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JOURNAL TITLE: Istina

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ARTICLE TITLE: Theologie et monarchie: L'entree dans le mystere du 'sein du Pere' (Jn 1:18) comme ligne
directrice de la theologie apophatique dans la tradition orientale

ARTICLE AUTHOR: J-M. Garrigues

VOLUME: 15

ISSUE:

MONTH:

YEAR: 1970

PAGES: 435-65

ISSN: 0021-2423

OCLC #:

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434 PROBLEMES DE L’ECUMENlSME CHRETIEN iTS ORIEN TA LES

VI

Dans cet état de choses, le Concile de Trente fit un bilan du


passé. Ii constata que orthodoxorurn Patruin exeinpia secuta,
l’Eglise avait repoussé ceux qui sont ortlzodoxae religionis
doctrinae adversarii1o9 Le 13 novembre 1564, le pape Pie IV
avait précisé que désormais extra verarn cutholicam fidein Théologie et Mona rchie
nemo salvos esse potest
IIO•
Des lors l’Eglise catholique-romaine
devait se désintéresser du mot < orthodoxe >‘ qui devint carac
téristique des chrétiens d’Orient considérés comme dissidents L’entrée dans le mystère du << sein du Père >> (Jn 1, 18)
et schismaliques. comme ligne directrice de Ia théologie apophatique
Pourtant des auteurs de confessions de foi orientales, comme dans la tradition orientale
Mélétios Pigas d’Alexandrie, le Métropolite Pierre Moghila de
Kiev et le patriarche Dosithée de Jerusalem (du xvue siècle) se Juan Miguel GARRIGUES, o. p.
sentaient fiers de pouvoir travailler pour la foi orthodoxe tra
ditionnelle.
Pour conclure, on peut dire que l’histoire et Ia signification
du mot << orthodoxie >> représentent non seulement une’ expres
sion de l’authenticité chrétienne inais qu’ils contiennent une Comprendre la méthode theologique de la Tradition orien
valeur ccuménique. L’annulation réciproque, le 7 décembre tale, c’est comprendre comment, a partir des categories johani
1965, par l’Orient et par l’Occident, des anathèmes de 1054 ques et pauliniennes qui structurent l’architectonique du <<Mys
donne de grandes espérances pour l’avenir. tère>> chrétien, les Pères orientaux ont progressivement instauré
un régime theologique ecclésial qui se veut fidèle a son << lieu >
propre et qui suit son chemin propre (iE9óo) sans le confon
dre avec celui de la sagesse du monde. Ce régime théologique
porte un nom : l’apophatisme.
Nous ne donnerons pas une definition a priori de ce terme
que l’ensemble de cette recherche doit aider a élucider en mon
trant comment, a travers les questions qui se sont posées a cue,
l’Eglise d’Orient a pen a peu trouvé ce régime de foi, de vie et
d’approfondissement théologique qu’elle a appelé, quand elle
a voulu nommer ce qu’elle vivait depuis longtemps, du nom
d’apophatisine.
Or ces problèmes qui ont surgi ne sont autres que ceux de
la comprehension de la foi (ou plutôt de l’intégration de l’homme
dans la <<Vie qui s’est manifestée >> comme une << connaissance
du Pére > [Jn 17, 3]) tels qu’ils se sont poses a l’Eglise des pre
miers siècles, suscitant l’expression de sa foi dans les dogmes
des sept conciles. Et ces questions sont toutes, sans exception,
soit d’ordre trinitaire, soit d’ordre économique (ceuvre du Christ
et de l’Esprit dans le monde) sans que l’on puisse d’ailleurs dis
tinguer absolument ces deux domaines.
L’apophatisine n’est done pas autre chose que le << metho
dos, le régime de vie et de pensée croyante selon lequel I’Eglise
a assimilé son integration au < mysterion > christique, et qui
s’est dégagé a travers quelques crises cruciales et crucifiantes
car dies ne viennent pas seulernent de l’inadéquation entre i’m
109. Cf. HEFELE.-MICHEL, X, I, pp. 10
110. Ibid, p. 641.
et 106. tellect humain et le <<Dieu qui habite une lumière inaccessible >>.
436 CHRETIENTES ORIEN TALES THEOLOGIE ET MONARCHIE 437

mais du fail que la << sagesse en mystère >> (1 Cor. 2, 7) est une
sagesse crucifiée, prononcée par le Logos expirant sur la Croix I. Le Père àpxi darzs la manifestation de Dieu.
<<Père, entre tes mains je remets mon Esprit.> Grégoire Palainas
se fait ici l’écho de quatorze siècles de ce régime de théologie Les affirmations les plus tranchées du Nouveau Testament
apophatique dont l’axe est la Croix-Resurrection, quand ii dit sur i’incognoscibilité de Dieu se trouvent toujours rattachées an
ceux qui sont purifies par l’hésychie... possèdent la grace fait que seul le Christ nous révèle son Père car seul Ii l’a vu et
supra-intelligible, non pas parce qu’ils ne voient pas, a la façon peut Ic voir. S. Jean termine son Prologue par cette phrase qui
de ceux qui font de Ia théologie negative, car c’est dans leur est comme le paradigme de toute théologie apophatique : <<Nul
vision même qu’ils connaissent ce qui dépasse la vision, en subis n’a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est dans le sein du Pére,
saul la negation et non en la concevant > (Triades, II, 3, 26). lui, a fail ceuvre d’exégète >> (Jn 1, 18 ; -‘icito n’a pas de
complement d’objet car le Fils est en lui-même l’exégèse du
L’apophatisme est donc une voie de passage, une Pâque et Père sans aucun autre intermédiaire). Et plus loin : << Non
une Passion, qui nous adapte au régime de la vie divine qui que personne n’ait vu le Père sinon celui qui vient de Dieu
s’écoule du côté transpercé du Logos en Croix. A chacune des celui-ià a vu le Père>> (Jn 6, 46). Puis, a la fin de la prière sacer
grandes crises théologiques de l’Eglise des premiers siècles, la dotale du Christ : << Père Saint, le monde ne t’a pas connu,
Croix a jugé Ia Sagesse de cc monde et l’a fait ressusciter comme mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as
< Sagesse en mystère cachée en Dieu avant les siècles >. envoyé. Je leur ai révélé ton Nom ci le leur révélerai >> (Jn 17,
La premiere grande crise, la crise decisive, a été celle de 26). Et de même chez saint Matthieu : <<Tout m’a été remis par
l’arianisme, exploitée jusqu’à ses ultimes consequences par Ia mon Père... et nul ne connait le Père si cc n’est le Fils et celui
théologie d’Eunome. C’est de cette premiere < pâque théologi a qui Ic Fils veut bien lui révéler > (Mt 11, 27). Quant a saint
que>> de I’Eglise qu’a surgi ce régime de <<noétique théologale >> Paul il ne concoit pas non plus l’incognoscibilité divine autre
qu’est l’apophatisme. C’est done elle que nous devons interroger, ment que comme la manifestation dans le Fils du Pére inaccessi
comprendre ii partir de ses racines dans la theologie anténi ble << ... jusqu’à l’Apparition de notre Seigneur Jesus-Christ, qui
céenne (qui fournissait les occasions d’ambiguIté et les princi fera paraitre aux temps marques le Bienheureux et Unique Sou
pes les plus profonds de solution). C’est cette crise d’Eunome, verain... qui habite une iumière inaccessible, que nul d’entre les
inconnue en Occident ou presque, qui seule permet de compren hommes n’a vu ni ne peut voir>> (1 Tim. 6, 14-16).
dre l’apparition de cette << charte fondamentale >> de l’apopha Et c’est Ic même saint Paul qui devait forger la formule qui
tisme qu’est la théologie des Pères Cappadociens; charte qui ne avec Jn 1, 18 allait constituer l’alpha et l’oméga indépassable
sera plus jamais transgressée, car die fixe l’equilibre fonda- pour tout apophatisme chrétien < Ii (le Fils) est l’image du
mental du << régime apophatique >> de la théologie, mais qui Dieu invisible >> (Col. 1, 15). Ii faut cependant noter sans tarder
laisse ouverte sans aucunement l’épuiser la pénétration du mys que Ic Père incognoscible se manifeste inséparahiement dans
tère qui se poursuivra par une réassimilation des premieres l’image de son Fils ci dans son Esprit << qui révèle cc que 1’cil
orientations anténicéennes crucifiées et ressucitées a travers n’a pas vu, cc que l’oreilie n’a pas entendu... car l’Esprit scrute
la pâque du lye siècle. tout, jusqu’aux profondeurs divines... ci nul ne connaIt les
Noire but ici ne sera pas de tracer tin parcours chronolo secrets de Dieu sinon l’Esprit de Dieu >> (1 Cor. 1, 9-10).
gique de la succession des Pères et des theologies. Ce serait un Ainsi donc, c’est le Nouveau Testament unanime qui articule
travail aussi démesuré que sterile. Ti s’agira d’une recapitulation ensemble Ia question de la connaissance du Dieu Transcen
éconornique de la Tradition, de cc << systèma >> organique qui dant avec sa manifestation comme Père invisible dans son Fils
ne relève pas de la chronologie, ni même peut-être du develop incarné et dans son Esprit. Sa manifestation elie-même est
pement dogmatique, mais d’une economic eschatologique on comprise comme un << dessein éternel qu’Tl (le Pére) a conçu
i’événement (xcupóç) de la Croix-Resurrection intègre la vie de dans Ic Christ Jesus notre Seigneur ci qui nous donne d’oser
l’Eglise dans la révélation (apocalypse) de << Celui qui vient >> approclier en toute confiance par Ic chemin de la foi an Christ>>
Faire mémoire (anamnèse) des crises eschatologiques qui susci (Eph. 3, 10). D’embiée, ci pour toujours, les domaines de cc que
tèrent l’apophatisme comme régime théologique de la Foi, n’est nous appelons << Révélation >> ci << Trinité >> se trouvaient lies
pas faire uvre de compilation encyclopedique mais preparer daiis leur source même : le Père. Ii est l’pf inaccessible de sa
noire intelligence et notre cccur de croyants de 1970 a la vie propre manifestation par << le mystère de sa volonté, cc dessein
crucifiante de Celui qui vient hodie juger, crucifier et sauver bienveillant (aboxIct) qu’ii avait formé en lui par avance >>
notre sagesse mondaine. (Eph. 1, 9) et Ii est le Père et 1’ <<arché>> de ceux en qui s’accom
put cette manifestation le Fils-Logos (Jn 1, 1) ci 1’Esprit-Para-
IHEOLOGIE ET MONARCHIE 439
438 CHRETIENTES ORIENTALES

