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ANTOINE BERMAN

POUR U}{E
CRITIqUE
DES TRADUCTIOI{S a
a

JOHN DOr{NE
Ouwage publü auc le concours
du Cntre nationnl du liore

GALLIMA.RD
\
NOTE DE L'ÉDITEUR

Si j'ai pris la responsabilité de I'édition de ce manuscrit c'est parce que


« I'ouvrage.que
-voici est né dans les.ci.Lç*ons*tances que voici ».
Antoine Bermân est mort à qqâiante-neuf àns, le 22 novembre 1991.
Au cours des ç&Umois pendant lesquels a sévi sa brutale n6[sdiç-il a
ôcrit ce_livre, rruit et jour, sans relâche. Il écrivait sur des cahiers d'écolier,
d'une écriture fine et précise, sur un coin de la table de la salle à manger,
cntouré de ses enfants, dans une concentration extrême. A l'hôpital, il ne
sc couchait pas, transformant son lit en une étendue couverte de livres et
de papiers. A mesure qu'il avançait dans son travail, il reprenait son texte
sur de nouveaux cahiers et me demandait de jeter les cahiers antérieurs,
C'est sous cette forme que ce livre est né : dans sept cahiers d'écolier, à
spirale, à couverture écossaise bleu et rouge. Sur la couverture du cahier
7, une photocopie en couleur, découpée et collée, d'un portrait d-e,John
Donne.: un visage émacié et, d'après Michel Deguy - maisjéïe crois auIôi
- une certaine ressemblance avec Antoine. Parfois Antoine me lisait des
passages qu'il venait d'écrire. Il le faisait également pour des amis qui lui
rendaient visite, à I'hôpital, ou à la maison. C'étaient des lectures à voix
haute - mais je ne savais pas encore à quel point cette voix résonnerait
dans le livre. Lectures répétées de l'« Introductionr >r, ou encore Péguy,
Pasternak, Benjamin... Nous l'écoutions, pris dans la voix de l'écriture et
dans sa permanence. Les mots que nous entendions démantelaient la
forteresse médicale. Le poète n'est jamais malade.
« Mon corps, ce papier, ce feu 2. » Corps transmuê en écriture. Le
poème e§r peut-être Ia seule forme d'écriture à avoir une voix. Non pas
dans le sens où il serait fait pour être dit mais dans la manière dont le dit
du poème se fait entendre. Est-ce à cause de cela, par la présence unique
de cette voix du poème, résonance pure de l'écriture essentielle, que, dans
la tristesse, le poème est consolation ? Au-delà des oppositions de l'« oral >>
et de l'<< écrit » il y a la voix de l'écriture. Ce livre, où nous entraîne la
pensée heureuse et calme, péremptoire et ouverte de son auteur, parce
pris dans Ie rayonnement du poème de Donne, a lui
g ËAitiow Gallimard, lggi. .lï:1ïJi::€ntier
SoUPAULT, Ph.,243. UNceRnrrr, G., 13,218.
SPINoZA,8., 157, 165.
SPmzrn, L., 13,49. Ver,Énv, P.,38, 71, ll4, 137,220,
SroNon,J. de, 23, 125, 238, 239. 226, 233, 238, 241, 242, 254-257.
SteË1, madame de, 250, 251. Ver,r,q;o, C.,218.
SrARouNSKI,J., 13,49, VrlvrunrNr,J., 132.
SruuER, G., 0, 42, 62, 247, 251, VentelNn, P.,69.
SreroHar,, 198. Vlet.ertn, 4., 53, 85.
SrrvENs, W., 146, 160. Vtctw, A. de,22l.
SruARr Grmrnr, 185. VrNlY, J.-P,, 69, 244, 246, 247,
Surnnvtru,r, J., 62. VrNcr, L. de,257.
SYNcr,J.M.,225. VTRGTLE, 19, 218, 233,242,245,
249, 255, 257.
TerNr, H.,237. VolreIRE, 57,204,219,
THeLueNN, M.,208. Voss,J.H.,2l.
THÉocnrrr, 19.
Wurrn, K.,217.
TrnÉ,uor, J., 36,
Trvs,8.,82.
37.
WHITUIN, W.,247. Note de l'éditeur I
Trrcr, L., 21. WrtlcrNsrrrN, L.,82.
Totsrol, L.,203,20+. Wonoswous, W.,219. Introduction n
TounetNn, A.,63. Yrers, W.8., 72, 73, 93, 9+, 97,
TouRY, G., 14, 15, 45, 50-55, 57, I. LE PROJET D'UNE CRITIqUE « PRODUCTIVE » 33
2t9-22t,225.
59,60,62, 70,87. YounceNen, M.,95. Le concept de critique de traductions 3B
TRIKL, G., 14,46,78.
Tsvnreleve, M., 214-218. Zota,,f,.,2lo. Les diffërents genres d'analyses de traductions 43
TYTLER, A.f., 19, 20,248. ZUBER, R.44,45,
Les anal.yses engagées d'Henri Meschonnir +5
Les anaÿses descriptiaes à orientation sociocritique (Toury,
Brisset) 50
Esquisse d'une méthode 64
Lecture et relecture de la traduction 65
Les lectures de I'original 67
À la recherche du traducteur 73

L'analyse de la traduction 83
Formes dz l'anaÿse 83
La corlfrontation 85
Le sÿle de la confrontation 87
Le fondement de l'éualuation 9l
La réception de la traduction 95
La critique productive 96

II. JOHN DONNE, TRADUCTIONS ET RETRADUCTION 99


Les traducteurs ll6
ESqUISSE D'UNE MÉTHODE I'ordrc qui va être décrit, que nous avons appris cette chose qui
ne va pas du tout de soi : apprendre à lire une traduclionsg.

Je vais tenter maintenant de tracer l'architectonique d'une Leclure et relecture de la traduction (5


analyse des traductions qui tienne compte des formes élaboréer
par Meschonnic et l'école de Tel-Aviv, tout en élaborant une À un regard méfiant et pointilleux, tout autant qu'à un
méthodologie et des concepts propres (au moins en partie) et rcgard purement neutre et objectif, opposons un regard réceptf
tout en visant à correspondre au concept benjaminien de critique r1ui, effectivement, n'accorde qu'une << confiance limitée » au
de traduction présenté plus haut. Je présenterai ici la forme la plul tt:xte traduit. Telle est, telle sera la posture de base de I'acte,
développêe et la plus exhaustive de cette architectonique qui, t ritique :.suspql{1g_to_ul-_jgg-erygnt tlâlif, er s'engager dans unI
dans les faits, risquerait de donner un livre plutôt qu'un article. Iong, patient travail ile lecture dt de relecture de la traduction
Mais il est presque superllu de dire que cette forme maximale ou des traductions, en- làissant entièrement de côté I'original. La
peut se moduler suivant les linalités particulières de chaque première lecture reste encore, inévitablement, celle d'une
<( (ruvre étrangère »> en français. La seconde la lit comme une
analyste, et se mouler dans toutes sortes de formes textuelles
traduction, ce qui implique une conaersion du regard. Car,
standardisées (article, communication, étude, ouvrage, recen'
comme il a êtê dit, on n'est pas naturellement lecteur de
sion, thèse, etc.). Au.rq!g,"il l_.,:'ugit pas de présenter un traductions, on le devient.
trmodèle, mais un uaÿt ayqly-1ique po;xble. Laisser l'original, résister à la compulsion de comparaison,l.,
Mon trajet analÿiiiiüè àera divisé en étapes successives (ce c'cst là un point sur lequel on ne saurait trop insister. Car seule
qui correspond au concept de méthode). Les premières étaper (:(:tte lecture de la traduction permet de pressentir si le texte
ont trait au rlrava-il..8-fÉ*lir-r-ri+aire, c'est-à-dire à la lectutc t raduit << tient >>. Tenir a ici un double sens : tenir comme un écrit

csnqrète de la traduction (ou, le cas échêant, des traductiono) rlirns la langue réceptrice, c'est-à-dire essentiellement ne pas
et de l'original (sans parlbr des multiples lectures collatéraler i'tre en _4eçà des << normes » de qualité scripturaire standard de
5e.
qüi viennent êtayer ces deux lectures). Les étapes suivanteg , r'lle-ci Tenir, ensuite, au-delà de cettè exigence de base,
ont trait aux moments fondamentaux de l'acte critique ('( )mme un véritable texte (systêmaticitg- gt corrélativité, org,ani-

lui-même tel qu'il apparaîtra sous forme écrite. C'est également t iti: de tous ses consrituant§ftc fflüâ.déegurrre ou non cette
,..

dans cette partie que sont présentées leÉ catégories dn bap"p,qui r.lccture, cjest son degrê de co rririinæ immtanente aÀorr Jà
veulent structurer cette critique, et qui së distinguent aussi loute relation à l'original. Et dôildégfë"dê uie immanente: "" il est
rlt:s traductions - les critiques de magazines littéraires le savent
bÏen de celles de Meschonnic que de celles de l'école fonction'
lrir:n, mais ils en restent là - « froides >>, << raides >>, << enlevées >>,
naliste.
,. vives »», etc.
Laforme de ce genre d'analyse s'est peu à peu dégagée pour
moi au fur et à mesure que je « pratiquais » des êtudes dc .5r8.
Le trajet proposé est une généralisation, donc, de quelques trajets personnels.
traductions, en essayant d'en préciser (et d'en systématiser) ler scs lirrmes concrètes varieront pareillement selon les analÿstes, les traduciions et les
or igirraux en cause, etc.
procêdures. Les premières étapes doivent beaucoup à mon 59. C'est-à-dire, tout simplement, est (< bien écrite » au sens le plus élémentaire.
travail de traducteur littéraire, et notamment à Ia di{Iicile M:rirrtes traductions largement dillusées ne satisfont pas à ce critère. Un exemple : I'essai
r lc I l;rnnah Arendt oz reoolution publié sous le tltre Essai sur la réaolution
chez êallimard
traduction des Sept fous de Roberto Arlt, faite avec Isabelle rrr rrillc'ction de poche (coll. « Tel », Paris, 1967, trad. Michel Chrestien) est quasi
Berman. C'est en lisant et relisant ensemble, ou séparés, le; rllisilrlc_à carrse de_sa.syntaxe défectueuse et empêtrée, alors que Arendt est connue pour
u)n slyle clair et fluide, sans aspérités. Le texte traduit, ici, ne « tient, pas, et ôn le
successives versions de cette traduction, et en e{fectuant un r,rirrque tout de suite. Ce qui n'empêche pas cette traduction d'un livre important de
va-et-vient entre ces versions et l'original à peu près danr r rrr ult:r sans avoirjamais été critiquée. Cas plus que fréquent.

6+ 65
Cette relecture découvre aussi, immanqua.l>lcmr:nt, rlcr Nous avons lu et relu la traduction ; nous nous sommes fait
« zones textuelles » problématiques, qui sont cellt-'s où allk:rrre rrnr: impression (ou une impression s'est faite en nous). Il faut
la défectivité : soit que le texte traduit semble soudain s':rlliri- rn:rintenant nous tourner, ou nous re-tourner, vers l'original.
blir, se désaccorder, perdre tout rythme ; soit qu'il paraisst' ;rrr
contraire trop aisé, trop coulant, trop impersonnellcmcnt
<< français » ; soit encore qu'il exhibe brutalement des m«rts,

tournures, formes phrastiques qui dêtonnent; soit qu'enlin il


l,es lectures de I'original62 ':

