Vous êtes sur la page 1sur 1

Revue Romane, B nd 10 (1975) 1

Le théâtre d'A mé Césa re


par

Freder ck Ivor Case

Dans la tragéd e d'A mé Césa re, les mages poét ques se cr stall sent en un héros dramat que
dont la caractér sat on est toujours l ée à la lutte ant colon al ste. S Césa re cho s t le chef nègre
comme héros de ses quatre p èces on ne s'étonne pas qu' l semble s'expr mer personnellement à
travers les paroles du Rebelle dans Et les Ch ens se ta sa entl, de Chr stophe dans La Tragéd e
du Ro Chr stophe2, de Lumumba dans Une Sa son au Congo* et de Cal ban dans Une
Tempête4. Cependant, la psycholog e de chacun des héros est compl quée et les problèmes
soulevés par la présence d'égoïstes prêts à trah r le l bérateur accentuent le drame du Nègre qu
se rebelle contre la cond t on de sa nat on et de sa race.

On comprend fac lement pourquo la frustrat on et l' mpat ence sont des caractér st ques des
quatre héros. Ils luttent contre un ennem ntér eur et extér eur, ls luttent contre ceux qu les
a ment et contre leurs propres l eutenants, et très souvent ls sont v ct mes de leurs propres
fa blesses.

Ma s la tragéd e huma ne de chacun des héros est agencée d'une façon d st nct ve. Chacun
d'eux, en même temps v s onna re et prophètes, porte certa ns tra ts de caractère et se vo t
v ct me d'une certa ne conjoncture, ce qu le condu t à l'échec. Le côté nexorable du dest n
rappelle la tragéd e class que des Grecs, tand s que les fa blesses huma nes du héros rappellent
l'œuvre de Shakespeare6. Dans cette étude, nous ne cherchons pas à fa re de va nes
compara sons entre l'œuvre de Césa re et celle d'auteurs européens. Le théâtre de Césa re est
l'express on d'une consc ence nègre qu se man feste

1: A. Césa re: Et les Ch ens se ta sa ent, Présence Afr ca ne, 1956.

2: A. Césa re: La Tragéd e du Ro Chr stophe, Présence Afr ca ne, 1970.

3: A. Césa re: Une Sa son au Congo, Seu l, 1967.

4: A. Césa re: Une Tempête, Seu l, 1969.

5: Vo r l'art cle de Georges Ngal: «Une dramaturg e de la décolon sat on» n la Revue des
Sc ences Huma nes, Vol. XXXV, 1970. Dans cet art cle Ngal étud e les qual tés v s onna res et
prophét ques des héros de Césa re.

6: Vo r l'art cle de G. Ngal (note 5) et la thèse de doctorat de R. t. Harr s: L'Human sme du ò le


Théâtre a"A me Césa re, Un vers ty of Massachusetts. 1971. pour une d scuss on de ces aspects
du théâtre de Césa re.

S de 2

par une déolog e et un symbol sme part cul ers. Le symbol sme est porteur de la force v tale -
le ngolo dont on parle dans Une Sa son au Congo - qu est partout év dente, dans le théâtre de
Césa re. C'est, semble-t- l, dans le contexte de son œuvre, et non a lleurs, qu' l faut chercher les
pr nc pes essent els de son théâtre.

Une étude méthod que de chacune des p èces fa t ressort r la structure dont elles dépendent
a ns que le rapport ex stant entre celle-c et le sort du héros. Une telle étude fa t surtout
remarquer comb en la v s on de l'auteur est pu ssante et profonde dans son analyse soc olog que
et psycholog que de chacun des héros.

Le Rebelle - Et les Ch ens se ta sa ent


Au début de la p èce, l'Echo annonce la mort procha ne du Rebelle. Nous apprenons qu' l est
mposs ble que l'homme révolté de Césa re cont nue à v vre dans un monde absurde. Tout ce
qu l'entoure contr bue à sa mort, car « l n'y a plus r en à fa re dans cet un vers nval de.»

Le peuple ne semble pas apporter au Rebelle un appu constant, et tantôt l'Amante, tantôt la
mère, cherche à le détourner de son but, qu est la révolte et la d gn té huma ne. Ma s le héros
sa t rés ster aux arguments de sa mère, et s' l se montre cruel envers elle ce n'est qu'à cause de la
nécess té de ne pas céder à la tentat on d'abandonner sa m ss on. Il l'accuse même de le trah r:

Et l falla t auss n'est-ce pas à ceux qu t'ont envoyée, l leur falla t m eux que
ma défa te, m eux que ma po tr ne qu se rompt, l leur falla t mon ou ... Et
ls t'ont envoyée. Merc . (Acte II)

Ma s on ne va jama s arracher ce «ou » au Rebelle qu est trop luc de et


trop ntègre pour ment r. En un mot, c'est un ntrans geant qu dev ent
superbe dans son orgue l et dans sa prob té.

Le Rebelle dépasse la s mple ex stence huma ne pour deven r l' ncarnat on même des
asp rat ons lég t mes de son peuple. La mère ne peut pas comprendre la transformat on
myst que de son f ls et elle a peur de ses paroles et de ses act ons. Le Rebelle v t au-delà de la
portée de l' ntell gence et de l'expér ence ex stent elle des s ens, qu sub ssent encore les
myst f cat ons du rég me colon al ste. Dans son art cle «Une dramaturg e de la décolon sat on
»7, Georges Ngal écr t:

7: Vo r note 5.

