- Alain « Rien n'est plus dangereux qu'une idée quand on n'a qu'une
idée. »
L’amorce :
La problématique :
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1) L’apparition des croyances et des rites religieux est contemporaine à l’apparition de
l’homo sapiens qui eu conscience de la mort, qui a pensé à la possibilité d’une autre
une vie après la mort et qui a pratiqué des rites et sanctifié des lieux et des
territoires :
C’est d’ailleurs ce qui permet à Mircea Eliade, philosophe et historien des religions,
d’affirmer que depuis le début de l’histoire de l’homo sapiens, toute communauté humaine
s’organise autour du sacré exprimé par les pratiques ancestrales établies autour du tabou et
de l’interdit qui permettent l’appartenance à la communauté et réalisent son enracinement
dans l’histoire longue : " Le sacré, écrit-il, n'est pas un stade de l'histoire de la conscience,
c'est un élément de la structure de la conscience (...). C'est (...) l'expérience d'une réalité et
la source de la conscience d'exister dans le monde. il consolide cette vision en affirmant que
« l’homme des sociétés primitives s’est efforcé de vaincre la mort en la transformant en un
rite de passage.».
2- Mircea Eliade considère que l’homme naturellement angoissé, a trouvé dans le sentiment
religieux un dérivatif efficace à ses peurs et à ses inquiétudes :
-«Aux niveaux les plus archaïques de la culture, vivre en tant qu’être humain est en soi un
acte religieux, car l’alimentation, la vie sexuelle, et le travail ont une valeur sacramental.
Autrement dit, être – ou plutôt devenir – un homme signifie être « religieux. ». Donc, la
religion est une dépendance nécessaire de la nature angoissée et inquiète de l’homme, cet
être faible et démuni jeté dans un monde hostile et inhospitalier.
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apprivoiser et d’annuler leur menace en les concevant comme des puissances surnaturelles
ou divines. Il a pu ainsi échapper au caractère déstabilisant et nocif du sentiment de la
faiblesse et de la fragilité. Sur la base de cette croyance l’homme pouvait demander la
protection et la clémence de ces puissances et gagner ainsi en assurance et en sécurité.
D’ailleurs, dans le mythe grec le titan Prométhée compense la faiblesse native des hommes
en leur faisant l’offrande du feu, du langage, de la mêtis ( la ruse) et de la sagesse, il
représente ainsi une force naturelle que les hommes transforment en force protectrice qui
les soutient et les aiment.
En effet, depuis que l’homme est conscient et doté de la capacité de la parole, advenir au
monde constitue pour lui une expérience traumatisante placée sous le signe de la perte.
C’est ce que a tenté de montrer le psychologue, Otto Rank à travers sa théorie de la
naissance comme trauma originel. Il considère en effet que pour l’homme il y a un
inconvénient à être né parce que son arrivée au monde est un événement douloureux et
traumatisant marqué par la séparation avec la mère. Or pour sortir de cet état, l’homme est
contraint d’être en excès par rapport à sa nature et à sa condition : il agit, réagit et lutte pour
exister et affirmer sa puissance. La religion serait une modalité de réalisation de ce désir de
persévérer dans l’être. Dans la même perspective, Pic de la Mirandole avait démontré que
l’essence de l’homme est de ne pas avoir d’essence. Il stipulait ainsi le fait que puisque
l’homme est néant, cela le rendait capable de devenir tout ce qu’il voulait être : la religion
serait ainsi une modalité de ce pouvoir de la perfectibilité.
3-Outre cela, la religion serait une ruse de la nature pour inciter les hommes à se lier dans la
finalité d’augmenter leur force et leur puissance et augmenter aussi les chances de l’espèce
pour résister et durer :
La fonction de survie : Schopenhauer avait montré que l’amour que les hommes
survalorisent et idéalisent à outrance, n’est en vérité qu’un programme instinctif inscrit en
nous pour nous pousser à la reproduction et assurer de la sorte la pérennité de l’espèce. Il
est possible de penser à sa suite que la religion pourrait relever également de la même
logique puisqu’en liant les hommes elle permettrait d’additionner leurs puissances
individuelles et de mutualiser leurs moyens et leurs forces dans le but de composer une
force collective qui les avantage dans la lutte pour la survie, dans la recherche de la
nourriture, dans la protection des plus faibles et la gestion des conflits et de la violence
interindividuelle.
La fonction de lien de la religion est aussi valable pour l’homme moderne comme le souligne
Mircea Eliade dans son livre le Sacré et profane : "L'activité inconsciente de l'homme
moderne n'arrête pas de lui présenter d'innombrables symboles, et chacun a un message à
transmettre, une mission à remplir, en vue d'assurer l'équilibre de la psyché ou de la rétablir.
