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Recueil Dalloz

Recueil Dalloz 2018 p.1611


Procédure pénale
juillet 2017 - juillet 2018

Jean Pradel, Professeur émérite de l'Université de Poitiers, Ancien juge d'instruction

L'essentiel
La jurisprudence de la chambre criminelle reste fidèle à sa tradition d'équilibre entre efficacité et équité. Des précisions utiles
sont apportées notamment à propos de l'action fiscale, des enregistrements clandestins (au sujet de l'affaire dite du « roi du
Maroc ») et des fichiers des empreintes digitales. La question des box vitrés n'est pas forcément réglée définitivement.

I - Action publique et action fiscale


A - Suspension de la prescription de l'action publique. Obstacle insurmontable

Une personne dénonce le 15 mars 2015 un meurtre commis par A et B sur la personne de Z en décembre 2001 ou
début janvier 2002. Une information est ouverte le 21 octobre 2015 des chefs de meurtre, recel de cadavre et non-
dénonciation de crime. A et B sont mis en examen des chefs respectivement de meurtre et de complicité de meurtre.
C qui avait reconnu avec A et B avoir immédiatement dissimulé le cadavre après l'avoir enterré dans le sous-sol
d'une maison d'habitation, a été mis en examen pour recel de cadavre commis entre le 9 décembre 2001 et le 16
juin 2016. A et B déclarèrent avoir déplacé seuls le corps de la victime pour l'enterrer en 2010 en forêt. Le corps de
la victime Z est découvert le 21 juin 2016. Par requêtes devant la chambre de l'instruction, A et B soulèvent la
prescription décennale du crime, tandis que C soutient la prescription triennale du délit. On rappellera que les faits
se situaient avant la réforme du 27 février 2017 qui a doublé les délais en matière criminelle et correctionnelle.
1° La chambre de l'instruction répond que, pour le délit de recel de cadavre, la prescription n'était pas acquise, C
n'ayant pas agi pour faire cesser la prescription (Lyon, ch. instr., 13 avr. 2017). La chambre criminelle rejette le
pourvoi en décidant qu'en matière de recel de cadavre, « le délai de prescription ne court qu'à compter du jour où la
dissimulation a cessé », le déplacement ultérieur du corps étant sans intérêt (Crim. 13 déc. 2017, n° 17-83.330,
D. 2018. 11 ; AJ pénal 2018. 97, obs. M. Lacaze ; RSC 2018. 129, obs. R. Parizot ). Le corps ayant été
découvert le 21 juin 2016, c'est à cette date que l'infraction (qui est continue) cesse et que commence à courir le
délai de la prescription qui sera de six ans en application de la réforme de 2017 (art. 8, al. 1 er, c. pr. pén.). Avant
cette date de juin 2016 il y avait « un obstacle de fait incontestable et assimilable à la force majeure qui rendait
impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique et suspendait la prescription » (art. 9-3 c. pr.
pén.). Cette solution découle directement de l'arrêt célébrissime rendu par l'assemblée plénière de la Cour de
cassation le 7 novembre 2014 dans l'affaire des huit infanticides (n° 14-83.739, D. 2014. 2498 , note R. Parizot ,
2469, point de vue L. Saenko , 2015. 1738, obs. J. Pradel , et 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ pénal
2015. 36, note A. Darsonville ; RSC 2014. 777, obs. Y. Mayaud , 803, obs. D. Boccon-Gibod , et 2015. 121, obs.
A. Giudicelli ).
2° Plus délicate est la question du crime de meurtre. La chambre de l'instruction soutenait que les auteurs de ce
crime ont dissimulé leur acte en cachant, puis en enterrant le cadavre et balayait l'argument d'un signalement par la
famille pour fugue, ce qui, à ses yeux, ne pouvait être vu comme un indice de crime. Dès lors, il s'agissait « d'un
crime occulte s'accompagnant de manoeuvres de dissimulation », en sorte que « le point de départ du délai de
prescription de l'action publique devait être reporté à la date à laquelle l'infraction a pu être révélée, le ministère
public ignorant du crime ne pouvant exercer l'action publique dans le temps de la prescription ». Les juges de la
chambre de l'instruction ont, de façon transparente, fait appel au concept, d'abord jurisprudentiel, puis légalisé en
2017, de dissimulation. Aujourd'hui l'article 9-1 du code de procédure pénale dispose que la prescription est
suspendue « jusqu'au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise
en mouvement de l'action publique... » et vise, à cet égard, les infractions occultes et dissimulées, ces dernières
étant celles « dont l'auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la
découverte » (art. 9-1 in fine ; Lyon, préc.).

L'argument, à première vue séduisant, n'a pas convaincu la chambre criminelle qui a cassé la décision lyonnaise
(Crim. 13 déc. 2017, n° 17-83.330, préc.). En visant l'article 7 du code de procédure pénale d'où il résulte, dit-elle,
que « seul un obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites peut entraîner la suspension du délai de
prescription de l'action publique », elle en déduit que « la seule dissimulation du corps ne caractérise pas un
obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites pouvant justifier la suspension de la prescription », en sorte que
les magistrats lyonnais ont méconnu l'article 7 et son principe.
En somme, ne s'attacher qu'à la dissimulation du cadavre procédait d'une vue trop sommaire des choses. Les juges
lyonnais l'avaient devinée et avaient, comme il a été dit plus haut, minimisé l'hypothèse de la fugue pour en déduire
qu'elle « ne pouvait laisser supposer l'existence d'un crime ». Une fugue est un fait par nature inquiétant et peut
évidemment cacher un crime. Sans citer expressément l'article 9-3 du code de procédure pénale, l'arrêt de cassation
en retient l'esprit et notamment l'expression « obstacle insurmontable », c'est-à-dire supprimant toute possibilité de
recherches probatoires. C'est pour n'avoir pas ouvert une enquête, voire une information fondée sur l'article 74-1 du
code (disparition d'un majeur présentant un caractère inquiétant ou suspect eu égard aux circonstances, d'autant
plus que la victime était toxicomane), que les magistrats du fond ont laissé se prescrire un crime affreux. L'arrêt du
13 décembre 2017 apparaît comme un coup d'arrêt à la politique de la Cour de cassation très expansionniste.
B - Nature propre de l'action fiscale
Face à l'action publique et à l'action civile, l'action fiscale marque son autonomie à l'occasion du procès pénal. Dans
une poursuite pour fraude fiscale, X avait été condamné comme gérant de fait d'une société de gardiennage. Le
prévenu et le ministère public font appel de cette condamnation et la direction générale des finances publiques, qui
n'était pas intervenue devant le tribunal, se porte partie civile devant la cour d'appel. Les juges d'appel accueillent
cette nouvelle partie (Paris, 29 mars 2012). Sur pourvoi de X, fondé sur l'impossibilité de recevoir une constitution de
partie civile pour la première fois en appel, la chambre criminelle rend un arrêt de rejet (Crim. 8 nov. 2017, n° 17-
82.968). Elle approuve la cour d'appel, selon laquelle « l'administration fiscale ne saurait être assimilée à une
victime se constituant partie civile pour obtenir la réparation d'un préjudice personnel et direct occasionné par une
infraction, la nature spécifique de l'action fiscale trouvant son fondement, non pas dans les articles 2 et 3 du code de
procédure pénale, mais dans l'article L. 232 du livre des procédures fiscales, cette action ne lui ouvrant pas, comme
en droit commun, le droit de demander une réparation distincte de celle assurée par les majorations et amendes
fiscales, mais ayant pour but de lui permettre de suivre la procédure et d'intervenir dans les débats, étant rappelé
qu'il incombe à l'administration fiscale, aux côtés du ministère public, d'apporter la preuve de l'élément intentionnel
du délit de fraude fiscale, délit pour lequel elle est seule à pouvoir par sa plainte, déclencher la mise en mouvement
de l'action publique ».
Cette formule, longue et précise, avait déjà été exprimée dans le passé (Crim. 17 avr. 1989, n° 88-81.189, Bull. crim.
n° 156), à ceci près cependant que l'arrêt du 8 novembre 2017 y ajoute ab initio « la nature spécifique de son action
(de l'administration fiscale), qui n'est ni une action civile ni une action publique ». Cette action est donc une
institution à part, n'entrant pas dans les catégories classiques de l'action, un peu comme l'amende fiscale qui est « à
la fois une peine et une réparation du préjudice causé à l'État » (Crim. 6 juill 1976, n° 75-93.250 ; J. Pradel et A.
Varinard, GADPG, Dalloz, 11 e éd., 2018, n° 48). Or ce particularisme de l'action fiscale emporte des conséquences
assez considérables sans être absolues, toutes indiquées dans la formule ci-dessus évoquée de l'arrêt de 1976.
En premier lieu, l'objet de l'action fiscale n'est pas du tout celui de l'action civile : celle-ci à une fonction réparatrice
avant tout, alors que celle-là « permet de suivre la procédure et d'intervenir dans les débats ». À vrai dire, la
différence avec l'action civile se réduit si l'on rappelle que « l'action civile permet également de suivre la procédure et
d'intervenir : la partie civile apporte ses preuves et son intervention peut n'être motivée que par le souci de
corroborer l'action publique... » (Crim. 8 juin 1971, Bull. crim. n° 182 ; D. 1971. 594, note Maury), l'action civile
pouvant donc être privée de caractère réparateur et devenant vindicative (J. Pradel, Procédure pénale, Cujas, 19 e
éd., 2017, n° 314, 2°). L'idée de « corroborer l'action publique » apparaît donc à la fois dans le cadre de l'action
civile (Crim. 8 juin 1971, préc.) et dans le cas de l'action fiscale (Crim. 29 juin 2016, n° 15-85.759, D. 2016. 1571 ;
AJ pénal 2016. 493, obs. P. de Combles de Nayves ). Que dans le principe, l'action fiscale ne soit pas réparatrice
s'explique car, comme l'indique notre arrêt, l'administration dispose déjà des majorations et amendes fiscales.
En second lieu, le jeu procédural de l'action fiscale se démarque assez nettement de celui de l'action civile. Le plus
important est que l'administration fiscale peut n'apparaître qu'en cours d'appel. En droit commun, c'est formellement
exclu en raison de la règle du double degré de juridiction (Crim. 13 déc. 1990, n° 89-87.032, Bull. crim. n° 431,
valeur constitutionnelle de la règle ; 14 mars 2007, n° 06-84.320, D. 2007. 1205 , et 2184, obs. P. Capoulade ;
AJDI 2007. 573 , obs. E. Allain ; AJ pénal 2007. 233 ; 20 avr. 2017, n° 16-83.199, AJ pénal 2017. 298, obs. G.
Royer ). De plus, l'arrêt ici commenté indique que l'administration fiscale, ainsi constituée, a la charge, « aux côtés
du ministère public, d'apporter la preuve de l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale... ». On comprend bien
l'idée de faire peser le poids de la preuve sur l'administration, puisque c'est elle qui déclenche la poursuite. Il est
donc logique qu'elle apparaisse comme un collaborateur du parquet, un peu comme le sont les associations.
Cependant on fera remarquer qu'en droit commun, la partie civile supporte la même charge, en sorte que, là encore,
l'action fiscale se rapproche de l'action civile. Finalement l'action fiscale est certes autonome, sans l'être tout à fait
cependant.

