotion. Dans les anciens ouvrages d’ornithologie, on lui donne
le nom de chouette chevêche, mais la nouvelle nomenclature lui a donné le
nom de chevêche d’Athéna en raison de ses yeux d’or. En effet Athéna, fille de
Zeus et de Métis était l’une des déesses grecques les plus adulées de l’Antiquité.
L’on prétendait qu’elle possédait des yeux d’une brillance inhabituelle.
Malheureusement la notoriété de la chevêche d’Athéna ne suffit pas à assu-
rer sa survie, car c’est bien de survie dont il faut parler. Sa population suisse
Les espèces menacées 71

est estimée à 70 couples et près de la moitié de ces individus se trouve sur le


territoire genevois, le reste dans les régions frontalières. Autrefois cette espèce
était assez répandue sur le plateau suisse, en Valais et au Tessin. Son milieu de
prédilection était le verger constitué de vieux arbres. Avec la disparition des
arbres fruitiers hautes tiges, l’intensification de l’agriculture et l’urbanisation
croissante, les environnements favorables ont peu à peu disparu.
De la taille d’un merle, la chevêche d’Athéna est visible de jour. Elle appré-
cie les bains de soleil et surveille son territoire dans lequel il lui arrive de chas-
ser ses proies en plein jour. Avec ses 22 cm de haut, elle est, avec le petit-duc,
l’un de nos plus petits rapaces nocturnes de plaine. Elle se reconnaît facile-
ment à sa silhouette trapue, sa tête aplatie sur le dessus, ses grands yeux jaune
d’or et son plumage perlé de blanc sur la tête et sur le dos. Les ailes sont assez
courtes (environ 60  cm d’envergure) et son vol ondulant proche du sol et
saccadé comme celui d’un pic. On l’a dit les yeux de la chevêche sont remar-
quables, surtout de jour. Son champ de vision est de 160°, mais comme elle
peut tourner la tête sur 270°, elle voit tout autour d’elle sans se déplacer. La
femelle pond en moyenne 4 à 6 œufs blancs piquetés, directement sur le sol et
les couve pendant 28 jours. Elle reste seule près des jeunes pendant encore près
de 15 jours, les jeunes quittant le nid à l’âge de 30 à 35 jours.
Son régime alimentaire est assez éclectique et opportuniste. Il dépend de la
saison et de sa localisation géographique. Elle apprécie les petits mammifères
et les grands insectes ainsi que les vers de terre. Il semble que le facteur déter-
minant en matière d’alimentation soit celui de la météo. Si les conditions sont
favorables, elle capture essentiellement des insectes, mais dès que la bonne
saison a passé, elle se lance dans la récolte des vers de terre.

Chiru

Pantholops hodgsonii appartient à la famille des bovidés. Cette antilope pos-


sède plusieurs noms vernaculaires, les tibétains parlent du tsod, les chinois
l’appellent zanglingyang, mais on parle plus communément du chiru ou de
l’orongo. Ses caractéristiques morphologiques et les analyses d’ADN faites
assez récemment révèlent que cette espèce est plutôt apparentée aux chèvres
sauvages et moutons de la sous-famille des caprinés.
Les mâles mesurent 80 à 85 cm au garrot pour un poids de l’ordre de 35 à
40 kg. Ils possèdent des cornes noires de 50 à 60 cm de longueur légèrement
incurvées vers l’avant. Les femelles sont plus petites et plus légères et ne possè-
dent pas de cornes. La coloration générale est variable allant du blanc au gris
ou même au brun-rouge. Les mâles possèdent des marques noires sur la face
et les pattes en hiver. Le chiru est une espèce endémique du plateau tibétain et
72 Mille milliards de pattes

se rencontre presque exclusivement dans les steppes alpines au nord-ouest du


Tibet. On assiste à quelques migrations estivales au Ladakh au nord-ouest de
l’Inde. Le chiru semble apprécier particulièrement les zones alpines ouvertes
caractérisées par une température annuelle inférieure à 0°C ! Ces zones se
trouvent entre 3250 et 5500 m d’altitude. Cet animal est capable de survivre à
des températures inférieures à – 40°C ! Cette capacité à supporter le froid est
liée à la qualité d’une partie de son pelage laineux très fin et très dense que
l’on appelle le shahtoosh (« la reine des laines »). Ces poils ont un diamètre de 
9-12 microns soit 1/5e de nos poils ! C’est malheureusement cette laine extra-
ordinaire qui cause sa perte. Il faut savoir que pour réaliser un châle d’un
mètre sur deux au moins trois chirus sont nécessaires ! Le prix de cette laine
par kilo se marchande en Inde entre 1500 et 2000 dollars ! En 1950, les popu-
lations étaient estimées à 1 million d’individus, mais le braconnage a réduit
la population en l’espace d’une quinzaine d’années à moins de 75 000 indivi-
dus, soit une réduction de plus de 90% ! et on estime aujourd’hui à 20 000 le
nombre d’animaux tués pour le braconnage chaque année. Depuis 1996, cette
espèce est déclarée comme étant en danger d’extinction par l’Union interna-
tionale de conservation de la nature (UICN).
Dernière particularité, en dépit de la raréfaction de l’air à ces hautes alti-
tudes, le chiru peut atteindre la vitesse de 80 km/h. Ceci est dû à son museau
particulier, dont les narines contiennent des sacs à airs qui l’aident à respirer.
Les espèces menacées 73

Cistude d’Europe ou tortue bourbeuse

Si vous consultez la liste rouge des reptiles menacés de Suisse, vous constaterez
que cette espèce est considérée comme disparue de notre pays. Toutefois, des
tentatives de réintroduction ont eu lieu ; l’unique population ne provenant pas
d’individus réintroduits se trouve près de la frontière suisse dans les environs
de Côme. La tortue bourbeuse devait être commune sur les bords du Léman ;
les armoiries de la famille Cusin, originaire d’Aubonne, représentent une 
cistude.
Son aire de répartition était très vaste, puisqu’on la trouvait du nord de
l’Allemagne et de la Pologne jusqu’au pays d’Afrique du Nord. Autrefois très
commune en Europe, ses effectifs ont fortement diminué dans la plupart des
régions. Elle pâtit principalement de la pollution des eaux et des activités
humaines. Jusqu’au début du siècle passé, elle était aussi consommée réguliè-
rement dans le sud de la France.

La tortue bourbeuse, comme son nom l’indique, est un reptile très discret
qui se dissimule dans les fonds vaseux. Avec beaucoup de patience, on peut en
observer se chauffant sur des pierres au soleil, au milieu de la matinée. Dans
les plaines du Pô, la tortue bourbeuse sort de sa léthargie au début d’avril, en
quittant le trou qu’elle a creusé ou la vase de son plan d’eau. Durant l’hiver,
ses besoins en oxygène sont fortement réduits, les échanges gazeux peuvent se
produire sous l’eau. L’eau est un élément essentiel pour cette espèce, les indi-
vidus récoltés en Suisse provenaient aussi bien de rivières, de ruisseaux que
de mares et de lacs. De la fin d’avril à la mi-mai, le mâle poursuit la femelle ;
l’accouplement peut se dérouler sur plusieurs jours ; la femelle portant le mâle
sur son dos, aussi bien dans l’eau que sur terre ferme. Après deux mois de ges-
tation, la femelle creuse un trou d’une douzaine de centimètres de profondeur
non loin de la berge ; trois à seize œufs y sont déposés. Lorsque la ponte est
achevée, la femelle comble soigneusement le trou. La durée de l’incubation est
variable, mais dure en moyenne une septantaine de jours. Les jeunes qui quit-
tent le nid ne pèsent que cinq grammes et sont parmi les plus petites tortues
du monde à ce stade.
74 Mille milliards de pattes

Si la prédation par les pies, corneilles, rats et couleuvres ne décime pas


l’entier de la progéniture, il lui faudra cinq à six ans avant qu’elle se risque à
sortir à découvert.
La cistude est principalement carnivore, bien qu’avec l’âge elle consomme
de plus en plus de végétaux. Elle mange des insectes, des têtards et même
des petits poissons. Elle est nettement moins vorace que ses consœurs amé-
ricaines, et son agressivité moindre. Il arrive que des individus mangent la
queue de leurs congénères, ce qui explique qu’un pourcentage non négligeable
de cistudes possède une queue tronquée. Pour terminer, sachez que sa taille
est de l’ordre de 15 à 18 cm, avec une carapace brune plus ou moins ornée de
pointillés jaunes, comme le reste du corps.

Eléphants d’Afrique du Sud

Le plus grand des mammifères terrestres actuels présente quelques problèmes


de gestion. Pourtant, il n’y a pas si longtemps que l’on s’élevait contre la chasse
à l’éléphant. C’est à partir de 1980 que les populations d’éléphants menacées
de disparition ont été progressivement protégées. Il faut dire que le commerce
de l’ivoire était la cause principale de leur disparition. Donc, dès 1989, il y eut
interdiction du commerce de l’ivoire, et puis, lutte assez stricte contre le bra-
connage. C’est à partir de là que tout commence à se compliquer.
Les espèces menacées 75

Car si l’éléphant demeure une espèce menacée, il y a certaines zones où la


protection a trop bien rempli sa fonction. Suivant les pays, il y a toujours une
diminution des populations de l’ordre de 20 000 individus par année, sauf en
Afrique du Sud. L’arrêt du commerce de l’ivoire et l’amendement sur l’abattage
ont entraîné assez rapidement, à partir de 1995, un retour à la croissance démo-
graphique. Par exemple, dans le parc Kruger, qui couvre une superficie de 2 mil-
lions d’hectares, il y avait normalement une population d’environ 7000 têtes.
Cette population est passée à plus de 14 000 individus. Dans le parc national de
Hwange la population de 45 000 éléphants est montée à plus de 70 000. Or, dans
ces deux cas, on dépasse les capacités du milieu. L’éléphant figure parmi les
rares espèces capables de modifier assez radicalement les milieux qu’il colonise.
Les territoires à disposition deviennent trop petits, les rares points d’eau sont
surexploités, ce qui affecte les autres espèces de la faune sauvage. De plus, les
migrations, qui se déroulaient il y a plusieurs décennies, ne sont plus possibles
car d’autres hordes se sont aussi déplacées. Enfin, les possibilités de déplace-
ments entrepris par l’homme, notamment pour éviter la compétition avec les
paysans, restent limitées voire exclues, la Namibie refusant aujourd’hui toute
importation. Un plan d’abattage doit être mis en place et le ministre de l’envi-
ronnement sud-africain travaille en accord avec les biologistes qui connaissent
au mieux cette espèce pour trouver des solutions acceptables.
La protection des espèces, si elle permet effectivement la survie d’une
espèce, demeure toutefois une vision tronquée. Il est indispensable d’intégrer,
tant que faire se peut, l’ensemble des composantes du milieu pour maintenir
un équilibre entre les espèces.

Fulmar boréal

Le fulmar boréal est un oiseau de la famille des procellaridés, dans laquelle on


retrouve aussi les pétrels. Ils sont voisins d’autres oiseaux pélagiques comme
les albatros, les puffins ou encore les océanites. Les plus grandes espèces pos-
sèdent des ailes longues et étroites qui leur permettent de voler pendant des
heures au-dessus de la mer avec peu de battements d’ailes. Les plus petites
espèces, comme les océanites avec une envergure ne dépassant pas 50 cm, ont
des coups d’ailes rapides et très irréguliers. Le bec est droit avec une pointe
recourbée et des narines tubulaires.
Le fulmar boréal a la tête et le dessous blanc pur, l’œil entouré d’un petit
masque noir, les couvertures alaires et le croupion gris, les rémiges primaires
et secondaires sombres et l’extrémité de la queue blanche. D’une manière
générale, il ressemble à un goéland argenté, mais son vol diffère nettement.
Il glisse au-dessus des vagues, les ailes tendues, donne des séries de rapides
76 Mille milliards de pattes

coups d’ailes, raides et peu amples. Il flotte très bien sur l’eau et doit faire un
effort pour s’envoler. Il est le seul procellaridé à posséder un plumage clair et
une vie diurne. Il évolue uniquement en haute mer sans guère se poser et se
rend à terre par obligation pour la reproduction. Les colonies sont hébergées
dans les falaises maritimes (côtières ou insulaires) comme en Bretagne ou en
Normandie. Son aire de distribution couvre une vaste partie de l’hémisphère
Nord jusqu’au Groenland et au Spitzberg. La France constitue la limite sud. La
première nidification recensée en France date de 1960 aux Sept-Iles.

L’une des particularités biologiques du fulmar est d’avoir une glande de


dessalage de l’eau de mer lui permettant ainsi de la boire. Le sel est rejeté au
niveau des narines à la morphologie si particulière. Il prélève sa pitance à la
surface de l’eau. Malheureusement son principal problème réside dans le fait
qu’il se jette sur tout ce qu’il trouve. D’autre part, comme il ne régurgite pas
ce qu’il a ingéré comme d’autres oiseaux pour nourrir leurs petits, il accumule
toute sorte de déchets. Un projet international de recherche mené par le Dr
Jan van Franeker de l’institut Alterra et financé par la fondation Save the North
Sea a publié des résultats plutôt consternants. Les fulmars souffrent de la pol-
lution, non pas des produits toxiques que l’on retrouve dans l’eau mais tout
simplement des plastiques qui flottent à la surface. Il faut savoir que chaque
année quelques 20 000 tonnes de déchets sont déposés en mer du Nord. Parmi
eux, 70% sombrent au fond de l’eau, 15% flottent à la surface et 15% sont
ramenés sur les côtes. Or s’il faut entre 200 et 250 ans pour qu’une canette de
bière disparaisse, il faut plus de 450 ans pour un bout de plastique ! Les cher-
cheurs ont aussi observé que le plastique industriel avait fortement diminué
dans les estomacs des fulmars, mais que les plastiques non industriels étaient
plutôt en augmentation. Nous sommes donc tous responsables de cela et n’ac-
cusons pas toujours les industries !
Les espèces menacées 77

Gélinotte des bois

La gélinotte des bois est une espèce très discrète et très rarement observée. De
plus, sa coloration parfaitement mimétique l’aide à se dissimuler. Très méfiant,
ce petit gallinacé fuit au moindre danger pour se poser sur une branche, où il
demeure silencieux et immobile. La gélinotte des bois appartient à la famille
des tétraonidés, comme le grand tétras, le tétras-lyre et les lagopèdes, oiseaux
habitant les forêts septentrionales de l’hémisphère Nord. Une grande par-
tie des données existantes sur cette espèce ont été estimées à partir de traces
(traces dans la neige, plantes attaquées, crottes, plumes).
D’une taille de 35 cm, la gélinotte a une queue assez longue. Le dessus du
corps est grisâtre à brun-roux, richement tacheté et barré de noir et de brun.
On découvre de larges bandes blanches sur les côtés de la gorge. Lorsque l’oi-
seau est en vol, on peut remarquer une queue grise terminée par une large
bande blanche. Les deux sexes se distinguent à la couleur de la gorge : celle du
mâle est noire, alors que celle de la femelle est blanchâtre.

Bien que la gélinotte niche à terre comme les autres tétraonidés européens,
elle passe la majorité de sa vie dans les arbres. A l’âge de 8 jours, elle est déjà
capable de voler ! Grâce à l’analyse des crottes, on connaît tout ou presque sur
son régime alimentaire. En hiver, elle se nourrit sur les arbres et les buissons,
mais elle apprécie aussi les jeunes pousses de myrtilles. Au début de l’hiver,
les fruits du sorbier sont sa nourriture préférée. Mais si ces derniers viennent
à manquer, la gélinotte se rabat sur les bourgeons de sorbier et d’aubépine
ou sur des graines de conifères. Grâce à ce régime, la gélinotte survit même
pendant les hivers où la couverture de neige est abondante. A partir du mois
de mai, elle consomme les bourgeons de hêtre fraîchement débourrés, puis
78 Mille milliards de pattes

au cours de la belle saison, divers petits fruits comme les fraises et différentes
graines de graminées. N’oublions pas les fourmis rousses qui font parfois les
délices de cet oiseau, tout comme les galles qui peuplent les différentes espèces
de feuillus.
La gélinotte est monogame. Les mâles délimitent leur territoire (10-12
ha) et les couples se constituent en automne. Le couple reste en principe uni
pour la vie. La nidification se déroule en avril dans une simple dépression.
La femelle dépose une dizaine d’œufs qui sont couvés pendant 21 jours. Les
poussins sont rapidement capables de quitter le nid et deviennent des vir-
tuoses dans l’art de se cacher et de grimper aux arbres. La progéniture passe
l’été au sein de la famille avant de migrer au mois d’août à la recherche de
nouveaux territoires.
Protégée sur l’ensemble du territoire suisse depuis 1962, la gélinotte
demeure très menacée par l’extension du réseau des chemins forestiers et des
pistes de ski, notamment les pistes de fond. Elle est répandue avant tout dans
le Jura, les Préalpes et les Alpes. Alors qu’elle habitait à l’origine les forêts de
plaine, elle se retrouve aujourd’hui cantonnée entre 1000 et 1600 m d’altitude.

Glouton, wapiti et autres disparus de Pennsylvanie

Il semble intéressant de donner quelques indications sur les « exploits antizoo-


logiques » des colons aux Etats-Unis, et plus particulièrement en Pennsylvanie.
Si l’on ne considère que les mammifères, il existe à ce jour quelques 63 espèces
en Pennsylvanie, cinq espèces ayant disparu.
Avant l’arrivée des premiers colons, le loup occupait quasi l’ensemble du
continent nord américain jusqu’au Mexique. Capturés pour sa fourrure, com-
battu parce qu’il s’attaquait au bétail et accusé d’être en compétition avec les
chasseurs, il fut victime d’une véritable extermination. En Pennsylvanie, il
se rencontrait un peu partout, mais fut éliminé à la fin du XIXe siècle par la
chasse, le piégeage et les empoisonnements. Le dernier indice de sa présence
date de 1892. Cantonné aujourd’hui au nord des grands Lacs, c’est une espèce
en danger d’extinction.
Appartenant à la famille des mustélidés (martre, fouine, hermine), le glou-
ton, que l’on rencontre aussi en Eurasie, n’a pas résisté à la colonisation. Il
faut dire qu’il dévorait les proies des trappeurs… Pour couronner le tout, les
trappeurs le chassaient pour sa fourrure pour en faire des cagoules. Le glouton
était présent mais rare en Pennsylvanie, il disparut vers la fin du XIXe siècle.
La troisième espèce est le wapiti. Aujourd’hui cantonné dans le Grand-
Nord, il occupait tout l’est des Etats-Unis jusqu’en Géorgie. L’installation des
colons l’a complètement éliminé et, aujourd’hui, on ne le rencontre plus que
Les espèces menacées 79

dans les Montagnes Rocheuses et quelques Etats de l’Ouest. Réintroduit en


Pennsylvanie, 150 à 200 individus survivent dans une zone de 20 km2. C’est à
la fois la chasse mais aussi la destruction des forêts pour en faire des terres agri-
coles qui ont eu raison de sa présence en Pennsylvanie où il disparut en 1877.
De la taille d’un cheval, son grand cousin (les mâles pouvant atteindre
800 kg !) l’orignal a aussi parcouru les forêts de Pennsylvanie, mais sa dispa-
rition remonte déjà à la fin XVIIIe siècle, car il était chassé pour sa viande et
sa peau.
Pour terminer, parlons du plus gros mammifère terrestre d’Amérique du
Nord pouvant atteindre 900 kg : le bison d’Amérique. Taillé pour supporter les
grands froids, malgré sa masse imposante, le bison est agile, capable de par-
courir n’importe quel terrain et peut pousser des pointes de 50 km/h. Même
si on estimait qu’il devait y avoir plus de 70 millions de bisons avant l’arrivée
des premiers colons, en 1900 il en restait moins de 1000 ! Aujourd’hui, il reste
quelques troupeaux sauvages et demi-sauvages. Le bison se trouvait dans la
vallée de Pennsylvanie et au pied des collines. Le dernier bison de Pennsylva-
nie fut tué en 1801, et en 1825 il avait disparu de l’est des Etats-Unis. Selon 
les croyances indiennes, il est dit que si le bison disparaît de la surface de la
terre, les indiens disparaîtront aussi ! Cette croyance s’est malheureusement
presque vérifiée.

Gorilles

L’un des problèmes majeurs des petites populations isolées d’espèces se repro-
duisant lentement est leur sensibilité aux perturbations de leur milieu. Ce pro-
blème touche notamment les grands mammifères et plus particulièrement les
grands primates. Vous vous rappelez sans doute de l’existence de Beethoven,
ce superbe mâle de gorille des montagnes (Gorilla beringei) du film Gorilles
dans la brume.
C’est bien de cette population dont nous allons parler. Elle habite dans la
région des volcans des Virunga, une zone comprise entre la République démo-
cratique du Congo, le Rwanda et l’Ouganda. Cette région est un parc natio-
nal depuis 1925 et l’une de ses responsabilités est la protection des gorilles
des montagnes. Mais c’est aussi une des régions les plus densément peuplées
d’Afrique avec une moyenne de 400 à 600 habitants par km2. Si les premiers
travaux effectifs de conservation ont été initiés par George Schaller au début
des années 1960, puis repris et poursuivis par Dian Fossey dès la fin des années
1960, il faut malheureusement constater que cela n’a pas pour autant sup-
primé le braconnage et la chasse. Dès les années 1980, des programmes parti-
culiers de protection furent mis en place, mais une dizaine d’années plus tard 
80 Mille milliards de pattes

(janvier 1991) des génocides ont forcé des milliers d’habitants à fuir leur région
et à se réfugier dans les forêts ou à se retrouver dans d’immenses camps de
réfugiés au Zaïre. Toutes ces conditions ont mis une pression élevée sur cette
zone protégée et l’on peut se demander si les gorilles n’ont pas souffert de cet
état. Pour pouvoir effectivement disposer de données cohérentes, il est impor-
tant de suivre pendant des décennies les populations d’animaux sauvages. Or
depuis 1971 des comptages réguliers des différents groupes, constituant cette
population de gorilles des montagnes, ont eu lieu tous les 5 ans, sauf durant
les années 1990 à cause des conflits évoqués ci-dessus. Néanmoins un recen-
sement effectué en l’an 2000 faisait état d’une population de 260 à 270 indi-
vidus, alors qu’on pouvait compter avec environ 324 individus avant le début
des conflits majeurs en 1991. Or après une dizaine d’années, il est presque
encourageant de voir que l’on estime la population à quelque 395 individus.
Cela donne une croissance annuelle d’environ 1% sur toute la période consi-
dérée. Malgré les conflits qui n’ont pas cessé durant la dernière décennie, les
populations des gorilles habitant à cheval sur la République démocratique du
Congo, le Rwanda et l’Ouganda ont légèrement augmenté. Malheureusement,
on admet aujourd’hui que cela ne suffit pas pour assurer la viabilité d’une
telle population. Il est donc plus que nécessaire de soutenir les programmes de
protection mis en place.
Les espèces menacées 81

Grand pingouin

On continue à confondre (en français) pingouins et manchots. On trouve la


raison de cette confusion si l’on examine le grand pingouin. Cet oiseau, de la
famille des alcidés, mesurait plus de 70 cm debout et pesait entre 5 et 7 kg.
Mais, ceci n’affectait pas ses performances de plongeur, et l’on estimait qu’il
pouvait descendre jusqu’à 200 m de profondeur. Si l’on tient compte des récits
descriptifs à son sujet, on note que c’était un oiseau superbe, caractérisé par
des grandes taches blanches devant les yeux, un grand bec courbe creusé de
sillons et une démarche digne et solennelle. L’adaptation au milieu océanique
avait pénalisé cet oiseau en réduisant ses ailes mais en favorisant la plongée.
Cela n’a toutefois rien de particulier si l’on songe au manchot empereur qui
peut atteindre presque 40 kg et que l’on a retrouvé à plus de 500 m de profon-
deur. Ce sont ses couleurs, son aptérisme lié à cette démarche si particulière
qui ont amené bon nombre de nos contemporains à mettre manchots et pin-
gouins dans le même panier alors qu’il s’agit de représentants de deux familles
bien distinctes, l’une peuplant l’hémisphère Nord (les pingouins, macareux,
guillemots et mergules), l’autre (les manchots) peuplant l’hémisphère Sud.
Seul le grand pingouin ne vole pas, tous les autres représentants de la famille
des alcidés, même le petit pingouin ou pingouin torda volent.

C’est dans une monographie consacrée au grand pingouin, parue récem-


ment (The great auk de Errol Fuller) où l’on parle notamment du spécimen
que possède le Musée de zoologie à Lausanne, que l’on retrouve les éléments
82 Mille milliards de pattes

historiques qui permettent de faire remonter la disparition de cette espèce à


l’année 1844. C’est ainsi que le 3 juin, trois hommes, Sigurd Islefsson, Jon
Brandsson et Ketil Ketilsson débarquent le matin sur l’île de Eldey. Il n’y a
qu’un seul endroit pour débarquer, et les trois hommes font s’envoler de
nombreux oiseaux, mais ils ont vite repéré deux individus plus grands qui se
déplacent hâtivement à pied. Le temps de les cerner et de les attraper, ils sont
étranglés et ramenés à bord de leur bateau. Il s’agissait selon toute probabi-
lité des deux derniers spécimens, un mâle et une femelle du grand pingouin.
Même si l’on pense qu’il s’agit d’une espèce du Grand-Nord, on le trouvait
bien en dessous du cercle polaire dans l’Atlantique, le long des îles britan-
niques et auparavant, il y a plus de 10 000 ans, en Méditerranée ! Les plus
anciennes représentations connues du grand pingouin datent de la dernière
glaciation. Il s’agit de peintures de trois spécimens dans la grotte Cosquer en 
Méditerranée.
Enfin, c’est grâce à Jacques Cartier, le découvreur du Canada, que nous
avons la première description de cet oiseau en langue française. Malheureuse-
ment trop facile à capturer, sans véritable moyen de défense lorsqu’il nichait à
terre, ses populations ont été rapidement décimées depuis le XVe siècle.

Grand tétras

De toutes les espèces forestières, le grand tétras est l’une de celles qui ont connu
le déclin le plus important dans toute leur aire de répartition européenne. En
Suisse, les recensements entrepris ces dernières années ont montré un recul
alarmant mais aussi l’importance du Jura vaudois.
Les mâles au stade adulte pèsent de 3,5 à 5 kg pour une envergure de 80 cm.
La taille imposante du grand coq en fait la principale espèce de l’avifaune des
forêts du Jura. Il est intéressant de remarquer le dimorphisme très prononcé.
Les femelles sont plutôt discrètes dans leurs couleurs, alors que les mâles
investissent dans la parure, le but étant de dominer les autres mâles et de s’ac-
coupler avec un maximum de femelles. En principe, comme la plupart des
gallinacés, le grand tétras est assez prolifique. Les femelles sont sexuellement
matures à un an, mais il faudra attendre quatre ans pour qu’un mâle puisse
parader. Recenser une telle espèce, habituellement discrète, n’est pas chose
facile. Les seules observations directes se font sur les places de chant. Mais, à
ce propos, il convient de souligner que nombre de naturalistes amateurs ou
photographes animaliers ont involontairement dérangé les coqs au printemps
sur les places de chant.
Mais revenons au comportement de cette espèce. Les mâles sont territo-
riaux durant les parades dans le périmètre de la place de chant. Imaginez un
Les espèces menacées 83

gâteau avec des parts, chaque coq détenant une ou plusieurs parts. Les femelles
ne sont pas territoriales, mais elles ne visitent qu’une seule place de chant, où
elles viennent brièvement à la période de reproduction. Les parades sur les
places de chant débutent fin mars, début avril et les accouplements ont lieu
durant le mois d’avril. La femelle pond de quatre à neuf œufs quelques jours
seulement après l’accouplement à partir du mois de mai. Les poussins gardent
leur duvet les deux premières semaines et sont très sensibles aux baisses de
température. A douze degrés, un poussin meurt s’il est éloigné de sa mère plus
de douze minutes. A l’âge de cinq à sept semaines, les jeunes sont thermique-
ment indépendants et volent suffisamment bien pour passer la nuit sur les
arbres. Les nichées se dispersent à partir du début de l’automne.

Si, dans le passé, le grand tétras était également présent dans les Préalpes,
aujourd’hui les tétras du canton de Vaud ne survivent que dans la chaîne juras-
sienne. La menace est sérieuse de voir disparaître cette espèce, des mesures très
concrètes de protection sont en cours.

Grenouilles australiennes : étrange destin

L’Australie est un drôle de continent. En effet, là-bas, il n’existe pas de crapauds


à l’état naturel, mais seulement des grenouilles. La première espèce découverte
en Australie était une rainette. Le spécimen fut récolté par Joseph Banks qui
avait débarqué en même temps que James Cook en 1768. Malheureusement ce
spécimen fut détruit par une bombe tombée lors de la Seconde Guerre mon-
diale sur le bâtiment de Londres qui abritait la collection.
84 Mille milliards de pattes

Le fossile le plus ancien de grenouille australienne date de 54,5 millions


d’années ; il a été découvert dans un gisement du Queensland. Aujourd’hui,
quelques 220 espèces de grenouilles ont été recensées sur ce continent sur les
2000 qui existent sur notre planète.
En 1935, il fut décidé d’introduire une espèce de crapauds pour contrôler
les ravageurs des plantations de cannes à sucre (principalement des coléop-
tères). Les premières introductions eurent lieu près de Cairns avec 102 spé-
cimens d’un crapaud originaire d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale.
Malheureusement, il ne s’intéressait guère aux ravageurs des cannes à sucre,
mais dévorait tout ce qu’il trouvait au détriment des grenouilles locales.
Aujourd’hui, il se rencontre de la Nouvelle-Galles du Sud jusqu’aux territoires
du Nord. Le principal problème réside dans sa toxicité. En effet, comme la
majorité des crapauds, il possède des glandes capables de sécréter des subs-
tances très toxiques. Ainsi, il n’a que peu de prédateurs. De plus, les apiculteurs
doivent mettre leurs ruches en hauteur, sinon le crapaud s’installe à proximité
et se régale des abeilles. Le plus grand individu trouvé mesure 24 cm de lon-
gueur et 16,5 cm de largeur pour un poids respectable de 1,36 kg.
Aujourd’hui, pour des raisons liées à ce problème, plus de 60 espèces de
grenouilles sont considérées comme menacées d’extinction. Certaines n’ont
plus été retrouvées depuis leur découverte. Parmi les groupes les plus abon-
dants, il faut citer les rainettes. Il existe plus de 50 espèces de rainettes arbo-
ricoles. Elles se reconnaissent facilement grâce à leur disque adhésif au bout
des doigts. Elles se rencontrent dans l’est et le nord de l’Australie. Comme une
majorité de grenouilles, elles sont capables de changer de couleur en s’adap-
tant à la couleur du substrat sur lequel elles se trouvent. Certaines espèces
peuvent atteindre plus de 14 cm de longueur.
La rainette verte australienne se rencontre facilement dans les habitations
où elle recherche des sources d’humidité. Comme elle possède une excellente
mémoire, il ne sert à rien de la déplacer, elle reviendra rapidement à l’en-
droit où on l’a trouvée. Cette espèce est d’ailleurs même vendue aux Etats-
Les espèces menacées 85

Unis comme animal domestique ! En captivité, elle vit plus de 20 ans. Elle
est connue aussi pour produire dans ses glandes céphaliques une substance
qu’on utilise comme médicament pour régler la pression sanguine. Heureu-
sement, cette substance n’est pas prélevée sur les rainettes, mais produite par 
synthèse.

Grillon : le chant des pâturages

Le grillon champêtre présente un cycle décalé par rapport à la majorité des


autres orthoptères (sauterelles, criquets). C’est le premier que l’on peut
entendre chanter au printemps, ceci car il passe l’hiver au stade de larve « âgée »
et devient adulte dès le mois de mars ou d’avril.
Facile à reconnaître en raison de sa teinte noire et de son côté assez massif,
le grillon champêtre ne peut guère être confondu avec une autre espèce. Il
atteint une longueur de 20 à 26 mm. Seul le mâle dispose d’un organe stri-
dulent. Les élytres sont transformés et leur frottement provoque cette stri-
dulation très caractéristique. Les femelles se reconnaissent facilement grâce à
leur oviscapte (organe de ponte), sorte de filament se terminant en forme de
lancette aussi long que leur corps.
Le grillon champêtre affectionne tout particulièrement les prairies et pâtu-
rages secs de plaine et de montagne. Les talus ensoleillés caractérisés par une
végétation rase et rarement inondés sont les meilleurs lieux pour tenter de
découvrir leurs terriers. Ces derniers, dont le conduit descend obliquement,
ont une profondeur de 20 cm environ. Ils sont creusés par les larves âgées et
les adultes.

Le grillon champêtre est l’exemple type d’une espèce encore fréquente en


Suisse, mais menacée. Ses effectifs diminuent un peu partout, parfois forte-
ment dans certaines régions du Plateau notamment. Il subit, depuis plusieurs
décennies, les modifications de notre paysage. L’intensification des pratiques
agricoles, le désherbage des talus de routes et chemins de fer provoquent son
déclin.
86 Mille milliards de pattes

Il en va de même de son cousin le grillon domestique. Ce dernier, dont on


pense qu’il a une origine africaine, vit toute l’année dans les milieux construits.
Ainsi son cycle est totalement indépendant des saisons. Il se rencontre dans
tous les bâtiments chauffés, les boulangeries, entrepôts etc. Si l’été est chaud,
il peut sortir temporairement à l’extérieur. Autrefois fréquent, il s’est raréfié
aujourd’hui et ne fait malheureusement plus partie du quotidien. Omnivore,
il se nourrit avant tout de débris alimentaires et ne s’attaquent qu’occasionnel-
lement aux denrées stockées. Notre utilisation parfois abusive d’insecticides
dans les habitations ainsi que notre sens exagéré de la propreté risquent bien
d’éliminer définitivement cette espèce.
Il existe encore six espèces de grillons en Suisse : le grillon bordelais et le
grillon des bastides au Tessin, le grillon des marais localisés dans les régions
chaudes de plaine, le grillon des torrents visible au bas des vals Maggia et Ver-
zasca et le grillon d’Italie qui vit en climat chaud et sec, bassin lémanique,
vallée du Rhône, Coire, sud des Alpes et qui semble en expansion depuis les
années 1980 dans le nord de la Suisse. Si toutes ces espèces sont menacées à des
degrés divers, il existe une espèce non menacée : le grillon des bois dont la taille
ne dépasse pas 10 mm et que l’on peut apercevoir dans les feuilles mortes des
lisières ou à l’intérieur des forêts claires.

Gypaètes barbus : réintroduction en Suisse

Le gypaète barbu est l’un des plus grands rapaces, son envergure peut atteindre
2,90 m. Facile à identifier en vol, on le reconnaît à sa longue queue cunéi-
forme. Il possède un plumage sombre, hormis la tête, le cou, la face ventrale et
les pattes allant du blanchâtre au roux. On ne connaît toujours pas le rôle de
cette barbe constituée d’une touffe de poils raides. Si le gypaète appartient au
groupe des vautours, sa silhouette et son vol rappellent plutôt l’aigle. Il existe
trois espèces de vautours se reproduisant en Europe : le vautour moine, le vau-
tour fauve et le percnoptère.
Le gypaète barbu est une espèce des zones alpines. Il apprécie tout particu-
lièrement les zones avec des falaises escarpées où il est au calme pour assurer sa
nidification et l’élevage de sa progéniture. Comme il se nourrit de charognes,
il doit disposer de vastes surfaces à survoler : 70 à 90% de son alimentation se
compose d’os. Si cela paraît peu nourrissant, détrompez-vous, un os compte
12% de protéines, 16% de graisses, 23% de minéraux et 49% d’eau ! Ses besoins
quotidiens en nourriture s’élèvent à 0,5 kg, soit 1,5 kg pour un couple avec un
petit. Cela représente entre 50 et 70 cadavres d’ongulés par année.
C’est en 1978 que s’est tenue à Morges l’assemblée fondatrice du projet de
réintroduction du gypaète dans les Alpes. Le lâcher des premiers oisillons issus
Les espèces menacées 87

d’élevage a eu lieu en 1986 sur une falaise de la vallée du Rauris en Autriche.


Il a d’abord fallu mettre sur pied un programme d’élevage. Le gypaète barbu
n’élève en principe dans la nature qu’un seul petit, mais il pond deux œufs.
On assiste à l’élimination du plus jeune par le plus âgé, phénomène que l’on
appelle le caïnisme. Cependant en élevage, il est possible d’obtenir deux petits
par couple et par année, ce qui double le potentiel de réintroduction. Il a fallu
ensuite sélectionner les sites de réintroduction. Le premier choix s’est porté sur
le Rauristal en Autriche et la Savoie, puis le Parc national suisse en Engadine,
la région Argentera-Mercantour à cheval sur l’Italie et la France et quelques
autres sites secondaires en Autriche et en Italie. Les jeunes gypaètes ont été
au préalable marqués afin de pouvoir être suivi dès l’envol. Par exemple, un
gypaète du Parc national suisse a été aperçu vers les 11h survolant Berne et a
été retrouvé en fin d’après-midi au Parc national.

Dès 1997, le projet a fait un immense pas en avant avec la première repro-
duction en milieu naturel à partir d’animaux élevés en captivité. Et en 2007, ce
ne sont pas moins de trois couples qui se sont reproduits sur le territoire hel-
vétique ! Donc, après plus de 120 ans, la Suisse abrite aujourd’hui trois couples
nicheurs et parents d’un jeune.
Compte tenu de la durée de vie de cette espèce, qui est de l’ordre de 30 à
35 ans dans la nature et de la maturité sexuelle qui intervient à partir de 6 à 8
ans, l’avenir de cette population des Alpes semble pour cette fois prendre une
direction tout à fait convenable.
88 Mille milliards de pattes

Hérissons : attention au 1er août

Il n’est pas rare de voir des amas de branches et de bois qui s’envoleront en
fumée après les traditionnels discours de circonstances le soir du 1er août (Fête
nationale suisse) préparés quelques jours à l’avance. Or il s’avère que ces tas
constituent un abri idéal pour de nombreuses espèces, notamment les héris-
sons qui y voient un endroit idéal pour se reposer. Malheureusement le soir du
1er août les hérissons risquent bien de griller vif, si l’on ne prend pas garde de
vérifier qu’il n’y ait pas d’individus cachés sous ces branches. Deux techniques
peuvent être recommandées, la première consiste à retourner le tas avant de
l’allumer, ou alors à mettre un petit bout de treillis à poule à la base du tas lors
de la constitution du bûcher. C’est un petit effort qui risque bien de sauver la
vie à ces mammifères bien particuliers qui paient actuellement un très lourd
tribu à la route.
Il existe environ une douzaine d’espèces de hérissons, mais une seule espèce
chez nous. Le hérisson européen est remplacé en Europe orientale par une
autre espèce (Erinaceus concolor) qui ne diffère de notre hérisson que par la
couleur de sa gorge et sa poitrine plus claires ainsi que quelques modifications
des os au niveau du crâne. Avec son dos et ses flancs recouverts de piquants, sa
faculté de se mettre en boule à la moindre alerte, le hérisson est connu de tous.
Bien qu’ayant une préférence pour les terrains secs, le hérisson est commun
partout où il trouve gîte et nourriture. En Suisse, toutes les régions de basse
altitude sont occupées. Dans les Alpes, la densité de l’espèce est faible mais on
le trouve jusqu’en amont de Brigue en Valais, jusqu’à Disentis aux Grisons et
même à Davos où se maintiennent quelques populations isolées. Dans le Jura
et les contreforts des Préalpes, l’espèce est régulièrement rencontrée jusqu’à
1000 m d’altitude.

Partant en chasse au crépuscule, il poursuit son activité toute la nuit avec


des périodes de semi-repos. Les mâles se déplacent sur d’assez grandes dis-
tances et utilisent volontiers des abris temporaires comme les tas de branches.
Mais le plus grave est que suivant les régions, les femelles recherchent acti-
Les espèces menacées 89

vement des cachettes afin de mettre bas. Comme notre esprit, un peu trop
« propre en ordre », nous fait nettoyer tous amas, à première vue inutile, ils ne
restent souvent pas grand abri pour ces dames. Donc ouvrez l’œil et demandez
à l’employé communal responsable du feu, un petit travail supplémentaire, les
hérissons lui en seront reconnaissants et mangeront certainement quelques
limaces supplémentaires en contrepartie.

Hiboux et chouettes

La Suisse abrite trois espèces de hiboux et cinq espèces de chouettes, soit un


peu plus de la moitié des 14 espèces européennes. Les rapaces nocturnes sont
divisés en deux familles : les strigidés qui rassemblent la grande majorité des
espèces et les tytonidés, ou effraies, dont on connaît une dizaine d’espèces. Ces
dernières se distinguent des strigidés par leur face en forme de cœur.

La croyance populaire divise les rapaces nocturnes en hiboux, munis


« d’oreilles » et en chouettes qui n’en ont pas. En réalité ces fameuses « oreilles »
sont de simples aigrettes de plumes et n’ont aucun rapport avec les organes de
l’ouïe, qui chez ces espèces sont internes. D’ailleurs dotés d’une ouïe plus que
performante, la localisation des proies leur est relativement aisée, ceci d’autant
plus que leur vol est quasiment silencieux. Chouettes et hiboux sont capables
de chasser de nuit et parfois même dans l’obscurité la plus totale. Les hiboux
se nourrissent essentiellement de rongeurs, cependant le régime alimentaire
90 Mille milliards de pattes

varie considérablement selon les espèces. Par exemple, la plus petite espèce de
hibou qui ne pèse que 80 g, soit le hibou petit-duc, se nourrit presque exclu-
sivement d’orthoptères tandis que la plus grande espèce, le hibou grand-duc,
dont le poids peut atteindre 3,3 kg se nourrit de buses, de canards, de héris-
sons ou encore de renardeaux.
Parmi les espèces les plus menacées, il faut citer le hibou petit-duc qui n’ha-
bite aujourd’hui plus qu’un tout petit territoire en Valais central. Il est dépen-
dant de prairies sèches où vivent ses proies favorites, mais a aussi besoin de
vieux arbres pour nicher. La deuxième espèce fortement menacée en Suisse est
la chouette chevêche. Habitante des plaines, c’est une espèce qui niche le plus
souvent dans de vieux arbres fruitiers. Or ces vieux arbres ont fortement dimi-
nué et ceux qui restent ne sont pas forcément pourvus d’abris. Il faut savoir
que chouettes et hiboux ne construisent pas de nid ; ils utilisent des cavités
naturelles dans les arbres ou les rochers, ou encore de vieux nids de corvidés
ou de pics. On peut aussi leur poser des nichoirs artificiels, mais cela demande
un minimum d’investissement et de temps. Aujourd’hui, quelques dizaines de
couples sont répartis entre le Tessin, l’Ajoie et Genève. Si les hiboux grand-
duc repiquent un peu, le canton de Vaud n’abrite qu’un ou deux couples tan-
dis que le canton du Valais une quinzaine, soit la plus grande population de
Suisse. D’ailleurs on estime que l’ensemble de la population doit approcher
les 120 couples. Cette espèce a beaucoup souffert des pesticides et des lignes à
haute tension. Enfin la chouette de Tengmalm, habitante des lisières de forêts,
n’est aujourd’hui pas menacée. Elle a cependant bien failli disparaître pour
la simple raison que l’on éliminait systématiquement les vieux arbres munis
d’anciens trous de pics noirs. Pour les autres espèces la situation semble plus
favorable.

Iguanes marins : quelle chance de survie reste-t-il ?

Riche de plus de 700 espèces, la famille des iguanidés est spécifique du Nou-
veau-Monde. Parmi les représentants les plus originaux, il convient de citer
les iguanes marins des Galápagos, qui sont les seuls iguanes et les seuls lézards
marins du monde. Ils se rencontrent le long des côtes rocheuses de l’archi-
pel. Créatures du déluge par leur aspect, leur couleur noir suie par exemple,
ils sont très mimétiques des roches basaltiques sur lesquelles ils passent de
longues heures à se chauffer. Leur taille peut atteindre un mètre de long, et la
queue représente la moitié de la longueur du corps. Animaux à sang froid, les
iguanes doivent commencer leur journée en se réchauffant au soleil : en effet,
leur température interne doit atteindre environ de 35 à 37 degrés pour qu’ils
puissent plonger et se nourrir dans l’eau.
Les espèces menacées 91

Evidemment, toute marée noire a rapidement deux effets négatifs majeurs.


Le premier est l’arrivée du fuel le long des côtes. Dans ce cas, les animaux
seront directement touchés. Le deuxième, plus sournois, est lié à leur régime
alimentaire : les iguanes marins plongeant pour se nourrir, ils ont non seu-
lement plus de risques de s’engluer, mais encore leur source de nourriture
peut être fortement polluée pendant de longues périodes. Ils se nourrissent
d’algues vertes que l’on rencontre dans la zone de marées, entre un et deux
mètres de profondeur. Malgré une espérance de vie de 25 à 30 ans, les effets de
la marée noire ont donc sur eux des conséquences dramatiques que vous ne
rencontrerez nulle part ailleurs.
La revue Nature a publié il y a quelques années une étude tout à fait ori-
ginale sur les iguanes des Galápagos, qui mesurait les effets d’El  Nino sur
leur survie. Il s’avère que la température élevée des eaux a un effet négatif sur
la croissance des algues dont se nourrissent les iguanes. Les chercheurs ont
trouvé que, pendant des périodes de famine, les iguanes diminuaient de taille,
puis pouvaient à nouveau « grandir » lorsque les conditions redevenaient nor-
males. Et il ne s’agit pas de petites différences ! La variation peut atteindre 20%
en deux ans !

Lérotin : il se fait rare en Suisse

Petit rongeur arboricole, membre de la famille des gliridés – comme le loir


ou le lérot – le lérotin porte bien son nom… latin. En effet, Dryomis nitedula
signifie petite souris (nitedula) du chêne (dryos). Nettement plus petit que le
lérot, il en diffère encore par un masque facial noir peu marqué, une queue
plus longue, plus épaisse et sans touffe de poils noir et blanc au bout. La lon-
gueur de son corps atteint 10 à 12 cm pour une queue de 8 à 9 cm. La couleur
générale est grise, voire gris-brun sur le dos, le ventre étant beaucoup plus
clair, soit jaune-beige.
92 Mille milliards de pattes

Il existe deux espèces de Dryomis, la seconde ayant été découverte récem-


ment en Asie Mineure. Le lérotin se rencontre des Balkans jusqu’en Suisse,
mais sa distribution est probablement discontinue plus à l’est, car on retrouve
des populations isolées en Palestine, en Afghanistan et même en Chine. Chez
nous, le lérotin est une espèce très rare dont la distribution actuelle est limitée
à la vallée de l’Engadine dans les Grisons.
Comme son nom l’indique, le lérotin apprécie les arbres dans les forêts de
feuillus ou les forêts mixtes et semble vivre jusqu’à une altitude de 2300 m dans
les Alpes autrichiennes. Il peut aussi coloniser chalets et cabanes de montagne.
Il se déplace sur les arbres et dans les sous-bois. De tous les représentants de
la famille des gliridés, le lérotin est celui qui vit le plus volontiers dans les
forêts de conifères, tant qu’il trouve des buissons. Peu actif la journée, il dort
dans des nids de feuilles et d’herbes sèches qu’il construit dans les buissons. Il
apprécie aussi les nichoirs à oiseaux ou les cavités existantes dans les arbres.
Pour l’hiver, son nid se trouve dans un terrier au niveau du sol. Il hiberne en
principe d’octobre à avril. Cette période est entrecoupée de courtes phases de
réveil. Compte tenu de la longueur de l’hibernation, les pertes de poids sont
très élevées, les animaux passent d’environ 60 g en octobre à 30 g en mai.
En dehors de ces périodes d’inactivité, le lérotin se déplace la nuit à la
recherche de nourriture. Principalement végétarien, il aime les graines, les
petits fruits, les bourgeons et même les lichens. Il complète cependant son
menu par de nombreux insectes et araignées et peut se mettre à l’occasion
sous la dent quelques œufs ou très jeunes oiseaux.
Pour communiquer entre eux, les lérotins produisent des cris doux et
mélodieux alors qu’ils font entendre des grognements et sifflements quand ils
sont excités. Ils arrivent à maturité sexuelle à l’âge de deux ans et les accouple-
ments se déroulent en mai et juin. Les femelles n’ont qu’une portée annuelle
de quatre petits en moyenne, qui naissent après une gestation de 25 à 32 jours.
La longévité de ces rongeurs est mal connue, mais elle pourrait dépasser les
quatre ans.
Les espèces menacées 93

Libellules : liste rouge Suisse

En 1994, paraissait la première liste rouge des libellules de Suisse. Dès lors, on
peut se demander pourquoi une nouvelle liste rouge ? Depuis la parution de
la première version, l’Union internationale pour la conservation de la nature
(UICN) a défini, puis proposé de nouveaux critères et de nouvelles catégories
pour l’établissement des listes rouges nationales et internationales. Ce point
est très important, puisqu’il va permettre la compatibilité entre les différentes
listes dressées en Suisse sur les différents groupes d’organismes, mais aussi et
surtout une compatibilité avec les listes dressées à l’étranger. Alors qu’est-ce
qui a changé ? Aujourd’hui, les listes rouges sont basées sur l’estimation de la
probabilité d’extinction d’une espèce ou d’un groupe d’espèces dans un laps
de temps déterminé. Les principaux critères adoptés pour répartir les espèces
dans les différentes catégories de menace sont quantitatifs. Ils touchent aux
fluctuations d’effectifs ou de taille des populations des espèces considérées,
à la variation de leur aire de distribution, au nombre de stations connues
notamment. Ce sont donc des évaluations plus précises qui permettent une
intervention précoce pour éviter dans certains cas, nous l’espérons, la dispa-
rition d’une espèce.
Les principales catégories de menaces sont les suivantes : éteint lorsqu’il ne
fait plus aucun doute que le dernier représentant d’une espèce est mort ; éteint
régionalement (par exemple, éteint en Suisse mais pas en Europe) ; en danger
critique d’extinction ; en danger ; vulnérable ; quasi menacé.
Qu’en est-il des libellules au niveau suisse ? En 2002, sur les 72 espèces
indigènes, 26 (36%) étaient en voie de régression, voire même d’extinction,
et 12 étaient potentiellement menacées. De plus, on a constaté que, mis à part
certaines espèces rares, 3 espèces communes ont régressé entre 1994 et 2002.
94 Mille milliards de pattes

Parallèlement, 4 espèces d’origine méditerranéenne ont étendu leur territoire


aux régions les plus chaudes de Suisse, et leurs populations sont en augmenta-
tion. Grâce aux travaux qui ont été dirigés par le Centre suisse de cartographie
de la faune à Neuchâtel en collaboration avec différents spécialistes suisses
des libellules (groupe des odonatologues de Suisse), on dispose aujourd’hui
de données précises, et il est beaucoup plus facile de suivre l’évolution de
ces espèces au cours du temps. Cela permet déjà de proposer des mesures
concrètes de protection, comme celle d’éviter l’empoisonnement systéma-
tique des plans d’eau de petite surface ou encore de revitaliser les rives des
cours d’eau afin de diversifier le régime d’écoulement, ou encore d’assurer la
préservation immédiate de l’intégrité des derniers bas et hauts marais. Donc,
suite à l’établissement de ces listes rouges, on peut prendre de bonnes réso-
lutions pour les années à venir et mettre en œuvre de manière adéquate des
mesures de protection.