c’est qu’il peut l’oindre, l’atteindre a la racine rnême de son


clet (Jn 15, 26). C’est le rnystère de cet << archê >‘ qui, étant être de Fits < selon Ia chair fils de David, mais selon l’Esprit,
Père, se révéle dans deux personnes intimement liées a son Fits de Dieu, étant préexistant auprCs du Père, engendré avant
être et a sa gloire, mais obéissantes pourtant dans leur mission toute construction de ce monde >> (Deinonstratio, 30).
d’accomplir << le mystère de sa volonté i’, qui va orienter tout Pour saint Irénée, Ia manifestation du Dieu invisible
l’approfondissement de la théologie anténicéenne. consiste dans <<le mélange (rnyxpczicet la communion (xolvowIcL)
Saint Irénée a articulé ensemble Ia théologie johannique du de Dieu et de l’homme selon le dessein du Père >> (IV, 20, 4)
Logos révélateur du Père invisible (ii était disciple de saint Poly réalisé par l’Esprit du Père envoyé par le Fils < in aduni
carpe qui fut disciple de saint Jean) et la theologie paulinienne tionem et communionem Dei et hominis, ad hominem quidam
(EpItres de Ia Captivité) de l’économie du mystère de la volonté deponente Deum per Spiritum >‘ (V, 1, 1). Ainsi s’accomplit la
du Père accomplie en Christ. La premiere inspiration apparalt manifestation de Dieu : << l’Esprit euvrant (&iroupo5vroc), le
dans des textes qui font directement allusion a Jn 1, 18 : < Dieu Fils fournissant son service (bicu<ovo3vro) et le Père concevant
donne a Ia race humaine la bénédiction et la grace, Dieu incom le dessein (ôoxovtoç) > (IV, 20, 6).
préhensible par Celui qui est comprehensible, Dieu invisible par La révélation de Dieu chez Irénée repose avant tout dans Ic
Celui qui se rend visible, encore que ce Fils ne sorte pas de Lui, mystère du Père <<archê>> de sa propre manifestation (eudokia)
mais demeure dans le sein du Père > (Adv. Haereses, III, 11, 5). qu’accomplit l’Esprit dans l’Incarnation du Fils et la divinisa
Mais c’est dans une de ces formules les plus connues qu’Il a tion de l’homme. Mais l’obéissance du Fils et de l’Esprit dans
noué au plus haut point révélation du Dieu-invisible et mani leur mission laisse pressentir qu’ils ont Un autre rapport a
festation du Dieu-Père dans son Fils : < viderunt in Filio 1’ << archê >> que celui de la soumission instrumentale. Nous
Patrem : invisibile etenim Fuji Pater, visibile autem Pains avons vu que c’est en tant que Fits que celui-ci a assume le
Filius >> (Adv. Haer., IV, 6, 6). nom de Christ grave par Ic Pere. Et si l’Esprit a pu oindre de
L’inspiration paulinienne est là cependant pour rappeler ce Nom le Fils en lant que Fils c’est parce qu’il peut l’atteindre a
que le Fils lui-même est révélateur du Père en taut qu’il accom la racine de son être, qu’il a done quelque chose a voir avec sa
put son dessein de se manifester : < Car nul ne peut connaitre le filiation. Derriere i’ < archê > de la volonté éconornique du
Pére sans le Verbe de Dieu, c’est-à-dire si le Fils ne le révèle, Père, se profile un < archê > de pure paternité que 1’Esprit de
ni connaItre le Fils sans le dessein bienveillant du Père (ibid., filiation (vio8&IcL) montre dans le Verbe : << Sans l’Esprit-Saint,
IV, 6, 3). Tout son dessein est en effet contenu dans le nom de it n’est pas possible de voir le Fils de Dieu ci sans le Fits per
Christ qu’il a donné a son Fils : < Parce que c’est le nom de son sonne ne peut approcher du Père, car la connaissance du Père
Fils et parce que ce nom est son ceuvre, ii l’a déclaré sien. De c’est le Fits et la connaissance du Fits de Dieu se fait par le
même qu’un roi qui aurait grave Iui-même le portrait (ctxova) moyen deYEsprit >> (Demonstr., 7).
de son fils dirait a bon droit que ce portrait est sien, pour ce En prolongeant la perspective néotestamentaire qui exprime
double motif que c’est celui de son fils et qu’il Pa fail lui-même, la transcendance du Dieu invisible comme le propre de la per
ainsi en va-t-il du norn de Jesus-Christ... ce nom le Père l’a sonne du Père ii la fois << archê >‘ de sa propre manifestation
déclaré sien, et parce que c’est celui de son Fils, et parce que lui aux hommes et << archê ‘> des personnes du Fils et de l’Esprit
même l’a grave, en le donnant pour le salut des hommesi (ibid., qui accomplissent cette manifestation, la théologie d’Irénée pou
IV, 17, 6). Texte admirable oü le Père apparait comme l’unique vait sembler soumettre 1’ << archê proprement paternel qui sus
<< archê >>, a la fois par sa paternité envers son Fils, et comme
cite des personnes (Fits, Esprit) libres et Ogales a i’ < archê >>
source de son dessein de manifestation aux hommes, dessein économique qui se sert d’eux comme des serviteurs fonctionnels
qu’assume son propre Fils en le prenant comme nom (Christ). et subordonnés l’image de l’Esprit et du Fils comme << mains
Ainsi ce nom qui rassemble le dessein paternel va apparaItre du POrei> dans Ia creation de l’homme (Adv. Haer., V, 1, 3; 5, 1
comme une onction : < Le Fils de Dieu est devenu fils de 28, 1) en donne un exemple extreme. Cette ambiguIté provient
l’homme, comme l’indique son Nom mêine de Christ, car Christ du fait que dans le Nouveau Testament le Fils et l’Esprit nous
(oint) suppose tout ensemble Celui qui donne l’onction, celui qui sont avant tout connus dans leurs titres << économiques >> (Sau
Ia reçoit et l’onction elle-même ; or c’est le Père qui donne l’onc veur, Paraclet, Seigneur, etc.) ou, cc qui complique les choses,
tion, c’est le Fils qui est oint dans l’Esprit qui est l’onction >> dans leur role de < médiateurs et de < manifestateurs >‘ du
(III, 18, 3). La convergence de la filiation et de la mission chris Père (Logos, Image, Vie) dans des noms qui cependant appa
tique dans la personne du Fils est moms absolue que dans le raissent comme leurs noms personnels.
cas de l’Esprit qui semble s’identifier, en tant qu’onction chris Cette question, qui surgit done de la Parole de Dieu cite
tique, au dessein de manifestation du Père. Et cependant si même ci non d’abord d’une confrontation avec des philosophies
son role est de confier au Fils la mission de l’-oboxia paternefle
440 CHRETIENTES ORIENTALES

ambiantes, devait se trouver au &eur même de cet extraordi


naire lecteur de saint Jean que fut Origène. Un texte clé du
Commentaire de saint Jean met d’emblée en pleine lumière
cette question, restée latente ehez Irénée
<< Ii faut dire, en effet, que Dieu (le Père) est Dieu par lui
THEOLOGIE ET MONARCHIE

que qu’il ne comprendra 1’ < archê > paternel du Fils et de


l’Esprit que scion le chemin de vérité que le Père a lui-même
dessiné pour se manifester en eux aux hommes. L’utilisation
d’une terminologie néo-platonicienne (la participation, la mani
441

lités ‘> de Dieu, ruinant toute divinisation veritable) qui expli [


même (cto9o) selon la parole du Seigneur “ pour qu’ils te festation de l’Un inaccessible dans l’image du < Nous > chez
reconnaissent toi le seul vrai Dieu “, et que tout ce qui est en Plotin) doit être interprétée a partir du problème specifique
dehors de Celui qui est Dieu par lui-même, étant divinisé par ment chrétien qu’a pose Dieu lui-mêrne en se révélant Trinité
participation ne saurait être appelé <<6 Beóc >> mais <<OEóç>> ; ce et en se révélant par la Trinité. Origène (et avec lui la tradition
nom appartient pleinement au Premier-Ne de toute creature, alexandrine et même orientale tout court) fait le premier l’expé
comine Premier par le fait d’être auprès de Dieu, attirant a rience crucifiante de l’apophatisme en n’acceptant d’aller vers
Lui la divinité et supérieur en dignite aux autres dieux, dont 1’ << archê >> personnel (Trinitaire) du Père que par sa manifes
Dieu est le Dieu, selon la Parole : “Deus deorurn Doininus tation dans le Fils et l’Esprit telle qu’il l’a voulue comme << ar
locutus est “, leur donnant d’être des dieux qui puisent de Dieu chê > économique de son dessein.
de quoi us soient divinisés abondamment et leur communiquant La question cruciale qui se pose immédiatement a toute
de sa propre bonté. Dieti est le vrai Dieu. Les autres sont des théologie qui choisit ainsi l’apophatisme, c’est de ne pas dissou
dieux formés a l’image de celui-ci comme des images (< eiko dre en un second temps dans une sagesse huinaine la Croix
nes >) du prototype. Mais a nouveau parmi ces images norn qui est l’axe méme dii dessein du Père, et de ne plus voir la me
breuses, l’image archetype est le Logos qui est près de Dieu, qui diation manifestatrice du Verbe comme 1’ < Agnus qui occisus
était au commencement par le fail d’être Dieu demeurant lou est ab origine mundi>> (Apoc. 13, 8). Car seule la Croix librement
jours près de Dieu et qui ne serait pas cela s’il n’était près de choisie et acceptée par le Verbe peut écarter le soupçon qu’il ne
Dieu et qui ne demeurerait pas Dieu, s’il ne subsistait dans Ia soit qu’un instrument servile et subordonné a la volonté d’un
perpétuelle contemplation de l’abime paterne1> (In Joan., II, 2). Dieu supérieur : ii n’y a pas d’apophatisrne chrétien qui ne se
Ce texte rassemble d’une manière parfaitement rigoureuse toutes fonde sur l’antinomie révélatrice de la Croix.
les ambiguItes qui seront par Ia suite reprochées a 1’Origène. C’est sur ce point qu’apparaIt l’ambiguIté la p]us profonde
L’axe de sa pensée reside dans l’idée de manifestation de Dieu d’Origène : son intellectualisme. Le texte précédent dit claire
(au sens concret et fort de divinisation) qui fait que tous les élé ment que le Verbe n’est archetype de la divinisation des images
ments de Ia révélation chrétienne sont interprétés a partir de créées que parce qu’ < ii subsiste dans la perpétuelie contem
(et comme servant a) cette manifestation du c< vrai Dieu > plation de l’abIme paternel >. La divinisation par assimilation
(abime paternel, <<archê insondable). Cette rnanière de voir en contemplative a < l’avantage > d’être une divinisation < natu
Dieu tout d’abord 1’ < archê > d’une divinisation manifestatrice relle >, qui s’impose du degré d’être supérieur a l’inférieur,
(le prototype inaccessible des < icônes > divinisées) entraine < par la force des choses >, sans ce drame de la libre decision

deux consequences : le Fils de Dieu est considéré d’abord dans qu’est la Croix. Ce sera touj ours la pente dangereuse dc l’alexan
sa fonction médiatrice (comme archetype et Premier-Ne des drinisme qui se retrouvera dans la thCologie de l’Incarnation de
images divinisées) et son rapport a 1’ < archê > paternel s’inscrit saint Cyrilie et que devront corriger Chalcédoine puis saint
d’emblée dans le rapport de participation (<< metochê >>) divi Maxime le Confesseur.
nisatrice selon lequel s’accomplit la manifestation du seul vrai Mais Origène n’a pas ignore que la manifestation du Père
Dieu. aux hommes dans le Verbe-Image se fait a travers la libre
Participation et mediation manifestatrice (Logos, Image) communion du Fils a la volonté de son Père : < La nourriture
constituent les deux categories d’une théologie qui comprend qui convient au Fils de Dieu est de faire la volonté paternelle,
le Dieu invisible d’emblée comme 1’ archê >> d’une manifesta d’accomplir en lui-même cc vouloir qui était dans son Père, de
tion-communication sous mode d’image. Chez Irénée le Pére était sorte que la volonté du Père se retrouve dans celle du Fils
en même temps < archê > de sa manifestation et < archê qui n’est pas différente de celle de son Père. Et a cause de cette
paternel du Fils et de l’Esprit. Origene aura tendance a corn unique volonté, celui qui a vu le Fils en Jesus a vu en même
prendre le second aspeci de 1’ << archê>> paternel ii partir du pre temps le Père qui l’a envoyé... Seul le Fils peut contenir toute
mier (manifestation, économie). C’est probablement sa réac Ia volonté dii Père, c’est pourquoi ii est son image >> (In Joan.,
lion contre Ic Sabellianisme (qui unissait tellement les personnes XIII, 36). Dans cette perspective qui retrouve l’idée paulinienne
qu’il conipromettait l’engagement du Fils et de l’Esprit dans la d’une manifestation de Dieu par volonté et dessein paternel
manifestation économique du Père sinon comme des << moda (Eph. 1, 9) librement assumée par le Fils, celui-ci ne devient
442 CHRETIENTES ORIENTALES THEOL OGlE ET MONARCHIE 443