soit envahi de modes, tournures, etc., renvoyant à la languc tlc


I'original et qui témoignent d'un phénomène de contaminatibit Ces lectures laissent de côté, elles aussi, la traduction. Mais
linguistique (ou d'<< interlêrence »). r:lles n'oublient pas ces << zones textue[es >> où la traduction a
A l'inverse, elle découvre aussi, mais pas toujours, dcs scmblê tantôt problématique, tantôt heureuse. Elle les lit et
« zones textuelles ») que je qualilierai de miraculeuses, en cer:i rclit, les souligne, pour préparer la future confrontation.
qu'on se trouve en piésence-non seulement de passages visible- De simple lecture cursive, elle devient très vite pré-ana[tse
ment achevés, mais d'une écriture qui est une écriture-de- texluelle, c'est-à-dire repérage de tous les traits stylistiques, quels
traduction, une écriture qu'aucun écrivain français n'aurait pu c1u'ils soient, qui indiuiduentl'êcriture et la langue de l'original63
écrire, une écriture d'êtranger harmonieusement passée en ct en font un réseau de corrêlations systématiques. Inutile de
français, sans heurt aucun (ou, s'il y a heurt, un heurt bén(:ti- t:hercher ici l'exhaustivité : la lecture s'attache à repérer tel type
que) uo. Ces << zones textuelles » où le traducteur a écrit-étranger <le forme phrastique, tel type signiliant d'enchaînements propo-
en français et, ainsi, produit un français neuf, sont les zones dc sitionnels, tels types d'emplois de l'adjectif, de l'adverbe, du
grâce et de richesse de texte traduit. De bonheur- A lire, par temps des verbes, des prépositions, etc. Elle relève, bien sûr, les
exemple, le Nauÿage du Deutschland ou d'autres poèmes de mots récurrents, les mots clefstr. Plus globalement, elle cherche
Hopkins traduits par Leyris, on sent à la fois la longue peine à voir quel rapport lie, dans l'ceuvre, l'écriture à la langue,
qu'a êté la traduction, et le bonheur qu'elle est parvenue quelles rythmicités portent le texte dans sa totalité. trci,le critique:,
{inalement à être.
reJait le même trauail de lecture que le traducteur afait, ou est censé aaoir,t
Insistons sur l'importance de ces << impressions >> : ce sont
elles, elles seules, qui vont orienter notre travail ultérieur, fait, auant et pendant la traduction.
lequel, lui, sera analytique. Se laisser envahir, modeler par ces Le même - et pas tout à fait le même. Car la lecture
<< impressions >», c'est donner un sol sûr à la critique à venir. ll
du traducteur est, comme je l'ai soulignê dans L'épreuue de
ne faut certes pas en rester là, car non seulement toute impres-
sion peut être trompeuse, mais mainte traduction est trom- 62. Ces lectures, pas plus que la précédente, ne sont séparées de lectures collatéra-
peusg et donc produit des impressions trompeuses6'. lcs: lecture des autres æuvres d'un auteur, lecture d'autres traductions du traducteur,
lcctures critiques, informatives, etc. Mais ces lectures collatérales me semblent devoir
interuenir un peu après ces deux premières lectures fondamentales. Il faut qu'il y ait
60. Emmanuel Hocquard, présentation à l'anthologie 49 | I nouoeaux ÿoètes d'abord intimité avec, d'un côté, le texte traduit, de l'autre, l'original. Sans trop de
amérieains, choisis par Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Journoud, coll. . Un médiations.
bureau sur I'Atlantique », Ed. Action Poétique/Un bureau sur l'Atlantique, Royau- 63. « Le style est un travail qui individue, c'est-à-dire qui produit de l'indivi-
mont, 1991, p. l0: « [...] il m'arrive de lire de la poésie américaine en anglais. Mais duel », Paul Ricæur, Du texte à I'action, Ë,ssais d'hermmeutique II,0P. cit., p. 109.
mon vrai plaisir est de la lire en lrançais. C'est alors que vraiment "soudain je vois 64. Cf. Michel Gresset, << De [a traduction de la mêtaphore littéraire à la
quelque chose". Mon contentement pourrait s'exprimer alors dans ces termes : ça, traduction comme métaphore de l'écriture », Reouefrançaise d'études amérieaines, no lB,
jan ais un poète français ne l'aurait écrit. [...] Je tiens à cette idée que la traduction est 1983, pp.502-518. Ce repérage inclut tous les réseaux métaphoriques de l'ceuvre,
cette sorte de représentation dont j'ai besoin pour mieux voir et mieux comprendre souvent négligés par le traducteur. Sylviane Garnerone, citée par Gresset (p.509), dit
(dans) ma propre langue. » làrt bien: « Si le traducteur ne "poursuit pas" les divers réseaux métaphoriques [de
6l, Mais cela, peut-être, sur un autre registre. Lorsqu'un critique, dans un article, F-aulkner] [...] il ne peut espérer communiquer la symbolique de l'ensemble, dont les
parle d'une traduction « brillante », « élégante », etc., il y a lieu de se méter: il s'agit rnêtaphores constituent les arcs-boutants. » Il n'y a pas que les réseaux métaphoriques ;
souvent de traductions qui séduisent pour masquer ou leur défectivité, ou leur ethnocen- il y a les réseaux de signifiants, de termes, de concepts, et Gresset ajoute à ces divers
tricité. Maisil y a aussi d'excellentes traductions qui méritent ces qualificatilir, repérages ceux des.éléments lntertextuels (renvoi à une autre cuvre du même auteur)
principalement parce que ceux-ci valent aussi pour l'original, et des éléments hÿpertextuels (renvoi à des æuvres d'autres auteurs). Bien sûr.

66 67
UT
l'étranger65, déjà une pré-traduction, une lecture effectuêe dans lectures libres
71.
Aucune « analyse textuelle >>, en particulier, et
l'horizon de la traduction ; et tous les traits individuants de pas même celle que ferait un traducteur d'en mener
capab-19
l'æuvre que nous avons mentionnés se découvrent autant dans une véritable, ne peut constituer la base obligée d'un travail.de
le mouvement du traduire qrl auant. C'est en cela que celui-ci traduction, .o-me on le croit parfois, comme on avait cru il y
a quelques années avec Vinay êt Darbelnet, naïvement' que la
possède son << criticisme )) propre, autonome. Il est bien certain
i que ce << criticisme >» ne saurait être purement et simplement trud,r.iiot était de la « linguistique appliQuée »' L'analyse
r fondé sur le face-à-face du traducteur.et de l'æuvre. trl faut qu'il textuelle la plus êclairante - même celle qui vise à repérer des
i recoure à de multiples lectures collatérâles, d'autres æuvres de << translème, " , - n'est et ne saurait être qu'un êtayage traduc-

{ l'auteur, d'ouvrages divers sur cet auteur, son époque, etc. tif parmi d'autres.
Chateaubriand, pour retraduire Paradise lost, disait s'être D'une façon génêrale, il faut refuser avec la dernière
entouré << de toutes les disquisitions des scoliastes66 >>.Jaccottet, énergie, surtàut àepuis qu'on a commencé à enseigner la
pour retraduire L'Adltssle en soulignant son style souvent formu- tradTct'ion littéraireitoute'inféodatian du traduire à un quelcon-
laire, renvoie à des lectures de spécialistes allemands d'Ho- que discours conceptuel qui,-direct.-T.tt! ou non, lui dirait « ce
mère6'. Leyris, pour traduire Hopkins et comprendre son zas- qu'il faut faire » ;ïela 'tàut pour l'analyse textuelle, pour-la
cape, a lu l'ouvrage de Gilson sur Duns Scot. Savignac, pour sa poétique, la linguistique, mais aussi (sinon surtout) pour les
récente traduction de Pindare, a lu ses traductions françaises et Ltradiciologies-» en-rout genre. Ces_ traductologies ont à
allemandes, ainsi que les travaux des principaux hellénistes dêvelopper lËurs discours sui la traduction sans du tout préten-
modernes sur la culture grecqueut. dre ré§ii la « pratique >» traductive. Elles sont du reste autant
D'une manière générale, traduire exige des lectures vastes destinEes (en principe) aux non-traducteurs-qu'aux traduc-
et diversifiées. IJn traducteur ignorant - qui ne lit pas de la teurs. Ainsi doit-il y àvoir non-in{éodation de I'un à l'autre (la
sorte - est un traducteur dé{icient. On traduit avee des liv.res
6e.
traduction ne dépend pas plus de la traductologie que.celle-ci
Nors upp.lons ce nécessaire recours àù.iè.i"t.s (et à d'autres n'est la simple expliciiation du travail traductif), mais auto-
<( outils >) au sens d'Illich) l'étayage de I'acte traductif. Cette notion nomie réciproque.
I

,4
de traduction, car '.- i
est liée, mais non identique, à celle d'étayage de la traduction 1'appefte piAanalyse la lecture du critique
elle-môme7o. .[ü,Ësi e{feitiiêe q-ute pour prêparer la cdnfrontation. Pas P!us,
Qye l'acte traductif doive être étayé n'enlève rien à son que celle du traduiteür, e11è nè saurait échapper au cycle des
autonomie {bncière. Je veux dire par là, d'abord, que les làctures mentionnées. Ces lectures sont plus liées, plus systéma- I

lectures du traducteur ne sont pas des lectures liées, mais des


Tl.YvesBonnefoy,«Latraductiondela-poésie»,inEntretims-surlapoésie'
Mercure de France, pi;s, tgg0, pp' 155-156. u ["'] dans Tlu Sonou of.Iaae'
quand
65. Pp.248-249. Dans toute cette note de L'épreax de l'étrangu, le concept
d'herméneutique est entendu de manière trop restrictive, trop lié à la seule herméneuti- iyeatsl dit de la fille aux"red ^ài*1A lÿs" qutilé est"doomed like Odlsse.us.and thc
que romant.ique r Schleiermacher). i"furAire1ïipi i-.11,ui t.rauit. irrésistiblement. iabouring par "qui boitent/au toin" [-.].
le traducleur
66. Chateaubriand. ,. Remarques » (à propos de la traduction de Milton), iz Ces mo]ts rà me.orrt pas venus par le circuit court.qu'on croit qui va chez
Poüsie n" 23, Belin, Paris, 1982, p. 120. du texte à la traduction, mais par toute une boucle de mon passé l"'.l.er' pensantolen
acneve
67. Philippe Jaccottet, « Note sur la traduction », dn Homère, L'Odyssée, trad. sûr à Verlaine, j'ébauchai une sorte de poème. [."], un poème que 1e n'ar Jamars
que
Philippe.Jaccottet, FM/La Découverte, Paris, 1982, p. 4l l. depuis - .t qrïS'ui mème, ici, douze ans après, soudain déchiré' en somme' Pour
'6-8.
Jean-Paut Savignac, « Préface », iz Pindare, CÛuores nmplètes, trad.J.-P. Saü- - - ma traduction. ,,
vive
in META'
snac, La Difference, Paris, 1990, pp. 7-39. li. Cf. Annie Brisset, « Poésie : le sens en e{fet, étude d'un translème »'sémioliq_u_e'
69. Et pas seulement avec des dictionnaires. 29, 3, sept. 1984. « J, appelle translème une unité de traduction à caractère
70. L'êtayage de la traduction comprend tous les paratextes qui viennent la i., "i
il ,,ueiid',rn e uniù-riiti*, composée d'êléments significativement solidaires [...]. Un
soutenir: introduction, préface, postface, notes, glossaires, etc. La traduction ne peut i.""ife."i." ""-rîiiïi ir riti,;ort qiri unissent, dans un-rapport sémantique, un»ensemble
rp' 263)'
pas être « nue ,» sorls peine de ne pas accomplir la translation^littéraire. Aujourd'hui, les J;Ë;il;pp..t..,unt ,oit au plan de l'expression' soit au»plan du contenu
Brisset dit plus loin, à propoi du caractère t' surcodé du texte poétlque:.
« La
ètayaees traductiG proposés par l'Age classique, puis par l'Age philologique (xIx'siè-
clei, ne suflisent plus. IIs doivent ètre - et sont en train de l'être par certains traducteurs à, t.*te'poéiiqu'e procède donc nécessairement d'une hiharchisalionI'agir des

- repensés. La question de ces nouveaux étayages, et d'un nouveau consensus à ce iri^\e*rt à I'inrérieur'd'un'p.ogrr*-. translatif. , Cette hiérarchisation, dars
""àr.,iâr
propos, est d'une importance cruciale. lo"Lr.t a" traducteur, se fondel on le verra, sur un projet-de-traduction.