II - Preuve
A - Employé suspecté d'instigation de vol. Enquête interne par le directeur de l'établissement. Possibilité

Grâce à une caméra de surveillance, le directeur d'une société identifie le 24 janvier 2018 un employé en train de
voler un morceau de viande dans un entrepôt frigorifique. Cet employé reconnaît les faits en précisant qu'un
collègue, dont il donne le nom, en était l'instigateur. Ce dernier nie les faits et, mis en présence de son
dénonciateur, celui-ci, revient sur ses déclarations. Les opérations, simplifiées ici à l'extrême, se sont étalées entre
20 heures 30 et 23 heures 30. Le prétendu instigateur dépose plainte pour séquestration et violences volontaires,
en visant le personnel de direction, le 4 octobre 2013. Les dirigeants sont condamnés pour séquestration (art. 224-
1 c. pén.). Sur appel, la condamnation des deux dirigeants est confirmée au motif « qu'en plaçant le plaignant dans
un bureau et en lui demandant d'y rester jusqu'à nouvel ordre, les employeurs lui ont fait subir une contrainte
morale irrésistible [...] usurpant la qualité d'officier de police judiciaire, en prenant à l'encontre de lui l'équivalent
d'une mesure de garde à vue et en s'autorisant à procéder à une enquête... » (Lyon, 9 mars 2017). Sur pourvoi des
deux dirigeants, la décision lyonnaise est cassée (Crim. 28 févr. 2018, n° 17-81.929, D. 2018. 513 ; AJ pénal
2018. 256, obs. M. Airiau ; Dr. soc. 2018. 484, obs. J. Mouly ; RDT 2018. 382, obs. J.-B. Thierry ) : les juges du
fond « n'ont pas précisé les actes matériels dirigés contre le plaignant et alors que l'employeur, qui a connaissance
de faits répréhensibles, susceptibles d'être implicitement sanctionnés, peut procéder à une enquête interne et
recueillir les explications de ses salariés ».

Le délit de séquestration était-il réalisé en l'espèce ? À supposer que l'élément matériel de la séquestration soit
réalisé, son élément psychologique est justifié, sinon par l'article 73 du code de procédure pénale qui suppose
l'arrestation du délinquant pour « le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche », du moins par l'état
de nécessité (J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 7 e éd., n° 346). Pour voir s'il y avait bien une
infraction, instigation à un vol, il fallait bien que les dirigeants maintiennent le suspect à leur disposition, s'ils en
avaient le droit évidemment. C'est alors qu'apparaît la question de procédure. Les juges d'appel semblent avoir
contesté ce droit « aux dirigeants qui s'étaient autorisés à procéder à une enquête quand les faits de vol ne
pouvaient la justifier en l'absence d'atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux
libertés individuelles dans l'entreprise ou de danger grave et imminent ». Bref, les dirigeants n'auraient pas été dans
le cadre exceptionnel où ils pouvaient enquêter. Au contraire, la chambre criminelle considère que les faits pouvaient
être sanctionnés disciplinairement (on ajoutera : en fait, par le risque d'une mise à pied, sanction gravissime) et
que, par conséquent, les dirigeants peuvent procéder à une enquête, ce qui justifie la rétention du suspect
quelques heures.
Certes, le code du travail ne parle pas expressément d'une enquête interne à l'entreprise menée par les dirigeants
de celle-ci. Cependant, il l'admet indirectement. L'article L. 1333 de ce code, relatif au contrôle juridictionnel par le
conseil des prud'hommes, indique que « l'employeur fournit au conseil des prud'hommes les éléments retenus pour
prendre une sanction ». Ces « éléments » viendront nécessairement des questions posées au salarié suspect et de
toutes autres sources, la chambre criminelle parlant de « recueil des explications des salariés », et donc pas
seulement de celles du suspect. On peut ajouter que, selon l'article L. 1333-2 du code du travail, l'employeur
envisageant de prendre une sanction doit convoquer le salarié et donc l'entendre. En consacrant expressément le
droit d'enquête du chef d'entreprise en cas de suspicion d'un salarié, la chambre criminelle fait oeuvre raisonnable.
C'est, semble-t-il, une des premières fois, sinon la première fois, qu'elle le fait. Évidemment, le chef d'entreprise doit
procéder à la manière d'un magistrat ou d'un enquêteur. On touche ici à la question de la licéité des pouvoirs de
collecte des preuves. Il peut arriver que des faits fautifs soient établis par des moyens illicites, lesquels moyens ne
seront donc pas recevables. Ainsi la détention fautive d'alcool découverte à la suite de l'ouverture de l'armoire
personnelle du salarié ne peut être invoquée par l'employeur si cette ouverture a été faite dans des conditions
illicites (Soc. 6 juill. 2005, n° 04-42.553 ; G. Auzero, D. Bougard et E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 31 e éd., 2018,
n° 687 et n° 820).

B - Preuve d'une infraction par enregistrement clandestin. Particulier. Remise à la police judiciaire. Déloyauté.
Non

Deux journalistes auteurs d'un ouvrage compromettant pour le roi du Maroc proposent au représentant de ce
monarque de renoncer à la publication de ce livre moyennant le versement d'une somme de 3 000 000 €. L'entretien
est enregistré et le procureur de la République de Paris en est informé par le biais d'une plainte émanant d'un
avocat agissant au nom de ce monarque, ledit enregistrement étant joint à la plainte. Un second entretien a lieu
entre les mêmes personnes, dans un hôtel parisien, surveillé cette fois par des policiers restés à l'extérieur du
bâtiment et là encore un enregistrement est effectué. Une instruction préparatoire est ouverte des chefs de
chantage et extorsion et pendant qu'elle suit son cours, une troisième rencontre a lieu dans les mêmes conditions, à
ceci près que l'avocat plaignant, profitant d'une brève interruption de la discussion, informe les policiers qu'un
contrat va être rédigé et qu'une somme d'argent va être remise aux journalistes par le représentant du roi. À leur
sortie de l'hôtel, les deux journalistes sont arrêtés, étant en possession d'espèces et d'un engagement de non-
publication. Et un enregistrement est à nouveau remis aux enquêteurs.

Les journalistes mis en examen saisissent la chambre de l'instruction de Paris aux fins d'annulation des procès-
verbaux contenant la retranscription des enregistrements et des actes subséquents, au motif que l'autorité publique
a joué un rôle actif dans la réalisation des enregistrements réalisés en étroite collaboration avec l'avocat
représentant le monarque. Rejet de la chambre de l'instruction par arrêt du 26 juin 2016. Mais la chambre criminelle
casse l'arrêt parisien au motif que « la participation indirecte de l'autorité publique à l'obtention des enregistrements
par un particulier, sans le consentement des intéressés, de propos tenus entre eux à titre privé se déduisait des
éléments relevés par la chambre de l'instruction » (Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820, D. 2016. 1863 , et 2018.
259, obs. A. Aynès ; Just. & cass. 2017. 206, rapp. N. Bonnal, et 223, concl. P. Lagauche ; AJ pénal 2016. 600, obs.
C. Ambroise-Castérot ; RSC 2016. 797, obs. F. Cordier ; JCP 2016. 1177, note Gallois). Sur renvoi, la chambre de
l'instruction de Reims rejeta les requêtes en annulation (Reims, ch. instr., 16 févr. 2017). Enfin, l'assemblée plénière
de la Cour de cassation, par arrêt du 10 novembre 2017 (Cass., ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82.028, D. 2018.
103 , note O. Décima , et 196, chron. G. Barbier ; AJ pénal 2018. 100, obs. C. Kurek ; RSC 2018. 117, obs. P.-J.
Delage ; JCP 2017. 1366, obs. A. Gallois, et 1376, note C. Ribeyre ; Dr. pénal 2018. Comm. 37, note A. Maron et M.
Haas ; Procédure 2018. Comm. 23, note A.-S. Chavent-Leclère ; Gaz. Pal. 19 déc. 2017, n° 44, note R. Mesa, et 23
janv. 2018, n° 3, 57, obs. F. Fourment. V. aussi les remarquables rapports de M m e Sloven, conseiller rapporteur et
de M. Wallon, avocat général, BICC n° 879, avr. 2018), rejette le pourvoi, validant donc la procédure au motif
qu'après une description très précise des faits « la chambre de l'instruction (de Paris) a pu déduire l'absence de
participation directe ou indirecte de l'autorité publique à l'obtention des enregistrements litigieux, ce dont il résultait
que le principe de la loyauté de la preuve n'avait pas été méconnu ».