médiateur, Image-manifestatrice pour les hommes, que parce et la source essentielle et personnelle du Fils et de 1’Esprit qui ont
que, comme FiTs, ii Peut de lui-niême et en lui-mêrne < contenir librement et volontairement assume ce dessein. Ii a adore dans
toute la volonté du Père >>. Du même coup, par une obéissance le Père synthétiquement 1’ << archê >> de la divinité, le Dieu
de Fils se révélant sur la Croix, la manifestation de Dieu (6 OEóc) : < S’il y a un Esprit de Charité, un Fils de Charité, et
archê>> de Ia divinité ne peut se réaliser que parce que le Fils Si Dieu est Charité, ii est certain que de Ia source unique de la
entrelient un autre rapport a Dieu, comme a son < arché > divinité paternelle sortent le Fils et l’Esprit >> (In Rom., IV, 9;
paternel. Ici la théologie d’Origène qui avait poussé jusqu’à P. G. 14, 997 C). En quoi ii n’était pas plus ambigu que Jean le
son point critique l’imbrication entre la manifestation de Dieu et Théologien qui a entendu le Verbe exégète du Père dire : < Je
son être Trine, s’approche de ce qui constituera plus tard la les ai aimés coinme tu m’as aimé >> (Jn 17, 23). En effet, dans
pénétration Ia plus profonde de la théologie apophatique l’amour crucifié le dessein de manifestation du Père est a tout
Honorons donc le Père de la Vérité et son Fils, la Vérité, qui jamais lie au lien trinitaire qui l’unit a son Fils et a l’Esprit.
sont deux êtres différents par l’hypostase mais mi seul êlre par La Croix devient ainsi le lieu et le chiffre de tout apophatisme
leur accord (ôiovoiq), leur concorde (cupcovIcL) et l’identité de chrétien oui Dieu se manifeste cornme Trinité par Ia Trinité elle
leur volonté (ou)ictoc) ; ainsi celui qui voit le Fils, reflet de même. C’est pourquoi Origène pouvait dire que dans le dernier
la gloire et caractère de l’hypostase (Hb. 1, 3) de Dieu, voit en du Christ sur la Croix sont contenus tous les mystères.
Dieu en lui, puisqu’il est l’image de Dieu >> (Contre Celse, VIII,
12). L’accord des volontés, que révèle l’Economie du Christ obéis
sant jusqu’à Ia Croix, fait de mi l’iinage du Père invisible, car
son obéissance dans la chair laisse transparaltre une commu II. — Le Pére iivapo par pro priété d’essence divine.
nion d’être avec le Père, communion d’être et d’égalité qu’éta
but 1’ < archê > paternel et qui est d’un autre type que Ia parti Le Nouveau Testament a intimement lie l’inconnaissance de
cipation manifestatrice d’un << archê >> divin : << La supériorité Dieu au fait qu’il s’est révélé, ainsi que Ta manifestation de ce
du Sauveur, Image de la Bonté de Dieu, sur les biens qui Dieu inaccessible au fait qu’il s’est montré comme étant Trinité.
lui sont inférieurs (creatures divinisées) est plus grande que La théologie d’Irénée ou d’Origène a eu tendance a approcher
celle de Dieu qui est bon, sur le Sauveur... qui est auprès des 1’ << archë >> paternel dans Ia Trinité comme << archê >> de Ia
autres êtres l’image de la bonté en soi > (Contre Celse, V. 11). manifestation de Dieu aux hommes dans i’économie du Christ et
Malgré l’ambiguIté qu’il y a a distinguer la manifestation divini de l’Esprit. Si on peut parler chez eux de subordinatianisme
sante de 1’ << archê >> divin des rapport du Fils avec 1’ << archê > c’est, nous l’avons montré, pour s’en être tenu trop systématique
paternel, par un simple comparatif (<< supérieur >>), on ne peut ment Ta manière synthétique dont le Nouveau Testament pré
nier que pour Origène ii s’agit de deux ordres différents. Pour sente le Père comme << archê >> inaccessible de Ia Révélation
lui 1’ << archê>> paternel se communique totalement, et non par et comme << archê >> personnel dans la Trinité. Nous avons
tiellement comme le laisse croire le mot de participation, au entrevu chez Onigene que la distinction (sans separation) des
Fils : << ce dernier, étant l’image du Dieu invisible, doit repro domaines trinitaire et économique n’apparait que dans la libre
duire par sa grandeur eIle-même l’image du Père. II ne serait obéissance du Fils au Père sur Ia Croix << Si le Père m’aime
pas une belle image du Dieu invisible, une image de mémes c’est que je donne ma vie, pour la reprendre. On ne me l’ôte
dimensions, s’il ne présentait pas aussi l’image de sa grandeur>> pas; je la donne de moi-même >>. L’apophatisme apprend dans
(Contre Celse, VI, 69). Et ailleurs : <<ceux qui sont appelés dieux la Croix que le Fils peut s’abaisser librement sans garder jalou
en dehors de Ia Trinité sont tels par participation a Ia divi sement le rang qui l’égale a Dieu le Père, et par-delà que le
nité; mais le Sauveur n’est pas Dieu par participation (xatá Père, au sein même de son être divin, peut se communiquer
ucroimiav), ii l’est par essence (xctr’ oi’iav) >> (Sur Ps., 135, 2). comme Dieu en des personnes égales a lui, le Fils et l’Esprit, sans
Malgré quelques ambiguItés dues a une conception trop déchoir de son essence. Même mystère de i’ << agape > dans ses
intellectuelle de la Révélation, Origene n’a pas identifié le Père deux dimensions, créée et incréée, dont Te Père est l’unique
avec I’essence divine, au sens d’une propriété exclusive (comme << archê >>, bien qu’essentiellement elles soient absolument sépa
ce sera plus tard le cas d’Eunome). Bien au contraire, s’il a rées et distinctes.
pensé (et adore !) ensemble le Dieu << archê >> de sa manifesta Le Dieu chrétien se révèle comme un Dieu qui peut mourir
tion et 1’ << archê >> paternel du Fils et de l’Esprit, c’est parce et ressusciter, se donner sans se perdre car le mystère de son être
que pour Iui le Dieu chrétien s’est révélé comme don de soi, même trinitaire est celui d’une paternité qui peut communiquer
source de divinité et de divinisation. Le Père étant a la fois, mais son essence a deux autres personnes égales, selon un mode de
autrement, Ta source de son dessein volontaire de manifestation communication autre que la participation déficiente (propre
444 CHRETIENTES ORIENTALES THEOL OGlE ET MONARCHIE 445

a l’ontologie créée) ce don total de soi qui exciut lout supe plus on moms grande capacité que l’on reconnait it l’esprit
rieur et tout inférieur, et qui s’est révélé comme << agape >>. humain, l’incognoscibilité du Dien invisible sera livrée it la
Mais l’intelligence qui n’a pas accepté d’entrer dans lé mys merci de la théorie de la connaissance que chacun se choisit.
tère de l’amour crucifié ne petit comprendre Ia soumission du Celle d’Eunome consistait dans un << platonisme des noms >>
Fils que comme Ia servitude d’un inférieur et I’ <archê pater (cf. le Cratyle) gui professe un grand optimisme quant it la pos
nel autrement que comme une supériorité absolue et exclusive sibilité de connaItre directement l’essence des êtres lar leurs
dans le degré d’être. Quand die contemple le mystère de noms. Ainsi it la connaissance du nom essentiel de Dieu (à’iv
1’ << archê >>, elle remarque qu’il n’est soumis a rien, qu’il est vrto on vapxoc) correspond pour lui sa connaissance pleine
lui-même vapxo, tenant son être de lui-même dans une indé et parfaite de la nature divine (P. G. 45, 929). L’avanage d’une
pendance souveraine. Le drame d’une intelligence humaine qui théorie de la connaissance aussi extreme, n’incluant aucune ins
essaye de rencontrer le Dieu chrétien selon la sagesse du monde, tance de <<via negationis>> naturelle, fut de provoquer une réac
c’est-à-dire ailleurs que dans le mystère de la Croix-Résurrec tion radicale de la Foi qui revint an paradoxe de Ia Révé
tion, est qu’elle ne pent concevoir que le Dieu Trés-Haut, son lation du Dien-Trine. Une gnoséologie naturelle plus équilibree
verainement indépendant, puisse être arnené par son être même faisant davantage la part dc Ia négativité qu’impose la finitude
de Père a se donner totalement dans un Fils et un Esprit égaux de i’esprit, aurait moms scandalisé, aurait peut-être été pen a
bien qu’ayant leur origine en lui. Et pourtant un Père inengen pen assimilée comme langage de la Foi évacuant ainsi le mode
dré, un ivctpo, n’est justement que Père, son êtrc c’est pro pre de la manifestation du Dieu-Trinité. << Felix culpa >>
d’être source de paternité. Mais comprendre cetle nécessité plus qui devait couper court it toute possibilité ultérieure de compro
libre que l’indépendance dans l’ordre des degrés d’être, c’est mis avec la << sagesse de la chair >>, a cause de son outrance
avoir été jusqu’au bout de cc don gratuit de la vie qu’est le mys rnême.
tère de la Croix. Car, it partir de cc point de depart, c’éait toute Ia RévCla
Le drame d’Eunome c’est d’avoir refuse le scandale que tion chrétienne gui se dissolvait avec la doctrine d’Ennome.
constitue la manifestation du Dieu chrétien. Son refus et celui Le Père s’identifiant avec l’à-vvIa conçue positweinent
d’Arius (qu’il systématise jusqu’à ses dernières consequences) comme une essence absolue et parfaitement simple, tonte com
constitueront une passion pour Ia théologie de 1’Eglise : la vie munication d’être venant du Père ne pouvait plus être conçue
qui devait ressusciter de cette mort serait cette manière de comme une participation dégradée <<ad extra >>, toute géné
participer au paradoxe de Ia manifestation crucifiée du Dieu ration on procession interne a cette nature simple ne pouvant
trinitaire par la pensée et par la vie, qu’on appelle l’apopha être concue que comme une corruption (P. G. 45, 407). Le Fits
tisme. étant engendré, ayant done un < archê >, ne pent être qn’une
Quand on rompt avec la rnanière dont Ic Nouveau Testa creature, éminente sans doute, ayant été pro duite par le Père
ment lie Ia manifestation du Dieu invisible a sa révélation immédiatement (P. G. 45, 656). Cette primauté par rapport it Ia
comme Trinité, l’inaccessibilité divine est immédiatement Inena Creation lui fait partager, non pas l’essence incommunicable
cée. On pourrait dire paradoxalement qu’elle n’est plus sauve du PCre << anarchos >> mais ses energies créatrices : il est en
gardée que par la bassessse et Ia finitude de i’intellect humain. effet << cbcov xci tcppczyi ric roe 7ravroxpàropa CvEoyiac >> (ibid.,
Mais cc n’est plus Dieu lui-même qui dans sa révélation même 540). En second lieu de cette participation dégradée vient l’Es
se révèle comme Père invisible connu uniquement de son Fils prit, dépourvu de la puissance créatrice et de cette divinité éner
et de son Esprit gui Ic manifestent aux hommes. Or justement gétique qui convient an Fils, ii est le premier et le plus excellent
I’apophatisme ne reside pas dans l’inadéquation de l’intellect des êtres produits par mi : < d rpGjrov Cp’ov xci xpátlc5tov toC
humain a l’absolu divin mais dans la manière que Dieu a choisie Movo’svoiç .iéyttôv t xci xáXXtc5tov> (P. G. 45, 561).
(< eudokia >) pour se révéler, manière gui est liée au mystère Ainsi une métaphysique naturelle de la participation par
même de son être Trinitaire puisque cc sont les personnes du degrés d’être déficients s’est snbstituée it 1’ << eudokia > manifes
Fils et de l’Esprit qui accomplissent la manifestation de Dieu tatrice du Père pour rendre compte du mystère trinitaire et de
aux hommes. l’économie du Salut. Le subordinatianisme anoméen n’est pas
En dehors de cc < modus se revelandi >> que Dieu a choisi dñ, comme celui d’Origène, an souci de n’approcher 1’ << archê >>
comme le plus propre a manifester son mystère, l’homme ne trinitaire que selon son << eudokia > manifestatrice réalisée par
peut concevoir, avec Eunome, Ia Transcendance divine que l’obéissance du Fils et de I’Esprit it la volonté cm Père. Avec
comme une maximalité dans Ic degré d’être < i vc’rári xci xii Eunome c’est la réalité même de la Révélation du Dieu invisible
ptwrár oicIa>> (P. G. 45, 297 A). La connaissance ou l’incon qui est refnsée. Ce n’est pas a partir de son initiative libre de
naissance de cet Etre Supreme ne dépendant plus que de Ia manifestation qne l’anoméen va s’approcher du mystère de Dieu
CHRETIENTES ORIENTALES THEOLOGIE ET MONARCHIE 447
446