S de 3

Le caractère de voyant place le héros dans une pos t on anachron que, source
d' ncompréhens on. Il est en avance sur son temps. Il se crée entre lu et le peuple une d stance
qu s'élarg t au fur et à mesure de la progress on dramat que. Les ennem s sont «pr s de court»,
l'entourage s'essouffle. Le héros évolue alors dans la sol tude, prem er espace dramat que
césa r en.

La m ss on l bératr ce - m ss on un verselle ex geant l'abandon total de so - rend le Rebelle


méconna ssable à ceux qu recherchent la subject v té émot onnelle. Sp r tuellement, l regarde
le peuple d'une man ère object ve, vo re cruelle. L'object v té héroïque et mess an que le rend
consc ent des tares de ses frères nègres, et l leur d t :

larb ns f ers pet ts hypocr tes f lant doux esclaves et f ls d'esclaves


et vous n'avez plus la force de protester, de vous nd gner, de gém r,
condamnés à v vre en tête-à-tête avec la stup d té empuant e, sans autre chose
qu vous t enne chaud au sang que de c ller
jusqu'à m -verre votre rhum ant lla s . . .
Ames de morue. (Acte III)

Le Rebelle condamne la mental té serv le du peuple, qu semble ncapable


de lutter contre son al énat on. Pourtant, l'amertume du héros n'est pas
l'express on d'un orgue l phar saïque.

Le héros ne condamne pas parce qu' l voudra t conva ncre les autres de sa supér or té morale ou
de la qual té de sa négr tude. La «nouvelle» fo qu' l ense gne est la d gn té huma ne
profondément enrac née dans chaque homme, dans chaque Nègre.

Il répud e la rés gnat on compl ce de ses frères et, en même temps, l les mépr se, car ls ne
pensent pas et n'ag ssent pas comme lu . En dép t de cette arrogance, l s' dent f e totalement
avec tous ceux qu souffrent dans le monde :

Et le monde ne m'épargne pas ... Il n'y a pas dans le monde un pauvre type
lynché, un pauvre homme torturé, en qu je ne so s assass né et hum l é. (Acte II)

Ne vo t- l pas que ceux qu ont accepté leur sort d'esclavage sont auss à pla ndre que le lynché
et le torturé ? Ne comprend- l pas que le larb n souffre dans son acceptat on de l'hum l at on ?
N'est- l pas vra que la rés gnat on de l'esclave a résulté d'un long cond t onnement soc al et
psycholog que? 11 n'est pas poss ble d'oubl er ou d' gnorer la déterm nat on soc olog que qu
fa t que certa ns Nègres ne ressentent plus l'hum l at on qu est devenue une cond t on acceptée.

S de 4

Dans Peau no re, Masques blancs, Fanon écr t que « L' nfér or sat on est
le corrélat f nd gène de la supér or sat on européenne. Ayons le courage de
le d re: c'est le rac ste qu crée l' nfér or sé.»B

Le héros de Césa re n'entend pas ces tentat ves de just f er ce qu n'est r en d'autre que la lâcheté
ou la trah son. S' l ex ste un lynché, s' l ex ste un torturé, c'est préc sément parce qu' ls ont cr é
«Non» à l'hum l at on et à la rés gnat on. Le Rebelle déclare à sa femme:

Et l ne me conv ent pas que l'on se donne des prétextes pour se d spenser de
chercher. (Acte II)

Césa re a écr t a lleurs :9

Pourtant nous sommes de ceux qu d sent Non à l'ombre. Nous savons que le
salut du monde dépend de nous auss . Que la terre a beso n de n' mporte
lesquels d'entre ses f ls, les plus humbles.

En effet, l'act on de la p èce se déroule dans ce que le dramaturge appelle une 'vaste pr son
collect ve'. Ma s la séquestrat on du Rebelle ne le rend pas nd fférent à la s tuat on du peuple.
Il dev ent encore plus sens ble aux hum l at ons de ses frères.

Il parle du sang qu ja ll t du corps de l'Européen qu' l a tué comme du seul baptême dont l se
souv enne. Ma s le ressort qu a produ t cet acte l bérateur est la cra nte de vo r son f ls sub r le
joug de l'esclavage. Il ne peut pas oubl er que le maître «spécula t sur le berceau de mon f ls, un
berceau de garde-ch ourme. »

Une fo s révolté, le Rebelle vo t son rôle envah r tout son être et sa tâche
deven r mess an que.

Le peuple tout ent er dev ent ses enfants sp r tuels, et là on vo t sans


d ff culté l' ntent on allégor que de Césa re. L'enfant au berceau est le peuple
nègre qu' l faut réve ller et rendre consc ent du danger.

Parlant de sa p èce Et les Ch ens se ta sa ent, Césa re d tlo que «les personnagessont

8: F. Fanon: Peau no re, Masques blancs, Seu l, 1952. p. 95. Vo r auss Harr ett Beecher Stowe:
Uncle Ton l s Cab n, pour une démonstrat on remarquable de la thèse de Fanon.

9: M. Towa: «Les Purs-Sang (négr tude Césa r enne et surréal sme)» n Abb a no. 23, sept.-déc.
1969.

10: Les c tat ons su vantes ont été t rées de J. S éger: «Entret en avec A mé Césa re» n Afr que,
no. 5, octobre 1961.

S de 5

sonnagessontplus des archétypes que de vér tables êtres huma ns ». Pourtant, ls ont une telle
v tal té que le drame du Rebelle et des s ens est lo n d'être myth que. «A l'or g ne, d t Césa re,
c'éta t un long poème.» Il en reste un, ma s la révolte du Rebelle est réelle et nous frappe par sa
v gueur. Le Rebelle est l'Ant lla s ou l'Afr ca n qu refuse l'oppress on et l'asserv ssement.

