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"Ce ne sont pas les épanchements de l'inconscient, mais plutôt la maîtrise des tendances
inconscientes, la soumission de la faculté créatrice à une forte discipline esthétique qui seules
permettent les oeuvres d'art. […]

 Ce qui permet la créativité, ce n'est pas un débordement de l'inconscient, mais le fait que des
éléments soigneusement choisis dans les fantasmes, et ordonnés, soient rigoureusement
travaillés par un esprit critique d'une façon extrêmement disciplinée et dans le cadre d'une
tradition bien comprise. Peu importe que l'artiste accepte, modifie ou rejette une tradition
précise ; autrement dit, peu importe la façon dont ses oeuvres se relient à cette tradition. Mais
pour qu'elle puisse communiquer sa signification, l'oeuvre d'art doit être positivement ou
négativement rattachée à une tradition. Psychanalytiquement parlant, cela implique que le
matériel inconscient sert de substrat à l'oeuvre d'art, mais que celle-ci ne peut exister si ce
matériel n'est pas modelé et socialisé par les forces du moi et du surmoi. S'il me fallait
expliquer ma pensée d'une façon terre à terre, je dirais que quand l'importance de l'inconscient
dans l'éducation artistique a été reconnue, cela a conféré à l'art un rôle unique, parce que la
presque totalité du reste de l'éducation est destinée à réprimer l'inconscient. Mais il est faux
d'en conclure qu'il faille simplement laisser l'inconscient dominer l'enseignement artistique.

 Les professeurs d'art devraient en effet montrer à leurs élèves que l'inconscient ne doit pas
être réprimé, qu'il peut devenir la source d'une grande vitalité... mais seulement lorsqu'il a été
maîtrisé par les forces du moi et enrichi par lui. Ce qu'il faut, c'est une mise en oeuvre
disciplinée du matériel inconscient chaotique; il faut qu'il soit transformé et moulé dans des
formes qui soient significatives aussi bien pour l'artiste lui-même que pour les autres. Nos
élèves devraient apprendre que l'inconscient, quand il est utilisé- comme une ressource
naturelle, peut énormément vivifier l'ensemble de la personnalité ; tandis que l'expression
libre et effrénée de l'inconscient est un pas vers la désintégration de la personnalité."

Bruno Bettelheim, "Points de vue personnels sur l'art et l'éducation artistique", 1962, in
Survivre, tr. fr. Théo Carlier, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 485-486.

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