qui se révèle. C’est l’homme qui va assigner a Dieu une pro gien >>, titre que seul avait reçu jusqu’alors le disciple du Logos,
priété essentielle a partir des speculations de son intellect. Au Jean I’Evangéliste.
fond, c’est Ia découverte du nom-concept d’àvriro qui est la Grégoire le Théologien commence par retrouver la perspec
veritable révélation; et Eunome reconnaissait dans sa gnoséo tive néo-testamentaire et prénicéenne qui se refuse a séparer
logie que les noms essentiels étaient une veritable révélation Ic Père comme 1’ < archê > de la creation et de l’économie et
de la Sagesse divine (cf. P. G. 45, livre XII du Contre Eunome, le Père comme < archê > personnel de la Trinité : < Car Ii ne
971, 1047, etc.). Ii s’agissait, comme le lui reproche ouvertement serait le principe (<< archê >>) que des choses mesquines et mdi
saint Grégoire de Nysse (P. G. 45, 906 D), de soumettre Dieu gnes, bien plus, Ii ne serait Principe que d’une facon mesquine
aux categories de la philosophie d’Aristote, en concevant comme et sans dignité, s’Il n’était pas le principe de la divinité (tf
caractère essentiel de l’essence divine une simplicité pensée, Oeótqroç ãpfi) et de la bonté qu’on adore dans le Fils et dans
trop humainement, comme absence d’opposition, 1’ << anarchos>> l’Esprit-Saint : dans l’un comme Fils et comme Verbe, dans
ne pouvant pas être << archê >‘ de sa propre essence dans un l’autre comme Esprit procédant sans separation >> (Or. Theol. II
être égal a lui. Mais justement, en ressuscitant, la Foi allait P. G. 35, 445). Grégoire retrouve ici par instinct de Foi le point
retrouver l’antinomie apophatique << archê-anarchos >>. specifiquement non chrétien de la position d’Eunome : être
<< archê>> immuable et souverain parce qu’on n’est que Ic prin
cipe de choses inférieures, ce n’est pas là la vraie grandeur du
III. Le Père àpXfivcLpXo par irréductibilité du couple Dieu chrétien : sa grandeur ne reside pas dans la supériorité de
degré d’être dans l’ordre de la participation déficiente (<< façon

essence-hypostase.
mesquine et sans dignité d’être” archè >) mais dans la possi

bjljté d’être <<archê>> de la communication de la divinité a deux


La crise d’Eunome fut un ébranlement terrible de la Foi de autres personnes égales, dans l’ordre de la communion d’amour.
l’Eglise d’Orient. Prolongeant l’Arianisme jusqu’à ses ultimes Grégoire a compris que la manifestation du Dieu invisible accom
consequences, elle constitua une menace mortelle pour la Foi plie parfaitement et librement par son Fils sur Ia Croix, nous
au Dieu de la Révélation. C’est a ce titre que les Pères de l’Eglise fait accéder a une manière inouIe d’être Dieu qui a peu de chose
du lye siècle le combattirent et il n’y a qu’à compter le nom a voir avec celle, concue trop humainement par Eunome comme
bre de traités que lui ont consacrés les Pères Cappadociens et celle d’une substance simple et supreme : < Nous n’aurons
saint Jean Chrysostome pour comprendre l’envergure de l’af jamais l’audace de parler d’une bonté qui déborde, comme un
frontement. Combat qui va s’étendre aussi dans le temps puis philosophe grec l’a osé, en disant : <<tel un cratère qui déborde >>.
qu’on en trouve des echos dans l’ceuvre de Cyrille d’Alexandrie Nous n’admettrons jamais une génération forcée, une sorte de
en plein v’ siècle. En fait, c’est la foi même de 1’Eglise qui va production naturelle et incoercible, qui ne saurait convenir a
réagir par Ia bouche de ces Pères et qui va trouver ce régime de notre notion de la Divinité (Or. Theol. IV, 7). La Foi comprend
vie et de pensée dans Ia Révélation, cet apophatisme qui va une liberté supra-nécessaire dans la génération divine : Ic Père
marquer a tout jamais la vie de l’Eglise orientale, surtout a parce
é’apxO pent être en même temps << àpxi ri’ Osórtoç >>
travers Ia liturgie qui s’est cristallisée justement au moment qu’il est un mystère de don d’ < agape >, et que son < anar
de la reaction antieunomienne << 2 -àp el ó Oà àvxcppcoro, chia > est une source sur-essentiellement libre qui n’a pas
à2teplvofltoc. àoparoç, àxaráXittoç > dit Ia preface de la liturgie besoin de se protéger en conservant jalousement pour elle sa
de saint Jean Chrysostorne, et celle de saint Basile, Cvctpxe, àó supériorité. La divinité chrétienne est << une divinité sans degré
pare, áxcixáXrre, àrepiypcutte, dv&Aofti,te, è Harp roe Kupioi iw7v
supérieur qui élève ou degré inférieur qui abaisse >> (Or. XLI,
‘IriaoC Xpiaroi3, liant ainsi l’inaccessibilité de 1’ <<archê-anarchos>> P. G. 36, 417 B). Car 1’ << archê-anarchos >> du Père comme
paternel a sa manifestation dans son Fils devenu Christ pour
source de don total est une cause qui ne diminue en rien celui
bus.
Dans cette tourmente eunomienne, l’Esprit a snscité dans a qui elle donne l’origine : < Ii n’est pas moms grand de venir
l’Eglise d’authentiques << théologiens >> pour rendre gloire a d’une telle cause que de n’avoir pas de cause; car c’est parti
Dieu. Theologiens au sens oriental de Ia Theologia >> qui, ciper a la gloire de l’être sans principe (< anarchos >) que de
depuis Origène, a un sens tout a fait concret : c’est la réalité venir de lui, et a cela s’ajoute la génération, dignité éminente si
trinitaire elle-même, le Aó-roc 7rpbç rv Oeóv et notre participation I’on sait comprendre et qui mérite autant de vénération >> (Or.
a cette vie divine dans le Logos fait Homme. C’est pour avoir Theol. IV, 7). II faut remarquer des maintenant comment c’est
ressuscité cette <<Theologia>> au cur même de la foi de l’Eglise en approfondissant le mystère de 1’ << archê-anarchos >> irréduc
que Grégoire de Nazianze reçut le titre supreme de < Théoio tible du Père que Grégoire de Nazianze est conduit a l’égalité

1
CHRETIENTES ORIENTALES THEOLOGIE ET MONA RCHIE 449
448

d’essence entre le Père et ceux auxquels Ii se donne totalement, C’est donc par une meditation sur le mystére du Père
le Fils et l’Esprit. < archê-anarchos > irréductible, que toute la Trinité se maui
Grégoire est ainsi amené au cceur du mystère du Père Ii feste recueillie dans sa monarchic, pour Grégoire de Nazianze.
C’est dans le Père que s’origine l’antinomie d’essence et d’hypos
est a la fois supérieur et égal, < anarchos > et < archê > de la tase dont les < relations personnelles > ne sont qu’une manifes
divinité. Ii ne s’identifie pas a son essence divine puisqu’il est
tation dérivée. Pour cette raison, les relations d’opposition dans
Dieu en étant Père, c’est-à-dire en la communiquant totalement l’essence divine ne fondent pas les hypostases ; ces relations ne
au Fils et a l’Esprit. C’est ce que ne pouvait pas comprendre permettent qu’une approche negative des hypostases en évitant
Eunome qui faisait de 1’ c anarchos >, du Père une propriété
de les confondre : < Le Père n’est pas devenu Père puisqu’Il n’a
(dons tous les sens du mot) essentielle du Père, ne voyant pas
pas eu de commencement (< archê >). Ii est vraiment Ic Père,
qu’Il est inséparablement < anarchos > et < archê > parce qu’il
parce qu’II n’est pas le Fils, tout comme le Fils est vraiment
ne s’identifie pas a son essence n’étant pas Dieu par propriété
Fils parce qu’il n’est pas le Père. On n’en peut dire autant de
mais par paternité << Quand nous disons que le Père est plus
nous, qui sommes a la fois pères et fits, sans être l’un plutôt que
grand que le Fils en taut que cause, us ajoutent Ia conclusion
l’autre >> (Or. Theol. III, 5). Ce texte montre bien le dépassement
“ la cause est par Ia nature” et us rapprochent ensuite les deux dans Ia Trinité d’une notion de relation, conçue comme opposi
en disant Le Père est plus grand par la nature “. > (Or.
tion relative, dyadique, et done propre a l’ontologie créée. Le

TIzeol. III, 15). Et Grégoire expose nettement comment l’unique Père est source d’une diversité hypostatique absolue tout en
< arché > paternel n’est pas Dieu par une identification
exclu
avec l’essence divine mais par un < inouvement > mysté assurant l’absolue communion dans l’égalité essentielle. Ainsi
sive
nous le présente Grégoire le Théologien dans un texte célèbre
rieux qui va et vient entre lUnité ci Ia Trinité : < Nous, au < Pour nous un seul Dieu parce qu’une seule Divinité, et que
contraire, nous honorons un seul principe (utvapxict) ; et cette ceux qui procèdent se rapportent a l’Un (nv) dont ils procèdent
unite n’est pas celle qui implique une personne unique (cf. Eu tout en étant trois selon Ia Foi, car l’un n’est pas plus Dieu et
nome) mais celle que constituent la commune dignité de nature,
l’accord de Ia volonté, l’identité de mouvement et le retour a
l’autre moms Dieu... Ainsi done quand nous considérons la
toutes choses impossibles dans Divinité, Ia cause premiere, la monarchic, c’est le Un qui nous
I’unité de cc qui vient de l’unité

apparaIt, et quand nous considérons ceux en qui est la divinité,


Ia nature créée en sorte que s’il y a difference numérique ii n’y
ceux qui viennent de Ia Cause premiere sans intervalle de temps

a pas division d’essence. C’est pourquoi la monade se met ci avec égalité de gloire, cc sont les trois que nous adorons>> (Or.
tant en mouvement ii partir du Principe (‘à’t’ àpf) vers la Theol. V, 14). On remarquera que la Divinité (essence) est
dyade, s’achève en Triade >> (Or. Theol. III, 2). Mais si le Pére considérée d’emblée dons Ic inystère du Père qui, ne s’identifiant
ne doit pas être conçu comme s’identifiant de manière exclusive
pas a die, est du même coup Ia cause de sa communication et
a l’essence divine, le << mouvement >> de communication qui partage avec les autres personnes. C’est l’irréductibilité d’essence
vient de lui non seulement dépasse l’identité exclusive de sa per et d’hypostase dans le mystère du Père <archê-anarchos> qui le
sonne avec l’essence divine, mais même la dyade, la relation constitue comme source de Ia Trinité. C’est cc mystère du Père
concue comme opposition bipolaire, laquelle appartient a l’onto que Gregoire essaye d’approcher finalement a travers des sym
logie du créé (matière-forme, relation, etc.), pour s’épanouir boles : Celui de la source, du ruisseau et du fleuve pour le
dans la Triade qui est l’autre face de la monarchic paternelle Père, le Fils ci l’Esprit, ou mieux celui de la refraction vibrante
<<La monade s’est misc en mouvernent en vertu de sa richesse du soleil sur l’eau qui produit des taches de lumière s’unifiant et
Ia dyade est franchie car la divinité est au-dessus de la matière se diversifiant sans cesse (Or. Theol. V. 32).
et de la forme; elle se limite par la perfection de la Triade, Dans son approche antinornique du mystère du Pére, saint
laquelle est Ia premiere a franchir la composition de la dyade Grégoire de Nazianze a fixé l’orientation direcirice de tout
de sorte que Ia divinité ne reste pas a l’étroit (Eunome) ni ne se < mnethodos >‘ apophatique
1•
D’autres pénétreront plus avant
répand a l’infini (polythéisme) > (Or. XXIII, P. G. 35, 1160 C). par cette route que Dieu a tracée vers lui-même, inais aucun
< Triade, cc mot unit des choses unies par nature et
ne laisse
n’osera plus s’écarter de cette voie.
point disperser les inséparables par un nombre qui sépare> (Or.
XXIII, P. G. 35, 1161 C) ; pour cette raison Ia Triade est Ia mani 1. La méthode apophatique de saint Grégoire, a J’encontre dii e natura
festation du mystère le plus profond du Père et peut être consi iisme a d’Eunome, consiste S tenir ensemble distincternent essence et hvpostase
dérée comme le nom du Dieu vivant de la révélation (Or. XLV, thins l’archê-anarchos paternel. Seulement en ce sens peut-on parler chez lui
de mSthode e antinomique a. Cette catégorie, qui d’ailleurs n’apparait prati
P. G. 36, 628 C). Nous retrouvons ainsi, complètement purifié quement jarnais explicitement chez lui, n’est pas la formulation ultime du
de tout subordinatianisme, le rapport traditionnel entre Ia mani mystère du PSre et Ia Tradition l’approfondira par Ia suite a travers le snot
festation du Dieu invisible et sa Révélation comme Trinité. de périchorèse.
450 CHRETIENTES ORIENTALES THEOLOGIE ET MONARCH1E 411