69
68


!r

tiques que celles du traducteur, mais elles ne sont pas non plus de théâtre, une ou deux répliques qui, d'un seul coup, nous
inléodées à tel type d'analyse. Sauf que nous considérons, avec disent le sens de toute l'ceuvre de manière précise et aveuglante'
,t
.1,' Meschonnic, Toury et Brisset, que ce que la linguistique, la Dans une æuvre de pensée, des phrases qui, brusquement, dans
.,1
i, "'*"
poétique, l'analyse structurale, la stylistique nous ont révélé du leur structure, atteslent au plus près le mouvement et Ia lutte
de la pensée'6. À h di{ference des << morceaux d'anthologie »r
l:

llangage, des æuvres et des textes au xxe siècle est un « incon-


classiques, ces passages ne sont pas toujours les plus « beaux >»r .
73
. tournable »» du travail critique. Non pas, encore une fois, sL
au "
srrv rvru,
/
i sens où ces sciences, ces savoirs, constitueraient des bases esthétiquem"t i. Mais qu'ils le soient ou non, tous manifestenq i"
contraignantes. Mais à celui où notre approche de la langue, du la signifiance de l'æuvre en une êcriture gtl possède, redi-1
texte, de l'æuvre est marquée par ce qu'elles nous en appren- ;;"J;, le plus haut degré de nécessitê possibte. Toutes les autresi
nent 74. Le critique de traductiôn est plus lié que le traduèteur parties de-l'æuvre sont marquêes à des degrês divers, et quelle
à ces << sciences »», puisqu'il a à produire lui-même un discours (ue soit leur apparente perfection formelle, p1I un- caractère
conceptuel rigoureux. iléotoirt, en ce sè.rs que, n'ayant pas cette nécessité scripturaire
A partir de cette pré-analyse et des lectures I'accompagnant absolue, elles pourraient toujours avoir été écrites <( autre-
va commencer un patient travail de sélection d'exemples sÿlistiques ment ». Ceh vàut même pour le poème le plus extérieurement
(au sens large) pertinents et significatifs dans'l'ôri$nàI. La parfait. Ce dont témoignent, sur toute l'étendue de la littéra-
rigueur de la confrontation - sauf dans le cas d'un teite court ture, les << brouillons >», << versions >>, << états >> et << variantes >>

où << tout >> est analysé - doit forcément s'appuyer sur des d'un texte. L'æuvre {inale est achevée, définitive, mais elle
exemples. Leur découpage est un moment délicat et essentiel. garde toujours quelque chose de cette phase de gestation, de
Sont sélectionnés, dêcoupés aussi, et cette fois à partir d'une Iâto.rrr"*ét t, à partir de laquelle elle a bifurqué vers sa ligure
interpritation de I'auure (qui'va varier selon les analystes), res Iinale. Donc, qüel que soit le degré final de systématicité -et
passages de l'original qui, pour ainsi dire, sont les lieux où elle
d'unité d'une æuvrê, elle comporte par essence des parties
se condense, se rep_r§;eJl-tç{,. se signifie ou se symbolise. Ces aléatoires. Si la proportion de l'aléatoire est trop grande,.ou
passages sont les zonæ signifianlas où une æuvre atteint sa propre
plutôt, si le poidsâe lalêatoire l'emporte sur celui du nécessaire,
visée (pas forcément celle de l'auteur) et son propre centre de
i'ærrr.e s'en voit a{fectée : c'est le cas de certaines pièces des
gravité. L'écriture y possède un très haut degré de nécessité. Ces
Fleurs du Mal, se dit-on parfois. Si, à I'inverse, la proportion du'
passages ne sont pas forcêment apparents à la simple lecture;
nécessaire (pour autant que celui-ci puisse être voulu) l'em-
et c'est bien pourquoi, le plus souvent, c'est le travail interpréta-
porte massire*ent sur l'aléatoire, l'æuvre est menacée par un
tif qui les révèle, ou confirm.e leur existence. Dâns un pôème, ce
àertain formalisme monologique: pensons à Flaubert ou à
peut être un, ou quelques vers ; dans un roman, tels passages;
Valéry. L'aléatoire a sa nêcessitê propre dans l'êconomie de
dans un recueil de nouvelles, la phrase finale de la dernière
nouvelle (comme dans Dubliners deJ.Joycei5) ; dans une pièce l'æuvre.
Cette << dialectique >> du nécessaire et de l'alêatoire (qui ne
doit pas être confondue avec la distinction, elle-même néces-
73. Cet adjectif tellement à la mode maintenant, et considéré comme p&ant par
d'aucuns, a été pour la première fois employé de façon signitcative il y a trente ans et saire et aléatoire, du << marqué >> et du << non-marquê ») est
plus, lorsque André Préau a traduit le mot unumgiinglich de Heidegger dans Essars e, déterminante pour le critique el le traducteur.
conférmces. Heidegger l'employait pour dire que I'Histoire était << l'incontournable » de
Comme l'a dit Genette,
la science historique, la Nature << l'incontournable » de la physique, etc. C'est-à-dire
une dimension déjà donnée et, pour ces sciences, par dôfinition inépuisable. Depuis cette
époque, le mot a commencé à lentement circuler, chez les heideggeriens, bien sûr, puis, l'intongibilité du poétique est une idée « moderne » qu'il serait temps
dernièrement, dans tous les milieux français, y compris politiques et médiatiques. Mais de bousculer un peu""
c'est un vieux mot, venu de la traduction, et d'un traducteur méritoire.
74. Qÿi lirait un mythe comme aaazl Lévi-Strauss ?
75. « Son âme s'évanouissait peu à peu comme il entendait la neige s'êpandre 76. Cf. par exemple les § t et 2 de I'Introdu-c-tion iz Gérard Granel, L'équitnquc
faiblement sur tout I'univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants Gallimard, Paris, 1970, pp: l-5-21 '^ ^ -
antologique de k pm*e kàntienne,
et les morts. »JamesJoyce, Gens fu Dublin, Plon, Paris, 1982, p.250. li, Patimpsestes, Le Seuil, coll. « Poétique », Paris, 1982, p.2Bl'

70 7l
U

L'auteur souligne dans une note de la mêmc pagc quc l'idôc allongement, de telle suppression de joncteur, etc', sans mettre
d'intangibilité du texte poétique, ou littéraire au sens large, est I'évidente qualité de ces traductions' Il s'interroge sur
Iiée à celle d'intraduisibilitê, autre dogme, non spécifiquement "rr.u-ûr"
les « raisons, de miile petits « écarts >» dont la somme semble
moderne, mais sans cesse réallirmé à notre époque et par des dêfinir I'idiosyncrasie âe la traduction. Cette interrogation
poètes, et par des théoriciens (comme Jakobson). La coexis- rebondit s,il éompare ces traductions de Yeats et Dickinson
tence d'éléments intangibles et d'éléments tangibles dans l'ceu- avec celles, disons, de Bonnefoy et Reumaux : encore des écarts,
vre a une immense importance pour le traducteur ; elle prêcise, mais dillêients (l) (c'esr que .huq.re traducteur a rd systémati-l
citê, sa cohérenèé à l,ri, tâ manièie d'<< écarter >>, d'<< espacer
>»,
autant ou plus que celle des éléments << marqués >» et << non
marqués »», l'espace de ses possibles libertés. A l'inverse, la airait au Bellay). Et voilà que pour comprendre la logique dui
confusion du << marqué » et du <( non marqué >», du nécessaire texre traduit nôus sommes rànrràyés at tàaail traductfhi-mêmei
et de l'aléatoire annihile chez le traducteur toute liberté et et, par-delà, au traducteur.
mène à des littéralisrnes (notamment syntaxiques) funestes.
1 Résumons : préalablement à I'analyse concrète du texte
jtraduit doivent être e{Iectuées :
À la recherche du traducteur
j t I une pré-analyse textuelle sêlectionnant un certain nom-
lbre de traits stylistiques fondamentaux de l'original; « Aller au traducteur >>, c'est là un tournant méthodologi-
i 2) une interprétation de I'æuvre permettant une sélection que d'autant plus essentiel q-ue, comme nous l'avons vu plus
ide ses passages signifiants.
Nous nous sommes pénétrés du texte traduit; avons repéré Ëaut, l'une dei tâches d'une herméneutique du traduire. est la
ses zones faibles et ses zones fortes; avons analysé et interprêtê orise'en vue du suiet traduisant. Ainsi la question qui est let
l'original et constitué un << matêriel »» d'exemples exhaustif, iiiarruu, ? doit-elle ët.. f".*.-ent posêe face à une traduction.
raisonnê et représentatif. Sommes-nous prêts à la confronta- Après tout, face à une æuvre littéraire, nous demandons sans
,tion ? Absolument pas. Si nous connaissons le << système >>
tràve : qui est l'auteur ? Mais les deux questions n'ont pas'
stylistique de l'original, nous ignorons tout de celui du texte vraimeni les mêmes contenus. La question sur l'auteur vise les,
éléments biographiques, psychologiques, existentiels, etc', cen-
traduit. Nous avons certes (< senti )> que la traduction avait un 'même"
système, puisqu'elle nous semblait tenir (nous restons évidern- sés illuminer son ;;;.'; ri, u,' nom d'une analyse
ment dans ce seul cas de figure), mais nous ignorons tout du structurale et immanente, on voulait limiter la valeur de ces
comment, du pourquoi et de la logique de ce système. Si nous êléments, qui oserait nier qu'il est difficile de saisir l'æuvre d'un
procêdons à de fugitives comparaisons de l'æuvre et de sa du Be[aÿ,'d'un Rouss".r, d'rrtt Hôlderlin, d'un Balzac, d'un
traduction, par exemple dans le cas d'un recueil bilingue de Proust, d'un Celan, si l'on ignore tout de la vie de ces auteurs ?
(Euvre et existence sont liées.
poésie, il peut bien nous apparaître - tout de suite - une - La question qui est le traducteur I a une autre finalité' Sauf
correspondance globale, mais aussi des choix, des écarts,
des modifications diverses qui, sans du tout choquer, éton- excepdoïs, .o*Â. saintJérôme et Armand Robin80, la vie d-u
nent : pourquoi avoir << rendu >> ceci par cela, se dit-on, alors traducteur ne nous .orr.à.t. pas, et afortiori ses états d'âme' Il
que... rr'.-pê.h. qu'il devient de plus en plus impensable que le
Celui qui lit la version de Dickinson qu'a publiée Claire traducteur reste ce parfait inôonnu qu'il est encore la plupart
Malroux 78, ou la traduction de Yeats par Masson'e, se de- du temps. Il nous importe de savoir s'il est français ou étranger,l
mande forcément le pourquoi de telle permutation, de tel s'il n'esi << que » ffaducteur ou s'il exerce une autre profession
.lg"in.uri".', .o-*" ..lle d'enseignànt (cas d'une très impor-i
78. Emily Dickinson, Poèmes,Belin, coll. « L'extrême contemporain », Paris, 1989. roman
79. W.B. Yeats, Ies c)gnes sailaages à Coob, trad. Jean-Yves Masson, Verdier, 80. À part le ctassique de Larbaud, saintJêrôme-a eu droit à un pittoresque
Lagrasse,1990. quebàcois $ean Marcel, Jérôme ou De la traduition, Léméac, Ottawa' 1990)'

73
72
sur le traduire (les
dont il a internalisê » le discours ambiant
en France) ; nous en tant que compro*it:ill
<<

tante portion de traducteurs littéraires (< normes »). La positio" traductive'


le se-boser du traducteur
voulonssavoirs'ilestaussiauteuretaproduitdesceuvres;de le résultat a'un- ltoio;;'it' t elle- est
Ëhoiti (car il s'agit
Iangue(s) tl;;;i quel(s) iapport(s) il entretient
ouelle(s) ais-à-ais de la trad.uctioii,"rffi'2'ï"i, ""trtis
bilingue, ef de quelle sorte; quels
genres au sens où Alain disait
]ià. autres æuvres il a bien d'un choix), /ie'le ïradutl"t"'
"iiittl-;îii'.1,
d'ceuvres il traduit ;;il";;"t' et quelles ptut ou'<< un caractère est un
serment ))'
traduites; s'il est p"lvttla"tteur
(éas iç fréquent) ou
La position p"--r""ile à ênoncer' et n'a
monotradu"t.r, 1.o*ât CUitt CayronBr) ; nous v'oulons sa-
d'ailleurs nul besorn à;ià;;t ;t:it elle.peut aussi être verbali-
"'i"iÏ"à'"ttï
et. Iittéraires ;
il;î;;t'-;;;;; àr;;,'.*' qàÀ'mes langagiers
au sens ,c.,rrrurrir.rtée,etttô;t*;;;!::'l:::î::::;;T:Htfr*t::;
de traduction
nous voulorr, ,uuo" t'il u fuit ceuvre
..p.Cr"t tutions n'expriment pas
touJours
traductions centrales ; s'il ippar^issent dans des textes
indiqué plus haut ei quelles sont ses traductive, rro,urnt"5"i l"tql;tfft'
ouvrages sur les æuvres qu'il ou-des prises ot- 0,1Ï':
a êcrit des articles, études, thèses' fortement .oae' toi'*;i;J;;'f*es'- lcl' a
;;il"1;l-;.;ii;;ii â e'rit i"' p-ratique de traducteur'
conventionnelles comme les
entretiens' Le traducteur'
guident' 'o
tui traductions et Ia i"i i" a'xa ambiante etles topoi
i"ïî.'rtiir.ç., q"'^^r"
t'' 'e' tendance à laisser Ë*'à"
itrar.,ià" en généial
"-ï;ii;-q;ieît irno"arotrt"ls sur Ia traduction' - ^r:-,^ q^,,o Io *'b]'Yl-
déjà beaucoup' mais qui risque de n'être que C'est en
traductive
étaboraÏiiit'î"titron ue'la ",rhiecr:
li fu" âlitt pltrs- loin' et déterminer sa
et acquiert son épaisseur Sr$ril-
I

Dure (( informationi vité du traducteur se constitue


;;; ËË son horizon
à; irud'ctio" et toujours par trois dangers
liÏtli'iliffiffi,
traductif.
fiante prop.", *t"iààt'"àtp"i'
maieurs : l'informité1"Àefe"i"tqt'"'
iu triberté capricieuse et la
H1;iil;';;^l;;rrâ;;'I}t' yrlu-uir,r"iae
"iv
u pas de traducteur sansr
positions rraductives
La Position traductiue oosition traductivelffi;î
spécifique.avec.sa l-.,rr. de traducteurs. Ces pos-itio''*
p""""t être reconslituées àr:
Tout traducteur entretient un rapport « conceptron » ou qui ft''ii'*t i*plicitement'
oarti" des traductions elles-rnêrnes' l,
pr.;;;+irità,,.'.tt-a-dire a une certaine
de ses finalités' de ses ft à partir a", ai"ï"' énonciatio"i q"t Ie traducieur a faite§ rl

