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Danielle Bastien
venir, pour qu’il vienne). Mon écoute des tout premiers ins-
tants se voit pourtant plus précisément arrêtée par cette néga-
tion et par l’inversion de l’opération subjective : « J’attendais
avant que cela ne se sache, qu’il soit trop tard… » alors qu’on
se serait attendu à : « J’attendais qu’il soit trop tard (pour
qu’il ne vienne pas au monde), avant que cela se sache (qu’il
allait venir au monde). »
Je ne comprendrai que bien plus tard, dans l’après-coup du
travail avec Julie, ce qui était à l’œuvre et que je nommerais à
présent l’inversion temporelle présente dans cet événement
particulier et étrange que constitue une interruption volontaire
de grossesse (IVG). Cette inversion temporelle témoigne en
quelque sorte d’une inversion repérable dans le processus de
séparation, comme s’il s’agissait d’en passer par un acte pour
inscrire une séparation, alors que précisément l’acte vient
faire trace de l’échec de symbolisation, et de sa tentative de
suppléance qui ici, en passe par le corps. C’est ce que le travail
de construction dans l’analyse m’a appris avec Julie. Je n’en
savais rien au moment où elle prononça ces mots. Je ne savais
pas pourquoi ces particularités discursives attiraient mon
attention, ni pourquoi je pensais devoir les épingler dans mon
écoute. Il se révéla pourtant dans l’après-coup - puisque sans
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était bon pour elle et pour qui il n’a jamais été question de
relations sexuelles entre Julie et son ami. Cet enfant doit dis-
paraître puisqu’il n’a pas à exister. La mère décide pour sa
fille et déclare qu’elle doit avorter coûte que coûte. Effective-
ment, ça va lui coûter cher, dans tous les sens du terme, finan-
cièrement, mais surtout psychiquement.
La première fois que je reçois Julie, 9 mois après une inter-
vention pratiquée à l’étranger, elle dit : « Ce n’est pas par
hasard que ça fait 9 mois. Je viens chez vous justement 9 mois
après que ça s’est passé, et ce qui s’est passé, c’est que j’ai
tué mon enfant. » Lors du premier rendez-vous, la mère
accompagne Julie et l’attend avec désagrément dans la salle
d’attente. Elle aurait voulu participer à l’entretien, ce que je ne
soutiens pas, bizarrement, puisque de coutume je reçois ceux
qui veulent être entendus dans le premier temps de la demande
pour mettre le cadre de travail en place dans un deuxième
temps. Ici et je ne sais pour quelle raison, consciente du
moins, j’ai souhaité entendre Julie seule et laisser sa mère tré-
pigner dans la salle d’attente. Elle se devait d’être là, me dira-
t-elle entre les deux temps d’ouverture et de fermeture de
porte, « de crainte qu’il arrive quelque chose à ma fille ».
Quelque chose pourtant était déjà arrivé, c’est bien de cela
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Julie