Un rappel des principes s'impose avant tout. On distingue en législation et en jurisprudence entre deux situations
de déloyauté, celle-ci n'étant pas définie en droit. Le premier cas est celui où les informations sont obtenues par une
personne privée : la déloyauté de l'agent étant indifférente, selon une jurisprudence qui s'est établie dans le cadre
d'affaires où des victimes avaient monté des stratégies pour prouver l'existence de délits leur causant un préjudice,
les preuves obtenues seront jointes à la procédure et soumises à l'audience à la discussion contradictoire (Crim. 23
juill. 1992, n° 92-82.721, Bull. crim. n° 274 ; D. 1993. 206 , obs. J. Pradel ; RTD civ. 1993. 101, obs. J. Hauser ;
31 janv. 2012, n° 11-85.464, Bull. crim. n° 27 ; D. 2012. 440, obs. M. Lena , 914 , note F. Fourment , et 2118,
obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 224 , note E. Daoud et P.-P. Boutron-Marmion ; RSC 2012. 401, obs. X. Salvat ).
Puis cette jurisprudence s'étendit à d'autres hypothèses, plus ou moins voisines (Crim. 31 janv. 2012, préc.,
enregistrement par un majordome d'une communication entre son employeur et ses interlocuteurs dont son avocat).
Le second cas est celui où la preuve des informations est recueillie par des enquêteurs qui peuvent agir par
provocation à la commission d'une infraction (par action sur la volonté d'une personne) ou par manoeuvres pour
prouver l'infraction. Ces manoeuvres se réalisent soit par contournement d'une procédure où l'enquêteur se place
en dehors du cadre procédural prévu afin de recueillir des éléments de preuve qu'il n'aurait pu obtenir en respectant
la loi (Cass., ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339, D. 2015. 711 , et 1738, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2015. 362,
note C. Girault ; RSC 2015. 117, obs. P.-J. Delage , et 971, chron. J.-F. Renucci ; JCP 2015. Doctr. 385, obs.
Maron, nullité d'une procédure où des enquêteurs avaient sonorisé des locaux de garde à vue où voisinaient deux
suspects, pour profiter de leurs conversations), soit par détournement de procédure où l'enquêteur commet un
détournement de pouvoirs à d'autres fins que celles prévues par la loi (Crim. 18 déc. 1989, n° 89-81.659, Bull. crim.
n° 485 ; D. 1991. 174 , obs. J. Pannier , impossibilité de condamner un automobiliste pour excès de vitesse et
détention d'un détecteur de radars policiers car les policiers avaient eu recours à des agents des douanes pour
fouiller le véhicule, ce qu'ils ne pouvaient pas faire eux-mêmes).
Ainsi la déloyauté policière paraît comporter trois éléments constitutifs :

- un acte positif, actif, matériel de provocation ou de manoeuvre (élément matériel) ;


- commis intentionnellement contrairement à l'esprit de la loi et en vue de la réalisation d'un délit, de l'obtention
d'une preuve (élément intellectuel) ;
- et sans lequel il n'y aurait pas eu d'infraction ou de preuve de celle-ci (l'élément causal).
Il apparaît donc, à la lumière de cette proposition de définition que le principe de loyauté vient compléter la loi : s'il y
a violation d'une disposition expresse de la loi, il y a atteinte aux droits de la défense et donc faute procédurale ; s'il
n'y a pas de telle violation, mais si la loi a été violée dans son esprit, si le policier ou le juge a donc commis une faute
déontologique, il y a atteinte au principe de loyauté. Ainsi il semble inutile de viser dans un arrêt à la fois l'atteinte
aux droits de la défense et l'atteinte au principe de loyauté : c'est l'un ou l'autre qu'il faut viser.
Appliquons ces principes au cas d'espèce, qui est délicat car il y a une combinaison d'autorité publique et de
personne privée. Premièrement, on peut se demander si l'organisateur des manoeuvres ou stratagèmes est l'avocat
du roi ou les policiers. Dans le premier cas, on se trouve en dehors de la déloyauté interdite puisque l'avocat est un
particulier, non un enquêteur, alors que, dans le second cas, une déloyauté peut être retenue à la charge des
policiers. Par conséquent et en second lieu, il faut déterminer le rôle des policiers en l'espèce et, à cet égard, l'arrêt
du 10 novembre 2017 est très riche de détails. Par exemple, le fait pour l'avocat plaignant d'informer les enquêteurs
n'a rien pour ces derniers d'un geste actif à l'égard des journalistes ; le fait pour les policiers d'organiser une
surveillance suite à la dénonciation de pareils faits ne l'est pas davantage ; le fait de la présence policière aux
abords de l'hôtel où se déroulent les rencontres ne signifie pas l'existence d'un accord entre les policiers et l'avocat,
la remise des enregistrements par l'avocat aux enquêteurs ne correspond pas non plus à un rôle actif de ces
derniers et il en est de même encore de la transcription des paroles échangées par ces policiers. Bref, observe la
Cour de cassation, « la participation des policiers, même indirecte, suppose l'accomplissement d'un acte positif, si
modeste soit-il, et le seul reproche d'un "laisser faire" des policiers dont le rôle n'a été que passif ne peut suffire à
caractériser un acte constitutif d'une véritable implication ». Ainsi, pas d'acte positif en l'espèce imputable aux
policiers et, par voie de conséquence, les deux autres éléments de la déloyauté ne sont pas réalisés. On ne peut
pas présumer la déloyauté. Il n'y a pas davantage atteinte aux droits de la défense d'ailleurs.

On pourrait citer des arrêts en ce sens : l'écoute par un policier, sans recourir à un procédé technique particulier, de
propos échangés au téléphone par un suspect au cours d'une perquisition menée chez ce dernier (Crim. 4 sept.
1991, n° 90-86.786, Bull. crim. n° 312) ; la sonorisation d'un parloir d'une maison d'arrêt sur l'ordre d'un juge
d'instruction en vue d'établir la preuve d'une infraction, sans stratagème ni artifice (Crim. 17 juill. 1990, n° 90-
82.614, Bull. crim. n° 286 ; RSC 1991. 602, obs. A. Braunschw eig ; 3 juin 1992, n° 91-84.562, Bull. crim. n° 219) ;
l'écoute par un policier caché dans un placard d'une conversation entre personnes susceptibles de commettre un
acte de corruption, les policiers étant demeurés passifs et « ayant laissé faire les évènements » (Crim. 22 avr. 1992,
n° 90-85.125, Bull. crim. n° 169 ; D. 1995. 59 , note H. Matsopoulou ; Rev. sociétés 1993. 124, note B. Bouloc ).

Il n'en reste pas moins que, dans cette articulation entre la morale (et la déontologie) et une recherche efficace de
la vérité, la frontière peut s'avérer délicate à fixer : l'analyse factuelle est essentielle.

C - Provocation à la révélation d'une organisation criminelle ou « stratégie d'investigation »