Ma s la recherche de la d gn té ne s gn f e pas la négat on de la l berté d'autru . Le Rebelle a tué


le maître blanc au nom de la l berté. Il n'a pas été mot vé par la ha ne, parce que, pour lu ,
«Haïr, c'est encore dépendre.»ll En effet, l rêve d'un monde déal où les hommes de toutes les
couleurs et de toutes les croyances peuvent v vre en pa x.

Il est capable d'avo r cette v s on de la fratern té huma ne parce qu' l a


refusé le ressent ment et la rancune.

Le myst c sme du Rebelle est l é à des problèmes soc o-h stor ques concrets.
Pourtant, sa m ss on étant méconnue de ceux qu l'entourent, le Rebelle
se trouve solé.

Dans ses relat ons avec sa femme et sa mère, l montre l'arrogance dont l
est v ct me. Il repousse les s ens et semble s' soler davantage. La consc ence
de son martyre consacre la d stance qu le sépare des autres.

Vers la f n de sa v e, le Rebelle éprouve une grande so f. Ses ressources


personnelles ne suff sent pas à l'étancher. Aveugle, l succombe dans un cr
de dél re et de désespo r.

Ma s l n'est pas le seul responsable de l'échec. Dans la p èce de Césa re,


l' ntr gue est très hab lement agencée et û ex ste une lo autre que celle de la
déterm nat on psycholog que.

A la f n du deux ème acte, le Rebelle, aveuglé, dev ent désorma s un T rés as à l'écart de la
réal té de l'ex stence. Il est plongé dans un monde de vo x et de lum ères mystér euses. La
réal té du Rebelle dev ent celle des êtres psych ques. Les références à l'Afr que et au passé
afr ca n se mult pl ent. Le héros est prêt à mour r; on pourra t même d re qu' l a hâte de mour r
et de qu tter la scène ...

La dern ère des tro s tentat ons, celle qu a l eu au cours du tro s ème acte,
est la plus po gnante, et l'on se demande quelle est cette force maléf que qu

11: A. Césa re: Et les Ch ens ..., A. 11, p. 55. Vo c ce que d t Frantz Fanon de la ha ne: .. . Ma s
on ne sout ent pas une guerre, on ne sub t pas une répress on énorme, on n'ass ste pas à la
d spar t on de toute sa fam lle pour fa re tr ompher la ha ne ou le rac sme. Le rac sme, la ha ne,
le ressent ment, «le dés r lég t me de vengeance» ne peuvent al menter une guerre de l bérat on.
(Les Damnés de la Terre, Maspero, 1968, p. 87).

S de 6

surg t pour tourmenter l'homme, déjà en pro e à ses pensées et à ses rêves.

Plus tard, ce sont les Echos qu se moquent du Rebelle. Tantôt celu -c repousse v olemment les
êtres qu semblent l'assa ll r, tantôt l fa t la déclarat on d'une pensée supér eure à celles de ses
nterlocuteurs. Ma s au m l eu de son ango sse, sa m ss on le fort f e. Les tro s tentat ons, une
par acte, ne suff sent pas à le détourner de sa tâche.

Etre pur dans un monde mpur, être luc de dans un monde obscur de
mensonges et de trah sons, être juste v vant dans l' njust ce, le Rebelle est un
sa nt qu marche dans la boue de la réal té huma ne.

Il s'ag t d'un poète et d'un v s onna re, d'un Mackandal qu a échoué


dans sa tentat ve de fa re la révolut on. Il meurt sat sfa t de lu , parce qu' l
a vécu d'une man ère pos t ve.

Chr stophe - la Tragéd e du Ro Chr stophe


Les forces qu entourent Chr stophe ressemblent à celles qu provoquent
l'échec du Rebelle. Cependant, le contexte de la lutte pour la l berté et pour
l' ndépendance est d fférent.

La préoccupat on pr nc pale de Chr stophe est de consol der les acqu s de


la révolut on et de réun r toutes les tendances d vergentes af n de constru re
une nat on stable et nvulnérable.

Dès le début de la p èce, Chr stophe est entouré d'ennem s qu le serrent de très près. Homme
persp cace, on le tra te en mbéc le et le lecteur est amené à vo r que la menace v ent de
l' ntér eur autant que de l'extér eur. La menace extér eure est symbol sée par la présence du
pu ssant représentant de l'Egl se - l'archevêque Brelle - un França s; de son successeur, un
Espagnol; du médec n royal, un Angla s et d'un maître de cérémon es, délégué par une agence
nternat onale, au t tre de l'a de techn que aux rég ons sousdéveloppées.l2

Le peuple haït en a un seul ennem apparent - l'Européen néo-colon al ste. Chr stophe est
menacé et par les Européens et par les Haït ens. Le ro déclare que «Haït a mo ns à cra ndre
des França s que d'elle-même!» (A. I, S. 2).

Ma s Chr stophe mépr se le peuple et parle de son ndolence, de son effronter e


et de sa ha ne de la d sc pl ne (A. I, S. 2). Il parle d'a lleurs d'une
«nat on de cancres» et appelle les paysans «cette cana lle» (A. 11, S. 3).

12: Dans Mons eur Thôgô-gn n de Bernard Dad é le rôle du Blanc est analogue à celu du
Maître de Cérémon es.