(( perceptlon , ou i'udt'ire, de §on sens' ou to"'.it"i* it"tneÀtt »' Ellesi i

tt percepdon » qui ne sont sur ses ffaductions, le traduire


formes et modes. ..Conception et
» traducteurs : leur .'
sont par ailleurs ridt"e'iJiiilionîon-gog;endes ti
pu,g,,,:T-:ïï:1',#'lÏil,::ul*,":l$: j:::':î:üft:Tüi rapport tr* lu"g'f' étttffiràs;l
; Ë lansue maternelle' leur Ttll

formes empiriques diffêrentes'


ii::ti,ilp'.,Ti'rî ï"à,;t;; être-en-langu.' lqtti ptt"àLilt
l

1.t é.iiù*- Iitteâire) . -ta r,


spécifioue' distinct des autres
pour ainsi dire' le « comprom:l'-:it* mais est toujours ;"i*'à't"sues et
position traductive est, par pas concerno out Ia traduction) il
Ë;;;l#J;;il. ttuâütttur perçoit en tant-que suJet pns êffe-en-langues qui ne sont et aux
rapp^ort à l'écriture
iZ'iïtiîrâirira,ii'i6i,la tâche de-la traduction' et la manrere à Ieur position scripturaire (leur prendre en vue en mème temps rl
æuvres) ' Quand
'â"' 'ut'r""siui'' gugiate e t position scrip t uraire
posi tion tr^a,,t tiutl îo"'îtîàrr
Ï1,
sujet traduisant»> sera
81' Claire Cayron, Sésame' pour la lraduclion'
L'e Mascaret' Bordeaux' 1987'
d'u"tÀ t'ué"teurs ? Et comment ? ôhez le trud"tt''J,;; t'théoiie-du
82. îï]ii"ffii";';ili;;";'
Liste non close' possible .
etc. \

ir,.':;Hi:' Lxiii:l'ï:' i,$H;î'!"r' "''r:": i;1;'riïil"'T3'::'l*:*;


:ii&#â. üdt".-rËi;âijî.,ï: ïf L1;îï, j:.ï nruï:,i::,:if..i:ï:fJ:
"E

Trieb a d'êplov9:t- 9"i,"- Jonné FrË-ud' et


inévitabtement - à partir i" ':;'à;;i;i; o'
ô fi i; » du sujet traduisant' Nous savons
:ff#,ïî;'ï.ifi':.'T"':'^;:Ï:"J'â:"Ë;';ià. i:t*:d:::3,',ï':î-o,::.T"
« pousse trr t'ââui*' ce qui le u pousse dans
" iI.loll.n.ore, n'ayant pas encore de « théorie de traduction'
traducteur un traducteur: ce qui 1e ' à;
peut surgir à:tiÈrne*t" ou être réveillêe p;;;tPt
à ious les destizs
l'espace du traduire' ôttt" pïl'io" iq'ale est sa spécificité Nous
? un*iquement qu'elle est "
elle-mème pu, u,, ut"I['l:"T...;;.'*it-p'T'it" 75

7+
>» de traduire' qui
mode » de traduction choisi, leur manière
«
projü de traduction .<
Le
est la secondc face de lcur projet-'
Iorsou'il est énoncé par
Dans mon intervention à la «Journée Freud »> d'ATLAS, cn Lesformes d'un proiet dL tiaduction'
tut de la traduction
1988,je tentais pour-la première fois de prêciser le concept de Ies traducteurs, sont;'"ïü;'.^Èt;;;tls'tt
projet de traductione. quarut'tain-e d'années : si le projet
de Shakespeare depuis "nè
celui de Bonnefoy est
de Levris esr assez Utie**.it exposêsi,
L'union, dans une traduction réussie, de l'autonomie et de l'hétéro-
-"i"i
ilH#.;;;;â;;;';;iié;;;;"'Ë itre dit' à une << certaine idêe
nomie, ne peut résulter que de ce qu'on pourrait appeler un projet de
tiaduction, lequel projet n'a pas besoin d'être théorique. [...] Le T;'iïËi;'.;i;;ôà;; d' Dfnr1§ est non seulement
traducteur peut déterminer a piori quel va être le degré d'autonomie, entièrement explicitj it;;t ttt"i aàt PUF pour Freud)' mais
incluant aussi bien le
ou d'hétéronomie qu'il va accorder à sa traduction, et cela sur la base théorisê sous la ror*ttàiit''pt"i"isitual
je dis pré-analyse parce qu'on n'a jamais la traduction thêâtrale'
d'une pré-analyse - mode de traduction,ït tdnt"'io""'ur les types de
I vraimeât analysé un texte avant de le traduire - d'une préanalyse du la traduction de Shakespeare en particulie; et
texte à traduires.
paratextes qui vont étayer les.textes
tradurts--'
apparaÎt pour ie
Ici critique un cercle absolu' mais non
i Toute traduction conséquente est portée par un projet, ou de son projetl.*uit-l.u
J'visée articulêe. Le projet ou visée sont déterminés à la fois par vicieux : il doit tir. ü'ttud""ii"â e partir
accessible qu'à partrr
ila position traductive et par ies exigences à chaque fois spécifi- ;;;i;;-à" ;" projet t" "o"t est {inalêment de translation littéraire
iques posées par l'æuvre à traduire. Ils n'ont nul besoin, eux de la traduction ellà-Àême et du type dire et
aussi, d'être énoncés discursivement, et a fortiori théorisés. Le ô';î;';;"-";iir. o. to" ir;-,;; "' q"'"'.t'aducteurlapeut traduction'
p'à;ti ieAite que dans
'
projet dêlinit la manière dont, d'une part, le traducteur va écrire à propos ".u
la tradrlcti"on n'est jamais que-la réaliqation
accomplir la translation littéraire, d'autre part, assumer la Et cependant, j-usqu'où lu
'du
le prolet'
oroiet : elle va r» tu *e"t le projet' et
tlt

traduction même, choisir un << mode »» de traduction, une P::t


« manière de traduire »>. Prenons le cas des traducteurs qui ont Ëiiiï ârïr" *'iic a" p"i;ti q'1* nous révêlant commmt'
lti
"i"t ("t ,t;;Ë;;ttit""' t'ii a êtârêalisé)
il a étéréalisê
et quelles onti l

décidê de faire connaître en France l'æuvre poétique de


Kathleen Raine. Ils avaient le choix entre plusieurs possibilités : ;'éliJIt?kl"J.iïi;:';l';llîTx$';iiïHi:i'*,:r."", Ii
faire une (( anthologie >> des poèmes de Raine à partir de ses résultâts ne sont que la
di{Ërents recueils, ou transmettre ces recueils eux-mêmes, tout mais voyon, t., ,e"-rt"tJt'ibu' tttaits ii
? pa:'
ne << tient la faute
ou partie. Ils ont choisi de traduire plusieurs de ces recueils dans rêsultante d, p.oi.r-§i ia traduction celui-ci'
â" *"i p'àitt, o" à..tel aspect de
leur intégrité86. Ih pouvaient, ensuite, proposer une édition il;;-tôJtutrc conditions' à entrer dans ce cercle 1i
monolingue (français seulement) ou bilingue. Ils ont choisi la Il reste ur, ".r*ü'i;;;t:";
seconde possibilité. IIs pouvaient, enfin, présenter une édition et à le Parcourir' que ceux qui confon-
ces aflirmations ne peuvent choquer
iir
« nue )>, sans paratextes (introduction, etc.), ou une êdition
êtayêe (avec paratextes). Ils ont choisi la seconde possibilité. ))' en avant-proposà(Ewres ii
Ceci est leur projet de translation littéraire. Par ailleurs, l'étude 87. Pierre Leyris, t Pourquoi retraduireShakespeâre
ntu'n*is du Livre' Paris' t954' Pierre
<<ft"tilËt iàntï''-ètuU 4'
de leurs traductions (et elle seulement, puisqu'ils ne disent rien, conplàtes de Shakespeare,
" trad'ctivrs"' L'Âne' no
Levris: . une posture ","iT'iàîïrtttiJns'd-eL:y1L'. à son Macbeth (Aubier Montaigne'
[ëvrier-mars
1

dans leurs paratextes, de leur travail traductif) nous révèle Ie tg82, Paris, p. +l' L'int'oâirà;;;ïil;;'
i;^ti'' ttizz; "t traite oas de [a traduction'
coll. « Montaig,. ', torr'îiiii"àï-t-"' L iâat dJ la traductiol» d'Yves Bonnefoy'
Shakespear.' aà7'^tÏü ât
88.
ti
84. Emprunté initialement à Daniel Gouadec, qui I'utilise dans Ie contexte de la
traduction spécialisée. **.#:j;llf,i,:i.i*ï,lil',. r a traduction : le tissu des mots
», ir shatespeare, f,e I

85. In Cinquùmes dt la traduction litüraire, oP. cir., p. ll+.


assises Paris, 1987'
86. Kathleen Raine, ,§zr un rfuage désert, trad. Marie-Béatrice Mesnet et Jean Marchand de venise,
".5]"i1ùi'ôeî;"i.,"ôàr"ea,*Erançaise/sand,
Mambrino, Granit, coll. du « Miroir », Paris, l97B ; Katleen Raine, lsai nrrante, Trad. oo' à la suite de mon intervention à la
'ü'iiiitin
'â3:'ât les remarques de Bernard LortholarY op. cit., ii
françois-XavierJaujard, Granit, coll. du « Miroir », Paris, l97B ; Kathleen Raine, Zc d"r;àiii';,;';iii,tr tiuhaire, PP.146'1si.
pranier jour, trad. François-Xavier Jaujard, Granit, coll. du « Miroir », Paris, IgB0' «Journée Freud »

77
76

I
ç

dent (à quoi invite peut-être le terme) projet avec projet théorique ce quc Hôlclcrlin disait du poète, que sa.1( sensibilité.doit être1
ou schéma a priori.Il est bien certain que tout projet entièrement entiircment organisée ». Le traducteur allemand de littérature
iexplicité et déterminé devient, ou risque de devenir, rigide et laiirro-a-é.icalne Meyer Clason me disait un jour qu'il était un
, dogmatique. Ainsi la « règle » de plus en plus acceptée (non Bauchüberset<er, ûn traducteur qui traduisait avec son ventre'
sans de bonnes raisons) selon laquelle à un mot marquê de C'est bien ce que tout traducteur doit être aussi s'il veut que sa
l'original doit toujours correspondre un même mot dans le texte traduction ,ro.r, pr.rrrre, elle aussi, au ventree4' Mais Meyer
Clrrorr, qui avaii traduit Grande sertdo : aeredas, de Guimarâes
traduit quel que soit le « contexte >», règle que la tradition n'a
il;, .rrà..rrr. elle-même marquée par un mélange d'oralité
pas connue, tien au contraireel, peut-elle acquêrir un tour
pô;i"il et de réflexivité, savait iort 6ien gue-.so.l travail avajt
rigide. Certes, quand Georg Trakl ernploie l'adjectil leisa dans
rses poèmes, il faut toujours le traduire identiquement, car il Ë*ige a. lui toute une réi1exion, qu'il avait d'ailleurs exposée
s'agit chez lui d'un adjectiffondamental. Il en va de rnême pour dais un article rien moins que naïf'
,' t
. ,ll
'gerne chez Hôlderlin ou because chez Faulknere2. IJn traducteur
rétranger serait soumis au même impératif pour l'adjectif aaste I-'hori<on du traducteur
ichez Baudelaire. Mais ceci n'est
ÿas ghéralisable. I-a règle, à mon
sens, cesse d'être absolument valide lorsqu'en vertu de la Position traductive et projet de traduction sont, à leur tour' ,

présence des éléments aléatoires ou stêréotypés qui existent dans pris dans un hori4n. J'.-prr"rrt. 1...*ot et le concept à l'hermé-
tout texte, un mot clef perd rnomentanément son caractère ;;;rq;; Àod".t.. üe"el'oppe phiiosophiquement P.]r Hu;sgrl
marqué. Tel est le cas pour les mots Wunsch et wünschen dans un etFleidegger'1|aêtêélaborédemanièreplusconcrète.etêp§.
texte de Freud. ie*otogi!îe par H.G. Gadamer et Paul Ricæur, puis, pour ll
La phrase française de la traduction des PUF : << S'agissant iÏ,.;;é-"Ë"tique littéraire, de manière extrêmement lêconde
;;; il". RoÈertJauss". b'ert sous cette forme qu'il est parti ll
de telles fructueuses diflicultés, le cas de maladie à décrire ici ne
laisse rien à souhaitere3 r, correspond, pour la lin de la phrase -.--ô"
Luiièrement bienvinu pour une hermêneutique traduc-tive' ll
allemande, à « nichts zu wünschm [souligné par moi] übrig». peut défini, ., pt.*ière approximation.,l'horizon
Wünschm, comme Wunsch, étant un terme clef de Freud, les comme liensemble des paràmètres iangagiers, littéraires' cultu-
traducteurs ont décidé de le traduire ici aussi par << ne laissait rels et historiques qui .<. déterminent >» Ie sentir, l'agir et--le
Denser d'un tràductàur. Je mets <( dêterminent entre
» guille-
rien à souhaiter »», et non par l'expression figêe française au de
correspondante <( ne laissait rien à désirer >>. Non seulement cela t.,r, .u. il ne s'agit pur-d. simples déterminations sens
l

conditionnements, qüe ceu*-ci ioient pensês de façon-causale


heurte à la lecture, mais il me semble qu'ici, wünscken - en tant
que pris dans un syntagme stéréotypé - a perdu sa signi{icati- ou de façon structu;le, Prenons un exemple-: lo-rsque Philippe
vité, et qu'il faut donc le rendre par « désirer »>, cela même si, Brunet ràtraduit Sappho, en 1991, llhorizon de §a retraduction, ï

dans le même texte de Freud, il y a de nombreuses occurrences cii-iort;r-at-qqoi rlràirad,rit Sappho, se spêcifie en une pluralité
du Wunsch ou du aünschen marqué. J'hdrizons pi..s ou moins articulés entre eux' Il y a., d'abord'
i" C,u, , dË ta poésie lyrique contemporaine française' Il y.a' l1r