Lièvre brun

Largement répandu et abondant au début du XXe siècle, le lièvre brun s’est


raréfié à partir des années 1970. De nombreux facteurs ont joué un rôle néga-
tif sur ses populations, mais les profondes mutations agricoles dans le sens du
machinisme et de son intensification sont sans doute les principaux. Il faut
savoir que le lièvre brun est un animal d’origine steppique et qu’au cours des
derniers siècles il a fortement profité des défrichements, colonisant ainsi de
vastes régions d’Europe autrefois couvertes de forêts.

Ce mammifère de taille moyenne est très facile à reconnaître grâce à ses


longues oreilles et ses pattes postérieures particulièrement développées. Un
Les espèces menacées 95

adulte pèse entre 3 et 5 kg pour une taille variant entre 45 et 65 cm de lon-
gueur. Les oreilles mesurent entre 8,5 et 10 cm de longueur. La fourrure est
gris-brun, un peu plus claire sur la partie ventrale. Le lièvre brun mue deux
fois par an, mais sans changer de couleur comme son cousin le lièvre variable,
qui lui mue trois fois par année notamment en automne, où sa fourrure passe
du gris-brun au blanc. L’alimentation du lièvre brun se compose principale-
ment de végétaux, et il possède, comme les autres membres de la famille des
léporidés, un appareil digestif spécialisé pour assurer la digestion d’une telle
nourriture.
En Suisse, le lièvre brun est une espèce de basse et de moyenne altitude. On
peut le rencontrer sur le Plateau et les étages collinéen et montagnard jusqu’à
une altitude de 1500 m environ. Il est présent sur l’ensemble de la chaîne
jurassienne et dans le fond des vallées alpines, où il remplace le lièvre variable.
Face à la diminution effective des populations, les lièvres bruns sont recen-
sés dans 218 régions de Suisse depuis 1991. Les premiers résultats ont été pré-
sentés dans la revue Environnement de l’Office fédéral de l’environnement en
2002. Ils indiquent que, dans plus de la moitié des zones de recensement, la
densité n’est que de deux ou trois individus par km2, ce qui est très près du
seuil critique en dessous duquel l’espèce disparaît. On estime qu’une densité
de six individus au km2 est suffisante pour assurer le maintien de l’espèce.
Or seuls 12% des zones de recensement atteignent ou dépassent cette den-
sité. Selon cette étude, le plus important est la taille de l’espace vital. Seuls les
espaces vitaux suffisamment vastes et qui se chevauchent légèrement permet-
tent des réunions collectives pour l’accouplement. Il leur faut de plus un sol
assez sec, une grande diversité culturale et la présence de haies. Actuellement
la meilleure région est celle du Grand Marais, sur les cantons de Fribourg et de
Berne. Dans cette région, on découvre en moyenne 20 lièvres au km2. La situa-
tion s’y améliore lentement mais sûrement depuis 1997, avec une progres-
sion moyenne de l’ordre de 8%. C’est un bon début, et l’on peut se demander
s’il s’agit des premiers effets des surfaces de compensation écologique. Cela
devrait encourager tous les agriculteurs à poursuivre voire à développer ces
surfaces.

Loup d’Abyssinie

Le loup d’Abyssinie, appelé aussi chacal du Simien est un animal mythique,


sans doute le canidé le plus rare à la surface de notre planète. Au XIXe siècle, il
était signalé dans toute l’Ethiopie montagneuse. Aujourd’hui, ses populations
sont estimées à moins de 400 individus et la moitié se trouve dans le parc
national des montagnes de Balé, au sud-est du plateau éthiopien.
96 Mille milliards de pattes

Ce canidé social est caractérisé par son adaptation exceptionnelle aux alti-
tudes élevées (3000-4100 m). Il ne dépasse pas les 20 kg et se nourrit essentiel-
lement de rongeurs, très abondants à cette altitude. La chasse dont il fait l’objet
le pousse à être nocturne. Il est curieux de constater qu’il se nourrit essentielle-
ment de proies qu’il chasse seul, alors que les groupes sociaux se forment géné-
ralement en vue d’une coopération permettant de chasser des grosses proies.
Il déroge ainsi à la règle. Les groupes sont bien déterminés, comme chez le
loup, et les conflits entre groupes sont fréquents. La structure sociale du loup
d’Abyssinie repose sur un couple dominant entouré d’individus subordonnés.
Une meute comprend de 3 à 13 individus. Ce sont souvent les jeunes femelles
qui quittent la meute pour éviter une trop grande consanguinité.
Les rongeurs représentent plus de 90% des proies retrouvées dans les fèces
collectées. Trois espèces sont dominantes soit le rat-taupe géant et deux rats
de prairie très communs. Le rat-taupe géant est une espèce endémique des
pelouses afro-alpines du massif montagneux du centre de l’Ethiopie. D’un
poids oscillant entre 300 g et un kilo, ce rongeur est une proie de prédilection
car sa densité peut atteindre 6000 individus au km2 ! Chaque individu possède
son propre réseau de galeries pouvant atteindre une centaine de mètres. Il n’en
sort que rarement et ses yeux sont disposés sur la tête ce qui lui donne l’aspect
d’un crapaud, mais s’avère particulièrement utile pour surveiller ce qui vient
d’en haut.
L’animal est pourchassé depuis longtemps parce qu’il est considéré comme
nuisible pour les espèces domestiques. Il est en compétition avec les chiens
domestiques qui, par ailleurs, lui transmettent des maladies, comme la rage.
Au début des années 1990, la rage a décimé la moitié de sa population. Il est
Les espèces menacées 97

victime d’hybridations en se reproduisant avec ces mêmes espèces. Par contre,


il n’a apparemment pas été chassé ni braconné, et n’a jamais fait l’objet d’un
commerce. Mais comme beaucoup d’espèces sauvages dans cette région de
l’Afrique, il est victime des armes à feu qui ont proliféré à cause des guerres,
depuis deux ou trois décennies, et qui sont utilisées couramment par les
habitants de la région. Depuis une dizaine d’années, une équipe internatio-
nale étudie cette espèce et sous l’impulsion de l’Union internationale pour
la conservation de la nature (UICN), un plan de sauvetage de l’espèce a été
proposé (Ethiopian Wolf Conservation Programme).

Loutres de mer : bonne nouvelle !

Il existe deux espèces de loutres aux Etats-Unis, la loutre des rivières et la


loutre de mer. Or, si les deux espèces sont encore menacées, celle de mer a bien
failli disparaître définitivement au début du XXe siècle.
Si la grande majorité des mammifères marins alignent les couches de
graisse pour se protéger du froid, les loutres de mer sont fines et élancées. Elles
luttent contre le froid grâce à leur pelage dont la densité de poils est de l’ordre
de plusieurs centaines de milliers par cm2 et aussi grâce à un métabolisme
élevé. En effet, chaque individu mange le quart de son propre poids chaque
jour (entre 2 et 9 kg de nourriture). Si cela paraît élevé, il faut savoir que les
proies des loutres se récoltent assez facilement puisqu’elles consomment des
moules, des coquillages, des étoiles de mer, des crabes et des poissons. Pour
ce faire, les loutres peuvent rester sous l’eau entre 4 et 5 minutes. Mais le plus
intéressant chez ce petit mustélidé est l’utilisation d’outils pour ouvrir ses
proies. Les loutres ramènent des pierres et s’installent sur le dos, posent leurs
coquilles à ouvrir sur leur ventre et tapent avec insistance. Ce système semble
être très efficace, compte tenu de la demande en énergie.
Avant que la chasse, au XIXe siècle, anéantisse presque toutes les popula-
tions, les loutres de mer étaient répandues le long de la côte ouest des Etats-
Unis. L’interdiction de la chasse fut prononcée en 1911, mais on ne vit tout
de même plus aucune loutre depuis. C’est en 1938 qu’une cinquantaine d’in-
dividus réapparurent à proximité de Carmel (Californie). Cette population,
alors protégée, se développa bien. Dans les années 1960, elle comptait environ
1 millier d’individus. Aujourd’hui, plus de 2000 individus se répartissent au
nord et au sud du parc de Point Lobos, situé à proximité immédiate de la
petite ville de Carmel. Il existe également des populations le long des côtes
d’Alaska et des îles Aléoutiennes.
L’une des particularités des loutres de mer est de vivre en mer : elles s’y
nourrissent, y dorment, s’y reproduisent et ne sortent que très rarement à
98 Mille milliards de pattes

terre. Compte tenu de leurs pattes arrières transformées en organe de natation


et contrairement à leurs cousines des rivières, elles sont très maladroites sur
terre ferme et ne sortent que si les conditions en mer deviennent périlleuses.
Lorsque les petits naissent, ils ont les yeux ouverts, une fourrure adéquate,
mais passent une bonne partie du temps sur le ventre de leur mère pour téter,
puis s’alimenter des restes qu’elle leur abandonne. Une femelle met au monde
un petit chaque année, rarement deux. Afin de s’assurer une position confor-
table pour la nuit, les loutres de mer s’accrochent et s’entourent des grandes
algues qui forment de véritables forêts lacustres, une partie flottant à la surface
des eaux. D’ailleurs ces algues sont une excellente protection contre leurs pré-
dateurs comme les orques ou les requins, ces derniers n’aimant pas s’emmêler
dans cette jungle aquatique.

Lucane : magnifique cerf-volant

Le lucane cerf-volant est probablement l’un des plus grands coléoptères euro-
péens. Tout comme les scarabées et quelques familles voisines, les lucanidés
appartiennent à la superfamille des scarabéoïdes qui se reconnaissent à leurs
antennes terminées par des articles en lamelles. D’ailleurs, on les appelait
autrefois des lamellicornes. Le nom de lucane, ou Lucanus en latin, aurait été
donné à cet insecte plus d’un demi-siècle avant Jésus-Christ ! En effet, un ami
de Cicéron, savant de l’ancienne Rome, nommé Nigidius Figulus, le men-
tionne déjà. Vous pouvez également relire L’Histoire naturelle de Pline, il parle
de cette espèce dans son livre numéro XI.
Cette espèce est caractérisée par un fort dimorphisme entre mâle et
femelle. Le mâle peut atteindre 7,5 cm de long, exceptionnellement 9 cm ! La
Les espèces menacées 99

femelle est nettement plus petite ne dépassant guère 4 à 5 cm. Mais ce n’est pas
tout, le mâle a, pour une fois, une tête étonnamment développée, bien plus
large que le thorax, portant une paire de mandibules complètement hypertro-
phiées, ressemblant un peu à des bois de cerf. A côté de ces grands individus
majestueux, on rencontre une forme plus petite appelée capreolus, atteignant
au plus 4 cm de longueur, dont les mandibules sont nettement plus petites et
plus faibles. Selon le coléoptèriste suisse V. Allenspach, il n’y aurait guère que
2% de géants. Dès qu’on quitte la plaine, on ne rencontre plus que des mâles
de taille petite à moyenne.
Le lucane cerf-volant apprécie les vieilles chênaies et châtaigneraies. Les
adultes volent au crépuscule de mai à octobre, mais sont surtout abondants
en juin et juillet. Ils recherchent les arbres sur lesquels la sève s’écoule d’une
blessure. Les mâles n’utilisent pas leurs immenses mandibules pour se nour-
rir, mais lèchent la sève avec leur grande langue jaune et velue, comme les
femelles d’ailleurs. Les mandibules servent uniquement au combat des chefs,
pour gagner une femelle. Ces combats se terminent assez souvent en laissant
des individus en piteux état.

Après l’accouplement, la femelle pond ses œufs dans des souches ou dans
le bois pourrissant de vieux chênes ou châtaigniers. Comme la plupart des
insectes xylophages, le développement larvaire est excessivement lent. Chez
nous, ce développement peut atteindre facilement cinq à six ans avant que la
larve ne passe au stade de nymphe. Juste avant de se nymphoser, elle quitte le
bois pour s’enterrer à 20 cm environ sous la surface du sol où elle s’aménage
une loge de terre agglutinée de la taille du poing.
L’insecte adulte éclot en automne mais reste jusqu’à l’année suivante sous
terre avant de se frayer un chemin à l’air libre. En Suisse, le lucane se ren-
contre au pied du Jura, dans le bassin lémanique, en Valais, au Tessin et dans
les vallées orientées au sud. Les modifications peu judicieuses de notre paysage
affectent sa survie, et aujourd’hui, il figure comme espèce protégée par la loi
sur la protection de la nature et du paysage.
100 Mille milliards de pattes

Lycaon d’Afrique en sursis

Le plus grand des canidés sauvages est menacé de disparition, mais que sait-on
vraiment ?
Reconnaissables à leur pelage aux motifs flamboyants, les lycaons ont une
allure un peu équivoque qui n’est pas sans rappeler celle des hyènes. En effet,
ils partagent avec ces dernières le même museau court et épais, un crâne muni
de fortes crêtes osseuses et des oreilles démesurément grandes. Pourtant, ils
n’ont aucun lien de parenté, même si parfois on les a appelé « chiens-hyènes ».
Ce canidé est le seul à ne posséder que quatre doigts à chaque patte, alors que
toutes les autres espèces possèdent quatre doigts aux pattes postérieures et
cinq aux antérieures.

C’est probablement l’espèce de carnivore la plus menacée actuellement.


Largement distribué en Afrique autrefois, il a disparu de 25 des 39 pays afri-
cains qu’il colonisait. La population actuelle est estimée à moins de 6000 indi-
vidus. Parmi les facteurs responsables de leur déclin, il faut citer la taille des
territoires. Même de petites populations ont besoin de très grands territoires
pour survivre. Le deuxième problème est la présence de grands prédateurs
comme les lions et les hyènes. De ce fait, les lycaons évitent ces zones, aussi
riches en gibier et se retrouvent dans des zones moins favorables. On avait
souvent évoqué certaines maladies transmises par les chiens domestiques. Les
dernières recherches effectuées semblent plutôt indiquer que cela n’est pas le
cas et qu’elles ne toucheraient que 5% des populations. Il faut encore relever
Les espèces menacées 101

que dans les zones protégées et parcs nationaux, les causes de mortalité sont
plus naturelles qu’à l’extérieur de ces zones. Les chercheurs suggèrent que cette
espèce pourrait survivre sans trop de problèmes dans des zones surveillées et
consacrées soit à l’élevage d’ongulés sauvages ou domestiques, mais qu’il est
urgent de trouver des solutions pour les zones non protégées.

Lynx

Après une absence d’une centaine d’années, le lynx eurasien (Lynx lynx) a été
réintroduit en Suisse dans le Jura et les Alpes au cours des années 1970. Il a alors
rapidement colonisé l’ouest et le centre des Alpes, ainsi que le sud du Jura. Il est
donc à nouveau présent en Suisse depuis 40 ans. Le type d’habitat lui convient
bien et il y a suffisamment de proies. Pourtant, l’espèce garde aujourd’hui le
statut d’espèce menacée. Certaines régions n’ont que peu été colonisées malgré
la présence de zones favorables. C’est notamment le cas des Grisons. Pour le
lynx autant que pour nous, il serait préférable que sa population s’étende sur
une plus grande surface mais avec des densités plus réduites. Cependant, des
barrières naturelles et artificielles (crêtes montagneuses élevées, lacs, agglomé-
rations, autoroutes) s’opposent à une expansion spontanée. Le projet de dépla-
cer des lynx vers l’est du pays est en discussion, afin de combler l’espace qu’il y
a entre les populations des Alpes suisses, de Slovénie et du Kärnten.
Il y a 4 espèces de Lynx (famille des félins). Les femelles pèsent chez nous de
17 à 20 kg, les mâles jusqu’à 25 kg. Le lynx habite les forêts. Il n’est initialement
pas lié aux montagnes, il est absent du Plateau suisse parce que cette région
102 Mille milliards de pattes

est trop déboisée et trop urbanisée. La femelle met bas de 1 à 4 petits fin mai
ou début juin. Elle élève seule les jeunes. Ces derniers se nourrissent de lait
jusqu’à ce qu’ils parviennent à suivre leur mère jusqu’à une proie. Ils restent
avec elle durant 10 mois, puis quittent son territoire. La taille des territoires
varie fortement en fonction de la disponibilité de la nourriture et l’état de la
population. En Suisse, des territoires de 150 km² en moyenne et 90 km² chez
les femelles ont été mesurés.
Le lynx est un chasseur de petits ongulés tels que le chevreuil ou le cha-
mois. Ces derniers représentent plus de 80% de leur nourriture. Les ani-
maux domestiques – en particulier le mouton – n’ont de l’importance qu’à
un niveau local et limité dans le temps et uniquement pour l’alimentation
de certains individus isolés. Un lynx a besoin d’environ un chevreuil ou d’un
chamois par semaine.
Avant d’entendre les récriminations des chasseurs et des éleveurs de mou-
tons, il convient de mettre en avant quelques informations souvent oubliées.
Dans un écosystème en équilibre, la présence d’un prédateur n’a jamais conduit
à la disparition des espèces prédatées. On a remarqué, lors de la réintroduc-
tion du loup dans le parc américain de Yellowstone, que le prédateur avait la
vie facile les deux premières années, le temps que les ongulés se réhabituent
à la présence du prédateur. Puis un nouvel équilibre s’instaure, les ongulés
développant une stratégie antiprédation, comme être moins visible en dehors
des massifs forestiers, ou en restant plus groupés. Une coexistence est alors
possible et un nouvel équilibre se met en place. La surveillance des troupeaux
par des bergers et des chiens est une mesure très efficace pour la prévention
des attaques de lynx.

Manchots de Humboldt : plongée dans leur monde

Le terme de manchots s’applique à un groupe d’oiseaux de l’hémisphère Sud,


inaptes au vol, dont l’aspect comique  – la posture redressée et la démarche
dandinante – a fortement tendance à repousser au second plan les prouesses
aquatiques dont ils sont capables. On les a initialement associés aux pin-
gouins de l’Atlantique, mais il s’agit très clairement de deux familles bien 
distinctes.
La plupart des manchots se rencontrent entre les degrés 45 et 60 de lati-
tude sud. Les effectifs les plus importants se rencontrent autour des côtes de
l’Antarctique et sur les îles subantarctiques. Leur distribution et leurs déplace-
ments sont encore mal connus. Certaines espèces se rencontrent le long de la
côte ouest de l’Amérique du Sud jusqu’à la hauteur de l’équateur. C’est le cas
notamment du manchot de Humboldt (Spheniscus humboldti) que des cher-
Les espèces menacées 103

cheurs canadiens, américains et péruviens étudient depuis plusieurs années


le long des côtes du Pérou. Les effectifs de cette population sont estimés à
quelque 4000 individus adultes. Des pertes dues à des individus se prenant
dans les filets des pêcheurs ont été recensées. Afin de trouver une solution
convenable à la fois pour les manchots et les pêcheurs, les chercheurs se sont
penchés sur trois aspects particuliers.
Pour commencer, ils se sont intéressés au comportement de recherche de
nourriture du manchot, puis ils ont essayé de voir s’il y avait des différences
entre mâles et femelles, et enfin ils ont proposé une série de mesures qui
devraient éviter la mort d’individus pris dans les filets.

Pour étudier le comportement de récolte de nourriture pendant le nour-


rissage des jeunes, 13 individus femelles et 14 mâles ont été équipés d’un
émetteur enregistrant toutes les 7 secondes la profondeur de l’individu. Les
appareils furent laissés pendant 2 semaines, et au total les chercheurs purent
analyser 83 000 plongées. On distingue très clairement les plongées peu pro-
fondes (de 2 à 4 m) des plongées profondes (> 4 m). La durée d’une plongée
est en moyenne de l’ordre de 40 secondes. Les manchots cherchant leur nour-
riture pendant le jour font ordinairement des plongées de courtes durées à
moins de 30 m. Les excursions nocturnes sont fréquentes et sont associées
à des durées significativement plus longues de recherche de nourriture. Il
n’y a pas de différences prononcées entre les 2 sexes. Les chercheurs pen-
sent que les manchots réussissent à garder leur forme physique en dosant les 
104 Mille milliards de pattes

excursions diurnes et nocturnes. Les différences de durée entre celles-ci sont


dues au fait que les excursions de nuit servent à couvrir les besoins alimen-
taires des adultes et des petits alors que les excursions de jour ne servent qu’à
combler les besoins des petits.
Les manchots pourraient être protégés des captures occasionnelles dans les
filets de pêche si les entreprises commerciales évitaient de déployer des filets
de surface durant la nuit et aux profondeurs de 0 à 30 m durant le jour.

Marsouin

Très répandu autrefois sur les côtes d’Europe, le marsouin commun fréquente
surtout les eaux dont la température ne dépasse pas 15°C. Il habite principale-
ment dans l’Atlantique nord et le Pacifique nord ainsi que dans la Méditerra-
née. Migrateur, il passe l’hiver dans le sud de son aire de répartition et rejoint
les mers froides en été. Il remonte parfois les fleuves. On peut l’observer, bien
que très rarement, dans la Tamise, l’Elbe, la Seine, la Meuse ou encore l’Escaut.
La famille des marsouins, les phocoenidés, compte 6 espèces. Ils constituent
du point de vue anatomique un groupe assez homogène. Ils sont dépourvus
du « bec » caractéristique de la plupart des dauphins.

D’assez petite taille, le marsouin commun possède un corps trapu avec une
tête plutôt arrondie et tronquée. Les nageoires pectorales sont ovales, légère-
ment incurvées et falciformes. La nageoire caudale a une encoche médiale et
la dorsale, assez petite et de forme triangulaire se trouve plutôt à l’arrière du
corps. La taille peut atteindre 1,5 à 2 m pour un poids variant de 45 à 90 kg. 
Le marsouin commun possède de 22 à 28 dents sur chaque demi-mâchoire,
dont l’extrémité aplatie leur confère une certaine ressemblance avec nos inci-
Les espèces menacées 105

sives. Le dessus du corps est gris foncé et les flancs présentent des taches gris
clair, le ventre étant plus clair.
Essentiellement piscivore, le marsouin commun sélectionne sa nourriture.
Il ne mange pratiquement que des poissons de la famille des harengs, comme
la sardine et le maquereau. Ses besoins journaliers varient entre 3 et 5 kg de
poissons par jour. Le marsouin est grégaire et vit souvent en petits groupes
de 5 à 10 individus. Il se déplace assez lentement et pratique des plongées
de 4 minutes en moyenne, mais il peut rester jusqu’à 12 minutes sous l’eau.
Contrairement aux dauphins, plus curieux et joueurs, le marsouin est assez
farouche et ne se laisse pas approcher, fuyant devant les bateaux et évitant les
baigneurs et les plongeurs. C’était probablement le cétacé le plus commun le
long des côtes européennes au XVIIIe siècle. On l’appelait alors le cochon de
mer. Malheureusement trop chassé, il se raréfie, même s’il n’a plus une très
grande valeur marchande, on en tue encore 1000 par an au Groenland et en
Islande. Comme les marsouins préfèrent s’attaquer aux poissons pélagiques,
ils se trouvent vulnérables aux captures par certains types de pêche. D’autre
part lorsqu’ils chassent, les marsouins semblent trop accaparés par la pour-
suite de leurs proies pour éviter de rentrer dans un filet dérivant.
Dans le nord de l’Europe, les accouplements ont lieu entre août et sep-
tembre. Mâles et femelles sont matures en même temps soit à l’âge de 3 ou 4
ans. Le cycle de la femelle est de 2 ans et les naissances se produisent du début
du printemps au début de l’été, après une gestation de 8 à 11 mois. Les jeunes
tètent leur mère jusqu’à l’âge de 8 mois bien qu’ils commencent déjà à se nour-
rir de poissons dès 5 mois.

Martinets

Le programme de conservation des oiseaux lancé en 2003 par l’Association


Suisse pour la Protection des Oiseaux (ASPO/BirdLife Suisse) et la Station
ornithologique suisse de Sempach avec la collaboration de la Confédération
et des cantons compte 50 espèces prioritaires, et nous trouvons parmi elles, les
martinets noirs et à ventre blanc. Ces deux espèces sont migratrices et revien-
nent d’Afrique au printemps pour nicher et élever leur progéniture chez nous.
Ces oiseaux ne nichent qu’une fois par année et le plus souvent seuls deux
jeunes s’envolent. Ces espèces méritent donc un petit coup de pouce.
Le martinet noir est le plus petit et le plus commun. Il mesure environ
16  cm pour un poids de quelques 50  g (à peu près deux fois plus grand et
plus lourd qu’une hirondelle). Son envergure est d’environ 40 cm. Le marti-
net à ventre blanc ou martinet alpin est plus rare. Sa taille est de 22 cm pour
un poids pouvant atteindre 100  g et son envergure atteint les 55  cm. On le
106 Mille milliards de pattes

reconnaît facilement grâce à son ventre blanc. Enfin, le martinet pâle ne peut
être observé qu’au Tessin. Il est à peine plus grand que le martinet noir et son
plumage est légèrement plus pâle comme l’indique son nom.
Les martinets sont des oiseaux au vol gracieux et puissant. Il faut dire
qu’ils passent la majeure partie de leur vie dans les airs. Les pattes sont tel-
lement petites que les martinets ne peuvent pas marcher ni sautiller après
un atterrissage, ils rampent plus ou moins péniblement en s’aidant de leurs
ailes. Une chose est sûre, il leur est très difficile, voire quasiment impossible de
s’envoler du sol. Ils se posent donc sur des endroits raides d’où ils se laissent 
tomber pour repartir dans les airs. Autrefois ils nichaient dans de hautes
falaises, mais aujourd’hui la majorité des sites de nidification se trouve dans
des bâtiments.

Le martinet noir apprécie les cavités assez petites, étroites et sombres tan-
dis que le martinet à ventre blanc semble profiter d’espaces plus spacieux.
Le plus souvent ils nichent en colonies, même si parfois quelques couples
se retrouvent isolés. Les martinets volent directement jusque dans leur nid
sans s’arrêter sur une branche ou une bordure de fenêtre. Avec leurs longues
ailes, ils ont beaucoup de peine à éviter les obstacles aériens comme les lignes
téléphoniques, les lignes électriques aériennes ou les dispositifs anti-pigeons.
Donc le chemin d’accès au trou du nid doit être dégagé. De plus les cavités
doivent être bien abritées de la pluie et de l’eau de ruissellement. Enfin le bord
inférieur du trou d’accès au nid doit être rugueux afin que les oiseaux puissent
s’y accrocher avec leurs griffes avant de grimper vers la cavité.
Si vous avez déjà la chance d’avoir des martinets nichant dans votre bâti-
ment et que des travaux de rénovations de la toiture doivent se dérouler, il est
indispensable d’effectuer les travaux en dehors de la période de reproduction
qui s’étend du début avril à la mi-septembre pour le martinet à ventre blanc et
de la mi-avril à la mi-août pour le martinet noir.
Les espèces menacées 107

Morue ou cabillaud

Dans les années 1990, le Conseil international pour l’exploitation des mers
(CIEM), organisme indépendant regroupant des spécialistes de 19 pays et
basé au Danemark, indiquait dans un rapport à la Commission européenne
de l’agriculture et de la pêche que les stocks de certains poissons étaient au
plus bas, nécessitant des mesures urgentes de contrôle et de conservation. Les
réserves de cabillaud notamment avaient fondu de 60%, et d’autres espèces se
raréfiaient plus vite encore, comme l’églefin ou le merlan.
Le cabillaud, ou morue, est l’une des 59 espèces appartenant à la famille
des gadidés. Cette famille regroupe notamment le merlan, le merlu, l’églefin
ou le lieu. Toutes ces espèces ont une importance économique considérable
et sont largement consommées fraîches, séchées, salées, fumées ou encore en
filets surgelés. Quelques-unes vivent en solitaires, mais la plupart sont erra-
tiques et se réunissent en bancs immenses pour accomplir de plus ou moins
imposantes migrations vers les lieux de ponte et de nutrition. L’une des prin-
cipales caractéristiques des gadidés est la présence des nageoires soutenues
par des rayons mous et des écailles cycloïdes (caractères primitifs), alors qu’ils
possèdent aussi des nageoires pelviennes en position antérieure et une vessie
gazeuse sans connexion avec l’œsophage (caractères évolués). La plupart des
gadidés se reconnaissent à la présence d’un petit barbillon mentonnier. Tous
sont des prédateurs carnivores qui se nourrissent d’invertébrés et d’autres
poissons.

La morue change de couleur en fonction du lieu. Sa robe est rougeâtre


dans un habitat d’algues, devient verdâtre dans les herbiers marins et grise sur 
les fonds sableux. Mais, généralement de couleur verte, elle est traversée par
une ligne latérale blanchâtre qui sépare le dos foncé et tacheté des flancs plus
clairs.
La morue est un poisson des mers froides. Elle se reproduit dans des eaux
dont la température n’excède pas 6 degrés. Au printemps, elle migre vers les
eaux septentrionales. Elle atteint la maturité sexuelle entre 5 et 10 ans. La
morue est capable de pondre plus de 10 millions d’œufs. Ces ovocytes fécon-
108 Mille milliards de pattes

dés lors de la ponte remontent à la surface de l’eau et flottent à la merci des


courants et des prédateurs. Les jeunes larves qui éclosent après deux à quatre
semaines subissent le même sort. Un œuf sur un million seulement est suscep-
tible de devenir un poisson mature !
Les spécimens de morue pêchés de nos jours pèsent exceptionnellement
plus de 11  kg, alors que certaines prises atteignaient 90  kg à la fin du XIXe
siècle ! Depuis la découverte du Nouveau-Monde, la morue est la principale
espèce pêchée dans l’Atlantique nord-ouest. Les prises ont fortement aug-
menté dans les années 1960 pour atteindre un sommet de presque 2 millions
de tonnes. Cette surexploitation a entraîné une diminution spectaculaire des
prises dans les années 1970, avec moins de 500 000 tonnes en 1977, et a conduit
à l’effondrement des pêches côtières et hauturières dans les années 1990.

Nacrés

Les nacrés sont un groupe de papillons appartenant à la famille des nympha-


lides. Les nymphalides, représentés par un peu moins de 50 espèces en Suisse,
sont des papillons diurnes splendides, moyens à grands, dont les ailes sont
ornées de dessins et couleurs bigarrées. Le dessous des ailes arbore le plus sou-
vent une coloration brun-gris, parfois assez foncée, qui constitue une livrée
de camouflage de haute qualité. Cependant, le groupe des nacrés diffère de ce
schéma par la coloration aux reflets nacrés de certaines parties de l’envers des
ailes postérieures. Ces taches ressemblent parfois à des gouttes de rosée. Les
pattes antérieures des nacrés sont atrophiées et transformées en pattes net-
toyeuses finement poilues. Le dessus des ailes est orange avec des taches et
des stries transversales noires. Les chenilles sont assez trapues et possèdent six
rangées d’épines dont 4 sur le dos et une sur chaque côté. Les épines situées
juste derrière la tête se prolongent parfois comme des antennes. Mais il est rare
de rencontrer ces chenilles, car elles vivent très dissimulées et ne s’alimentent
la plupart du temps que la nuit.
Les espèces menacées 109

La plupart des nacrés se retrouvent en Suisse de l’étage collinéen à l’étage


subalpin. Cependant, trois espèces sont nettement plus alpines comme le
nacré subalpin ou Boloria pales qui colonise toutes sortes d’alpages, même
pâturés intensément et qui peut atteindre 3000 m d’altitude. Plus bas en
altitude, vous pouvez rencontrer une très belle espèce : le tabac d’Espagne. 
Ce papillon se trouve habituellement sur les chemins forestiers, dans les clai-
rières et le long des lisières. Les adultes volent du début juillet à la mi-sep-
tembre. Le papillon se reconnaît facilement au fait que la face inférieure des
ailes postérieures brille d’un éclat métallique verdâtre et possède des stries
argentées.
Autrefois abondant, le grand nacré est devenu rare sur le Plateau, mais
demeure encore relativement fréquent en Valais et au Tessin. Sur la face infé-
rieure des ailes postérieures, la zone des taches nacrées est couverte d’écailles
d’un vert chatoyant. Le grand nacré se rencontre de juin à août à l’état 
adulte, dans les prés naturels en forêts et en lisières de forêts. Plus haut en
altitude, il fréquente les pâturages. La chenille se cache la journée et si elle est
dérangée, elle se déplace rapidement de manière très nerveuse. La survie de
cette espèce sur le Plateau dépend de la présence de prés maigres exploités
extensivement.
Finalement, le petit nacré, relativement abondant jusque dans les années
1950 à cause de l’assolement triennal et de la prolifération de sa plante-hôte, la
violette (Viola tricolor), se raréfie de plus en plus sur le Plateau. Aujourd’hui, il
est encore assez fréquent dans les zones sèches cultivées extensivement.

Oiseaux suisses : conservation

Fin 2009, la Station ornithologique suisse a publié son rapport annuel, tout
à fait instructif ! La station, en collaboration avec l’Association suisse pour la
protection des oiseaux (ASPO/Birdlife Suisse) et l’Office fédéral de l’environ-
nement, travaillent ensemble dans le programme national « Conservation des
oiseaux en Suisse ». Par exemple deux nouveaux plans d’action concernant le
grand tétras et le pic mar ont débuté. A côté de ceci, diverses actions commen-
cent à porter leurs fruits : les effectifs de 11 des 50 espèces prioritaires aug-
mentent à nouveau. Il s’agit notamment de la nette rousse, la cigogne blanche,
le milan royal, le faucon crécerelle, le gypaète barbu ou encore le martinet à
ventre blanc et la huppe fasciée. Mais malgré ces nouvelles réjouissantes, la
moitié des espèces prioritaires continuent de diminuer leurs effectifs !
En Suisse l’avenir du tarier des prés est plutôt sombre. Nicheur des prairies
et insectivore, il subit une trop forte pression. En effet, aujourd’hui l’herbe est
ensilée, même dans les régions de montagnes. Cela signifie que de nombreux
110 Mille milliards de pattes

insectes disparaissent dans les balles blanches que l’on aperçoit dans les prai-
ries de fauche. A côté de cela s’ajoute le fait que les faucheuses détruisent les
nids et les femelles qui couvent. Sur le Plateau suisse, le tarier des prés a dis-
paru depuis longtemps, mais il est aujourd’hui évincé du Jura et des Alpes par
la culture herbagère intensive. Il serait indispensable de reporter la date de la
première fauche au début juillet.
Un travail de recherche mené par l’Université de Berne et la Station orni-
thologique a permis de chiffrer l’influence des sports d’hiver sur la faune sau-
vage. Ainsi, plus il y a de téléskis, moins il y a de tétras lyres. Sur les domaines
skiables, les effectifs sont inférieurs de 49% par rapport aux zones non aména-
gées. L’influence des remontées mécaniques se fait sentir jusqu’à une distance
de 1500 m. Il faudrait prévoir des zones de refuge hivernal, permettant notam-
ment au tétras lyre de survivre durant la mauvaise saison.
Pour terminer ce survol très rapide, sachez aussi que la Station ornitholo-
gique se préoccupe de la migration des oiseaux qui se déplacent à travers l’Eu-
rope pour gagner l’Afrique. Sur la base de données détaillées, il a été estimé
que chaque automne ce ne sont pas moins de 2,1 milliards de petits oiseaux
qui migrent en Afrique tropicale. Cependant, les migrateurs sont exposés
à de nombreux dangers, comme la chasse et la disparition d’aires de repos
vitales au cours de leur migration. La modification des paysages autour de la
Méditerranée (utilisation des sols pour la construction ou l’agriculture) joue
un rôle clé dans la survie des migrateurs. Ce sont surtout les populations de
migrateurs au long cours qui subissent le plus de pertes comme le coucou gris
et le rossignol philomène, mais les cailles des blés, les hirondelles de rivage, les
rouges-queues à front blanc sont aussi touchés.

Omble chevalier

Jean-François Rubin, ancien conservateur au Musée du Léman a passé de


nombreuses heures à observer les ombles chevaliers derrière le hublot du
sous-marin F.A.-Forel. Il a notamment mis en évidence les conditions indis-
pensables pour que ce poisson puisse se reproduire de façon optimale. Les
principales frayères de l’omble chevalier ont été étudiées et une dizaine de
sites ont été recensés. Ces zones se présentent comme de grandes coulées de
cailloux dépourvues de sédiments fins à leur surface. Elles sont situées à une
profondeur variant entre –50 et –120 m. A première vue, elles résultent sou-
vent d’immersion volontaire ou non de graviers dans le lac. Suivant le travail
de ce chercheur, trois critères semblent fondamentaux pour assurer la péren-
nité d’une omblière : un apport constant de gravier, la présence de courants
importants et des sites en profondeur.
Les espèces menacées 111

Si dans les années 1980, le mauvais état de santé du Léman ne permettait


pas une reproduction naturelle convenable de l’omble, les choses ont évolué
et aujourd’hui, le lac est en voie nette d’amélioration. Donc, on pouvait s’at-
tendre à un rétablissement des populations d’ombles, ce qui s’est effective-
ment passé jusqu’à la fin des années 1990. Malheureusement, depuis le début
des années 2000, les captures s’effondrent et les pêcheurs professionnels s’in-
quiètent sérieusement de cette situation. Plusieurs hypothèses sont évoquées
pour expliquer ce phénomène allant de l’évolution naturelle du peuplement
(phénomène naturel de régulation des populations), à l’accroissement de la
prédation par le brochet (dont les populations ont explosé depuis les années
1990) en passant par l’augmentation de la température des eaux. On sait
qu’une température supérieure à 8°C entraîne la mort de la plupart des œufs
lors de l’incubation. Si la température des frayères est actuellement de l’ordre
de 5 à 6°C, il faut espérer que le brassage des eaux en hiver ne diminue pas
même lorsque les hivers sont très doux.
A ce stade, aucune des hypothèses émises ne parvient à expliquer ce que
l’on constate. Il est donc important de reprendre tous les aspects de la gestion
de cette espèce emblématique du Léman si l’on veut lui assurer une véritable
pérennité.

Ombre : superbe poisson indigène

L’ombre compte parmi les poissons les plus menacés de nos rivières. Il doit
son nom latin de Thymallus thymallus à sa chair subtilement aromatisée (du
latin thymum : thym). Proche des salmonidés, il est à classer dans la famille des
thymallidés, dont il est le seul représentant en Suisse. En revanche, il n’est pas
unique en Europe, puisqu’on a introduit à la fin du XIXe siècle le Thymallus
arcticus baikalensis, poisson d’origine asiatique.
L’ombre a un corps fusiforme comprimé latéralement et recouvert d’écailles
plus grandes que celles des salmonidés. Il se caractérise par la disproportion de
112 Mille milliards de pattes

ses deux nageoires dorsales : l’une, haute et longue et constituée d’une ving-
taine de rayons (d’où le surnom de « porte-étendard » ou de « grand voilier »).
L’autre, petite et adipeuse (donc sans rayons) est située plus en arrière. La cau-
dale, profondément échancrée, est portée par un pédoncule effilé. Ce poisson
d’eau douce, de 20 à 40 cm se reconnaît aussi à sa tête conique terminée par
une petite bouche bordée de lèvres dures orientées vers le bas et à ses yeux
aux grandes pupilles cerclées d’or, en forme de goutte étirée vers l’avant. La
coloration est variable suivant l’âge. Le dos est verdâtre, grisâtre ou bleuâtre,
les flancs argentés avec quelques points sombres, et de fines lignes longitudi-
nales et parallèles de couleur grisâtre. La première nageoire dorsale est jau-
nâtre, à reflets dorés, tachetée de points foncés dessinant une sorte de damier.
Les nageoires pectorales et ventrales sont gris rosé ou jaunâtre. L’anale et la
caudale peuvent être violacées.
L’ombre ne se plaît que dans les rivières à fond de gravier ou de sable. Il
affectionne les eaux courantes et fraîches. Le cours moyen des rivières convient
particulièrement aux ombres, car le courant est moins fort que dans la partie
supérieure de la rivière. Il se tient en eau plus ou moins profonde suivant la
température et sa taille, les adultes recherchant un plus grand fond que les
jeunes.
L’adulte se nourrit d’animaux benthiques : mollusques, gammares, vers,
larves d’insectes aquatiques, mais il n’hésite pas à monter à la surface de l’eau
pour gober les insectes emportés par le courant (éphémères, cousins, fourmis
ailées…). Il n’est pas rare non plus que ce poisson se nourrisse d’œufs de pois-
sons, voire d’alevins d’autres espèces.

Apparu probablement dans le bassin du Danube, ce poisson aux origines


très anciennes s’est étendu vers le Rhin, le Rhône et le Doubs il y a quelques
millions d’années ! Aujourd’hui, sa répartition est très morcelée. En Europe,
les cours moyens de rivières encore intactes et susceptibles d’abriter des 
populations d’ombres sont le plus souvent très menacées. Autrefois, l’Aar
constituait une grande zone à ombres de sa sortie du lac de Thoune jusqu’à
son confluent avec le Rhin. Aujourd’hui, l’ombre ne trouve des conditions
propices que jusqu’à Berne.
Les espèces menacées 113

Ours brun

L’ours brun (Ursus arctos) appartient à la famille des ursidés. Il s’adapte très
facilement et peut coloniser des milieux très différents tels que les forêts,
steppes, montagnes ou la toundra arctique. Les ours sont solitaires. La taille
des « territoires » dépend principalement de la disponibilité alimentaire. Les
valeurs relevées pour les mâles atteignent autant 130 km² en Croatie que
1600 km² en Scandinavie. Contrairement au lynx et au loup, les ours ne sont
pas territoriaux. L’accouplement a lieu entre mai et juillet. En janvier ou
février, 2 à 3 oursons viennent alors au monde. Ils restent 1 à 2 ans avec leur
mère. Une femelle ne peut donc mettre bas au mieux que tous les 2 ans.

L’ours brun est omnivore, mais les 3/4 de son alimentation sont couverts
par des végétaux (ail des ours, racines, baies, fruits tels que les glands, faines
ou châtaignes). Il se nourrit aussi de miel et les insectes représentent une
source de protéines importante. Des travaux réalisés en Suède indiquent que
les fourmis représentent plus de 20% de sa nourriture. En tant que prédateurs
d’animaux sauvages, ils ne se font presque pas remarquer. C’est seulement en
Scandinavie et en Amérique du Nord que les ours s’attaquent régulièrement
au gibier.
Aujourd’hui, son retour en Suisse pose quelques questions. Quelles sont
les régions qui pourraient fournir qualité et quantité de nourriture suffisante
pour abriter une population stable ? On a estimé que, lors d’une excavation
d’une fourmilière pour se nourrir, l’ours prélevait entre 4000 et 5000 fourmis.
Parmi les espèces les plus consommées on trouve principalement les fourmis
des bois. Or en Suède la biomasse des fourmis des bois atteint en moyenne
114 Mille milliards de pattes

9,6 kg/hectare. Si l’on fait une estimation du nombre de fourmis des bois à


l’hectare pour le Jura vaudois, on obtient une moyenne de l’ordre de plus de
2 millions de fourmis, soit plus de 30 kg de fourmis. Donc, à première vue,
la biomasse en fourmis des bois du Jura vaudois dépasse largement celle des
forêts suédoises, mais précisons qu’il s’agit des zones les plus denses et toutes
les forêts n’abritent pas forcément autant de fourmis des bois. Le Parc national
suisse, à notre grande surprise, abrite des quantités impressionnantes de four-
mis des bois. Donc en ne considérant que les fourmis des bois, la Suisse offre
régionalement d’excellentes conditions pour l’ours brun.

Ours : le dernier spécimen suisse

Il y a plus de 100 ans, deux chasseurs engadinois tuèrent le dernier ours en


Suisse. Jon Sarott Bischoff et Padruot Fried se trouvaient dans le Val S-charl
(Grisons), le 1er septembre 1904 pour chasser le chamois. A leur retour, ils
aperçurent un ours sur les pentes du Piz Pisoc. Ils n’hésitèrent pas et Fried
abattit l’ours. Il s’agissait d’une femelle qui vivait dans le Tyrol du Sud et qui
avait fait une excursion dans la région engadinoise.
Par la suite, on fit quelques observations d’ours en Suisse en 1909, 1914 et
1915. En 1984, un des gardiens du Parc national suisse, Göri Clavuot décou-
vrait le crâne d’un ours mâle dans le lit d’un ruisseau dans le Val de Stabelchod.
Cette découverte tout à fait particulière demeure encore assez mystérieuse.
Entre 1999 et 2002, dix ours slovènes ont été lâchés dans le Parc national Ada-
mello Brenta et plusieurs ours ont aussi été lâchés en Autriche depuis 1989.
Il faut savoir que le Parc national Adamello Brenta se situe à moins de 80 km
de la frontière suisse. Le plantigrade vient donc naturellement sur notre terri-
toire, comme ce fut le cas en juillet 2005 dans le Parc national des Grisons qui
offre des conditions idéales pour ce mammifère. On admet qu’une femelle et
ses petits ont un espace vital de l’ordre de 150 km2 (le Parc national occupe
une surface actuelle de 172 km2) tandis que les mâles ont parfois des terri-
toires pouvant être cinq fois plus grand.
Dans la soirée du 14 avril 2008, un ours a été abattu dans le centre des
Grisons. Ce dernier ne se montrait absolument pas craintif et venait régu-
lièrement chercher sa nourriture dans des poubelles. Des opérations d’effa-
rouchement répétées avaient été menées sans succès. Le Plan ours en vigueur
dans notre pays dit qu’un ours à risque doit être abattu. Un deuxième ours
s’est établi dans la région de l’Engadine, du Val Müstair et du Parc national des
Grisons. Ce second animal ne cause pour le moment aucun dégâts, il est plutôt
discret. Il est toutefois nécessaire de réviser la gestion des déchets afin de tenir
les ours éloignés des agglomérations.
Les espèces menacées 115

Il faut savoir que dans les pays qui possèdent des ours comme la Finlande,
la Slovénie, la Bulgarie, l’Italie, la France ou encore l’Espagne aucun accident
mortel n’a été enregistré au cours du dernier siècle. L’Office fédéral de l’envi-
ronnement (OFEV) a publié des recommandations sur la manière de se com-
porter vis-à-vis des ours (http ://www.bafu.admin.ch). Sachez que si un ours
s’approche de vous, c’est par curiosité et qu’il ne faut pas hésiter à se coucher
par terre sur le ventre, les mains croisées sur le cou et ne bougez plus. L’ours
viendra vous renifler et lorsqu’il aura compris que vous ne représentez pas un
danger, il s’éloignera.