En janvier 2014, l'antenne de Fort de France de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants
(OCRTIS) est informée d'un trafic de stupéfiants d'envergure : des mallettes de résine de cannabis seraient
envoyées par avion de métropole en Martinique en échange de mallettes de cocaïne faisant le cheminement inverse.
Des interceptions téléphoniques révèlent qu'un membre du réseau se rendait sur le territoire de l'État de Sainte-
Lucie aux fins d'organiser l'envoi de cocaïne en Martinique tandis qu'un autre membre du réseau était interpellé à
l'aéroport d'Orly alors qu'il venait récupérer cinq mallettes de cocaïne. Onze personnes sont arrêtées et mises en
examen pour trafic de drogue dont certaines avaient joué le rôle d'informateurs des services de police. Sept de ces
personnes saisissent la chambre de l'instruction aux fins d'annulation de la procédure en invoquant la provocation
policière à la commission des faits.
Les juges d'appel rejettent les requêtes : ils montrent d'abord que des investigations avaient permis de vérifier
l'existence de l'infraction dès janvier 2014 ; ils ajoutent que les policiers, en laissant croire aux trafiquants qu'ils
disposaient d'une « sortie » au sein de l'aéroport d'Orly grâce à la complicité de deux informateurs, « n'ont pas mis
en oeuvre un stratagème déloyal ayant déterminé l'activation du trafic, mais ont fait preuve d'une stratégie
d'investigation qui a permis de révéler une organisation structurée, préexistante... » ; ils concluent en affirmant que
« les policiers n'ont pas provoqué en exerçant une pression de nature à l'inciter, la commission de l'infraction... »
(Versailles, ch. instr., 2 déc. 2016). C'est tout naturellement que, saisie d'un pourvoi, la chambre criminelle déclara
que « l'intention des demandeurs de commettre les infractions [...] n'a pas été déterminée par l'intervention des
deux personnes mises en examen qui s'étaient révélées ultérieurement être des indicateurs, cette intervention
n'ayant eu d'autre but que d'établir la preuve de leur implication dans les faits objet de l'infraction... » (Crim. 15
nov. 2017, n° 16-87.382). Les pourvois étaient donc rejetés.
La solution ne surprendra personne. Une nouvelle fois, la chambre criminelle distingue entre provocation à la
commission de l'infraction et provocation à la preuve de l'infraction pour valider seulement cette dernière (Crim. 27
févr. 1996, n° 95-81.366, Bull. crim. n° 93 ; D. 1996. 346 , note C. Guéry ; RSC 1996. 689, obs. J.-P. Dintilhac ;
5 juin 1997, n° 96-84.014, D. 1998. 173 , obs. J. Pradel ; RSC 1998. 118, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; 8 juin
2005, n° 05-82.012 ; 11 mai 2006, n° 05-84.837, Bull. crim. n° 132 ; D. 2006. 1772 ; AJ pénal 2006. 354 , note E.
Vergès ; RSC 2006. 848, obs. R. Finielz , 876 et 879, obs. J.-F. Renucci ; 7 févr. 2007, n° 06-87.753, Bull. crim.
n° 37 ; D. 2007. 2012 , note J.-R. Demarchi ; AJ pénal 2007. 233, obs. M.-E. C. ; RSC 2007. 331, obs. R. Filniez
, 560, obs. J. Francillon , et 2008. 663, obs. J. Buisson , provocation émanant d'un agent public étranger ; 4 juin
2008, n° 08-81.045, D. 2008. 1766 ; AJ pénal 2008. 425, obs. S. Lavric ; RSC 2008. 621, obs. J. Francillon ; 7
janv. 2014, n° 13-85.246, D. 2014. 407 , note E. Vergès , 264, entretien S. Detraz , et 1736, obs. J. Pradel ; AJ
pénal 2014. 194, obs. H. Vlamynck ; RSC 2014. 130, obs. J. Danet ; 30 avr. 2014, n° 13-88.162, D. 2014. 1042 ,
1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 374, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2014. 577, obs. J. Francillon ;
Rev. pénit. 2014. 645, obs. Verny). La Cour de Strasbourg raisonne à l'identique (CEDH 9 juin 1998, n° 25829/94,
Texeira de Castro c/ Portugal, § 39, RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin ; CEDH, gde ch., 5 févr. 2008, n°
74420/01, Ramanauskas c/ Lituanie, § 73, RSC 2008. 692, chron. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; RTDH 2009. 211,
obs. de Valkeneer ; Dr. pénal 2009. Chron. 4, obs. Dreyer).
On ajoutera à ces évidences deux remarques un peu plus originales. La première est relative aux informateurs qui
certes ne sont pas intervenus aux Antilles, mais qui ont agi en connexion avec les policiers. Le pourvoi invoquait
l'irrégularité d'une infiltration qui n'était pas le fait d'un policier, les articles 706-32 et 706-81 du code de procédure
pénale exigeant une autorisation du parquet ou du juge d'instruction, ce qui n'avait pas été obtenu en l'espèce. La
chambre criminelle répond sèchement que le moyen est « inopérant », ne s'agissant pas en l'espèce d'une
infiltration provocatrice. On notera que, dans le passé, elle avait assimilé « l'intermédiaire » à un agent de l'autorité
publique (Crim. 11 mai 2006, préc.), ce qui, il est vrai, est un autre problème.
Seconde remarque, la cour d'appel de Versailles avait utilisé l'expression - apparemment nouvelle - de « stratégie
d'investigation » ayant permis la révélation d'une organisation criminelle. L'expression doit être assimilée à la
provocation policière à la preuve, du fait de l'emploi du mot « révéler » une organisation.
D - Géolocalisation d'un véhicule. Personne concernée. Atteinte à la vie privée. Nullité possible
Dans le cadre d'une instruction ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et d'infractions à la
législation sur les armes, des enquêteurs sont amenés à poser des balises de géolocalisation sur deux véhicules.
Peu après deux individus X et Y sont mis en examen. X présente une requête en nullité au motif que n'ont pas été
respectées les dispositions de l'article 230-35 du code de procédure pénale selon lequel, en cas d'urgence, les
opérations de géolocalisation peuvent être mises en place par un officier de police judiciaire sans autorisation d'un
magistrat. La chambre de l'instruction rejette la requête en invoquant que le demandeur ne peut se prévaloir
d'aucun droit sur les véhicules qui appartiennent à des tiers (Riom, ch. instr., 1 er août 2017). Sur pourvoi de
l'intéressé, la chambre criminelle casse cette décision. Au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne des
droits de l'homme, d'une part, et des articles préliminaires, 1711, 230-32 à 230-44, 802, 591 et 593 du code de
procédure pénale, d'autre part, la chambre criminelle décide « qu'il résulte de la combinaison de ces textes que la
méconnaissance des formalités substantielles régissant les géolocalisations peut être invoquée par la partie titulaire
d'un droit sur le véhicule géolocalisé ou qui établit, hors le cas d'un véhicule volé et faussement immatriculé, qu'il a, à
l'occasion d'une telle investigation, été porté atteinte à sa vie privée » (Crim. 27 mars 2018, n° 17-85.603, D.
2018. 725 ). La Cour de cassation affirme donc que le demandeur en nullité de la procédure peut agir avec succès
dans deux cas : celui où il dispose d'un droit sur le véhicule et celui où il est porté atteinte à sa vie privée. En
l'espèce, c'est l'atteinte à cette valeur fondamentale consacrée par l'article 8 de la convention qui est réalisée.
Mais à part cette disposition de droit européen, les deux dispositions clés sont l'article 171 du code de procédure
pénale sur l'instruction (« Il y a nullité lorsque le mécanisme d'une formalité substantielle prévue par une disposition
du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle
concerne »), et l'article 802 de ce même code pour la procédure en général selon lequel la nullité « en cas de
violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité d'inobservation des formalités substantielles » ne peut
être déclarée que si la faute « a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », ce qui
évoque la règle « pas de nullité sans grief ».
Pour bien comprendre les choses, il faut distinguer, dans le droit des nullités, les conditions de recevabilité de la
demande et celles relatives au succès de celle-ci. Pour être recevable, la demande doit répondre à des conditions
d'intérêt et de qualité. En l'espèce, la condition d'intérêt est réalisée puisque le demandeur a en principe avantage à
faire tomber la géolocalisation. La condition de qualité est également remplie, le demandeur étant partie à la
procédure et étant « concerné », en ce que la preuve par géolocalisation peut nuire à sa défense, à sa liberté d'aller
et de venir, à sa liberté d'expression, à sa vie privée. Recevable donc en l'espèce, l'action en nullité, pour prospérer,
doit, en outre, causer un grief au demandeur, le grief étant le préjudice effectif, concret, éprouvé par le demandeur,
ce qui est très proche de la condition de qualité. La chambre criminelle se fonde sur les conclusions du demandeur,
desquelles il résultait qu'il avait été géolocalisé par le biais du procédé technique, d'où elle tire qu'il a été atteint
dans sa vie privée.
On n'est certes pas sur le terrain du grief nécessaire (ou présumé), inventé par la jurisprudence pour des situations
où elle décide que le grief est nécessairement réalisé, la preuve contraire étant exclue. Il y a beaucoup de décisions
en ce sens en matière de garde à vue (Crim. 3 avr. 2007, n° 07-80.807, Bull. crim. n° 104 ; D. 2007. 1422 , 1817,
chron. S. Ménotti , et 2008. 2757, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2007. 285, obs. G. Royer ; 12 juin 2007, n° 06-
87.361, Bull. crim. n° 155 ; D. 2009. 123, obs. T. Garé ; AJ pénal 2007. 439, obs. G. Royer ; RSC 2008. 95, obs. J.
Francillon ; RTD com. 2008. 197, obs. B. Bouloc ). Ici le grief doit être démontré et la chambre criminelle estime
peut-être trop vite qu'il l'a été. La décision paraît bien sévère car la preuve de la présence du demandeur dans le
véhicule découlait inévitablement de la géolocalisation. La décision conduit alors à ne pas mettre dans le dossier le
procès-verbal relatif à la géolocalisation.
E - Fichier des empreintes digitales. Demande d'effacement. Rôle du juge
Le fichier national automatisé des empreintes digitales (FNAED) a été créé par le décret n° 87-249 du 8 avril 1987. Il
donne lieu à un contentieux très réduit. On retiendra donc l'affaire suivante. Une personne mise en cause dans une
affaire de dénonciation calomnieuse avait fait l'objet d'un relevé d'empreintes digitales. Elle sollicita l'effacement de
ce relevé auprès du procureur de la République. Une telle demande est recevable lorsque la conservation des
empreintes « n'apparaît plus nécessaire pour des raisons liées à la finalité du fichier au regard de la nature ou des
circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de la personne concernée » (Décr. préc., art. 7-1,
III). Refus du procureur et recours de l'intéressé au juge des libertés et de la détention qui confirme la décision de
rejet. Sans se décourager, l'intéressé saisit le président de la chambre de l'instruction (art. 7-2 du Décr.). Celui-ci
rejette également la requête en affirmant qu'elle n'est pas fondée sur l'un des motifs de l'article 7-1, III, précité et
que la procédure à l'occasion de laquelle les empreintes ont été relevées n'est pas indiquée, ce qui l'empêche de
statuer à partir d'éléments objectifs (Caen, 1 re ch. instr., ord. du 20 juin 2017).
Le demandeur, plaideur intrépide et confiant dans la justice, forme un pourvoi en cassation qu'il va gagner ! Dans
une formation de huit conseillers, sans compter le président, et deux conseillers référendaires, la chambre criminelle
casse l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction qui aurait dû vérifier si l'enregistrement des
empreintes répondait aux conditions réglementaires et apprécier si leur conservation était ou non nécessaire pour
des raisons liées à la fiabilité du fichier au regard des entrées visées à l'article 7-1, IV, du décret ( Crim. 10 avr.
2018, n° 17-84.674, D. 2018. 852 ). Le président d'appel avait péché par insouciance. Il n'avait pas fait l'effort
nécessaire pour s'assurer du bien-fondé de la requête, en se réfugiant derrière une lecture rapide du décret et sans
opérer de recherches.
Cette affaire, apparemment de très médiocre intérêt, recèle une morale. Les personnes dont les noms traînent dans
des fichiers criminels - il y en a une bonne dizaine - ont le droit de savoir si leur nom y figure à bon droit. Les fichiers
sont d'application stricte. Ainsi la Cour EDH a considéré que la conservation dans un fichier d'empreintes digitales
des empreintes d'une personne poursuivie pour deux vols, l'un s'étant terminé par une relaxe et l'autre par un non-
lieu, constitue au vu des circonstances, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée « en ne
traduisant pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu » (CEDH 18 avr. 2013, n°
19522/09, M.K. c/ France, § 46, D. 2013. 1067 , et 2014. 843, obs. H. Gaumont-Prat ; RSC 2013. 666, obs. D.
Roets ; V. sur cet arrêt Procédures 2013, n° 197, obs. A.-S. Chavent-Leclère). Peu auparavant, les juges de
Strasbourg avaient déjà montré leur souci d'assurer un contrôle strict pour assurer le respect de la vie privée (V.
not. CEDH, gde ch., 4 déc. 2008, n° 30562/04, Marper c/ Royaume-Uni, D. 2010. 604, obs. H. Gaumont-Prat ; AJDA
2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; AJ pénal 2009. 81, obs. G. Roussel ; RFDA 2009. 741, étude S. Peyrou-Pistouley
; RSC 2009. 182, obs. J.-P. Marguénaud ; CEDH 18 sept. 2014, n° 21010/10, Brunet c/ France, D. 2014. 1880 ;
AJDA 2014. 1796 ; AJ pénal 2014. 539, obs. G. Roussel ; RSC 2015. 165, obs. D. Roets ; Rev. pénit. 2014. 915,
obs. Botton, et 915, obs. Barthuel ; J. Pradel, Procédure pénale, préc., n° 515 à n° 517).
III - Enquête et instruction
A - Contrôles d'identité de personnes et visite de véhicules. Durée (art. 78-2-2 c. pr. pén.)
Un procureur de la République, par réquisition du 27 décembre 2016, requiert la police judiciaire d'opérer des
contrôles et visites sur les communes de Ouistreham et de Benouville du 1 er au 31 janvier 2017 à des heures
précises et indiquées dans les réquisitions, heures définies en fonction des escales des navires de la Britanny
Ferries. Ces contrôles vont faire apparaître des délits relatifs à la législation sur les étrangers, délits certes non
visés à l'article 78-2-2, mais apparus de façon incidente (art. 78-2-2 in fine). Après condamnation des prévenus en
première instance, des relaxes sont prononcées en appel au motif que les réquisitions sont contraires à l'article 78-
2-2, qui ne les autorise que pour une durée de vingt-quatre heures (Caen, 24 mai 2017). Malgré le pourvoi du
procureur général, la chambre criminelle maintient la solution en considérant que « l'article 78-2-2 [...] n'autorise pas
le procureur de la République à organiser, par une réquisition unique, des contrôles d'identité répartis sur plusieurs
jours, mais seulement sur une période maximum de vingt-quatre heures consécutives » (Crim. 13 sept. 2017, n°
17-83.986, D. 2017. 1912 ; AJ pénal 2017. 543, obs. G. Roussel ; RSC 2018. 142, obs. P.-J. Delage ). En
somme la période des contrôles est unique et donc non sécable : la période est ainsi de vingt-quatre heures
consécutives.