Une dernière remarque au sujet du projet de traduction: et, plus gênérale-


son existence ne contredit point le caractère immédiat, intuitif, ."rri, f. savoir sur la plcti. lyrique gtecque
du traduire - si souvent invoqué. Car l'intuitivité de celui-ci est
94. George Belmont raconte l'histoire de la cuisinière sa.voyarde ^d'un l1rj :l*
,traversée de part en part de réflexivité. Vaut pour le traducteur oui.lorsd.une-soirée,unpoèreirlandaisavaitludevarrtl'auditoiresatraductlono'un pas'
Hèl#'à;Ë;il;;i. l,I.i"iat. avait écouté, puis avait dit: '<Je ne comprends
q'. in Encrages'
ffit.'Ë;, ;i;;;.;;;;;; ça me fait un'tonnerre dans le ventre "'
91. Robert Aulotte, «Jacques Amyot, traducteur courtois>>, in Reotu des sciences ,,, Ü"iu.Ëité àe Paris VIII' Paris' l9!0,,1'4-5,' P: 183:-,,,,^.,.
humaines,Josê Corti, Paris, avril-juin 1959, pp. 131-139.
.,'p"ali.Àîàa*,ion
g5.NotammentdansPozruneherméneutiqullittcraire,Gallimard'co[I.«.t,lbllotne.
92. Michel Gresset, « Le "Parce (lue" chez Faulkner et le "Donc" chez Beckett r>, particulièrement pP' 25-26' Jauss a même lalt
qr. à.. iae., ", Paris. 1988. Voir
in lts ltwes nouacllcs, nov. 1961, pp. 124-138.
93. Sigmund Eretd, (Euwes eomplàtzs, vol. XIII, PUF, Paris, 1989, p. B. lthistoire du concept d'horizon.

79 il
7B
i
ÇT
ment, la « culture »» grecque qui se développe aujourd'hui - possibitités limitéess't . L'usage de. la langue le confi rme'
qui parle'
notamment en France -, et qui di{Ière profondément du savoir po"t t. premier sens, d'unè << vie sans horizon » (sans ouverture)
des siècles antérieurs. Ce savoir atteste lui-même un autre Iu* p.ï't"p.ctives) .i, po.rt le second, de quelqu'un qui a un
rapport à la Grèce antique, et à l'Antiquité grecque et romaine << horizon
-- limité ».
en général. On ne peut pas ne pas remarquer que cette À;;6"oncept d'horizon, je veux échapper au fonctionna-
lisme ou au << structuralisme » qui réduisent le traducteur
au
retraduction survient à un moment où, en France, se multi-
plient les travaux des historiens sur les poètes grecs et romains ; râi" a;"" << relais >> entièremenf déterminé socio-idêologique-
de
où des traductions et retraductions de poètes grecs et romains ment et qui, en outre, ramènent le rêel à des enchaînements
comme le disent Ricæur
se multiplient également ; où les textes'des grands << classiques >> i;il;;â.lrt;1èmesee. Ici, il est question,
de l'Antiquité (Sénèque, Cicéron, Pline, Ovide, Plutarque, ;;ir"*-â;iroÀ*r, d'ripérie,ti, de monde, d'action' de dé- et de
fondamentaux de l' herméneuti-
etc.) paraissent dans une collection spéciales. Toutes choses reclontextualis ation, tnts câncepts
que moderne étroitement corrélés et qli ont en outre'
qui, conjuguées, témoignent d'un mouvement en profondeurde au molns
premiers, dualitê : ce sont des concepts
notre culture vers la Grèce et la Rome antiques - dont nous oour les quatre la même
>> et << nêgatifs >>'
ignorons encore le sens et la portée - et donc, pour utiliser ;l; Ibt; I "u3..iirt » et <, subjectifs >>, « positifs
l'expression de Jauss, attestent l'existence d'un certain << hori- qui pointenito.r, une linituâe et une in-finitude' Ce ne sont'
.'ar,Ër, pas des concepts « fonctionnels >>, en ce sens--qu'ils
se
zon d'attente »> d'un certain public français tourné/retourné
vers la << chose >) grecque et romaineeT. prè,"ia"""i"s à lu tonstruction de modèles ou d'analyses
saisir la
ll y a, aussi, le rapport que la lyrique française contempo- LrÀ.t, rnais ils permettent, à mon avis, de rnieux et ses diverses
raine (avec toutes les << matrices »» qu'elle olfre au traducteur) àir"."tio" traductive dans sa vie immanente
entretient avec sa propre tradition (..j.t, éloignement, intégra- dialectiques. i

laque-lle est
tion, continuité, rupture, etc.). Seul ce rapport permet - ou Ce recours avouê à l'herméneutique moderne'
l'Histo-
non - au traducteur de recourir, éventuellement, à des formes simultanérnent une.éfl"*io,t sur le Foètique, 1'F'thique'
r00,
nous paraît fondé dans la rnesure exacte
de poésie lyrique antérieures pour retraduire Sappho. .iq,r. et le Politique
Il y a, ensuite, la totalité des traductions existantes de ;i-il-;;;t fb;irméntaux' de notre traductologie. sont Ia
Sappho en France, depuis le XVI' siècle. Qpe le traducteur ooétique. l'éthique et I'histoire, c'est-à-dire que le dêveloppe.-
a
choisisse ou non de les lire, il appartient à une lignée, qui fait Àent'autînome dè nos recherches traductologiques rencontre'
de lui un retraducteur, avec tout ce qu'implique cette position. ;-;;;i; point de sa trajectoire, l'herméneutique qui' par
lly a, enlin (mais cette liste est-elle exhaustive ?),I'état des de notables retraduc-
discussions contemporaines, en France (et même ailleurs en 98. Le théâtre jouant son rôle ici, et fomentant lui-même
Bruno Suy"î, t;"t'; en scène' écrivain et traducteur' traduisant et
à
tions: oensons "i"i;;
Occident), sur la traduction de la poésie, et la traduction en iï";sià;-,; i;;;;hl;,ïàii »*oi'":l, luî" rhêât:e du soreir
re87) ; au
" Mayotte et Jean Bollack'
génêral. montant Euripide aun. u,,JtEit-uaucrion très méditée.de
"-"il';;;îJ.-ô.
Il est aisê de voir que tous ces paramètres forment l'horizon n"ilv ïi:"r*; q!-qt* : '< [."'l c'est I'horizon qui est [a clôture »
(ink paradis dulms,Bourgois, Paris, 1988, p' 79)' lt
obligé du traducteur de Sappho, et que cet horizon est lui- '"' -ô6: j; nie foint, ti."irià.. É. ces déterminations et la valeurjour des

même pluriel. "q;iil


"; "-ü;;à;;i;
eï ne conteste pas' plus gé.néralement' ce qu'a dit un
""tly..;
Ê""1""i,1 r.rt "*plor.nt
f.rt er.. fÀé dans l'oidre âu syitème' de la règle et de la norme' »
La notion d'horizon a une double nature. D'une part, "
(Michel Foucault, tu *otr'ii iiinoses, Gallimarâ, coll. «Bibliothèque des sciences il
désignant ce-à-partir-de-quoi I'agir du traducteur a sens et peut se humaines », Paris, 1966, P.372')
"*"iîô. ô" p""fifî.u"ài'âeuaoppu, ici le iien (lui-même histolqle) dy traduire
,déploler, elle pointe I'espace ouuert de cet agir. Mais, d'autre part, elle et du
"t"
politique u,l ..r, t".ilià;ü;r;; Âgt arabe et chrétien et à la Renaissance' la
i désigne ce qui clôt, ce qui enferme le traducteur dans un cercle de .àr"ilù"rià* Étutr-Nuüàr.-J.ti .âut."i. de vêritables « politiques de ,la. traduc-
Sur ces politiques en
tion ». Il en va de *er". uuJou.a'hui, de manière.di{Ërente'
1

Ërï.o.ï,i.r. pÀiur. acriü'pp";t*, ti mon article « Les svstèmes d'aide publique


de la traduction
96. Aux présupposés et aux procédes d'ailleurs suspects. à la-traduction en Europe >>, in Entrages, lJgYt!99t-e"oPgtlltt
97. Hans Robert Jauss, Pour utu hnméncutique littéraire, op. cit., p. 366. ;#;l;;;il;;, iz, u"i'é*ité de Pàris vltrI, leB7, pp' 12-22'
"'
B1
80

I
trT

ailleurs (sauf assez vaguement chez Gadamer), n'a pas touchê - étude du projet de traduction;
les questions proprement dites de traductionr0r. - étude de l'horizon traductif'
En s'appuyant sur cette pensée, il faut certes éviter de faire Ces trois moments ne se succèdent pas linéairement' Si
de la « philosophie de la traduction »» et de nous enfermer l'analyse de l'horizon est - en principe - prêliminaire, celle de
totalement dans sa problématique. L'herméneutique traduc- la position traductive et celle du projet peuvent difficilement
tive - pas plus que l'herméneutique littéraire - n'est une êtrà séparées. L'analyse du projet elle-même, en vertu du cercle
sous-partie de l'herméneutique philosophique, et celle-ci n'est évoquê plus haut, comporte deux phases: -
qu'un (< courant de pensée >> dans la Babel philosophique
j ut. première antlyse se fonde à la fois sur la lecture de la
moderne. Il y a d'autres courants philosophiques concernés par traduction ou des traductions, qui fait aPparaître radiographi-
le traduire : nous avions cité pêle-mêle Benjamin, Heidegger, quement le projet, et sur tout ce que le traducteur a pu dire en
Derrida, Serres, Q,uine, Wittgenstein (en fait, aucune philoso- des textes (préfaces, postfaces, articles, entretiens, portant ou
phie moderne n'échappe vraiment à la rencontre avec la non sur la tiaductioî tnut ici nous est indice) quand il y en a'
dimension traductive). En outre, il y a les réflexions de la En fait, il y a t oujours, quand on cherche bien, parole du
psychanalyse sur la traduction et l'être-en-langues, constantes traducteur,'parfois à interpréter, sur la traduction. Le silence
àepuis Freud lui-même'o'. E!!t, il y a tout le travail de la total est très rare;
linguistique sur la traductionros ; et même - moins développé - - le travail comparatiflui-même qui est, par définition,-Yne
de réalisa-
celui de l'ethnologie (Malinowski, Clastres et maints autres). analyse de la traduètion, de l'original et des modes
tion âu projet. La vérité (et la validité) du projet se mesure ainsi I