S de 7

Un soulèvement résulte de la tyrann e du ro et le magn f que rebelle


Metellus apostrophe Chr stophe et Pét on, évoquant le rêve qu' l ava t eu
pour son pays :

Nous all ons fonder un pays tous entre so !


Pas seulement le cadastre de cette île!
Ouvert sur toutes les îles!
A tous les nègres! Les nègres du monde ent er!
Ma s sont venus les procurateurs
d v sant la ma son
portant la ma n sur notre mère
aux yeux du monde la déf gurant
tr v al pant n p teux! (A. I, 5.5)

Metellus ressemble beaucoup au Rebelle. Héros poét que de la lutte révolut onna re, l est
ncapable de trans ger - d'accepter le jeu pol t que. Ce qu' l condamne chez Chr stophe et
Pét on, c'est leur amb t on égoïste. Les deux chefs d'Etat ont perdu de vue les vér tables buts de
la révolut on haït enne.

Le rôle de Metellus et de ses camarades n'est pas auss mportant que


celu des off c ers et des collaborateurs de Chr stophe. Pour la plupart ls
sont lâches ou tout s mplement traîtres.

La v s on de Chr stophe l'empêche de s'arrêter et de changer le cours des événements. Il conço t


la l berté de la nat on sous forme d'une C tade e (AT. S. 7) et cette concrét sat on de ses propres
asp rat ons annonce le dénouement. L'oppress on du peuple haït en a comme but la construct on
du rêve de Chr stophe. Même la réal té de l'effr tement de l'économ e (A. 11, S. 6) ne le
détourne pas de sa vo e. Et les Haït ens cont nuent à souffr r.

Pourtant, le ro veut être le seul à d sposer du peuple et l le défend nlassablement


contre ses l eutenants. Il déclare:

II est temps de mettre à la ra son ces nègres qu cro ent que la Révolut on ça
cons ste à prendre la place des Blancs et cont nuer, en l eu et place, je veux d re
sur le dos des nègres, fa re le Blanc. (A. 11, S. 3)

C'est a ns que ra sonne le ro . Ma s la déc s on a déjà précédé le ra sonnement,


et le comte Bas n, dont la brutal té a susc té la colère du ro , a déjà
été condamné aux travaux forcés à la C tadelle.

La déc s on rap de et arb tra re caractér se Chr stophe. Le héros v t dans


l' solement qu lu est mposé par son rôle de chef. Il juge somma rement
sans se souc er des op n ons des autres et des conséquences de ses déc s ons.

S de 8

Tand s que le Rebelle est un sa nt, un homme dont le passage sur cette terre est un don des
d eux, Chr stophe est tout à fa t huma n ma s supér eur en qual tés personnelles à ceux qu
l'entourent. La supér or té de Chr stophe, coléreux quand on l'attaque, conf dent et act f,
mpat ent et cruel, rend la découverte de son échec et de la désagrégat on de la nat on d'autant
plus trag que.

Du po nt de vue dramat que, la coïnc dence, d'une part, de l'arrogance et de l'arb tra re de ses
déc s ons, d'autre part, de son solement et des forces qu le menacent, rend sa s tuat on très
préca re. En effet, le héros semble nd fférent à son dest n jusqu'au moment où, mpu ssant, l
n'a plus d' nfluence sur le cours de l'h sto re.

La p èce est év demment une allégor e de Taprès- ndépendance de beaucoup de pays nègres. Le
personnage de Chr stophe consacre une certa ne concept on du chef d'Etat no r. Dans son
entret en avec Jacquel ne S éger, Césa re déclare:l3

En effet, après la révolut on, le ro Chr stophe a pr s la charge du pays et ses échecs démontrent
qu' l est plus fac le d'arracher son ndépendance que de bât r un monde sur de nouvelles bases.
Les qual tés requ ses sont tout autres, et elles sont rares, nous le voyons aujourd'hu . Le temps
de la décolon sat on sera plus d ff c le pour le monde no r parce que nous n'avons plus à nous
dresser contre un ennem commun a sément d scernable, ma s à lutter en nous-mêmes, contre
nous-mêmes. Il s'ag t d'un combat sp r tuel et qu ne fa t que commencer.

Ces propos de Césa re, recue ll s en 1961, quand le dramaturge prépara t


encore sa p èce sur Chr stophe, sont d'une très grande mportance. Ils nous
a dent à comprendre l'att tude et les ntent ons de l'écr va n.

Chr stophe est abattu au moment où l nvoque les loas du vaudou pendant une cérémon e
cathol que. Ce dern er déf et ce dern er refus de l'ass m lat on entraînent la chute f nale. Le ro
meurt conf ant de son retour en Afr que.

Enterré debout au sommet d'une montagne, Chr stophe dev ent un nouveau
Shango. S son âme n'est pas emportée par les ancêtres, l restera toujours
à la d spos t on du peuple haït en.

Lumumba - Une Sa son au Congo


Lumumba est la c ble de plus eurs forces qu contr buent à son échec.
La présence des m l ta res et banqu ers belges, celle du Grand Occ dent et

13: Vo r note 10.

S de 9

de I'ONU, a ns que les ntervent ons du pape sécula re, Hammarskjôld,


n'a dent pas le Prem er M n stre du Congo.

Les souc s de Lumumba ne v ennent pas tous de l'extér eur du pays. Le tr bal sme, les querelles
de ses l eutenants et des soldats, les parlementa res, semblent déch rer l'Etat au moment même
de sa na ssance. En plus, les colon al stes ont la ssé au se n du peuple congola s une c nqu ème
colonne - le clergé no r.