L'article 78-2-2, I, mentionne, en effet, de « réquisitions écrites du procureur de la République, dans les lieux et pour
la période de temps que ce magistrat détermine et qui ne peut excéder vingt-quatre heures renouvelables sur
décision expresse et motivée selon la même procédure... ». Primitivement, l'article 78-2-2, créé par une loi du 15
décembre 2001, mentionnait « d'une période de temps que ce magistrat » (le procureur de la République) «
détermine ». Une première réforme de l'article 78-2-2, due à une loi du 18 mars 2003, introduisit l'expression : d'une
« période de temps [...] qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décision écrite et motivée... ».
Et l'ultime retouche de ce texte - pour l'instant résultant d'une loi du 3 juin 2016 - n'a pas modifié la formule due à la
loi précitée du 18 mars 2003. Ce qu'il faut retenir de cette évolution, c'est que le législateur, en même temps qu'il
développe les contrôles (dans un souci d'efficacité), est conduit à sauvegarder les libertés et donc à restreindre la
durée des opérations prescrites. Un magistrat du parquet ne pouvait donc ordonner ces opérations pendant un
mois. La cassation s'imposait par application littérale de l'article 78-2-2.
Toutefois le principe d'efficacité est sauvegardé en ce que rien n'interdit au magistrat du parquet de renouveler sur
réquisition pour vingt-quatre heures, et encore pour vingt-quatre heures, à la limite sans plafond. Mais alors il lui
faudra, dans ses secondes réquisitions, procéder à leur motivation. Les premières réquisitions n'ont pas à être
motivées, même si le parquetier n'agit pas en fait sans suspicion plus ou moins vague, et d'ailleurs la jurisprudence
décide que l'article 78-2-2 n'exige pas que, pour prendre ses réquisitions, le procureur de la République démontre
l'existence d'indices de commission ou de risques de commission des infractions visées par ledit article ou un risque
d'atteinte à l'ordre public (Civ. 2 e , 19 févr. 2004, n° 03-50.025, Bull. civ. II, n° 70 ; D. 2004. 677 ; AJ pénal 2004.
160, obs. A. Pitoun ; Dr. pénal 2004. Comm. 56, obs. A. Maron et M. Haas). Mais cette jurisprudence ne vaut que
pour les premières réquisitions, pour lesquelles, justement, l'article 78-2-2 n'exige pas de motivation.
Rappelons enfin, après d'autres, que notre arrêt est « la suite logique » (A. Maron et M. Haas, note préc.) d'une
décision du Conseil constitutionnel du 24 janvier 2017 relative à l'article 78-2-2. Selon cette décision, l'article 78-2-2,
en vertu duquel « les réquisitions du procureur de la République ne peuvent viser que des lieux et des périodes de
temps déterminés », ne sauraient, « sans méconnaître la liberté d'aller et de venir autoriser le procureur de la
République à retenir des lieux et des périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses
réquisitions » pas plus « qu'autoriser en particulier, par un cumul de réquisitions, portant sur des lieux ou des
périodes différentes, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace » (Cons. const.,
24 janv. 2017, n° 2016-606/607 QPC, § 23, D. 2017. 217 ; AJDA 2017. 142 ; AJ pénal 2017. 239, obs. J.-B.
Perrier ; Constitutions 2017. 184 ).

B - Enquête pour crime flagrant. Déclarations sommaires. Audition. Distinction


Dans le cadre d'une enquête de flagrance pour viols de prostituées, les enquêteurs sont conduits à établir un
procès-verbal de compte rendu initial contenant la retranscription des déclarations de six prostituées, recueillies sur
les lieux de l'interpellation d'un suspect. Après mise en examen de celui-ci, son avocat saisit la chambre de
l'instruction d'une requête en nullité de la procédure. La chambre de l'instruction rejette sa demande en prenant
soin de distinguer entre procès-verbal de compte rendu d'infraction initial signé seulement par l'enquêteur et
procès-verbal d'audition soumis à relecture et signature du déposant (Bordeaux, ch. instr., 28 févr. 2017).
L'intéressé forme un pourvoi en cassation en indiquant notamment que le recueil de déclarations des témoins ne
saurait être assimilé à la conservation d'indices et que toute audition de témoin doit donner lieu à sa signature.
La chambre criminelle pose le principe « qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce que,
en application de l'article 54 du code de procédure pénale, l'officier de police judiciaire présent sur les lieux d'une
infraction flagrante recueille les déclarations sommaires qui lui sont spontanément faites par les personnes qui se
présentent à lui, préalablement à leur audition ultérieure » (Crim. 31 oct. 2017, n° 17-81.842, D. 2017. 2253 , et
2018. 196, chron. L. Ascensi ; AJ pénal 2018. 50, obs. Y. Capdepon ; RSC 2018. 145, obs. N. Jeanne ; Gaz. Pal.
5 déc. 2017, p. 15, note R. Mesa, et 23 janv. 2018, p. 55, obs. F. Fourment ; Dr. pénal 2017. Comm. 185, obs. A.
Maron et M. Haas). D'où le rejet du pourvoi.

Concrètement, l'enquêteur averti de l'existence d'un crime flagrant « se transporte sans délai sur les lieux et
procède à toutes constatations utiles. Il veille à la conservation des indices susceptibles de disparaître et de tout ce
qui peut servir à la manifestation de la vérité... » (art. 54 c. pr. pén.). Après ces mesures d'urgence pour fixer la
preuve, l'enquêteur peut procéder à l'audition de toutes personnes (art. 62 c. pr. pén.). C'est dire que, avant
l'audition proprement dite, les enquêteurs peuvent s'assurer de la conservation des indices et c'est ici que l'arrêt du
31 octobre 2017 est intéressant, en ce qu'il inclut dans la conservation des indices les déclarations sommaires des
personnes victimes des faits ou pouvant apporter des éléments. On aurait pu considérer, en raisonnant de façon
restrictive, que la « conservation des indices » n'inclut pas les auditions, d'abord car la loi distingue indices et
auditions, lesquelles sont soumises à un régime particulier (relecture, signature du déposant et du policier, art. 66 c.
pr. pén.), ensuite car l'audition n'est envisagée qu'après les constatations utiles dans la loi (art. 66 pour les
auditions et art. 54 pour les indices). Cependant, cette analyse a contre elle les nécessités du déroulement d'une
enquête criminelle en flagrance. Avant de procéder à des auditions au sens formel, les policiers sont bien obligés,
travaillant dans l'urgence, de se faire une première idée des faits, cette première idée servant à organiser leurs
recherches. L'arrêt du 21 octobre 2017 a tenu compte des besoins de la pratique. Il est, en outre, conforme à la loi
car les déclarations sommaires initiales ne sont pas de vraies auditions, l'arrêt ne parlant pas d'audition, mais de «
déclarations sommaires spontanément faites ». C'est donc une conception relativement large du concept de «
conservation des indices » qui doit être retenue. C'est d'ailleurs ce que fait déjà la jurisprudence dans des
hypothèses autres que les auditions (Crim. 13 janv. 1986, n° 84-90.041, Bull. crim. n° 19, policier qui annexe le
passeport d'un étranger au procès-verbal d'enquête ; 26 févr. 2003, n° 02-88.074, Bull. crim. n° 56 ; D. 2003. 1727
, obs. J. Pradel ; JCP 2003. IV. 1764 ; Dr. pénal 2003. Comm. 92, obs. A. Maron et M. Haas, reconstitution qui
n'est prohibée par aucun texte). Une certaine liberté est donc reconnue aux enquêteurs.

