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Axe 1

Les conflits et leur histoire sont gravés dans la mémoire collective des sociétés et dans les mémoires individuels. Entre
récits officiels des gouvernements, le poids du contexte politique, la volonté d'oublier et les mémoires antagonistes des
acteurs, le travail de l'historien est essentiel.
La Première Guerre mondiale (1914-1918) et la guerre d'Algérie (1954-1962), qui ont alimenté de nombreux débats dont
les enjeux sont à la fois politiques et mémoriels.

Comment les conflits et leur histoire s'inscrivent-ils dans les mémoires des populations ?

I- Les causes de la Première Guerre mondiale : un débat historique et ses implications


politiques
Pourquoi la question des causes de la Première Guerre mondiale constituent un enjeu historique et politique ?

1. L'été 1914 ou le suicide de l'Europe

L'attentat de Sarajevo commis contre l'hérité de l'Empire d'Autriche-Hongrie et l'engrenage des alliances noués entre les
membres de la Triple Entente (France, Russie, Grandes Bretagne) et cause de la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-
Hongrie, Italie qui se retire pour rejoindre la triple entente en 1915) ont entraîné l'Europe dans un conflit dont l'ampleur et
la longueur n'avait été imaginé par aucun gouvernement. La question des responsabilités dans le déclenchement du
conflit se passe dès le début. La guerre s'éternise et chaque pays belligérant tente de rejeter la faute sur l'ennemi et se
présente comme l'agressé menant une guerre défensive (ou guerre de droit). Ainsi les opinions publiques des différents
pays sont durablement marqués par cette idée de leur non-responsabilité. L'armistice un fois signé le 11 novembre 1918,
il s'agit de construire la paix et de faire les comptes.
L'Allemagne défaite n'est pas invité aux négociations lors de la conférence de paix qui se tient à Paris. Elle est obligée
d'accepter le traité de Versailles et l'article de 231 qui déclare l'Allemagne et ses alliés coupables des pertes et des
dommages subis justifiant ainsi de très lourdes réparations. Cette responsabilisation de l'Allemagne est dénoncé
vivement par l'opinion publique allemande qui la considère comme un diktat.

2. Le débat historique sur les responsabilités

Au départ, la mémoire du déclenchement de la grande guerre dans les différents pays est relativement simpliste : l'autre
est responsable. Cette mémoire autant officielle que populaires s'étend jusqu'au XXe siècle grâce aux travaux des
historiens. Ceux-ci s'emparent de la question des causes de la guerre suite au traité de Versailles, une question très
politique.
En France, le traité de Versailles est accueilli comme une revanche sur le militarisme allemand. Dans les années 1920,
les historiens, les politiciens, les militaires, défendent la thèse de la culpabilité de l'Allemagne. L'histoire et la mémoire se
rejoignent dans cette première phase. En 1925, l'historien Pierre Renouvin dans son ouvrage "les origines immédiates
de la guerre" désigne les empires allemands et austro-hongrois comme les principaux responsables et minimisent le rôle
de la France.
Dans les années 1930, on observe quelques évolutions. Les théories marxistes qui analysent le marché à la guerre de
l'été 1914 considèrent que c'était un choc inévitable à cause de l'impérialisme européen. Pour les marxistes, il n'y a pas
d'Etat qui soit responsable, mais une idéologie : l'impérialisme qui souhaite dominer les populations ou les territoires.

Les historiens travails difficilement : ils doivent composer avec le manque de sources et la surabondance des mémoires.
Certains historiens arrivent néanmoins à émettre des hypothèses qui ne correspondent pas forcément aux attentes du
pouvoir et de la population.

À titre d'exemple, l'historien Jules Isaac écrit en 1933 le problème des origines de la guerre où il insiste sur la
responsabilité partagée à des degrés différents (l'Allemagne n'est plus la seule responsable même si elle garde un rôle
majeur). Il veut éduquer les jeunes à la haine de la guerre.

En Allemagne, le diktat de Versailles nourrit un fort sentiment d'injustice. Les historiens dénoncent le mensonge de la
culpabilité allemande et insistent au contraire sur la responsabilité franco-russe accordant tout au plus que leur pays
encerclé s'est laissé glisser vers la guerre. Cette vision est largement encouragée sous le nazisme et sert à dénoncer le
traité de Versailles.