Voilà définie la troisième étape de notre Parcours, qui s'arti- à la fois en elle-même et dans sln prlduit.
cule elle-même en trois moments:
- étude de la position traductive;
101. A. Berman, <<La traduction et ses discours >>, in Co1frontation, n" 16, Paris, '!/
automne 1986, p.87. L'ANALYSE DE LA TRADUCTION
102. Citons ici pêle-mêle les études ou indications de Lacan, Laplanche, Bettel-
heim, Granofi Allouch et la revue Littoral, Bernard Thys, German Garcia, etc. Les
écrits analytiques sur la traduction vont de réflexions sur les « problèmes » de -la
traduction de Freud (et, plus récemment, de Lacan) à des interrogations plus radicales
sur le traduire lulmême et l'ètre-enJangues humain. Cette penséc psychanalytique de Nous voici, à n'en Pas douter, arrivés à l'étape concrète et
la traduction n'est pas transJerable, en ce sens qu'elle ne peut être que l'ceuvre des
psychanalystes eux-mèmes. Je signale en passant que L'épreuoe de l'étranger a trouvé des
dêcisive de la critique de traductions : la confrontation fondée
lecteurs attentifs chez les psychanalystes. (fondée en ce sens qu. t orlt nous sommes assuré une série de
103. Dansmonarticle<rLatraductionetsesdiscours>>,oP.cit.,pp.83-95,I'apport botrt pour la faire) de l'original et de sa traduction.
de la linguistique à la réllexion traductologique est indûment sous-estimé. Un certain
préjugé antilinguistique >r, dû peut-être au renom à mon avis excessifde l'ouvrag-e de
"
ôeàr§es Mounin, Les problèmu théoiques de la traduction, ouvrage tout à fait digne
d'intérêt, mais nullement central (même dans l'æuvre de Mounin), s'y manifeste'Je
pense maintenant que la linguistique, correctement interrogée, nous fournit de précieux Formes de I'anal.llse
èt indispensables éléments pour une réflexion rigoureuse sur le trad]r,tre: pensons à
l'æuvre-de Benveniste, par exemple. Plus généralement, j'estime que I'herméneutique
traductive, d'une part test pas le seul ,, discours, sur lâ traduction, qui en détiendrait
la vérité, mais què la dimension traductive concerne lozs les savoirs et disciplines, et La forme de l'analyse pourra di{Iërer selon, d'abord, qu'il
qu'ils ont le « droit >> d'en traiter. Il y a donc intérêt à étudier, êcouter, assumer ce que s'agit d'une traduction (zz poème, uze nouvelle, etc.), de la
nous disent ces savoirs et disciplines de la traduction. C'est même indispensable' Par
ailleurs, la traductologie - qu'élle soit herméneutique, fonctionnaliste, etc. - est le seul
traâuction d'un ensemble (recueil de poèmes, etc.) ou d'une auüre
discours à traiter seulemen dè la dimension traductive. On a donc d'un côté des discours entière de traducteur. Dans tous les cas sont analysées des totalités
divers non traductologiques traitant de la traduction de leurs points de vue, de I'autre entières,non des extraits isolés, ponctuels. En fait, les trois cas de
un ensemble de discôurs - dénommês traductologie, translatologit, science of translation, Iigure ne sont pas aisément distinguables, puisque l'analyse
Überset4ngsuissenchaft - souvent hétérogènes, mais qui ne traitent que du traduire.

83
82
U'
d'une traduction d'zn traducteur peut difficilement se faire sans méthodes du traduire de Schleiermacher, la traduction espagnole
l'examen de ses autres traductions. C'est simplement, à chaque de V.Garcia Yebra ne m'a pas peu aidé. Quant a:ux Septfous de
fois, le centre de gravité de la critique qui se déplace. Roberto Arlt, nous savions qu'il en existait des versions ita-
Elle di{Ière ensuite selon que l'analyse porte seulement sur lienne et allemande bien antérieures à la nôtre. Nous venions
une traduction de traducteur (selon les trois modes mention- << après >». On peut considérer enfait que toute traduction qui uient apràry
,..
nés) ou procède à des études comparatives avec d'autres une autre,fût-elle étrangère, esl ipso facto une retraduction : ce quifaitf l'-
traductions de la même æuvre. Il existe par exemple des qu'ily a bien plus de retraductions que de premières traductions t I
études des traductions allemandes des Fleurs du Mal (George,
Benjamin, etc.). Si la méthodologie de base reste la même, la
Il s'ensuit qu'une analyse de << traduction >» est, presque
toujours, une analyse de retraduction qui, tout en se centrant
forme finale de l'analyse change. Mais ceci n'est qu'un cas de
sur une æuvre de traduction telle ou telle, (< convoque »» aussi
figure. Plus essentiel est le fait que, même si l'on ne considère
d'autres traductions, et souvent doit mème le faire : on imagine
fondamentalement qu'une traduction d'une æuvre, il est
toujours fructueux de la comparer aussi à d'autres traductions, mal qu'une étude de la traduction du Procàs de Kafka par
quand il y en a. L'analyse de la traduction devient alors Goldschmidt se passe de tout renvoi à la traduction antérieure
analyse d'une re-traduction, et elle l'est presque toujours. Du de Vialatte.
moins est-ce sa forme la plus riche. Cela, en vertu du fait que La comparution d'autres traductions dans l'analyse d'une
l'analyse d'une << prernière traduction >> n'est, et ne peut être, traduction a également valeur pédagogique. Les << solutions >>

qu'une analyse limitée. Pourquoi ? Parce que toute première apportêes par chaque traducteur à la traduction d'une æuvre
traduction, comme le suggère Derrida dans la note citée plus (qui sont fonction de leurs projets respectifs) sont si variées, si
haut, est imparfaite et, pour ainsi dire, impure : imparfaite, inattendues, qu'elles nous introduisent, lors de l'analyse, et
parce que la défectivité traductive et l'impact des « normes >) pour ainsi dire sans autre commentaire, à une double dimen-
s'y manifestent souvent massivernent, impure parce qu'elle est sion plurielle: celle de la traduction, qui est toujours les tradtc-
à la fois introduction et traduction. C'est pourquoi toute tions, celle de l'æuvre, qui existe elle aussi sur le mode de la
<< première traduction » appelle une retraduction (qui ne vient pluralité (infinie). Le lecteur ou l'auditeur, par le travail de
pas toujours). C'est dans la retraduction, et mieux, dans /us l'analyse, est ainsi amené à se libérer de toute naïveté et de tout
retraductions, successives ou simultanées, que se joue la tra- dogmatisme. Fédagogiquement parlant, cette pluralité de tra-
duction. Non seulement dans l'espace de la langue/culture ductions d'un même texte est stimulante : malgré le nombre de
réceptrice, mais dans d'autres langues/cultures. Je veux dire versions élevé des Sonnets de Shakespeare, moi aussi je peux les
par là que l'horizon d'une retraduction française est triple, de (re)traduire. Maintes retraductions surgissent après la lecture
ce point de vue: d'une traduction, en poésie notamment.
- les traductions antérieures, en français ; La forme concrète de la critique variera, en{in, en fonction
-* les autres traductions françaises contemporaines ; des genres d'æuvres traduites, des æuvres particulières concer-
les traductions étrangères. nées, etc,
i L. cas n'est point rare où le traducteur « consulte >> les
;traductions étrangères pour traduire telle ceuvre, même pour la
ipremière fois, dans sa langue. Il suffit même qu'il sache, Iût-ce La confrontation i!
f
par ouï-dire, que l'æuvre a déjà êté traduite quelque part, pour
ique la nature de son travail change. Il n'est pas le << premier »>.
Les deux cas de figure se sont présentés pour moi; lors de la La confrontation s'opère, en principe, sur un quadruple
traduction de lo el Supremo de Roa Bastos, j'ai consulté la mode.
traduction allemande (antérieure) i pour celle de Des dffirentes Il y a en premier lieu une confrontation des éléments et ,

84 85
Ço
passages sélectionnés dans l'original avec le << rendu » des D'autrcs (mini) discordances peuvent résulter de choix de
réléments et passages correspondants dans la traduction. traduction qri, -o-"ntanément, violent le projet parce qrr'ils
Il y a, ensuite, confrontation inverse des << zones textuelles >> .béissent à àes lois di{Ierentes. Ce cas n'est pas rare, et il s'agit
jugées problématiques ou, au contraire, accomplies, de la souvent d'interfêrences du discours « doxique >> auquel aucun
traduction avec les << zones textuelles >> corresPondantes de traducteur ne peut échapper totalement (par exernp^le quand le
l'original. rraducteur r. à"t à clarilier indûment, à étirer, à « franciser »).
Ces deux confrontations n'ont évidemment pas à être En bref,, c'est la ftnitude du traducteur qui « explique » les
juxtaposêes mécaniquement comme les pièces d'un puzzle. discordancet pu. iupport au projet. Mais il ne-peut s.'agir que
Il y a également confrontation - au sein des deux premiè- de discordarrôes po.rètuelles qui peuvent d'ailleurs être assez
res - avec d'autres traductions (dans la plupart des cas). nombreuses.
Enfin, il y a confrontation de la traduction avec son projet,
qui fait apparaître le << comment » ultime de sa réalisation, lié,
en dernière analyse, à la subjectivité du traducteur et à ses choix Le sÿle de la corfrontation
intimes: à projets quasi identiques, traductions di{Iérentes,
toujours; elle fait aussi apparaître, comme il a été dit, ses
<< conséquences » : ce que le projet << a donné >>. En tant que travail d'êcriture, la confrontation doit alfron-
Cette dernière confrontation ne saurait constater de discor- ter le problème de sa communicabilité, c'est-à-dire de sa lisibilité.
dance entre le projet et sa réalisation, ou, si elle en constate une, Car cà[e-ci, comme il est aisé de le voir en lisant maintes
elle doit déterminer sa nature, ses formes et ses causes. Le plus ,"rfyrlt a. iraductions, est menacée par.plusieurs.dangêru: ,
souvent, lorsqu'on croit découvrir une telle discordance, c'est - la technicité terminologique (avec l'emploi de termes de
qu'on a soi-même analysé incomplètement le projet et ses linguistique, de sémiotique, etc., non explicités)
"- l'iriuption de la langue du texte original ou; de celle d'une
conséquences - ce qui arrive facilement lorsqu'il a fallu le
reconstituer hypothêtiquement. traduction étrangère évoquée ;
Mais ce qui peut apparaître comme une discordance, un - le caractèie minufieux, touffu (donc potentiellement
<< trou » entre le projet et la traduction, c'est la défectivité étouffant) de l'analyse ;
inhérente à l'acte traductif, Quelles que soient la logique et la - le éaractère qpécialisé, isolê de I'analyse, qui semble se
cohérence d'un projet, quel que soit le projet, il y a, il y aura borner à comparer èt n'ouvrir aucune question'
toujours de la défectivité dans une traduction. Si l'absence de
projet traductif déchaîne toutes les formes de défectivité, l'exis- En ce qui concerne la technicité-terminologique, QTe.l'on
tence d'un projet ne garantit pas contre celle-ci. retrouve aussi bien chez Meschon.ric que che2 Toury et Brisset,
Ce qui peut sembler discordance, aussi, c'est la coexistence elle implique une rédpctio"n d.ç"lA ".ç.prr,-r.rlunic-abillt-.é., tout en
de parties contradictoires dans un projet. Cependant, il ne peut garantissant- dans ces cas prêcis -une plus grande rigL,eur drr
s'agir que de contradictions latentes, ou locales : sinon, il y a âir.orrr. La << technicité >i d'un texte critique n'a rien de
incohérence, et donc absence de projet: qui dit « projet » dit négatif, avec tout son appareil .de. concepts et," souvent,, de
<< cohérence »». terrnes nouveaux ou tirés àès disciplines les plus diverses. Elle a
Comme c'est au niveau ultime des choix ponctuels, et plus sa nécessitê, mais elle menace quand même la visée fondamen- l

généralement à celui du contact ponctuel aaec I'original, qu'agit la tale de la critique, qr.ri est d'oiarir un texte à des pub.lics multiples
dertüiaité (d'où, toujours, quelques choix Iinaux discutables, des qu'on ne peut préiupposir ni trop uastes ni réduits à une poign( (e half)
soit lui-même
erreurs, des contresens, des oublis, des lapsus, etc.), il n'y a ÿw. Et' it est lo§ique
-de qu'un acte d'ouverture
finalement jamais lieu de rapporter les discordances au projet, ï.rr"rt. L'analysie tiaduction devra donc explicj%r...d'une
p63sible,
mais bien à la subjectivité du traducteur. manière ou d'une autre, et autant que la chose àst sa