L'arrêt du 31 octobre 2017 semble être la première décision à distinguer les déclarations sommaires et les auditions
dans le cadre de l'enquête de flagrance, distinction dont la paternité revient en réalité aux juges bordelais. Et la
doctrine paraît silencieuse, sur cette distinction. En réalité, l'arrêt d'octobre 2017 officialise une pratique. On s'en
réjouira.
C - L'absence de permis de communiquer fait nécessairement grief à la personne et entraîne la nullité de la
procédure
Une personne mise en examen pour trafic de cannabis est placée en détention provisoire, à la suite d'un débat
contradictoire au cours duquel cette personne était assistée de deux avocats. Peu après, elle désigne un troisième
avocat. En vue d'une éventuelle prolongation de la détention provisoire, les trois conseils sont convoqués par le
juge d'instruction. Le troisième avocat sollicite en vain un permis de communiquer. À l'audience de prolongation,
aucun avocat n'est présent et le juge des libertés et de la détention (JLD) ordonne la prolongation de la mesure
privative de liberté. Sur appel du mis en examen faisant valoir l'irrégularité de la prolongation de la détention
découlant de l'absence de permis de communiquer au troisième avocat, la chambre de l'instruction affirme qu'il n'y a
pas atteinte aux droits de la défense. L'un des deux avocats, en premier lieu désignés par la personne mise en
examen, a fait connaître qu'il devait recevoir les convocations et a bénéficié d'un permis de communiquer, en sorte
qu'il importe peu que le troisième en ait ou pas reçu un, d'autant plus que le troisième défenseur avait indiqué au
JLD qu'il ne serait pas en mesure d'être présent le jour du débat contradictoire (Reims, ch. instr., 20 juill. 2017).
La cassation était inévitable : au visa de l'article 6, § 3, de la Convention EDH et des articles R. 57-6-5 du code de
procédure pénale, la délivrance d'un permis de communiquer entre le détenu et son avocat est indispensable à
l'exercice des droits de la défense et le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats « fait
nécessairement grief à la personne mise en examen » (Crim. 12 déc. 2017, n° 17-85.757, D. 2018. 11 ; AJ pénal
2018. 157, obs. T. Lefort ).
Un rappel rapide des textes s'impose, du moins des deux premiers. L'article 6, § 3, de la Convention EDH accorde à
tout accusé le droit de « se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix ». L'article 115,
alinéa 1 er, du code de procédure pénale dispose : « Les parties peuvent à tout moment de l'information faire
connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles ; si elles désignent plusieurs avocats, elles doivent
faire connaître celui d'entre eux auquel seront adressées les convocations et notifications... ». Trois séries de
remarques peuvent être faites.

Premièrement, l'arrêt de cassation prend soin de s'abriter derrière le droit européen : le permis de communiquer
permet d'assurer une « défense concrète et effective » (CEDH 13 mai 1980, n° 6694/74, Artico c/ Italie, § 33, AFDI
1981. 288, obs. G. Cohen-Jonathan). La conséquence est que tous les avocats - quel que soit le nombre - doivent
recevoir un permis de communiquer avec l'intéressé en maison d'arrêt. On ne peut se contenter d'un permis qui ne
serait remis qu'à l'avocat en premier désigné, puisque tous les avocats doivent être à égalité, et il importe peu qu'en
fait le troisième avocat ne vienne pas au débat contradictoire (Crim. 30 déc. 1968, Bull. crim. n° 543, acte régulier
même si l'avocat ne vient pas). Différente est la question relative à la convocation en vue de la prolongation de la
détention : c'est seulement l'avocat premier choisi qui doit être avisé et il importe peu que l'avocat dernièrement
désigné n'ait pas été convoqué dans le délai de cinq jours précédant le débat (Crim. 25 févr. 2014, n° 13-87.869,
Bull. crim. n° 51 ; D. 2014. 609 ; AJ pénal 2014. 484, obs. C. Porteron ; Dalloz actualité, 12 mars 2014, obs. Priou
Alibert).
Deuxièmement, l'importance de la communication est telle que la procédure est nulle (d'où la remise en liberté du
mis en examen) et que cette nullité est automatique : le grief est présumé car le défaut de délivrance du permis «
fait nécessairement grief à la personne mise en examen ». En fait il peut ne pas y avoir de grief, par exemple si les
avocats premiers nommés sont présents, ce qui d'ailleurs n'était pas le cas en l'espèce. Mais il importe peu qu'il y ait
ou non grief. L'exigence d'une bonne défense est si forte que l'on veut éviter un débat sur la preuve du préjudice,
bien difficile à rapporter. Actuellement, la jurisprudence utilise beaucoup cette notion, par exemple en matière de
garde à vue ou de droits de la défense (A. Gallois, Les nullités de procédure pénale, Gaz. Pal., 2017, 2 e éd., n° 167,
avec une riche énumération des cas).

Troisièmement, enfin, l'obligation de remettre à l'avocat un permis de communiquer pourrait cesser en cas de «
circonstances insurmontables empêchant la délivrance de cette autorisation ». C'est tout simplement l'application du
droit commun. Mais rien de tel en l'espèce où il y a eu probablement un simple dysfonctionnement du service de la
justice. Or une telle circonstance est en principe imputable à ceux qui la rendent. Il n'y a donc pas de force majeure
en l'espèce.

D - Un juge d'instruction ne peut refaire lui-même un acte nul

Selon l'article 116-1, alinéa 1 er, du code de procédure pénale, « en matière criminelle, les interrogatoires des
personnes mises en examen réalisés dans le cabinet du juge d'instruction, y compris l'interrogatoire de première
comparution et les confrontations, font l'objet d'un enregistrement audiovisuel ». Et l'alinéa 6 de cet article dispose
que, « lorsque l'enregistrement ne peut être effectué en raison d'une impossibilité technique, il en est fait mention
dans le procès-verbal d'interrogatoire qui précise la nature de cette impossibilité ». Que peut faire un magistrat
instructeur qui, en matière criminelle, a procédé à un interrogatoire de première comparution en oubliant d'assurer
un enregistrement de cet acte ?

Dans une espèce, un magistrat instructeur avait mis en examen une personne pour infraction criminelle en matière
de stupéfiants, sans procéder à l'enregistrement de cet acte, mais en présence de l'avocat de celle-ci. Le juge,
constatant son oubli, procède de nouveau, cinquante-six minutes après, à un interrogatoire de première
comparution, l'enregistrement étant cette fois effectué. L'avocat refuse d'assister à ce second acte. Le mis en
examen forme une requête en annulation des actes de la procédure. La chambre de l'instruction se refuse à le
suivre au motif que le juge n'a pas substitué un nouvel interrogatoire au premier en modifiant le contenu de ce
dernier, se contentant d'exécuter une opération matérielle pour en assurer l'enregistrement (Paris, ch. instr., 27
janv. 2017). La chambre criminelle n'est pas dupe de cet arrangement destiné à masquer la faute du juge et à
sauver la procédure. Et elle décide « qu'en prononçant ainsi, sans constater l'excès de pouvoir du juge d'instruction,
alors que ce magistrat, après un interrogatoire de première comparution qu'il avait estimé être entaché de nullité,
pour n'avoir pas fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel prévu par l'article 116-1, a recommencé cet acte pour
l'enregistrer, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 116-1, 171, 172 et 206 du code de procédure pénale
et le principe selon lequel le juge d'instruction ne saurait, sans excès de pouvoir recommencer un interrogatoire qu'il
estime entaché d'irrégularité. En procédant ainsi, il empiète sur les attributions de la chambre de l'instruction, seule
compétente [...] pour en apprécier la régularité, sous le contrôle de la Cour de cassation » (Crim. 19 sept. 2017, n°
17-81.016, D. 2017. 1912 ).
Le débat se circonscrit donc autour des articles 116-1, déjà rappelé, 171 (nullité en cas de méconnaissance d'une
formalité substantielle), 172 (possibilité pour une partie de régulariser une nullité substantielle) et 206 (monopole
de la chambre de l'instruction de prononcer les nullités). De la sorte, le juge d'instruction, constatant son oubli ou
son erreur, doit donc en somme « aller à Canossa » en confessant sa faute à la chambre de l'instruction seule
compétente pour lui donner le pardon en réparant son erreur. C'est logique car un organe ne peut lui-même se
sanctionner en réparant son erreur. Il peut tout au plus penser qu'il a commis une faute et demander à son
supérieur de le sanctionner ou d'en tirer toutes conséquences de droit. Le même raisonnement vaut pour les fautes
commises par les enquêteurs opérant sur commission rogatoire car ils agissent par délégation du juge, comme si ce
dernier agissait lui-même. Bref, le juge ne peut « empiéter » sur le domaine de compétence matérielle de la
chambre.

Il existe certes une limite à tout cela, tirée de l'article 172 qui permet au juge de demander à la partie concernée de
lui pardonner son erreur en s'engageant à renoncer à s'en prévaloir (de façon expresse, son avocat ayant été
appelé ou étant présent). Mais cette possibilité ne vaut que pour les nullités substantielles et l'on peut douter que
la violation de l'article 116-1 en soit une. En effet, si l'article 802 du code de procédure pénale exclut l'annulation
d'une procédure, notamment en cas d'inobservation d'une formalité substantielle n'ayant pas eu « pour effet de
porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », ce texte ne s'applique pas dans les hypothèses où la
violation « porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ».
C'est la fameuse théorie du grief présumé irréfragablement.

Or cette règle s'applique notamment à des méconnaissances de l'article 116-1, pour lesquelles la jurisprudence
utilise expressément cette formule (V. en dernier lieu, Crim. 11 avr. 2018, n° 17-86.711, D. 2018. 852 ). Les juges
attachent le plus grand prix à l'enregistrement des interrogatoires en matière criminelle, car, en cas de contestation
des déclarations recueillies, il pourra être procédé à l'audition. On touche donc aux droits de la défense, d'autant
plus que l'on se trouve ici en matière criminelle. La règle vaut même si la personne déclare ne pas vouloir parler
(Crim. 22 juin 2016, n° 15-87.752, Bull. crim. n° 196 ; D. 2016. 1565 ).
E - Appel du mis en examen contre l'ordonnance le renvoyant en correctionnelle

L'ordonnance du juge d'instruction décidant le renvoi du mis en examen devant le tribunal correctionnel peut être
frappée d'appel par celui-ci et par la partie civile « lorsqu'ils estiment que les faits[...] constituent un crime qui aurait
dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises » (art. 186-3, al. 1 er, et 179, al. 1 er,
c. pr. pén.). La jurisprudence a déjà fait application de ces textes pour le cas où le mis en examen était mineur (Crim.
20 nov. 2013, n° 13-83.047, Bull. crim. n° 235 ; D. 2013. 2779 ; AJ pénal 2014. 188, obs. J.-B. Perrier ; Dalloz
actualité, 12 déc. 2013, obs. Fucini ; Gaz. Pal. 3 févr. 2014. 46, note Fourment). Cependant, un tel appel, outre qu'il
affaiblit l'autorité de l'ordonnance, entraîne un allongement de la procédure. D'où un contrepoids prévu par l'article
186-3, alinéa 3, réécrit par une loi du 3 juin 2016 : hormis ce cas (et un autre relatif à l'hypothèse où deux juges
d'instruction auraient été cosaisis et où un seul aurait signé l'ordonnance, ce qui peut traduire une opposition entre
les deux juges, art. 186-3, al. 2, et 83-2 c. pr. pén.), l'appel est exclu et il donne lieu à une ordonnance de non-
admission de l'appel par le président de la chambre de l'instruction (art. 186-3, al. 3) ; le ton du texte ne laisse à ce
magistrat aucun pouvoir d'appréciation.
Il importe donc, pour le président de la chambre de l'instruction, de connaître l'objet de l'appel puisque si l'appelant
conteste autre chose que la qualification, s'il conteste autre chose que la correctionnalisation, il se verra barrer la
route vers la chambre de l'instruction.