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À partir de 1945, l'essentiel des travaux des historiens allemands se concentre sur la Seconde Guerre mondiale. En
1971 Fritz Fisher développe une thèse qui montre que les Allemands sont les principaux responsables voir les seuls de
la première guerre mondiale.

3. La fin d'un débat ?

Depuis l'apparition du livre de Fisher d'autres aspects de l'histoire de la guerre ont été explorées :

le quotidien des soldats,

la mobilisation de l'arrière,

une approche sociale et culturelle.

La question de la responsabilité ne fait plus débat surtout depuis la réconciliation franco-allemande. Désormais, les
sources sont en accès libres et les historiens s'accordent sur l'enchevêtrement du choc. Ils ont aussi montré de quelle
manière les peuples avaient soutenu le gouvernement dans la marche à la guerre.
De nouvelles publications liées au centenaire ont relancé la question :

l'allemand Grerd Krumeich dans "le feu aux poudres" (2014) insiste sur la pluralité des causes de la guerre (le
nationalisme, le colonialisme, des tensions, l'attentat de Sarajevo, constituaient l'étincelle qui a fait exploser
l'ensemble) ;

l'historien britannique Christopher Clark offre une nouvelle lecture de l'histoire, pour lui les responsables sont les
Russes, les Serbes et les Français et il minimise celle des Allemands et des Autrichiens.

II- Mémoire et histoire d'un conflit la guerre d'Algérie


Comment l'histoire peut-elle appaiser les mémoires de la guerre d'Algérie ?

1. Une guerre sans nom

Les accords d'Evian en mars 1962 mettent fin à un conflit de 8 années qui a opposé la France aux indépendantistes
algériens du FLN. Ce conflit que les autorités françaises ont longtemps qualifié "d'opération de pacification" ou
"événements d'Algérie" ont donné lieu à un usage de la torture par l'armée française. Il y a eu aussi de fortes
répercussions en métropole ou la violence de la répression et du terrorisme s'est déployée.
La guerre d'algérie est aussi une guerre franco-français (l'oas, organisation de l'armée secrète, les pieds-noirs vont
s'opposer à la politique de conciliation de De Gaulle) ; et une guerre algério- algérienne (FLN, harkis, MNA).

Malgré la paix, de nombreuses blessures restées ouvertes donnent naissance à différentes mémoires qui ont chacune
leur lecture de la guerre d'algérie :

1 million de pieds-noirs rapatriés en France ont dû tout quitter : ils vivent très mal leur départ qu'il considère comme
une expatriation forcer ;

40 000 harkis quittent aussi l'Algérie où leur vie est menacée (ceux qui reste en Algérie sont massacrés et
considérés comme des traîtres). Ils sont envoyés dans des camps de transit dans une grande pauvreté ;

Une génération de soldats français envoyés en Algérie au titre de service militaire (les appeler) est revenue
traumatisée et enfouit leurs souvenirs de la guerre. D'autant plus qu'en 1977 on créé la loi d'amnistie contre les
crimes qui permet à l'état d'occulter les débats autour de la torture ;

Les anciens combattants de l'OAS nourrissent une rancune tenace à l'égard du pouvoir gaulliste, il accepte
tardivement de le soutenir en échange des lois d'amnistie ;

Les combattants du FLN qui vont devoir en 1962 créer un nouvel état, il développe une mémoire officiel qui occulte
le rôle des autres groupes nationalistes notamment le MNA avec Massai Hadj grande figure de la résistance
algérienne.

2. Histoire et mémoire du conflit en France

A- Oublier la sale guerre

À partir de 1962, on entre dans une période d'amnistie que les autorités françaises encouragent (les lois d'amnistie et la
censure). Il s'agit d'oublier le conflit, d'en parler le moins possible. Les raisons du silence sont nombreuses :

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Il faut oublier la défaite (la France avait perdu la guerre d’Algérie)

Faire évacuer le traumatisme des jeunes soldats

Oublier les violences commises au nom de l'Etat

L'historien français Benjamin Stora parle d'une guerre ensevelie car les historiens n'ont pas accès aux archives, les
historiens ne peuvent s'appuyer que sur des témoignages.

La guerre est un tabou, à cause de l'usage de la torture. La pratique de la torture sort un peu de l'oublie grâce aux
travaux des historiens qui agissent bien souvent par militantisme comme Pierre Vidal Naquet qui est un historien
favorable à l'indépendance de l'Algérie, militant anti-torture durant le conflit, qui publie 10 ans après la fin des conflits, un
essai d'histoire et de politique intitulé la Torture dans la République (1972).
Le travail des historiens contribue à ce que la mémoire des pratiques de violences se réveille. En 2001 Rafaelle Blanche,
montre dans sa thèse la torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie, elle explique qu'il ne s'agit pas d'actes isolés la
torture a été autorisé par les dirigeants pour garder l'Algérie Française alors que le FLN progresse.