Comme nous l'avons vu, le symbole non seulement rend le Monde "ouvert", mais aide aussi
l'homme religieux à accéder à l'universel. C'est grâce aux symboles que l'homme sort de sa
situation particulière et s'"ouvre" vers le général et l'universel. Les symboles éveillent
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l'expérience individuelle et la transmuent en acte spirituel, en saisie métaphysique du
Monde."
II/ Par certains de ses aspects, la religion affaiblit les hommes, les dénature, les aliène
et provoque leur souffrance et leur malheur :
1) La religion conditionne l’homme pour qu’il soit un être passif enfermé dans une
essence négative et limitative :
- d’une autre part, elle les enferme dans une définition essentialiste négative et
dépréciative : « Une des erreurs de nos religions occidentales, comme le marque Auguste
Comte, c'est d'avoir enseigné que l'homme est égoïste toujours et sans remède, à moins
d'un secours divin. »
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- sans oublier qu’elle constitue un dispositif autoritaire de domination et de dressage à
la soumission comme l’écrit Freud quand il déclare que « Nous savons qu'il existe dans la
masse humaine le fort besoin d'une autorité qu'on puisse admirer, devant laquelle on
s'incline, par laquelle on est dominé et même éventuellement maltraité. La psychologie
de l'individu nous a appris d'où vient ce besoin de la masse : c'est la nostalgie du père. »
- En effet, Par son système de valeurs, par ses dogmes et sa doctrine, la religion exige la
soumission à la divinité et à une vérité unique et indiscutable. Or la posture de
soumission n’incite pas à l’action et n’autorise pas le l’usage de l’esprit critique, de la
pensée et encore la volonté et la puissance. En effet le propre de la religion est de
maintenir l’homme dans l’état que Kant appelle la minorité. Nietzsche propose
également une critique puissante du caractère aliénant de l’homme par la religion. En
effet, il a fondé sa critique radicale du fait religieux sur le dévoilement et la
condamnation de la culture de la peur, de la honte et de la culpabilité que les systèmes
doctrinaires religieux installent dans les esprits et les cœurs. Le philosophe a ainsi
démontré que les hommes en créant les religions ont transfère sur la figure fantasmée
de dieu toute l’excellence humaine possible la rendant de facto inaccessible à l’effort
humain. Il s’ensuit, selon de Nietzsche, que la religion a appris à l’homme à se mépriser
et à se contenter de la faiblesse et de la petitesse. De même, il considère que
l’invention par la religion de l’idée des arrières-mondes ( le monde après la mort, celui où
règne Dieu et où les hommes vivront éternellement au paradis ou en enfer et qui
s’oppose au monde matériel et l’existence humaine réelle ), a eu pour conséquence de
pousser les hommes à détester la vie terrestre, à la vivre sous le signe de la culpabilité et
de la mauvaise conscience et à désirer la quitter le plus vite possible . Ce sentiment
s’explique par le fait que la religion en posant l’au-delà comme un idéal et un salut a
installé dans la conscience des hommes la conviction que leur vie terrestre est ce de quoi
il se libérer pour accéder au paradis et à l’immortalité. Il s’ensuit que la religion
empêche les hommes de vivre la seule vie dont ils disposent concrètement et instille du
poison dans les plaisirs que leur accorde le monde et ce en les liant au péché, à la
Outre cela, il convient aussi de souligner culpabilité et à la peur du
que Dieu et la religion sont suspects et peu châtiment. C’est ce que
crédibles car ils correspondent tellement montre Nietzsche quand
il bien à nos désirs les plus forts et les fous critique la diabolisation
de la qu'il y a lieu de penser que nous les avons sexualité par le
inventés pour satisfaire nos illusions, notre christianisme : « le
imagination et nos délires :La religion est christianisme, dit-il, a
une sotériologie, une doctrine de salut qui donné à boire du poison
à promet à l’homme de le sauver de tout ce Eros. Il n’en est pas mort,
il a qui le fait souffrir. De même elle tient sa dégénéré en vice. »
grande force du fait qu’elle garantit à
- Dan
l’homme qu’elle peut lui offrir dans l’autre s
monde tout ce qu’il a désire en vain dans ce
bas monde sans jamais l’obtenir. La religion
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est donc un puissant sédatif.