Assa ll par toutes ces forces, le héros ne peut pas échapper à son dest n.
Il est pr s au p ège des nombreux réseaux de complots, d'égoïsmes et du
rac sme.

Lumumba lu -même est porteur de caractér st ques qu annoncent son échec. Il est trop
mpétueux et son ag tat on constante le rend ncapable de fa re exécuter ses ordres. La
d ss pat on de ses efforts n'est que trop év dente et sa naïveté dans ses relat ons avec ses
collègues accentue l' neff cac té de son gouvernement.

Paul ne Lumumba essa e de reten r son mar et de le mettre en garde contre


ceux qu vont le trah r. Elle reconnaît que le peuple est fa ble tand s que les
ennem s de son mar sont pu ssants. Ma s en va n!

Césa re fa t de Lumumba l'agent de la transformat on déolog que, passant du nat onal sme
étro t au pan-afr can sme, qu évolue en une pr se de consc ence de l'un versal té du drame des
explo tés. Lumumba donne à sa m ss on une nouvelle s gn f cat on, parce qu' l comprend
qu'elle ne dépend pas de sa seule volonté ma s de l'Afr que tout ent ère.

Cependant, la grandeur de ¡a v s> u du Prem er M n atre ne sauvera pas


le Congo. A l'Acte 111, l est déjà trop tard. Il aura t dû vo r le Congo dans
la mosaïque afr ca ne dès le début.

Trop f er et trop ntègre, l do t mour r. Pour lu le sage comprom s pol t que


est synonyme de trah son. «L'Afr que, d t- l, a beso n de mon ntrans geance!»
(A. 111, S. 2).

Comme Lumumba va nexorablement à sa mort, on est beaucoup plus


ému par son hum l at on que par son assass nat même.

Cal ban - Une Tempête


Dans Une Tempête, les mêmes rapports qu ex stent entre les Belges et les Congola s ex stent
entre Prospero, le colon, et Cal ban, le Nègre. Ma s Cal ban est certa n des valeurs morales de
sa culture Dans chacun des tro s actes, l nvoque le d eu Shango. Sa rel g on semble être une
croyance tellur quebasée sur des théor es v tales. Il refuse de ren er sa mère morte et, en

S de 10

effet, l est ncapable de le fa re, parce qu'elle est devenue part e ntégrante
de la terre et part c pe toujours à la v e un verselle.

Dans la pensée des Européens, le Nègre fa t part e de la nature sauvage de l'île. On do t le


dompter af n de le rendre capable de serv r. Ma s l'hum l at on de Cal ban déshuman se son
maître et le rend hypocr te. L'ex stence même de Cal ban est un déf lancé à Prospero parce que
celu -c entrevo t un reflet de sa propre human té dans le Nègre.

A un certa n moment, Cal ban demande à Prospero de l'appeler «X»


parce que, d t- l:

Chaque fo s que tu m'appelleras, ça me rappellera le fa t fondamental, que tu


m'as tout volé et jusqu'à mon dent té! Uhuru! (A. 1, S. 2)

De même que le Rebelle refuse de trans ger, de même Cal ban déclare que «La fa blesse a
toujours m lle moyens que seule la couard se nous empêche d' nventor er. «(A. l, S. 1). Il
mépr se Prospero, le colon qu' l appelle «Un v e l ntox qué».

Ma s ce qu nous frappe part cul èrement dans l'adaptat on de la p èce


shakespear enne, c'est que Césa re semble just f er l'emplo de la v olence
dans la lutte pour la l berté.

Dans son hommage à Frantz Fanon, écr t en 1962,14 le dramaturge mart n qua s
d t cec sur son anc en élève:

Ma s sa v olence éta t, sans paradoxe, celle du non-v olent, je veux d re la v olence de la just ce,
de la pureté, de l' ntrans geance. Il faut qu'on le comprenne: sa révolte éta t éth que, et sa
démarche de généros té. Il n'adhéra t pas à une cause. Il se donna t. Tout ent er. Sans rét cence.
Sans partage. 11 y a chez lu l'absolu de la pass on.

Les qual tés que Césa re donne à Cal ban sont celles qu' l adm re chez Fanon. Elles sont
également, paraît- l, celles du Prés dent Sékou Touré. Comparons le jugement de Césa re sur
Fanon et ces mots du prés dent gu ñeen, rapportés par le dramaturge dans un art cle:

Nous avons quant à nous, un prem er et nd spensable beso n, celu de notre


d gn té. Or l n'y a pas de d gn té sans l berté. Nous préférons la pauvreté dans
la l berté à la r chesse dans l'esclavage.

14: A. Césa re et al a: «Hommages à Frantz Fanon» n Présence Afr ca ne, ler tr mestre

S de 11

Dans Une Tempête, Cal ban semble reprendre les paroles de Sékou Touré
quand l déclare:

M eux vaut la mort que l'hum l at on et l' njust ce . . . (A. 11, S. 1)

II est ncapable de se soumettre volonta rement à l'étranger qu cherche à le déposséder de tous


ses b ens matér els et de ses valeurs morales. Expr mant sa déterm nat on de va ncre et de
chasser ses explo teurs, Cal ban d t qu'un jour «mon seul po ng nu suff ra pour écraser ton
monde! ». En expr mant sa colère, l rejo nt, comme l'a fa t le Rebelle, tous les damnés de la
terre.

On dent f e fac lement Cal ban. C'est la v ct me colon sée du T ers-


Monde. C'est le Nègre à la recherche de la d gn té huma ne.

