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Bernard Baas
2006/1 no 7 | pages 83 à 94
ISSN 1634-3298
ISBN 2749204267
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2006-1-page-83.htm
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ill. 2 : Rembrandt,
Aspect de l’atelier
de Rembrandt,
dessin à la plume
et à l’aquarelle, 1648,
musée du Louvre, Paris
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qui sépare les deux plans du tableau et qui, pour nous, fait écran, nous
interdisant de voir au-delà d’elle. Certes, l’histoire de la peinture a
souvent joué de ce motif d’une toile posée sur un chevalet et venant
faire écran au regard du spectateur ; Rembrandt lui-même a servi ce
motif dans un petit tableau intitulé Le chevalet 16 (voir hors-texte,
p. 2 : Rembrandt, Le chevalet, huile sur toile, Museum of Fine Arts,
Boston)
Mais c’est alors l’envers de la toile qui fait écran, interdisant au
spectateur de voir la peinture dont elle est le support. En revanche,
dans la gravure qui nous intéresse ici – et c’est là ce qui fait son ori-
ginalité –, c’est bien le recto de la toile qui est présenté, c’est la face
visible du tableau qui, en tant que vide, vient faire écran au regard du
spectateur. Il y a là quelque chose d’essentiel qu’on ne retrouve pas
dans le dessin préparatoire à cette gravure, où le jeu de clair-obscur a
pour fonction de faire ressortir le seul personnage de la jeune fille sur
le fond obscur dans lequel disparaît presque le dessinateur lui-
16. Ce tableau est également
même 17 (ill. 3). Entre ce dessin préparatoire et la gravure finale, Rem- connu sous le titre Le peintre
brandt aura radicalement modifié la structure de sa composition ; il dans son atelier ; Museum of Fine
aura délibérément choisi d’opposer le clair et l’obscur non plus Arts, Boston.
comme la figure et le fond, mais comme deux plans radicalement dis- 17. Dessinateur et modèle ; British
tincts, séparés par l’écran de la toile vide. Museum, Londres.
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ill. 3 : Rembrandt,
Dessinateur et modèle,
dessin à la plume, 1647,
British Museum, Londres
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férent que toute cette leçon sur le regard ait commencé par une reprise
de la thèse de Merleau-Ponty sur le regard comme cet invisible qui
hante le visible : le regard n’est pas la fonction visuelle ; mais il est
cet invisible qui revient du monde vers le sujet et qui ainsi ouvre l’es-
pace de la visibilité. C’est en quoi le sujet voyant est toujours déjà
regardé ; et il n’est voyant que pour autant qu’il est regardé. Le regard
comme objet a est ce qui soutient la vision du sujet sans que celui-ci
n’en sache ni même n’en perçoive rien. Dans le cas du tableau, ce
regard est ce qui, du tableau, revient sur le spectateur lui-même et le
fait être regardé. D’une certaine manière, le désir scopique du specta-
teur tend à voir ce regard invisible qui attire son œil sur la toile – c’est
ce que Lacan appelle « l’appétit de l’œil chez celui qui regarde 32 » ;
mais le tableau ne lui donne pas à voir ce regard : son œil est arrêté
par et sur « quelque chose au-delà de quoi il demande à voir 33 ». Et
ce qui arrête ainsi la vision, c’est justement l’écran. L’écran, comme
« lieu de la médiation 34 », est à la fois ce qui sépare et relie le plan du
sujet ou plan de la vision et le plan de l’Autre ou plan du regard :
« Quant à ce qui, de l’un à l’autre, fait la médiation, ce qui
est entre les deux, c’est quelque chose d’une autre nature que
l’espace optique géométral, quelque chose qui joue un rôle
exactement inverse, qui opère, non point d’être traversable,
mais au contraire d’être opaque – c’est l’écran 35 ».
Sur la gravure de Rembrandt, cet écran opaque est le panneau
blanc posé sur le chevalet ; c’est là que notre vision de spectateurs est
arrêtée. Mais, pour cette raison même, cet écran fait signe vers ce qu’il
cache : au-delà de lui, il n’y a que la masse sombre et indistincte d’où
nous sommes regardés par ce regard invisible qui nous attire et nous
fait être regardants. On l’a dit : l’originalité de cette gravure de Rem-
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jeune fille de pierre, des épaules de laquelle est tombée l’étoffe qui
pouvait la voiler. Cet autre regard, ce regard pétrifié, est le regard de
l’Autre, le regard comme objet a. De ce regard obscur procède le
regard que le dessinateur porte en toute clarté sur son modèle, mais
qui se heurte à la limite du visible. C’est là ce que notre Pygmalion ne
peut ni voir ni savoir : il n’est lui-même regardant que parce qu’il est
déjà regardé.
À cet égard, la composition de cette gravure fait apparaître
quelque chose de remarquable : c’est la ligne droite – parfaitement
droite – qui va de l’œil de l’artiste à l’œil du buste en passant exacte-
ment par l’œil de la jeune fille, comme pour signifier que l’artiste,
regardant son modèle, est lui-même déjà regardé par cet autre regard
qui lui revient d’au-delà de ce qu’il contemple. Sans qu’il en sache
rien, son regard est arrêté sur l’objet désirable de sa contemplation,
au-delà duquel advient l’autre regard qui se pose sur lui, le regard de
l’Autre qu’il ne peut pas voir et qui le fait être regardant.
Et, à ce titre, la position de l’artiste dans la scène représentée
36. N° 63 dans le catalogue
n’est pas indifférente : il est certes assis ; mais non assis sur le petit d’Adam Bartsch.
fauteuil – contrairement à la description qu’en donnent certaines
37. Sur la composition de cette
monographies. Peut-être même est-il seulement accroupi, mais assu- gravure, et notamment sur ce re-
rément à côté du siège. Or ce siège vide est, lui, tourné en direction gard, voir l’étude citée supra
non pas du modèle mais du buste. Si l’artiste était assis dans ce siège, note 31, p. 113. Peut-être est-ce
encore le même siège qu’on aper-
alors il verrait le regard qui se porte sur lui. Mais c’est ce qui est jus- çoit dans le dessin représentant
tement impossible. Et c’est pourquoi il est essentiel que ce siège reste l’atelier de Rembrandt [ill. 2]
vide (du reste, on retrouve exactement le même fauteuil dans une – mais là, c’est le modèle qui est
assis dans le fauteuil – et dans La
autre gravure de Rembrandt, La Vierge au chat 36 (ill. 4) : là aussi, le Sainte Famille du Musée de Kassel
siège est vide, et se porte sur lui le regard énigmatique d’un person- – c’est alors la Vierge qui occupe
nage venant de l’arrière-plan de la composition 37). la place.
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ill. 4 : Rembrandt,
La Vierge au chat,
eau-forte et pointe-sèche,
1654, Rijksmuseum,
Amsterdam
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