87
86
t'
I'original
terminologie et concepts, pour déshermétiser son discours (saul'
ses confrontation micrologique ct serrêe de liagments de
sa'iraduction, chez Meschonnic' est certes
c5ntre-indiCation du contexte et des circonstances, bien sûr) . Ëi à. fiug-ents de
;;tddp;; un plan,enetoutre n'a rien d'un alignement arbitraire de
Mais ce n'est là, après tout, qu'un détail.
oetites remarques ; le << serré >> de cette confrontation
Le second danger que rencontre l'analyse de traductions à
5}..;],,,f,;';oiir.uutu".ê par ta fréquente violence du ton, qui
ce stade est plus sérieux: c'est celui de I'irruption à lafois massiae moins commo-
etfragmentée de la langue de I'original dans son discours. Cette langue ;;;,;;;; divertissant "o**. chez Etkind, du longuc' comme
ne peut pas ètre supposée connue du lecteur, ou de tous les ii"ir"r"t ; mais dès que la confrontation se lait traductions de
lecteurs. Le critlgg-e doit po91ql91, même si cela n'est pas vrai Jurm l'urrlyse, par àill.rr.t remarquable, des
pesanteur, de la
empiriquement, qüe -sôri prèmier lecteur est le tecteur de la ffiil;ü;iffi, àir."g.ndre, par son'inévitablen'aurait pas trop
)traàuctio.r, celui qüi justement, dans la plupart des cas, a lu i"*li"a; chiz le làteur' Lassitude qui
celle-ci parce qu'il.ne pouvail pas lire l'original dans sa langue. J'iâî"r,r"ce si elle ne venait souvent ernpêcher','TT:t:t::
l'actâ même (Meschonnic le dit lui-même dans La
nme et ta
Pour que l'analyse lui soit et ouverte, et féconde, il àut donc un texte'
que I'introduction de fragments de l'original soit accompagnée iiti6' purlequel nous nous applop{onl véritablement à êveiller chez le
de certaines procédures explicitantes. Les << retraductions >>, ici, Il faut toujours "rr"y., a'e"tire de façon
s'il y en a, ne viseraient pas tant à corriger, à donner une lecteur le désir de vous relire'
meilleure << solution )», comme chez Meschonnic, qu'à faire Pour que f. *o,r't àr,,.'t de l'analyse soit à la fois.transpa-
entendre prosaiquemenl le texte étranger
roa.
Les mots étrangers rent, riche et ouvert t".-f. pluralité'des :<quïtiolltlll-,ge
trors (( proceou-
« clefs »», qui sont souvent des intraduisibles, comme le self nose la dimension traductive, on Peut suggérer
ff;;;i'l5,,f; p* uitt.utt,'de i'analvJe véritable trauail
anglais'o5, ou le goce espagnol, ou le Sehnsucht allemand, etc., "t'
doivent ôtre explicités, et expliciter un mot fondamental d'une " ""'îî-prr*ière
d'écriture.
autre langue (c'est-à-dire déployer to-ute sa signifiance) dans sa
est la.clarté fu l'exp.osition (pour t"!1:"1:^1' '
formule de Hôlderlinrrr), clarté qui n'implique aucun
classr-
propre langue est toujours possible106, même si ce mot n'a pas nombre de requlstts
cisrne, mais, pour le critique, un certain
d'équiualent (donc, de traduction préétablie) dans celle-ci. l'excès de
Le troisième « péril >> auquel peut se trouver confronté stylistiques concrets el d'âuto-interdictions (éviter
des ellipses - jusqu'à un certain
l'analyste est celui du caractère touffu, mimlt-iqqx,. à -la fois iarson. des syntaxes ampoulées,
point où auto-interdic-
massif et morcelé, lâche et serré, de son texte - qui risqüe de le Ëil ffiil, p.e.ire*Ënt, jusqu,au ces
rigueur
rendre et rebutant, et pour ainsi dire immobile, alors que la iiorr, ,," ,rïir.rrt pas au *o-t"t*tt't âe la pensée' à sa
critique vise au contraire à entraîner le lecteur dans un mluüe- propre, etc.).
mmt d'ouaerture constant et passionnanttÙT . Il faut que celui-ci soit
non seulement pris dans le mouvement de l'analyse compara- l0B. Henri Meschonnic, « Poédque d'un-texte.de nhilosoohe et de ses traduc-
,r. tu taIÀL à. ie.Ër"i" de I'histoire i, in lri tourt de Babel, op. rit..
tive, mais que ce mouvement soit pour lui à la fois transparent, dons : Humboldt,
oo. l83-229.
riche et sans cesse ouvert sur la pluralité de perspectives et '"''iôô.î."riMeschonnic, Laiructlauie'Verdier'Lagrasse'1989'p''ll3:'«Lire
d'horizons qui constitue la dimension traductive elle-même. La ne commence qu'à relire t-.i dèt ü;;; ;lit"tt
q'""t difurence éventuelle s'insinue
ur.'àliiill" foit,.t a.liu.rn. des autres fois une difiërence
enrre une première.,
la ai.--e-.-..*'"rence à app.araître, en se lisant elle-même,
l(X. Ce que fait Etkind dans son livre. nouvelle, alon lecture
;il;;;;;-[uïu .o, hi'io,ltiÉ di'tin'te de son objet' '
Propre, sa te"uê
105. Ricæur souligne à ce propos « que la langue française n'a pas de terme ;;;à;;;;;'.*lir" questions/
,rn. pluralité de dialectiques
correct pour traduire È "self'", in Temps ct Récit, tome trll, Le temps.raco-nté-, coll. ,0. La dimension '.r"ia'e unique, assumer. Pour la
L'ordre philosophique », Seuil, Paris, 1985, p. 234. Nous retrouverons le selfdansla .cpon.J'o* Ër* d;ti,;-;;;.il;roi.-à. fittéraire' cf' ,'R' jauss' Pour unc hcrmiactt-
"
seconde partie de notre chapitre, avecJohn Donne.
dialectioue ou.ruoorl..poitÀ ;;;':tpt;;
tiqui Liuhairi, oP. ril., PP' 39-l0l'
106. 1n Georges-Arthur Goldschmidt, Qnnd Frewl ttoit la mer, Buchet-Chastel, le libre usage du rationnel' Et'
II l. « Nor, ,r'upp..,ioni 'ie" plus difficilement que
Paris, 1988.
le crois, c'estjustement la clarté àe la présentation qui nous est originellement aussi
107. Il se peut que ce soit l'accumulation de citations tantôt étrangêres' tantôt€n ie Bibliotheque de
langue d'arrivêe, qui crée une irnpression de mosaïque dispersée et agglomêrée en mlme
iaturelle ou,aux Grecs t" Iè-" d;;;J; tfiàià.'fi., Gzies, Gallimard;
tcnÿs.
la Pléiade. Paris, 1967, P.640')

89
BB
T

La deuxième est la réJlexiaité incessante du discours qui et dans la poésie en génêral, sans parler de son importance et
desserre » le face-à-face original/traduction(s) et s'accomplit
<< dans le parler colloquial, et dans la mystique et dans la
avant tout sous la forme de la digressivité. Qpe l'analyse, dans philosophie - trois << domaines >» auxquels la poésie de Donne
le parcours du ponctuel, soit réflexive, signifie d'abord qu'elle est du reste liée. Cette réflexion que les traducteurs n'ont las
n'en reste pas à un collé-collé des textes confrontés (au double faite, pas plus qqe celles sur bodj et jay il appartient à l'analyse
sens de sa coller à eux et de /es coller entre eux), mais qu'elle s'en de la faire pour'éclairer le passage de l'original pour le lecteur
éloigne perpêtuellement pour les éclairer à la bonne distance, - lui faire sentir les << enjeux » poétiques qui pont là, dans ce qui
se retourner sur son propre discours et ses propres aflirmations, peut ne paraître qu'un « point de détail »> -,"critiquer aaec équité
etc. les choix des traducteurs, et, comme on le verra plus loin;ouvrir
Elle signifie, ensuite, qu'elle revêt la forme dela digressiaité. l'horizon pour d'autres choix, d'autres solutions, d'autres.
Cela consiste, chaque fois que s'en avère la nêcessité, à ouvrir projets de traduction.
à partir de tel exemple déterminé une série de questions, de Les digressions, en même temps, permettent à l'analyse de
perspectives, d'aperçus, et à y réfléchir un certain temps, qui s'éloigner de l'<< explication de texte »» : elles assurent son auto-
certes doit être mesurét12. Pour prendre un exemple qui sera nomie scripturairett3 et lui donnent le caractère d'un commen-
examiné dans la seconde partie de ce livre, lorsque les traduc- taire, ou ce que j'appellerai la commmtatiaitétt+.
teurs français de John Donne traduisent les vers Avec la réflexivité, la digressiüté et la cornmentativité, entre
en jeu dans le discours transparent de l'analyste sa subjectiaité.
As souls unboüed, bodies uncloth'd musl be,
To taste whole jo2es 1...1
Car c'est lui, lui seul, qui décide de se lancer dans tel ou tel
excursus, certes non sans de bonnes raisons, mais aussi emporté,
Par parfois, par le « démon » digressif, et commentatif qui habite
tous les critiques. Concision ? Longueur ? Chacun, ici, décide
Il n'est qu'âmes sans chair et que chairs dévêtues de lui-même, comme pour les notes de bas de page.
Pour jouir pleinement [...]

c'est au moins trois << questions » qui surgissent à propos des


<< choix » de traduction opérés : rendre, d'abord, bodl pat Le fonfurnent de l'éaaluation
« chair » (alors que Donne thématise par ailleurs la dillêrence
entre bodlt etflesh), rendre, ensuite, to taste uhole joltes par « jouir Le dernier problème auquel se trouve confronté l'analyste
pleinement » (alors quejolt est un mot fondamental de la poésie de traduction est de taille, et l'on pourrait s'étonner qu'il ne soit
de Donne, et même de la poésie occidentale), et enfin - moins évoqué que maintenant. Si l'analyse, pour être une vêritable
visiblement - rendre les mots négatifs, unbodiedlunclothed, mis en << critique >>, doit nécessairement aboutir à une éaaluation dt

équilibre chez Donne, d'abord par une tournure privative travail du traducteur, répondant en cela à l'attente des lecteurs
faible, sazs, puis par un mot négatif, « dévêtues », sans donc et à la nature de toute lecture de traduction, cette évaluation,
restituer le parallélisme unbodiedlunclothed, sans réfléchir à l'exis- rnême accompagnêe de tous lesjustificatifs possibles, ne va-t-elle
tence de ce parallélisme, à la fréquence des mots négatifs chez pas simplement refléter les idêes, les théories, ou comme on
Donne (cinq dans le poème en question), dans la poésie anglaise voudra dire, du critique en matière de littêrature et de traduc-
tion ? Comment ne va-t-elle pas tornber- si elle ne veut pas être
I I 2. La littérature connaît des formes de digressivitê non mesurée qui sont tantôt
intentionnelles, tantôt semi-pathologiques, tantôt les deux, et qui rendent la lecture à 113. Cf. Abdelkebir Khatibi: <<De la bi-langue >>, in Érilures, publication des
la fois captivante et étoulfante. On pensera ici tout de suite à Thomas de Q.;rincey. Cf. Actes du Colloque de l'Univenité Paris 7 (UER de Textes & Documents), avril 1980,
Eric Dayre, << Thomas de Q;rincey : la mer n'est pourtant pas si sublime qu'on pourrait par A.-M. Christin, Le Sycomore, pp. 196-204.
d'abord se I'imaginer... (Sur le vacancier romantique : théorie de la digression) », iz Il4. Cf. Antoine Berman, «Critique, commentaire et traduction>), oP. ciL,
Potl sie, n" 54, Belin, Paris, 4' trimestre 1990. pp.88-106.

90 9l
u

neutre - dans le dogmatisme, ou, du moins, privilégicr une que, pour lc tracluctcur, un tel respect est la chose la plus fficile.
certaine conception du traduire ? Masson signale le « préjugé » qui consiste à croire que traduire
Je crois qu'il est possible de fonder toute évaluation sur un est << simplement » respecter l'altérité du texte et donc implique
double criière qui échappe à ce danger, c'est-à-dire, n'implique tout à È fois l'« anéantissement >> du traducteur et l'attache-
aucune autre conception de la traduction que celle qui, aujour- ment (<servile» à la lettrelrT. Mais l'éthicitê du traduire est
d'hui et même hier, fait l'objet d'tn consensas de fond assez menacée par un danger inverse, et plus répandu : la non'uéridi-
gênéral - quoique jamais total et trop implicite - et chez les cité,la tromperie, Ce sont toutes ies formes de manipulation de
traducteurs, et chez tous ceux qui s'intéressent à la traduction. l'original que signale Meschonnic (mais il en est d'autres
Ces critères sont d'ordre éthique et poétique (au sens large). encore) et qui, toutes, renvoient à une attitude profondément
. La pléticité d'une traduction réside en ce que le traducteur irrespectueüse
-mais du traducteur vis-à-vis non seulement de l'origi-
a réalisé un véritable travail textuel, afait texte, en correspon- nal, Iinalement des lecteurs. Il n'y a cependant non-
'
dance plus ou moins étroite avec la textualité de l'original. Qpe véridicité que dans la mesure où ces manipulations sont tue§,
le traducteur doive touiours faire texte, cela ne préjuge absolu- passées sous silence. Ne pas dire ce qu'on va faire - par exemple
ment pas ni du mode ni de la üsée de la traductionrr5 : entre le adapter plutôt que traduire - ou faire autre chose que ce qu'on
Lucien de Perrot d'Ablancourt, belle in{idèle type, les Mille et a dit, vôilà ce qui a valu à la corporation I'adage italien
Une Nuits de Galland, le Poe de Baudelaire, le Paradis perdu de traduttore traditore, et ce que le critique doit dénoncer durement.
Chateaubriand, le Hopkins de Leyris, L'Odyssée de Jaccottet, Le traducteur a tous les droits dès lors qu'il joue franc-jeu.
L'linéide de Klossowski, la « poésie non traduite >» de Robin, Lorsque Garneau, dans son Mqqleth, dit «J'saute du vers 38 au
aucun point commun, si ce n'est queldans tous les cas il y a lrer, 47 parc' c'est mêlé mêlantrrB » (Acte III, sc. 6), il n'y a pas
travail textuel (poétique au sens large) et production d'auares lieu de considérer la chose comme inadmissible : elle est avouée,
, véritables. Même s'il pense que son æuvre n'est qu'un « pâle et tire sa traduction - en partie - vers I'adaptation. Lorsque I

i reflet »>, qu'un « écho »> de l'æuvre « véritable >>, le traducteur Yves Bonnefoy traduit le Sailing to Blzantium de Yeats, faute de
doit toujours vouloirf ire uuure. mieux, par B1<ance,l'autre riae, ce qui fait très.'. Bonnefoy, il n'y rl
L'éthicité, elle, réside dans le respect, ou plutôt, dans un certain a pas lièu Ce dire qu'il plaque sa poétique sur Yeats, puisqu'il
respect de I'original. En quelques lignes dignes et denses, Jean- s'est longuement expliquê et sur ce point de traduction, et sur I