Pêche et faune sauvage en Afrique

L’une des plus graves menaces actuelles sur la faune des vertébrés d’Afrique
est le commerce de la « viande du bush », soit la viande d’animaux sauvages.
Il est important de savoir que le commerce de cette viande sauvage est un
facteur important dans les économies des populations locales. Parallèlement,
c’est aussi l’une des menaces les plus importantes sur la faune sauvage de ces
pays. Mais cette consommation est le plus souvent liée à un manque évident
de protéines. Si l’élevage de bétail domestique et la production agricole aug-
mentent, on assiste à une réduction de la consommation de viande sauvage. Si
cela paraît plausible, on manquait de données cohérentes pour le démontrer
clairement et amener des solutions constructives. Un groupe de chercheurs
s’est penché sur ce problème en utilisant des données étalées sur une trentaine
d’années pour le Ghana. Ils se sont penchés en détail sur le déclin de 41 espèces
dans six réserves naturelles et ont comparé ces données avec les résultats de la
pêche de 1970 à 1998. Une première évidence est apparue, la viande d’espèces
sauvages peut représenter jusqu’à 400 000 tonnes par année ! Mais en Afrique
de l’Ouest, les populations consomment aussi des poissons : la production
annuelle s’étend entre 230 000 et 480 000 tonnes et peut varier de plus de 25%
d’une année à l’autre. Plus de la moitié de la population du Ghana (environ 20
millions d’habitants) vit dans une zone comprise à moins de 100 km de la côte
et où la majorité des emplois sont liés à l’industrie de la pêche.
Les résultats montrent que le développement économique, la sécurité ali-
mentaire et la diversité biologique au Ghana, mais probablement aussi pour
le reste de l’Afrique, sont liés. Ainsi de 1970 à 1998, la biomasse des 41 espèces
de vertébrés considérées a diminué de 76%. De plus 16 à 45% de ces espèces
ont disparu localement. Durant la même période, la biomasse de poissons
dans le golfe de Guinée, près des côtes ou en pleine mer, a aussi diminué de
50% environ. Le plus intéressant est que, pour la première fois, on a pu mon-
trer la relation directe entre le commerce de la viande sauvage à la fois dans le
116 Mille milliards de pattes

temps et dans l’espace et les résultats de la pêche. Ainsi les années où la pêche
est médiocre coïncident avec une nette augmentation de la chasse dans les
réserves naturelles. Il importe donc d’imaginer des solutions permettant de
conserver la faune sauvage tout en assurant une alimentation convenable de
la population. Si le potentiel d’exploitation de l’agriculture et d’élevage n’est
pas encore entièrement développé, des décennies sont certainement encore
nécessaires pour mettre en place un système efficace. Une solution durable
à court et long terme pourrait passer par la réduction des flottes étrangères
(l’Union européenne et les Etats-Unis ont la plus grande flotte de bateaux de
pêche dans ces eaux) et aussi par la mise en place de réserves marines pouvant
assurer une production plus constante dans le temps.

Perdrix grise

La distribution de la perdrix grise s’étend des côtes Atlantiques aux steppes


de l’Eurasie. Sa limite méridionale passe par l’Espagne, le sud de l’Italie, de la
Grèce, la Turquie et l’Iran. Issue des milieux steppiques, cette espèce n’a jamais
été très fréquente chez nous pour des raisons écologiques et climatiques. Si
l’on pensait que les effectifs devaient dépasser les 10 000 individus au début
des années 1960, il a fallu déchanter car dans les années 1990, il ne restait
qu’une petite population dans le canton de Genève et celui de Schaffhouse.

La perdrix grise est un galliforme au même titre que la poule domestique,


la caille ou le faisan. C’est un oiseau « trapu » à queue et ailes courtes, pesant,
Les espèces menacées 117

adulte, 350 à 450 g. La couleur générale de son plumage est brune sur le des-
sus et gris bleuté sur le dessous. Chez le coq, la poitrine présente une grosse
tâche châtain, en forme de fer à cheval, habituellement inexistante, en tout
cas plus réduite, chez la poule. A la différence de la perdrix rouge, qui a les
pattes rouges, celles de la perdrix grise sont brun jaunâtre chez les jeunes ou
gris bleuté chez l’adulte. La perdrix grise pond 15 œufs en moyenne en mai.
La couvaison dure 24 jours et l’éclosion a généralement lieu de juin à début
juillet. La perdrix grise se plaît dans les zones de plaines cultivées ouvertes,
principalement céréalières et betteravières. Les zones herbagères trop humides
lui sont moins favorables et elle évite les zones trop boisées. La base de l’ali-
mentation de l’adulte est constituée de grains, de graines de mauvaises herbes,
de pointes de feuilles de graminées et de folioles de légumines. L’alimentation
du poussin, exclusivement animale, est surtout constituée d’insectes.
Au début des années 1990, la Station ornithologique suisse (à Sempach)
a reçu le mandat de l’Office fédéral de l’environnement de soutenir les deux
derniers petits effectifs vivant en Suisse, dans les cantons de Genève et de
Schaffhouse. En étroite collaboration avec les paysans et les autorités canto-
nales, plusieurs zones agricoles ont été choisies et revitalisées par des friches
et d’autres surfaces de compensation écologique. Dans le cadre d’un travail de
doctorat, des perdrix grises ont été réintroduites dans des surfaces fortement
revitalisées dans le Klettnau (Schaffhouse) de 1998 à 2001. Grâce à une tech-
nique d’émetteur spécialement mise au point, les perdrix grises réintroduites
ont été suivies. Ceci a montré qu’elles utilisent intensivement les surfaces de
compensation écologique et nichent de préférence dans des friches et des prés
extensifs. En analogie avec le procédé du canton de Schaffhouse, un projet de
réintroduction a été commencé dans le canton de Genève. Au printemps 2004,
50 perdrix grises sauvages de Pologne ont été réintroduites.
La revalorisation du paysage dans les zones agricoles peu intensives et la
création de jachères florales avec l’aide des agriculteurs fournissent des milieux
favorables à la perdrix grise et à d’autres oiseaux. Donc l’espoir subsiste…

Petit rhinolophe ou petit fer-à-cheval

Pesant entre 4 et 8  g pour une envergure d’environ 23  cm, cette espèce de
chauve-souris est caractérisée par un repli de peau en forme de fer à cheval
entourant ses narines. Grâce à cette structure, sorte de mégaphone, le petit
rhinolophe émet des ultrasons par le nez à des fréquences comprises en 107 et
114 kHz (donc largement inaudibles pour l’homme). L’une de ses caractéris-
tiques originales est de rabattre la queue au repos et de s’envelopper dans ses
ailes, ce qui lui donne l’aspect d’une poire séchée.
118 Mille milliards de pattes

Selon les spécialistes, cette espèce était encore largement répandue en


Suisse il y a plus de 50 ans. Mais à partir des années 1950, ses effectifs ont
fortement régressé au point que ne subsistaient plus que quelques colonies
dans les vallées alpines. En 2000, le conseil scientifique du Centre de coordi-
nation suisse pour l’étude des chauves-souris a lancé un programme d’étude
et de protection intitulé « Rhippos ». Les objectifs étaient d’une part de décrire
les causes du recul, d’autre part de proposer des mesures de protection effi-
caces. Les conclusions de ce travail montrent que le petit rhinolophe n’a
pas vraiment souffert de la dégradation ou de la disparition de ses habitats,
mais plutôt de l’utilisation à grande échelle du DDT. Cet insecticide, décou-
vert à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est interdit en Suisse depuis le
début des années 1970, à cause de ses effets à long terme et de sa très lente
disparition dans le sol. Donc cette menace disparue, on pouvait s’attendre
à ce que les populations commencent petit à petit à progresser. C’est le cas
et en 2005, on dénombrait 46 colonies en Suisse représentant quelques 4200 
individus.

Le suivi des individus a notamment été effectué à l’aide de marquages et


de repérage par télémétrie. Ainsi on a découvert que le petit rhinolophe chasse
en forêt jusqu’à une altitude d’environ 1500 m. Mais il ne s’éloigne guère de
son gîte diurne et doit disposer de forêts riches en insectes dans un rayon de
2,5 km. Cette chauve-souris capture ses proies en vol en longeant les cordons
boisés ou en tournoyant dans la partie haute des arbres, poursuivant ses proies
jusqu’à une hauteur de moins de 2 m du sol. Elle dévore tout ce qu’elle trouve
au cours de son vol, avec une préférence pour les papillons nocturnes et les
tipules. Aujourd’hui, on estime que les ressources en nourriture sont suffi-
santes autour des anciennes colonies de petits rhinolophes. De plus d’autres
analyses semblent indiquer que notre pays dispose sur son ensemble d’ha-
bitats adéquats. Donc on peut imaginer une reconquête du Plateau à partir
des colonies situées en bordure du massif alpin. Il s’agit donc de protéger en
priorité ces populations et de leur offrir des gîtes convenables. Le petit rhino-
lophe apprécie les greniers facilement accessibles, calmes et sans courant d’air.
C’est sans doute là qu’il faudra inciter les propriétaires à ne pas calfeutrer leurs
maisons !
Les espèces menacées 119

Pic mar : il lui ressemble,  


mais attention ce n’est pas le pic épeiche !
Le pic mar, de son nom latin Dendrocopos medius, est un pic de taille moyenne
comme l’indique son nom latin. Son nom vernaculaire de pic mar viendrait
du mot « martel » ou « marteau ». Ce pic martèle cependant très peu par rap-
port aux autres pics ! Suivant les derniers recensements il y aurait environ 500
couples en Suisse. C’est un habitant de forêts de feuillus, surtout des chênaies
à charme en dessous de 800 m d’altitude avec, point important, des arbres
morts sur pied. Confiné à l’Europe, il est absent de Grande-Bretagne et l’on
pense que 30% de sa population est concentrée en Allemagne et en France.
Cette espèce n’effectue pas de migrations. En Suisse, la grande majorité des
pics mars se trouvent dans la région bâloise, au nord du canton de Zurich, en
Ajoie et au pied du Jura vaudois, neuchâtelois et bernois. Si les populations
sont relativement stables, il n’empêche que de nombreuses régions ont été
désertées comme les Grangettes ou le bois de Sauvabelin.
La perte de l’habitat est la principale menace que subit le pic mar. Le pro-
blème est que les chênaies matures sont en régression à cause de l’exploita-
tion des vieux fûts de chêne. Le manque de rajeunissement durant les décen-
nies précédentes limite les possibilités de cette espèce. Ces raisons ont poussé
l’Association suisse pour la protection des oiseaux, la Station ornithologique
suisse et l’Office fédéral de l’environnement à mettre sur pied un plan d’action
120 Mille milliards de pattes

national. L’objectif est d’interrompre la régression de l’espèce, de conserver les


habitats et de créer de nouveaux habitats favorables.
Le pic mar se différencie du pic épeiche par son large béret rouge, ses joues
blanches non cerclées de noir, ses stries noirâtres le long des flancs et la teinte
rose de son bas-ventre. Son cri est constitué d’une série de notes en succession
liée avec la première plus élevée que les suivantes et rapidement répétées. La
ponte débute au mois de mai avec 5 à 6 œufs blancs et une incubation de 11
à 12 jours. Les jeunes quittent le nid lorsqu’ils sont âgés d’une vingtaine de
jours. Les pics mars se nourrissent d’insectes et d’araignées qu’ils trouvent
sur les branches et sous l’écorce des arbres qu’ils visitent. Mais ils peuvent
aussi se nourrir de glands, noisettes et faînes. Plus habiles que les autres pics,
ils savent monter le long des troncs, mais peuvent aussi reculer et se déplacer
latéralement. Il arrive parfois en hiver qu’ils viennent se nourrir sur les boules
de graisse destinées aux mésanges.

Pique-prune : un ermite dans les vieux arbres

Les espèces saproxyliques dépendent, pour leur développement, du bois mort


ou mourant, de champignons arboricoles ou encore de la présence d’autres
organismes se nourrissant de bois mort. Parmi ces espèces, on rencontre de
nombreux coléoptères. Les zones urbaines et périurbaines de Suisse jouent ou
peuvent jouer un rôle important dans la protection de ces espèces avec une
gestion raisonnée des vieux arbres. Cependant, pour pouvoir effectivement
assurer une protection de ces espèces, il est indispensable de savoir comment
assurer la pérennité de ces milieux particuliers. Les espèces saproxyliques
recherchent avant tout des cavités, des troncs creux, des branches cassées et
du bois mort. Or, même si les forestiers ont radicalement changé la manière
d’exploiter la forêt depuis quelques décennies, c’est encore et surtout en ville
que l’on trouve des vieux arbres.
Les espèces menacées 121

On estime aujourd’hui qu’il existe plus de 1500 espèces de coléoptères


saproxyliques en Suisse, appartenant notamment aux scarabéidés, céramby-
cidés, lucanidés et buprestidés. C’est dans la famille des scarabéidés que nous
allons rencontrer le pique-prune ou ermite (Osmoderma eremita). Il s’agit
d’une cétoine brun-noir dont la taille varie de 20 à 35 mm et qui se reconnaît –
au dire des spécialistes – par la forte odeur de cuir de Russie qu’elle dégage. Le
pique-prune se rencontre sur les vieux feuillus et sur les fruitiers. Il ne colo-
nise que les arbres possédant des cavités ou un tronc creux rempli de terreau.
Il faut donc que d’autres organismes saproxyliques aient d’abord préparé le
terrain, ce qui prend de nombreuses années. Les adultes de cette cétoine sont
actifs de juin à août. Ils se déplacent très peu de l’arbre dans lequel ils se sont
développés. La femelle pond de 20 à 80 œufs dans le terreau d’une cavité. Les
larves mettent entre 2 et 3 ans pour accomplir leur cycle avant de se nym-
phoser dans un cocon qu’elles construisent avec des crottes et des fragments
de terreau. De tels insectes ont donc des exigences assez élevées et surtout un
cycle de développement long. Cette discrétion est accentuée par le fait que les
adultes sont difficiles à observer. La meilleure méthode pour déceler leur pré-
sence est de prélever du terreau dans les creux des vieux arbres, de le tamiser et
de rechercher les crottes de la larve, assez caractéristiques pour un spécialiste,
ou encore des fragments du coléoptère.
Il faut savoir que cette espèce est inscrite à l’Annexe II de la Convention de
Berne, signifiant que la Suisse s’est engagée à la protéger ainsi que son habi-
tat. Largement distribué autrefois en plaine en dessous de 700 m, le pique-
prune est menacé d’extinction. Le Centre suisse de cartographie de la faune à 
Neuchâtel a édité une brochure consacrée à la gestion des vieux arbres et au
maintien des coléoptères saproxyliques en zone urbaine et périurbaine. A
mettre dans les mains de tous les forestiers et aménageurs de jardins !

Poissons de rivière : programme de survie

Depuis quelques décennies, on s’est rendu compte que les captures de truites
ont diminué de deux tiers dans les rivières suisses. Il est évident qu’une telle
constatation est plutôt inquiétante, surtout si l’on sait que nous sommes aussi
tributaires de l’eau.
Donc, les conditions de vie des poissons de rivières se sont dégradées et
il était important de mettre sur pied un programme scientifiquement fondé
et orienté vers la pratique. Sous le terme « pour la vitalité de nos poissons de
rivière », un programme en dix points a été élaboré par la Confédération, en
collaboration avec l’Institut fédéral suisse pour les sciences et technologie de
l’eau (EAWAG) et l’Université de Bâle. Plusieurs causes pouvaient être à l’ori-
122 Mille milliards de pattes

gine de cette diminution des populations. Pour être efficace, il convient, en


accord avec les différents acteurs, pêcheurs, autorités communales, cantonales
et fédérales, de mettre en pratique une dizaine de points importants.
Par exemple, on a découvert que la MPR, maladie rénale proliférative, a été
identifiée comme l’une des causes majeures du déclin de la truite des rivières.
Il est vital, pour éviter une propagation de cette maladie, de pouvoir disposer
d’une meilleure information sur les mécanismes de propagation. De même, il
est essentiel de s’assurer que les poissons utilisés pour les alevinages ne soient
pas porteurs de cette maladie. Or, il s’avère que la mortalité par cette maladie
est favorisée par des températures élevées de l’eau. Donc, il convient d’agir
le plus directement possible sur tout ce qui peut avoir une influence sur la
température de l’eau comme les rejets des industries. D’autre part, il convient
aussi d’isoler, dans la mesure du possible, les zones contaminées. Mais ce n’est
pas tout, parmi les autres mesures, il faut aussi revoir la problématique du
rempoissonnement. Il convient dans un premier temps d’apprécier l’état pis-
cicole du cours d’eau et de rempoissonner à partir de géniteurs capturés dans
ce dernier.

Poissons de Suisse : liste rouge

Se basant sur plus de 17 000 données relatives à la faune piscicole, provenant


de plus de 5000 emplacements suisses, il est possible aujourd’hui de réactuali-
ser la première liste rouge établie il y a une quinzaine d’année. Les eaux suisses
abritent aujourd’hui 62 espèces ou taxons dont 15 sont considérées comme
non indigènes. Huit espèces ont disparu de Suisse au cours des 100 dernières
années. Six de ces huit espèces de poissons éteintes appartiennent à la caté-
gorie des grands migrateurs qui remontaient les grands systèmes fluviaux
pour venir se reproduire chez nous comme le saumon. Mais, cela concerne
aussi la truite de mer, la lamproie de rivière ou l’esturgeon de l’Atlantique
et la grande alose. Toutes ces espèces migraient jusque dans le bassin rhénan
sur sa portion suisse. Un programme de réintroduction, soutenu par tous les
états riverains du Rhin, lié à la nette amélioration de la qualité des eaux fait
que le saumon ne se trouve plus qu’à une cinquantaine de kilomètres de Bâle.
Il faudra cependant encore attendre une bonne dizaine d’années et un effort
soutenu avec notamment la mise sur pied de dispositif de franchissement de
barrages situés entre Bâle et Iffezheim pour que ces espèces puissent à nou-
veau être visibles dans nos eaux. Les deux autres espèces éteintes n’étaient
présentes que de manière très restreinte en Suisse. Il s’agit de l’alose feinte
qui arrivait jusqu’au lac Majeur et du huchon qui remontait l’Inn jusqu’en 
Engadine.
Les espèces menacées 123

Pour les autres groupes, 6 espèces sont menacées d’extinction, 5 fortement


menacées et 13 menacées. Avec les 8 espèces éteintes cela fait un total de 32
espèces sur la liste rouge. Parmi les espèces menacées d’extinction, plusieurs
possèdent depuis longtemps une distribution limitée en Suisse comme la
loche d’étang, la sofie et l’apron ou roi du Doubs qui ne se trouvent que dans le
Doubs. Une espèce marque cependant une très forte régression ces dernières
années : il s’agit du nase, espèce autrefois largement répandue dans le bassin
versant du Rhin. Terminons en signalant que la truite du lac, dont l’impor-
tance halieutique n’est pas à démontrer, se trouve aujourd’hui classée parmi
les espèces en danger, malgré le fait que les populations se soient renforcées au
cours des dix dernières années dans de nombreux cours d’eau.

Putois

Le putois appartient à la famille des mustélidés qui compte six espèces en


Suisse : blaireau, fouine, martre, putois, hermine et belette. Avec son corps
allongé et ses pattes courtes, le putois présente une silhouette semblable à celle
de la fouine. Toutefois, ses oreilles sont rondes et assez petites, et sa queue est
plus courte et moins fournie. Brun foncé avec un peu de blanc au bout du
museau entre les yeux et les oreilles, le pelage est constitué de poils de jarre
relativement peu denses, qui recouvrent une bourre blanchâtre ou légèrement
jaunâtre. En fait, le pelage peut prendre plusieurs teintes suivant l’angle sous
lequel on le regarde. Néanmoins, c’est grâce au museau, avec sa partie blanche,
que vous le reconnaîtrez et pourrez le distinguer d’une fouine. Le furet, quant
à lui, est une sous-espèce de putois d’origine méditerranéenne, domestiquée
il y a un peu moins de 2000 ans pour lutter contre les rats et chasser le lapin
de garenne.
124 Mille milliards de pattes

Le putois est un animal discret. Sa présence peut être remarquée par ses
crottes visibles près des fermes, mais encore faut-il être capable de les distin-
guer de celles des fouines. En Suisse, le putois se rencontre sur le Plateau et
dans le Jura, il semble avoir disparu du Tessin et est absent des Alpes. En raison
de la diminution de ses effectifs, il est protégé par une loi fédérale. La Conser-
vation de la faune du canton de Vaud a chargé un bureau d’étude d’analy-
ser la situation en 2003. Dans un premier temps, il s’est agi de rassembler
les observations existantes au Centre suisse de cartographie de la faune de
Neuchâtel et de réaliser des enquêtes auprès des gardes-chasse et naturalistes
confirmés. Ainsi 139 données pour la période de 1956 à 1998 ont pu être ana-
lysées. L’étude montre que certaines zones manquent d’information comme
les régions de la Givrine, d’Echallens et de Moudon. En revanche, d’autres
régions semblent plus favorables et des concentrations se remarquent dans la
région de la Versoix, du Brassus et surtout de la rive sud du lac de Neuchâtel,
seule région d’ailleurs où le putois semble se porter assez bien. Autre point
intéressant, une majorité des observations se situent à basse altitude, entre
400 et 600 m, et seuls 15% des observations ont eu lieu au-dessus de 1000 m.
Le putois semble apprécier les habitats forestiers et les milieux marécageux,
mais il ne dédaigne pas les habitations isolées et même des zones de village
où il trouve refuge en hiver. Il ressort que cette espèce est peu abondante dans
le canton de Vaud et qu’un des facteurs responsables est sans aucun doute la
régression des lieux humides ainsi que la disparition d’éléments structurants
offrant des abris dans le paysage agricole. Parmi les mesures proposées pour la
conservation du putois, il est suggéré de prévoir des caniveaux avec un passage
sous route aux endroits où l’on trouve régulièrement des putois écrasés, ainsi
que de protéger les sites à fortes populations de batraciens qui constituent la
nourriture de base de ce petit carnivore.

Rainettes : comment les suivre

La rainette verte ou rainette arboricole est un anoure de petite taille mesu-


rant en général de 3 à 4 cm de longueur. Emblème des batraciens et des lieux
humides, cette espèce est la plus petite de Suisse. L’une de ces particularités est
la présence de ventouses à l’extrémité des doigts et des orteils. Elle colonise les
zones alluviales, les gravières ainsi que les roselières. Les mâles choisissent des
eaux peu profondes et bien ensoleillées pour chanter et se reproduire. La sai-
son de reproduction s’étale d’avril à juin suivant les régions et elle se manifeste
par des chœurs de mâles assez bruyants à proximité de l’eau dès la tombée de
la nuit.
Les espèces menacées 125

En Suisse, sa situation s’est fortement détériorée depuis le milieu du XXe


siècle avec le développement des voies de communication, l’urbanisation et
les nombreux aménagements riverains. Les causes les plus souvent invoquées
sont d’une part, tout ce qui peut affecter les sites de reproduction ainsi que
les pressions directes sur les individus. Malgré la protection dont elle jouit,
la rainette verte est dans une mauvaise situation et il est important, avant de
se lancer dans sa protection, de connaître plus en détail la dynamique de ses
populations, leur distribution et de voir quelles sont les conditions les plus
favorables du milieu qui les abritent et qui sont susceptibles de favoriser cette
espèce. Cependant de nombreuses questions se posent : combien d’individus
par populations, où se cachent-ils la journée etc.

Pour cela, il fallait développer un système pratique et efficace qui ne dérange


pas l’animal et qui permette de suivre ses déplacements. C’est la raison pour
laquelle J. Pellet, du Département d’écologie et d’évolution de l’Université de
Lausanne, en collaboration avec le Laboratoire de transmission des ondes et
photoniques de l’EPFL ont mis au point un système très original. Ce système
qui est composé d’une diode et d’une petite antenne (qui servent de miroir
d’ondes) est attaché avec une petite ceinture à l’animal que l’on peut repérer
à l’aide d’un détecteur de type Recco, technologie utilisée pour le secours aux
victimes d’avalanches. Les individus ainsi équipés sont repérables à une dis-
tance de 15 m sur terre ferme et entre 30 et 40 mètres lorsqu’ils se tiennent
dans les arbres. Ainsi il a été possible de suivre presque en continu plusieurs
individus et le détail des déplacements des rainettes pendant plusieurs heures
d’affilées a pu être connu. Il faut relever que ce système ne dérange pas les indi-
vidus et j’ai pu constater de visu que les rainettes ainsi équipées étaient aussi
vives que leurs congénères sans antennes. De plus tous les individus rencon-
trés sont photographiés et identifiés grâce au dessin de la bande latérale brun
noir bordée de blanc qui court sur les flancs, de la narine à l’aine. A ce jour,
dans le bassin de l’Aubonne, plus de 500 rainettes peuvent être ainsi reconnues
in situ et suivies au cours du temps pour connaître en détail l’évolution de ces
populations.
126 Mille milliards de pattes

Reptiles australiens : péril aux antipodes

Si, pour le profane, l’Australie est un pays lointain peuplé d’animaux étranges
et d’hommes sortis de la préhistoire (les aborigènes) cohabitant avec un chep-
tel d’origine européenne et des colonisateurs aux cheveux roux, cette image
reste un peu sommaire. Pour commencer, il convient de réaliser que la colo-
nisation de ce continent fut un désastre pour la nature. Lorsque James Cook 
jeta l’ancre de son navire le 29 avril 1770 dans une baie, personne ne se doutait
que 240 ans après, l’Australie aurait le triste privilège d’être le continent abri-
tant le pourcentage le plus élevé d’espèces animales menacées d’extinction.
De nombreuses espèces de mammifères ont disparu, des dizaines d’autres
sont considérées comme éteintes, car aucun spécimen n’a été aperçu depuis
plusieurs années. Si l’expédition de Cook avait un caractère scientifique, les 
colons qui suivirent furent surtout préoccupés par leur enrichissement per-
sonnel, et moins par l’étude et la protection d’espèces très originales et parti-
culières.
L’Australie compte à ce jour plus de 800 espèces de reptiles. Ils occupent
la majorité des habitats, de la forêt tropicale aux déserts les plus arides, des
rivières aux océans bordant le continent. Cependant, certaines estimations
indiquent que plus de 5 millions de reptiles sont écrasés chaque année sur les
routes. Compte tenu du réseau routier peu développé (à l’échelle de l’Austra-
lie), ce chiffre impressionnant montre à quel point des mesures de protection
sont indispensables.
Si on s’intéresse uniquement aux serpents, 70% des espèces sont venimeuses
et 20% sont considérées comme très dangereuses. C’est ici que vous pourrez
rencontrer les espèces considérées comme les plus dangereuses comme le taï-
pan ou le serpent-tigre. Avec moins de cinq personnes succombant chaque
année à des morsures de serpent, la rencontre inopinée entre humain et ser-
pents reste plutôt rare et ne semble pas affecter la disparition des espèces.

Requins de Méditerranée

Une étude scientifique intitulée « déclin des requins en mer Méditerranée » a


été publiée en 2008 dans la revue Conservation Biology. Quarante-sept espèces
de requins dont 20 considérés comme de grands prédateurs y ont été recen-
sées. Or, on a déjà constaté, par exemple dans l’Atlantique, que la disparition
de grands prédateurs tels que les requins se traduit par une modification pro-
fonde de l’écosystème.
Aujourd’hui, on constate une diminution inquiétante des requins en
Méditerranée. Les chercheurs ont analysé la situation de 5 espèces de requins
Les espèces menacées 127

considérés comme des grands prédateurs, soit le requin bleu, une espèce de
requin renard, deux espèces de requins taupes et une espèce de requin mar-
teau. Parmi ces espèces, trois viennent d’être classées comme vulnérables sur
la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conser-
vation de la nature (UICN) et deux (les requins taupes) sont considérées en
danger critique d’extinction. Les causes résident, pour partie, dans les effets
de la pêche de grand fond, et aux autres effets de la surpêche au niveau des
zones côtières. Le problème des requins et particulièrement des grands préda-
teurs, est leur croissance très lente, entraînant une maturité sexuelle tardive et
un nombre réduits de descendants. Les pêcheurs ont aussi remarqué que les
requins pêchés en Méditerranée sont très petits comparés à des individus de
même espèce dans l’Atlantique. La diminution de la taille et du poids indique
que les jeunes requins sont les plus affectés par la pêche.
Il faut savoir qu’il n’existe aucun quota de pêche pour les requins pêchés à
des fins commerciales dans la mer Méditerranée et que la mise en place d’un
programme de surveillance global des pêcheries de la Méditerranée n’est pas
une mince affaire. Il serait assez regrettable, compte tenu des connaissances
actuelles, de ne pas réagir face aux conséquences déjà mises en évidence
ailleurs sur notre planète.

Saga pedo : la magicienne dentelée

La Saga pedo est la plus grande sauterelle d’Europe occidentale. Elle mesure
de 5 à 7,5 cm de longueur. Cette espèce très rare en Suisse et menacée de dis-
parition n’est localisée aujourd’hui que dans la vallée du Rhône entre Bex et
Sion et dans la région de Coire. Son aire de répartition européenne s’étend de
l’Espagne à la Russie. Sa rareté fait qu’elle est protégée à l’échelle européenne
en étant inscrite à l’Annexe II de la Convention de Berne et à l’Annexe IV de
la directive Habitats.
Sauterelle aptère, au corps et aux pattes élancées dont les fémurs et les tibias
des pattes antérieures sont garnis de robustes épines sur leur face inférieure,
cette magicienne dentelée présente une particularité tout à fait étonnante
pour un insecte de cette taille : il n’y a que des femelles. En effet c’est dans les
années 1940 que le professeur Robert Matthey, directeur de l’Institut de bio-
logie animale de l’Université de Lausanne a montré que cette espèce, dont il
avait ramassé quelques exemplaires aux Follateyres en Valais ne se reproduisait
que par parthénogenèse thélytoque. Cela signifie que la femelle pond des œufs
qui se développent en individus femelles qui à leur tour se reproduisent sans
l’aide de mâles. En homochromie avec la végétation dans laquelle elle passe le
plus souvent inaperçue, cette sauterelle a une démarche qui rappelle un peu les
128 Mille milliards de pattes

phasmes. Mais elle est toutefois un redoutable prédateur qui chasse à l’affût,
attendant qu’un insecte passe à proximité pour le saisir rapidement entre ses
pattes épineuses et le dévorer vivant. Très difficile à observer, la Saga pedo se
tient le plus souvent cachée, ne se laissant que très rarement surprendre expo-
sée au soleil, à l’abri du vent. Les trop fortes chaleurs la réduisent à être active
de nuit. Si cela peut sembler être avantageux pour éviter la prédation, il n’en
est rien. On a en effet découvert des restes de Saga dans les pelotes de réjection
du hibou petit-duc et du hibou grand-duc. L’éclosion des œufs a lieu au cours
des mois de mai à de juin et après 5 à 6 mues les premiers adultes apparais-
sent au mois d’août. Si cette espèce mérite une attention toute particulière vu
sa rareté, sa précarité en Suisse est d’autant plus grande que ses populations
sont isolées et soumises aux pressions de l’agriculture, de la viticulture et de
l’urbanisme.

Cinq autres espèces de Saga sont présentes en Europe. La région des Bal-
kans représente le plus important réservoir. La géante des Saga européennes est
représentée par Saga natoliae chez qui les femelles peuvent atteindre presque
9  cm. Chez cette espèce, il n’y a pas de parthénogenèse mais accouplement
entre mâles et femelles. Cependant, il n’est pas rare d’assister à des actes de
cannibalisme, les femelles profitant de faire un repas du futur défunt père de
leurs descendants.

Salamandres géantes

La famille des cryptobranchidés, ou salamandres géantes, renferme trois


espèces : la salamandre géante de Chine, la salamandre géante du Japon et la
salamandre géante américaine.
Cette dernière nommée Cryptobranchus alleganiesis est la plus petite des
trois espèces. Elle ne dépasse guère 40 à 50 cm, le record étant un spécimen
de 74 cm. Elle se rencontre dans certains affluents de la Susquehanna dans le
sud de l’état de New York et de la Pennsylvanie, mais aussi dans les affluents
du Mississippi. Comme ses cousines asiatiques, cette espèce apprécie les cours
Les espèces menacées 129

d’eau avec des eaux propres et claires où elle passe l’essentiel de sa vie. Elle se
reproduit préférentiellement aux mois d’août et septembre. Le mâle construit
un nid où il invite une femelle à déposer ses œufs qu’il féconde par la suite. Le
mâle, ou parfois la femelle, assure la garde des œufs. La maturité sexuelle n’est
atteinte qu’après 5 ou 6 ans, ce qui limite évidemment fortement l’expansion
de l’espèce et explique en partie qu’elle soit en danger.

La salamandre japonaise (Andrias japonicus) se rencontre sur l’île de


Honshu (île principale du Japon) et quelques endroits de Kyushu et Shikoku.
Elle semble assez bien représentée dans la région d’Hiroshima. Sa taille varie
de 40 à 70  cm. On a parlé une fois d’un spécimen exceptionnel atteignant
140 cm, mais il est rare de trouver des spécimens de plus de 100 cm. En 1829,
un individu rapporté en Hollande par Philipp Franz von Siebold vécut 51
années, ce qui est probablement le record de longévité en captivité. Cette
espèce est aussi menacée aujourd’hui à cause de la dégradation de son habitat.
En revanche, c’est surtout à cause de la consommation de la salamandre
géante chinoise par les Chinois que les populations de cette dernière déclinent.
En effet, depuis très longtemps, les Chinois consomment cette espèce sous
prétexte qu’elle contient un taux élevé de protéines assimilables et des vertus
curatives élevées. Depuis les années 1970, le déclin de cette espèce est très mar-
qué. Heureusement, dès 1988, cette espèce figure sur la liste des espèces mena-
cées de Cites (connue aussi sous le terme de Convention de Washington),
mais il faut cependant attendre encore quelques années, soit 1993, pour que
la Chine adopte cette convention internationale sur le commerce des espèces
de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Depuis les Chinois ont
fait des progrès. En 2000, des salamandres géantes chinoises élevées en cap-
tivité ont été remises en liberté dans les rivières d’un parc national. C’est un
début, mais pas encore suffisant pour essayer de sauver cette espèce dont on
ne connaît pas vraiment les effectifs. Une coopération internationale semble
s’être mise en place et en avril 2005, deux biologistes du zoo de Bâle se sont
130 Mille milliards de pattes

rendus en Chine au Centre de reproduction et protection de la salamandre


géante dans la ville de Shangsa (province de Hunan) pour échanger des expé-
riences concernant les amphibiens.

Saola : un bovidé vietnamien en voie de disparition

Le Viêtnam figure parmi les régions reconnues d’intérêt mondial pour sa bio-
diversité élevée. Malheureusement, comme partout, les activités humaines
engendrent des situations dramatiques. Destruction des milieux, des habitats
particuliers abritant une faune très spécifique, braconnage, augmentation de
l’élevage intensif, tous ces impacts ont des conséquences qui risquent bien
d’éliminer une espèce qui avait fait la une des grands journaux scientifiques
ainsi que des nombreux médias il y a un peu plus d’une décennie : le saola.
Le saola est une espèce de petit bœuf forestier (disons entre chèvre et anti-
lope) appartenant aux bovidés et pesant environ une centaine de kilos. Cette
espèce semble apprécier les flancs des montagnes entre 300 et 1800 m d’al-
titude. Les individus se nourrissent de feuilles de figuiers, mais aussi d’une
vingtaine d’autres espèces végétales qu’ils trouvent le long des cours d’eau.
Leurs incisives de petites tailles laissent à penser qu’ils ne se nourrissent pas
d’herbes. Ils se déplacent en petits groupes de 2 à 3 rarement plus. C’est proba-
blement l’espèce de mammifère la plus rare au monde aujourd’hui.
Découvert dans les années 1990 dans la Cordillère annamitique (centre
du Viêtnam et du Laos), le saola a été décrit scientifiquement pour la 
première fois en 1994 dans la revue anglaise Nature. A cette époque, on esti-
Les espèces menacées 131

mait la population à environ 250 individus. Mais, on s’aperçut très vite que les
exemplaires capturés ne survivaient guère que quelques jours. Aujourd’hui,
les derniers recensements font état d’une population probablement inférieure
à 100 individus. Evidemment, cette constatation n’a rien d’encourageant et le
WWF a mis sur pied, en collaboration avec les milieux officiels et les scienti-
fiques, une campagne de protection. Plus facile à dire qu’à faire ! Une des cam-
pagnes se solda par la découverte de deux douzaines de cornes et d’une peau 
complète. En effet, les habitants des villages perdus dans ces zones monta-
gneuses n’hésitent pas à abattre cette espèce et à la manger. Comme les cornes
sont très belles, elles sont exposées, ce qui permet au moins aux scientifiques
de savoir où se trouvait l’espèce. En 1996, suivant l’offre d’un général laotien,
un saola femelle fut capturé et amené au zoo de Lak Xao, mais après 18 jours
de captivité elle mourut. Compte tenu de ces éléments, il est probable que
cette espèce aie déjà franchi un point de non retour. Un groupe de chercheurs
de l’institut de biotechnologie vietnamien propose, en collaboration avec des
chercheurs français, de cloner cette espèce pour la préserver. A ce jour, ils ont
obtenu des embryons au stade de blastocystes, mais ils ne dépassent pas ce
stade et laissent les chercheurs perplexes. D’autres scientifiques pensent qu’il
serait beaucoup plus raisonnable d’investir cet argent dans la protection des
derniers milieux qui abritent ces espèces et d’informer les populations locales
de la valeur « mondiale » d’une telle espèce.

Singes bonobos

Le bonobo est un primate bien particulier, puisque c’est celui qui est le plus
proche de l’homme, génétiquement parlant. Le bonobo ne se rencontre
aujourd’hui plus qu’au Congo où l’on estime que les populations sont de
l’ordre de 10 000 individus seulement.
Ils n’ont été véritablement identifiés qu’en 1929, car auparavant on les
avait confondus avec le chimpanzé. Or, en y regardant de plus près, la peau
du visage du chimpanzé est clair alors que celle du bonobo est foncée. Le
bonobo est un grand singe anthropoïde et, comme le chimpanzé, 99% des
gènes contenus dans ses chromosomes sont identiques aux nôtres. Cela per-
met d’imaginer que nous aurions la possibilité de partager un lointain ancêtre
commun. Mais, à côté de cet aspect, les bonobos sont très intéressants parce
que leur comportement social est presque entièrement ordonné par la sexua-
lité. La société de bonobos est égalitaire et assez paisible, avec une tendance au
matriarcat. Le lien le plus fort existe entre la mère et son petit et la protection
que les mères offrent semble limiter les infanticides, qui sont parfois assez
fréquents chez les chimpanzés.
132 Mille milliards de pattes

Les bonobos ne se reproduisent pas plus que leurs cousins chimpanzés


et les femelles donnent naissance à un petit tous les 5 à 6 ans. Mais, ce qui
est de loin le plus surprenant chez cette espèce, c’est le nombre de contacts
sexuels. En moyenne, un toutes les 90 minutes. Avouez que c’est assez excep-
tionnel. De plus, ce sont les seuls animaux, en dehors de l’être humain, à faire
l’amour face à face. Ne manquant pas d’imagination, les bonobos s’essaient
à toutes sortes de position et pratiquent même le sexe oral. Mais il ne s’agit
pas d’une activité frénétique, mais bien d’une activité sociale qui sert à apai-
ser les tensions entre les individus d’un groupe et permet d’éviter les conflits.
D’ailleurs, si des individus découvrent de la nourriture, ils s’invitent mutuelle-
ment à une activité sexuelle, puis, une fois les tensions apaisées, ils partagent la 
nourriture.
Mais aujourd’hui le plus important est que le gouvernement de Kinshasa
a décidé de créer une réserve de quelques 30 000 km2 en pleine forêt tropicale.
Cette réserve naturelle de Sankuru représente à peine plus de 1% du terri-
toire congolais. Un certain effort est actuellement réalisé par les autorités de
ce pays qui veulent atteindre l’objectif de 15% de la surface transformés en
parcs naturels. Même si un effort pour la protection de cette espèce semble se
dessiner, il faudra encore convaincre les populations locales de cesser la chasse
aux bonobos. A première vue, certains chefs de village se sont engagés à cesser
la chasse s’ils sont associés à la gestion de la réserve. Soyons optimistes pour
une fois et souhaitons longue vie à ces joyeux singes, qui semblent prendre la
vie du bon côté !
Les espèces menacées 133

Spirlin

Le spirlin est un petit poisson appartenant à la famille des cyprinidés qui com-
prend de très nombreuses espèces en Suisse. Décrit scientifiquement en 1782
par Marcus Elieser Bloch, il porte le nom latin de Alburnoides bipunctatus.
Historiquement, il servait principalement d’appâts et par conséquent, il reçut
de nombreux noms vernaculaires. En Suisse allemande, on parlait de Bambeli,
Bämmeli ou encore de Breiterli, alors qu’en Suisse romande il était désigné
sous le nom de platet, baroche ou encore barré.

Le nom allemand actuel est Schneider, qui signifie « couturier » et vient de


la ligne latérale fortement incurvée vers le bas, doublée de part et d’autre par
une ligne noire, rappelant une couture. Sa longueur totale atteint 10 à 12 cm.
Il est comprimé latéralement et de couleur argentée, le dos plutôt brun-olive.
La détermination des sexes est quasiment impossible sans ouvrir le poisson.
Le spirlin se rencontre principalement en Eurasie. Il était répandu dans les
eaux douces de France jusqu’en Orient, mais a toujours été absent au sud des
Alpes et à l’ouest des Pyrénées. En Suisse, d’anciennes données indiquent que
sa répartition au début du siècle précédent était limitée au bassin versant du
Rhin avec quelques populations éparses dans celui du Rhône. Sa limite supé-
rieure se situe aux environs de 700 m. Aujourd’hui, on peut le rencontrer dans
de nombreuses rivières du bassin versant du Rhin, notamment dans la Thur
et dans l’Aar et ses affluents. Mais il ne reste plus que quelques populations
dans le Rhin.
Le spirlin est présent parfois dans les eaux plus dormantes, mais évite les
cours d’eau froids. C’est une espèce assez exigeante par rapport à la qualité
de l’eau qui ne colonise que les tronçons non pollués et bien aérés. Le spirlin
gobe ses proies à la dérive en nageant à contre-courant. Il peut aussi attraper
quelques proies gigotant en surface. Le spirlin consomme essentiellement des
diptères, plus particulièrement des chironomes et des simulies, ainsi que des
algues. Le régime alimentaire des larves n’est par contre pas bien connu. La
reproduction est un peu particulière et qualifiée de polycyclique. C’est-à-dire
qu’il y a plusieurs périodes de fraie pendant la saison. A première vue il peut se
reproduire quatre à cinq fois. Pendant le premier épisode de fraie, un peu plus
du quart des ovules est libéré, puis le reste est expulsé en trois ou quatre fois à
intervalle d’environ deux semaines. Le nombre d’ovules par femelles dépend,
comme chez chaque poisson, de l’âge et de la taille des individus. Les œufs ont
134 Mille milliards de pattes

un diamètre moyen de presque 2 mm et possèdent des filaments bifides qui


leurs donnent une excellente adhérence au substrat (gravier ou pierres) et les
empêchent d’être emportés par le courant.
Le spirlin est fortement menacé en Allemagne, en Hongrie et en Tchéquie,
il est menacé en Suisse, en Autriche en Slovaquie et aux Pays-Bas. Cette espèce
doit donc être surveillée et on se doit surtout de connaître exactement ses
besoins pour pouvoir élaborer un programme de protection ciblé.

Superprédateurs

En 2009, un article de la revue Bioscience aborde un sujet explosif : la dispari-


tion des super-prédateurs provoque la multiplication généralisée des préda-
teurs secondaires !
La récente apparition du loup dans les Préalpes vaudoises nous pousse à
discuter les éléments clés de cet article. Laura Prugh et ses collègues ont mis un
titre assez éloquent à leur publication (The Rise of the Mesopredator) que l’on
peut traduire par « La prise de pouvoir par les mésoprédateurs ».
Depuis des siècles nous avons chassé les grands prédateurs carnivores
comme le loup en Asie, Amérique du Nord et Europe, le jaguar en Amérique,
les lions et les lycaons en Afrique. Le taux de réussite est élevé, puisque dans
de nombreuses régions, on a réussi à les éradiquer complètement. Cette chasse
acharnée avait plusieurs buts, dont le principal était d’éliminer un compétiteur
direct de l’homme pour la nourriture. On pensait avec raison que grâce à ces
éradications, les ongulés allaient augmenter et pourraient être chassés sans res-
triction par l’homme et que les animaux domestiques ne souffriraient plus des
attaques de ces superprédateurs. Cette vision des choses a été défendue jusque
dans les années 1970 aux Etats-Unis, notamment, mais des données surpre-
nantes relatives à différentes espèces d’ongulés ont mis la puce à l’oreille des
scientifiques. Par exemple, contrairement aux populations de wapitis qui ont
fortement augmenté en Amérique du Nord, les populations de pronghorns,
ont fortement décliné suite à la disparition du loup. C’est l’analyse de ces rela-
tions entre superprédateurs et proies durant ces dernières vingt années qui
vient de montrer le lien étroit qui existe avec les méso-prédateurs ou préda-
teurs intermédiaires. De manière assez simple, on place les prédateurs dans un
système à trois étages, dont ils occupent le sommet et consomment ceux de
l’étage inférieur qui à leur tour consomment les plantes. Cette chaîne alimen-
taire est de loin trop simpliste et ne tient pas compte des interactions directes
et indirectes entre des espèces occupant un même étage ou un étage proche.
Ainsi les espèces omnivores peuvent jouer sur plusieurs tableaux et sont par-
fois indirectement influencées par la présence ou l’absence d’un superpré-
Les espèces menacées 135

dateur. Dans de nombreux cas, le superprédateur régule les populations de


mésoprédateurs et limite leur influence. De nombreuses analyses effectuées au
niveau des chaînes trophiques dans les océans et dans différents écosystèmes
terrestres semblent donner raison à ces nouvelles approches. Par exemple le
contrôle des ratons laveurs en Floride pour lutter contre la prédation des œufs
des tortues marines s’est soldé par une augmentation de la prédation sur ces
œufs par un crabe qui était en partie contrôlé par le raton laveur. Aujourd’hui
il est plus difficile et surtout plus coûteux de contrôler les mésoprédateurs que
les superprédateurs. Il convient alors de regarder le retour du loup avec un œil
différent, même si ceci soulève des problèmes pas tous résolus.

Tapirs : une petite trompe et un faux air de cochon

Les tapirs sont des animaux plutôt discrets dont le déclin ne semble pas émou-
voir le grand public. Ces ongulés à doigts impairs, qui marchent sur le médian
de chaque patte, semblent décliner depuis plusieurs millions d’années déjà.
Aujourd’hui, le phénomène ne fait que s’accélérer, les tapirs sont menacés
d’extinction rapide par la destruction des forêts dans lesquelles ils habitent.
Lorsque les premiers Européens découvrirent cette espèce au XVIe siècle,
ils décrivirent un animal de la taille et de la couleur d’un bœuf, avec des sabots
de cheval et une trompe d’éléphant. Il existe aujourd’hui quatre espèces de
tapirs, dont trois vivent en Amérique du Sud : le Tapirus terrestris se rencontre
de la Colombie au Brésil, le Tapirus pinchaque dans les Andes (de la Colombie
au Pérou) et le Tapirus bairdi du Mexique à l’Equateur. La dernière espèce
peuple l’Asie (Tapirus indicus), de la Birmanie à la Malaisie et à Sumatra. Il y a
136 Mille milliards de pattes

20 millions d’années, les forêts de l’hémisphère Nord abritaient de très grands


tapirs qui étaient parmi les mammifères les plus primitifs du globe. Par leur
silhouette et leurs dimensions, soit environ 1 m au garrot, 2 m de long et un
poids variant de 220 à 300 kg, les tapirs actuels ressemblent le plus à leur type
originel. Les zoologistes, ayant considéré leur forme, – soit un corps trapu, un
cou réduit, un cuir épais à pelage ras, mais surtout leur goût pour les endroits
marécageux – les avaient rapprochés des suidés (famille des cochons). Il ne
s’agit en fait pas de parenté, mais de convergences apparues parallèlement.
La courte trompe, formée par le nez et la lèvre supérieure, est une particu-
larité des tapirs. Elle peut se distendre et se rétracter à volonté. C’est un outil à
la fois sensoriel et pratique. Grâce à cette trompe, le tapir bénéficie d’un odo-
rat de haute qualité, mais dispose aussi d’un outil pour attraper les bourgeons,
les fruits et les feuilles des végétaux. Parfois, il peut sortir de la forêt et entrer
dans les plantations de cannes à sucre dont il raffole. Ce qui le rend impopu-
laire auprès des paysans.
Essentiellement nocturne, le tapir est un animal solitaire et assez séden-
taire. Il marque son territoire avec son urine. Il nage très bien et peut se cacher
dans l’eau quand il est inquiété. Ses principaux ennemis sont le jaguar ou le
tigre, parfois l’ours ou le caïman. La reproduction se déroule toute l’année et
les couples se livrent à une parade nuptiale dite « tête-bêche », chacun reniflant
les organes sexuels du partenaire. Après une gestation de 13 mois, la femelle
met au monde un seul et unique petit qu’elle allaite pendant un an environ.
Le tapir nouveau-né possède un pelage roussâtre ponctué de taches et de raies
claires. C’est une protection étonnante dans un milieu forestier où la lumière
traverse le feuillage. En cas d’alerte, le jeune s’immobilise littéralement dans
le paysage.