En se servant de La Tempête de Shakespeare comme po nt de départ,


Césa re a dramat sé le confl t culturel du colon sé. Cal ban est devenu noble
au théâtre car Cal ban l'est dans la v e réelle.

Les p èces de Césa re se ressemblent beaucoup et l est poss ble de général ser quant à la
structure et au contenu de son théâtre. Chacune des p èces a tro s actes. Le mouvement du
prem er au deux ème acte et du deux ème au tro s ème acte montre la même évolut on
dramat que dans chacune d'elles. Dans toutes les quatre, le héros est un chef - le seul chef
valable - et l s'ag t d un homme aux qual tés supér eures ma o d'une mpétuos té extraord na re

Les tro s actes sont de longueur var able. Et les Ch ens se ta sa ent est la seule p èce où l'acte
n'est pas d v sé en plus eurs scènes. Dans deux des p èces, La Tragéd e du Ro Chr stophe et
Une Tempête, le prologue est part e ntégrante, ma s, en fa t, l ex ste auss dans Et les Ch ens
..., c , cependant, sous forme d'un long monologue de l'Echo ntrodu sant l'act on. L'Acte
Prem er de La Tragéd e Du Ro Chr stophe est ntrodu t par un présentateurcommentateur,
tand s que les deux ème et tro s ème actes sont précédés d'un ntermède.

Dans le prem er acte, Césa re nous montre le héros aux pr ses avec les
forces qu entraîneront son échec. Sauf dans le cas de Chr stophe, le héros
ne paraît pas en scène dès le début. Dans Une Sa son ..., b en que Lumumba
para sse au cours de la tro s ème scène, l faut attendre la s x ème pour

15: A. Cósa re: «La Pensée pol t que âe Sékou Touré» n Présence Afr ca ne, déc. 1959-janv.
1960.

S de 12

l'entendre parler. Cette entrée en scène est d'autant plus émouvante qu' l
s'ag t du très beau d scours lyr que adressé au peuple congola s.

Par contre, le Rebelle entre en scène sans éclat. Son sort a déjà été annoncé par l'Echo, et, sur le
plan dramat que, l n'est pas nécessa re d'accentuer son solement de héros à son entrée. Le
caractère équ voque de Chr stophe se révèle dès la prem ère scène, le style bouffon cédant
rap dement à la brutal té. Le prem er mot de Cal ban est «Uhuru » qu annonce sa
préoccupat on pr nc pale, l'obsess on qu le poursu vra à travers les tro s actes.

Au deux ème acte, les erreurs du héros se mult pl ent, tand s que le p ège, tendu par ses
ennem s, est déjà en place. La confrontat on du héros avec sa femme est un procédé dramat que
employé par Césa re dans les tro s prem ères

La confrontat on a l eu au deux ème acte dans Et les ch ens ... et Une


Sa son . . . Dans La Tragéd e . . . elle a l eu dans la dern ère scène du prem er

Le Rebelle se retrouve en face de l'Amante et de la mère. Les deux femmes tentent de le


d ssuader de son entrepr se, et l'on sa t que, dans cette entrevue, une dern ère chance de s'évader
lu est offerte. Caractér st quement, le Rebelle est aveuglé s tôt après avo r, de façon brutale,
repoussé sa mère. Chr stophe, halluc né, vo t la v s on de la C tadelle funeste, après avo r rejeté
les paroles de sa femme. Lumumba, quelques nstants après que sa femme lu a conse llé la
prudence, vo t les consp rateurs dans un cauchemar, et pu s, réve llé, l entend l'annonce de sa
dest tut on à la rad o.

Devant les femmes, le héros se montre encore plus orgue lleux, et on a l' mpress on qu' l
rassemble toutes ses forces pour ne pas fléch r. Il lu faut conva ncre les femmes qu' l n'est pas
dénaturé ma s que l' ntérêt du pays, de la race et de la d gn té dépasse en mportance le
sent ment fam l al et f l al.

A la f n du deux ème acte, l'évas on n'est plus poss ble. Le Rebelle est aveugle; Chr stophe fa t
emmurer l'archevêque et l'esclavage du peuple haït en est accompl ; la v lla de Lumumba est
nvest e par les troupes de Mokutu.

Des tro s héros, seul Chr stophe paraît être ent èrement v ct me de ses fa blesses. Comme
Cal ban, le Rebelle est v ct me de sa pass on, la volonté de v vre dans la d gn té et de la l berté,
alors que la pu ssance du colon sateur joue le rôle déc s f. Lumumba est, phys quement et
moralement, pr s dans les f lets des comploteurs.

Le tro s ème acte est celu du drame personnel. La mort nterv ent dans

S de 13

tous les cas sauf pour Cal ban qu d sparaît de la scène. Ma s le tro s ème acte est auss celu où
le héros montre la plus grande luc d té. Le fa t d'être aveuglé, paralysé et empr sonné rend le
héros très sens ble à sa propre souffrance et aux forces qu l'entourent. Ma s ma ntenant qu' l
vo t tout très cla rement, l est trop tard et la mort surg t à temps pour le sauver d'un trop grand
désespo r.

Tous les héros font face à la tentat on de trah r et de sombrer dans le désespo r. Pét on et
l'ambassadeur frança s, Franco de Med na, sont, en face de Chr stophe, les tentateurs.
Lumumba est tenté par Kala comme Cal ban l'est par Ar el. Dans Et les ch ens ... l y a des Vo x
Tentatr ces. Ajoutée aux paroles de leurs femmes respect ves, cette tentat on du héros sert à
l' soler davantage dans son orgue l. Sa réact on est ntéressante. Chr stophe dev ent orgue lleux,
tand s que les autres semblent se repl er sur eux-mêmes.