Grégoire de Nazianze a découvert l’orientation maitresse de inférieur, mais scm occupé a satisfaire son propre besoin : ainsi,
l’apophatisme chrétien, en montrant qu’un Dieu qui ne peut être en les suivant, la Parole de la Providence (ipóvoia= projet éco
<< archê >> que d’êtres inférieurs participant a Lui et qui ne nomique du Père) est un mensonge, ainsi que le Jugernent, l’Eco
peut se communiquer en un Fils et un Esprit égaux, de peur de nomie du Fils Unique ci tout cc qui, par Lui, nous est advenu
corrompre son essence et d’en être dépossédé, est un Dieu et nous advient, car Ii sera occupé a prendre soin de son propre
mesquin et jaloux de sa souveraineté, non pas le Dieu < agapê> bien, et devra abandonner son administration de toutes cho
révélé dans le Christ. A partir de cette conviction de depart, ii ses > (P. G. 45, 340 A). Et, prolongeant sa réflexion, il montre
est amené a distinguer cette < monarchie > paternelle qui s’ac comment la participation par degres d’être enchaIne Pinférieur au
complit dans Ia communion d’une égalité d’être, de 1’ << archê >> supérieur par un lien de nécessité et de besoin : <<Car aussi long
paternel qui preside a l’accomplissement de son < eudokia temps qu’une nature est en défaut par rapport au Bien, l’étant
dans l’obéissance et la soumission du Fils et de 1’Esprit a leur supérieur exerce sur l’inférieur une attraction incessante qui
mission économique. Mais après avoir sauvé le cur même du l’attire vers Iui : et cc besoin d’être plus ne cessera jamais..., le
dogme par cette distinction qu’exigeait la Foi, ii fallait que les sujet deficient demandera toujours un supplement, toujours se
theologiens reviennent méditer sur cette articulation de 1’ <Oiko haussant vers le supérieur, et cependant il n’atteindra jamais
nomia > et de la < Theologia > dans I’ < archê > paternel (prin la perfection car ii ne pent pas trouver un but saisissable et
cipe de divinité trinitaire et de sa manifestation) qui est le naud cesser son impulsion vers le haut > (ibid., 340 D). Et Grégoire
même, comme nous l’avons vu, de in Révélation néo-testamen de s’exclamer: <<Si cela est ainsi, notre Foi est vaine, notre prédi
taire. On ne pouvait se conenter de séparer, avec Grégoire Ic cation aussi, et nos espérances qui se fondent sur Ia foi, sans
Théologien, << ce qui convient a la nature divine et ce qui se fondement >> (ibid., 340 B).
rapporte ii l’Economie >> (Or. TheoL III, 18, in fine). Des théo C’est done pour sauvegarder le réalisme de i’Economie de
logiens moms exciusivement axes sur Ia < theologia > que < Ic Ia manifestation de Dieu et de notre divinisation que Grégoire
Théologien > se devaient peu a peu de reprendre la perspective est amené a défendre, contre Eunorne, l’égalité < thCologique >
synthetique de la théologie anténicéenne, purifiée a tout jamais des personnes trinitaires qui accomplissent cette Economic. C’est
par le feu apophatique des Cappadociens, articulant ensemble parce que le Père est un << archê-anarchos >> donnant un être
manifestation du Dieu invisible et Trinité. Cette tâche allait egal an Fils et a 1’Esprit (et non une participation dégradéc
s’amorcer déjà avec le plus jeune des Cappadociens, saint Gre asservissante), qu’il pent se manifester a travers ceux-là dans
goire de Nysse, qui, après avoir lutté âprernent au plan trini 1’Economie, car leur accomplissement obéissant de 1’ <<eudokia>>
taire contre Ia crise eunomienne, devra se tourner, vers Ia fin voulue par 1’ < archê > paternel scm récilement une libre colla
de sa vie, a cause de Ia crise christologique de 1’Apollinarisme, boration la volonté du Père. Le mystère des médiateurs de la
vers l’Econornie. Désormais la question trinitaire et la question manifestation économique du Père, a savoir le Fils et I’Esprit,
économique (Christologie, Pneumatologie) se répercuteront dia reside en cc qu’ils sont médiateurs et égaux, obCissants et libres.
lectiquement l’une sur l’autre, sans sortir cependant des grandes Pour cette raison Grégoire refuse de concevoir ces médiateurs,
distinctions des Cappadociens. ces manifestateurs du Père, comme des << êtres intermédiaires
Des le < Contre Eunome >, on voit Grégoire de Nysse très sen entre Ic Créé et l’Incréé>> (P. G. 45, 1321 D).
sible aux consequences pour l’Economie et la Divinisation des En dissociant la mediation manifestatrice du Fils et de l’Es
erreurs d’Eunome en rnatière de < theologia >. Ii part d’unc prit, de toute hiérarchie ontologique dans l’ordre de l’essence,
remarque fondarnentale : << Si l’essence divine est dite apparte probléme latent chez Origène et systématisé par Eunome, saint
nir en propre au seul Père et non pas au Fils et a l’Esprit, qu’est Grégoire essayc de penser et d’exprirner cet ordre de l’Econornie
cc que cela sinon une negation manifeste de tout le message du qu’il a distingué de celui de la nature. En effet, pour Eunome, la
saint (ro cUnpiov xipi3ysctro) > (P. G. 45, 305 A). Et ii explicite nature divine se révélait directement dans son nom essentiel
plus profondément ce rapport entre la << Théologie>> et I’ <<Eco áyEvvrc3tIa. Pour Grégoire les noms divins ne peuvent signifier Ia
nomie > en montrant que si le Fils et l’Esprit dependent de manifestation de Dieu sinon a travers sa Révélation dans le Fils
1’ << archC >> paternel par participation, us seront enchainCs par et 1’Esprit qui, nous l’avons vu, ne pourraient pas révéler Ic vrai
le besoin nécessaire qu’ils ont de Lui pour être et ne pourront << archê >> paternel s’ils n’étaient pas ses égaux. Pour indiqucr
pas alors être des véritables dispensateurs (otxo’otot) cl’une vie Ic domaine de Ia manifestation du Père dans l’éconornie du
divine dont us ne jouissent pas en liberté. < Si la participation Fils et de 1’Esprit sans la comprendre comme une mediation dans
du Fils au Bien est imparfaite, et c’est cc qu’ils (les Eunorniens) une hierarchic décroissante de natures, saint Grégoire trouve le
indiquent par” moms “, remarque qu’il en résulte que qui que mot d’ <<energeia>> qui se contre-distingue par rapport a <ousia
cc soit se trouvant dans cette situation ne pent jamais aider un et << physis >>. Les noms dans lesquels Dieu se manifeste signi
452 CHRETIENTES ORIENTALES
THEOLOGIE ET MONARCHIE 453

fient son énergie divinisante qui nous est dispensée dans le l’antinomie du Père <archê-anarchos >. Mais ii restait a la Tradi
Fils et 1’Esprit (P. G. 45, 121 B 9-12 ; D. 4-6). Mais les energies tion apophatique de montrer comment le cur du mystère divin,
manifestatrices de Dieu étant assumées, comme nous l’avons la monarchic paterneHe, se manifeste dans la génération du
vu, par un Fils et un Esprit égaux au Pêre, Ia libre obéissance Fils et la procession de l’Esprit, en leur donnant a chacun un
a la mission de dispensation des energies dont le Père est la rp&roc tf\ i dpth propre qui se manifeste ensuite dans l’ac
source devient le signe de leur égalité d’être avec 1’ << archê > complissement de l’Economie concue par le Père.
paternel : < L’identité d’énergie dans le Père, le Fils et I’Esprit
montre le caractère indifférentiable de leur essence >> (Lettre
a Eustathe, EpItre 189 dans celles de saint Basile). Et la manifes 1V. Le Père .ióvapyoç dons so TEPtXthPIiC trinitaire.
tation économique de Dieu comme Trinité par Ic Fils et l’Esprit

ne casse pas la Divinité en trois dieux mais nous fait entrer dans Face au Dieu d’Eunome, essence absolue ayant sa subsistance
le mystère de leur égalité d’être par leur libre communion dans en soi, c’est-a-dire réalisant i’identification absolue de l’essence
l’euvre énergétique que chacun accomplit a sa manière : < Bien divine et de l’hypostase sans origine (<< anarchos >>), les Cappa
cjue nous posions trois personnes et trois noms nous ne disons dociens ont confessé l’irréductibilité du Père a l’essence divine,
pas que nous avons reçu trois vies, tine de chaque personne comme mystère de la monarchie trinitaire. Cette irréductibilité
séparément : mais la même vie recoit son énergie du Père (tap& seule, et non en definitive la sublimité d’un Etre Absolu, sauve
tof, iTcLrpç CvEp-Eital) est préparée par le Fils (toiiátai et est gardait a leurs yeux la Transcendance du Dieu invisible qui
suspendue ii la volonlé du Saint-Esprit (rrai 3ouiEo) > s’est révélé Trinité. C’est donc cette même monarchic trinitaire
(P. G. 45, 125 D). C’est la meditation sur cette << manière > qui est 1’ << archê >> de sa manifestation en tant que principe de
propre a chaque Personne trinitaire d’assumer l’énergie com l’Economie.
mune de leur manifestation, qui amène saint Grégoire de Nysse En accomplissant l’Economie scion leur << manière d’exis
jusqu’au point le plus avancé de sa théoogie trinitaire trou ter >> (tpo2toc ti pG) hypostatique, le Fils et l’Esprit ma
vant un terme pour exprimer cette < manière d’exister > pro nifestent le mystère insondable du Père. Car, a travers la
pre aux personnes, qui se révèle dans leur role économique cooperation < économique > du Fils et de l’Esprit apparaIt
mais qui ne diffère pas de leur << manière >> propre d’exister l’articuiation de leurs << manières d’exister >> respectives qui
essentielleinent comme Dieu. Ii retrouve le theme de Ia monar manifeste le mystère de Dieu, lequel, comme Père, ne s’identifie
chie paternelle, tel que nous l’avons vu chez saint Grégoire de
pas a son essence divine. Ce mystère d’un Dieu-Père, insépa
Nazianze, en distinguant fondamentalement la <manière d’exis rabiement source de l’identité de nature et origine de la diversitC
ter>> du Pére comme << archê-anarchos >> source des autres per
des hypostases, refiète chacun des deux aspects du mystère de
sonnes et de leur égaIe divinité en raison de sa non-identification
son < scm > dans chacune des < manières d’exister > du Fils et
avec l’essence divine, et Ia < manière d’exister > du Fils et de
de l’Esprit qui le manifestent conjointement.
I’Esprit qui se reçoivent de cette < cause > paternelle : < Tandis Seule cette manifestation du Père dans les .irnanières d’exis
que nous confessons Ic caractère invariable de l’essence divine
ter du FiIs et de 1’Esprit fait que leur accomplissement de
nous ne nions pas la difference quant a Ia Cause et a cc qui est
>>
J’Economie soit pius qu’une mediation extrinsèque entre Dieu
cause, par laquelle seuiement nous apprenons que chaque
et les hommes (cet << être interrnédiaire >> que refusait Grégoire
personne se distingue de l’autre... Mais en parlant de Cause et
de Nysse face a Eunome) ci constitue véritablement une Révé
du <<provenant de la Cause>> nous n’indiquons pas par ces mots
lation du mystère propre de Dieu. On est ici, comme nous avons
la nature mais la difference dans Ia manière d’existence >>
commence a l’entrevoir avec Grégoire de Nysse, a cc point d’arti
(P. G. 45, 133 D). Ce rT civa > des personnes saint Grégoire
cuiation entre I’ < Oikonomia > et la < Theologia > que nous
l’a ailleurs appelé < rp&roç rc ápEco > (P. G. 45, 404 C),
avons appelé manifestation trinitaire >. Or cc sont les < ma
nom qui se transmettra a la Tradition. II n’indique pas positi
vement les hypostases mais nomme, a partir de sa manifestation nières d’exister> du Fils et de l’Esprit, accomplissant I’Economic
selon leur <<mode > hypostatique, qui refiètent le mystère de Ia
dans 1’Economie énergétique, la manière dont chaque hypos monarchic du Père. Ces <<manières d’exister>> ne sont cependant
tase ne s’identifie pas exciusivement a l’essence divine : le Père
pas des determinations positives des hypostases : cues n’indi
comme cause, source de don total, < archê-anarchos >, le Fils et
l’Esprit comme << causes >, c’est-à-dire tirant leur origine 1u quént apophatiquement que la manière dont le Fils et l’Esprit, en
mystère de l’antinomie essence-hypostase dans la <<monarchia>> tant qu’hypostases trinitaires, ne s’identifient pus avec l’essence
divine. Or c’est cc mystère de non-identification avec l’essence
paternelle.
divine qu’est la monarchic du Père comme <<cause>> des autres
La réponse a Eunome était ainsi accomplie parfaitement dans
hypostases. La monarchic n’est rien de moms que la << manière
THEOLOGIE E T MONARCHIE
455
454 CHRETIENTES ORIENTALES