Yves Masson a su délinir cette éthicité, et il faut ici le citer:


Les concepts issus de la réflexion éthique peuvent s'appliquer à la ll7. Dolet, comme toute la tradition, dénonce cette servilité: <<Je ne veulx taire
icy la lollie d'auicuns traducteurs : lesquelz au lieu de liberté se submettent à servitude.
traduction précisément grâce à une méditation sur la notion de respect.
C;est asscavoir, qu'ilz sont si sots, qu'ilz s'elforcent de rendre ligne po-ur ligne, ou v.ers
Si la traduction respecte l'original, elle peut et doit mëme dialoguer pour vers. Par iaquelle erreur ili dêpravent souvent le sens de- l'autheur, qu'ilz
avec lui, lui faire face, et lui tenir tôte. La dimension du respect ne iraduisent, & n'expriment la grace, &-perfection de l'une, & l'aultre-langue. Tu te l

comprend pas l'anéantissement de celui qui respecte son Propre garderas àilig.--ènt de ce viie : qui nè démonstre aultre.chose,.que l'ignorancc du I

respect. Le texte traduit est d'abord une ollrande faite au texte iraducteur. ,iln Paul A. Horguelin, Anthologie de la manière de traduire, op. cit., p. 54.-
Le littéralisme exacerbé àe certaines tràductions, comme celles de François Fédier,
original r16. montre combien ce « préjugé »» est actuel - surtout si on le confond avec les apologies I

du « dêcentremet t ", à. lit.uduction comme « rapport )» ou comme'., « épreuve de


Dans toutes les traductions mentionnées, ce respect qui sait l'étranger ». J.-Y. N{asson a l'immense mérite de marquer en quelques mots-la, mince
ligne -"éthiq"ue, non poétique * de partage'Je puis le dire pour.avoir travaillé sur le
<< faire face »> au texte, lui « tenir tête >> et ainsi se poser comme pioblème de la littéraiité etàvoir abândonné ce terme à cause de l'izsarmontable équiztoque
L]

<< o{frande » est présent


- même chez Perrot. Mais nous savons qu'il recèle : que nous le voulions ou non, " littôralité » signifie.rzot à.mot, phras: à
ph.^r., .t impiique un attachement anéantissant à ce mot à mot,,phrase à phrase Mais
m môme tenpi, litiéralité signifie attachement à la lettre, respect de Ia lettre.de l'ce^uvre.
ll
I 15. La aisée est ici l'objectif global de la traduction : par exemple s'approprier Peut-on abàndonner totuleme.rt un mot qui signifie à la fois le rapport le plus naifà un tl
Plutarque, le franciser, I'intégrer au patrimoine français. Le nod-e est l'ensemble des texte et le rapport le plus intime ?
stratégies de traduction déployées pour obtenir ce rêsultat. llB. Annie Brisiet, "Shakespeare, poète nationaliste québécois. La traduction I

116. J,-Y. Masson, « Territoire de Babel. Aphorismes », op. cit., p. 158. perlocutoire >>, in Soeiocritique de la tuaduction, op. cit.' p.207 .
il
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la liberté du traducteur "e. Perrot d'Ablancourt ne dissimulait Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que ces discussions ne
nullement ses coupures, ses ajouts, ses embellissements, etc. : il peuvent s'élever que sur le sol de cette idée consensuelle du
les exposait dans ses prêfaces et ses notes, franchement. Armel traduire. C'est pourquoi il n'y a pas à présenter une << nouvelle
Guerne, traduisant les Fragmmts de Novalis de manière explici- conception » de la traduction. Non seulement parce que l'Idée
tante et francisante (et pour nous par ailleurs totalement de la traduction nous a êtê << léguée »» d'une certaine façon
inadmissible à cause du mépris du traducteur pour la stylisti- << une fois pour toutes », mais parce qu'à chaque époque, cette

que, la concision et la << terminologie mystique »» du poète), s'en Idée s'incarne dans une figure déterminée qui, à son tour, déter-
est du moins ouvertement expliquér20. mine entièrement, ou de manière prédominante, notre (< idée »
Ainsi nous sommes-nous efforcés de préciser les bases d'un personnelle du traduire. Aujourd'hui, cette figure est celle
jugement de traduction le plus large, le plus équitable et le plus qu'ont façonnée le romantisme allemand, Goethe, Humboldt et
consensuel possible : les critères proposés valent aussi bien pour Hôlderlin, mais il y a bien longtemps qr-r'elle a perdu ses traits
une traduction de la tradition que pour une traduction mo- << romantiques ») externes et qu'elle est devenue la figure modeme

derne, et ils n'impliquent aucun parti pris sur les visées et modes de la traduction. Le traducteur actuel ne peut que se situer par
,de traduction. Ethicitê et poéticité garantissent d'abord qu'il y rapport à cette figure. Il peut la rejeter, c'est-à-dire traduire
. a, d'une manière ou d]q_ne autre, correspondance à l'original et à sa
selon une figure antérieure, celle de l'Âge classique - par
ilangue. Le mot de coriesio.nünëe est ici volontairement choisi à exemple Yourcenar traduisant du grec'22 - ou même du Moyen
Age (s'en tenir seulement à la translation des signilications et
'$: r C'est un signifiant existentiel et ontologique fondamental (cf. les
icause de sa riche polysêmie et, aussi, de son indéterrnination.
des termes, comme en traduction spécialisé.) -, dans tous les
, << correspondances »> de Baudelaire). Et également un signifiant cas, consciemment ou non, il agit par rapport à la {igure
concret: comme, en vocabulaire ferroviaire, << prendre » ou moderne du traduire. Il le peut : cette liberté est aussi son droit.
(< manquer »> la correspondance, en vocabulaire épistolier, (( en-

tretenir la correspondance », etc. La traduction doit toujours


<< correspondre »> dans la pluralitê de toutes ces signilications.

Ethicité et poéticité garantissent ensuite qu'il y a un faire- I,A RÉCEPTION DE LA TRADUCTION


ceuvre dans la langue traduisante qui l'élargit, l'amplilie et
l'enrichit - pour reprendre le vocabulaire de la tradition - à
tous les niveaux, où il a lieu. En disant cela, nous n'innovons pas
(et ne voulons surtout pas innover) : ce faire uuure-en-correspon- Cette étape de la critique, sur laquelle je ne m'étendrai pas,
dance a depuis toujours été considéré comme la tâche la plus peut être aUtonome ou intégrée à d'autres étapes, selon les cas,
:haute de la traduction. Les discussions qur.le littéralisme ou la Elle est fort importante, comme toute étude de la réception
liberté, la traductian source-oriented ou target-oriented, sur les d'une æuvre - mais elle n'est pas toujours possible dans le cas
sourciers >» et les « ciblistes >>, etc., sans être dénuées de sens,
<< des æuvres traduites. Car il y a plus de rêception d'<< Guvres
me rappellent ce que disait Foucault à propos du marxisme (et étrangères » (dans la presse, c'est-à-dire dans les sections litté-
-_. , qui parut choquant à l'époque) dans Les mots et les choses : raires des quotidiens, des hebdomadaires, dans les revues et
magazines littéraires, dans les ouvrages critiques sur des auteurs
i leurs débas ont beau émouvoir quelques vagues et dessiner des rides étrangers, etc.) que de << traductions >> clmme telles. ll laut
: à la surface: ce ne sont tempêtes qu'au bassin des enfants'2r [...]. d'abord savoir si Ia traduction a êtê aperçue (concrètement, si'
119. Qnrante-cinq poèncs de leah, suivis de Ia Résunection, traduction et introduc-
l'on a mentionné qu'il s'agit d'une traduction, faite par X.,.).
tion Yves Bonnefoy, Hermann, Paris, l98g, pp. 7-31. Si elle a étê aperçue, il faut savoir si elle a été évaluêe, analysée,
120. Armel Gueme, « Introduction; Novalis ou la vocation d'éternité », m
Novalis, (Euores complàtes, vol. I, Gallimard, coll. « Du monde entier», Paris, 1975.
121. Lcs mots et les choses, op. cit., p.27+. 122. Marguerite Yourcenar, La couronne et La l2re, Gallimard, Paris, 1979.

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c'est-à-dire voir comment elle est apparue à la critique, aux Appliquée à la littêrature traduite, cette critiq.ug- productive
critiques, et, en fonction de cette apparition, a êté jugée et énorriera do.r., ou s'efforcera d'artictller, les principes d'une i
Présmtée au << public >». Dans l'ensemble, les traductions ne font retraduction de l'ceuvre concernée, et donc de nouveaux projets
pas couler des flots d'encre, même si, en ce qui concerne la de traduction. Il n'y a pas à proposer un nouveav projet (cela '
presse, les choses s'améliorent un peu depuis quelques années doit être l'æuvre.des traducteurs eux-n'rêmes) ni à jouer aux
I ou, en tout cas, évoluent. Les critiques s'aventurent rarement à donneurs de conseils, mais à préparer le plus rigoureusement
i parler de près du travail des traducteurs. Quand ils le font, c'est possible l'espace de jeu de la retraduction. L'exposition des
r souvent pour les fustiger. Les louanges, un peu moins nombreu- principes de la retraduction ne doit être ni trop gênérale ni trop
ses, sont gênéralement aussi peu << fondées »>, c'est-à-dire justi- ferméè et exclusive, puisque la ùe même de la traduction réside
fiées par des raisons, que les blâmes. Quand j'ai analysé L'lînéide dans la pluralité irnprévisible des versions successives ou simul-
de Klossowski, je suis tombé sur une exception: le dossier de tanées d'une même æuvre. Qpe deux,traductions de Yeats,
presse de Gallimard contenait plus de quarante articles et celles de Bonnefoy et de Masson, aient paru presque en même
études publiés l'année même de la parution de la traduction tempsr24, avec des projets de traduction apparentés, mais
dans des journaux et revues de toute la francophonie (et même diflërents, cela est positif. C'est la copia traductive.
d'Espagne). Il y avait autant d'articles de fond (Deguy, Leyris, Avec cette ultime étape, l'analyse de traduction devient,
Brion, Picon, etc.) que d'articles de quotidiens. Ici, l'étude de comme le recours à Schlegel l'atteste, critique au sens le plus
la réception était possible - et {êconde. Mais, depuis 1964, élevê possible, c'est-à-dire tente de s'accompli comme ,acte
aucune traduction française n'a éveillé de tels échos. critiquiproductif,fécondanl. Dans le cas de l'analyse d'une traduc-
tion « iéussie »>, elle a simplement pour visêe, comme Schlegel
le disait aussi dans le texte cité par Benjamin, d'
exposer à nouveau l'exposition, de donner forme nouvelle à ce qui a
LA CRITIqUE PRODUCTIVE déjà formet25 [...],

c'est-à-dire de (dé)montrer l'excellence et les raisons de l'excel-


lence de la traduction. Le pouvoir Iëcondant de l'analyse rêside
Cette siüème, et dernière, étape de notre parcours ne vaut alors et dans la (dê)monstration au lecteur dttfaire-euure.positif
en principe que lorsque l'analyse a traitê d'une traduction qui du traducteur, et dani l'exemplaritê de la traduction mêmet26.
appelle impérativement une retraduction, soit parôe qu'êIe èst
p3{ llop défaillante ou insatisfaisante, soit parce qu'elle a__tlop
vieilli. Dans ce cas, l'analyse doit se faire qgllqgg-lqsltive,
«;pro_ilùc-tr1Ve'», au sens où Friedrich Schlegel parlait d'

une critique qui ne serait pas tant le commentaire d'une littérature


déjà existante, achevée et fanée, que l'organe d'une littérature encore
à achever, à former et même à commencer. Un organon de la
littérature, donc une critique qui ne serait pas seulement explicative
, et conservatrice, mais qui serait elle-même productive, au moins
r23.
indirectement

124. Celle d'Yves Bonneloy en 1989, celle deJean'Yves Masson en 1990.


123. Cité in Antoine Berman, L'éfrane de l'étranger, Gallimard, coll. <<Esais>>, 125. Irc Benjamin, I* contejt fu critique csthétique dans b romantisme allemand-, -p. lL2-
Paris, 1984, p. 196. 126. Qu'une traduction sàit exempLaire ne signfie pas qu'elle s'sit un mod)le.

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