En l'espèce, à la suite d'une mise en examen du chef notamment de crime de tentative de meurtre en bande
organisée, le juge d'instruction avait rendu une ordonnance requalifiant les faits en violences correctionnelles.
L'intéressé, qui préférait tenter sa chance aux assises, frappa d'appel cette ordonnance. Le président de la chambre
de l'instruction y fit obstacle au motif « qu'il ne résultait d'aucun élément porté à sa connaissance que l'appel était
formé dans l'un des cas prévus par l'article 186-3 » (Aix-en-Provence, 22 juin 2017). Le président s'était fondé
uniquement sur la lettre de l'acte d'appel qui ne visait pas le cas où l'appel était possible. L'annulation de
l'ordonnance était inévitable. En effet, la chambre criminelle rappelle que la recevabilité de l'appel d'une ordonnance
de renvoi devant le tribunal correctionnel « peut être appréciée non seulement au vu des situations figurant dans
l'acte d'appel, mais aussi en fonction des motifs de ce recours exposés par mémoire devant la chambre de
l'instruction » (Crim. 29 nov. 2017, n° 17-84.566, D. 2017. 2480 ). La formule avait déjà été consacrée (Crim. 4
juin 2014, n° 14-80.544, Bull. crim. n° 148 ; D. 2014. 1277 ; AJ pénal 2014. 591, obs. J. Lasserre Capdeville ;
Dalloz actualité, 23 juin 2014, obs. C. Fonteix ; JCP 2014, n° 789, note Gallardo). La conséquence pratique de cette
cassation est que la chambre de l'instruction, du fait de l'annulation de l'ordonnance présidentielle, se trouve saisie,
mais évidemment autrement présidée.

Cette jurisprudence doit être rapprochée de deux autres. D'abord l'article 186-3 s'applique également si
l'ordonnance du juge est prise à la suite du renvoi opéré par le tribunal correctionnel en cas d'irrégularité de
l'ordonnance au sens de l'article 385, alinéa 2, du code de procédure pénale (Crim. 15 nov. 2016, n° 16-84.619,
Dalloz actualité, 1 er déc. 2016, obs. C. Benelli de Bénazé). Ensuite, l'ordonnance de non-admission est insusceptible
de recours (Crim. 28 mars 2017, n° 17-80.382).

IV - Jugement
A - Le droit à l'aide juridictionnelle, condition d'un procès équitable

Une personne condamnée pour violences contraventionnelles fait appel et, à cette occasion, sollicite le bénéfice de
l'aide juridictionnelle. À l'audience, l'intéressé n'est ni comparant ni représenté, et la cour confirme le jugement
(Versailles, 10 oct. 2016). Il forme un pourvoi en cassation en visant l'article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
relative à l'aide juridique (selon lequel « le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat... »)
et l'article 43-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (selon lequel « la juridiction avisée du dépôt d'une
demande d'aide juridictionnelle est tenue de surseoir à statuer dans l'attente de la décision statuant sur cette
demande »). La chambre criminelle fonde son raisonnement au double visa de l'article 25 de la loi de 1991 et de
l'article 6, § 1, de la Convention EDH : ce dernier, précise-t-elle, veut que toute personne ait droit à un procès
équitable et le premier indique que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat, celle-ci
devant « constituer un droit concret et effectif ». Et elle casse l'arrêt versaillais, le prévenu ayant sollicité l'aide
juridictionnelle avant l'audience des débats, « peu importait que la cour d'appel en ait ou non été avisée » (Crim. 21
nov. 2017, n° 17-81.591, D. 2017. 2428 , et 2018. 196, chron. G. Guého ; AJ pénal 2018. 156, obs. J. Andrei ).
La chambre criminelle opère en deux temps : le prévenu avait droit à un avocat et il n'en a pas eu à l'audience
devant la cour d'appel, d'où la conséquence que son droit à une procédure équitable n'a pas été respecté. Et, pour
faire bonne mesure, l'arrêt se rappelle de l'expression des juges européens, selon laquelle l'assistance d'un conseil
« doit constituer un droit concret et effectif ». On sait, en effet, que la CEDH dit et répète que « les droits reconnus à
l'article 6 de la Convention EDH visent à assurer une défense concrète et effective, et non pas théorique et illusoire
» (CEDH 13 mai 1980, n° 6694/74, Artico c/ Italie, § 33 ; 25 avr. 1983, n° 8398/78, Pakelli c/ Allemagne, § 31). Les
magistrats de la chambre criminelle se sont contentés de reproduire seulement la première partie de la formule.
Mais, de toute façon, l'appel au droit européen renforce la décision en faisant apparaître que le droit à l'assistance
judiciaire est un droit fondamental puisque de nature conventionnelle.

De plus, la chambre criminelle indique que peu importe que les juges du fond aient été ou non au courant de la
demande d'aide juridictionnelle. L'absence à la fois du prévenu et d'un avocat aurait dû les alerter et les conduire à
surseoir à statuer. L'argument reste cependant fragile si les juges ignorent la demande du prévenu. Peut-être la
mention de cette demande ne figurait pas au dossier. Il faut alors voir dans l'incidente faite par la Cour de cassation
un appel des juges à la vigilance : l'absence du prévenu et d'un avocat devait par principe éveiller des soupçons
d'un mauvais fonctionnement de la justice et les amener à surseoir à statuer.

B - De la motivation des peines criminelles

Face à la masse considérable d'arrêts de la chambre criminelle sur la motivation des peines en matière
correctionnelle et criminelle, la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2018 (Cons. const., 2 mars 2018, n°
2017-694 QPC, D. 2018. 1191 , note A. Botton ) apporte une précision essentielle qui s'attache à l'autorité de
cette juridiction : alors que l'article 365-1 du code de procédure pénale dispose « qu'en cas de condamnation, la
motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui ont convaincu la cour d'assises... », le
Conseil décide que le législateur, « en n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, a méconnu
les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 [...], en sorte que la disposition précitée de
l'article 365-1 doit être déclarée contraire à la Constitution » (§ 10). En somme, la motivation doit porter à la fois sur
la culpabilité et sur la peine, en matière criminelle (V. sur la décis. du 2 mars 2018, H. Matsopoulou, note au JCP 16
avr. 2018, n° 457, p. 772).

Cette décision doit avant tout être replacée dans son cadre jurisprudentiel. La CEDH n'exige pas de motivation des
peines en matière criminelle dès lors que les questions posées composent « un ensemble précis et exempt
d'ambiguïté sur ce qui est reproché au requérant » (CEDH, gde ch., 29 nov. 2015, n° 34238/09, Lhermittte c/
Belgique, RSC 2017. 128, obs. J.-P. Marguénaud ), lequel alors « dispose de garanties suffisantes lui permettant de
comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre » (CEDH 10 janv. 2013, n° 53405/10,
Legillon c/ France ; 19 déc. 2017, n° 78477/11, Ramada c/ France, D. 2018. 11 ; AJ pénal 2018. 153, obs. S. Lavric )
et peut ainsi saisir les raisons d'une peine plus sévère prononcée en appel (CEDH 10 janv. 2013, n° 60995/09, Voica
c/France, AJ pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc ). Au fond, la CEDH déduit de la bonne qualité de la
procédure, et notamment de la formulation des questions que la peine est implicitement motivée et donc
compréhensible pour l'accusé condamné.

La chambre criminelle, de son côté, décide avec netteté, au visa de l'article 365-1, que, « en cas de condamnation
par la cour d'assises [...] la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu'ils prononcent dans les
conditions définies à l'article 362 du code de procédure pénale » (trois arrêts du 8 févr. 2017, n° 15-86.914, n° 16-
80.389 et n° 16-80.391, D. 2017. 1557, chron. B. Laurent , et 1676, obs. J. Pradel ; Rev. pénit. 2017. 414, obs.
Bonis-Garçon ; H. Dautras-Bioy, Qui peut motiver plus doit s'abstenir de le faire, Dr. pénal 2017. Étude 10). Deux
autres arrêts décidèrent de façon très proche « qu'en l'absence d'autre disposition légale le prévoyant, la cour et le
jury ne doivent pas motiver le choix de la peine... » (Crim. 8 févr. 2017, n° 16-81.242, D. 2017. 1557, chron. B.
Laurent ; 11 mai 2017, n° 16-83.327 ; 28 juin 2017, n° 16-85.904). En revanche, en matière correctionnelle, la
chambre criminelle après avoir considéré que « les juges disposent d'un pouvoir d'appréciation dont ils ne doivent
aucun compte » (Crim. 14 mai 1998, n° 96-84.622), décide aujourd'hui qu'ils doivent motiver la peine principale ou
complémentaire qu'ils prononcent (Crim. 1 er févr. 2017, n° 15-84.511, n° 15-85.199 et n° 15-83.984, D. 2017. 961
, note C. Saas ; AJDA 2017. 256 ; AJ pénal 2017. 175, note E. Dreyer ; AJCT 2017. 288, obs. S. Lavric ; JCP
2017. 276, note E. Dreyer, et 277, note J. Leblois-Happe ; Dr. pénal 2017. Comm. 69, note E. Bonis-Garçon ; E.
Dreyer, Pourquoi motiver les peines ?, D. 2018. 576 ). Il est vrai que ces arrêts ont été rendus sur le fondement de
l'article 132-1 du code pénal, auquel une loi du 15 août 2014 a ajouté que « toute peine prononcée par la juridiction
doit être individualisée » et que « la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées
en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle,
familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 ».