S le héros ne cède pas aux arguments de la femme et rejette les paroles de ceux qu essayent de
le d ssuader de sa m ss on, son ntrans geance représente plus qu'une s mple réact on d'orgue l.
Le héros de Césa re est porteur de certa ns pr nc pes moraux, tels l' ntégr té, le dévouement et la
fo dans la sol dar té huma ne.

Tout en étud ant la carr ère extraord na re des héros, on s' nterroge sur la valeur et la portée de
leurs act ons et l'on est même obl gé de juger. La présence de certa ns personnages qu jouent
un rôle d' nformat on et d' nterprétat on nous a de à comprendre et à juger.

Les var antes du gr ot afr ca n, du chœur grcu et du fou un versel appara ssent dans toutes les
p èces. Dans Une Tempête, l s'ag t d'Eshu - Legha - qu paraît une seule fo s sur scène. Dans
les autres p èces, des personnages à la répl que fac le se man festent de temps à autre.

Surtout dans le contexte poét que et myst que de Et les ch ens ..., les
Folles, les Réc tants et Réc tantes, le Dem -chœur et la Foule-Chœur jouent
un rôle très mportant dans le développement du drame.

Dans La Tragéd e ..., Césa re décr t Hugon n comme «Mélange de


paras te, de bouffon et d'agent pol t que. » Dans Une Sa son ..., Le Joueur
de Sanza surg t partout, commente l'act on de la p èce et préd t. A la f n de
Et les ch ens ... et d'Une Sa son ... les personnages seconda res nterprètent
pour nous la conclus on qu' l faut t rer du dénouement.

Dans Une Sa son ..., la Foule et les Femmes jouent un rôle mo ndre. Sur le plan dramat que
elles rappellent l'ex stence du peuple congola s. En effet, on r sque fac lement d'oubl er
l'ex stence de ce peuple en écoutant les dern ers d scours de Lumumba. qu dev ennent de plus
en plus abstra ts.

S de 14

II en va de même pour les d scours du Rebelle et de Chr stophe. La lutte contre les adversa res
s' ntér or se et les nvocat ons à la mère Afr que, aux d eux de l'Afr que et aux loas se
mult pl ent. Les références au Congo et au Dahomey tombent des lèvres du Rebelle et de
Chr stophe tand s que Lumumbas' dent f e de plus en plus à l'Afr que tout ent ère dans le temps
et dans l'espace.

Des quatre p èces de Césa re, Et les ch ens ... est la p èce la m eux réuss e,
au po nt de vue de la poés e et du symbol sme; par contre, le personnage
dramat que de Lumumba, dans Une Sa son . . „ se détache des autres héros.

Ce qu rel e le symbol sme poét que des quatre p èces c'est l'emplo de la parabole négro-
afr ca ne. La parabole se fa t act on et, dans la bouche du Joueur de Sanza, le symbole dev ent
même v vant, à la fo s allégor e et réal té.

Lors de sa pur f cat on le héros descend dans les profondeurs de l'hum l at on et de l'ango sse.
Etant remonté à la d gn té de la consc ence de so , l s'expr me d'une man ère authent que et
or g nale. Le ton même et le langage le d st nguent des autres hommes et l est donc mpensable
qu' ls pu ssent comprendre et appréc er cette express on authent que. La grandeur et
l'object v té de la v s on éblou ssent ses collaborateurs et ses ennem s. Affa bl , l se rend
compte de la pu ssance de sa m ss on nvulnérable et éternelle.

Lumumba (à M's r ): M's r , c'est une dée nvulnérable que j' ncarne, en effet! Inv nc ble,
comme l'espérance d'un peuple, comme le feu de brousse en brousse, comme le pollen de vent
en vent, comme la rac ne dans l'aveugle terreau. {Une Sa son A. 111, S. 6)

Mort, l cont nue à part c per à la force v tale. Mort, l est devenu plus grand
et ses efforts sont plus eff caces pu sque l' dée éternelle, le dés r de la l berté
et de la d gn té, a été concrét sée par son martyre.

II est ntéressant de noter l'évolut on de l'œuvre d'A mé Césa re. Le prem er ouvrage l ttéra re -
le Cah er - est d'une telle obscur té que seuls les un vers ta resarr vent à le comprendre. Les
poèmes publ és dans Sole l cou coupé, Corps perdu, Les Armes M raculeuses et Ferrements ne
rendent pas ce grand poète mart n qua s plus ntell g ble. B en qu' l a t déclaré à Jacquel ne
S éger que «l'hermét sme a sens blement d m nué» dans ses dern ers recue ls, les poèmes
«fac les » sont rares. Les essa s, D scours sur le colon al sme et Lettre à

S de 15

Maur ce Thorez, a ns que l'étude b ograph que sur Toussa nt Louverturel6 sont d'une valeur
ndén able pour celu qu étud e le colon al sme. Cependant,c'est dans le théâtre que Césa re
s'est montré le vér table professeur qu' l est.

Par son langage et son contenu, le message des tro s dern ères p èces est à la portée mméd ate
de tout le monde. Ces p èces peuvent être jouées, lues et compr ses dans n' mporte quel pet t
lycée où les professeurs et les élèves ont le sent ment de leur réal té nègre.