Tarier pâtre

Le tarier pâtre est un petit passereau de la famille des turdidés, dans laquelle
on rencontre notamment le merle, la grive ou le rossignol. Il marque une pré-
férence pour les régions méridionales de notre pays, on le rencontre dans le
canton de Genève, de Vaud et du Tessin principalement. Il choisit les coteaux
exposés au sud en ne dépassant guère 800 m d’altitude. C’est un habitant des
paysages agricoles comportant des bords de chemins et des haies qui lui offrent
un couvert pour son nid ainsi que des perchoirs pour la chasse et le chant. Or
suivant les relevés des ornithologues, on a constaté que le tarier pâtre a subi
une forte régression au cours de la seconde moitié du siècle passé.
Cependant, il y a de bonnes nouvelles à l’horizon. C’est dans le canton de
Genève que se trouve l’une des plus grandes populations de Suisse. Au cours
Les espèces menacées 137

des 15 dernières années, les effectifs ont passé de 85 à 120 couples. Cette aug-
mentation est due en grande partie à un projet de revitalisation qui s’est ins-
tauré en 1991 avec les agriculteurs locaux. Des zones de friches ont été mises
en place, et les oiseaux en ont profité pour se développer de manière plus que
satisfaisante. Le suivi de cette progression est le travail de B. Lugrin (voir Nos
oiseaux, volume 46, 1999). Cela est d’autant plus remarquable que cet oiseau
niche au sol.

La femelle choisit un site convenable, dégage le sol et charrie le matériel,


le mâle lui donnant du courage en chantant et en l’accompagnant. A l’aide
de tiges et de feuilles sèches, la femelle construit une structure externe assez
grossière, l’intérieur étant plus élaboré et surtout nettement plus doux, grâce
à de la mousse et des plumes. Le nid est souvent caché par une touffe d’herbe.
Le mâle a la tête et le menton noirs avec une grande tache blanche sur
les côtés du cou. La poitrine est orangée. La femelle a la tête claire et la gorge
ombrée de brun. Après la période de nidification qui débute au mois d’avril,
il peut y avoir une deuxième nichée en mai et parfois même une troisième à la
fin de juin ou au début de juillet. Après une couvaison de 14 jours et un nour-
rissage des jeunes de durée équivalente, les petits sortent du nid en sautillant et
se cachent dans la végétation où ils sont encore nourris par les parents. Après
une quinzaine de jours, les liens parents-enfants s’estompent puis cessent.
Le tarier pâtre quitte notre pays à partir de la fin de septembre. Grand
consommateur d’insectes, il aime se percher sur un piquet de clôture ou un
buisson et se précipite sur ses proies depuis son perchoir. Coléoptères, saute-
relles, criquets et papillons forment l’essentiel de son menu.
Ce projet de revitalisation est un très bel exemple de la contribution du
monde agricole à la survie d’une espèce. Et même si certains demeurent encore
sceptiques quant à la valeur de ces bandes-abris, ces améliorations écologiques
profitent directement à certaines espèces menacées.
138 Mille milliards de pattes

Taupe-grillon : drôle d’insecte

Le taupe-grillon n’est pas le résultat d’un croisement erroné entre un insecte


et un mammifère, mais un orthoptère proche parent des sauterelles, grillons
et criquets. Connu aussi sous le nom de courtilière, cet insecte a reçu dans de
nombreuses langues ou patois des noms évocateurs : airote, aridelle, avant-
taupe, grillon-taupe, loup-de-terre, rataillon etc. Il faut dire qu’un taupe-
grillon est tout à fait extraordinaire. Ses pattes antérieures sont transformées
en pattes fouisseuses et ressemblent à de puissantes pelles dentées. Evidem-
ment, ces attributs limitent fortement le saut et, d’ailleurs, les courtilières ne
sautent pas. En revanche, elles ont conservé une aptitude particulière liée au
saut ! En effet, d’habitude, les autres espèces d’orthoptères répondent à un
danger par la fuite en sautant. Les courtilières, elles, détendent les tibias de
leurs pattes postérieures, ce qui pourrait correspondre à un mouvement salta-
toire, devenu dérisoire depuis des millions d’années chez cette espèce qui vit
dans des galeries !

D’une couleur brun sombre, la courtilière peut atteindre une longueur de


5 cm. Les ailes antérieures ou élytres sont courtes, mais les postérieures sont
très développées et dépassent l’extrémité de l’abdomen. Si les courtilières ne
sautent pas, elles sont capables de voler. Il n’est pas facile de distinguer les deux
sexes. Les nervures des ailes antérieures des mâles forment une sorte de dia-
pason dont l’ouverture est dirigée vers l’avant. Cette différence leur permet de
striduler en frottant leurs élytres l’un contre l’autre. Pendant les nuits chaudes
du printemps et de l’été, on peut entendre chanter les mâles à l’entrée de leur
terrier.
Après l’accouplement estival, la femelle pond ses œufs dans un nid situé à
une profondeur d’une quinzaine de centimètres. Elle effectue plusieurs pontes
de mai à novembre, soit au total entre 200 et 300 œufs. Elle reste vers ses oeufs,
prodiguant des soins sommaires, mais semble-t-il très importants. La vie lar-
vaire est longue. Le cycle dure au minimum deux ans et peut atteindre trois
ans. Il faut une dizaine de mues pour que les larves arrivent au stade adulte.
Les taupes-grillons apprécient les sols humides et légers. Grâce à leurs
pattes fouisseuses, elles creusent des galeries en dévorant au passage racines
et tubercules, mais aussi de nombreuses larves d’insectes et des vers de terre.
Dans la mesure où la courtilière fréquente les jardins, elle a été l’objet d’une
lutte acharnée qui est parvenu à l’éradiquer dans de nombreuses régions.
Les espèces menacées 139

En Suisse, cette espèce a fortement régressé et on peut la considérer comme


menacée. Il est évident qu’une armée de courtilières dans un jardin a quelques
conséquences malheureuses, mais le sol en est que plus aéré. De plus, d’autres
espèces nettement plus nuisibles comme les taupins, les vers blancs ou les vers
fils de fer feront les frais de la présence de la courtilière.

Tétras-lyre

Ne le cherchez pas dans le Jura, il en est absent. En Suisse, c’est une espèce
montagnarde et, si vous désirez l’apercevoir, vous aurez tout intérêt à vous
rendre plutôt dans les zones de contact entre la forêt et les pelouses alpines.
Il affectionne particulièrement les versants pentus orientés à l’ouest avec des
myrtilles et des rhododendrons. Il va donc se rencontrer de 1500 jusque vers
2200 m d’altitude. L’aire de nidification du tétras-lyre s’étend des Alpes fran-
çaises à la Scandinavie et jusqu’en Sibérie orientale. Cette espèce était très
répandue en Europe centrale au début du siècle passé, mais aujourd’hui ses
effectifs ont fortement diminué, notamment à cause de la disparition de son
habitat, de la chasse abusive, de la construction de route et des dérangements
dus au tourisme.
Le tétras-lyre doit son nom à la queue du mâle divisée en deux parties
recourbées. D’une taille nettement inférieure à celle du grand coq de bruyère,
il peut néanmoins mesurer plus de 50 cm de longueur. Cette espèce est séden-
taire, c’est-à-dire qu’elle ne quitte pas ses emplacements traditionnels, même
au plus fort de l’hiver. Son plumage dense lui offre une excellente protection
thermique grâce à une partie très duveteuse à la base des plumes, qui contri-
bue à piéger une couche d’air isolante entre les plumes. Enfin, les orifices
nasaux et ses jambes sont aussi recouverts de plumes, sage précaution pour les
hivers rudes.
140 Mille milliards de pattes

L’une caractéristique du tétras-lyre est sa parade nuptiale. Pendant les


parades, la plupart des mâles se regroupent en lieux de parades collectifs ou
arènes en milieu ouvert. Chaque mâle va défendre dans cette arène un terri-
toire de parade de 100 à 150 m2 en moyenne. Une fois ce territoire acquis, il est
défendu à vie par son propriétaire. Tout est bon pour les mâles pour se faire
remarquer des femelles, chaque mâle va faire étalage de signaux optiques et
acoustiques. Parmi les signaux optiques, signalons une série de démonstration
comme le saut avec battements d’ailes et pirouette, le vol de démonstration
qui emporte le coq jusqu’à une hauteur de deux mètres et une longueur de
quinze mètres, et ce, attention, sans sortir de son territoire. A cela peut s’ajou-
ter l’étirement du corps avec battements d’ailes. Ces comportements sont
accompagnés de chuintements assez sonores qui portent à plusieurs centaines
de mètres. Mais c’est le roucoulement, qui lui porte jusqu’à trois kilomètres
qui attire les femelles vers les arènes. Chaque mâle peut féconder plusieurs
femelles.
Les femelles pondent de six à huit œufs, mais il n’y aura guère plus de deux
ou trois jeunes à l’envol au mois de juillet. Il faut dire que le nid n’est qu’une
simple dépression grattée par la femelle et tapissée de végétaux (brindilles,
herbes sèches) et de rares plumes. Si les températures sont peu élevées et les
précipitations abondantes pendant la période d’élevage, le succès reproduc-
teur diminue fortement et les jeunes meurent de sous-alimentation.

Thon rouge de l’Atlantique

Les thons appartiennent à la même famille que les maquereaux, les thonines
ou les germons, soit les scombridés. Cette famille compte 51 espèces dont la
grande majorité vit dans les eaux tropicales, subtropicales et tempérées. Ce
sont avant tout des poissons grégaires au mode de vie pélagique. Les scombri-
dés ont une importance primordiale et mondiale pour la pêche, ce qui ne va
pas sans poser quelques problèmes économiques et écologiques. En effet, les
populations ont chuté de près de 80% durant les 20 dernières années.
Le thon rouge (Thunnus thynnus) peut atteindre quelque 650  kg et son
prix peut être exorbitant. Au Japon, certains spécimens sont vendus à 100 000
dollars ! Compte tenu de cette rentabilité, tous les moyens ont été mis en
œuvre pour améliorer les captures, ceci bien évidemment au détriment de
l’espèce. En ce qui concerne le thon rouge de l’Atlantique, il existe deux lieux
de reproduction, soit le golfe du Mexique et la Méditerranée. Les larves péla-
giques éclosent au bout de quelques jours et les jeunes émigrent à l’âge de 1 à 3
ans pour les pleines eaux de l’Atlantique. La Commission internationale pour
la conservation du thon de l’Atlantique (ICCAT) basée à Madrid gère la pêche
Les espèces menacées 141

dans les eaux internationales. L’Atlantique est divisé en deux secteurs par une
ligne imaginaire qui passe au large de Terre-Neuve et qui divise les stocks de
thon en deux groupes. Les pêcheurs peuvent capturer quelques 32 000 tonnes
à l’est de cette ligne et seulement 3000 tonnes à l’ouest. Cette division, à pre-
mière vue arbitraire, était liée à ce que l’on connaissait des migrations et des
états des populations de thon de l’Atlantique.
Des chercheurs de l’Université de Stanford (Californie) ont étudié pendant
9 ans plus de 800 thons qu’ils ont équipés d’émetteurs et suivis par GPS. Des
informations sur les niveaux de lumière (permettant d’estimer la profondeur
à laquelle se trouve l’individu) et la température de l’eau ont aussi été rele-
vées. Grâce à ces données, ils ont pu tout d’abord confirmer l’existence de
deux populations se reproduisant dans des lieux différents, chaque individu
retournant se reproduire dans le lieu où il est né. En revanche, ces deux popu-
lations fusionnent lorsque les individus viennent se nourrir dans l’Atlantique
et peuvent ainsi se retrouver des deux côtés de la ligne de séparation. Cela
signifie que les pêcheurs capturent à l’est de nombreux individus provenant
de la population nettement moins importante de l’ouest. Cette découverte
majeure, publiée en 2005, a entraîné une réaction rapide de la Commission
internationale. Ceci d’autant plus que les chercheurs ont aussi mis en évidence
que les pêcheurs du golfe du Mexique, qui pêchent également une autre espèce
de thon (le thon jaune Thunnus labacares), ont un effet dévastateur sur les
thons de l’Atlantique. Il était donc indispensable de rediscuter rapidement la
gestion des populations de thons rouges, faute de quoi il risque de disparaître
rapidement de nos assiettes.
142 Mille milliards de pattes

Tigre

Il y a un siècle, on estimait la population de tigres indiens à plus de 40 000


individus. Aujourd’hui les chiffres officiels indiquent qu’il reste environ 3600
spécimens en Inde, mais les scientifiques travaillant sur le terrain pensent que
ce chiffre est très optimiste et qu’il n’y aurait plus qu’entre 1200 et 2000 indi-
vidus. Cela signifie très clairement que le tigre est une espèce menacée d’ex-
tinction et que cette extinction pourrait être beaucoup plus rapide que prévue.

Cette extinction s’accompagnerait de la disparition de nombreuses autres


espèces. En effet, on considère le tigre comme une espèce ombrelle. Cela signi-
fie que sa présence dans un écosystème assure la survie de nombreuses autres
espèces animales et indirectement d’espèces végétales. Cela peut paraître sur-
prenant, mais les interactions entre les espèces ne se limitent pas uniquement
à des relations de type prédateur et proie. Lorsque l’on s’intéresse à une espèce
comme le tigre, on pourrait penser que le dénombrement des individus est un
travail de routine et que l’on connaît assez bien les effectifs de populations.
Mais comme vous devez vous en douter, les estimations des populations d’une
espèce ne sont pas toujours simples et évidentes.
Depuis 1966, le Gouvernement indien utilise la technique du recensement
des empreintes pour estimer les populations. Chaque année les responsables
envahissent les forêts de chaque parc national pour une période de une à deux
semaines durant lesquelles ils relèvent les empreintes. Ensuite, compte tenu de
la taille des empreintes, ils les attribuent à un ou l’autre spécimen. La dernière
estimation faite par le Gouvernement indien date d’il y a quatre ans environ et
le chiffre obtenu était de 3642 individus. Mais les biologistes pensent que cette
méthode ne permet en aucun cas d’attribuer une empreinte à un individu et
qu’il est illusoire de penser que l’on peut recenser toutes les empreintes. En
2004, le responsable du projet protection du tigre a mis sur pied une méthode
utilisée pour d’autres espèces et qui consiste à placer sur les chemins utilisés
Les espèces menacées 143

par les tigres des appareils photographiques qui se déclenchent au passage des
animaux. Cela permet de les reconnaître individuellement et d’avoir une idée
plus précise de leur nombre. C’est ainsi qu’il est apparu qu’il n’y avait plus
de tigres dans le Parc national de Sariska au Rajasthan alors que les officiels
du gouvernement parlaient d’une population de 16 à 18 individus. On risque
malheureusement de se retrouver systématiquement dans ce cas et d’obtenir
finalement effectivement une population totale de tigres de l’ordre de 1200
spécimens, comme l’ont annoncé des responsables de la conservation.

Tsunami : catastrophe écologique ?

Afin de mesurer les dégâts provoqués par le tsunami en Asie, il est indispen-
sable de disposer d’informations de personnes locales. Ainsi les associations
de plongeurs par exemple se mobilisent pour évaluer les dommages aux récifs
de coraux.
Selon certaines sources, les dommages semblent moins graves qu’attendus :
certains récifs sont vieux de 20 000 ans, et ont donc connu bien d’autres tsu-
namis et fortes tempêtes. Dans les îles Similar, au nord-ouest de Phuket, seuls
deux sites sont très endommagés, quelques autres ont subi des dommages sur
10 à 20% de leur superficie et la majorité est intacte. Par contre, les récifs de
corail peu profonds, comme ceux de l’île de Surin, ont reçu beaucoup de boue
qui pourrait entraver leur croissance et même les faire mourir. Il est relative-
ment encourageant de comparer avec ce que l’on sait d’autres catastrophes
semblables. Par exemple, des récifs de corail ont récupéré leur forme quelques
années seulement après des tsunamis qui ont frappé la côte est de l’Indoné-
sie. En 1964, les tsunamis qui ont dévasté les côtes de l’Alaska n’ont fait que
quelques morts parmi les saumoneaux, sans altérer la distribution des bancs
de poissons.
Il faut savoir que les communautés de poissons regroupant de nombreuses
espèces vivent souvent en équilibre dynamique. Cela signifie que les petits
changements se répercutent sans trop de dommages sur chaque espèce, mais
que les grands bouleversements peuvent à moyen terme limiter simplement
la reproduction des espèces. Dans ce cas, les effets ne sont pas forcément tout
de suite visibles, mais peuvent apparaître après une année ou plus. Il est donc
fondamental de mettre en place un système de suivi des populations de pois-
sons exploités ou non, car la disparition d’une espèce peu connue, donc plus
discrète, peut entraîner d’autres disparitions d’espèces exploitées.
Pour terminer, un petit mot sur les mangroves ou forêts de palétuviers.
D’une manière simplifiée, les mangroves se répartissent dans la zone intertro-
picale comprise entre le tropique du Cancer et le tropique du Capricorne. Ces
144 Mille milliards de pattes

forêts dont les arbres possèdent des racines aériennes caractéristiques jouent
un rôle tampon entre le milieu marin et terrestre. Les racines permettent de
diminuer la force des vagues et diminuent l’effet du ressac. Le rôle de tampon,
entre le milieu terrestre et le milieu marin est favorable à la faune benthique.
En effet, elle peut y trouver les éléments nutritifs qu’ont produits les palétu-
viers après la transformation des substances d’origine terrestre. La mangrove
a aussi la particularité de fixer certains polluant. A première vue, elles ont été
également fortement détruites par les tsunamis successifs. Or il faut savoir que
ce milieu joue un rôle à la fois biologique (certains poissons s’y reproduisent,
des crabes y creusent leurs terriers, des oiseaux y nichent et des prédateurs y
trouvent leurs proies…), et de lutte contre l’érosion et de protection de la côte
contre la houle, les tempêtes et les cyclones.

Vipères européennes

Les vipères du genre Vipera sont présentes dans toute la région Paléarctique
(de l’Afrique du Nord au Japon). Malgré cette large répartition, une majorité
est menacée aujourd’hui. Les causes principales sont la destruction et la frag-
mentation de leur habitat et la persécution humaine qui n’a pas cessé, malgré
la protection dont elles sont l’objet depuis plusieurs décennies en Suisse.
D’une manière générale, la diminution des effectifs d’une population et
l’isolation entre les populations peuvent conduire à l’extinction rapide d’une
espèce. De plus, les petites populations peuvent subir une dérive génétique
et l’apparition d’accouplements entre individus apparentés réduit la variabi-
lité génétique et la qualité (fitness) des individus. Par conséquent, les petites
populations isolées ont un risque élevé d’extinction. Si ceci paraît logique,
les méthodes actuelles de recherche basées sur l’analyse de marqueurs géné-
tiques permettent de visualiser l’état des populations d’une espèce à un instant
donné et de qualifier ce que l’on appelle la structuration des populations. Le
travail de Sylvain Ursenbacher (Université de Lausanne) a abordé plusieurs
aspects liés à la structuration génétique à petite et à large échelle chez trois
espèces de vipères (Vipera ammodytes, V. aspis et V. berus).
La vipère péliade (Vipera berus) est probablement le serpent terrestre ayant
la plus grande aire de répartition puisqu’elle occupe toute la partie nordique
de l’Eurasie, de la Grande-Bretagne à la côte Pacifique, de la Russie et des Bal-
kans jusqu’au cercle polaire en Scandinavie. Malgré cela, elle est menacée de
disparition dans l’ouest de l’Europe. Elle figure sur la liste des espèces proté-
gées de nombreux pays (Suisse, France, Allemagne, Suède, Slovénie). Si elle
est encore bien présente aux Grisons et dans les Alpes, où il reste des milieux
intacts, elle occupe des habitats isolés dans les Préalpes et est très menacée
Les espèces menacées 145

dans le Jura. Seules 5 populations comprenant entre 20 et 100 adultes y sont


connues. Il était donc important d’étudier la structuration de ces populations
pour donner les éléments nécessaires à leur protection. L’auteur a analysé 285
péliades provenant de 10 populations du Massif jurassien. Les résultats mon-
trent que les péliades sont extrêmement peu mobiles et que les populations
peuvent être considérées comme complètement isolées à partir de quelques
kilomètres. Les mouvements entre les populations distantes de plus de 1 km
sont très rares et ne leur permettent pas de rester génétiquement homogènes.
Pour le Massif jurassien, on peut considérer que toutes les populations ont un
rôle majeur pour la survie de l’espèce puisqu’elles sont génétiquement dis-
tinctes. La création de corridors permettant de reconnecter les populations
serait peu utile, les mouvements naturels entre les populations interconnec-
tées étant très faibles. Il importe donc surtout de favoriser les milieux occupés
aujourd’hui afin que les vipères puissent diffuser et graduellement coloniser
de nouveaux emplacements.

Vison d’Europe : le danger vient d’Amérique…

Si on peut intercaler le vison d’Europe entre l’hermine et le putois, il diffère de


ce dernier par une queue plus grande et mieux adaptée au rôle de gouvernail
durant la nage, ainsi que par son pelage uniformément foncé. Les pattes sont
légèrement palmées. Si la mue permet de distinguer facilement les mustélidés
plus terrestres par leur pelage d’hiver ou d’été, il n’y a que peu de différences
146 Mille milliards de pattes

chez le vison. Ce qui peut s’expliquer par le rôle joué par sa fourrure, qui fait
office d’isolant thermique dans l’eau.
On admet que le vison occupait toute l’Europe centrale au XVIe siècle.
Puis, il s’est éteint en Hollande pendant la seconde moitié du XIXe et, en 1909,
le dernier vison est capturé en Moravie. On peut supposer qu’il a disparu de
la plus grande partie de l’Europe à la fin du XIXe. Aujourd’hui, des popula-
tions subsistent en France, dans les départements côtiers de la Bretagne aux
Pyrénées-Atlantiques et en Charente, ainsi qu’en Espagne. L’écologie du vison
d’Europe est assez mal connue. C’est un habitant des lieux boisés aux abords
des cours d’eau lents, des étangs et des marais.
Il se nourrit de tout ce qu’il trouve, même si une partie non négligeable de
ses proies est constituée de rongeurs plus ou moins aquatiques comme le cam-
pagnol amphibie ou le rat musqué, partout où ce dernier a été introduit. Mais
l’autre partie de son régime alimentaire est constituée de poissons, d’amphi-
biens et de crustacés. Nocturne, il capture ses proies dans l’eau ou à proximité.
La période du rut survient tôt au printemps, de février à avril. La durée de
gestation est très variable (de 40 à 70 jours). Après l’accouplement, la femelle
s’isole et les naissances ont lieu à partir du mois d’avril. Les portées comptent
de deux à sept petits, les nouveaux-nés pèsent en moyenne 8 g et mesurent
entre 7 et 9 cm. Le petit vison ouvre les yeux après un mois et les premières
dents apparaissent au début du deuxième mois. Le sevrage intervient à deux
mois et demi et les groupes familiaux se défont à partir du mois d’août. La
dispersion des jeunes peut se faire dans un rayon d’une dizaine de kilomètres.
Ces jeunes atteindront la maturité sexuelle l’année suivante.

Actuellement, cette espèce est menacée par le drainage des marais, la pol-
lution de l’eau, le débroussaillage des berges ainsi que par l’arrivée de son cou-
sin d’outre-Atlantique, le vison américain. Echappé d’élevages dans les années
1920, celui-ci est présent en France, en Suède, en Grande-Bretagne ainsi qu’en
Russie. Beaucoup plus opportuniste que le vison d’Europe, il semble supplan-
ter ce dernier. En Angleterre, l’expansion du vison d’Amérique s’est accompa-
Les espèces menacées 147

gnée de nombreuses doléances de personnes qui le rendaient responsable de


dégâts causés aux poissons, au gibier, dans les basses-cours et les piscicultures.
En France, c’est surtout en Bretagne que l’expansion du vison américain a sus-
cité de vives polémiques. Tous les efforts déployés pour enrayer son expansion
se sont soldés jusqu’à présent par des échecs.
Les nouvelles espèces
Les nouvelles espèces 151

Alpagas : le Valais accueille de drôles de chameaux

Les alpagas sont des représentants de la famille des chameaux ; ils sont proba-
blement issus d’une espèce sauvage d’Amérique du Sud : le guanaco. Il y a 3
millions d’années, une partie des camélidés nord-américains commença à se
disperser vers l’Asie et l’Afrique en utilisant le détroit de Béring, tandis qu’une
partie descendit vers le sud et envahit les Andes. Ceux qui restèrent en Amé-
rique du Nord s’éteignirent il y a environ 10 000 ans, à la fin de l’aire glaciaire,
sous la pression de changements climatiques et sous l’action de l’homme.

Aujourd’hui, tous les camélidés sud-américains sont désignés sous le terme


générique de lamas. Ce sont les grands herbivores les plus répandus en Amé-
rique du Sud. Seules deux des quatre espèces sont sauvages : le guanaco et la
vigogne. Les deux autres espèces, le lama au sens strict et l’alpaga (ou alpaca),
sont domestiquées depuis plusieurs milliers d’années. Il semble que la pre-
mière domestication aurait eu lieu il y a 4000 ou 5000 ans au Pérou dans la
région du lac Titicaca. Toute l’économie de l’Empire Inca reposait sur le lama,
puis sur l’alpaga.
L’alpaga mesure de 95 à 105 cm au garrot pour un poids de 55 à 60 kg.
C’est une espèce très bien acclimatée aux hauts plateaux andins. Plus de 90%
des effectifs se rencontrent au Pérou. Cette espèce affectionne les pâturages
humides sur des terrains plats de préférence. L’alpaga était élevé essentiel-
lement comme producteur de laine. On différencie deux races d’alpagas : le 
huacaya à la laine courte et frisée et le suri à la laine longue et ondulée. Chaque
alpaga peut produire entre 1,7 et 2,3 kg de laine par an. Cela représente pour
le Pérou un marché très important puisqu’il exporte plus de 3 millions de kilos
chaque année.
152 Mille milliards de pattes

Pour améliorer la qualité de la laine, des croisements entre vigognes et


alpagas ont été tentés. Les hybrides obtenus s’appellent pacovicugnas. Ils ont
effectivement une laine quatre fois plus longue que celle de l’alpaga. Malheu-
reusement, ces hybrides sont la plupart du temps stériles.
Les camélidés sud-américains se reproduisent pour la première fois à l’âge
de deux ans et la gestation dure un peu plus de onze mois. A l’époque du rut,
les mâles sont très querelleurs et crachent le contenu de leur panse, un crachat
particulièrement nauséabond, à la face des intrus et même de l’heureuse élue.
Si ce comportement est bien connu grâce aux aventures de Tintin au Pérou, il
faut savoir que l’alpaga est beaucoup plus capricieux que le lama. C’est pour
cette raison qu’il n’est généralement pas utilisé pour porter des charges.

Autruches en Suisse

Le plus grand oiseau vivant, l’autruche, appartient à l’ordre des ratites, où l’on
rencontre les nandous d’Amérique du Sud, les émeus d’Australie, les casoars
d’Australie et de Nouvelle-Guinée et les kiwis de Nouvelle-Zélande. Ces
oiseaux ne volent pas, mais se déplacent fort rapidement à la surface du sol.
En effet, ce sont des véritables champions de course. L’autruche et les autres
ratites ne possèdent pas de bréchet. Nécessaire au vol, le bréchet est en effet
l’excroissance osseuse du sternum sur laquelle vient s’attacher la masse mus-
culaire permettant le battement des ailes. De même la structure des ailes est
différente, car les barbules constituant les plumes ne disposent pas de crochet
pour les maintenir en rang serré, ce qui donne au plumage un aspect mou et
ébouriffé.
Dernière caractéristique des ratites : l’absence des glandes uropygiennes
permettant l’imperméabilisation pour voler par temps pluvieux. Ainsi, l’au-
truche se contente-t-elle de bain de sable ou de poussière pour se nettoyer.
L’autruche peut atteindre 2 m, voire 2,75 m pour les plus grands mâles, avec
un poids variant de 65 à 150 kg. Vu sa taille et son poids, l’autruche consacre la
plus grande partie de la journée à la recherche de nourriture. Comme l’apport
énergétique des végétaux est faible, l’autruche en consomme d’énormes quan-
tités. Elle picore aussi bien les graines et les feuilles que les racines, les bour-
geons, les fleurs ou les fruits. De plus, l’autruche ingurgite aussi régulièrement
des minéraux pour faciliter la trituration des végétaux et la décomposition de
la cellulose, ce qui correspond quotidiennement à la valeur de plusieurs poi-
gnées de graviers et cailloux.
Les nouvelles espèces 153

A côté de ce régime à dominante phytophage, l’autruche ne dédaigne


pas pour autant d’autres nourritures comme les insectes. Il faut dire qu’en
Afrique, lors des pullulations cycliques de criquets migrateurs, l’autruche ne se
prive pas de ce petit extra. L’eau est très importante pour l’autruche et, quand
elle n’en trouve pas, elle se rabat sur des plantes grasses ou des fruits.
Habituellement, l’autruche est nomade est peu facilement parcourir de 10
à 40 km par jour à la recherche de nourriture et d’eau. Mais, si les conditions
sont favorables, elle peut s’installer et devenir sédentaire.
Si vous avez une grande réception, vous pourriez faire une omelette avec
un œuf d’autruche et combler de très nombreux convives, car cet œuf peut
atteindre le poids étonnant de 1,5 kg, ce qui correspond à une trentaine d’œufs
de poule. Mais munissez-vous d’un bon marteau car la coquille est épaisse et
très résistante. C’est d’ailleurs le plus gros œuf d’oiseau existant, car il mesure
en moyenne 16 cm sur 13 cm. Si les conditions sont favorables, il peut y avoir
deux nidifications successives, chaque femelle pouvant pondre de trois à huit
œufs. C’est le mâle qui couve le nid la nuit et la femelle le jour. La couvaison
dure de 39 à 42 jours.
154 Mille milliards de pattes

Baleine : une nouvelle espèce

Une nouvelle espèce de baleine a été décrite par des chercheurs japonais dans
la célèbre revue scientifique Nature en novembre 2003. Cette nouvelle espèce
appartient au groupe des baleines à fanons. Pour rappel, les cétacés forment un
ordre comprenant deux sous-ordres, d’une part les baleines à dents (odonto-
cètes) comme l’orque, le cachalot ou les dauphins et d’autre part les baleines
à fanons (mysticètes) parmi lesquelles on rencontre les plus grands cétacés
comme la baleine bleue, le rorqual commun, la baleine à bosse et quelques
autres espèces.

Vers la fin des années 1970, huit spécimens de balénoptères (baleines à


fanons du genre Balaenoptera) étaient récoltés dans l’océan Indopacifique par
un bateau de recherche japonais. En 1998, une carcasse de baleine échouée
sur l’île de Tsunoshima dans la mer du Japon était analysée en détail. Ces spé-
cimens ressemblaient au rorqual commun mais étaient plus petits. Plusieurs
indices laissaient penser qu’il pouvait s’agir d’une nouvelle espèce. D’une part
la taille, puis d’autres indices comme le nombre de fanons qui différaient de
toutes les baleines connues. A cela s’est ajouté une analyse génétique, celle de
l’ADN mitochondrial, qui a permis de mettre en évidence des différences spé-
cifiques avec les autres espèces de balénoptères.
Cette nouvelle espèce a reçu le nom d’un chercheur japonais (Omura),
grand spécialiste des cétacés. Elle s’appelle dorénavant Balaenoptera omurai.
Comme il s’agit d’une nouvelle espèce, les chercheurs ont décrit avec précision
la morphologie d’un spécimen, qui est dès lors considéré comme le type, c’est-
à-dire le spécimen de référence sur lequel est basée la description. Ce spécimen
(celui découvert en 1998) est déposé au National Science Museum de Tokyo
Les nouvelles espèces 155

et comprend l’entier du squelette ainsi que différentes parties de muscles, du


foie qui ont été congelées. Il s’agissait d’une femelle, dont la taille était de 11
m. D’autre part les chercheurs ont aussi dû comparer différentes parties de ce
squelette avec celui d’autres espèces dans d’autres musées, ce qui leur a per-
mis, à côté des analyses moléculaires, de préciser les différences au niveau du
squelette.

Cœlacanthe : une très longue histoire

L’histoire débute le 23 décembre 1938, lorsque le capitaine d’un bateau de


pêcheur, Hendrick Goosen, qui pêchait dans les eaux côtières de l’océan
Indien revint au port d’East London, au nord-est de Cape Town en Afrique du
Sud. Il faut préciser que ce capitaine s’était lié d’amitié avec Marjorie Courte-
nay-Latimer conservatrice d’un petit musée de la ville et il l’invitait souvent à
venir voir ses prises, lui offrant la possibilité de prélever quelques spécimens
pour son musée. Or ce jour-là, Marjorie allait découvrir « le plus beau poisson
qu’elle n’avait jamais vu ». Ce spécimen mesurait près d’un mètre cinquante de
long, d’un bleu iridescent tacheté d’argent. Notre conservatrice n’avait aucune
idée de ce que cela pouvait bien être et elle le ramena au musée pour l’étudier
de plus près. Après avoir effectué quelques recherches, elle se trouva confron-
tée à une drôle d’énigme. En effet la seule image qu’elle avait trouvée et qui
rappelait ce poisson était un poisson préhistorique. Elle fit alors un dessin et
l’envoya au professeur James Leonard Brierley Smith spécialiste sud-africain
des poissons habitant Grahamstown. Ayant cru reconnaître un cœlacanthe,
Smith vint quasi sur-le-champ pour regarder de plus près ce spécimen. Plu-
sieurs fossiles de ce poisson était connu, mais on le croyait disparu depuis 75
millions d’années !
156 Mille milliards de pattes

Le nom cœlacanthe est dérivé d’un mot grec qui signifie « épine dorsale
creuse ». Les cartilages dorsaux du cœlacanthe, appelés notocordes, sont creux
et remplis de liquide. Smith baptisa la nouvelle espèce Latimeria chalumnae.
Le nom de genre Latimeria est dérivé du nom de Marjorie Courtenay-Latimer,
quant au nom de l’espèce chalumnae vient de la rivière Chalumna, à l’em-
bouchure de laquelle le capitaine Hendrick Goosen avait pêché le specimen
ce fameux jour de 1938. Le poisson devint rapidement la plus importante
découverte zoologique du siècle. Malheureusement le taxidermiste n’ayant pu
conserver les tissus mous du poisson, Smith s’était résolu à trouver un autre
spécimen pour permettre aux scientifiques de l’étudier dans les règles de l’art.
Mais il dut attendre l’année 1952, que des pêcheurs ramènent un cœlacanthe
provenant de l’archipel des Comores (petit archipel de trois îles dans l’océan
Indien). Le cœlacanthe fut pris à proximité de l’île d’Anjouan. Il faut préciser
que la capture par les pêcheurs n’était pas volontaire. La cible de l’industrie
traditionnelle de pêche des Comores est le rouvet (Ruvettus pretiosus), qui
partage avec le cœlacanthe le même habitat soit les eaux profondes près de la
côte. Avant que les scientifiques n’attirent l’attention des pêcheurs sur la valeur
du cœlacanthe, ces derniers le considéraient comme une nuisance. Au mieux,
ils le laissaient repartir, mais comme le cœlacanthe possède une mâchoire
impressionnante et des rangées de petites dents très acérées et que les lignes
coûtent très cher, le comportement le plus typique était d’achever le poisson
et de récupérer l’hameçon avant de rejeter l’animal.

Deux nouvelles espèces de mammifères en 2008

Coup sur coup, deux nouvelles espèces de mammifères ont été découvertes en
2008 ! L’une au large des côtes de l’Australie : un dauphin ; et la deuxième aux
Philippines : une chauve-souris frugivore. Habituellement, plusieurs milliers
de nouvelles espèces d’invertébrés, plus particulièrement des d’insectes, sont
découvertes et décrites chaque année, mais plus l’on monte dans le règne ani-
mal et plus les découvertes se raréfient. C’est donc un événement exceptionnel
qu’il convient de relever à une période où la biodiversité mondiale est en crise.
Commençons par la chauve-souris ; il s’agit d’un renard volant dont le
nom latin est Styloctenium mindorensis. Il s’agit de la deuxième espèce du
genre Styloctenium. Elle a été découverte sur l’île de Mindoro aux Philippines.
L’autre espèce de ce genre n’est connue que de l’île de Sulawesi dans l’archipel
indonésien et a été nommée en l’honneur d’Alfred Russel Wallace. Wallace
était en fait un collègue de Darwin et coauteur d’un papier important qui pré-
céda la parution de l’ouvrage clé de Darwin consacré à l’origine des espèces.
On peut même dire que c’est Wallace qui a poussé Darwin à publier ses idées,
Les nouvelles espèces 157

car il arrivait aux mêmes conclusions. Le nom de Darwin est resté, celui de
Wallace est un peu tombé dans l’oubli. Mais l’année 2009 a permis d’en repar-
ler à l’occasion de la commémoration du 200e anniversaire de la naissance de
Darwin et du 150e anniversaire de la publication de son ouvrage sur l’origine
des espèces. Wallace avait remarqué, notamment, qu’il existait des faunes assez
différentes entre l’Asie du Sud-Est et la zone australienne. Ironie du sort, l’une
des espèces est située à l’est de la ligne de Wallace, la nouvelle chauve-sou-
ris décrite récemment se trouvant à l’ouest. Malheureusement, cette nouvelle
espèce est déjà fortement menacée par la diminution des habitats naturels sur
l’île de Mindoro et l’on peut espérer que toutes les mesures seront prises pour
assurer sa protection.
Une nouvelle espèce de dauphin à gros nez a été découverte dans les eaux
côtières du sud de l’Australie. Ces populations, qui se tiennent assez près des
côtes, étaient connues depuis fort longtemps, mais c’est seulement en utilisant
des techniques de génétique moléculaire que l’on a pu mettre en évidence
cette deuxième espèce. L’espèce n’a pas encore été baptisée officiellement, mais
elle se rapproche du dauphin de Fraser, lequel vit dans les eaux profondes
de l’océan Pacifique et de l’océan Indien. Cette espèce est aussi menacée, car
elle se situe à proximité des côtes et en eaux peu profondes, elle est soumise
à diverses pollutions aquatiques et à diverses pressions dues à la pêche. Préci-
sons qu’une seule autre espèce de dauphins a été découverte dans les 50 der-
nières années, autant dire que cette découverte est importante.

Eléphant : découverte d’une nouvelle espèce en Asie

Les éléphants de l’île de Bornéo ont été pendant plusieurs années sujets à
controverse. La première hypothèse penchait pour une origine très loin-
taine (remontant au Pléistocène) avec l’éléphant d’Inde. La deuxième, plus
simple, parlait d’une introduction récente. Les histoires populaires locales
racontent que des éléphants ont été donnés au sultan de Sulu en 1750 par
des représentants de la East India Trading Company. Ils auraient ensuite été
transportés sur Bornéo où ils fondèrent la population que l’on trouve tou-
jours aujourd’hui. Ces animaux originaires d’Inde étaient déjà des individus
domestiqués. Evidemment suivant cette hypothèse, la protection de cette
population n’est pas de première importance. En revanche, suivant la pre-
mière hypothèse, des spécimens auraient colonisés Bornéo durant la der-
nière glaciation à une époque où l’archipel indo-malaisien formait une seule
terre que l’on a appelée Sunda. Cela signifierait que l’isolation des éléphants
de Bornéo daterait au minimum de 18 000 ans. Cette hypothèse aurait pour
conséquence d’agrandir l’aire de distribution de l’éléphant asiatique de
158 Mille milliards de pattes

quelque 1300 km à l’est, rendant cette population assez unique, les possibili-
tés de se croiser avec la population d’origine demeurant plus qu’impossibles
(sauf moyennant un transport par voie maritime). Ainsi donc, initialement,
les éléphants de Bornéo étaient classés comme une sous-espèce (Elephas
maximus borneensis) proche de l’éléphant indien (Elephas maximus indicus)
ou encore de la sous-espèce de Sumatra (Elephas maximums sumatrensis).
Une équipe de chercheurs américains, indiens et malais a utilisé l’ADN mito-
chondrial (organelles responsables de la respiration cellulaire) de spécimens
de Bornéo, d’Inde, de Sumatra et de Malaisie. Les résultats sont tout à fait
étonnants puisque l’éléphant de Bornéo possède des caractéristiques géné-
tiques uniques qui ne datent pas de quelques centaines d’années mais feraient
remonter leur origine à l’époque du Pléistocène, soit il y a environ 300 000 ans.
Cette recherche a des conséquences importantes. Cela signifie d’une part que
son statut change (espèce à part entière) et que les quelques 2000 spécimens
existant sur Bornéo méritent une protection accrue et deviennent une priorité
pour la conservation en Asie. D’autre part, il serait totalement erroné d’ima-
giner maintenir cette population en la croisant avec d’autres individus prove-
nant du continent indien. En effet, les populations d’éléphants asiatiques ne
comptent plus que 28 000 à 40 000 spécimens. Il est donc urgent d’appliquer
des mesures concrètes de protection. Comme ces espèces asiatiques ne sup-
portent pas vraiment le soleil (comme leurs cousins africains), la conservation
des éléphants asiatiques passent aussi par la conservation des forêts, ce qui est
un autre problème !
Les nouvelles espèces 159

Ephémères et faune malgache

Madagascar est la quatrième plus grande île au monde avec une superficie de
587 000 km² (un peu plus que la superficie de la France). Située dans l’océan
Indien, traversée par le tropique du Capricorne, elle occupe une position stra-
tégique avec sa côte tournée vers le canal du Mozambique. Seuls 5% de la
surface du pays sont utilisés pour l’agriculture. La déforestation atteint des
proportions qui en font un problème majeur pour l’écologie et l’économie de
l’île. Les eaux sont de plus en plus polluées par des rejets humains incontrôlés,
d’où parfois un risque de maladie dans les zones de fortes densités. Mais cette
île est aussi l’un des hot spots de la biodiversité mondiale.
La dérive des continents a montré que l’Inde, l’Australie, l’Antarctique,
Madagascar, l’Afrique et l’Amérique du Sud étaient réunis en une terre appe-
lée Gondwana. A la fin de l’ère tertiaire, il y a 150 millions d’années, cette
terre s’est disloquée pour former les continents. Dès la période quaternaire,
Madagascar se trouvait à peu près à l’endroit où elle se situe aujourd’hui.
L’isolement au cours des temps géologique a fait évoluer sa faune et sa flore
de façon unique. On trouve donc sur la grande île des espèces particulières
qui n’existent nulle part ailleurs (endémiques) dont les lémuriens sont un
exemple célèbre.

Il y a vingt ans, les éphémères de Madagascar étaient pratiquement incon-


nus avec une douzaine d’espèces décrites. Aujourd’hui, on répertorie une
centaine d’espèces, dont la moitié a été décrite à Lausanne au Musée canto-
nal de zoologie. Il était communément admis que la faune des éphémères de
Madagascar avait évolué en vase clos depuis la séparation de Madagascar des
autres plaques. La dispersion était à priori exclue pour deux raisons princi-
pales : la durée de vie limitée des adultes et des larves inféodées à l’eau douce.
L’étude détaillée des éphémères de Madagascar menée par Michel Sartori et
Jean-Luc Gattolliat du Musée de zoologie a permis la découverte d’une espèce
commune entre Madagascar et l’Afrique et des affinités très fortes entre ces
deux faunes remettant en question l’isolement. Afin de mettre clairement en
évidence ces relations, il convenait d’entreprendre une série d’analyses géné-
tiques. Une campagne de terrain a alors été menée en 2003 en collaboration
avec des chercheurs français et sud-africains à Madagascar et en Afrique du
160 Mille milliards de pattes

Sud. Les résultats ont montré que les processus de vicariance sont importants.
La vicariance est un processus selon lequel de nouvelles espèces naissent par
isolation de populations. Les mutations génétiques se succédant sur des mil-
lions d’années, donnent naissance à une faune différente de celle dont elle
est issue. Il existe donc une lignée complètement endémique, mais il y a eu
des phénomènes de dispersion dans d’autres lignées. En conclusion il n’y a
pas de mécanisme unique pour expliquer la faune actuelle. Si les éphémères
sont capables de disperser pareillement que penser alors des autres groupes de
plantes ou d’animaux.

Goral de l’Himalaya : des poils de yéti qui n’en sont pas

En 2008, un journaliste de la BBC rapportait deux poils mystérieux de la région


du Meghalaya. Il s’agit d’un état du nord-est de l’Inde, situé sur la chaîne de
l’Himalaya et jouxtant le Bangladesh. On pouvait s’attendre alors à de nou-
veaux espoirs. La première analyse fut menée par des chercheurs du Musée
d’histoire naturelle d’Oxford. Les premières conclusions indiquaient que ces
poils n’appartenaient pas à des primates. Pour une deuxième confirmation,
les deux spécimens furent envoyés aux Etats-Unis pour une analyse de l’ADN.
Les résultats sont sans appel, ces deux poils n’appartiennent pas au yéti mais à
une espèce de caprin, le goral de l’Himalaya. Il s’agit d’une espèce située entre
la chèvre et le chamois et endémique des régions himalayennes. Si l’on peut
se dire que c’est dommage, il faut toutefois relever que les scientifiques sont
au contraire très heureux car le goral est peu connu et ces données appor-
tent une information supplémentaire sur l’aire de distribution de cette espèce.
Il s’agit d’une espèce de la famille des bovidés dont le nom scientifique est 
Naemorhedus goral.
Cette espèce figure sur la liste des espèces menacées de la planète car les
effectifs estimés font penser qu’il existe aujourd’hui moins de 10 000 individus.
La distribution de cette espèce s’étendait de la Birmanie à la Chine (sud-est
du Tibet de la province du Yunnan) et au nord-est de l’Inde. Normalement
cette espèce se rencontre dans les forêts natives de conifères comprises entres
les altitudes de 2500 à 4000 m. Des relevés de populations effectués il y a plu-
sieurs années en Chine semblaient déjà indiquer de très faibles populations. On
estimait alors en 1998 qu’il ne se trouvait plus que quelques 1500 individus. Les
populations des autres zones ne sont pas connues. Le goral se déplace au cours
de l’année et passe la mauvaise saison plus bas dans des forêts mixtes qui ne
sont pas recouvertes de neige. Il est actif au début et à la fin de la journée, sauf
si le temps est couvert au quel cas il est actif toute la journée. Le territoire d’un
individu peut s’étendre à une quarantaine d’hectares, mais pendant la période
Les nouvelles espèces 161

de reproduction les mâles défendent activement un territoire d’une vingtaine


d’hectares. Les individus sont solitaires, mais il arrive parfois que l’on rencontre
une femelle et ses jeunes. Les accouplements ont lieu en décembre et les jeunes
naissent après une gestation de 6 mois au courant du mois de juin. On sait
que cette espèce se nourrit principalement de lichens, mais elle semble aussi
apprécier des éléments plus tendres comme l’herbe ou les jeunes pousses dans
la forêt. On pense que la chasse est le principal facteur de diminution des popu-
lations. Le déplacement et la colonisation de nouveaux territoires en Chine ont
une grande influence sur cette espèce très discrète et encore mal connue.