l’avenir d’une illusion, Freud : considère que la religion est une névrose
obsessionnelle générale qui appartient aux et aux systèmes d’autorité
dont la fonction est de domestiquer et de dresser la nature désirante
et pulsionnelle de l’homme. Ce travail de domestication nuit à
l’équilibre psychologique et physiologique des individus et des groupes
et génère des frustrations et des souffrances. Dans un autre livre de
Freud intitulé malaise dans la civilisation – culture, Freud démontre
que l’homme s’est rendu malade et frustré en inventant la culture et la
civilisation qui ne sont en vérité que des systèmes de lois et de règles
qui interdisent aux hommes de satisfaire, sans sentiment de culpabilité
et sans mauvaise conscience, leurs désirs naturels et particulièrement
le désir sexuel. Par conséquent la religion rend l’homme malade en
l’obligeant à mépriser sa propre nature et en le forçant à la dénigrer et
à s’en éloigner. Il s’ensuit que la religion attriste l’homme, provoque sa
souffrance et son malheur au lieu d’améliorer sa condition ou de
libérer ses puissances, sa liberté et sa volonté : « La religion, écrit-il,
porte préjudice à ce jeu du choix et de l’adaptation [au principe de
réalité], du fait qu’elle impose à tous de la même façon sa propre voie
pour l’acquisition du bonheur et la protection contre la souffrance. Sa
technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon
délirante l’image du monde réel, ce qui présuppose l’intimidation de
l’intelligence. »
-
2) La religion enseigne l’espoir est en tant que telle elle tue la volonté, la pensée et le
courage de vivre
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Ainsi, la religion correspond à une partie de la nature humaine, mais semble étouffer
et aliéner ce qu’il a de plus de plus puissant en cette même nature puisqu’elle oblige à se
soumettre et à renoncer à lui-même et sa propre liberté. Elle lui apprend de ce fait à
compter sur la providence et le salut et lui désapprend de vouloir et d’agir. Assurément
la religion vaut comme une sotériologie, mais doit- elle prétendre être la seule possible ?
N’est-il pas permis de penser à la légitimité d’une sotériologie et d’une spiritualité sans
dieu ?
III/ la religion demeure une connaissance et une sotériologie possible, mais elle n’est
la seul à l’être car une sotériologie sans dieu est également et logiquement accessible
à l’homme. Par ailleurs, la religion n’a pas à revendiquer, de ce fait même, le
monopole de la vérité ni celui de la spiritualité puisque cette dernière est possible
même sans dieu une spiritualité (est spirituel tout ce qui ne relève pas du sensible,
du terrestre et du corporel ; la spiritualité renvoie également au fait l’homme, être
fini, limité et incomplet possède le pouvoir et la capacité, grâce au langage et à la
pensée, de concevoir et de formuler l’infini et l’absolu)
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- car elles sont révélatrices de la vérité de notre humanité, c’est-à-dire
des bassesses dont nous sommes coupables et des noblesses dont
nous sommes capables. Dans tous les cas de figure les religions nous
disent au moins ce que nous sommes, ce que nous pouvons être, ou
devons être. Par conséquent et ne serait-ce que pour cette raison, les
religions ne peuvent pas être fausses : « la religion, écrit Alain à ce
propos, est comme les contes. Les contes ont un grand sens, mais
personne ne demande s’ils sont vrais. ».
- Mais il importe de souligner que cela nous apprend plus sur
l'humanité, hélas, que sur la religion ou Dieu car la religion, comme le
déclare André Comte-Sponville, est une « une doctrine qui explique
quelque chose que l’on ne comprend pas (l’existence de l’univers, de la
vie, de la pensée…) par quelque chose que l’on comprend encore
moins (Dieu) ». Par ailleurs, elle ressemble beaucoup à nos désirs et en
tant que telle elle peut constituer une illusion : « La religion, souligne
le philosophe, correspond exactement à nos désirs les plus forts, qui
sont de ne pas mourir, ou pas définitivement, et d'être aimés. C'est
une des raisons de s'en défier. Une croyance qui correspond si bien à
nos désirs, il y a tout lieu de penser qu'elle a été inventée pour cela,
pour nous rassurer, pour nous consoler, pour nous satisfaire au moins
par anticipation. C'est la définition de l'illusion (...). »
- Freud dans Malaise dans la civilisation dit ce qui suit : « Il y a, comme
nous l’avons dit, de nombreuses voies qui peuvent mener au bonheur,
tel qu’il est accessible à l’homme, il n’y en a aucune qui y conduise à
coup sûr. La religion, elle non plus, ne peut tenir sa promesse. Lorsque
le croyant se trouve finalement obligé de parler « des décrets
insondables » de Dieu, il avoue ainsi qu’il ne lui reste, dans la
souffrance, comme ultime possibilité de réconfort et de source de
plaisir, que la soumission sans condition. »
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1) En vérité, la question essentielle de l’Etre va beaucoup plus loin que
la question de dieu et de la religion :
- En vérité l’homme est inconsolable et rien ne saurait lui assurer le salut quand bien
même il trouverait une cause première ou finale à tout, car une cause peut expliquer un
commencement, une origine ou un aboutissement et des fins, mais elle ne peut pas les
justifier en fournissant à l’homme un sens qui annulerait son désespoir, ses peurs, son doute
et ses incertitudes.