On en arrivait ainsi à une situation bizarre, sinon choquante : au grand criminel, pas de motivation de la peine, sur la
foi d'une interprétation stricte de l'article 365-1 du code de procédure pénale ; en matière correctionnelle (où les
enjeux sont moindres), motivation voulue par le législateur à l'article 132-1 du code pénal et contrôlée par la
chambre criminelle. D'où la saisine du Conseil constitutionnel par la chambre criminelle qui constate que cette
situation « est susceptible de créer entre les prévenus et les accusés une différence de traitement contraire à la
Constitution » et qui, en outre, estime que, les textes litigieux (art. 362 et 365-1) n'ayant pas été déclarés
conformes à la Constitution, la question présente un caractère sérieux car l'obligation de motiver est une garantie
légale contre l'arbitraire du juge (Crim. 13 déc. 2017, n° 17-82.086). Et c'est ainsi que le Conseil constitutionnel,
dans sa décision du 2 mars 2018, étend aux affaires criminelles la motivation déjà admise en matière correctionnelle
et que, plus récemment la chambre criminelle étend en toute logique la motivation aux peines contraventionnelles
(Crim. 30 mai 2018, n° 16-85.777, D. 2018. 1208 ).
Qu'en penser ? Juridiquement, le progrès du droit est évident. D'abord, car disparaît ce qui était au mieux une
inélégance en réalité une irrégularité criante. Ensuite, car la nécessité de motiver les décisions peut se fonder sur
une interprétation large des articles 7 (détention possible seulement dans les cas déterminés par la loi), 8 (peines
strictement et évidemment nécessaires) et 9 de la Déclaration de 1789 (présomption d'innocence). En outre, car tout
condamné ayant le droit de savoir pourquoi et comment il est condamné, la motivation exclut l'arbitraire.
Pratiquement, les choses sont moins nettes. Peut-être que la motivation peut réduire les cas d'appel. Mais toute
motivation présente, à un degré plus ou moins élevé, une dose de subjectivité : tel argument peut être présenté
comme un élément à charge ou à décharge, et l'on se souvient que certains criminologues considèrent que le
récidiviste est moins responsable que le délinquant primaire car il est prisonnier de son inactivité (R. Gassin, S.
Cimamonti et P. Bonfils, Criminologie, Dalloz, 7 e éd., 2011, n° 841 s.), alors que la loi prévoit une peine plus forte
pour celui-là que pour celui-ci. Il faut bien se dire aussi que, du fait d'une relative faiblesse du dossier de
personnalité - malgré de méritoires efforts du législateur et des praticiens -, ce dossier n'est pas toujours suffisant
pour que les juges et jurés connaissent tous les recoins de l'intimité psychologique de l'accusé. Naguère, la chambre
criminelle avait considéré que les circonstances atténuantes modulant la peine étaient du domaine du juge du fait
qu'il n'était pas tenu de motiver sa décision à cet effet (Crim. 23 déc. 1955, Bull. crim. n° 599 ; 24 oct. 1973, Bull.
crim. n° 379). Les temps ont bien changé. Malgré tout, la nouvelle règle de droit est sans nul doute meilleure.

C - Box vitrés pour prévenus ou accusés dangereux


Par imitation de ce qui se pratique parfois à l'étranger et en vue de prévenir des troubles causés par certains
prévenus ou accusés dont la comparution à l'audience correctionnelle ou criminelle peut présenter des dangers
particuliers, quelques juridictions françaises se sont dotées de box vitrés. Les avocats ont fort mal pris la chose et ils
ont tenté, par des voies juridiques, de revenir sur ces pratiques. Ils ont mené le combat sur deux plans.

D'un côté, des avocats (en l'espèce du barreau de Versailles) ont saisi le juge administratif en référé sur la base de
l'article L. 521-2 du code de justice administrative, selon lequel le juge des référés « peut ordonner toute mesure
utile à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte
grave et manifestement illégale ». Ce barreau soutenait que le box installé au tribunal de grande instance de
Versailles porte atteinte aux droits de la défense en ce qu'il conduit à séparer le prévenu de son avocat et du juge
et, de plus, fait peser sur ce prévenu un soupçon de dangerosité. Il demande en conséquence le retrait de ce box.
Le juge des référés se déclare incompétent (TA Versailles, ord. juge réf., 17 janv. 2018, n° 1800224). Le Conseil
d'État, comme le juge d'appel, confirme la solution. À ses yeux, l'installation d'un tel box « n'est pas détachable des
modalités de déroulement de l'audience, dont il appartient au président de la juridiction d'assurer la police », d'où «
il résulte que le contentieux relatif à une telle installation concerne le fonctionnement de l'autorité judiciaire » et que
« la juridiction administrative n'est en conséquence pas compétente pour en connaître » (CE 16 févr. 2018, n°
417944, Ordre des avocats au barreau de Versailles, D. 2018. 421 ; AJDA 2018. 370 ). La solution s'imposait au
nom de la séparation des pouvoirs. Le Conseil d'État avait déjà jugé que « le juge des référés n'est compétemment
saisi que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure
d'urgence qu'il lui est demandé de prescrire n'échappe pas manifestement à la compétence de la juridiction
administrativement » (CE 29 oct. 2001, n° 237132 , Raust).

Certes, la justice judiciaire est bien un service public, mais un service public très particulier, échappant donc à la
compétence du juge administratif. L'ordonnance par laquelle le premier président de la cour d'appel répartit chaque
année, en application de l'article L. 121-3 du code de l'organisation judiciaire, les juges des chambres ne peut être
contestée devant le juge administratif (CE 23 juill. 2010, n° 328463 , Syndicat de la magistrature, AJDA 2010. 1508
). Il en va de même du contentieux relatif à une ordonnance de roulement du président du tribunal (T. confl., 12
févr. 2018, n° 4115 , AJDA 2018. 374 ; JCP 2018, n° 647, note H. Pauliat).
D'un autre côté, d'autres avocats ont tenté leur chance en utilisant la voie judiciaire. Le Syndicat des avocats de
France (SAF), l'Association des avocats pénalistes, la Conférence des bâtonniers, le Conseil national des barreaux, le
FNUJA, l'UJA de Paris et une vingtaine de barreaux (dont celui de Paris) avaient assigné la ministre de la justice et
l'agent judiciaire de l'État pour faute lourde, en ayant « mis en place sans concertation des box de verre sécurisés
dans les salles d'audiences pénales des juridictions françaises au cours de l'été et de l'automne 2017 » (O. Dufour,
Boxes vitrés : le SAF assigne la ministre de la Justice pour faute lourde, Gaz. Pal. 21 nov. 2017). Les demandeurs
invoquaient notamment une violation de l'article 318 du code de procédure pénale, selon lequel « l'accusé comparaît
libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader ». Le tribunal de grande instance de Paris
s'est estimé compétent pour statuer, tout en déclarant irrecevables les demandes des avocats au motif que « seul
un usager du service public pour lequel il existe un lien effectif avec le dysfonctionnement dénoncé peut invoquer la
faute lourde de l'État, alors que l'avocat étant un auxiliaire de la justice n'est pas un usager du service public de la
justice ; il en va a fortiori des barreaux et associations représentantes de la profession d'avocat ». Le tribunal ajoute
que « la comparution dans un box sécurisé à l'occasion d'un procès pénal déterminé n'est pas en soi constitutive
d'un dysfonctionnement du service public de la justice, ni une atteinte aux droits de la défense ou à la dignité du mis
en cause » (TGI Paris, 12 févr. 2018, n° 1715785, Gaz. Pal. 20 févr. 2018, p. 7, note L. Garneire). Naguère, la
chambre criminelle avait décidé la même chose en soulignant que les accusés « sont libres de leurs mouvements s'il
y a des aménagements permettant à chacun d'eux de communiquer librement et secrètement avec leur conseil »
(Crim. 15 mai 1985, Bull. crim. n° 188).

Le débat n'est pas clos car il peut rebondir avec la directive UE 2016/143 du 9 mars 2016 portant renforcement de
certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures
pénales, aujourd'hui transposée en droit français (J. Pradel, Quelques observations sur la présomption d'innocence.
À propos de la directive du 9 mars 2016, Rev. pénit. 2016. 265 ; B. Thellier de Poncheville, ibid. p. 486). Selon l'article
5-1 de la directive, « les États membres prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que les suspects et les
personnes poursuivies ne soient pas présentées à l'audience ou en public comme étant coupables par le recours à
des mesures de contrainte physique ». Et le considérant 20 de cet instrument, plus précis, invite les autorités
compétentes « à s'abstenir de présenter les suspects et les personnes poursuivies comme étant coupables, à
l'audience ou en public, par des mesures de contrainte physique, telles que menottes, box vitrés, cages et entraves
de métal, à moins que le recours à de telles mesures ne soit nécessaire pour des raisons liées au cas d'espèce soit
à la sécurité, [...] soit à la nécessité d'empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite... ».
Ainsi les box ne sont pas interdits, mais d'application restrictive dans les deux cas indiqués, et encore les autorités
ne sont pas « tenues de prendre une décision officielle sur le recours à de telles mesures », ce qui rassurera les
magistrats et permettra en principe de conserver les box déjà utilisés (V. cependant, CEDH 17 avr. 2018, n°
23229/11, Karachentsev c/ Russia, violation de l'art. 3 Conv. EDH en l'espèce).

Mots clés :
PROCEDURE PENALE * Panorama 2018

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