Gorilles

Vous vous rappelez sans doute du film Gorilles dans la brume dans lequel
Sigourney Weaver incarnait une scientifique (Dian Fossey) qui a passé plus
d’années parmi les gorilles que dans un 3 pièces avec vue sur la mer. En effet,
cette scientifique au caractère bien trempé a étudié le comportement des
gorilles de montagne dans une zone comprise entre le Rwanda, la République
du Congo et l’Ouganda. Elle a aussi été parmi les premières à dénoncer le bra-
connage et la chasse à cette espèce.
Pendant de nombreuses années, les scientifiques ont pensé qu’il existait
une seule espèce de gorilles divisée en deux sous-espèces que l’on nommait
les gorilles de l’est et les gorilles de l’ouest. Or il y a quelques années, il a été
possible d’analyser de manière un peu plus fine les différences entre ces popu-
lations en se basant notamment sur l’ADN. Les chercheurs ont trouvé que les
gorilles de l’est et de l’ouest étaient aussi séparés que ne le sont le chimpanzé
et le bonobo. Or comme ces deux singes sont considérés comme deux espèces
162 Mille milliards de pattes

distinctes, on est arrivé à la conclusion que cela devait aussi être le cas chez les
gorilles. On pense d’ailleurs que ces deux espèces se sont séparées il y a 2 ou 3
millions d’années. Toutefois d’autres analyses ont été faites plus récemment en
utilisant cette fois l’ADN provenant du noyau et non plus des mitochondries.
Les résultats ne sont plus aussi clairs et la différence entre gorilles de l’est et de
l’ouest n’est plus aussi marquée. D’ailleurs durant le dernier million d’années,
le continent africain a été plus chaud et il est probable que la forêt tropicale ait
été beaucoup plus étendue permettant à ce moment des échanges entre popu-
lations différentes. Toutefois la taxonomie ou classification des êtres vivants
ne se base pas uniquement sur les études génétiques et des analyses de la mor-
phologie sont aussi nécessaires pour distinguer les espèces entre elles.

On admet aujourd’hui qu’il existe deux espèces de gorille. La première


espèce, soit le gorille de l’ouest ou gorille des plaines (Gorilla gorilla), for-
mée de deux sous-espèces se trouve dans les restes des forêts du Nigeria et de
l’ouest du Cameroun. Si les estimations montrent qu’il existe encore plusieurs
milliers de gorilles des plaines, ils sont néanmoins menacés, plus particulière-
ment la sous-espèce dont l’aire de distribution est très limitée (gorille de Cross
River). La deuxième espèce est le gorille de l’est (Gorilla beringei) avec trois
sous-espèces, une à l’est et vivant en plaine (gorille de Grauer), la deuxième,
la plus étudiée étant les fameux gorilles des montagnes vivant dans la région
volcanique des Virunga à cheval entre la République du Congo, l’Ouganda et
le Rwanda. Enfin la troisième sous-espèce, le gorille de Bwindi, est localisée
dans la Forêt Impénétrable de Bwindi au sud-ouest de l’Ouganda.
D’une manière générale les deux espèces se distinguent donc sur la base
de leur squelette, de la couleur de leur pelage et des séquences d’ADN mito-
chondrial.
Les nouvelles espèces 163

Grenouille indienne : des questions intéressantes

En 2003, en Inde, des chercheurs décrivent une nouvelle espèce de grenouille


qui nécessite la création d’une nouvelle famille. C’est assez rare pour être
signalé ! D’autant plus que ceci n’était plus arrivé depuis 1926 !
Cette grenouille a été découverte dans l’ouest des Ghâts en Inde. Il s’agit
d’une chaîne de montagne qui borde le plateau de Dekkan et le sépare de
l’étroite zone côtière de la mer d’Oman. L’espèce a été nommée Nasikabatra-
chus sahyadrensis. La première partie du nom de genre, nasika vient du sans-
crit et signifie nez, faisant référence à son museau pointu alors que le nom
d’espèce fait référence à l’endroit Sahyadri, montagne où elle a été découverte.

Cette espèce mesure environ 7 cm. Sa couleur tire sur le pourpre foncé, ce
qui lui a donné le nom anglais de purple frog. Si elle est restée ignorée pendant
des siècles (des chercheurs, mais pas des populations locales !), c’est que ses
mœurs sont assez particulières. Elle passe pratiquement toute l’année sous
terre et ne sort que deux semaines par année pendant la mousson pour se
reproduire. Mais l’intérêt de cette découverte réside ailleurs. La grenouille
découverte présente de nombreuses analogies avec certaines espèces fouis-
seuses africaines. Comme ces dernières, elle fait preuve d’une très grande
adaptation à la vie souterraine : de petits yeux, une bouche minuscule, un
museau pointu, des pattes adaptées au fouissage. Malgré cela, des examens
approfondis ont montré que cette grenouille n’appartient pas à la lignée des
grenouilles fouisseuses africaines. L’analyse de l’ADN a révélé une seconde
surprise : Nasikabatrachus possède de proches parents aux Seychelles ! Mais
ces grenouilles insulaires, appartenant à la famille des sooglossidés, sont radi-
calement différentes de Nasikabatrachus. Elles sont minuscules, vivent dans les
torrents, et ne sont pas adaptées à une vie fouisseuse.
La question est de savoir comment des grenouilles séparées par 3000 km
peuvent-elles être de proches cousines ? C’est dans la tectonique des plaques
qu’il faut rechercher une réponse. Les ancêtres communs de ces deux familles
vivaient sur le Gondwana, l’un des deux super continents qui émergeaient des
océans il y a 200 millions d’années. Lorsque celui-ci s’est fracturé, il y a envi-
164 Mille milliards de pattes

ron 160 millions d’années, des grenouilles ont été emportées sur le sous-conti-
nent commun Inde-Seychelles. Lorsque cette terre s’est elle-même fracturée,
il y a 65 millions d’années, les grenouilles isolées sur les Seychelles ont évolué
de manière indépendante, donnant naissance à la famille des sooglossidés.
Celles restées sur le sous-continent indien sont à l’origine des nasikabatra-
chidés. Toutefois, l’analyse génétique montre que la séparation entre les deux
familles de grenouilles s’est produite il y a 130 millions d’années, c’est-à-dire
bien avant la rupture entre l’Inde et les Seychelles. On peut donc imaginer
que les représentants des deux familles habitaient déjà des milieux différents
à cette époque.

Héron garde-bœuf à Lausanne

Le héron garde-bœuf est un visiteur occasionnel de notre pays. Il s’agit d’une


espèce hispano-africaine signalée environ une quinzaine de fois dans le can-
ton de Vaud. En Camargue, le héron garde-bœuf est devenu nicheur régulier
dès 1968. Par la suite, il a connu une lente expansion qui s’est un peu accé-
lérée dès les années 1990. Aujourd’hui, il est présent sur tous les continents
et il a été aperçu une fois sur le site de l’Université de Lausanne à Dorigny 
en 2007.
Ce héron est, parmi tous les hérons, celui qui est le moins associé aux zones
humides. On le rencontre aussi bien dans les steppes et les prairies que dans les
rizières et les marais. Mais il supporte très bien les terrains secs. C’est un héron
blanc à tête assez ronde. Son bec est jaune et ses pattes rougeâtres à la saison des
nids. En hiver, son bec est plutôt jaune orange et les pattes sombres. Ce petit
héron a l’air bossu lorsqu’il est perché, car il tient généralement le cou rentré
dans les épaules. On le distingue aisément des autres hérons par sa couleur et sa
taille. Il ne dépasse guère 50 cm de longueur pour une envergure de 80 à 90 cm
et un poids de l’ordre de 300 g. Il est connu pour son comportement alimen-
taire particulier, qui lui a valu son nom de garde-bœuf. En effet, on l’aperçoit
souvent isolé ou en groupes à proximité du bétail pâturant dans les champs.
Le bétail, en broutant, dérange les insectes et les petits animaux dont le héron
se nourrit. Il lui arrive de se percher aussi sur le gros bétail pour le débarras-
ser de ses parasites. Assez vif et se déplaçant avec rapidité, il se livre parfois
à des brèves courses pour des raisons qui semblent encore nous échapper. 
Le héron garde-bœuf vit habituellement en colonies et niche dans les arbres
et les buissons. La construction du nid est l’affaire des deux parents, avec une
répartition assez rigoureuse des tâches. La femelle s’occupe de l’architecture
tandis que le mâle fait les transports de matériaux. Le nid est construit avec
des branchettes et des roseaux. La femelle pond 4 à 5 œufs de couleur bleu
Les nouvelles espèces 165

verdâtre qui seront couvés alternativement par le mâle et la femelle pendant


25 jours environ. Les jeunes s’envoleront au bout de 30 jours, mais on les voit
souvent grimper dans les branches voisines à l’âge de 14 jours. En vol le héron
bat lentement des ailes et adopte une position particulière avec la tête repliée
en arrière et les pattes tendues.

Kipunji : un nouveau singe en Tanzanie

La découverte d’une nouvelle espèce est toujours passionnante, surtout s’il


s’agit d’un mammifère. En effet, chaque année plusieurs milliers d’espèces
d’invertébrés comme les insectes sont décrites, alors que la découverte de nou-
velles espèces de vertébrés et plus particulièrement de mammifères demeure
un événement relativement unique. Dans ce contexte, il faut savoir que la der-
nière espèce de singe découverte en Afrique remonte à une vingtaine d’an-
nées. Il s’agissait d’un cercopithèque (Cercopithecus solatus), le singe à queue
de soleil, découvert au Gabon en 1984. Il faut soulever que le manque de visi-
bilité en sous-bois dans la forêt tropicale rend leur observation assez difficile.
De plus, ces primates se déplacent très silencieusement lorsqu’ils sont au sol.
Un chercheur ayant travaillé sur le singe à queue de soleil n’a rencontré cette
espèce qu’une vingtaine de fois en 10 mois de travail et en ayant parcouru plus
de 250 km en forêt.
Cependant, deux équipes indépendantes travaillant en Tanzanie ont décou-
vert presque en même temps une nouvelle espèce de cercopithèque en deux
166 Mille milliards de pattes

endroits différents dans le sud de la Tanzanie. Dans cette région montagneuse,


le gouvernement tanzanien a créé une réserve forestière autour du mont Run-
gwe et le parc national de Kitulo. L’équipe qui travaillait autour du mont Run-
gwe a procédé à des interviews des populations locales, les Wanyakyusas. Or
ces gens parlaient d’un singe très timide connu sous le nom de kipunji. C’est
en mai 2003 qu’eut lieu la première observation, les chercheurs furent très
surpris alors qu’ils s’attendaient à voir apparaître une espèce de mangabey de
couleur grise avec la face plutôt rose, ils virent déboucher un individu brun
avec le visage et les mains de couleur noire et la tête recouverte d’une longue
crête de cheveux dressés lui donnant un air plutôt punk. Huit mois plus tard,
d’autres chercheurs aperçoivent eux aussi le même singe à 350 km de là dans
la forêt de Ndundulu aux pieds des montagnes de Udzungwa.

Mesurant environ 90 cm, son pelage est plutôt brun et abondant et il pos-
sède de longs favoris qui lui cachent les joues. Le cri qu’il lance régulièrement
rappelle celui d’une oie ou le son très bruyant d’un klaxon. Un appel suffisam-
ment unique pour qu’on le décrive par un néologisme anglais – honk-bark.
Son nom scientifique est Lophocebus kipunji, en hommage aux tribus locales
qui parlaient du kipunji.
Selon les chercheurs, il n’y aurait pas plus de 500 à 1000 mangabeys des
montagnes encore vivants. Si rien n’est fait, leur disparition est malheureu-
sement plus qu’envisageable. La déforestation sauvage, la chasse non régle-
mentée et l’exploitation non planifiée des ressources naturelles sont choses
courantes autour et dans le secteur de Rungwe et Livingstone notamment, un
des lieux ou les chercheurs ont découvert cette nouvelle espèce de primate.
Les nouvelles espèces 167

Krill : promenade en profondeur

Tout le monde sait plus ou moins ce qu’est le krill : des petites crevettes qui
servent de nourriture aux baleines. En fait, le krill est un mot d’origine norvé-
gienne, inventé par les baleiniers, qui désigne une dizaine d’espèces de crusta-
cés de pleine eau et qui signifie « menu fretin ». On peut parler de zooplancton,
même si certaines espèces peuvent atteindre 4 cm. Ce zooplancton joue un
rôle fondamental dans les relations trophiques des eaux froides. Il constitue
la nourriture principale des oiseaux de mers, des phoques et des baleines à
fanons dans les eaux polaires.
Il existe deux espèces principales de crustacés constituant le krill, une
espèce caractéristique des eaux froides et tempérées de l’hémisphère Nord,
Meganyctiphanes norvegica et une espèce des eaux antarctiques, Euphausia
superba. C’est cette dernière espèce qui, ressemblant à une crevette, nous inté-
resse. De couleur rose-orange, elle mesure entre 3 et 6 cm. Les femelles pon-
dent près de 300 000 œufs deux fois par ans. Les œufs coulent et éclosent à
différentes profondeurs avant que les jeunes remontent en surface. Le stade
adulte est atteint au bout de 2 ans.

En Antarctique, la biomasse du krill est estimée, en période saisonnière


des glaces, entre 200 et 600 millions de tonnes. De plus, chaque année, envi-
ron 250 millions de tonnes de nouveaux individus sont produites. On estime
que les populations d’Euphausia superba atteignent 600 000 milliards d’indivi-
dus ! C’est sans aucun doute l’une des espèces marines les plus abondantes de
notre planète. Chaque année, les phoques consomment plus de 70 millions de
tonnes de krill, les oiseaux marins environ 40 millions de tonnes et les baleines
un peu plus de 30 millions de tonnes. Par exemple, la baleine bleue peut
engloutir 3 tonnes de krill par jour. Mais, ce n’est pas la seule à en profiter, au
moins 5 espèces de baleines se régalent de ces crustacés et, comme l’on pouvait
s’y attendre, l’homme aussi. La grande découverte faite récemment par une
équipe du British Antarctic Survey et du National Oceanography Centre est la
découverte de krill à grande profondeur. En effet, le robot sous-marin nommé
Isis a plongé à plus de 3000 m sous la surface et a filmé des Euphausia superba,
en pleine forme, se nourrissant sur le fond. Selon les scientifiques concernés,
168 Mille milliards de pattes

cette découverte est tout à fait étonnante, car on pensait que le krill restait dans
les eaux de surface se limitant aux premiers 150 mètres. Il reste encore beau-
coup à découvrir pour comprendre l’évolution de cette espèce indispensable à
l’équilibre de l’écosystème marin.

Mouflon : de Corse … et du Valais

Non, non, je ne vous propose pas une escapade en Corse ou en Sardaigne, mais
bien plutôt un petit tour dans région de Champéry ou de Morgins, car, avec
beaucoup de chance, vous pourrez y observer le plus petit des ovins sauvages :
le mouflon. Il s’agit d’un petit mouton sauvage à pelage non frisé. Le mâle
adulte pèse de 35 à 50 kg, avec une hauteur au garrot de 75 cm environ. Il est
brun-roux avec une selle blanchâtre, le bas des pattes, le museau, le ventre et
les fesses blancs. Le bélier porte des cornes enroulées en colimaçon qui peu-
vent atteindre 85 cm de long et une circonférence de 20 à 25 cm. En Sardaigne,
à Chypre et chez de nombreux sujets introduits en Europe occidentale, les
femelles n’ont pas de cornes. En Corse, en revanche, les femelles ont des cornes
droites et courtes, longues de 15 cm environ.

En Corse, en Sardaigne et à Chypre, le mouflon apprécie les montagnes


plus ou moins escarpées, couvertes de maquis secs et caillouteux. Mais en
Europe continentale, il peut se rencontrer en plaine, sur les plateaux et en
Les nouvelles espèces 169

montagne. Il apprécie les forêts claires aux sous-bois riches. Son activité géné-
rale est diurne et crépusculaire mais dépend, pour partie, de la pression des
activités humaines.
En automne et en hiver, mâles et femelles de tout âge se rassemblent en
groupe. Au printemps et en été, les béliers adultes se séparent de la harde prin-
cipale et vivent isolés ou en groupe. Pendant le rut, les mâles combattent vio-
lemment pour défendre le territoire dans lequel ils maintiennent leur harem.
Ils n’hésitent pas à s’élancer l’un contre l’autre en prenant un élan de plus de
20 mètres ! Cela fait beaucoup de bruit, mais sans trop de dommage. Habi-
tuellement, les rivaux ne se blessent pas. Le rut a lieu entre mi-octobre et fin
décembre. La gestation dure environ cinq mois. La femelle met au monde nor-
malement un seul agneau. Comme les femelles vivent plus longtemps que les
mâles, en moyenne quinze ans contre onze pour ces derniers, il s’en suit que
les hardes comprennent beaucoup plus de femelles que de mâles.
En principe, la Corse et la Sardaigne représentent l’aire de répartition
naturelle du mouflon, où il est considéré actuellement comme menacé. Cer-
tains scientifiques suggèrent qu’il est originaire du Sud-Est asiatique. Introduit
par l’homme comme animal domestique à l’époque historique (néolithique),
il serait retourné à l’état sauvage par la suite. Plus récemment, des mouflons
provenant de Corse et de Sardaigne ont été réintroduits dans plusieurs régions
d’Europe. Il se rencontre dans plusieurs régions du continent, sauf en Grande-
Bretagne, en Belgique et au Luxembourg.
En Suisse, des mouflons sauvages sont apparus pour la première fois au
début des années 1970 en Bas-Valais. Ils proviendraient de France voisine, où
des lâchers avaient eu lieu. Jusqu’en 1980, ils ne passaient en Suisse qu’en été,
mais, par la suite, ils s’y installèrent et leur effectif, estimé à 60 en 1985, a passé
à 180 en 1990.

Nouvelles espèces découvertes, le classement 2009

Il fallait s’y attendre ! Après l’animal de l’année, l’oiseau de l’année, l’insecte de


l’année, un groupe international de scientifiques a sorti en 2009 la liste des 10
nouvelles espèces les plus importantes récemment découvertes sur notre terre.
Si aujourd’hui notre planète abrite quelque 1,8 million d’espèces décrites et
classées, vous n’êtes pas sans savoir que chaque année de nouvelles espèces
sont décrites. Ainsi en 2007, plus de 18 500 nouvelles espèces ont été décrites
(dont 75% étaient des invertébrés et un peu plus de 11% des plantes). Chaque
année un rapport intitulé State of Observed Species ainsi que la liste du top
10 des nouvelles espèces sont publiés par l’International Institute for Species
Exploration de l’Université d’Etat de l’Arizona.
170 Mille milliards de pattes

Parmi ce top 10 des espèces décrites en 2008, il convient de relever quelques


espèces animales assez originales. La première est un petit hippocampe (Hip-
pocampus satomiae) dont la taille est de 11,5 mm en position normale et 13,8
mm lorsqu’on lui déroule la queue. Cette espèce a été découverte en Indoné-
sie. Mais c’est à la Barbade que l’on a trouvé le plus petit serpent du monde,
Leptotyphlops carlae. Il mesure à peine 10 cm au stade adulte. Il est aussi trois
fois plus petit qu’une nouvelle espèce de phasme ou insecte-bâton que l’on a
découvert en Malaisie. Ce dernier est, à ce jour l’insecte le plus long au monde,
son corps mesurant 35,6 cm auquel vous pouvez rajouter près de 12 cm pour
les antennes, ce qui donne plus de 57 cm de longueur. Cette liste se poursuit
avec un escargot qui tortille sa coquille selon quatre axes. La plupart des gas-
téropodes comme les escargots, sont soit dextrogyres ou lévogyres selon que
leur coquille s’enroule vers la droite ou vers la gauche, de l’extrémité de l’ou-
verture. Cette nouvelle espèce Opisthostoma vermiculum ne tourne pas vrai-
ment mais s’oriente selon quatre axes.
Mais il y a encore d’autres espèces plutôt particulières. C’est le cas d’un
palmier géant découvert dans la jungle de Madagascar et qui avait vraisem-
blablement échappé jusqu’à ce jour aux botanistes, qui ne devaient pas avoir
levé les yeux. En effet ce palmier mesure plus de 20 m de hauteur et possède
des feuilles de plus de 5 m d’envergure. Ce palmier géant (Tahina spectabilis)
ne fleurit qu’une seule fois et meurt immédiatement en s’écroulant. Curieu-
sement, il n’est apparenté à aucun palmier malgache mais plutôt à d’autres
espèces vivant en Asie. Pour terminer, relevons la découverte d’une espèce de
bactérie capable de vivre dans la laque à cheveux et qui a été découverte par
trois biologistes japonais qui, espérons-le, n’ont pas eu à couper les cheveux
en quatre pour la trouver !

Onza : étrange félin mexicain

Lorsque les Espagnols envahirent le Mexique au XVIe siècle, ils découvrirent


la faune locale, notamment les félins. L’un des conquistadors Bernard Diaz
del Castillo, qui accompagnaient Hernan Cortés, rapporta après avoir visité
le zoo du roi aztèque Moctezuma qu’il y avait deux sortes de lions dont l’un
ressemblait à un loup et que les Aztèques nommaient cuitlamiztli. Les Espa-
gnols le désignèrent sous le nom d’onza, dérivé du nom du guépard uncia.
Par la suite, de nombreux écrits décrirent cet animal de la Sierra Madre au
nord-ouest du Mexique comme un puma plus élancé avec un corps fin et de
grandes oreilles. Malheureusement, ces récits n’intéressèrent pas les scienti-
fiques et personne ne se soucia plus de l’onza. En 1938, un banquier américain
et deux chasseurs très expérimentés se rendirent dans la région de Sinola. Ils
Les nouvelles espèces 171

tirèrent un spécimen qu’ils ne purent identifier. Il différait du puma par ses


longues pattes et ses longues oreilles. L’animal fut mesuré et photographié et la
peau et le squelette conservés. Lorsqu’ils rentrèrent chez eux, ils annoncèrent
avoir trouvé une nouvelle espèce de félin, mais cela fut pris avec dérision par
la communauté scientifique. On perdit, de plus, la trace du squelette, égaré
dans un musée.
En 1969, Phil C. Orr décrivit un nouveau puma fossile d’Amérique datant
du Pléistocène qu’il appela Felis trumani. Après de nombreuses discussions
et recherches, il s’avéra que cette espèce n’était pas vraiment un puma, mais
plutôt un guépard. Ainsi les guépards n’étaient plus l’apanage unique de l’An-
cien-Monde, ils avaient existé à une certaine époque dans le Nouveau-Monde.
L’idée surgit alors que l’onza pouvait bien être un descendant de ce guépard
fossile. Un chercheur allemand (Helmut Hemmer, de l’Université de Mainz)
suggéra que le guépard fossile et l’onza ne formaient qu’une seule espèce
ayant survécu jusqu’à nos jours. Cette histoire attira l’attention de Richard
Greenwell, alors secrétaire de l’International Society of Cryptozoology fondée
en 1982 à Washington. Il se mit en compagnie d’un spécialiste des pumas, le Dr
Troy Best à rechercher des squelettes d’onzas. En 1985, ils avaient retrouvé trois
squelettes attribués à ce mystérieux félin. Une analyse morphologique détaillée
permit de montrer que le guépard fossile et l’onza différaient notablement.
La nuit du 1er janvier 1986, un chasseur mexicain tua ce qu’il croyait être
un jaguar et fut surpris de se trouver avec un animal tout différent. Il contacta
immédiatement le chercheur qui avait aidé Greenwell lors de son passage au
Mexique. Greenwell et Best se rendirent sur place pour photographier l’animal,
le disséquer et prélever certains tissus et organes pour des analyses génétiques
ultérieures. Il s’agissait d’une femelle de 27 kg, très élancée et possédant de
grandes oreilles. Tout espoir était permis. S’agissait-il d’une nouvelle espèce ?
En 1998, les résultats génétiques furent publiés dans la revue Cryptozoology.
Malheureusement, aucune différence notable avec le puma ne fut décelée.
172 Mille milliards de pattes

Pic à bec d’ivoire

Publiée à grand fracas dans la célèbre revue scientifique américaine Science en


2005, la redécouverte du pic à bec d’ivoire, considéré comme disparu depuis
60 ans aux Etats-Unis, faisait grand bruit. En février 2004, un naturaliste qui
pagayait dans le Cache River National Wildlife Refuge en Arkansas, a eu la
certitude d’en observer un. Une équipe du Laboratoire d’ornithologie de
l’Université de Cornell se rendit donc sur les lieux et quelques observations
supplémentaires eurent lieu. Toutefois, en fonction des documents appor-
tés comme preuves, enregistrements et vidéos, quelques voix se sont élevées
pour contester ces faits. En septembre 2006, paraît un autre article dans la
revue Avian Conservation and Ecology annonçant la découverte du pic à bec
d’ivoire dans des forêts humides de Floride. En fait, les auteurs admettent ne
pas avoir de preuves irréfutables, mais pensent tout de même avoir un faisceau 
d’évidences.

Mark Catesby l’avait identifié et décrit en 1731 sous le nom de « Pic de


première grandeur au bec blanc ». Il s’agit d’un très grand pic, noir et blanc,
le troisième au monde par la taille. Le mâle exhibe une huppe rouge flam-
boyante, la femelle une tête et une huppe d’un noir profond. Les rémiges
secondaires forment une large plage blanche caractéristique sur le bord posté-
rieur de l’aile, visible non seulement en vol mais aussi lorsqu’il est posé. Ceci
le distingue de son cousin le grand pic, espèce encore commune aujourd’hui
dans le sud-est des Etats-Unis. Il ne fut longtemps qu’un trophée. Il semble
Les nouvelles espèces 173

que les Indiens ornaient leurs ceintures de ses scalps et leurs chevelures de
ses becs. Les Indiens du nord les achetaient aux Indiens du sud contre deux
et parfois trois peaux de cerfs pour un seul bec. Les pionniers et les chasseurs
le recherchaient également pour le revendre aux collectionneurs. La distribu-
tion de l’oiseau s’étendait aux grandes forêts primitives à cyprès de la Caroline
du Nord à la Floride, de la Louisiane aux plaines du Mississippi. A la fin du
XIXe siècle, sa lente extinction commence en partie à cause de l’acharnement
des chasseurs, stimulés par la vogue des cabinets de curiosités naturalistes,
mais encore et surtout par la fragmentation des vastes forêts qu’il colonisait.
Au début du XXe siècle, le statut très fragile de l’espèce mobilise les premiers
efforts des pionniers de la conservation. Mais on admet qu’il est éteint depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Protée : batracien au nom mythique

C’est au XVIIe siècle que le chef de la poste de la ville de Vrhnika (à une dizaine
de kilomètres de Ljubljana et à une soixantaine de kilomètres au nord-est de
Trieste) allait découvrir une espèce tout à fait originale de batraciens. Notre
homme était parti à la pêche aux truites dans la source de la rivière Lintvern.
Or cette source était bien mystérieuse : elle avait un débit très variable, passant
parfois de quelques litres à la seconde à plus de mille. Les gens de l’époque
disaient que sous terre, il y avait un lac dans lequel vivait un dragon. Lorsque
ce dernier remuait un peu, cela faisait jaillir l’eau en quantité à la surface. Bien
que fort peu rationnelle, cette explication correspondait à une époque où les
dragons peuplaient encore l’imaginaire.

En fait, il ne s’agissait que d’une source karstique intermittente. Mais notre


postier s’obstinant à poursuivre ses truites avec énergie, déplaça une masse
de rochers, provoquant une violente arrivée d’eau dans laquelle il découvrit
174 Mille milliards de pattes

un « petit dragon » à l’aspect de lézard. Sans le savoir, il venait de découvrir


l’unique espèce de batraciens cavernicoles vivant en Europe. Ce dernier fut
nommé « olm » ou « protée » (dans la mythologie grecque, Protée était un dieu
marin). Il faudra cependant attendre une centaine d’années pour qu’un scien-
tifique, Josephus Laurenti, décrive cet animal sous le nom de Proteus anguineus.
Les batraciens sont partagés en urodèles (salamandres et tritons), anoures
(grenouilles et crapauds) et gymniophones ou apodes (espèces plutôt exo-
tiques). Notre protée appartient aux urodèles, mais est toutefois étrange. A
peu près cylindrique et ayant l’aspect d’une anguille, il est muni de deux paires
de pattes ridicules, incapables de servir à la marche. La tête est grande et large
et présente un museau. Le protée respire par des branchies ramifiées formant
trois touffes de couleur sang de chaque côté de la tête. Sa taille varie de 16 à 30
cm. Naturellement complètement dépigmentés, les protées élevés à la lumière
du jour se développent normalement, mais acquièrent une pigmentation d’un
noir intense, qui les protège.
Le protée se nourrit de crustacés et de petits invertébrés entraînés par les
eaux de ruissellement. C’est une espèce exclusivement cavernicole qui adore les
rivières souterraines dont l’eau est fraîche (de 4 à 14°C). Les femelles pondent
en moyenne tous les six ans de 20 à 80 œufs, qu’elles fixent sous les pierres. La
durée de vie est estimée à une cinquantaine d’années. N’étant pas soumis à la
prédation, les ressources alimentaires demeurant limitées, il est normal que le
protée prenne tout son temps pour assurer sa descendance ! L’éclosion a lieu
après 100 jours, et les petites larves commencent à se nourrir après 3 mois. La
maturité sexuelle est atteinte à l’âge de 12 ans pour les mâles et de 15 ans pour
les femelles. Le protée européen vit dans les régions karstiques situées dans les
monts des Chaînes Dinariques, en commençant par Trieste pour aller jusqu’en
Herzégovine et au sud de la Dalmatie.

Rainette : espèce intermédiaire aux Grangettes

Les rainettes appartiennent à la famille des hylidés qui regroupe plus de 630
espèces au monde. Si les deux zones principales se trouvent en Amérique du
Nord et centrale et en Australie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, les rainettes peu-
plent aussi une bonne partie de l’Europe. On identifie notamment la rainette
verte, la rainette méridionale et la rainette intermédiaire. La rainette verte est
répartie dans toute l’Europe, de l’Espagne à la Turquie, en passant par le nord
de la Suisse (Plateau) et le Danemark, alors que la rainette intermédiaire la
remplace au Tessin et en Italie.
Les deux espèces figurent sur la liste rouge des espèces menacées d’am-
phibiens de Suisse. La rainette verte régresse depuis des décennies en Suisse.
Les nouvelles espèces 175

Quant à la rainette intermédiaire, sa situation au Tessin n’est pas meilleure et


ses effectifs baissent régulièrement. Afin de clarifier la répartition des deux
espèces, les chercheurs du Laboratoire de biologie de la conservation à Lau-
sanne, Luca Fumagalli, Sylvain Dubey et Sylvain Ursenbacher, ont échan-
tillonné plusieurs populations au nord et au sud des Alpes afin de mettre en
évidence des différences génétiques. La méthode la plus couramment utilisée
est le prélèvement buccal. Il suffit d’attraper un individu et de le faire mordre
dans une sorte de Q-tips. A partir de là, on peut extraire l’ADN, l’amplifier
et analyser une partie des gènes. Les échantillons provenaient de populations
réparties dans le secteur de la côte lémanique, de la rive sud du lac de Neu-
châtel, de Suisse alémanique, des Grangettes, du Tessin ainsi que de la France.
A partir des résultats obtenus, on a pu reconstruire ce que l’on appelle un
arbre phylogénétique regroupant les populations par degré de ressemblance.
Or les individus des Grangettes se retrouvèrent à côté des individus du Tessin
et de l’Italie, indiquant par-là leur appartenance à l’espèce Hyla intermedia.
Une véritable surprise !
Les chercheurs ont émis alors deux hypothèses pour expliquer cette pré-
sence particulière au nord des Alpes. La première serait en faveur d’une ori-
gine naturelle. On peut imaginer que l’espèce aurait franchi des cols pour
arriver aux Grangettes. Si les grenouilles sont bien capables de sauter, il est
difficile d’imaginer une telle migration pour une espèce plutôt habituée à
des milieux assez chauds. La deuxième hypothèse est en faveur d’une intro-
duction volontaire ou involontaire par l’homme. On pourrait imaginer que
les Romains lors de leur présence au nord des Alpes aient relâchés des indi-
vidus. Mais on peut aussi imaginer des origines plus récentes par l’intermé-
diaire de plantes ornementales, de produits horticoles en provenance du sud
des Alpes. Des individus utilisant ce moyen de transport depuis le sud de la
France ont été trouvés dans certains centres de jardinage de Suisse. Il reste
encore des questions à résoudre notamment celle de savoir si les deux espèces
peuvent s’hybrider ou comment assurer la gestion du site face à une espèce 
étrangère.
176 Mille milliards de pattes

Sphinx livournien

Le sphinx livournien (Hyles livornica) a des origines subtropicales, et pourtant


ce superbe papillon est découvert de temps en temps chez nous. Il possède une
envergure comprise entre 4,5 et 8 cm. Les ailes antérieures présentent de larges
bandes oscillant entre le brun léger et le vert olive. Les nervures alaires tracées
en blanc sont typiques de cette espèce ainsi que de sa cousine nord-améri-
caine. Les ailes postérieures sont roses, avec deux bandes noires.

Cette espèce se rencontre en Europe, en Asie centrale et en Chine et bien évi-


demment dans toute l’Afrique. En Europe, elle n’apparaît que comme immi-
grant et notre pays n’accueille que des individus en provenance de l’Afrique.
Comme les sphinx sont d’excellents voiliers, ils franchissent les montagnes au
cours de leur migration et on a trouvé des spécimens morts de froids sur les
glaciers notamment au col du Théodule ou au dôme des Mischabels. Dans les
années 1950, on observait souvent des migrations massives, l’espèce n’apparaît
aujourd’hui plus que de façon isolée et devient une rareté.
D’habitude, ce papillon se montre au crépuscule à partir de 21h où il vole
pour venir butiner sur différentes fleurs comme celles du chèvrefeuille des
bois, les saponaires ou encore le tabac. Lorsqu’il est en migration, le sphinx
livournien vole de jour, mais de nuit il est attiré par les lumières. Il vole de mai
à octobre chez nous. Lorsque les conditions sont favorables, la femelle peut
pondre jusqu’à 1000 œufs. La ponte a lieu en mai, puis à nouveau en juillet.
Œufs, chenilles et adultes semblent apprécier les températures élevées et com-
prises entre 25 et 30°C. Quelques jours après la ponte, les chenilles éclosent et
commencent par dévorer la membrane de leur œuf. Comme ces chenilles sont
polyphages, il est possible d’en rencontrer sur les feuilles de vigne, d’épilobes,
de fuchsia, de fraisier ou même de dent-de-lion. On peut observer les chenilles
en juin et en août. Cependant, les individus issus d’œufs pondus en août ont
peu de chance de terminer leur développement chez nous. Ces chenilles tar-
dives n’arrivent pas à se nymphoser lorsque la température descend en dessous
de 16°C. Néanmoins si tout se passe bien les chenilles de la première généra-
Les nouvelles espèces 177

tion se développeront en 3 à 4 semaines. A première vue, il semble possible


que les chrysalides puissent passer l’hiver chez nous, mais seulement en refroi-
dissant très lentement les chenilles de 14 à 6°C. A ce moment, elles entrent
en diapause et terminent leur cycle l’année suivante. Sachez que les chenilles
peuvent avoir des colorations très variables : chez la chenille âgée, la couleur
de fond varie du noir au vert avec des points blancs ou jaunes ; en Afrique, on
observe parfois des chenilles vert pomme pâle pointillée de jaune. Donc la
couleur de la chenille n’est pas un critère fiable pour l’identification du sphinx
livournien. Cependant, il est facile de reconnaître les chenilles des sphinx,
elles portent toutes sur le huitième segment abdominal une corne facile à 
repérer.

Syntomidés : des papillons exotiques en Suisse

Les syntomidés sont des papillons que l’on rencontre avant tout sous les tro-
piques et dans les régions subtropicales. Pourtant, l’Europe centrale compte 5
espèces dont la forme rappelle fortement celle des zygènes. L’une des particu-
larités de ces syntomidés tropicaux est d’imiter des guêpes tropicales, poussant
le perfectionnisme jusqu’à posséder un faux aiguillon et une taille de guêpe.
Autre caractéristique, les chenilles de certaines espèces sécrètent des subs-
tances répulsives pour les oiseaux. Lorsque ces chenilles sont dérangées, elles
émettent ces gouttes au bout de grandes verrues velues de leur face dorsale.
178 Mille milliards de pattes

Des expériences réalisées avec des étourneaux ont montré que les oiseaux évi-
taient les chenilles après une seule tentative de consommation. Autant dire
que c’est un système de défense efficace.
D’une manière générale, les ailes des adultes forment un large triangle,
alors que les postérieures sont particulièrement petites et ovales. Les espèces
européennes possèdent soit des ailes brun clair avec des taches blanches soit
des ailes d’un très beau bleu noir métallique avec des petites taches blanches.
Ces espèces-là portent encore deux anneaux jaunes sur l’abdomen. Les indivi-
dus sont diurnes et ont un vol plutôt bourdonnant et particulier. Ils semblent
dépenser beaucoup d’énergie pour une efficacité réduite.
Syntomis phegea, une espèce de syntomidés, se rencontre du sud-ouest de
l’Europe jusqu’à la région de la mer Noire et de l’Ukraine. En Suisse, cette
espèce se trouve au Tessin, en Valais et dans le Val Poschiavo. D’une enver-
gure de 3 à 4 cm, ce papillon est tout à fait reconnaissable grâce au fond noir
de l’aile et cet éclat bleuâtre si caractéristique. On ne connaît pas encore très
bien la biologie de cette espèce et l’on suppose que la femelle pond ses œufs
sur différentes plantes basses. Juste après l’éclosion, la chenille est grise, puis
elle atteint une taille de 3 cm et devient noire avec des touffes de poils carac-
téristiques. Les chenilles sont fréquemment trouvées sur les murs ou amas de
pierres naturelles. Cette espèce se rencontre aussi en lisière de forêt ou dans
des forêts avec de petites clairières ou des trouées. Pour se nymphoser, la che-
nille s’arrache les poils et les incorpore à la toile tissée qu’elle confectionne
pour l’occasion. Cette opération se déroule au sol, sous des feuilles ou des
pierres. Les adultes butinent les fleurs et semblent avoir un faible pour les
reines des bois, bien qu’on les rencontre aussi sur les scabieuses, les centaurées
et même l’arbre à papillon (Buddléia). Il n’y a qu’une génération par année, les
premiers papillons sont présents fin mai début juin déjà dans le sud du Tessin.
La période principale de vol s’étend de fin juin à début août signifiant qu’ils
hivernent sous forme de chenilles.
Drôles de bêtes
Drôles de bêtes 181

Araignées : mimétisme

Le mimétisme a une grande importance dans la survie de certaines espèces. Il


est défini comme étant l’imitation d’un modèle par un animal ou un végétal.
Cette imitation permet d’augmenter les chances de survie ou de reproduction
du mime. Un système mimétique met en jeu 3 acteurs : le modèle, vivant ou
non ; le mime, imitant le modèle ; le dupe, trompé par le mime.
C’est l’entomologiste britannique Henry Walter Bates qui s’intéresse pour
la première fois au mimétisme chez des papillons. D’aspects similaires bien que
n’étant pas des espèces proches, une espèce inoffensive profite de la répulsion
provoquée par une espèce venimeuse soit non consommable. Fritz Müller, un
zoologiste allemand, explique pour la première fois en 1878, le phénomène
selon lequel deux espèces venimeuses différentes vont adopter une même appa-
rence par l’amélioration de l’efficacité de leur livrée. Leur prédateur apprenant
plus vite à se méfier d’elles. C’est en leur honneur que les deux types de mimé-
tisme sont nommés : le mimétisme batésien et le mimétisme mullerien.

Le cas qui nous intéresse ici est un cas de mimétisme batésien chez cer-
taines araignées sauteuses, les salticides. Cette grande famille d’araignées com-
porte quelques 4000 espèces connues dans le monde. Elles possèdent plusieurs
particularités dont l’une est de pouvoir sauter sur leurs proies. Il y a plusieurs
genres appelés myrmécomorphes, c’est-à-dire qui ressemblent à des fourmis.
C’est le cas du genre Myrmarachne comportant de nombreuses espèces dont
une en Suisse. Les femelles et les jeunes ressemblent à s’y méprendre à une
fourmi. Les mâles se distinguent par des chélicères fortement allongées vers
l’avant. De ce fait, ils ressemblent à une fourmi en train de transporter quelque
chose entre ses mandibules. La question que se sont posée les chercheurs était
de savoir si, à cause de ce dimorphisme sexuel entre mâle et femelle, certains
prédateurs ne se seraient pas spécialisés sur ces mâles, intéressés par le fait qu’ils
transportent quelque chose et seraient par là moins efficaces à se défendre.
Le genre Myrmarachne est largement distribué dans les régions tropicales
et les espèces rencontrées dans ces pays présentent un dimorphisme sexuel 
182 Mille milliards de pattes

particulièrement prononcé. Les chercheurs ont utilisé deux autres espèces


d’araignées sauteuses dont l’une évite les fourmis comme proies alors que
la deuxième est fortement intéressée par la consommation de fourmis. Si
l’on avait pensé que les chélicères fortement développées des mâles étaient
un avantage sexuel et que par conséquent la ressemblance avec une fourmi
diminuait, on aurait une perte de mimétisme protecteur. Les résultats suggè-
rent plutôt qu’il s’agirait bien d’un cas de mimétisme batésien, mais avec un
modèle composé. Au lieu d’imiter simplement une fourmi, les mâles imitent
une fourmi transportant quelque chose. Comme ils habitent une région où
une fourmi transportant une proie ou du matériel est aussi abondante qu’une
fourmi sans rien, les mâles seraient protégés.

Ascalaphes

Début juin est le moment favorable pour voir des ascalaphes. Ce sont des
insectes que vous pourriez confondre avec des papillons. Possédant deux
paires d’ailes en grande partie opaques et diversement colorées de jaune, de
blanc, de gris et de noir, les ascalaphes ont aussi des antennes qui se terminent
en massue, exactement comme les papillons de jour, ou rhopalocères.

Mais, attention, la comparaison s’arrête là. Les ascalaphes appartiennent


à l’ordre des névroptères et sont d’assez grande dimension, soit de 35 à 110
millimètres d’envergure. La tête et le thorax sont très velus, l’abdomen parfois
aussi. Les ailes ont la partie proximale (celle qui est proche du corps) colo-
rée, alors que la partie distale (la plus éloignée) est transparente et possède de
nombreuses nervures transverses. Ces abondantes nervures sont la caractéris-
tique des névroptères.
Il existe quelque 300 espèces d’ascalaphes dans le monde dont une quin-
zaine d’espèces en Europe, principalement dans le sud, et deux espèces en
Suisse. D’ailleurs, pour voir des ascalaphes, il vaut mieux se trouver dans la
Drôles de bêtes 183

région des Follateyres, en Valais que dans un vallon du Jura. On les rencontre
dans les endroits très chauds et abrités, sur des prairies ou coteaux secs tournés
vers le sud, parfois dans des clairières rocheuses ou herbeuses en pleine forêt,
à condition que le soleil les réchauffe toute la journée. Les ascalaphes peuvent
monter jusqu’à 1000 m d’altitude et marquent une préférence nette pour les
milieux sauvages et non cultivés. Vous les verrez voler en juin et en juillet.
Insecte au vol rapide, il se déplace sur son territoire, parfois en vol plané,
les ailes toujours grandes ouvertes. Il vole le plus souvent à 2 ou 3 m d’altitude
et chasse de petits insectes au sol. En revanche, la nuit et durant les journées
pluvieuses, il recherche un abri et referme ses ailes en toit en dessus de son
corps.
Le mâle, facilement reconnaissable à sa paire de crochets au bout de l’ab-
domen, poursuit les femelles et s’accouple la plupart du temps en vol. Les œufs
au nombre de cinquante sont déposés sur la tige d’une plante sur deux rangs.
Les larves ont un aspect très particulier, car elles ressemblent aux larves de
fourmilions, mais elles ne creusent pas d’entonnoir comme ces dernières et se
déplacent toujours vers l’avant. Prédatrices, elles guettent leurs proies à l’af-
fût. Le cycle complet de développement s’effectue en deux ans au moins, avec
trois stades larvaires. Matures, les larves construisent un cocon et s’enfouissent
dans le sol ou se suspendent à la tige d’une plante.

Blennies : des poissons sans écailles

Les blennies comptent quelques 300 espèces et appartiennent à l’ordre des


perciformes. Les principales caractéristiques de ces poissons sont l’absence
d’écailles, une grosse tête et des nageoires pelviennes situées très en avant sous
la gorge. De plus, la plupart ont, au-dessus des yeux ou des narines, des tenta-
cules sensoriels parfois arborescents ou même une crête en forme de casque.
Chez les mâles, crêtes et tentacules peuvent régresser voire disparaître en
dehors de la période des amours, alors qu’ils restent visibles chez les femelles.
L’une des grandes particularités de ces poissons est sans aucun doute l’absence
d’écailles. On désigne aussi les blennies sous le terme de baveuses, à cause du
mucus qui recouvre et protège leur peau. Habituellement, les blennies sont de
couleur assez terne et marbrée avec des bandes et des taches sur les flancs. La
majorité d’entre elles ne dépasse pas 15 cm de longueur.
On peut découvrir une vingtaine d’espèces sur les côtes méditerranéennes,
mais la majorité vit dans les eaux littorales des régions tropicales et tem-
pérées chaudes. Quelques espèces s’aventurent dans les eaux saumâtres et
d’autres ont conquis les eaux douces. Petits poissons certes, mais très voraces,
les blennies possèdent des dents en peigne sur une seule rangée qui leur 
184 Mille milliards de pattes

permettent de s’attaquer à des petits invertébrés. La blennie à dents de sabre


possède quant à elle de longues canines tranchantes et peut s’attaquer à des
poissons beaucoup plus gros. Cette espèce carnassière a un tube digestif très
court et ne possède pas d’estomac. Elle colonise l’océan Indien et le sud-ouest
du Pacifique. D’autres espèces de blennies sont végétariennes et se nourrissent
d’algues qu’elles détachent des rochers. Dans ce cas, leur intestin est très long
afin de tirer parti au maximum de ce régime uniquement végétal.

Poissons très vifs, les blennies possèdent une fantastique capacité de frétiller.
Comme elles se tiennent à l’affût dans les herbiers ou sous de petits rochers, il
peut arriver qu’elles se retrouvent emprisonnées dans une flaque isolée à marée
basse. Grâce à leurs contorsions très rapides, elles sont capables de rejoindre les
pleines eaux sans trop de problème, résistant bien à l’émersion durant une ou
deux minutes. Curieuses et assez familières, les blennies n’hésitent pas à venir
voir de près un nageur ou un plongeur, ou à leur mordiller les pieds.
La reproduction a lieu au printemps. La ponte est déposée le plus sou-
vent sous une pierre ou dans une cavité gardée par le mâle. Il monte la garde
consciencieusement et enduit fréquemment ses œufs de mucus, probable-
ment pour les protéger des infections. Après l’éclosion, les petites larves qui
en sortent sont pélagiques et ne se déplacent pas avant de devenir benthiques
et de se cantonner à leur milieu de préférence (au fond). Ne présentant pas
d’intérêts commerciaux, les blennies ne sont pêchées qu’occasionnellement,
ce qui finalement leur assure une vie sans trop de soucis.

Bœuf musqué : l’Ovibos qui venait du froid

Avec son corps massif recouvert de très longs poils traînant jusqu’à terre, le
bœuf musqué semble être sorti de la dernière glaciation. Ce n’est pas si faux
puisque l’on semble admettre aujourd’hui qu’il vivait il y a 12 000 ans en
Europe et en Asie, au voisinage de l’homme des cavernes. Divers restes archéo-
logiques, comme des représentations, gravures, ou sculptures sur os, témoi-
gnent de sa présence en Europe occidentale.
Drôles de bêtes 185

Avec le retrait des glaces vers le nord à la fin de la dernière glaciation, il semble
que le bœuf musqué ait presque complètement disparu de notre continent.
Cependant, il avait gagné l’Alaska et, de là conquit le Canada et le Groenland.
Ce sont d’ailleurs des individus groenlandais qui ont été introduits en Nor-
vège et qui se sont répandus en Suède.
Habitant de la toundra arctique, sa limite de répartition au sud ne dépasse
pas celle où le mois le plus chaud atteint 10°C. Autant dire qu’il est adapté au
froid. Sa fourrure dense et épaisse retient l’air grâce à une structure particu-
lière qui accroît la valeur calorifique du pelage en réduisant les déperditions
de chaleur. Par exemple, lorsque la température extérieure est de – 26°C, la
température au sein de sa fourrure atteint + 2°C. D’autre part, ses formes com-
pactes et massives, sa queue petite et cachée, son cou épais, sa face arrondie et
ses oreilles très peu visibles permettent de conserver la chaleur. A cela s’ajou-
tent des mouvements lents et mesurés qui lui évitent des dépenses inutiles
d’énergie.
Mammifère de la famille des bovidés, il est plus proche du mouton et des
chèvres que du bœuf. Son nom latin Ovibos signifie « mouton-bœuf ». Quant
au côté musqué, il est intéressant de noter que l’odeur forte dégagée par le
mâle à l’époque du rut n’a rien à voir avec le musc, même si cela sent quand
même très fort. A cette époque, les mâles s’affrontent et se battent en se lançant
l’un vers l’autre à 40 km/h d’une distance de 50 m ! Il faut parfois une dizaine
de chocs frontaux pour que l’un des deux se décident à abandonner. D’une
manière générale, les bœufs musqués vivent en troupeau pouvant atteindre
plusieurs dizaines d’individus. Plus ils sont nombreux, moins ils redoutent les
loups, leur unique prédateur. Ils forment un cercle serré où le mâle dominant
est prêt à charger. Les cornes en forme de vieux guidon de vélo de course sont
un élément assez dissuasif. Ces cornes sont d’ailleurs assez uniques dans le
186 Mille milliards de pattes

monde animal : larges à la base, elles forment un bandeau sur le crâne, puis
elles descendent vers la face sur les côtés et en arrière des yeux pour s’incurver
vers l’avant en remontant. Se nourrissant en hiver de lichens ou de rameaux de
myrtilles, il se rattrape en été en épluchant les saules et les bouleaux.