d’exister > du Père et la connaltre serait connaltre le mode (P. G. 73, 81 D). La < manière d’exister > du Fils dans Ic PCre
d’être de Dieu lui-même. Directement, elle reste celée dans comme sa Parole et son Image, se manifeste coinme communi
l’abIme inaccessible qu’est le << sein du Père >‘. Cependant elle cation parfaite de Ia nature divine : < Seul le Fils existe dans Ic
se reflète de manière a Ia fois identique et diverse, comme inys Père selon la nature (virtâpXv xutà IGtv), portant en consé
tère d’ << agape >>, dans les << manières d’exister > du Fils et de quence le Père en lui (cov tv ctun ray iarp) > (P. G. 73, 59 A).
1’Esprit qui eux sont apparus aux hommes comme <<exégète>> (Jn Cette inhabitation parfaite du Père dans le Fils selon la nature
1, 18) et << scrutateur > (I Cor. 1, 10) du Nom du Père : << Je est manifestée dans la rnanière d’exister de celui-ci gui se mali
leur ai révélé ton Nom et le leur révélerai pour que l’amour feste comme Image-effigie : < Comme le Père est totalement
dont tu m’as aimé soit en eux>> (Jn 17, 26). dans le Fils, celui-ci est en tout parfait, Lui qui contient (xwpn
En articulant Ia << Théologie >> et 1’ << Economie >> dans les tixô) le Parfait, étant l’effigie du Père grand > (P. G. 73, 53 C).
<< manières d’exister >> du Fils et de l’Esprit qui manifestent le
Cyrille est bien fidèle a cette tradition alexandrine que nous
Père, la théologie postcappadocienne va renouer avec la pers avons vue a sa source dans Origène, en concevant la manière
pective synthétique du Nouveau Testament et des anténicéens d’exister hypostatique du Fils comme une naissance a partir de
qui unissait Révélation et Trinité, mais désormais préservée l’essence du Dieu Père : << Le Logos, le Fils Unique engendré
a tout jamais du subordinatianisme << naturel > par l’irréducti d’une facon ineffable de l’essence de Dieu Ic PCre > (P. G. 76,
bilité de l’hypostase et de la nature établie par les Cappadociens. 1205). Mais après les Cappadociens tout danger de subordina
Cette théologie apophatique accomplie comprend la nianifesta tianisme par participation ontologique est écarté : le terme
tion du Père comme inhabitation du Père dans le Fils et dans de Logos indique bien qu’il s’agit de la manière d’exister du
l’Esprit, chacun reflétant dans sa << manière d’exister >> un trait Fils gui manifeste en elle-même le Père comme communication
du mystère antinomique de la Monarchie. En développant ce parfaite de son essence. L’autre aspect irréductiblement complé
theme de la <<perichorêsis >, cette théologie ne fait qu’expliciter mentaire du Père-origine de la diversité hypostatique n’est pas
apophatiquement les deux paroles du Nouveau Testament qui directement contemplé par cette theologie alexandrine qui
s’avancent le plus loin vers ce mystère du Père se manifestant comprend l’Economie (et donc aussi la manifestation trinitaire)
<<Qui m’a vu a vu le Père>’ (Ju 13, 19) et <<Dieu a envoyé I’Esprit en termes de nature.
de son Fils qui crie” Abba, Père” > (Gal. 4, 6). Cette orientation sur la nature explique le christocentrisme
de l’Economie telle que la comprend saint Cyrilie. Car pour lui
dans le Logos-Incarné s’est manifestée Ia nature divine dont il
1. Manifestation de la nature du Père doris la Parole-linaqe est l’image : Le Christ est, dit-il : <<is ávra oJo’’ovoGa cpctc >>
(76, 12Q5), Ia nature vivifiante car ii est << le fruit de l’essence
Aucune parole du Nouveau Testament ne saurait révéler divine >‘ (ouictç xaprthç) que lui donne le Père. Pour cette rai
mieux l’intuition maItrese de Ia théologie alexandrine depuis son, I’Economie du Fils dans Ia chair est conçue par saint Cyrille
1110 Anathema
saint Athanase que ce verset de l’Epitre aux Hébreux (1, 3) comme une << union de nature > (tvn,i cpuctxi.
<<Ce Fils, resplendissement de la gloire du Père et effigie de son tisme, 77, 120-121). Il s’est uni a l’homme pour le faire participer
a Ia manifestation de la nature divine qu’il est en tant que Logos:
hypostase (apcocnp rrlc imoraGEw) >>. Toute l’approche du qui est de Ia nature du Dieu
< Nous sommes config ures Lui
óMoo1ctoc par saint Athanase se fera par une meditation sur le Dans cette perspe ctive gui voit dans le Fils
Fils image parfaite du Père et donc reproduction identique de Père > (75, 749 D).
du Père, Cyrille a
sa nature : << Puisque le Fils est l’image du Père, il est néces Logos la manifestation parfaite de la nature
été amené a penser en consequence l’Incar nation comme l’as
saire de penser que la divinité et la propriété du Père est l’être
du Fils>> (P. G. 26, 232). On remarquera que déjà chez Athanase somption de la nature hum aine dans la nature divine qui se mon
il y a une presentation synthétique de la consubstantialité du tre en elle ; c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre sa
Fils (OEotr’,ç) et de sa manière d’exister comme Fils en reprodui formule christologique : une seule nature de Dieu Incarné (iia
sant parfaitement la < propriété de la personne du Père qt5tç ‘roe 0oi3 &apxwuvq, P. G. 75, 1292 C). Parallêlement
(ibion). l’humanité est vue surtout comme le temple qu’est venu habiter
C’est cette perspective gui s’approfondit, enrichie de Ia le Logos pour y apporter la manifestation de la nature divine du
distinction cappadocienne de l’essence et de l’hypostase, dans la Père : <<Le Fils ne s’est pas fait chair mais plutôt ii a habité dans
theologie de saint Cyrille d’Alexandrie. Pour Cyrille, le Fils est Ia chair, l’utilisant comme son propre corps, cc temple qui lui
dit << effigie >> du Père parce qu’il manifeste l’identité de nature vient de Ia Sainte Vierge : comme dit saint Paul, en Lui habite
qui le lie a Lui : <Ii est dit : <<effigie >, comme toujours conna corporellement toute la plenitude de la divinité >> (P. G. 73,
turel et incapable de se séparer de l’essence dont ii est l’effigie>> 161 B).
456 CHRETIENTES ORIENTALES THEOLOGIE ET MONARCHIE 457

Si le mystère du Père se révèle proprement pour Cyrille Sagesse par une sorte d’irruption (àvrEp3o)v >> dans laquelle Ii
par la inanifesation de son essence dans l’effigie de son Logos, se manifeste par la communication de son essence (73, 81 D).
ii n’est pas étonnant que ce soit a travers le Fils-Logos que se Pour Cyrille, la monarchic du Père se manifeste comme << Tn
manifeste la personne de J’Esprit. Dans Ia manifestation de la nité d’elle-même entrelacée (àvatAExotévflç) par l’identité d’es
nature du Père c’est le Fils entre les mains duquel le Père a remis sence dans une seule Divinité >> (75, 528 D).
toute sa divinité (Jn 3, 35) et c’est du <<bien du Fils>> que i’Esprit
prend pour se manifester aux hommes (Jn 16, 15 : <<Tout ce qu’a
le Père est a moi : c’est pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien 2. Manifestation de l’hypostase du Père dans le Souffle-Vie
que l’Esprit prendra pour vous en faire part >). Cela explique
qu’en comprenant la Révélation trinitaire comme communi Les ombres que comportait cette théologie alexandrine toute
cation de la nature divine du Père dans Ic Logos Incarné, Cyrilie axée sur la nature devaient commencer a apparaitre avec des
voit surtout dans 1’Esprit-Saint, i’Esprit du Fils (<< Th,ov iroi re théologiens se réclamant de Cyrille mais n’ayant pas sa profon
7rvEuIcL > dit le IXe Anathématisme). L’Esprit est répandu par le deur de vision et qui systématisèrent unilatéralement sa théologie
Pus sur la creation (< O)sOiEVOV ôi’ Yiou > 76, 1204) parce qu’il dans le sens de l’unité de nature en Christ au point de se detour-
est Ia puissance sanctifiante du Christ qui fait participer la ncr de l’antinomie apophatique de la nature ci de l’hypostase que
creation it la nature divine (75, 1088 C). Jusqu’ici ii ne s’agit que Cyrille, nous avons vu, n’avait pas ignorée même si cue se mani
du role de 1’Esprit comme celui qui perfectionne et achève festait pour lui dans la donation de la nature dans Ia Trinité et
i’Economie de 1’Incarnation. dans sa participation dans l’Economie. Contre ces théologiens
Mais l’Esprit uvre dans l’Economie scion sa < rnanière monophysites le concile de Chalcédoine devait confesser la Foi
d’exister > gui est sa manifestation trinitaire. Et saint Cyrille, en ressuscitant les antinomies apophatiques dans la formule
en comprenant la manifestation de la monarchie trinitaire christologique : < Deux natures, divine et humaine, et une
comme manifestation de Ia nature divine du Père, est amené it hypostase2. >>
faire dépendre la manifestation de i’Esprit de celle, originaire, Si la théologie monophysite était un durcissement injustifié
du Fils Image de la nature du Père : < Parce que le Fils est Ja qui faisait violence it la pensée de Cyrille, ia crise du monoéner
plus parfaite Image du Père, celui gui recoil le Fils reçoit aussi gisme devait faire apparaltre une ambiguIté beaucoup plus
le Père ; ci, en conservant Ic même rapport analogique, celui réelie qui résidait it la racine inême de cette théoiogie alexan
gui recoit I’irnage du Fils, c’est-it-dire I’Esprit, reçoit aussi le drine assez unilatéralement axée sur la nature. En comprenant
Fils et Ic Père qui est dans le Fils > (75, 572 A). Dans l’ordre de l’Incarnation comme la manifestation dans le Logos-Incarne de
Ia manifestation de I’essence divine du Père, l’Esprit ne la la Nature divine assumant la nature humaine, cette dernière na
manifeste (et donc ne se manifeste lui-même) que comme la ture, bien que sauvegardéc comme entité passive, devait être
recevant du Fils et par le Pus : < tO rvia tfi oiS(aç toI’ Yoi3. concue inévitablement comme étant compiètement extasiée dans
yap aém xcvrà páGiv tapxov> (75, 608 B). Mais bus: avons
Ia nature incréée et mue uniquement par l’énergie de ceile-ci. Et,
vu que cette théologie apophatique ne voit pas dans les <maniè au vii’ siècle, les monoCnergistes, non sans donner queiques
res d’exister > propres aux personnes du Pus ct de l’Esprit des

I
coups de pouce aux textes de Cyrille, devaient prendre sa for-
determinations positives des hypostases mais des manifestations mule : << &ict rs xctI rnyysvf 6ticpotv i vépyEtct>> (73, 577). Cette
éternelles de la manière dont I’hypostase <causée> de l’un ci de théologie menacait l’axe même de la Foi, ie mystère de la Croix.
l’autre ize s’identifie pas avec l’essence divine. Cette double Si 1’Incarnation par le simple contact des natures divine et
manifestation antinomique reflète l’insondable manière d’exis humaine assure la divinisation de la seconde par la prépondé
ter du Père < incausé > (< anarchos >) qu’est sa monarchic. rance naturelle de la premiere, cc n’est pas sur la Croix que le
Cyrille d’Alexandrie a admirablement montré la manifestation Christ nous a réconciiiés avec Dieu.
du mystère du Père par son inhabitation essentielle dans le C’est au nom de la phrase cruciale du salut, le <<non pas ma
Fits : < Le Fils, en tant qu’il existe comme Ia propriété (Thiov) de volonté mais la tienne >> du Christ au Jardin des Oiiviers, que
l’essence paternelle, porte (popsi) en lui tout le Père et est tout
entier dans le Père par identité d’essence >> (75, 185 B). Ainsi le
mystère de la monarchic se manifeste dans l’élan éternel qui 2. Dans le mystére de I’Incarnation, comme dans le mystére de in Trinité
porte le Père it se donner dans son essence divine it son Fils gui (cf. supra note 1) in catégorie d’antinomie n’est pas thématisée pour elle-même
par in Tradition. Elle n’est qu’une structure de pensée provisoire qui permet de
l’exprime comine sa Parole, et a travers lui a son Esprit; pour tenir ensemble distinctement uni cc qui dans i’ontologie créée est séparé.
lui les Personnes divines < ne se retirent (avczxwpicst) pas dans Encore reste-t-ii, une fois établi Ce garde-fou noétique, a pénétrer dans l’arti
culation méme du mystère en question que Ia Tradition approfondira comme
leurs propriétés >> mais le Père << se montre dans le Logos et la périclzorèse dans la Trinité et comme synergie dans 1’Incarnation.
458 CHRETIENTES ORIEN TALES THEOLOGIE ET MOXARCHIE 459