Il est ntéressant de noter également que cette évolut on de la poés e au théâtre correspond à
celle de l'lvo r en Bernard Dad é, qu semble préférer le théâtre au roman. Notons également
qu'Ousmane Sembène n'écr t plus de romans ma s consacre tous ses talents au c néma.l7

Cé;>a re, Dad é et Sembène ont b en compr s que l' nd v dual sme du roman et de la poés e
ébotér que ne répond pas aux beso ns des Nègres qu demandent un ense gnement respectant
les formes trad t onnelles de l'art collect f et cherchant une analyse préc se de leur s tuat on.

Pourtant, Dad é et Sembène consacrent leurs plus grands efforts aux problèmes
afr ca ns dans un cadre afr ca n.

Césa re, lu , s tue son drame en dehors de sa propre réal té, dans l'espace
et dans le temps. Il a progressé de l'époque de l'esclavage, dramat sée dans
Et les ch ens ..., à travers l'Haït du début du d x-neuv ème s ècle, et le
Congo de 1960-1961, pour about r au monde fantast que de W ll am Shakespeare.
Nous ne voulons pas n er la valeur des leçons qu'on peut t rer des
p èces. Cependant, la préoccupat on de Césa re pour es drames qu se déroulent
à l'extér eur de la réal té des Ant lles França ses est plutôt nqu étante.

Le Cah er d'un Retour au Pays natal est un chef-d'œuvre ant lla s. Le D scours sur le
Colon al sme, la Lettre à Maur ce Thorez et Toussa nt Louverture sont des ouvrages qu
appart ennent au T ers-Monde tout ent er. En écr vant ses p èces allégor ques, Césa re voula t-
l dépasser le contexte étouffant des Ant lles pour un versal ser le drame du Nègre ? Faut- l
cro re qu' l n'y a pas de leçons à apprendre de la tragéd e ant lla se ? Pourquo Césa re n'a-t- l
jama s écr t une p èce sur la réal té ant lla se? Pourquo cette évas on vers d'autres r ves et
d'autres époques, quand des Nègres, dans son île natale, tombent fréquemment sous les balles
des colon sateurs ?

16: A. Césa re: Tou ssa nt Louverture, Présence Afr ca ne, 1961.

17: Depu s la rédact on de ce trava l, Sembènc a publ c le roman Xala dont l a déjà tourné un
f lm.

S de 16

II a fallu attendre la p èce d'Auguste Macouba (Armet Auguste), E a! Man-ma lle là!18, pour
avo r un explo t l ttéra re sur les trag ques événements de décembre 1959. Qu va att rer
l'attent on du monde no r sur l'explo tat on du peuple mart n qua s écrasé par le joug cap tal ste?
Les hab tants des DOM sont les peuples oubl és du monde et la m ss on de leurs écr va ns et de
leurs hommes pol t ques do t être d' nformer l'étranger tout autant que de démyst f er l' ntér eur
du pays.

A mé Césa re est un grand poète et un grand dramaturge, ma s nous mesurons sa réuss te


d rectement en fonct on de son engagement dans la lutte ant lla se. C'est par la qual té de cet
engagement qu' l va être jugé en tant qu'homme pol t que et en tant que poète et dramaturge de
la réal té ant lla se.

Freder ck Ivor Case

Toronto

Résumé
A mé Césa re, poète-pol t c en de la Mart n que, est b en connu pour avo r écr t en 1938 le
Cah er d'un Retour au Pays natal. Pourtant, le député-ma re de Fort-de-France semble avo r
abandonné la poés e en faveur du théâtre. En effet, l a écr t quatre p èces d'une très grande
mportance dans le doma ne de la l ttérature de la décolon sat on.

Dans Et ¡es Ch ens se ta sa ent, le héros est l'archétype du révolté. Esclave qu a tué son maître,
l porte toutes les caractér st ques du héros trag que. Luc de et arrogant à la fo s, le Rebelle est
trop pur pour surv vre dans le monde. Sa mort est annoncée dès le début de la p èce.

La Tragéd e du ro Chr stophe est la p èce la plus célèbre de Césa re. Le drame tourne autour
du personnage équ voque de Chr stophe - ro d'Haït - tyran et bouffon, luc de et arrogant.
Césa re semble mettre en scène plus eurs chefs d'Etat du T ers-Monde qu , face aux problèmes
du néo-colon al sme, progressent d'erreur en erreur .. .

Patr ce Lumumba est le héros naïf et aveugle d'Une Sa son au Congo. Césa re a b en
démontré, dans cette p èce, le drame de cet Etat afr ca n aux pr ses avec les cap tal stes
et m ss onna res étrangers a ns qu'avec la c nqu ème colonne de traîtres et de larb ns.

Une Tempête est une adaptat on par Césa re de la p èce shakespear enne The Tempest. Dans la
p èce de Césa re, Cal ban est totalement revalor sé et dev ent un personnage noble à la
recherche de la d gn té et de la l berté. Prospero, colon sateur rac ste, se sert du Mulâtre, Ar el,
comme garde-ch ourme et agent général.

Les quatre p èces portent certa nes caractér st ques communes qu rendent le théâtre de Césa re
d'autant plus ntéressant. Une étude attent ve de ces s m l tudes révèle un agencement so gneux
du drame qu fa t ressort r l'ango sse du héros. Dans la p èce, tout contr bue au message de
Césa re qu dénonce nlassablement l'al énat on et l'acculturat on dont les colon sés ont été
v ct mes.

18: A. Macouba: Eïa! Man-ma lle là!, P. J. Oswald, 1968.

Vous aimerez peut-être aussi