Bousiers : de beaux coléoptères mais de sales habitudes

Autrefois considérés comme appartenant à la famille des scarabées, les bou-


siers forment aujourd’hui la famille des géotrupidés, qui compte une qua-
rantaine d’espèces de taille moyenne à grande (dépassant les 25 mm de lon-
gueur pour les plus imposantes) en Europe. Bien que généralement sombres,
ces coléoptères se parent de reflets métalliques. Les bousiers se rencontrent
dans les champs, les prairies et les forêts. Certaines espèces sont actives le jour,
d’autres au crépuscule ou parfois la nuit. Mais le plus intéressant est qu’une
majorité des espèces est coprophage (se nourrissant d’excréments) et se pré-
occupe de manière intense de sa descendance.
Le Geotrupes stercorarius, que l’on appelle « bousier des crottins », est l’une
des espèces assez largement distribuées chez nous. D’une taille variant entre 15
et 27 mm, il est noir avec des reflets verts, bleus ou violacés. Le dessous est très
brillant, tirant sur le vert, le bleu ou le violet métallique. Ses élytres sont for-
tement striés, ce qui le distingue en partie des autres espèces. On le rencontre
souvent dans les régions montagneuses à proximité immédiate de crottin et
de bouses de vache fraîches. Sa période d’activité s’étend d’avril à septembre,
mais il est surtout visible en été. Comme toutes les autres espèces du genre
Geotropus, il est actif la nuit et attiré par les lumières.

A proximité d’un crottin ou d’une bouse, cet insecte creuse une galerie
plus ou moins verticale, large de 2 à 3 cm, qui s’étend sur une dizaine de cen-
timètres de profondeur. Une fois ce boyau réalisé, les individus en ressortent
pour chercher de la bouse à la surface et l’amener au fond de la galerie. Au bout
d’un certain temps, la femelle façonne une cellule dans laquelle elle dépose un
Drôles de bêtes 187

œuf. Ce dernier est de très grande taille (pas moins de 6 mm de long). Ensuite,
les deux parents bourrent la galerie avec du fumier que le mâle transporte et
que la femelle tasse et range soigneusement. Quand toute la galerie est rem-
plie, ils en creusent une nouvelle. L’œuf est habituellement pondu à la fin de
l’été et éclot assez rapidement. Il en sort une petite larve qui ressemble à celle
du hanneton. Elle se nourrit du fumier accumulé. Mais le plus intéressant est
que les excréments produits par la larve servent à colmater et lisser les parois
de sa galerie. Grâce à ce système, la larve évite la dessiccation et maintient
sa cellule dans une fraîcheur constante très agréable et indispensable à son
développement, car son tégument est assez délicat. La larve passe l’hiver et son
développement se poursuit au printemps afin de se transformer en nymphe
puis en adulte.

Buprestes : des coléoptères qui aiment le feu !

Les incendies de forêts qui ravagent chaque année le sud de la France ou l’Es-
pagne sont dramatiques. En effet, ces feux éliminent une grande partie de la
faune locale et sont souvent responsables de la disparition complète d’espèces
végétales et parfois d’une modification profonde des milieux. Mais le feu n’est
pas négatif pour tout le monde. Il existe des espèces dites pyrophiles qui pro-
fitent de cette situation.

Les larves des coléoptères du genre Melanophila, de la famille des buprestes,


ne peuvent se développer que dans le bois d’arbres récemment détruits par le
feu. Ce genre est présent en Europe, Asie et Amérique du Nord, mais est très
discret. Repérer un incendie est pour les adultes une simple, mais primordiale,
question de survie. Dès 1937, les spécialistes ont observé une paire d’organes
située sur le thorax de l’insecte. Les expériences comportementales et physio-
logiques ultérieures ont alors révélé leur incroyable sensibilité aux infrarouges,
très pratique pour la détection d’un feu de forêt.
Plusieurs hypothèses furent ensuite émises quant à l’aptitude des Mela-
nophila de sentir la fumée mais aucune preuve tangible ne fut avancée. C’est
maintenant chose faite grâce aux travaux de deux équipes de chercheurs 
188 Mille milliards de pattes

allemands des universités de Giessen et de Bonn. En reliant une antenne


fraîchement prélevée du coléoptère à un chromatographe en phase gazeuse
équipé d’un détecteur et d’un électro-antennographe, les chercheurs alle-
mands ont pu enregistrer les réactions de l’organe aux substances émises par
la combustion du bois. Il est probable qu’un individu pourrait détecter à plus
d’un kilomètre un pin de 30 cm de diamètre dont l’écorce se consumerait
à 2 m de hauteur sous un faible vent. Donc des incendies de forêts seraient
détectés à plusieurs dizaines de kilomètres, le chiffre de 50 km semblant assez 
réaliste.
Ce récepteur infaillible pourrait également servir, non seulement à trouver
les incendies, mais également à savoir quel type d’arbre brûle ! Les entomolo-
gistes assurent que les recherches sur ces insectes pyrophiles pourraient avoir
des applications dans la conception de dispositifs anti-incendie ou dans la pré-
vention des feux de forêts. Le Département de la Défense américain est aussi
intéressé à ce type de récepteurs, notamment pour détecter la chaleur émise
par un missile. En effet, aujourd’hui il existe de nombreux détecteurs infra-
rouges, mais pour qu’ils fonctionnent correctement ils doivent être refroidis,
ce qui est très coûteux en énergie et peu pratique.

Cachalot : mastodonte des abysses

Le crâne du cachalot, caractéristique le distinguant de tous les cétacés, repré-


sente environ le tiers de la longueur totale de son corps. D’où l’appellation
justifiée de « macrocéphale ». Le corps en forme de parallélépipède augmente
son effet massif. Appartenant au groupe des baleines à dents ou odontocètes,
la mâchoire inférieure est garnie de grandes dents coniques de 15 à 25 cm. Les
plus grands mâles peuvent atteindre une vingtaine de mètres pour un poids
de 50 à 70 tonnes. Le cachalot est l’un des cétacés qui accuse le plus grand
dimorphisme sexuel : les femelles atteignent au plus les deux tiers de la taille
des mâles. Habituellement gris foncé, bleu gris ou brun, la partie inférieure
du corps et les lèvres sont plus pâles. Il possède sans aucun doute le plus gros
cerveau du règne animal. Ce dernier pèse environ 7 kg, mais il est minuscule à
l’échelle de l’animal car il ne représente que 0,02% de son poids alors que chez
nous ce rapport est de 2%.
La tête comprend une gaine rigide et fibreuse renfermant le spermaceti,
liquide crémeux et cireux, qui a pour fonction de régler la flottabilité et d’ajus-
ter la pression lorsque l’animal descend dans les profondeurs marines. L’air
respiré par l’évent traverse le spermaceti par les canaux nasaux puis atteint la
trachée et les poumons. Le cachalot est réputé pour plonger à de très grandes
profondeurs, voisines de 3000  m. Or, la question est de savoir comment il
Drôles de bêtes 189

peut résister aux pressions qui s’exercent à de telles profondeurs. Les cachalots
ne conservent que peu d’air dans leurs poumons et évitent l’éclatement de la
cage thoracique lorsque l’air se comprime. En outre cette réserve d’oxygène
est stockée en partie dans les voies nasales. L’épaisseur de ces conduits ralentit
l’imprégnation des tissus et des os par l’azote, gaz se libérant sous l’effet de la
pression. Donc, on a admis que les cachalots peuvent entreprendre de telles
plongées à la vitesse de 150 m par minute sans paliers, évitant à première vue
un empoisonnement lié à l’émission d’azote : le mal des caissons.
Or, des travaux récents indiquent que le cachalot n’est pas à l’abri d’acci-
dents de plongée. Contrairement à ce que l’on imaginait, le cachalot souffre lui
aussi de bends, ces fameux problèmes ostéo-articulaires qui obligent les plon-
geurs à effectuer des paliers ! Des scientifiques américains de la Woods Hole
Oceanographic Institution (Massachusetts) ont étudié 16 carcasses provenant
des océans Pacifique et Atlantique et ont fait cette étonnante découverte. L’ac-
cident ostéo-articulaire peut être observé sur les os des squelettes qu’ils ont
auscultés, et particulièrement sur les côtes et au niveau de la queue. Consé-
quence directe de la présence des bulles d’azote mal éliminées : l’ostéonécrose.
Certaines extrémités d’os portaient des cavités allant jusqu’à 2 cm de long ! Il
semble que le nombre de ces lésions osseuses augmente avec l’âge, les juvéniles
n’en portant pas ou très peu. Les cachalots doivent donc aussi simplement
gérer leur vitesse de remontée !

Calmar : une espèce pas comme les autres

Les calmars appartiennent au groupe des céphalopodes. Ce sont de drôles de


mollusques avec une tête et des pieds si l’on prend soin de traduire leur nom. Il
existe plus de 600 espèces dans les océans de notre planète, le plus connu étant
le calmar géant ou architeuthis pouvant atteindre les 20 m de longueur. Mais
190 Mille milliards de pattes

on a découvert récemment une espèce différente probablement plus grande,


le calmar colossal (Mesonychoteuthis hamiltoni). De son côté, le Gonatus onyx
est l’une des 19 espèces de la famille des gonatidés et présente un comporte-
ment bien particulier. Il est plutôt musculeux avec un corps cylindrique et
ne dépasse pas les 50 cm, tentacules comprises. Il possède quatre rangées de
ventouses sur les tentacules, alors que la majorité des calmars en possède deux.
Cette espèce est distribuée aussi bien dans l’océan Atlantique que l’océan Paci-
fique. Il s’agit d’une espèce pélagique que l’on rencontre parfois entre 1000 et
4500 m de profondeur. Cette espèce est une proie très importante pour une
quantité de prédateurs allant de la baleine à l’éléphant de mer. Elle vit aussi en
eau peu profonde, mais descend à ces grandes profondeurs pour la reproduc-
tion. Par conséquent rien ou presque n’était connu de sa reproduction.
C’est la raison pour laquelle un groupe de chercheurs du Monterey Bay
Aquarium Research Institute ont entrepris cette étude publiée dans la revue
Nature en 2006. Le plus intéressant est l’étrange comportement des indivi-
dus qui, au lieu de déposer rapidement leurs œufs sur le fond après la fécon-
dation, les conservent pendant 6 à 9 mois dans une grande poche attachée
aux crochets des tentacules. Ceci a pu être filmé à l’aide d’un petit sous-
marin télécommandé entre 1500 et 2500 m de profondeur dans le canyon de 
Monterey au large de la Californie. Grâce à leur submersible, ils ont pu filmer
Drôles de bêtes 191

cinq calmars tenant entre leurs crochets ces sacs d’œufs, à des stades différents
de maturité. Les sacs contiennent 2000 à 3000 œufs. Le calmar mesure une
vingtaine de centimètres et double quasiment de longueur lorsqu’il porte son
sac à œufs. Il s’enfonce dans les profondeurs de l’océan pour cette phase de la
reproduction afin de se protéger des prédateurs. Et pour cause : les chercheurs
ont observé que la mobilité des calmars est entravée par le transport des œufs.
En faisant onduler leurs tentacules, ils font circuler de l’eau dans la poche
(oxygénation). Une détérioration du tissu musculaire est observée durant
toute cette période. Ainsi lorsque les œufs sont jeunes, le calmar se déplace
encore assez rapidement avec des contractions de son manteau et l’aide de
sa nageoire, mais lorsque les œufs deviennent des embryons avancés, le cal-
mar ne bouge quasiment plus. La température de l’eau à cette profondeur
(entre 1,7 et 3°C) n’est pas faite pour accélérer le développement. Mais cette
stratégie semble payante puisque cette espèce possède des populations très 
abondantes.

Carpocapse : le célèbre pois sauteur qui n’en est pas un !

Si vous êtes un inconditionnel de Lucky Luke, vous vous rappelez sans doute
que l’on trouve dans l’une de ces aventures une allusion aux pois sauteurs. En
fait, il ne s’agit pas exactement d’un pois, mais d’une partie de la capsule du
fruit d’une euphorbe mexicaine appelée Sebastiana palmeri. Et si cette capsule
saute ou semble effectivement se déplacer par petits bonds, c’est qu’il y a à
l’intérieur une chenille de papillon de la famille des tordeuses. Cette famille
contient de très nombreuses espèces, parfois ravageuses comme les tordeuses
du chêne ou le carpocapse des pommes.
C’est au Mexique, dans les Etats de Sonora et de Chihuahua, que l’on
trouve cette espèce d’euphorbe arbustive bien particulière que les Mexicains 
appellent yerba de la flecha soit « plante de la flèche ». Il faut savoir que les
euphorbes, même celles que l’on trouve chez nous, produisent une sorte de
latex de couleur blanche, souvent très toxique. Il y a fort longtemps, les ancêtres
des Mexicains enduisaient la pointe de leurs flèches avec cette substance.
192 Mille milliards de pattes

C’est après les grandes pluies que cet arbuste fleurit et, durant cette époque,
la femelle d’un petit papillon (Laspeyresia saltitans) visite les fleurs et dépose
ses œufs à proximité de l’endroit où se développeront les fruits. Lorsque les
œufs éclosent, les petites chenilles s’attaquent aux graines en creusant un 
petit tunnel. Lorsque les fruits mûrissent, ils prennent une forme bien parti-
culière en tripode, tandis que la chenille se nourrit bien cachée à l’intérieur.
Lorsque les fruits sont mûrs, ils tombent sur le sol et le tripode éclate laissant
échapper trois graines. C’est dans l’une d’entre elles que se cache la chenille.
Pendant ce temps, cette dernière se tisse un nid de soie à l’intérieur. La graine
se retrouve le plus souvent en plein soleil et la température au niveau du sol
peut rapidement devenir insoutenable. La chenille se détend alors brusque-
ment à l’intérieur de sa cellule et, par contrecoup, son logis saute. Ces sauts se
répètent jusqu’à ce que celle-ci soit arrivée dans un site favorable, en général
à l’ombre dans une petite cavité ou fente du sol. Après un certain temps, la
chenille découpe un opercule circulaire maintenu par quelques fils de soie.
C’est par cet orifice que, après la métamorphose, le papillon s’échappe. Le
papillon sort exactement après les grosses pluies du mois de juin et le cycle se 
poursuit.
Le plus surprenant est que ces chenilles peuvent provoquer des sauts pen-
dant plusieurs mois et, à première vue, sans se fatiguer. D’ailleurs si vous vous
rendez au Mexique vous trouverez certainement sur les marchés des enfants
qui vous proposeront des « jumping beans, gringo ? ».
Un phénomène assez proche existe chez l’aubépine et le prunellier d’Eu-
rope. Les boutons floraux renferment parfois une larve de coléoptère, l’an-
thonome de l’aubépine (petit charançon de 3 mm de long). D’autres insectes,
comme les hyménoptères, pratiquent aussi ce genre de sport pour le moins
original.

Chabot ou cabot : drôle de poisson

Le chabot est l’unique représentant de la famille des cottidés en Suisse. Il s’agit


d’un petit poisson assez particulier. Espèce européenne rencontrée du nord
de l’Espagne à l’Oural et du sud de la Scandinavie au nord de la Grèce, elle
est accompagnée de deux autres espèces vivant dans les eaux douces euro-
péennes : le chabot de Sibérie et le chabot à quatre cornes.
Dépourvu de vessie natatoire, le chabot est incapable d’ajuster sa flotta-
bilité. Il possède de ce fait des qualités médiocres pour la nage et passe une
bonne partie de son existence sur le fond. Avec un corps cylindrique et allongé,
sa principale caractéristique réside dans une tête proéminente et aplatie
mesurant environ un tiers de la longueur totale. A ceci s’ajoute deux grandes
Drôles de bêtes 193

nageoires pectorales lui permettant de s’ancrer sur le fond et une peau molle
et sans écaille. Sa bouche aux lèvres épaisses lui permet d’attraper de grosses
proies. D’une taille moyenne de 8 à 15 cm, pour un poids variant entre 30 et
80 g, le chabot n’a jamais été très intéressant du point de vue gastronomique,
mais il fut une époque où il était préparé en friture. D’une coloration brun-
gris avec des marbrures plus sombres, il dispose d’un excellent camouflage
dans les cailloux et les eaux peu profondes.
On considère le chabot comme une espèce benthique (qui vit au fond
des ruisseaux). On le rencontre préférentiellement dans les cours d’eau assez
rapides et propres où l’eau est bien oxygénée. Il aime bien les torrents et les
petites rivières, mais on peut le trouver également dans les grands cours d’eau
et dans les lacs. Ainsi, dans le Léman, il est présent dans la zone littorale du
Petit-Lac. Le chabot choisit son habitat principalement en fonction de sa
structure plutôt qu’en fonction de sa richesse en proies. Il lui faut un substrat
dur et grossier avec des graviers et des pierres. Il redoute les rivières dont le lit
est constitué de sable et de limon. La profondeur de l’eau ne semble pas être
un facteur limitant : 5 cm d’eau lui suffisent et on peut le rencontrer jusqu’à
50 m de profondeur en milieu lacustre.

Différentes études ont montré que le chabot est un poisson sensible à la


pollution. On le considère comme un bon indicateur de la qualité des eaux.
Le chabot se nourrit d’invertébrés benthiques vivant à sa proximité. En hiver,
ce sont essentiellement les gammares qui sont consommés, alors qu’en été il a
à disposition un large choix de larves d’insectes (éphémères, trichoptères ou
certains diptères). On l’a souvent accusé d’être un dévoreur d’œufs et d’alevins
de salmonidés, ce qui n’est qu’en partie vrai et dépend évidemment de l’acces-
sibilité des proies. Les œufs et les alevins étant souvent sous les graviers, seuls
les très petits chabots peuvent les attraper.
Enfin, dernière particularité originale de ce petit poisson, la production de
sons. En effet, le chabot émet des sons en comprimant brusquement sa tête tout
en contractant un muscle, ce qui résulte en une déformation de la chambre 
branchiale.
194 Mille milliards de pattes

Champignons : les insectes en raffolent !

Certaines espèces de collemboles, petits insectes dits « primitifs » ne possédant


pas d’ailes au stade adulte et pouvant sauter à l’aide d’un système original
de ressort, se sont spécialisées sur les champignons. Elles peuvent causer des
problèmes dans les champignonnières en propageant une maladie nommée
« môle » due à un autre champignon parasite qui peut faire des ravages.
D’autres insectes se nourrissent de champignons, comme les coléoptères de
la famille des géotrupidés. Ces bousiers sont capables de se nourrir de champi-
gnons souterrains qu’ils vont chercher en creusant des puits verticaux de 8 à 10
cm de profondeur. Certaines espèces s’attaquent même aux truffes. Plusieurs
autres familles de coléoptères sont friandes de champignons. Par exemple, les
cryptophagidés, dont la taille ne dépasse pas les 3 mm. Ces insectes se rencon-
trent principalement dans les matières en décomposition où ils se nourrissent
de moisissures et de spores. Larves et adultes de plusieurs espèces se rencon-
trent sur les vesses de loup. Il existe aussi de nombreuses espèces qui se nour-
rissent de spores de champignons. Ce sont par exemple, certaines espèces de
coccinelles, des punaises qui sucent les spores à l’aide de leur rostre ou encore
des mouches de la famille des cécidomyiidés. Certaines espèces se développent
au détriment des rouilles appartenant aux basidiomycètes. Enfin sachez que
les fourmis champignonnistes figurent parmi les championnes de l’élevage de
champignons qui serviront à nourrir leurs larves.
Il existe une histoire très originale, faisant intervenir trois partenaires : une
mouche de la famille des anthomiidés (Botanophila dissecta), un champignon
(Epichloe typhina) et une plante de la famille des poacées. L’histoire de cette
symbiose se présente de la manière suivante : la mouche fertilise la plante
avec ses excréments. De ce fait, elle crée un milieu favorable à la croissance
du champignon endophyte. Ce dernier produit des composés qui empêchent
les insectes de se nourrir des feuilles et des tiges de la plante. Les larves de la
mouche, asticots, se nourrissent donc du champignon. Lors de la ponte de ses
œufs, la mouche participe à la fécondation du champignon en transportant
des spores sur une autre graminée. De cette façon le champignon s’assure une
reproduction optimale. Donc, nous avons un exemple de « ménage à trois »
assez exceptionnel puisqu’il réunit des représentants des trois règnes.
Mais les endophytes peuvent dans certaines circonstances provoquer des
dégâts considérables aux végétaux qu’ils colonisent et diminuer considérable-
ment leur valeur fourragère. On s’est aperçu qu’ils provoquaient des intoxi-
cations graves du bétail dans le cas de graminées introduites notamment
aux Etats-Unis et en Australie. On a tenté dans les années 1930 d’utiliser une
espèce de mouche proche de celle présentée ci-dessus comme auxiliaire de
lutte biologique contre une mauvaise herbe envahissante, l’herbe de Saint-
Jacques (Senecia jacobae) avec un succès limité.
Drôles de bêtes 195

Charançon de la prune

Le charançon de la prune est un coléoptère indigène d’Amérique du Nord, 


qui a la particularité de s’attaquer aux fruits à pépins et à noyaux. C’est pro-
bablement l’un des plus importants ravageurs des arbres fruitiers en Amé-
rique du Nord. L’adulte mesure entre 5 et 6 mm de longueur, de couleur brune 
avec des taches claires, et surtout une sorte de rostre caractéristique des cha-
rançons.

Les dommages causés par cet insecte sont de plusieurs types. Tout d’abord,
les adultes, qui se nourrissent des fruits, laissent des cicatrices en forme de
demi-lune à la surface. A cela s’ajoute les traces laissées par les femelles lors
de la ponte de l’œuf dans le fruit vert. Evidemment, lorsque la larve se déve-
loppe, elle va abîmer l’intérieur du fruit et surtout provoquer sa chute précoce.
Il n’existe actuellement pas de méthode de piégeages des adultes permettant
de capturer et surtout d’estimer les populations de ce ravageur. Ceci pose un
problème, surtout pour les producteurs biologiques qui ne peuvent utiliser
d’insecticides. La seule méthode, à première vue recommandée, consiste à
ramasser les fruits tombés rapidement, puis à les composter ou les brûler pour
éliminer les futurs reproducteurs.
Un paysan bio américain, producteur de pommes à cidre dans le Michi-
gan, s’est demandé comment faire pour ne pas avoir lui-même à se baisser
des centaines voire des milliers de fois. Sa première idée fut d’introduire des
poules dans ses immenses vergers. Il fut assez rapidement déçu par le manque
d’enthousiasme de ses auxiliaires qui se prélassaient au soleil au lieu de man-
ger les larves dans les fruits tombés et qui, pour la plupart, terminèrent dans
la gueule de canidés de passage. Il se décida alors d’utiliser une autre espèce
de volatile, la pintade de Numidie, espèce introduite d’Afrique en Amérique
du Nord. Cette espèce étant assez grégaire, notre paysan a pensé qu’elle pour-
rait faire face à ses problèmes et éviter la prédation par des chiens errants
ou des coyotes. Très active, l’action des pintades paraissait efficace, mais leur
comportement bruyant les fit repérer par des oiseaux de proies qui firent un
massacre dans cette population de travailleurs involontaires. Pour éviter ces 
196 Mille milliards de pattes

pertes qui réduisaient à néant les efforts de contrôle du ravageur, le paysan


a finalement introduit des sangliers en nombre réduit, à savoir un mâle et
trois femelles. Les résultats, contrôlés par les entomologistes de l’Université du
Michigan, ont été un succès. Le coléoptère ravageur avait bien été contrôlé et
quasiment éradiqué des cultures. En revanche, la population de sangliers avait
fortement augmenté au point que l’agriculteur a diversifié son commerce en
vendant aujourd’hui de la viande de sanglier !

Chevêche des terriers : curieuses mœurs

La chevêche des terriers est une petite chouette qui mesure environ 25  cm
pour une envergure de 50 à 60 cm et un poids compris entre 170 et 240 g. Elle
a été décrite au Chili en 1782 par un père jésuite italien. A cette époque déjà,
on savait que cette chouette creusait des trous au sol, car dans son nom latin
Athene cunicularia, le terme cunicularia signifie mine ou mineur. Cette espèce
se rencontre de l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud, mais elle se repro-
duit dans les plaines de l’Alberta, du Manitoba et à l’ouest du Mississippi aux
Etats-Unis. Malheureusement elle est menacée dans plusieurs régions par la
disparition ou l’altération de son milieu.

Cette chouette est peu farouche et souvent active durant le jour. La saison
de reproduction débute à la fin du mois de mars. Habituellement monogame,
Drôles de bêtes 197

il se peut qu’un mâle possède deux conjointes. Pour convaincre ses partenaires,
le mâle effectue des vols de démonstration avec une montée en flèche jusqu’à
une trentaine de mètres, un vol stationnaire de quelques secondes avant un
piqué jusqu’à une hauteur de 15 m environ. Cette séquence est répétée plu-
sieurs fois jusqu’à ce que la femelle soit consentante. L’une des particularités
de cette chouette est de nicher au sol, dans de petits terriers de mammifères
abandonnés. Si le sol le permet, la chouette creuse elle-même un terrier qu’elle
aménage sommairement. Les mâles utilisent des terriers satellites durant la
période d’élevage, situés à proximité immédiate du terrier principal. La femelle
pond entre 6 et 12 œufs qu’elle couve pendant un mois. Le mâle se charge
d’apporter la nourriture pendant la couvaison, puis il se charge de nourrir
les jeunes qui quittent le nid au bout de 44 jours environ. Et c’est là que notre
oiseau devient tout à fait original.
En effet, trois chercheurs de l’Université de Floride ont montré que la che-
vêche des terriers avait de bien curieuses manières. Elles vont chercher des
crottes de mammifères qu’elles placent à proximité immédiate du nid, voire
dans le nid. Si on les retire les oiseaux se mettent en quête de nouvelles crottes.
Les chercheurs se sont d’abord demandé s’il ne s’agissait pas là d’un camou-
flage olfactif du nid afin d’éviter une trop forte prédation. Ils ont donc creusé
une cinquantaine de nids à la manière de la chevêche et placé 5 œufs de cailles
à l’intérieur, puis la moitié des nids a été décorée avec de la bouse de vache.
Les résultats montrèrent qu’il ne s’agit en tout cas pas d’un camouflage olfac-
tif. Ils ont trouvé que lorsque des crottes étaient présentes devant le terrier,
les chouettes consommaient dix fois plus de coléoptères coprophages (qui se
nourrissent des crottes) et six fois plus d’espèces de ces mêmes coléoptères
que s’il n’y avait pas de crottes. Donc très clairement les chouettes utilisent des
appâts pour attirer leurs proies. Jusqu’à aujourd’hui, on ne disposait que de
peu d’exemples d’utilisation d’outils chez les oiseaux, mais c’est encore plus
fin comme stratégie.

Cigales : la longue vie des cigales américaines

Les cigales sont bien connues, en tout cas par leur chant bien particulier,
qui peut parfois même être assourdissant. Elles appartiennent à l’ordre des
homoptères dans lequel on trouve aussi les cicadelles, les pucerons et les coche-
nilles. Pour être plus précis, on sépare les homoptères en trois groupes, les
colerrhynches (espèces des régions australes), les auchenorrhynches (cigales,
fulgores, cicadelles) dont les femelles possèdent un ovipositeur et les stenor-
rhynches (pucerons, psylles, mouches blanches et cochenilles). Cela représente
en gros quelques 25 000 espèces.
198 Mille milliards de pattes

La grande particularité des cigales est que les mâles possèdent un appa-
reil stridulant au niveau du premier segment abdominal. Les cigales peuvent
voler et se nourrissent de sucs végétaux grâce à leur rostre, sorte de seringue
qu’elles peuvent planter dans les végétaux. La majorité des espèces mesure
de 25 à 50 mm. Leur cycle peut s’étaler sur plusieurs années, le plus souvent
entre 2 et 8  ans. Mais on rencontre quand même chaque année des indivi-
dus de ces espèces, car il n’y a pas de synchronisation dans le développement 
(on parle d’espèces annuelles). Chez certaines espèces, les populations sont
synchronisées, de telle manière que tous les individus sont matures la même
année (on parle alors de cigales périodiques). Les exemples les plus frappants
de cigales périodiques se rencontrent en Amérique du Nord. Ces cigales appar-
tiennent au genre Magicicada et l’on connaît 7 espèces dont 4 possèdent un
cycle qui s’étale sur 13 années et 3 espèces avec un cycle de 17 ans ! Cela signifie
que pendant respectivement 12 ou 16 ans on ne rencontre aucun adulte de ces
espèces. Avouez que pour un insecte une telle durée de vie est plutôt excep-
tionnelle !

Les Magicicada adultes possèdent un corps noir, des yeux rouges et des
nervures alaires oranges. La majorité émerge de nuit aux mois de mai ou de
juin. C’est à première vue la température du sol qui influence la sortie des
individus. Si elle dépasse 18°C, les jeunes cigales sortent en masse. C’est ce
qui s’est passé notamment en 2004 dans une quinzaine d’Etats de la zone
est des Etats-Unis. Les cigales provoquent alors un certain nombre de dégâts
tout particulièrement si trop d’individus se nourrissent sur le même arbre.
Les femelles pondent leurs œufs dans les branches terminales et provoquent
leur dessèchement. Malgré cela, arbres et buissons résistent assez bien à ces
proliférations périodiques, bien que plus du tiers de l’arbre puisse devenir
brun. Les concerts des mâles peuvent être très bruyants. Il faut dire que ce sont
des millions et des millions d’individus qui sont présents pendant une courte
période, de quelques six à dix semaines, avant de disparaître pour 17 ans. Sui-
vant les zones, il y aurait quelques 3 millions d’individus par hectare !
Drôles de bêtes 199

Condylure étoilé :  
une espèce bien particulière de taupe au Canada

Il existe six espèces de taupes au Canada. L’une d’entre elles, le condylure


étoilé, se distingue par son étrange disque nasal bordé de vingt-deux appen-
dices tactiles disposés en étoile (d’où son nom). Son poids varie entre 32 et
55 g. Il a un pelage brun très foncé et une longue queue presque glabre.
Au Québec, son aire de répartition s’étend sur la moitié sud de la province.
Il vit généralement près de l’eau dans des sols humides. Son régime alimen-
taire est constitué principalement de vers de terre et d’insectes. On ne connaît
pas encore tous les aspects de la vie de cette taupe nord-américaine, mais à la
naissance, les jeunes pèsent environ 1,5 g et plus de 30 g lorsqu’ils sont sevrés.
Ils quittent le nid un mois après la naissance, ceci correspondant certaine-
ment avec le sevrage. A titre de comparaison, en Europe, les nouveau-nés de la
taupe européenne pèsent 3,5 g et atteignent une masse corporelle de 60 g trois
semaines plus tard.
Le terrier d’une taupe est composé d’un ou de plusieurs nids qu’elle utilise
pour se reposer ou pour élever ses jeunes. Le condylure creuse deux types de
galeries souterraines : un réseau de surface, situé à quelques centimètres sous
le sol et un réseau profond généralement situé à plus de 25 cm de profondeur.
Les taupinières peuvent atteindre une taille importante en surface, soit 66 cm
de diamètre pour une hauteur de 15 cm. De plus, il arrive souvent qu’un tun-
nel débouche sous un ruisseau ou près de la surface de celui-ci. Le condylure
étoilé nage mieux que les autres espèces de taupes et il est le seul de la famille à
pouvoir rester totalement immergé pendant deux minutes. Il trouve sa nour-
riture en sondant les sédiments au fond de l’eau ou les parois de ses galeries
souterraines avec les appendices tentaculaires de son disque nasal.
200 Mille milliards de pattes

Malgré les apparences, cet organe ne sert pas à l’olfaction ni à la mani-


pulation des proies. Il s’agirait d’un organe tactile extrêmement sensible en
raison des très nombreux récepteurs mécaniques qui tapissent les 11 paires
d’appendices situés en bordure du disque. Certains chercheurs ont avancé
l’hypothèse que la sensibilité du disque nasal au champ électrique permettrait
à cette taupe de repérer les vers de terre à distance.

Crocodiles : excellents navigateurs

En 2007, la revue scientifique « on-line » PLoS ONE révélait que des chercheurs
allemands avaient mis en évidence la manière dont les oiseaux visualisaient le
champ magnétique terrestre lors des migrations. Si cette découverte est un
pas important dans la compréhension de ces mécanismes, un autre article de
la même revue nous révèle les extraordinaires capacités des crocodiles à se
déplacer sur de très grandes distances.
Le plus grand crocodile de notre planète (Crocodylus porosus) possède
une aire de distribution très large s’étendant des îles Salomon à la Nouvelle-
Guinée, à travers l’Australie, l’Indonésie jusqu’en Inde. C’est aussi l’espèce
considérée comme la plus dangereuse. On effectue parfois des déplacements
d’individus agressifs, particulièrement lorsqu’ils s’installent à proximité d’ha-
bitations.
Drôles de bêtes 201

Dans cette étude australienne, trois crocodiles ont été équipés d’un émet-
teur, puis déplacés sur des distances de 56, 99 et 411 km, le long de la côte au
nord de l’Australie, de part et d’autre de la Péninsule du Cap York (Queens-
land). Sachez, pour commencer, que les trois individus ont tous regagnés leur
point de départ après un petit moment passé sur le lieu de dépôt. Mais, le plus
spectaculaire, est bien le troisième individu qui a parcouru une distance éton-
nante. Capturé le 16 août 2004, il a été relâché le même jour à 411 km. Durant
trois mois, il est resté dans cette nouvelle zone, faisant quelques petites excur-
sions localement. Mais le 3 décembre, il a commencé à se déplacer pour arriver
le 24 décembre à son point de départ. En 20 jours, cet individus a parcouru
plus de 400 km ce qui représente en moyenne une quinzaine de kilomètres par
jour ! C’est la première fois que l’on montre une telle faculté chez les croco-
diles. Il convient donc de réfléchir sur l’utilité de déplacer un individu même
très loin de son lieu d’origine. A première vue, les crocodiles possèdent un sens
de la navigation assez extraordinaire. Ce sens serait-il le même que celui utilisé
par les oiseaux lors de leurs migrations ?

Desman des Pyrénées : l’animal le plus étrange d’Europe

La famille des talpidés, ou taupes, compte environ 30 espèces réparties en


Europe, en Asie et en Amérique du Nord. Ces animaux appartiennent à l’ordre
des insectivores, qui, avec quelques 345 espèces, comprend les musaraignes,
les hérissons et les tanrecs, pour ne citer que les plus importants. Les taupes
et les desmans ont un corps cylindrique allongé. Leur museau est long, tubu-
laire et nu, mis à part des vibrisses sensorielles. Le desman des Pyrénées est
sans aucun doute le mammifère le plus étrange d’Europe. Long de 25  cm, 
il pèse une soixantaine de grammes. Il possède un museau bien particulier,
une sorte de trompe à la mobilité déconcertante, des pattes griffues, de gros
202 Mille milliards de pattes

pieds palmés et une longue queue comprimée et poilue. Les yeux sont minus-
cules, dissimulés dans le pelage et recouverts d’un voile cutané. Il n’y a pas
d’oreille externe, les desmans dépendent beaucoup du toucher. Ils sont fort
bien adaptés à la nage. Les narines et les oreilles sont ouvertes, mais peu-
vent être obturées par un clapet et la fourrure est étanche. Pour se déplacer
sous l’eau, ce sont essentiellement les pattes arrière qui fournissent la force
de propulsion. C’est un nageur nocturne qui peut demeurer immergé plu-
sieurs minutes, utilisant parfois son nez comme tuba pour venir respirer à
la surface. Il est un peu moins à l’aise sur la terre ferme, mais grimpe bien si 
nécessaire.
Confiné aux torrents pyrénéens, le desman se nourrit de larves d’insectes
et de petits gammares (sorte de crevette d’eau douce). C’est grâce à sa trompe
très mobile qu’il les déloge pour s’en nourrir. L’animal dépensant beaucoup
d’énergie, sa ration quotidienne représente chaque jour entre 30% et 50% de
son propre poids.
Le desman des Pyrénées semble être solitaire ou vivre en couple. La saison
de la reproduction est très longue (accouplements de janvier à mai). Après une
gestation de 4 à 5 semaines, la mère met bas de 1 à 4 petits. Seule la femelle s’en
occupe, et le sevrage survient au bout de 4 à 5 semaines, puis les jeunes se dis-
persent le long du cours d’eau. La femelle vit dans un nid, invisible et bien au
sec dans une cavité de la berge. La cavité est la plus haute possible, tout près de
la surface, afin de ne pas être inondée à l’époque des crues. La durée moyenne
de vie est estimée à 3 ou 4 ans et demi au maximum. On peut le rencontrer
entre 400 et plus de 2200 m d’altitude, et il est présent dans tous les départe-
ments pyrénéens. Très sensible aux dérangements, il supporte mal les divers
aménagements des cours d’eau et leur pollution. Sa discrétion innée fit que
le desman resta ignoré des scientifiques jusqu’en 1810. La taille relativement
modeste du desman des Pyrénées le met à l’abri de la chasse pour sa four-
rure, mais sa situation n’est tout de même pas très florissante aujourd’hui, et il
semble que toute pollution, même légère, lui soit fatale. Ainsi ne supporte-t-il
pas le sel qu’on utilise pour déneiger et qui finit souvent dans les cours d’eau !

Epeire diadème : son piège gluant

Même si les araignées sont bien souvent cause de répulsion, les relations qu’elles
entretiennent avec les hommes remontent aux temps les plus reculés. Dans les
anciennes mythologies, elles tiennent une place étonnante, symbolisant par-
fois des figures spirituelles de la plus haute importance. Selon les auteurs du 
Catalogue des araignées de Suisse (P.  Maurer et A.  Hänggi, Centre suisse de
cartographie de la faune, Neuchâtel, 1990), on recense 875 espèces en Suisse.
Drôles de bêtes 203

L’épeire diadème en est une et se rencontre dans toute la Suisse, à toutes


les altitudes. Ses lieux de prédilection sont les jardins, les zones buissonnantes
ainsi que les milieux ouverts. Si elle est l’une de nos espèces communes, elle
n’est toutefois pas visible toute l’année. C’est surtout à la fin de l’été et en
automne que l’on peut observer les plus grands individus. Cette espèce appar-
tient au groupe des araignées orbitèles, c’est-à-dire celles qui construisent des
toiles géométriques ou orbiculaires. L’araignée passe le plus clair de son temps
sur sa toile ou dans une retraite attenante. Dans ce cas, elle maintient toujours
le contact avec le milieu de sa toile à l’aide d’un fil avertisseur qui transmet les
impacts et les vibrations.
Le plus spectaculaire chez les araignées orbitèles est la construction de la
toile que l’on peut résumer de la manière suivante. L’araignée posée sur la
végétation émet un fil principal qui délimite la hauteur maximale et l’orien-
tation de la construction. Au gré des courants et mouvements d’air, le fil se
déplace et se fixe sur un support. L’araignée met alors le fil sous tension, se
laisse pendre à mi-distance puis descendre sur le sol ou la végétation pour
accrocher le troisième fil qui forme la structure de base. A partir de là, elle
construit une série de rayons en effectuant des allers et retours entre le milieu
et les extrémités des axes. A ce stade, aucun fil n’est adhésif. Elle complète le
cadre extérieur et se rend au centre de la toile pour créer une spirale interne à
l’aide de fils cette fois adhésifs. Pour ne pas se coller les pattes, les araignées se
déplacent sur les rayons en évitant tout contact avec la spirale. Chaque capture
détruit évidemment une partie de la toile et l’araignée intervient donc réguliè-
rement pour remettre son piège en action.
L’épeire diadème, comme tous les représentants de la famille des aranéides,
présente un fort dimorphisme sexuel. Les femelles peuvent atteindre jusqu’à
18 mm, alors que les mâles se situent entre 5 et 9 mm. L’abdomen des femelles
est très volumineux, presque sphérique et marqué d’un dessin caractéristique :
une rangée de points blancs sur la ligne médiane et des taches blanches trans-
versales formant une croix. La couleur de fond varie du rouge brunâtre au
brun foncé.
204 Mille milliards de pattes

Espadon : ce poisson pêche au harpon

Présent dans l’Atlantique et la Méditerranée, l’espadon a une aire de distribu-


tion qui s’étend du Canada à l’Argentine à l’ouest et de la Norvège à l’Afrique
du Sud à l’est. Même si l’espadon est très répandu et s’adapte bien aux eaux
froides, il a souffert d’une importante chute de ses populations. Non seule-
ment pêchée pour la commercialisation de sa chair, c’est aussi une espèce très
prisée par les pêcheurs à la ligne, avides de trophées terminant le plus souvent
au-dessus d’une cheminée de salon. L’espadon possède une silhouette bien
particulière qui permet son identification immédiate. La nageoire dorsale est
haute et rigide, et son bec tranchant lui tient lieu de mâchoire supérieure et de
nez. Son corps est en forme de torpille et sa puissante nageoire caudale lui sert
de propulseur. Le plus surprenant est la façon dont il utilise son bec tranchant
pour se nourrir. Pour chasser, il fonce dans les bans de poissons, puis il tourne
autour et mange les morts et les blessés qui coulent. L’espadon adulte a peu de
prédateurs naturels, à l’exception possible des requins. Il se nourrit d’un large
éventail de proies, notamment des poissons de fond, des poissons pélagiques,
des poissons d’eau profonde et des invertébrés.
L’espadon se reproduit dans les eaux chaudes tropicales et subtropicales
pendant toute l’année, bien qu’on ait signalé le caractère saisonnier de sa
reproduction. On le trouve dans les eaux nordiques relativement froides pen-
dant les mois d’été. Les jeunes croissent très vite, atteignant une longueur, de la
mandibule à la fourche, d’environ 140 cm à l’âge de trois ans, mais, par la suite,
Drôles de bêtes 205

leur croissance ralentit. Les mâles ne dépassent que rarement 2 m. Les femelles
croissent plus rapidement et atteignent une taille plus grande. Le plus grand
espadon jamais pêché pesait plus de 535 kg pour une longueur de 4,45 m. Il
habitait les eaux côtières du Chili. Habituellement, l’espadon est solitaire et il
est particulièrement agressif. Des attaques contre des bateaux, des mammi-
fères marins et même des sous-marins ont été signalées à plusieurs reprises !

Fourmilion : un drôle de croisement

Le fourmilion (fourmi-lion) désigne la larve d’un groupe d’espèces apparte-


nant à l’ordre des névroptères. Les névroptères sont caractérisés par des ailes
membraneuses avec d’abondantes nervures transversales. Au sein de cet ordre,
il existe une famille tout à fait étonnante, les myrméléonidés, ou fourmilions,
dont les adultes ont l’aspect d’une libellule avec un long abdomen grêle et des
ailes étroites. La forme des larves est très caractéristique : trapue avec une tête
trapézoïdale et deux longs crochets avec des dents sur la face interne. Elles
creusent des entonnoirs coniques dans le sol. Elles saisissent leurs proies au
moyen de leurs crochets, dont l’extrémité est aiguë, et injectent un mélange
d’enzymes digestives dans le corps de leur proie. Ce procédé est appelé diges-
tion externe.
Donc certaines espèces de fourmilions creusent un entonnoir-piège dans
le sable. Elles le font en rejetant le sable par un brusque mouvement de la tête.
Elles creusent depuis le centre et le sable est envoyé dans toutes les directions.
Les parois s’éboulent et tombent continuellement dans le fond, au bout d’un
moment le diamètre définitif de l’entonnoir est atteint. Un diamètre de un à
deux centimètres est suffisant. D’autres espèces commencent à la périphérie
en allant à reculons et, en suivant un sillon circulaire, décrivent des cercles
progressivement rétrécis et de plus en plus profonds.
Après cela, la larve de fourmilion attend patiemment au fond de son enton-
noir, le corps caché dans le sable, d’où sortent juste les deux crochets écartés.
Evidemment, le fourmilion peut attendre parfois longtemps qu’une petite
fourmi (l’essentiel de ses proies) passe. Si la chance lui sourit, une fourmi en
passant provoque un éboulement, et aussitôt le fourmilion projette une pluie
de sable dans cette direction. Tenace la fourmi remonte le long de l’entonnoir
et se fait à nouveau bombarder, jusqu’à ce que le fourmilion puisse l’attraper
avec ses crochets. Une goutte de venin l’immobilise avant que ne commence
la digestion.
Une autre particularité de ces larves, qui peuvent vivre plus d’un an, est
que l’intestin moyen ne communique pas avec l’intestin postérieur, si bien
qu’elles ne défèquent pas pendant toute leur existence. Les excréments s’accu-
206 Mille milliards de pattes

     

mulent et sont libérés au moment de la mue. C’est peut-être une astuce pour
ne pas se faire repérer ou pour ne pas vivre au fond d’un entonnoir rempli
d’excréments.
Pour dénicher les fourmilions, il convient de se promener dans des lieux
sablonneux et secs, et cela dès fin août jusqu’à l’été suivant. La Suisse compte
actuellement plus de 100 espèces de nevroptères, dont 8 espèces de fourmi-
lions, l’espèce la plus répandue étant le Myrmeleon formicarius, un nom tout à
fait évocateur des mœurs curieuses de ces insectes.

Fourmis des bois : « Fourmidables » bébêtes…

Les fourmis des bois sont de redoutables prédateurs. En une seule journée, les
ouvrières d’une fourmilière de 150 000 habitants peuvent récolter quelques
10 000 proies ! Elles jouent donc un rôle fondamental dans la protection des
forêts en limitant les pullulations d’insectes ravageurs. En Suisse, les fourmis
des bois, ou groupe des fourmis des bois pour être précis, comptent aujourd’hui
sept espèces dont les deux dernières sont restées ignorées très longtemps.
Drôles de bêtes 207

Toutes les espèces de fourmis des bois construisent des fourmilières avec
du matériel végétal sec comprenant des aiguilles de conifères, des brindilles et
même de petits bouts de branches. Suivant la profondeur du sol, le nid est plus
ou moins élevé. Ainsi, dans le Jura où la roche mère affleure, le nid est souvent
de grande taille, alors que sur le Plateau, dans les forêts mixtes à sol profond,
le nid est nettement moins élevé. Toutefois, la forme et la taille du nid dépen-
dent aussi des conditions climatiques locales. En altitude, les fourmilières
sont principalement situées à la lisière des forêts et orientées au sud-est, alors
qu’elles peuvent se trouver à l’intérieur des forêts à plus basse altitude. L’une
des caractéristiques fondamentales des fourmis des bois et de leurs fourmi-
lières est la capacité de maintenir une température constante au cœur du nid
durant la saison d’activité. Grâce à cette température stable, comprise entre 25
et 30°C, le temps de développement du couvain est raccourci, ce qui permet
de produire un grand nombre d’individus au cours de la saison. Certaines
populations peuvent atteindre 2 ou 3 millions d’individus.
Pour maintenir cette température, deux conditions sont nécessaires : d’une
part, un nid relativement étanche et imperméable et d’autre part, un com-
bustible de qualité. L’étanchéité est assurée par l’accumulation des aiguilles,
tandis que le combustible est fourni indirectement par les pucerons. Leurs
excréments (miellat) sont récoltés par les ouvrières et ramenés à la fourmi-
lière. L’assimilation du miellat, et surtout des sucres, au niveau du système
digestif est une réaction exothermique, c’est-à-dire qui dégage de la chaleur.
Cette chaleur qui s’échappe de la fourmi, n’est pas perdue et sert à chauffer la 
fourmilière. Au cours d’un été, une fourmilière de 200 000 individus consomme
entre 150 et 200 kg de miellat de pucerons. Lorsque les pucerons disparaissent
en fin de saison, le chauffage diminue progressivement jusqu’à cesser, la tem-
pérature s’équilibrant alors avec le milieu avoisinant. Les fourmis deviennent
inactives et passent l’hiver au frais.