saint Maxime devait réagir comme un veritable confesseur de Ce < mode > unique est le mystère de la charité car, nous dit
Ia Foi. Maxime, << son ceuvre la plus parfaite et le sommet de son éner
C’est un veritable renversement de la perspective theologi gie est de parvenir par une attribution réciproque (àvribooic), ii
que que Maxime opère en refusant de voir dans l’union hyposta ce que les propriCtés (Thithmcmta) de ceux qu’elle unit passent des
tique une union << naturelie > comprise par analogie avec celle uris aux autres ainsi que leurs appellations, qu’elle rende Dieu
de l’âme et dii corps : <<En nous l’ârne a les puissances naturelles homme et fasse que l’homme paraisse Dieu et le possède par
du corps en correspondance avec ses propres energies en tant une inseparable decision de la volonté (Onicm Bo riiv) de l’un
que celui-ci est capable de la recevoir par nature, par le fait et de l’autre >> (91, 401 B).
qu’elle vient a l’être unie au corps. Le Logos de Dieu cepen Si l’union des natures en Christ ne ressortit pas d’une corres
dant, n’ayant scion aucune raison (Aó’o) ni aucune manière pondance de leurs energies naturelles, mais d’un mode nouveau,
(rponoc) la puissance de la nature (humaine) par iui assumée, en Ia charité, qui associe leurs vouloirs et permet l’union des natu
rapport avec ses propres energies, ii ne se trouve rien parmi les res adaptées maintenant, alors la volonté divine d’unir Dieu et
choses créées qui soit capable de Lui. Mais Lui, Unique dans l’homme, le mystère de l’Incarnation, s’accornplit sur la Croix
son assomption de la chair animée, est devenu homme par une << Scion les deux natures, a partir desquelles, dans lesqueiles et

volonté indicible (O’ppirw) restant cc qu’il était et tout desquelies il était l’hypostase, ii s’est fait connaltre voulant
puissant, et renouvelant les natures dans un mode (rp6p) au (OcXttxàc) et ouvrant (CvEp-’Ertxè) notre salut; et d’un côté en
dessus de la nature, pour sauver l’homme >> (91, 532 BC). Ce concevant le dessein (uvEuboxGv) avec le Père et I’Esprit, de
n’est donc pas par une harmonie préétablie entre les deux natu I’autre en accomplissant lui-même (crOtovpymicmc) Ic grand mys
res, comme pouvait le laisser soupçonner l’image cyrillienne tère de l’Economie pour nous dans la chair, s’étant fait obéis
d’une << humanité-temple >, que s’est accomplie l’union hypos sant au Père jusqu’à la mort et Ia mort de la Croix>> (91, 68 D).
tatique mais par le <<vouloir indicible> et libre du Fils de Dieu. Ce texte livre Ic secret de cc <<tropos>> qui, comme charité, a har
Une <<nature synthetique, dit Maxime, a une origine synchroni monisC les energies de l’homme et de Dieu permettant l’union de
que et nécessaire : die existe comme creature et est circons leurs natures dans l’Economie : ii s’agit d’un <<tropos >> filial, de
crite par son propre monde m’ (P. G. 91, 63 D). Un tel compose Ta condition filiale selon iaquelie seulement l’homme peut s’unir
ne peut constituer Ic mvstère de I’union du Créé et de 1’Incréé, car a Dieu. C’est parce que Dieu a préélu les hommes comme ses fils
un tel être intermédiaire, qui ne saurait s’imposer que par la qu’il les a destinés a reproduire l’image de son Fils en partici
< prépondérarice >> de sa nature supérieure, serait justement pant a sa nature. <Ceux que d’avance ii a discernés, ii les a aussi
< vaincu par celui dont ii triomphe > a cause du mélange de prédestinés a reproduire l’Image de son Fils, afin qu’il soit
leurs energies (91, 63 A). l’aInC d’une multitude de frères>> (Rm. 8, 29). C’est tout l’Alexan
Contre toute forme de mediation < naturelle >, Maxime drinisme qui est antinomiquement rectifié par cette théologie
confesse que c’est << par son amour infini (&irEi’pcp itó9p) envers
qui voit l’union des natures ci donc Ia divinisation comme dépen
l’homme que le Christ est devenu celui qu’il aimait>> (91, 1048 C). dant d’un libre don par le Père d’un << tropos >> hvpostatique de
C’est cet amour libre de celui qui nous a aimés le premier qui fiTs.
a opéré l’union des energies naturelles de Dieu et de l’homme C’est ainsi que saint Maxime va être amenC a souligner Ia
<< aimant les hommes d’une manière mould (ômcmcpspóvtcDç tiAáv liberté du vouloir divin qui donne a l’homme dans T’Economie
9petoc) ii a humanisé scion une union indicible l’énergie divine uric << manière d’exister >> (<< tropos >>) de fiTs sans être lie par
pour unir sa nature a celle de la chair > (91, 1056 BC). La aucune nécessitC de nature : < Que dirai-je de pius souverain
<< nouveauté >> qu’apporte l’Economie du Logos dans Ia chair au sujet du Créateur des siècles, qui par un libre vouloir
n’est pas une synthèse natizrelle des energies de l’homme et de (xarà 9Xrimv Cxoi5ciov) a accompli spontanément (aiOcz(pstov) sa
Dieu : << On l’appelle non velle énergie comme caractéristique du kénose, pour Ia restauration ci le renouvellement de tout, mais
nouveau mystère dont le principe &oc reside dans le mode “ non pour s’accomplir lui-même, et s’est fait homme. Car Ic
indicible “ (àtCppiyroç rporoç de l’union des natures >> (91 Logos de Dieu est venu aux hommes dans Ta chair mystérieuse
1056 D). C’est cc nouveau < tropos > qu’apporte a l’homme ment par le mode (<< tropos >>) de l’Economie et non par Ta loi de
l’amour gratuit du Fils, une nouvelle manière d’exister selon Ia nature (vów pi3c&oc) >> (91, 517 BC). Cette manière d’être
laquelle les energies de l’homme et de Dieu pourront se compé filiale que Dieu donne dans son Logos incarné, c’est die qui
nétrer rendant l’union des natures possible. Et le Christ main appelle l’union des natures et non pas une nécessité synthétique
tient les energies distinctes dans leur principe d’être selon la (même l’assoinption de l’inférieur dans Ic supérieur, nous l’avons
nature (tfv bicmcpopàv CvspctGv Cv r cixi AcS-’cp) en les unis vu) entre leurs energies naturelles : <<Le Christ existe totalement
sant dans un unique << tropos >> (movcthix6 tpo) (91, 1052 B). indépendant (tcmvranceiv àboi5Xcoro), scion son mode d’être (rpó
460 CHRETIENTES ORIENTALES TIIEOLOGIE ET MONARCHIE 461

tov cc t6 Evcu) par rapport a une nécessité (vop) de nature syn veau << tropos >> de la filiation < l’âme est, par son libre you
thétique (rnvOrou cp5oew) (91, 517 C). Mais ce n’est pas revenir loir (xcrrà tf-v 1’vc tEv), transforméc a Ia ressemblance (óuoIwtv)
a une simple <<union morale>> entre les deux natures, comme le de la divinité et nalt du grand Royaume qui surgit essentielle
professait Nestorius, car Maxime confesse que le Christ est ment du Dieu et Père de tous, comme de Ia demeure resplendis
en même temps << et l’hypostase des natures et l’union des éner sante du Saint-Esprit>> (90,889 BC). C’est cette nouveile condition
gies>> (91, 1052 D). Car c’est son << tropos >> hypostatique de Fils d’enfants de Dieu, cette nouveile naissance a la liberté, que
qui devient, par libre charité du Père, le << tropos >> adoptif qui l’Esprit nous donne dans le Christ en qui ii est la source de
unifie les energies de la nature humaine a celles de Dieu l’obéissance filiale : << Adam en ahandonnant volontairement
< Celui qui pour nous est devenu semblable a nous, disait,
sa naissance dans Ta divinisation de l’Esprit, est né charnelle
comme ii convient a l’homme, a Dieu son Père : < Non pas ma ment dans la corruption, mais cela a été jugé par Celui qui est
volonté mais la tienne >>, voulant (9éricnv xwv), lui qui était bon, ami des hommes, et s’est fait homme pour notre péché, et
Dieu par nature, accomplir aussi comme homme la volonté s’est condamné lui-même pour nous, lui seul libre de péché, et
paternelle >> (91, 68 C). a daigné naItre de naissance charnelle dans laquelle ii a vaincu
Ainsi donc, pour saint Maxime, Dieu se manifeste a l’homme la puissance de notre condamnation, a restauré mystiquement la
oans l’Economie, non pas d’abord par la manifestation de sa naissance dans 1’Esprit, et dénouant en Lui pour nous les chaI
nature dans le Logos Incarné, mais par la manifestation dans nes de la naissance charnelle, ii nous a donné a nous qui croyons
le Christ obéissant jusqu’à la Croix de la manière d’être (<< tro en son Nom, par la naissance dans I’Esprit scion le vouloir
P05 >>) hypostatique du Fils, offerte aux hommes comme Ic don hccttá eXrjtv), de devenir enfants de Dieu au lieu d’enfants de
d’une adoption qui, par voie de consequence, les unira a la la chair et du sang >> (91, 1348 C).
nature divine. Ainsi la libre obéissance du Fils, donnant par la Cette nouvelle naissance a notre condition filiale, i’Esprit
Croix a l’homme sa condition filiale, manifeste les personnes nous la donne dans le Christ car c’est lui qui, par sa synergic,
trinitaires ouvrant ce projet d’adoption de l’homme, chacune réconcilie les energies libres de i’homme avec Dieu, incorporant
selon son mode d’exister propre : << Le Verbe de Dieu Incarné ainsi la nature humaine dans le Christ : << Le Christ conduit les
nous enseigne en effet la <<Theologia>> (Trinité), montrant en liii hommes, réconciliés en Lui par l’Esprit, vers le Père >> (90,
Ic Père et l’Esprit. Le Père tout entier et 1’Esprit tout entier 876 B). Ici saint Maxime ne fait que retrouver la perspective
étaient parfaitement dans tout le Fils, même incarné, n’étant pas du Nouveau Testament qui you dans l’adoption filiale l’accès
eux-mêmes incarnés, mais le Père concevant le dessein (soxGw). a l’héritage divin : < En effet tous ceux qu’anime i’Esprit sont
l’Esprit assurant la synergic (uvo-y’ofv) pour le Fils uvrant fils de Dicu. Aussi bien n’avez-vous pas recu un esprit d’esclaves
en lui-même (cttovp’’onvrt), 1’Incarnation > (90, 876 C). Ii ne mais un esprit de fils adoptifs... Enfants et done héritiers, hen-
s’agit pas, comme chez Cyrille, de la périchorèse des personnes tiers de Dieu ci cohéritiers du Christ > (Rm 8, 14) et < a moms
trinitaires qui se manifeste a travers 1’Economie dans le don de naItre d’eau et d’Esprit nul ne peut entrer an Royaume des
aux hommes de la nature divine du Père par le Fils dans l’Es cieux>> (Jn 3, 4). Par dela une tradition alexandrine qui concoit
prit, mais se manifestant dans la périchorèse des personnes Ta divinisation comme participation a i’Image de Ta nature divine
trinitaires selon leur manière d’exister hypostatique dans une dans le Logos incarné, Maxiine renoue avec les plus profondes
Economie de filiation visant a susciter, dans un être créé intuitions de saint IrénCe : << Sine Spiritu coeleste conversati
(l’homme), une libre synergic avec Dieu. Dans cette Economie surnus aliquando in vetustate carnis, non oboedientes Deo : sic
de filiation le Fils fait homme apparalt moms comme l’Image nunc accipientes Spiritum, in novitate vitae ambulemus, oboe
de la nature divine se communiquant aux hommes que comme dientes Deo>> (Adv. Haer. V. 9, 2) et < effundente Spiritum Patris
< le messager du Conseil divin>> ; cc Conseil divin étant le pro-
in adunitione Dei et hoininis, ad homines quidem deponente
jet de donner a l’homme, par l’obéissance crucifiée du Fils, Deum per Spiritum, ad Deum autem rursus imponente hominem
une adoption filiale divinisante : << On appelle Conseil du Diéu per Incarnationem >> (ibid., V, 1, 1). C’est dans cette perspective
et Père, la kénose indicible de son Fils monogène en vue de divi que saint Maxime peut résumer ainsi l’Economie : << conduits
niser notre nature >> (90, 873 CD). dans l’ascension supreme vers le Père des Lumières, et rendus
participants a la nature divine par la grace de l’Esprit qui nous
Mais cc dessein d’adoption, concu par le Père et accompli par
Ia kénose obéissante du Fils, ne se manifeste dans sa racine que fàitfils de Dieu, nous sommes transportés autour de ceiui qui
a mis en uvre en Tui (atovp-v) cette grace, le Fils du Père
dans l’Esprit. Nous avons vu que la manière d’exister du par nature, que rien ne peut circonscrire > (90, 905 D).
Saint-Esprit dans 1’Economie est la uvép-’eia (cf. aussi 91, 77
et 93). Le Saint-Esprit est celui qui adapte, du dedans de la Ainsi, c’est 1’Esprit qui nous donne Ta grace de l’adoption
liberté, les energies humaines et divines, donnant ainsi le non- filiale qui fait de nous ‘des hvpostases scion le Fils, cc qui nous
CHRETIENTES ORIENTALES THEOLO GIE ET MONARCHIE 463
462