Malgré la protection dont elles sont l’objet (protection fédérale depuis


1966), la construction de routes et les exploitations forestières provoquent
encore de gros dommages, de même que les promeneurs ignorants qui détrui-
sent les fourmilières en enfonçant un bâton, perturbant ainsi le climat inté-
rieur.
208 Mille milliards de pattes

Galéopithèques ou lémures volants

Présentant des caractéristiques les rapprochant à la fois des insectivores et des


lémuriens, les galéopithèques sont de petits mammifères arboricoles que l’on
rencontre dans le Sud-Est asiatique. Ils forment l’ordre des dermoptères, mais
curieusement cet ordre ne comprend que deux espèces : colugos ou taguans.
Le terme de dermoptères vient de la membrane ou patagium, attaché au cou et
sur les flancs et qui s’étend jusqu’à l’extrémité des doigts et de la queue. Outre
les dermoptères, d’autres mammifères se sont adaptés au vol plané comme
les écureuils volants classés parmi les rongeurs et les phalangers chez les mar-
supiaux. Leurs performances en ce domaine surpassent largement celles des
autres mammifères capables de planer d’arbre en arbre. La stratégie reste
cependant semblable, prendre de la hauteur en grimpant le long du tronc,
puis se jeter dans le vide sur une distance de plusieurs dizaines de mètres. Les
dermoptères sont les mieux adaptés au vol glissé. Durant la journée lorsque
l’animal est au repos, il se suspend, les pieds et les mains rapprochés les uns
des autres, la tête dressée. Il semble à ce moment comme enveloppé dans une
couverture, dont la couleur brune parsemée de petites tâches plus claires imite
l’écorce des arbres sur lesquels il passe une bonne partie de sa vie.
Auparavant on les nommait « lémures volants » et on les classait à proxi-
mité des primates. Puis on a pensé aux chauves-souris à cause de la forme
relativement allongée de leur museau et on leur a donné le nom de galéoptères
qui signifie « belette ailée » puis de galéopithèque soit « belette singe » pour
finalement arriver à cynocéphale (tête de chien). C’est d’ailleurs ce terme qui
est resté et forme le nom de la famille : les cynocephalidés. Aujourd’hui on
considère les dermoptères comme un rameau assez primitif des mammifères,
dont l’isolement est semble-t-il assez ancien.
Lorsqu’un individu est accroché à une branche par les pattes, la membrane
caudale forme une poche située au-dessous de l’orifice anal. Pour vider leur
intestin les dermoptères élèvent leur queue verticalement sur le dos évitant
Drôles de bêtes 209

ainsi de salir leur fourrure. Strictement végétariens, ces animaux se nourris-


sent la nuit de fruits et de végétaux. Les incisives et les canines inférieures
sont dirigées vers l’avant et dentelées. Il semble que cela soit très avantageux
pour déchirer la nourriture. La gestation dure environ deux mois. La femelle
donne naissance à un unique petit qui naît assez peu développé. Installé à
l’abri dans le patagium de sa mère, il tétera solidement accroché aux mamelles.
Le colugo des Philippines, galéopithèque de Temminck ou lémur volant, est
le plus connu, malgré son aire de répartition réduite. Une autre espèce se
rencontre dans plusieurs régions du Sud-Est asiatique (Viêtnam, Cambodge, 
Birmanie etc.), le galéopithèque volant. Ces deux dermoptères vivent dans les
forêts équatoriales, et leur taille est de 40 cm pour un poids moyen de 1,5 kg.

Gecko casqué

Les geckos sont des reptiles appartenant au sous-ordre des lacertiliens ou sau-
riens, c’est-à-dire des lézards. Le gecko casqué n’est que l’une des 800 espèces
qui composent la famille des geckonidés. Ce nom de gecko, assez particulier
dérive de celui d’une espèce asiatique qui pousse un cri formé de deux sons
que l’on a traduits par « ge - cko ». En effet, la plupart des espèces sont capables
de produire des sons bizarres comme de petits claquements, grincements ou
miaulements répétitifs.

D’une manière générale, les geckos ne peuvent guère être confondus avec
les lézards. La peau est plus ou moins rugueuse et garnie de tubercules et les
paupières sont presque toujours fixes et transparentes. Habituellement, la
majorité des espèces mesurent entre 5 et 25 cm, mais on a décrit récemment
210 Mille milliards de pattes

une espèce géante dépassant 60 cm de long, mais probablement éteinte. A l’ex-
ception des espèces diurnes qui possèdent de belles couleurs, la plupart sont
de couleur terne et changeante. En effet, ils deviennent plus sombres lorsqu’ils
sont exposés à la lumière et plus clairs lorsqu’ils sont à l’obscurité. La parti-
cularité la plus intéressante se trouve au niveau des pattes. Ces dernières sont
soit couvertes de poils ou de soies microscopiques et regroupés en lamelles qui
s’accrochent à la moindre aspérité du support. Ainsi certaines espèces peuvent
se promener sans problème au plafond ou sur une surface vitrée. Les geckos
se nourrissent d’insectes qu’ils chassent le plus souvent en pratiquant un affût.
Ils se détendent brusquement et saisissent leurs proies dans leurs mâchoires.
Les plus grandes espèces n’hésitent pas à s’attaquer à de petits oiseaux, des
rongeurs et même d’autres lézards.
La grande majorité des espèces vit sous les tropiques et s’est souvent adap-
tée à une vie dans les zones sèches ou subdésertiques. Cependant trois espèces
se retrouvent en France, mais elles sont confinées aux zones les plus méri-
dionales. Le gecko casqué est présent en Afrique du Nord le long des côtes de
l’océan Atlantique et de la côte de Mauritanie. On ne le rencontre guère plus
loin que 25 km à l’intérieur des terres. On le reconnaît à la forme massive de
sa tête qui fait penser à un casque. Son milieu naturel est caractérisé par des
régions peu vallonnées recouvertes de sable et de pierres avec quelques buis-
sons d’épineux qui le protègent contre ses prédateurs principaux : les oiseaux.
Au printemps, la femelle pond deux œufs collés sous des pierres volumineuses
qui les protégeront des trop hautes températures. Relevons que la majorité
des geckos pondent deux œufs et seules quelques espèces sont vivipares. De
fortes menaces pèsent sur le gecko casqué. En effet les plans d’aménagement
des côtes, les créations de nouvelles routes rendent sa survie problématique. Et
comme il ne possède pas de pelotes adhésives, étant terrestre et non arboricole
et qu’en plus il est nocturne, il finit souvent sous les roues des voitures lorsqu’il
se hasarde à traverser une route de nuit.

Genette commune : un animal étonnant !

C’est la nuit du 9 décembre 1926, que M. Stoudemann, jardinier du domaine


de la Farraz situé à l’époque en pleine campagne à proximité de la gare de
La Tour-de-Peilz, assommait dans son poulailler un animal qui se révéla être
une genette mâle adulte. La genette commune est un carnassier de la famille
des viverridés dans laquelle nous rencontrons plus de 70 espèces comme les
civettes ou les mangoustes. Répartis dans le sud-ouest de l’Europe, le sud de
l’Asie, en Afrique et à Madagascar, les viverridés sont probablement les carnas-
siers les plus anciens, apparus il y a 50 millions d’années.
Drôles de bêtes 211

La seule espèce se rencontrant en Europe est la genette commune. De la


taille d’un chat, mais avec une tête plus fine et plus allongée, elle possède de
grandes oreilles et un museau pointu. Son pelage à fond clair est tacheté de
noir, avec une longue queue aux anneaux foncés. Ses pattes sont courtes avec
une particularité tout à fait étonnante : la patte avant est plantigrade, tandis
que la patte arrière est digitigrade. Les griffes très acérées sont semi-rétractiles.
D’un poids variant de 1 à 3 kg, la genette a un corps de 42 à 58 cm de lon-
gueur avec une queue presque aussi longue. On pense que la vue est limitée
au noir-blanc, mais en revanche, l’audition et l’odorat sont particulièrement
performants. La genette se déplace sans aucun problème dans les arbres ainsi
que dans l’eau. Cependant, elle passe la plus grande partie de sa vie au sol. Son
activité commence au coucher du soleil et se poursuit toute la nuit. Habituel-
lement solitaire, elle semble peu agressive vis-à-vis de ses congénères lors des
rencontres. Elle s’abrite dans un terrier, entre des rochers, dans des buissons,
mais passe souvent la journée sur un arbre.

D’une étonnante agilité, elle est sans doute le plus adroit des viverridés. Elle
ne chasse pas à l’affût, se contentant d’attraper ses proies au vol. D’une mor-
sure à la nuque, elle les achève avant de les engloutir. S’il s’agit de souris, elle
les avale entières en commençant toujours par la tête. A part les rongeurs, elle
s’attaque aussi aux écureuils, aux lapins de garenne, aux oiseaux, ainsi qu’aux
insectes, aux mollusques et aux araignées. Sa mauvaise réputation vient de
son activité dans les poulaillers. Elle se fait toujours piéger en Espagne et en
France, bien qu’elle soit protégée dans ce pays depuis 1976.
Présente dans toute l’Afrique du Nord sauf au Sahara, elle s’est proba-
blement installée en Europe au VIIIe siècle grâce aux invasions sarrasines.
Lorsque, à Poitiers en 732, Charles Martel stoppa les Sarrasins, il eut la 
212 Mille milliards de pattes

surprise de trouver dans son butin toutes sortes de peaux de bêtes et un cer-
tain nombre de genettes vivantes. D’abord limités aux régions situées au sud
de la Loire et à l’ouest du Rhône, des individus passent de temps en temps
plus à l’ouest (Bouches-du-Rhône, Isère, Alpes-de-Hautes-Provence et même
Alsace). En Suisse, un autre spécimen a été capturé, à notre connaissance, en
1919 dans le canton de Soleure.

Glouton, irascible glouton !

Le glouton, cousin de la fouine, de l’hermine ou de la belette, est le plus grand


représentant terrestre de la famille des mustélidés. Son corps mesure plus de
80 cm auxquels il faut ajouter une queue de 20 cm environ. Cette taille a pour
conséquence un poids pouvant varier entre 15 et 25 kg pour des spécimens
adultes. Il a un pelage brun foncé, parfois presque noir, mais qui peut aussi être
très clair sur le dessus, parce que décoloré par le soleil. Vu de loin, il évoque un
mini ours brun. Le glouton peuple les forêts boréales et les limites arctiques de
la Scandinavie, de la Sibérie, du Canada et de l’Alaska. Ce domaine se réduit
à deux types d’habitats : la toundra et la taïga. La taïga, souvent appelée forêt
boréale, se compose de conifères et de bouleaux. C’est là que le glouton passe
la mauvaise saison, tandis que l’été se déroule dans la toundra, un milieu très
ouvert. La taille imposante du glouton résulte en partie de l’environnement
difficile dans lequel il vit. Elle présente deux avantages : favoriser la stabilité
de la température interne et autoriser des repas importants à intervalles pro-
longés.
Actif jour et nuit, le glouton se nourrit de rongeurs, d’oiseaux et de cadavres
découverts. Mais il est aussi capable de s’attaquer à un renne ou un élan si ces
animaux présentent des signes de faiblesse. On lui attribue une extrême sau-
vagerie et un caractère irascible et il n’hésitera pas à s’attaquer à un prédateur
plus gros que lui si ce dernier possède une proie. A part l’homme, le glouton
ne redoute que les loups s’ils sont en meute. Considéré comme dangereux, il a
été persécuté et a malheureusement maintenant un statut d’espèce en danger.
Il est protégé en Finlande depuis 1978, ainsi qu’en Suède et partiellement en
Norvège. Sa fourrure, qui ne gèle pas, est très appréciée des esquimaux.
Excellent marcheur, le glouton peut parcourir jusqu’à 45 km par jour. Il
faut dire que son domaine vital recouvre jusqu’à 2000  km2 en Scandinavie.
On a raconté beaucoup de choses sur sa force, sa ruse ou sa voracité. Il semble
néanmoins qu’il lui arrive de décapiter ses proies et de conserver la tête dans
un endroit abrité et inaccessible. Cela pourrait expliquer pourquoi certains
chasseurs ont vus des têtes de rennes accrochées dans les arbres à plus de 8 m
de hauteur !
Drôles de bêtes 213

Le glouton s’accouple de fin avril à fin juillet, mais le développement de


l’œuf est reporté de plusieurs semaines, ce qui permet, après un gestation de
huit à neuf mois, de mettre au monde les petits au printemps suivant lorsque
la nourriture est abondante. Une femelle met bas de un à quatre petits mesu-
rant quelques 13  cm pour un poids de 100  g. A l’âge de trois mois, ils ont
presque atteint la taille adulte.

Grand requin blanc : une découverte sensationnelle

Michael C. Scholl est l’un des rares spécialistes mondiaux du grand requin
blanc. Suisse d’origine, passionné de plongée et de requins, après des études à
l’Université de Lausanne terminées en 1997 à Aberdeen, M. C. Scholl a pour-
suivi ses recherches en Afrique du Sud. Depuis, il a identifié plus de 1000 spé-
cimens sur les côtes d’Afrique du Sud, dont 30% ont été revus au moins une
fois sur des périodes dépassant une année. Mais l’une des questions majeures
était de savoir où se déplacent ces animaux lorsqu’ils ne sont pas visibles
dans les eaux peu profondes à proximité de l’île de Dyer. Pour apporter des 
éléments de réponse, une première recherche a été menée en collaboration
avec un groupe de scientifiques pour analyser l’ADN de spécimens d’Afrique
du Sud, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Les premiers résultats semblaient
montrer que les mâles migraient beaucoup, alors que les femelles restaient
plus attachées à une zone. Ce type de comportement où l’un des sexes disperse
plus que l’autre se rapporte plus à des mammifères marins comme les baleines
et les dauphins qu’à des poissons. Mais une autre série de résultats allait bou-
leverser tout ce que l’on pensait sur cette espèce.
Une femelle de 3,8  m a été marquée à l’aide d’un émetteur satellite le 7
novembre 2003 au large de Gansbaai, proche de la fameuse île de Dyer, au
214 Mille milliards de pattes

niveau du cap occidental de l’Afrique du Sud. Cet émetteur enregistre des don-
nées pendant plusieurs mois puis se détache de l’individu et revient en surface.
A ce moment, les données qu’il a accumulées sont transmises par satellite et
recueillies par les chercheurs. Il s’agit notamment de la température, de la pro-
fondeur et de la luminosité. Cette dernière mesure permet d’estimer l’heure
du lever du jour et du coucher du soleil et d’avoir une estimation de la posi-
tion de l’animal sur notre planète. Bien que ceci n’ait pas la précision d’un
GPS, cela donne tout de même une bonne indication. Donc, après 99 jours, le
satellite s’est détaché à 37 km au sud du Golf de Exmouth en Australie occi-
dentale. Ainsi en trois mois cette femelle avait parcouru environ 11 000 km à
une vitesse de croisière de 4,7 km/h, ce qui la rapproche des performances du
Drôles de bêtes 215

thon, connu pour ses déplacements rapides et soutenus. Mais attention le plus
extraordinaire est que, six mois plus tard, le 20 août 2004, ce requin connu de
M. C. Scholl depuis plusieurs années est réapparu dans les eaux africaines au
même endroit où il avait été marqué l’année précédente. Il s’agit donc d’une
première migration transocéanique avec retour, soit un voyage de quelque
22 000 km !

Guêpes bruyantes

Le bassin amazonien abrite une entomofaune d’une diversité absolument phé-


noménale. Les insectes sociaux figurent parmi les plus importants en terme de
biomasse, mais aussi en terme de diversité spécifique. C’est aussi parmi ces
groupes que l’on va rencontrer des espèces très originales comme des guêpes
qui font du tambour ou drumming wasps en anglais. Les indigènes au Brésil
parlent de marimbondo tatu, ce qui signifie guêpe-tatou. Ce terme fait plu-
tôt allusion à la forme du nid qui ressemble à un dos de tatou. Comme tous
les nids de guêpes sociales, il y a une enveloppe extérieure et des étages avec
des cellules à l’intérieur desquelles se développent les larves. Il s’agit ici d’une
espèce de guêpe de la famille des vespidés, de la tribu des Polybini, un groupe
qui n’existe pas en Europe.

Ces guêpes ne sont pas noire et jaune mais de couleur bleu métallique et
mesurent environ 2 cm. La fondation d’une nouvelle société est un peu parti-
culière, elle se pratique par essaimage. Un groupe d’ouvrières quitte le nid avec
une reine (parfois plusieurs) et s’installe dans une nouvelle station. Elles choi-
sissent le plus souvent un arbre légèrement incliné facilitant la construction
du nid qui pend dans le vide. La nouvelle reine inhibe les autres reines à l’aide
de phéromones inhibitrices. Les reines sont remplacées au fur et à mesure et
de telles colonies sont pérennes et peuvent exister pendant de très nombreuses
années. On cite l’exemple d’une colonie qui a vécu 16 ans à la même place.
Comme pour toutes les guêpes, le régime alimentaire est constitué d’autres
216 Mille milliards de pattes

invertébrés principalement d’insectes poursuivis en vol. Ces guêpes appar-


tiennent au genre Synoeca et il existe 5 espèces que l’on ne rencontre que dans
les zones tropicales de l’Amérique du Sud. Ces espèces sont caractéristiques
des zones forestières, on peut parfois les observer le long des rivières.
La principale caractéristique de ces espèces est leur comportement défen-
sif. Comme toutes les guêpes, les ouvrières possèdent un aiguillon et un venin
très efficaces. Mais à la différence de la majorité des guêpes, leur aiguillon n’est
pas lisse, mais ressemble à celui des ouvrières d’abeilles soit avec des petites
pointes. Cela signifie que lorsque les ouvrières piquent, elles vont perdre leur
aiguillon qui restera enfoncé à cause de ces petites pointes dans le corps de
leur agresseur et mourront. Donc la défense de la société est coûteuse puisque
les ouvrières meurent. Par conséquent, elles ont développé un comportement
très particulier qui consiste à effrayer leur agresseur avec un bruit très spéci-
fique. Le son produit rappelle une troupe de soldats marchant au pas et peut
être entendu à plusieurs mètres à la ronde. Il est produit par les ouvrières
qui vibrent leurs ailes de manière synchronisée et l’enveloppe de leur nid du
même coup. Normalement ce bruit suffit à repousser les éventuels agresseurs
et prédateurs et permet d’éviter la perte d’individus. Mais elles n’hésiteront
pas à attaquer et piquer si nécessaire.

Harle bièvre : quand un canard a des dents !

Qui n’a jamais utilisé l’expression « quand les poules auront des dents ! » pour
reporter un événement loin dans le futur ? Chez les harles, ce futur est d’ac-
tualité. Ces oiseaux ont en effet la particularité de posséder un long bec, garni
sur ses bords d’une rangée de « dents » cornées. Il ne s’agit évidemment pas
de véritables dents, mais d’excroissances du bec qui permettent aux harles de
saisir et de maintenir fermement les poissons qu’ils capturent. Cette adapta-
tion leur vaut d’ailleurs le surnom de « bec-en-scie ». Un peu plus grand que
le colvert, le harle bièvre mâle arbore, comme ce dernier, une tête au plumage
noir verdâtre brillant. Sa poitrine et son ventre sont blancs et son dos noir. La
femelle présente une livrée très différente. Sa tête est rousse et pourvue d’une
huppe, le reste du corps étant plutôt gris-bleu avec le ventre clair.
Le harle bièvre a une répartition circumpolaire qui s’étend, en Europe,
de l’Islande à la Russie, en passant par l’Ecosse et la Fennoscandie. En hiver,
il descend plus au sud et se retrouve jusqu’au nord des Alpes, de la Savoie
jusqu’en Bavière et en Autriche. Bien que le harle bièvre soit un canard nor-
dique, quelques couples ont été observés en période de nidification en Suisse
dès le XIXe siècle. D’abord cantonné aux lacs de Neuchâtel et de Morat, il a
peu à peu colonisé le Léman au cours du XXe siècle. Il y connait à l’heure
Drôles de bêtes 217

actuelle une prospérité peu commune. Deux autres espèces de harles peuvent
être observées chez nous : le harle huppé et le harle piette.
Fait étonnant pour un canard, le harle bièvre niche dans des cavités d’arbres
ou de rochers. Le nid peut être placé très en hauteur, parfois jusqu’à plus de
10 m du sol. Les couples se forment à la fin de l’hiver. Avant de s’accoupler,
les deux partenaires effectuent une parade complexe, au cours de laquelle ils
manifestent leur intérêt l’un pour l’autre. Les mâles quittent ensuite défini-
tivement les femelles qui assurent seules l’élevage de leur progéniture. Elles
pondent 7 à 15 œufs qu’elles couvent pendant un mois. Après l’éclosion, les
jeunes ne restent au nid que 2 à 3 jours. Incapable de voler, ils doivent sauter
dans le vide pour quitter le nid. Leur épais duvet leur permet de résister à la
chute. Toute la famille regagne ensuite le lac ou la rivière « à pied ».

Grâce à leur long bec denté, les harles sont de redoutables chasseurs de
poissons. Ils capturent leurs proies en plongeant ou en barbotant dans les
eaux peu profondes. Les vengerons, ablettes, épinoches ou petites perchettes
de moins de 15 cm constituent l’essentiel de leur alimentation. Ces canards
peuvent à l’occasion aussi consommer des insectes, des crustacés ou des gre-
nouilles.

Huppe fasciée

Etrange oiseau qui se reconnaît au premier coup d’œil, la huppe fasciée, de la


famille des upupidés appartient à l’ordre des coraciiformes. Cet ordre regroupe
des oiseaux au plumage brillant, mais passablement différents puisque l’on y
trouve les martins-pêcheurs, les guêpiers, les rolliers, ainsi que de nombreux
oiseaux présents dans les régions tropicales.
La huppe fasciée est un superbe oiseau que vous n’aurez pas l’occasion de
voir avant le mois de mars chez nous, en effet ses quartiers d’hiver s’étendent
218 Mille milliards de pattes

du sud du Sahara jusqu’à l’équateur africain. Son vol ressemble à celui d’un
papillon noir et blanc, puisque ses ailes sont bariolées.
La huppe habite de préférence les milieux ouverts, ensoleillés et chauds
des plaines. Elle ne s’aventure guère au-delà des collines et marque une cer-
taine attirance pour les lieux de pacage et les prés. Dès l’arrivée des premiers
nicheurs, le mâle va émettre son fameux cri : « houpoupoup ». D’ailleurs, le
nom de famille auquel il appartient ressemble bien à une transcription de son
chant. Lorsqu’il chante, il baisse la tête, le bec presque fermé, puis la relève à la
fin de la strophe. Ce chant, bien qu’assez monotone et sourd, porte loin.

De la taille d’un merle, la huppe se nourrit sur le sol, où elle recherche


très activement les insectes, aussi bien les larves que les adultes. Elle les avale
parfois d’une façon curieuse : elle projette ses proies en l’air et les rattrape, le
gosier grand ouvert. Si les proies sont de plus grandes tailles, elle les achève
d’abord, puis les débarrasse des grosses pièces chitineuses avant de les avaler.
Sa nourriture est constituée principalement de coléoptères (carabes, hanne-
tons, etc.), de grillons, de courtilières, de chenilles de papillons, de grandes
larves de mouches, mais aussi dans une moindre mesure de fourmis, d’arai-
gnées, de mille-pattes, de limaces et de vers de terre.
Un trou naturel dans un vieil arbre, une loge de pic permet d’installer leur
nid. Les huppes s’accommodent de toutes sortes de cavités ou d’abris et peu-
vent parfois s’installer dans des murs de pierres sèches ou dans des greniers.
La femelle pond cinq à sept œufs et couve en principe dès le premier œuf
ou en cours de ponte. Seule la femelle couve, tandis que le mâle s’occupe du
ravitaillement.
Drôles de bêtes 219

Autrefois assez courante dans toute l’Europe centrale, on assiste à une


diminution progressive dès la fin du XIXe siècle. Jadis bien répandue en Suisse,
la huppe ne niche plus que dans quelques régions à titre régulier. Elle se main-
tient surtout en Valais, entre Martigny et Brigue, et au Tessin. Les modifica-
tions des techniques agricoles, entraînant une diminution des ressources ali-
mentaires, ainsi que l’abattage des vieux arbres ont joué un rôle très négatif. De
plus, elle entre en concurrence avec l’étourneau qui occupe les mêmes cavités,
et ce dernier se développe plutôt bien depuis plusieurs décennies en Suisse.

Ichneumon : quand la rhysse part à la chasse

L’ordre des hyménoptères est probablement celui qui, parmi les insectes, joue
un rôle économique et biologique des plus importants pour l’espèce humaine.
Pensez quelques instants à ce que serait notre terre sans les abeilles ou encore
ce que nous ferions pour défendre nos cultures sans les parasitoïdes.
On admet qu’il existe quelque 130 000 espèces connues et certainement
autant à découvrir. En principe les hyménoptères sont caractérisés par deux
paires d’ailes membraneuses et des pièces buccales broyeuses. On distingue
deux groupes principaux : ceux qui possèdent une « taille de guêpe » (apo-
crites) et ceux qui n’en ont pas (symphites). Les apocrites sont subdivisés en
deux classes : les térébrants (ou parasitoïdes) et les aculéates (guêpes, abeilles,
fourmis, bourdons etc). Les térébrants sont presque tous parasites et les
femelles possèdent une tarière (ou ovipositeur) qui leur permet de percer leur
hôte ou le substrat dans lequel il vit pour y déposer un œuf.
La rhysse persuasive appartient à la famille des ichneumons dont c’est le
plus grand représentant en Europe. Son corps mesure environ 4 cm et si l’on
ajoute la tarière de la femelle, on obtient environ 8 cm. Cette espèce est foncée
avec des taches blanches sur le corps. Elle fréquente généralement les bois de
conifères, mais peut être aperçue le long des clairières ou des chemins.
220 Mille milliards de pattes

La rhysse marque une certaine prédilection pour d’autres hyménoptères


dont le sirex. On ne sait pas exactement comment la femelle rhysse découvre
la présence d’une larve de sirex dans le bois, mais il peut s’agir d’un signal
acoustique, la larve rongeant le bois étant facilement repérée. A partir de là, la
femelle relève l’abdomen et enfonce sa tarière dans le bois de plusieurs centi-
mètres. Grâce à un mouvement de va-et-vient, les stylets dentés forent le bois
parfois pendant plusieurs heures. Puis elle parvient à faire pénétrer un œuf
dans la larve de sirex dont le destin est alors définitivement scellé. L’œuf éclot
rapidement et la larve du parasite dévore tranquillement le système muscu-
laire puis le tube digestif de son garde-manger. Survient ensuite l’hiver et la
larve se nymphosera au printemps suivant. Et finalement, c’est une rhysse et
non un sirex qui sortira du bois !

Invertébrés : ils se soucient de leur régime !

La différence fondamentale entre les herbivores et omnivores d’un côté et les


carnivores de l’autre, réside dans le fait que les premiers ajustent leur compor-
tement dans le choix de nourriture pour obtenir les ingrédients multiples et
nécessaires à leur développement. Mais si l’on se penche sur cette question, on
découvre des cas un peu particuliers qui ne vont pas forcément dans le sens
attendu.
Pour aborder cette question, les chercheurs ont sélectionné trois espèces
d’invertébrés prédateurs polyphages. La première, soit un carabe (Agonum
dorsale), chasse en se déplaçant à la surface du sol (donc très mobile). La deu-
xième espèce, une araignée-loup de la famille des lycosides (Pardosa prati-
vaga) est une espèce prédatrice pratiquant des embuscades, soit une mobilité
plus restreinte. Et enfin, la troisième espèce est une araignée construisant une
toile et ne se déplaçant que très peu (Stegodyphus lineatus). Les chercheurs ont
commencé par manipuler l’état nutritionnel des ces trois espèces en les nour-
rissant d’abord avec un régime dont le rapport protéines/lipides était soit très
élevé soit très bas, puis ils ont suivi les choix alimentaires des individus après
ce traitement.
Les réponses furent assez surprenantes. Dans le cas du coléoptère, le choix
du type de nourriture après le traitement dépend clairement de ce qu’il a
mangé. En effet, dans le cas où il a mangé un peu trop gras, il préfère une
nourriture plutôt riche en protéines et réciproquement les individus prétraités
avec beaucoup de protéines se tournent préférentiellement vers de la nour-
riture plus riche en lipides. Donc, à première vue, les coléoptères semblent
capables de sélectionner de la nourriture plus ou moins riche en lipides ou
protéines en fonction de ce qu’ils ont ingurgité auparavant. Pour les araignées,
Drôles de bêtes 221

les chercheurs se sont d’abord penchés sur l’araignée-loup en lui offrant des
drosophiles vivantes et élevées sur différents milieux plus ou moins riches en
protéines ou en lipides. Ici encore, les araignées testées ont fait preuve d’un
choix très clair préférant le contraire de ce qu’elles avaient mangé auparavant
en ce qui concerne le rapport protéines/lipides. La dernière espèce vit dans
les milieux désertiques et construit une toile. Ce qui signifie que les proies
arrivent plutôt au hasard et qu’à première vue, il est difficile d’avoir un régime
équilibré dans ces conditions. Pas de surprise ici aussi, les araignées répondent
de manière significative en extrayant plus de protéines des proies qui se pren-
nent dans la toile si elles ont été nourries avec des lipides dans le prétraitement
et réciproquement. Donc malgré des stratégies de chasse très différentes, ces
trois espèces sont tout à fait capables de rééquilibrer leur régime alimentaire
lorsque ce dernier n’est pas parfaitement balancé. Ainsi malgré l’adage qui
voulait que pour une espèce prédatrice c’est plutôt la quantité que la qualité, il
semble bien que les prédateurs fassent très attention à leur ligne.

Langoustes : drôles de migrations marines

Les langoustes fréquentent les eaux peu et moyennement profondes du globe.


Si on les rencontre plus facilement dans les régions tropicales, certaines espèces
apprécient des latitudes plus tempérées. Certaines, comme celles peuplant les
récifs tropicaux, passent l’essentiel de leur vie dans un rayon de un kilomètre
autour de ces récifs. Mais d’autres effectuent des déplacements spectaculaires,
comme une espèce du nord-est de l’Australie qui se déplace pendant des mois
et couvre des centaines de kilomètres entre son lieu de naissance et celui de sa
reproduction dans le golfe de Papouasie.
222 Mille milliards de pattes

La langouste américaine (Panulirus argus) se rencontre du Brésil aux


Bermudes, englobant les Antilles et les Bahamas. C’est dans ce très vaste ter-
ritoire que l’on assiste à des déplacements spectaculaires. Au début de l’au-
tomne, les adultes et les jeunes se réfugient dans toute fissure propice et se
reposent. A cette période la mer est encore claire et calme, sauf en cas d’oura-
gan ! Mais le temps change assez rapidement au fur et à mesure que le front
des hautes pressions se déplace d’Amérique du Nord en direction du sud. Les
eaux peu profondes commencent alors à être perturbées et obscurcies par
des vagues déferlantes qui remuent les sédiments. De plus la température de
l’eau commence à baisser. Il est temps pour les langoustes de se mettre en
route pour le sud-est. C’est là que l’on assiste à un phénomène bien particu-
lier : la formation de files indiennes. Chaque langouste maintient sa position
dans la file en posant le bout de ses antennes sur l’abdomen de l’individu
qui la précède. Ce contact tactile semble être fondamental, car un individu
privé de ses antennes utilisera ses pattes pour assurer le contact. En fait, il
s’agit d’une stratégie défensive assez originale. Chaque animal est à même
de détecter l’approche d’un prédateur. Donc, à l’exception du dernier indi-
vidu qui risque un peu plus que les autres, chaque individu peut utiliser ses
armes habituelles pour défendre l’abdomen de celui qui est devant lui. Mais la
progression en file indienne facilite aussi la migration de masse. En effet, elle
réduit considérablement la résistance à l’avancement dans l’eau. On a calculé
qu’une langouste qui marche dans le sillage immédiat d’une autre ne se trouve
confrontée qu’à la moitié de la résistance qu’elle rencontrerait en se déplaçant
seule. Cela permet non seulement d’avancer plus vite, mais aussi d’économiser
l’énergie nécessaire à cette migration. Pour que le chef de file ne finisse pas
épuisé, il y a des rotations périodiques de l’individu de tête. De nombreuses
expériences ont permis de montrer que le principal stimulus provoquant cette
création de files indiennes est l’agitation de l’eau. Les langoustes s’organisent
alors assez rapidement, ceci en l’espace de quelques heures. Ces migrations
leur permettent de parcourir plusieurs kilomètres par jour. Un comportement
finalement assez original pour des invertébrés marins.

Lemmings : mythes et réalités

En 1958 pour la réalisation de son film White Wilderness plus connu sous
le titre de Nature vivante, Disney et son équipe importèrent des lemmings
qu’ils avaient achetés à des Inuits. Ils les filmèrent sous tous les angles et pour
donner l’illusion d’un mouvement de masse, ils retravaillèrent longtemps les
images obtenues. Pour ceux qui se rappellent encore de la scène, on voit des
« masses de lemmings » se jeter d’une hauteur impressionnante en une sorte
Drôles de bêtes 223

du suicide collectif ! On ne sait pas si Disney lui-même était au courant de ce


que le réalisateur de cette scène (James R. Simon) avait fait, mais tout était
truqué du début à la fin et il faut admettre que grâce à cette stupidité, le mythe
du suicide collectif des lemmings est admis depuis presque une cinquantaine
d’années. La réalité est bien différente, et regardons un peu plus en détail la
biologie de ces rongeurs du nord.
Les lemmings appartiennent au grand ordre des rongeurs. Cet ordre com-
prend plus de 1700 espèces et se compose de 4 grands groupes : les cavio-
morphes (cobayes et leurs alliés), les hytricomorphes (porcs-épics et leurs
alliés), les myomorphes (rats et leurs alliés) et enfin les sciuromorphes (écu-
reuils et leurs alliés). Cette classification est encore sujette à discussion, mais
elle permet de mettre un peu d’ordre dans cet ordre très varié. Les lemmings
se retrouvent dans le groupe des myomorphes et plus particulièrement dans la
famille des muridés. Ils appartiennent encore à la sous-famille des microtinés
qui comprend aussi les campagnols. Cette sous-famille comprend quelques
110 espèces dont la distribution est confinée à l’hémisphère nord. Les effectifs
des espèces de cette sous-famille sont en proie à des cycles réguliers d’abon-
dance puis de rareté, n’hibernent jamais et ne comptent pas sur des réserves
de graisse pour passer la mauvaise saison. La plupart des campagnols et des
lemmings vivent dans des biotopes recouverts de neige. Ils parviennent à sur-
vivre grâce à leur aptitude à creuser des tunnels. Il est étonnant que ces petits
animaux à sang chaud puissent demeurer actifs tout l’hiver sans mourir de
froid. La petitesse de leurs appendices (oreilles, pattes et queue) est une adap-
tation visant à réduire la perte de chaleur, et leur pelage est plus épais en hiver
qu’en été. A l’approche de l’hiver, les lemmings construisent à la surface du
sol de gros nids circulaires faits de laîche et d’herbes finement déchiquetées,
qui leur offrent une isolation supplémentaire lorsqu’ils ne sont pas partis à
224 Mille milliards de pattes

la recherche de nourriture. Ils s’alimentent dans l’espace subnival ou « sous


la neige » (entre le sol et la neige) et ne sortent presque jamais à la surface.
Dans l’extrême arctique, sans être exactement chaudes (–25°C), les tempé-
ratures à l’interface sol neige sont quand même plus tolérables que celles
qui règnent sur la couche de neige, et cet écart est critique pour la survie des 
lemmings.

Limules

Des li… quoi ? Des limules ! Ces animaux, à première vue préhistoriques,
appartiennent au groupe des arthropodes tout comme les insectes, crabes et
crevettes et encore les acariens et les araignées. Cela signifie qu’ils possèdent
une cuticule externe en grande partie rigide et des pattes articulées. La struc-
ture de ces animaux est intermédiaire entre celle des crustacés (comme les
crabes) et celle des arachnides, mais ils sont plus proches des seconds que des
premiers.
On a retrouvé des fossiles de limules âgés de 500 millions d’années. Les
limules actuelles sont identiques à celles d’il y a 350 millions d’années, ce qui
fait des limules une des espèces les plus fossiles. Il en existe 5 espèces, la plus
courante se rencontrant le long de la côte est de l’Amérique du Nord, de la
Nouvelle-Ecosse au Yucatán. On trouve les autres dans la zone orientale de
l’océan Pacifique, de l’Inde aux Philippines.
Du point de vue morphologique, la tête et le thorax sont soudés et forment
un « céphalothorax » dont la partie supérieure est protégée par une carapace
épaisse et dure. L’abdomen, de petite taille, est couvert d’une carapace étroite,
articulée sur la carapace principale et se terminant par un long aiguillon. Deux
yeux composés volumineux sont visibles à l’avant du céphalothorax ; deux
paires d’yeux simples plus petits sont situés entre les yeux composés, et cinq
organes sensibles à la lumière sont situés sous la coquille. La bouche se trouve
au milieu de la face inférieure du céphalothorax ; une paire d’appendices en
forme de pinces (chélicères) siège de chaque côté de la bouche. Les limules
possèdent six paires de pattes locomotrices dont la dernière est rudimentaire.
La face inférieure de l’abdomen porte six paires supplémentaires d’appen-
dices ; la première recouvre l’orifice génital et les cinq autres sont devenues des
branchies.
Les limules vivent près des rivages. Elles nagent sur le dos et creusent le
sable et la vase à la recherche de petits invertébrés dont elles se nourrissent.
Régulièrement, les limules muent, laissant derrière elles une « exuvie ». Ce
moment est crucial dans la vie des limules qui peuvent ne pas arriver à muer
et deviennent la proie des prédateurs.
Drôles de bêtes 225

Parmi les particularités de cet animal étrange, il faut signaler un dernier


point. L’hémolymphe (équivalent du sang chez les arthropodes) de la limule
est de couleur bleue du fait de la présence d’hémocyanine au lieu d’hémo-
globine. Ses cellules (les amebocytes) réagissent en présence d’endotoxines
bactériennes en produisant une protéine qui le transforme en gel. La limule
n’ayant pas de système immunitaire, ce gel lui permet de bloquer les infections
bactériennes. Cette particularité fait que, depuis les années 1970, on utilise
l’hémolymphe de la limule pour produire un réactif, appelé Lysat d’Amebo-
cyte de Limule (LAL), employé dans le domaine pharmaceutique pour tester
l’absence d’endotoxines dans les médicaments, les produits de dialyse et le
matériel médico-chirurgical.

Marées : la lune et ses influences

La lune joue un rôle important sur les marées. En effet, la lune et le soleil
attirent la terre et ses océans se déforment. L’eau s’accumule où l’attraction est
maximale, c’est-à-dire au point du globe situé le plus près de l’astre. En outre,
grâce à la vitesse du mouvement, une force centrifuge opposée à l’attraction
maintient la terre sur son orbite et repousse l’eau, qui s’accumule donc à l’op-
posé de l’astre. Dans quelle mesure, les animaux et les végétaux sont influencés
par ce phénomène ? De nombreux organismes ajustent leur vie aux rythmes
des marées. Il suffit de penser aux oiseaux qui se nourrissent de petits inverté-
brés logés dans le sable, inatteignables lorsque la marée est haute. Les phases
de la lune modifient aussi la luminosité nocturne. Ainsi les nuits de pleine
lune sont plus illuminées que les nuits de nouvelle lune, et certaines espèces
modifient leur comportement en fonction de ces modifications. Par exemple
les grues rentrent plus tard au nid les nuits de pleine lune. Du côté des pré-
dateurs, on s’est aperçu par exemple, que chez l’engoulevent (oiseau à activité
nocturne), les jeunes réclament la nourriture lorsque la luminosité est la plus
élevée, facilitant la capture des proies. En tant que proies, les flamands roses
au Venezuela surveillent beaucoup plus leur environnement les nuits sombres
que les nuits de pleine lune où ils profitent de se nourrir.
Les grandes marées favorisent également la reproduction des mollusques,
des crabes, des oursins ou des moules et des huîtres. Certaines espèces sont
226 Mille milliards de pattes

même totalement dépendantes des grandes marées. C’est le cas d’un petit
poisson de Californie appelé Leurestes sardina. A marée haute, les femelles
s’enterrent sur la plage en ne laissant sortir que la tête. Les mâles viennent
ensuite les entourer pour féconder les œufs. Au bout de 14 jours, les alevins
sortent du sable et gagnent la pleine mer. Ce comportement risqué pour les
parents (puisqu’ils sortent quasiment de l’eau) protège en revanche efficace-
ment les œufs contre les prédateurs, leur développement s’effectuant dans le
sable humide et non dans l’eau. Une autre technique est celle d’un ver aqua-
tique nommé Eunice viridis. Les individus synchronisent leur reproduction
lors de la pleine lune. La stratégie est que, vu la quantité d’individus, un pré-
dateur a de la difficulté à se concentrer sur une proie en particulier. D’autre
part, les grandes marées favorisent la dispersion des œufs et des larves grâce
aux forts courants marins qu’elles engendrent. Des phénomènes similaires se
rencontrent aussi sur terre. Chez les mammifères placentaires, une période
de gestation de 30 jours ou d’un multiple de 30 semble être souvent la règle
et se rapproche tout à fait du cycle lunaire. D’ailleurs on peut se demander si
le cycle menstruel de la femme, d’une durée de 29,5 jours en moyenne n’est
pas un hasard ou en relation indirecte avec le cycle lunaire, même s’il n’est pas
synchronisé.

Mouche espagnole et autres insectes aphrodisiaques…

Cela fait plusieurs siècles que l’homme cherche par tous les moyens à renforcer
le désir sexuel ou redresser une virilité défaillante. Si de nombreux chercheurs
sont restés dans l’ombre, c’est que beaucoup ont essayé leurs propres recettes,
philtres d’amour et autres potions dont l’effet escompté s’est révélé assez
néfaste. En effet certaines de ses potions étaient faites à base de strychnine ou
de plantes toxiques dont les dosages ne provoquaient pas l’effet recherché…
Mais qu’en est-il des insectes ?
De très nombreux insectes ont été utilisés comme source d’aphrodisiaques.
Par exemple en Inde, les reines de termites sont considérées comme très « dési-
rables », peut-être à cause de leur extraordinaire fécondité. En Malaisie, une
punaise d’eau géante (Belostoma) est vendue à Singapour comme aphrodi-
siaque. Au Maroc, la recette consiste à mélanger des punaises des lits avec des
jaunes d’œufs. En 1642, dans un livre sur le sexe et l’anatomie, J. B. Sinibaldus
affirme que des fourmis séchées, mélangées avec de l’huile sont un stimulant
sexuel. En 1745, l’auteur d’un dictionnaire médical (Dr. R. James) rajoute que
des applications topiques d’acide formique provoquent une excitation sexuelle.
Mais l’insecte le plus connu dans ce domaine demeure, sans aucun doute,
la mouche espagnole. Or, il s’agit en réalité d’un coléoptère appartenant à la
Drôles de bêtes 227

famille des méloïdés. Cette soi-disant mouche désignait une espèce bien par-
ticulière qui est connue sous le nom latin de Lytta vesicatoria. Cette espèce se
trouve dans tout le sud de l’Europe et même en Suisse. Son territoire s’étend
vers l’Est jusqu’en Sibérie. Les méloés adultes se nourrissent principalement
de feuilles de frêne, de lilas, de troène et de saule. Lorsqu’on les importune,
la mouche espagnole et autres méloés sécrètent, au niveau des articulations
de leurs pattes, une substance corrosive appelée cantharidine. Outre son uti-
lisation comme moyen de défense, la cantharidine remplirait une tout autre
fonction chez Lytta vesicatoria. La substance serait synthétisée par les glandes
séminales du mâle, qui, au cours de l’accouplement, en déverserait abondam-
ment sur la femelle en guise d’aphrodisiaque !

Ainsi Hippocrate recommandait en cas de maladie de cœur de jeûner et


d’avaler trois coléoptères sans la tête, les pattes et les ailes. Malgré cette répu-
tation de remède à tous les maux, il faut savoir que la cantharidine est très
toxique et de très nombreux cas mortels jonchent l’histoire de l’humanité.
Depuis l’Antiquité cette mouche fut utilisée par tous ceux qui souhaitaient
voir l’élu ou l’élue de leur cœur redoubler de vigueur ou se pâmer. Ainsi
Madame de Montespan avait offert au roi Louis XIV une poudre contenant de
la cantharidine, tandis que Madame de Pompadour incorporait des mouches
espagnoles dans les savons du roi Louis XV.

Mouches : aussi détestables qu’utiles et habiles

Les mouches sont capables d’acrobaties étonnantes et de performances de vol


tout aussi surprenantes. Vous ne vous êtes jamais demandé à quelle fréquence
pouvait battre les ailes des mouches ou des moustiques qui vrombissent à vos
oreilles certaines nuits ? En fait la fréquence de battement varie de 200 batte-
ments par seconde chez les syrphides à plus de 1000 ! Pour ce faire les muscles
228 Mille milliards de pattes

situés dans le thorax vont le déformer, ce qui va alternativement faire monter


ou descendre les ailes. Par la suite pour assurer ces mouvements les muscles
et le thorax se mettent en résonance et les muscles sont capables d’entretenir
eux-mêmes leur contraction à haute fréquence. Mais il faut aussi se rappeler
que les ailes des mouches sont de simples membranes très fines parcourues
par quelques nervures qui assurent un semblant de rigidité. En fait, durant
un seul battement, l’aile se déforme et effectue en plus du mouvement haut-
bas, une sorte de mouvement en huit. Autant vous dire, le vol de la mouche
est quelque chose de très compliqué. A cela s’ajoute encore la présence de
balanciers qui correspondent à la seconde paire d’ailes des autres insectes. Ces
organes en forme d’haltères vibrent en même temps que les ailes et servent
en quelque sorte de gyroscopes qui renseignent en permanence la mouche
sur sa position dans l’espace. Donc le vol n’a pas de secret pour les mouches
qui peuvent sans problème passer du vol stationnaire au vol en arrière ou
en avant. Evidemment certains minuscules moucherons ne sont pas aussi
habiles et le moindre souffle les emporte. Parmi ces performances, signalons
encore le fait de marcher au plafond ou contre une vitre. C’est assez simple,
les pattes possèdent des coussinets adhésifs qui assurent l’accrochage, même
sur les surfaces les plus lisses comme le verre. En fait en y regardant de plus
près, à l’aide d’un microscope électronique à balayage, on a découvert que le
coussinet adhésif est hérissé de petites crêtes constituées de poils minuscules.
Et ce n’est pas fini, chez certaines familles de mouches, les coussinets peuvent
encore porter des poils qui sécrètent une substance visqueuse qui augmente 
l’adhérence.

En dehors des espèces capables de transmettre des maladies, comme la


mouche tsé-tsé, le moustique tigre découvert récemment au Tessin et de trop
nombreuses espèces comme la lucilie bouchère (appelée dévoreuse d’homme),
il en est une nettement plus intéressante. Il s’agit de la mouche de la truffe 
(Helomyza tuberiperda). Les femelles de cette espèce pondent leurs œufs
à proximité immédiate des truffes, enfouies dans le sol. Il suffit donc de
connaître le cycle de cette espèce pour trouver facilement des truffes… bonne 
chance !
Drôles de bêtes 229

Murènes : entre serpents et monstres marins

Anguilles, murènes et congres appartiennent aux anguilliformes. Ce vaste


groupe comprend quelques 600 espèces réparties en 24 familles. Ces espèces
sont caractérisées par un corps très allongé et dépourvu de nageoires pel-
viennes et ressemblent plus ou moins à des serpents. Alors que les anguilles
possèdent de minuscules écailles, les congres et les murènes ont la peau nue.
Les murènes se reconnaissent à l’absence de nageoires pectorales et à leurs
dents en forme de crocs. Ces dernières peuvent inoculer une toxine plus ou
moins active sécrétée par les tissus buccaux.
La murène de Méditerranée doit son nom à un personnage assez parti-
culier qui vécut à Rome à la fin du IIe siècle av. J.-C., Licinius Muraena. Pour
montrer sa richesse et sa puissance, ce personnage élevait des murènes qu’il
nourrissait à la main devant ses convives. Mais il n’était pas le seul et, suivant
les récits de Pline l’Ancien, certains riches propriétaires qui élevaient aussi des
murènes n’hésitaient pas à divertir leurs invités en jetant quelques esclaves en
pâture à ces braves poissons.

Effectivement, si vous taquinez une murène, elle n’hésitera pas à mordre,


bien que ses dents ne soient pas adaptées à de grosses proies comme l’homme !
Néanmoins, certaines espèces tropicales peuvent atteindre plus de 3 m ! Les
murènes passent la majeure partie de la journée cachées dans des anfractuosités
rocheuses surveillant les environs. La murène de Méditerranée peut atteindre
une taille de 1,5 m. Il s’agit de Mureana helena, que l’on rencontre dans l’Atlan-
tique du Sénégal à la Grande-Bretagne, et qui est commune en Méditerranée.
C’est une espèce du littoral facilement reconnaissable à son anneau noir autour
de l’orifice branchial. Habituellement, la couleur de fond est brun chocolat
marbré de jaune ou de blanc, mais certains spécimens sont entièrement bruns.
L’une des particularités des murènes est de se confondre avec le milieu dans
lequel elles vivent, la couleur de leur robe variant en fonction de la couleur
des rochers. Grâce à un flair infaillible, la murène repère ses futures victimes
dans l’obscurité la plus complète. Elle ne néglige pas de manger quelques pois-
sons morts ou crustacés, mais sa nourriture favorite est constituée de poulpes,
seiches et calmars. En éliminant les individus les plus faibles et en assurant un
230 Mille milliards de pattes

rôle de nécrophages, les murènes sont un maillon important de l’équilibre des


milieux marins. Malheureusement, elles ne bénéficient d’aucune protection et
sont souvent tuées par les chasseurs sous-marins, très fiers d’avoir éliminé un
monstre marin ! En raison de son activité nocturne, on ne connaît pas grand-
chose de la reproduction. On admet qu’elles doivent se reproduire plutôt en
hiver, à proximité des côtes. Comme tous les représentants des anguilliformes,
leurs œufs produisent des larves transparentes et comprimées, appelées « lep-
tocéphales ». Elles mènent une vie en pleine eau avant de subir une métamor-
phose complexe et de prendre l’allure de murène.

Oryctérope : un drôle d’animal

L’oryctérope ou cochon de terre possède de longues oreilles, un museau


allongé, une échine arquée et ne peut être confondu avec aucun autre animal.
On a longtemps cru que cet étrange animal appartenait à l’ordre des éden-
tés, mais il tire son origine des anciens ongulés. Il mesure de 100 à 160 cm
de longueur pour un poids de 40 à 70 kg. Aujourd’hui, strictement africain,
l’oryctérope est discret et très peu connu, sans doute parce qu’il mène une vie
nocturne et solitaire. Semi plantigrade, il possède des griffes antérieures puis-
santes qui lui permettent de creuser le sol et d’éventrer les termitières. C’est la
configuration particulière de ses dents qui a déterminé le nom de l’ordre dont
il est le seul représentant actuel. En effet, celles-ci n’ont ni racine ni émail et
ne comprennent que des molaires identiques, à croissance continue. Elles sont
constituées de tubes minuscules, eux-mêmes formés de 1000 à 1500 petits
prismes d’ivoire maintenus par du cément. L’oryctérope se nourrit essentielle-
ment de termites et parfois de fourmis.
Quand il a faim, il peut se déplacer sur plusieurs kilomètres pour trouver
une termitière de grande taille. Il chasse toujours avec la même technique. La
nuit, il sort de son terrier avec prudence, vérifiant qu’aucun prédateur ne se
trouve à proximité, effectue quelques petits bonds, s’arrête, écoute puis part
au trot. Sa vue est plutôt faible et il ne doit pas voir les couleurs. Il renifle le
sol sur de longues portions de terrain, creuse des sillons avec ses pattes anté-
rieures laissant derrière lui des trous en forme de V caractéristique. C’est sa
manière à lui de repérer les pistes parfois souterraines de termites et de remon-
ter jusqu’au nid. Là, il détruit une partie de la termitière (qui ne l’oublions
pas est en général dure comme de la pierre). Ses coups de pattes créent des
ouvertures de 30 cm de large et d’une profondeur de quelque 40 cm. Comme
les termites se précipitent pour réparer l’ouverture, il n’a plus qu’à tremper sa
langue gluante dans la troupe des travailleurs forcenés. Il engloutit ainsi des
centaines de termites qui une fois ingérés, sont laminés par les arêtes solides du
Drôles de bêtes 231

palais, puis broyés dans l’estomac. Il est assez rare qu’un oryctérope détruise
une termitière en une seule nuit, il reviendra à intervalles réguliers d’une à
deux semaines, laissant ainsi le temps aux termites de reconstituer leur nid.
Il est aussi friand des fruits d’une cucurbitacée souterraine, sorte de melon
appelé « courge à oryctérope », dont les graines ne semblent germer qu’après
avoir traversé son tube digestif. Il habite les forêts claires, brousses et savanes
de l’Afrique au-dessous du Sahara.

Outarde canepetière : l’oiseau le plus lourd d’Europe

Les outardes appartiennent à la famille des otididés et sont caractérisées par


une taille importante. En Europe, il y a deux espèces : l’outarde barbue et l’ou-
tarde canepetière. Cette dernière est sans doute la plus lourde d’Europe avec
un poids qui peut atteindre 18 kg !
Cet oiseau mesure de 40 à 45 cm de longueur pour une envergure de 83
à 90 cm. Il est à peu près de la taille d’un faisan. En vol, l’outarde canepetière
diffère des autres espèces de la famille par un aspect de gallinacé, voire de
canard, avec un envol bruyant et rapide. A part cela, l’espèce est assez silen-
cieuse, et le chant du mâle est un « trek-trek » bref, sec et répété environ toutes
les secondes. L’outarde consomme principalement des insectes, mais aussi des
graines, feuilles, fleurs, ou jeunes pousses.
Espèce prairiale et steppique, la canepetière occupe encore quelques îlots
de nidification dispersés à travers l’Europe et le Nord-Ouest africain. Sa répar-
tition s’étend de la Russie et de la Turquie à l’est, jusqu’à la France, l’Espagne
et le Portugal à l’ouest. Elle se trouve aussi sur le pourtour méditerranéen, avec
l’Italie et l’Afrique du Nord. Fortement menacée par la pression de l’agriculture
232 Mille milliards de pattes

intensive, elle est défendue par de nombreuses organisations comme la LPO en


France (Ligue pour la protection des oiseaux) qui ont entamé des démarches
auprès des agriculteurs. La plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône) est la der-
nière steppe naturelle de France et abrite le tiers de la population française
d’outardes, certaines y étant sédentaires. Les autres populations colonisent les
plaines de Champagne, du Poitou, de la Beauce et du Berry. Présentes toute
l’année en Afrique du Nord et jusqu’au sud de la France, elles migrent sur des
distances relativement courtes. Les outardes estivant en France passent l’hiver
parmi les populations sédentaires de la péninsule Ibérique. Elles reviennent en
mars-avril sur les sites de reproduction, auxquels mâles et femelles sont fidèles
d’année en année. Elles en repartent avec leurs jeunes dès septembre-octobre.
En Suisse, cette espèce n’est qu’une visiteuse accidentelle, signalée 41 fois entre
1900 et 1985 dont 10 fois dans le canton de Vaud.

Pendant la reproduction, le mâle se pare d’un magnifique plumage noir


et blanc autour du cou. Il présente toute une série de comportements pour
séduire une femelle : très excité, il gonfle le cou, redresse la partie postérieure
du corps et rabat sa queue en avant sur son dos, étire ses ailes… Il défile en
se pavanant comme un dindon en bombant la poitrine. Si deux mâles se ren-
contrent à ce moment, c’est une véritable prise de becs, accompagnée de sauts
et de bonds spectaculaires. Le nid se trouve en principe dans une dépression
du sol. Les œufs, au nombre de trois ou quatre par nichée, sont couvés par la
femelle pendant 21 jours.

Péripates : curiosité zoologique

Les péripates ou onychophores ne furent effectivement découverts qu’à partir


de 1825. Ces curieux animaux se situent à mi-chemin entre les annélides et
Drôles de bêtes 233

les arthropodes : le corps est segmenté et ils possèdent des pattes non articu-
lées comme les annélides, mais comme les arthropodes, ils sont recouverts
d’une cuticule et muent. Le nom de péripate vient du grec peripatein qui
signifie se promener. Selon les auteurs, entre 60 et 120 espèces sont reconnues
aujourd’hui dans le monde. Les péripates habitent toutes les régions tropicales
et tempérées chaudes de la planète, principalement dans des zones sombres et
humides. On peut les rencontrer au bord des rivières, entre les racines, sous les
écorces ou encore dans le bois en décomposition. Il existe deux groupes bien
distincts : les péripatidés (Amérique tropicale, Afrique équatoriale et Asie du
Sud-Est) et les péripatopsidés (Chili, Afrique du Sud, Australie, Tasmanie et
Nouvelle-Guinée).
Le corps des péripates présente une face dorsale convexe et une face ven-
trale aplatie. Il est mou, allongé et vermiforme, recouvert d’une cuticule en
écailles. Suivant les espèces, ces animaux possèdent de 14 à 43 paires de courtes
pattes nommées lobopodes et armées d’une paire de griffes rétractiles d’où
le nom d’onychophores (porteur de griffes). La tête est surmontée de deux
antennes charnues qui rappellent les « cornes » des limaces et d’yeux plutôt
globuleux. Ces animaux possèdent une grande bouche munie de deux paires
de lames mandibulaires et de deux glandes permettant de projeter des sécré-
tions. Ces glandes produisent de la glu qui coagule au contact de l’air et leur
sert de défense ou pour capturer des proies. Cette substance étonnante forme
des fils gluants qui s’abattent comme un filet et obture les orifices respiratoires
de la proie. Elle peut être projetée jusqu’à 50 cm. La couleur des péripates est
très variable, mais presque toujours brillante et en rapport avec le milieu dans
lequel vit l’individu. La taille se situe en moyenne entre 3 et 5 cm, mais cer-
taines espèces atteignent 15 à 16 cm. Les femelles sont souvent plus grandes
que les mâles. Ces derniers pèsent environ 170 mg et le poids des femelles peut
atteindre 450 mg. La longévité en élevage au laboratoire atteint 3 à 4 ans pour
les mâles alors qu’elle dépasse 7 ans pour les femelles.
234 Mille milliards de pattes

Le plus surprenant chez ces étranges animaux est la reproduction. Il n’y a


pas de véritable accouplement. Le mâle dépose des petits sacs contenant les
spermatozoïdes (spermatophores) à la surface du corps de la femelle. Le tissu
cutané de la femelle est détruit localement et les spermatozoïdes passent à l’in-
térieur du corps de cette dernière et gagnent les organes sexuels. Cet étrange
mode de reproduction ne se déroule qu’une seule et unique fois au cours de la
vie d’une femelle. La gestation dure en moyenne 13 mois. Il existe des espèces
ovipares, ovovivipares et même vivipares. Une portée est composée habituel-
lement de 4 individus, mais peut aller jusqu’à 20 descendants.

Poisson-archer : quelles prouesses !

Le poisson-archer, petit poisson exotique bien connu des aquariophiles, a


développé une technique de chasse bien particulière pour atteindre les insectes
se trouvant hors de l’eau. Son nom latin reflète en partie cette particularité, le
poisson-archer se nommant Toxotes jaculatrix.
Cette espèce atteint une taille maximale de 15  cm et vit principalement
dans les mangroves et les rivages des océans Indien et Pacifique. On peut
la rencontrer du nord de l’Australie à la Malaisie. Son corps est allongé et
comprimé latéralement, de couleur généralement argentée avec 4 à 6 bandes
verticales noires. La bouche est orientée vers le haut et la lèvre inférieure est
charnue. Les yeux, de grande taille, placés très près de la bouche jouent un rôle
fondamental dans la capture des insectes situés hors de l’eau.
En effet, ce poisson est connu pour projeter par la bouche et avec force
un jet de gouttelettes d’eau en direction de sa proie qui peut être posée sur
une herbe ou en vol. Cette technique de chasse peu commune peut sembler, à
première vue, assez simple. Cependant, il n’est pas aisé de viser un objet exté-
rieur au milieu aquatique lorsque l’on se trouve sous l’eau. Il importe en effet
tenir compte de la réfraction de l’eau. Le poisson doit donc tenir compte de ce
phénomène. Les chercheurs ont alors imaginé que le poisson-archer pouvait
se tenir à la verticale de sa proie, situation annulant l’effet de la réfraction. Or,
ce n’est pas le cas. La plupart des jets s’effectuent sous un angle de 70 à 80°. Par
conséquent, les poissons doivent probablement apprendre à viser.
Mais, les prouesses de ce petit poisson ne s’arrêtent pas là. Il économise son
énergie. Le poisson-archer ne chasse que lorsqu’il est sûr de pouvoir consom-
mer sa proie. Deux chercheurs allemands se sont penchés en détail sur cette
technique de chasse et ont cherché à embrouiller les poissons en envoyant
simultanément deux insectes dans des directions opposées depuis une plate-
forme. Rien à faire, les poissons ont systématiquement choisi la proie qui
retomberait le plus près d’eux. D’autres études ont mis en évidence que la
Drôles de bêtes 235

perception par le poisson, des insectes en vol, déclenche un circuit de six neu-
rones. Les yeux saisissent l’information contenant les paramètres de vitesse,
de direction et d’altitude de la proie, informations qui déclenchent alors les
neurones moteurs provoquant le tir. Ainsi un comportement finalement assez
sophistiqué peut résulter de systèmes très simples. Ceci ne diminuant en rien
les prouesses du poisson-archer !
236 Mille milliards de pattes

Poissons chirurgiens

Les poissons chirurgiens vivent sur les hauts-fonds coralliens dans toutes les
mers tropicales. Les 75 espèces connues aujourd’hui forment la famille des
acanthuridés. Le nom vernaculaire de la famille dérive d’appendices acérés
comme des scalpels ; le mot acanthus d’origine grecque signifiant épine. Chez
la majorité des espèces, ces scalpels sont normalement escamotés dans une
rainure et peuvent se dresser perpendiculairement au corps. Il s’agit d’une
arme redoutable et une seule blessure infligée sur les mains provoque une
enflure douloureuse qui dure plusieurs jours.

Ces appendices, au nombre de deux ou quatre, sont disposés de part et


d’autre du pédoncule caudal. Ces stylets sont fixes et particulièrement utiles
pour déterminer le genre auquel appartient le poisson observé. La colora-
tion souvent spéciale du stylet le met particulièrement en évidence (couleurs
d’avertissement). La simple menace consistant à présenter le flanc et à agiter la
queue suffit habituellement à décourager l’agresseur. Les coups de queue sont
redoutables et peuvent aisément percer la peau de la main. Des complications
apparues lors de telles blessures ont mis en évidence la présence de venin chez
certaines espèces.
Les poissons chirurgiens sont regroupés avec les poissons cordonniers.
Tous deux caractérisés par : un corps comprimé couvert de petites écailles,
une seule nageoire dorsale aux épines très acérées et une petite bouche armée
d’une rangée d’incisives avec lesquelles ils raclent les petites algues sur les
rochers et les coraux. Si plusieurs poissons chirurgiens possèdent une robe
plutôt sombre (brune ou noirâtre), les autres possèdent des taches vives ou des
bandes colorées du plus bel effet. Au cours de leur vie, les changements de cou-
leurs sont fréquents. Ainsi à l’époque du frai, ils arborent une nouvelle tenue,
leurs raies transversales s’élargissent, leurs longues nageoires dorsales et anales
s’assombrissent. Ces changements n’interviennent pas seulement à l’époque
des amours, mais aussi lorsqu’un individu a besoin qu’un poisson nettoyeur
Drôles de bêtes 237

le débarrasse de ses parasites. On assiste alors à un brutal assombrissement


de la livrée, signe pour le poisson nettoyeur de se mettre au travail. Les jours
de pleine lune, certaines espèces de chirurgiens, comme le chirurgien strié,
s’assemblent par milliers dans certaines passes des lagons et prennent brus-
quement une couleur gris pâle. Puis un groupe de trois ou quatre individus,
constitué d’une femelle et de mâles, s’élèvent au-dessus des autres et émettent
leurs produits génitaux. Les traînées d’œufs et de laitance forment un nuage
qui est entraîné au large où les oeufs donnent naissance à de petites larves qui
reviennent dans le lagon trois ou quatre mois plus tard.
Exportés par milliers pour le plaisir des aquariophiles, l’impact n’est pas
encore mesuré, mais certains scientifiques mettent en garde, car la diminution
de l’abroutissement des algues poussant sur les coraux pourrait accélérer la
mort de ces derniers.

Poissons-perroquets

Les poissons-perroquets et les labres sont des poissons aux brillantes cou-
leurs, hôtes des récifs coralliens. Ils appartiennent à la famille des scaridés qui
comprend quelques 80 espèces. Leurs bancs peuplent les mers tropicales et
plus particulièrement les pentes raides des récifs coralliens. Ils mesurent de
30 cm à 2 m pour les cas exceptionnels et se ressemblent tous au moins par
la forme. Ils sont caractérisés par la soudure des os pharyngiens en une pièce
unique couverte de dents en meule, ce qui leur donne une tête bien particu-
lière, soit un bec de perroquet, assez semblable à celui des oiseaux du même
nom. Grâce à ce bec, ils arrachent des fragments de plantes marines ou brou-
tent des algues encroûtantes ainsi que des mollusques ou encore des polypes.
Ils ingèrent ainsi une grande quantité de calcaire qu’ils broient entre les
meules de leurs dents pharyngiennes et rejettent sous la forme d’un nuage de 
sable.
Au cours de leur existence, la robe des poissons-perroquets subit des modi-
fications en fonction du sexe, de l’âge de l’individu, de son rang social et de
son état physiologique. Par exemple, le cacatoès blanc ou ghobban arbore
différentes livrées où le bleu domine, au moins en bordure du corps et des
nageoires. Plus il vieillit, plus il pâlit. Parfois ce sont les vieux mâles qui affi-
chent les couleurs les plus vives, disposées en motifs géométriques, arabesques
et pointillés (qui hélas disparaissent lorsque le poisson est sorti de l’eau). Il
a fallu des années aux scientifiques spécialistes pour arriver à passer de 350
espèces aux 80 reconnues aujourd’hui, tellement les variations de couleurs
posaient des problèmes d’identification. D’une manière générale, suivant le
sexe et l’âge, on reconnaît trois livrées principales.
238 Mille milliards de pattes

Les poissons-perroquets vivent souvent en groupes, sauf les grandes espèces


qui sont plutôt solitaires. Très territoriaux, ils ne s’éloignent jamais beaucoup
de leur petit coin de récif. A la nuit tombée, les poissons s’installent au fond de
la mer. Si certains cherchent un refuge, la majorité constitue des dortoirs, où
sous la surveillance de sentinelles, ils dorment paisiblement. Chose étonnante,
ils s’enrobent chaque soir d’un cocon de mucus qu’ils mettent environ une
demi-heure à fabriquer à la façon d’un sac de couchage. Et chaque matin les
poissons mettent une demi-heure de plus pour s’en débarrasser ! On ne sait
pas si le cocon a pour effet de dissimuler le poisson aux yeux ou aux narines
des prédateurs ou si le mucus est toxique.
Les femelles pondent en groupe. Ces pontes sont déposées à une vingtaine
de mètres de profondeur. Les œufs sont minuscules (diamètre de 1 à 2,5 mm)
et éclosent au bout de 24 heures. Une seule espèce fréquente la Méditerranée,
le scare de Crête (Scarus cretensis) dont la chair est très appréciée. Il mesure
40 cm et se rencontre en mer Egée et sur les côtes ouest de l’Afrique.

Protoptères

Les protoptères sont des poissons appartenant au groupe des poissons pulmo-
nés, donc possédant des poumons. Ce groupe de poissons existait déjà sous sa
forme actuelle il y a environ 370 millions d’années. On était alors dans l’ère
Paléozoïque à la période du Dévonien lorsque l’Amérique du Sud, l’Afrique,
l’Australie et l’Antarctique ne formaient qu’un seul supercontinent appelé
Gondwana. L’Afrique tropicale héberge quatre espèces de protoptères (genre
Protopterus). Les protoptères sont des poissons au corps allongé, anguilli-
forme, recouvert de petites écailles incluses dans la peau. La nageoire dorsale
et anale est continue et se termine en pointe effilée. Les nageoires paires sont
de longs filaments bordés d’une frange membraneuse plus ou moins nette.
Ces poissons peuvent atteindre la taille respectable de 80 cm pour un poids
de 3 kg. Durant la saison des pluies, les protoptères nagent dans les étangs à la
Drôles de bêtes 239

façon d’une anguille. Ils mènent une vie nocturne dans les marais et les trous
d’eau riches en végétation dont ils se nourrissent, sans négliger pour autant
un régime carnivore composé d’autres poissons, de grenouilles, de mollusques
et de crustacés. Ils montent souvent en surface pour pallier la pauvreté des
eaux en oxygène. La bouche est garnie de plaques dentaires formant des crêtes
émaillées tranchantes et denticulées. La vessie aérienne bilobée joue le rôle de
poumon. Les jeunes portent des branchies externes qui subsistent assez long-
temps et dont les traces sont encore visibles chez les adultes.

Les protoptères de la région soudano-sahélienne présentent un type


d’adaptation particulièrement remarquable aux milieux aquatiques tempo-
raires. Grâce à leur vessie aérienne transformée en un véritable poumon, ils
peuvent respirer l’air atmosphérique et vivre hors de l’eau. Pendant la période
des hautes eaux, ils mènent une vie aquatique normale, comme n’importe quel
poisson. Ils se nourrissent de tout ce qui leur tombe sous la dent et se repro-
duisent dans des sortes de terriers en U à double entrée qui sont surveillés par
le mâle. Les larves ressemblent à des têtards d’amphibiens et sont munies de
quatre paires de branchies externes. Lorsque les zones inondées plus ou moins
marécageuses s’assèchent, les protoptères au lieu d’émigrer s’enfoncent dans
la terre humide. Ils se replient sur eux-mêmes au fond d’une étroite cavité,
l’extrémité de la queue rabattue sur le museau, ce dernier étant tourné vers
le haut. L’animal secrète alors un mucus qui recouvre les parois de la cavité et
qui forme en séchant une enveloppe parcheminée noirâtre. Ce cocon présente
un orifice par lequel le protoptère respire l’air. Toute la saison sèche est passée
ainsi à l’état de vie ralentie. Aux premières pluies, les protoptères sortent de
leur cocon et reprennent une vie aquatique active.
240 Mille milliards de pattes

Pseudo-scorpions

Appartenant aux arachnides, les pseudo-scorpions comptent plus de 3300


espèces connues au monde. Leur nom indique une ressemblance assez éton-
nante avec leurs cousins, les scorpions. La principale différence, celle qui doit
vous rassurer, c’est l’absence d’appendice caudal avec dard et vésicule à venin.
Pour le reste, ils possèdent une paire de pinces semblables à celles des scor-
pions. Les pinces servent à la capture et à la manipulation des proies, à la
construction du nid et jouent aussi un rôle très important dans les contacts
sociaux. Il n’est pas aisé de distinguer le mâle de la femelle.

L’autre particularité des pseudo-scorpions est la possession de glandes à


soie, situées dans la partie antérieure du corps. S’ils n’ont pas de dard, ils pos-
sèdent quand même des glandes à venin situées dans les pinces. La majorité
des pseudo-scorpions sont prédateurs, ils vont attraper leurs proies avec leurs
pinces et les anesthésier avec leur venin avant de les amener vers leurs chéli-
cères, immobilisant leurs proies en quelques secondes. Mais, rassurez-vous, les
plus grands pseudo-scorpions ne dépassent guère 7 mm. D’ailleurs, l’espèce
que l’on peut rencontrer dans les habitations, Chelifer concroides, ne mesure
pas plus de 4 mm. Cette petite taille les empêche de percer notre peau. Si l’on
a signalé cette espèce dans les cheveux des enfants, c’est qu’elle faisait tout
simplement la chasse aux poux.
Le pseudo-scorpion est un prédateur utile dans nos habitations, car il va
chasser les acariens, collemboles et psoques, voire les poux dans les cheveux
des enfants. Les pseudo-scorpions se déplacent assez rapidement et marchent
sans problème sur le verre. Ils avancent et reculent sans difficultés apparentes
et certaines espèces sont même capables de sauter en arrière. S’ils sont inquié-
tés, ils peuvent « faire le mort » : tous les appendices sont ramenés contre le
corps et ne bougent plus. Dans ces conditions, ils sont très difficiles à repérer.
Le mâle occupe un minuscule territoire de 1 à 2  cm de diamètre, qu’il
marque avec des phéromones. Si un autre mâle s’approche, le propriétaire va
faire preuve d’agressivité. En revanche, si une femelle franchit la frontière, elle
Drôles de bêtes 241

sera courtisée avec assiduité tant qu’elle reste à l’intérieur du territoire. Le mâle
dépose un spermatophore contenant son sperme, que la femelle extrait pour
féconder ses œufs. Il s’agit d’une technique assez originale, que l’on rencontre
aussi chez certaines espèces d’insectes primitifs. La femelle porte ses œufs et
nourrit ses embryons, en plus elle construit un nid en soie en y intégrant des
débris trouvés dans son milieu. Les jeunes Chelifer concroides sont adultes à
partir de 10 mois et peuvent vivre de 3 à 4 ans, ce qui est étonnant vu la taille
de l’animal.
En Suisse, on compte plus de 60 espèces de pseudo-scorpions, que vous
pouvez découvrir dans le sol, dans les grottes, sous les pierres, dans l’humus et
dans les nids d’oiseaux.

Psoques… domicoles

L’ordre des psocoptères compte quelques 3800 espèces. Les psoques sont des
insectes de taille assez modeste, 0,7 à 7 mm, pour les espèces que l’on peut
rencontrer chez nous. Ces petits insectes peuvent être ailés, microptères (ailes
réduites) ou aptères. On parle souvent de poux des livres, poux des écorces
ou encore poux des poussières, mais attention, rien à voir avec les véritables
poux qui sont des parasites des oiseaux et mammifères et dont une espèce se
retrouve parfois sur nos chères têtes blondes. Les psoques possèdent une paire
de mandibules broyeuses ; on les confond également souvent avec d’autres
insectes comme les psylles et les pucerons (qu’une majorité des gens continue
à appeler poux des végétaux !).
Les psoques vivent dans de nombreux milieux : sur les arbustes (écorce et
feuilles), dans la végétation, dans les grottes et dans nos entrepôts et habita-
tions. Sur les 99 espèces connues en Suisse, 29 peuvent être considérées comme
domicoles. Le terme domicole vient du latin et se décompose en domus (habi-
tation) et colere (habiter).
Certaines espèces peuvent parfois se développer de façon fulgurante si
les conditions de température et d’humidité sont favorables. Elles peuvent se
nourrir de moisissures ou peuvent se rencontrer dans les denrées alimentaires
stockées (farine, riz, pâtes). Dans ce cas, elles ne se nourrissent pas unique-
ment de mycélium, mais aussi de substrat. Une espèce est même capable de
digérer la cellulose, alors attention aux vieux livres que l’on n’ouvre jamais !
Il est intéressant de noter que la majorité des espèces domicoles se reprodui-
sent par parthénogenèse, et plus particulièrement par la parthénogenèse thé-
lytoques. Cela signifie que les femelles ne mettent au monde que des filles, sans
avoir besoin de mâles. C’est plutôt gênant, car en plus les femelles peuvent
survivre plus d’un mois sans se nourrir.
242 Mille milliards de pattes

L’élément le plus important pour assurer leur survie est l’humidité. Si le


milieu est trop sec, les psoques perdent alors assez rapidement l’eau contenue
dans leur corps et se déshydratent. L’abdomen s’aplatit, mais se regonfle dès
que l’humidité augmente. Mais si l’humidité relative s’abaisse trop longtemps,
les individus meurent.
Leur présence dans les habitations peut parfois être source d’ennui, car
elles semblent provoquer des allergies semblables à celles causées par des aca-
riens. D’autre part, il existe parfois un certain risque de contamination micro-
bienne des produits alimentaires. Si le tableau dressé vous semble un peu
sombre, voici quand même une bonne nouvelle, il a été montré que certaines
espèces de psoques se nourrissaient d’œufs de Plodia interpunctella, vous savez
la teigne de la farine qui prolifère chez nous depuis plusieurs années. Alors à
vous de choisir psoques ou teignes !

Starique cristatelle : un pingouin qui distribue  


un antimoustique à ses congénères !
La starique cristatelle, un pingouin de l’Atlantique nord est une espèce tout à
fait particulière. Elle possède une huppe noire, frontale, bouclée vers l’avant.
Elle présente en toute saison un plumage gris. Le bec et les commissures sont
oranges et l’on distingue une fine touffe de plumes blanches en arrière de l’œil.
La starique cristatelle est souvent confondue avec d’autres pingouins comme
les macareux, les mergules ou encore les guillemots.
Cet oiseau vit en colonies sur les îles Aléoutiennes et sur d’autres îles de
la mer de Bering. Très rarement aperçue en Europe, la starique cristatelle a
toutefois été aperçue à quelques reprises au nord de l’Islande. Les colonies
peuvent compter plusieurs milliers d’individus et se rencontrent au pied de
falaises parmi de gros blocs de rochers. La femelle pond un seul œuf et les deux
partenaires assurent l’incubation qui peut durer un mois ou plus. Les jeunes
sont nourris avec du plancton et s’envolent un mois après leur éclosion. Tous
les oiseaux passent alors six mois en haute mer avant de revenir se reproduire.
Drôles de bêtes 243

Mâles et femelles présentent un comportement un peu curieux lors des


rencontres prénuptiales qui consiste à se frotter contre son ou sa partenaire,
particulièrement au niveau de la poitrine. En analysant plus en détail ce com-
portement, un chercheur américain a mis en évidence des plumes particu-
lières qui produisent des substances chimiques, regroupées sous le terme d’al-
déhyde. Le plus intéressant est que ces substances peuvent éloigner les tiques
et les moustiques. Les deux principales plaies de ces oiseaux. Donc, nous assis-
tons à un transfert de substances chimiques entre individus. Il semble que ce
transfert soit rendu nécessaire pour une meilleure distribution de ce répulsif
sur des endroits que l’oiseau n’arrive pas à atteindre tout seul : comme la tête et
le cou. Ces régions étant aussi les plus attractives pour les parasites. Et il n’y a
pas de ségrégation, ce sont aussi bien les mâles que les femelles qui produisent
et distribuent leur « antimoustiques ».

Strepsiptères

La plupart des gens n’ont jamais entendu parler des strepsiptères et peu d’en-
tomologistes en ont vu vivants. Les strepsiptères figurent parmi les insectes
les plus énigmatiques. Il faut savoir que le terme strepsi signifie faire tourner.
Alors si les ailes postérieures sont normales, en revanche les ailes antérieures
sont transformées en balanciers. C’est un peu comme une mouche à l’envers.
244 Mille milliards de pattes

D’ailleurs, on pense que ces insectes bizarres sont assez proches des mouches,
mais ce n’est que l’une des hypothèses actuellement proposées. D’autres cher-
cheurs les ont rapprochés des coléoptères ou des hyménoptères.
On a retrouvé un spécimen de strepsiptères dans l’ambre datant du Crétacé,
soit environ 65 millions d’années. Aujourd’hui, un peu plus de 600 espèces
sont décrites dont une trentaine vit en Europe. Ce sont tous des parasites au
mode de vie étrange. Seuls les mâles sont visibles : les larves et les femelles
vivent dans le corps des abeilles, guêpes, punaises, orthoptères. Les femelles
y restent toute leur vie, laissant seulement une partie de leur corps sortir de
l’hôte, partie à laquelle les mâles s’accouplent, et les œufs sont expulsés. Les
mâles sortent de l’hôte à l’âge adulte, en perçant la membrane intersegmen-
taire. Ils ne le tuent pas, mais le rendent stérile.

Les strepsiptères parasitent environ 34 familles d’insectes. Habituellement,


mâles et femelles parasitent une seule espèce hôte. Cependant, on a découvert
que, dans la famille des myrmecolacidés, les mâles parasitent des fourmis tan-
dis que les femelles parasitent des orthoptères. Or les chercheurs ont souvent
décrit un seul des deux sexes et sur les 116 espèces reconnues seules 8 ont été
décrites sur la base des deux sexes.
Si la systématique est assez difficile, le comportement et les différentes
adaptations de ces étranges parasites sont tout aussi originaux. Par exemple,
lorsque les strepsiptères parasitent un hôte au stade adulte, le parasite laisse
sa partie antérieure (pièces buccales et céphalothorax) à l’extérieur. Celle-ci
souvent disparaît, mais laisse, en lieu et place, une ouverture qui permet aux
mâles de s’accoupler et aux larves de premier stade de sortir. En réponse aux
parasites, il semble que la vie de l’hôte soit prolongée, parfois jusqu’à 5 fois
celle d’un individu non parasité. C’est une stratégie tout à fait extraordinaire
qui permet au parasite de réaliser l’entier de son cycle sur le même hôte en
disposant de suffisamment de temps. Mais lorsqu’un individu est parasité, son
comportement change aussi. Par exemple chez les polistes (guêpes primitives),
dès que le parasite s’est introduit, l’hôte quitte sa société et se regroupe avec
Drôles de bêtes 245

d’autres individus. Ceci non pour rencontrer d’autres partenaires, mais bien
pour favoriser les accouplements des parasites, les mâles émergeant de leurs
hôtes et s’accouplant avec les femelles qui restent dans les autres hôtes. Donc
c’est le parasite qui influence le comportement de son hôte afin de favoriser sa
reproduction. On peut parler de manipulation !

Sucre volant : quel drôle d’animal !

Le sucre volant ou phalanger volant est un petit mammifère appartenant au


groupe des marsupiaux. Ce petit possum est originaire de Nouvelle-Guinée
et des parties nord et est de l’Australie. Le phalanger volant mesure entre 
12 et 30  cm de longueur et sa queue peut atteindre plus de 40 cm. Mais sa
plus grande particularité est la présence de deux membranes issues du 5e doigt
du membre antérieur et allant jusqu’à l’orteil du membre inférieur. Ces deux
membranes ou patagiums ne sont pas visibles lorsque l’animal est au repos.
C’est lors du « vol » que ces membranes se déploient et permettent à notre sucre
volant de planer. Les distances parcourues peuvent être de l’ordre de 50  m.
Ces sauts permettent au marsupial de se déplacer d’arbres en arbres, soit pour
échapper à des prédateurs, soit pour trouver d’autres sources de nourriture.
Les phalangers volants vivent en groupe. Ils occupent un eucalyptus sur
lequel ils marquent leur territoire et se battent pour éviter l’arrivée d’un autre
groupe. Le mâle dominant s’arroge quelques droits supplémentaires, comme
celui de féconder la grande majorité des femelles du groupe. Il n’y a pas réelle-
ment de saison de reproduction, mais habituellement les femelles mettent au
monde 1 à 2 petits par portée. C’est seulement après une période de 70 jours
qu’ils quitteront la poche maternelle. Et après 110 jours environ, les jeunes
quitteront le groupe pour rejoindre un autre groupe ou fonder leur propre
colonie. Les individus sont omnivores, suivant les saisons ils vont se nourrir
d’insectes, d’araignées et autres invertébrés qu’ils trouveront sur les eucalyp-
tus, mais aussi de pollen et de sève lorsque les insectes sont moins abondants.
246 Mille milliards de pattes

Récemment aux Etats-unis, un véritable engouement pour le sucre volant


comme animal de compagnie est apparu. Cette vague semble aussi atteindre
l’Europe et on ne saurait trop recommander de réfléchir à deux fois avant
d’adopter ce genre d’animal qui, compte tenu de son mode de vie arboricole,
n’a rien à faire dans une cage !

Termites : bâtisseurs de cathédrales en Australie

Les termites sont des insectes sociaux qui n’appartiennent pas à l’ordre des
hyménoptères comme les fourmis, les guêpes et les abeilles, mais à celui des
isoptères. On parle parfois de « fourmis blanches ». En effet, la majorité des
individus formant une société sont peu colorés.

Dans une termitière, la caste la plus nombreuse est constituée d’ouvriers


ou d’ouvrières qui sont en fait des larves au service d’un couple royal. Ces
larves sont responsables de la construction du nid, de la récolte de nourri-
ture et de tous les travaux domestiques, ceci permettant au couple royal de se
consacrer uniquement à la reproduction. Une autre caste dépassant rarement
5% des individus, est représentée par les soldats. Ces derniers subissent un
développement différent de celui des ouvriers et des ouvrières, mais restent
toujours des larves. Une fois par année, la colonie produit des nymphes ailées
(mâles et femelles) qui vont essaimer et produire de nouvelles sociétés. L’es-
saimage a lieu pendant la saison des pluies qui débute à partir des mois de
novembre et décembre.
Si les fourmis ont selon toute vraisemblance des ancêtres parmi les guêpes,
les termites, elles, sont proches des blattes (cafards). Si les premières sont sou-
vent d’habiles prédatrices, les termites se nourrissent presque exclusivement
de cellulose qu’ils tirent du bois ou autre matériau végétal. Si l’on poursuit la
comparaison, on constate que les fourmis subissent une métamorphose com-
plète et que les ouvrières d’une société sont simplement des femelles avec des
organes reproducteurs peu développés ou atrophiés, alors que les termites se
développent graduellement en subissant des mues successives. Mais la majo-
rité reste au stade larvaire, ce qui signifie que leur cuticule ne devient jamais
vraiment dure, que les yeux composés et les organes sexuels restent peu déve-
Drôles de bêtes 247

loppés. Les soldats subissent un développement semblable, mais possèdent


des armes défensives (mandibules allongées) ou des armes chimiques (subs-
tances collantes) qu’ils peuvent projeter sur les prédateurs. Ainsi les soldats
des termites cathédrales de l’espèce Nasutitermes triodiae ont un système assez
sophistiqué. En fait, leur tête est prolongée vers l’avant en forme de nez et ils
peuvent projeter avec précision, à plusieurs centimètres, une sécrétion défen-
sive. Il faut dire que les termites représentent des proies de choix pour les four-
mis, compte tenu des caractéristiques évoquées précédemment (corps mou,
sociétés nombreuses etc.). Heureusement, la termitière est un abri assurant
une certaine protection.
Il y a plus de 100 espèces de termites recensées dans le Territoire du Nord
en Australie (2000 espèces dans le monde) qui peuvent être classées selon leur
régime alimentaire : les mangeurs de bois, les mangeurs de sol, les mangeurs
de débris et les moissonneurs. Les termites cathédrales appartiennent à ce der-
nier groupe et récoltent des herbes sèches qu’ils découpent et stockent dans la
termitière avant consommation.

Triongulins : histoires de voleurs

Certains insectes sont appelés « cleptoparasites » parce qu’ils se développent


aux dépens des provisions que d’autres insectes ont accumulées. De nombreux
cleptoparasites sont observés chez les hyménoptères, ainsi que chez quelques
espèces de coléoptères de la famille des méloïdés.

Les méloïdés forment une famille bien particulière. En effet, si vous sai-
sissez un individu, il se répand sur vous ; en d’autres termes, il exsude par
ses articulations un liquide jaunâtre à l’odeur assez désagréable qui contient
une substance intéressante : la cantharidine. Cette substance assez dangereuse
lorsqu’elle est ingérée, est aussi un aphrodisiaque connu depuis fort long-
temps puisque les Romains en consommaient sous forme de poudre ! L’espèce 
248 Mille milliards de pattes

utilisée pour produire cette poudre s’appelle Lytta vesicatoria, plus connue
sous le nom de « mouche d’Espagne ». Il s’agit d’un coléoptère vert métallique.
Les adultes du Stenoria analis (méloïdés) apparaissent à la fin de l’été en
zone méditerranéenne, un peu avant ceux des abeilles solitaires du genre
Colletes. Les coléoptères adultes sont phytophages. Après l’accouplement, la
femelle pond ses œufs en une sorte de plaque de 1 cm de long sur 0,5 cm de
large à la surface inférieure des feuilles de chêne. Après une dizaine de jours,
les larves apparaissent. On les appelle « triongulins » car leurs griffes sont en
forme de trident. Elles se déplacent alors à la surface de la feuille en émet-
tant un fil de soie qui formera un réseau dense. Quelques jours après, toute la
masse agitée des larves s’étire en une sorte de goutte qui descend lentement
vers le sol. Arrivées là, les larves se séparent et chacune gagne au plus vite
une plante herbacée et grimpe jusque vers l’inflorescence. Or c’est à la même
époque que les abeilles solitaires s’activent et se mettent à butiner. Il ne reste
plus au triongulin qu’à se fixer solidement sur les poils de l’abeille pour se faire
transporter !
Il faut évidemment que le triongulin fasse preuve de patience, car l’abeille
ne construit pas tout de suite son nid. Lorsque cela arrive, il quitte son trans-
porteur et se laisse enfermer dans la cellule contenant du miel pour l’élevage
de la progéniture de l’abeille. Pour commencer, le triongulin tue l’œuf de son
hôte. Au bout de quelques jours de ce régime, il se transforme en larve dite
secondaire, au corps mou et épais qui flotte sur le miel dont il se nourrit.
Lorsque, après quelques mues, il devient obèse, il cesse de s’alimenter. Tout
ce processus prend plusieurs mois puisque c’est fin avril que se déroulent une
série de changements qui conduisent finalement à l’émergence de l’adulte au
mois de juillet. Creusant à travers les cellules, il peut gagner l’air libre et s’en-
voler. Le cycle est ainsi bouclé après une année de vie pour le moins originale.
Il convient de noter que tout ne se passe pas toujours aussi bien : de nom-
breux triongulins se fixent sur des mauvais butineurs comme des diptères ou
d’autres coléoptères et cette erreur leur est toujours fatale.

Vanesse des chardons : une migration extraordinaire

Difficile de confondre ce papillon aux dessins bigarrés. D’un brun jaunâtre


tirant sur l’abricot, le dessus des ailes antérieures a des dessins noirs réguliers
dont le bout de l’aile. La vanesse des chardons ou belle-dame (Cynthia cardui)
a une distribution quasi mondiale, à l’exception de l’Amérique latine. Cette
espèce fait partie des papillons migrateurs au même titre que le monarque
(Danaus plexippus), le vulcain (Vanessa atalanta), le moro-sphinx (Macroglos-
sum stellarum) ou encore le gamma (Autographa gamma).
Drôles de bêtes 249

La belle-dame immigre en Suisse, chaque année dès fin avril, en prove-


nance de l’Afrique du Nord et de l’Europe méridionale. Elle appartient au
groupe des migrateurs saisonniers se reproduisant dans les aires d’origine et
d’accueil. C’est donc une espèce qui quitte chaque année sa région d’origine
pour gagner volontairement une autre région définie à l’avance pour s’y repro-
duire. Les descendants retournent dans la région d’origine pour s’y reproduire
à leur tour. Parfois le trajet d’aller peut se faire en deux étapes. Les individus
d’Afrique du Nord, notamment du Maroc, se reproduisent en Europe méri-
dionale au premier printemps où ils meurent. Ce sont leurs descendants qui
arrivent jusque sous nos latitudes, voire même en Suède. La vitesse moyenne
de déplacement de ces papillons est de l’ordre de 25 km/h. Les vanesses des
chardons battent des ailes entre 50 et 80 fois par seconde (contre 8 fois par
seconde pour les piérides blanches, par exemple).
Certaines années, les migrations passent inaperçues, mais en 2009 nous
avons pu assister à une véritable explosion avec un passage en vagues succes-
sives de millions d’individus à travers la Suisse.
Cette espèce est plurivoltine c’est-à-dire qu’il y a, jusqu’à la fin de l’au-
tomne, deux ou trois générations et les derniers adultes retourneront au Sud.
Quand les hivers sont doux, certains individus peuvent survivre au nord des
Alpes. On rencontre cette espèce jusqu’à plus de 2000 m d’altitude et elle est
spécialement abondante dans les terrains un peu marginaux envahis de char-
dons, mais aussi dans les gravières et sur les alpages. Les œufs sont pondus
isolément sur des chardons, des cirses des champs, les onopordes acanthe ou
encore les tussilages, les orties et la bardane.

Vers lumineux

Les larves de certains petits moucherons produisent de la lumière. Ces diptères


bien particuliers appartiennent à la famille des kéroplatidés et l’espèce que
vous pouvez découvrir en Nouvelle-Zélande porte le nom latin de Arachno-
250 Mille milliards de pattes

campa luminosa. Les locaux parlent de glowworm que l’on pourrait traduire
par ver lumineux. Mais le nom latin apporte quelques explications : arachno
signifie comme une araignée et luminosa indique la lumière. La grande parti-
cularité de cette espèce est de se tenir au plafond d’une grotte à l’état larvaire.
Cette larve vermiforme produit des fils verticaux qui sont enduits de mucus.
Si la larve est lumineuse, les fils le sont aussi. Pour la larve c’est l’extrémité de
l’abdomen qui contient l’organe lumineux. Il semble que la larve soit capable
de contrôler l’émission de lumière. Ainsi si les touristes sont trop bruyants,
elle stoppe son émission. En revanche quand elle a faim, la lumière est plus
intense.

La durée totale de la vie de l’insecte est d’environ 11 mois. Au début, les


œufs sont collés par les femelles sur la voûte et les larves émergent après une
vingtaine de jours. Une seule femelle peut pondre plus de 100 œufs. Dès que la
larve a éclôt, elle construit une sorte de toile et se met à produire une substance
visqueuse, mélange de soie et de mucus, qui forme des filaments pendants. Le
mucus contient de l’acide oxalique, une substance qui tue les insectes volants,
qui attirés par la lumière, viennent se coller à ce fil de pêche. Les mouvements
de l’insecte englué informent la larve qu’une proie vient de se faire prendre.
A ce moment, la larve rampe jusqu’à sa proie pour la dévorer. Une larve peut
avoir à sa disposition jusqu’à 70 fils pouvant mesurer jusqu’à 20  cm ! Les
proies principales dans la grotte de Waitomo sont des diptères chironomides,
mais les larves dévorent aussi papillons de nuit, tipules, phryganes ainsi que
tout insecte arrivé par mégarde ou hasard dans cette grotte. Le stade larvaire
dure plusieurs mois au bout desquels l’individu mesure presque 4 cm. A ce
moment-là, il se nymphose. La nymphe, toujours lumineuse, est suspendue
verticalement grâce à un long fil. Les nymphes des mâles cessent d’éclairer 3
ou 4 jours avant la mue imaginale qui les conduit au stade adulte, alors que
les nymphes femelles et les femelles adultes restent « allumées », probablement
pour attirer les mâles. Ce n’est qu’au début de l’oviposition que les femelles
cessent d’être lumineuses.
Pour assurer leur survie, ces insectes doivent vivre dans des conditions
assez strictes. Ils requièrent une très forte humidité, un plafond important et
régulier permettant aux larves de fixer leurs toiles, surtout pas de vent pour
éviter que les fils s’emmêlent, bien évidemment une nourriture abondante et
Drôles de bêtes 251

pour terminer une obscurité totale sinon les proies ne sont pas attirées par la
lumière. Si ce phénomène est assez unique, sachez qu’il existe au moins une
douzaine d’espèces lumineuses distribuées à travers le monde sur les 3000 que
comporte cette famille.

Zygènes

Que vous soyez en montagne ou même en plaine, cela vaut toujours la peine
d’aller se promener et d’ouvrir l’œil, votre regard sera surpris par un drôle de
papillons de taille moyenne (de 3 à 4 cm d’envergure) avec des ailes étroites
de couleur bleu noirâtre métallique et des taches colorées rouges, jaunes ou
blanches. Son corps poilu est noir avec une bande colorée sur l’abdomen. Il
s’agit d’un représentant de la famille des zygènes. Ces papillons appartiennent
au groupe des hétérocères (principalement des papillons de nuit), caractérisés
par leurs antennes nettement plus allongées que celles des papillons de jour,
ou rhopalocères.

Les chenilles et les adultes de cette famille ont des couleurs dites aposéma-
tiques. En gros cela signifie : « Attention, je suis toxique ! ». En effet, le sang des
zygènes contient de l’acide cyanhyorlique, redoutable poison pour de nom-
breux prédateurs. Ils absorbent principalement cette substance en consom-
mant du lotier, plante riche en cette substance toxique. Aussi ces papillons
sont-ils assez placides, car ils ne craignent presque rien. Ayant une activité
diurne, ils semblent particulièrement affectionner les fleurs de chardons et de
scabieuses, où il n’est pas rare d’en trouver plusieurs butinant simultanément.
Ils se laissent approcher facilement avec un filet à papillons. Dès qu’ils se sen-
tent pris, loin de se débattre, ils sont complètement inertes et font le mort.
Certaines espèces, comme la Zygaena ephialtes, sont très polymorphes
et présentent des variations des couleurs de leurs taches. Le Musée cantonal
de zoologie possède une collection tout à fait inédite de ces espèces, étudiées
il y a de nombreuses années par le professeur Paul Bovey. Au cours de ses
252 Mille milliards de pattes

recherches, il avait réalisé toute une série de croisements pour comprendre le


polymorphisme de ces taches colorées.
Certaines espèces sont visibles au stade adulte jusqu’en septembre et peu-
vent monter jusqu’à 2000 m en montagne. Grâce à leur trompe développée, les
adultes réussissent à aspirer le nectar des fleurs possédant des grands pétales.
Les chenilles plutôt trapues, possèdent en plus des trois paires de pattes tho-
raciques propres aux insectes, cinq paires de fausses pattes abdominales. Vive-
ment colorées, elles sont recouvertes de tubercules. On connaît un millier
d’espèces de zygènes à travers le monde, dont au moins une quarantaine en
Europe.

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