donne en consequence de participer a sa divinité. Aux yeux de et la source (n’yf) d’une Vie éternelle s’originant a lui essen
Maxime, c’est là le sens le plus profond du <<Notre Père> : <<La tiellement>> (90, 892 CD).
sainte et vénérable invocation du grand et bienheureux Dieu le Saint Jean Damascène devait développer amplement cette
Père est le symbole de i’adoption filiale enhypostasiée et subsis manifestation antinomique du Père dans la périchorèse. Ii
tante (t?jç vimoctrou rc xcii vtrcipxroi tociaç i5toXou) qui devait réunir les deux modes de la manifestation du mystére du
sera donnée selon le don et la grace du Saint-Esprit >> (P. G. 91, Père dans les manières d’exister du Fils et de l’Esprit, en
696 C). Cet apophatisme hypostatique qui se rêvèle dans la forgeant des formules gui sont des icônes : < Esprit venant du
Pneumatologie est très lie pour les moines comme Maxime a Pêre (Cx tcirpà iC ), du Fils (Yio C) mais non venant du Fils
(i C Yiof), en tant que l’Esprit est l’Esprit de la bouche de
l’expérience de la naissance a la liberté filiale dans le cadre
de Ia <<paternité spirituelle>> : <<Ceux gui sont fils selon l’Esprit Dieu (toiciro 6oi,) et l’énonciateur ( cc---’srlxov) du Verbe >
deviennent selon la volonté (xcct& OXcnv), a l’école de pères (95, 60 D). Formule gui exprime admirablement l’entremise du
libres, des fils libres dans leur volonté (aOctipctoi tc4uxG), Fils dans Ia manifestation du don paternei de l’essence divine
que ceux-ci faconnent selon Dieu, par la parole et par la vie. a l’Esprit (Esprit du Fils), mais aussi I’entremise de l’Esprit
La grace de l’Esprit produit en effet la naissance de la volonté dans la manifestation de i’Origine hypostatique du Fils, comme
libre (-‘oiixv ‘yvvriv) chez ceux qui enfantent et chez ceux souffle de vie de la bouche du Père. Ce qui est nommé ici
qui naissent selon lui >> (90, 528 C). Cet apophatisme vécu des provisoirement << entremise >> est le mystère même de l’agapè
moines retrouve comme d’instinct l’antinomie propre a la Révé trinitaire des personnes du Fils et de l’Esprit, la manière
dont comme le Père mais scion leur << tropos >> propre ils
lation du mystère du Dieu Trinitaire << L’essence est ce qui est

scion l’Image, Ic Logos. Ce qui est scion la ressemblance, la ne s’identifient pas a l’essence divine. Or, et c’est en cela qu’il
Vie, c’est l’hypostase > (91, 37 B). y a vraiment péri-chorèse (circularité de la monarchic), les
<< tropoI >> du Fils et de 1’Esprit sont orientés l’un vers l’autre.
Nous avons vu que le Fils et l’Esprit manifestent identi Le Fils ne retient pas pour lui exc!usivernent la divinité qu’il
quement et diversement dans leur mode d’être propre, scion reçoit du Père en tant que Logos-Image, et sa non-identification
lequel us accomplissent l’Economie, l’articulation irréductible avec l’essence divine constitue précisément l’inhabitation en iui
de nature et d’hypostase dans la monarchic mystérieuse d’un de la Source paternelle (périchorèse). Parce que cette inhabita
Dieu-Père qui ne s’identifie pas a son essence. Cette périchorèse, tion est parfaite, l’Esprit peut partager l’essence divine par
cette inhabitation manifestatrice du Père dans le Fils et dans l’entremise du << tropos > du Fils seion lequel ceiui-ci ne
l’Esprit, cccornp1it et révèle antinomiquement le mode d’être

s’identifie pas avec l’essence divine sans que pour autant cc


Dieu et Père qui reste un mystère inaccessible. Ii est present au

ne soit pas la Source monarchique elle.-même gui la lui comniu


Fils-Logos dans la donation absolue de sa nature divine, que nique. Dans la mesure oii l’entremise du <<tropos>> du Fils dans
ceiui-ci manifeste comme image parfaite, et c’est a travers cette Ic don paternel de Ia divinité a I’Esprit concerne une communi
donation de la nature au Fils que I’Esprit Ia manifeste a son cation d’esserzce, ii est pleinement iégitime, par sur-analogic,
tour comme << Image du Fils >> : cet aspect a été admirabiement de l’exprimer si l’on s’en tient a cet aspect de la monarchic
développé par saint Cyrilie et la tradition alexandrine. Mais ii

en termes d’ << ordre de procession trinitaire >>, avec ia théoiogie


devait revenir a saint Maxime de mettre en iumière la péricho latine.
rèse manifestatrice du Père comme origine vivante de la diver-
site hypostatique. En voyant dans 1’Economie le don d’une filia La notion sur-analogique d’ordre intra-trinitaire connait
cependant une metamorphose cruciale pour renaitre transfi
tion, saint Maxime était amené ii mettre en lumière ie role
primordial de I’Esprit-Saint gui accomplit dans le Christ la gurée comme agape et périchorèse, quand on considère synopti
iibre synergic de la volonté humaine en faisant renaltre sa quement l’autre dimension insCparabie du mystère de la monar
liberté du << tropos >> filial. Comme l’Esprit et le Fils accomplis chic : l’entremise de l’Esprit dans la filiation du Fils. Car,
comme jaiilissement de vie hypostatique, le << tropos >> de
sent cette Economic scion leur <<mode d’être>> trinitaire, 1’Esprit
l’Esprit est orienté vers Ia racine même de la personne du Fils
devait apparaitre peu a peu comme Ic souffle de vie qui
manifeste et donne Ia filiation, celui par qui Ic Père se manifeste ia filiation. Ii est, comme dit saint Jean Damascène, Ic souffle
comme origine de l’absolue originalité des hypostases. Le Père de la bouche du Pére qui prononce le Logos. Dans son <<tropos>>
se manifeste donc antinomiquement comme géniteur scion la de Troisième Personne, ii est, comme dii saint Grégoire de
Nazianze, ce dCpassernent absoiu de ia monade-dyade gui
nature d’un Fils a son Image, et comme source de vie selon
exprime Ia diversité irréductible des hypostases trinitaires. Parce
l’hvpostase dans un Esprit qui est son souffle de liberté
<< Le Père non cause est géniteur scion l’essence (xar’ o1’xiav yv
que la bouche du Père prononce ie Logos par l’entremise d’un
vttopa) d’un unique Logos surgissant de iui sans commencement, Esprit qui jaiilit de lui-même dans sa spontanéité hypostatique,
464 CHRETIENTES ORIEN TALES 465
THEOLOGIE ET MONA RCHIE
le Logos se manifeste vraiment comme Fils personnel et libre et deScen(i du ciel (IC chez Dieu, belle comme une jeuue mariée
non pas comme une emanation passive, pure réplique essen parée pour son Epoux > (Apoc. 21, 2). Nous attendons de sa
tielle du Père. Le < tropos > de l’Esprit est en effet de venue la manifestation vraie et vivante du mystère de notre
susciter Vhypostase du Fils ; sa manière de ne pas s’identifier Dieu Inélne si < des maintenant nous sommes enfants de Dieu,
avec l’essence divine est de susciter en avant de lui l’hypostase car cc que nous scrolls n’a pus encore été manifesté : flOUS
du Fils, c’est d’être lui-mêine, spontanément, la Troisième Per savons que lors (Ic cette manifestation nous lui serons sembla
sonne. D’oij son << anonymat , son tropos hypostatique de bles, parce que nous le verrons tel qu’Il est > (1 Jn 3, 2). L’apo
souffle se tenant touj ours derriere — c’est-à-dire a l’origine de phatisme n’est, en dernière instance, que le régime de vie et
— le jaillissernent de la Filiation. de pensée de ceux en qui le Christ et 1’Esprit font advenir escha
Ainsi se déploie le mystère de Ia périchorèse trinitaire dans tologiquement I’Apocalypse du visage du Père se reflétant sur
laquelle, comme le verbe xojosiv l’indique, chaque personne fail leurs visages : ITs verront sa face ci son Nom sera sur leurs
place a l’autre en se retirant devant elle. De cette manière la fronts. Dc nuit ii n’y en aura plus; ils se passeront de lampe ou
source monarchique du Père, qui ne s’identifie pas avec l’essence de soleil pour s’éclairer car le Seigneur répandra sur eux sa
divine, habite parfaitement mais diversement dans le Fils et lumiCre> (Apoc. 22, 4-5).
dans l’Esprit. Ii donne en effet la divinité a l’Esprit dans le Fils Saint IrénCe, en tant qu’un des premiers Pères de 1’Eglise,
en tant que celui-ci ne la retient pas pour lui et que le fait de nous a laissé Ic mot eschatologique qui esquisse la fin de celle-ci
ne pas la retenir pour lui c’est Ia partager avec et dans un dans le Scm du Père : < Sic in fine Verbum Patris et Spiritus
Troisième. El en même temps le Père laisse jaillir l’hypostase Dci, adunitus antiquae substantiae plasmationis Adae, viventem
du FiTs dans le souffle de 1’Esprit en tant que celui-ci jaillit de ci perfectum efficit hominern, capientem perfectum Patrem
lui-rnême comme Troisième personne laissant place a un Second, (Adv. Haer., V. 1, 3).
c’est-à-dire a un Fils.
Voilà le double mouvement de Ia périchorèse qui répond au
double aspect de l’agapè que noire comprehension humaine a
tant de mal a ne pas séparer l’amour en tant qu’il unifie ceux
qui s’aiment dans le don d’un être identique, et l’ainour en tant
qu’il suscite la spontanéité irréductible de 1’Autre dans son irré
ductihilité personnelle. Dans ses deux dimensions, comme
< nexus > scellant le don d’un être identique, et comme
dépossession de soi devant un Autre, la Troisième Personne cons
fitue en quelque sorte le chiffre de l’Agape qu’est Dieu comme
Monarchie-Trinité.
Docteur de 1’Agapè, saint Maxime le Confesseur a mis en
lumière l’articulation des << tropoI >> irréductibles mais conju
gués du Fils et de l’Esprit dans Ia périchorèse trinitaire, en
contemplant comment iTs accomplissent synergiquement l’Eco
nomie de la << Philanthropic >>. En allant jusqu’à la racine du
mystère de l’Incarnation, jusqu’au << tropos >‘ hypostatique de
l’union des natures, ii a fait apparaltre, dans le mode d’existence
même du Fils, l’origine de la filiation (et par suite de noire
adoption) comme jaillissement hypostatique dans le Souffle
de la bouche du Père. < Tous ceux qu’anime I’Esprit de Dieu
sont fiTs de Dieu> (Rm. 8,14).
La seule icône fidèie de cette manifestation du Mystère du
Dieu-Père serait celle qu’ont iissée synergiquement le Fils et
l’Esprit dans 1’Economie : 1’Eglise. A la fois Epouse du Christ,
participant a Ia nature divine manifestée dans le Logos Incarné,
et Mere des fils de Dieu (< Jerusalem chacun Iui dit mere, car
chacun y est né >‘), Cite Sainte des vivants renés de 1’Esprit.
Nous vivons dans l’attente de cette << Jerusalem, Cite Sainte qui
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