À partir de 1992, les historiens en accès aux archives (concernant la guerre d'Algérie coté Français), les travaux donc
plus nombreux.
La culture joue également un rôle important, le cinéma se fait l'écho de la Salle Guerre. Par exemple, René Vautier
raconte dans son film "avoir 20 ans dans les Aurès", en 1972 comment un groupe de soldats antimilitaristes et
réfractaires sombre dans la violence. Le réalisateur s'appuie sur des témoignages d'anciens appelés et dénonce les
méthodes de l'armée française.

B- Le reveil des mémoires


Les différents acteurs du conflit, contribuent à faire émerger des mémoires éclatés, dispersés :

À partir des années 1970, les enfants de Harkis se révoltent pour dénoncer la dureté de leur condition de vie et
souhaitent obtenir une reconnaissance nationale pour leurs pères ;

Les associations des Pieds Noirs cultivent la nostalgie de l'Algérie illustré par divers films dans les années
1970/1980 ;

À partir des années 1990, la parole des anciens jeunes soldats appelés se libère.

Les publications, les documentaires et les témoignages se multiplient tandis que les historiens profitent de l'ouverture
des archives. La question de la torture resurgit dans le débat public à l'occasion de la publication des mémoires du
général Paul Aussaresses en 2001.

L'ancien chef du renseignement pendant la bataille d'Algérie justifie l'usage de la torture ce qui lui vaudra une
condamnation par la justice et le retrait de sa légion d'honneur.
C- Une reconnaissance mémorielle

Le réveil des mémoires couplés au travail des historiens conduit les pouvoirs publics a engagé une politique de
reconnaissance mémorielle :

1983, enseignement de la guerre dans les programmes scolaires

1999, la loi reconnaît l'appellation "Guerre d'Algérie" ce qui permet de donner le statut d'anciens combattants aux
appelés et des aides nécessaires

2002, le président Jacques Chirac, lui-même un ancien appelé a inauguré à Paris le premier mémorial national aux
soldats français et aux Harkis morts en Afrique du Nord

dans les années 2010, la reconnaissance s'oriente sur le terrain des violences de Guerre. En 2012, François
Hollande reconnaît la responsabilité de l'état dans la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. En 2018,
Emmanuelle Macron reconnaît le caractère systématique de la torture dans la guerre d'Algérie et admet la
responsabilité de l'armée et de l'Etat français dans la mort du militant pro-indépendantiste et communiste Mauris
Audin, disparu en Algérie en 1957. En septembre 2021, Macron demande pardon aux harkis au nom de la France

Cependant, les conflits mémoriels ne pas tous éteint par exemple la décision de fixé au 19 mars en France la "journée
nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes militaire et civile de la guerre d’Algérie" divise. Les
associations de Harkis et de pieds-noirs s’y opposent rappelant cette date n’a pas mis fin à la violence. C’est finalement

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le 5 décembre, date neutre qui a été choisis pour commémorer les morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc
et le Tunisie.
En France, si les mémoires de la guerre d’Algérie sont libérés, elles ne sont toujours pas apaisées. Le travail des
historiens est loin d’être terminé et sa progression pourrait apaiser les tensions restantes.

3. Histoire et mémoire en Algérie

Des mémoires confisquées


Dans les anciennes colonies, l’obtention de l’indépendance est d’abord un objet de fierté. Les guerres ayant les permis
d'y parvenir sont considérées comme des guerres de libération et célébrés comme tel. Les états nouvellement créés
diffusent une mémoire officielle qui héroïse les grands hommes ayant agi pour l’indépendance comme ce fut le cas de
Hô Chi Minh au Viêtnam ou encore Ghandi en Inde. En Algérie, l’insurrection du 1 novembre 1954 (la toussaint rouge)
entre dans le Préambule de la Constitution comme un acte révolutionnaire et devient une fête nationale.
Le travail des historiens en Algérie est compliqué même si certains travaillent très tôt sur l'histoire de l'indépendance
comme Mouhamed Harbi, ex militant du FLN et exilé en France à la suite du coup d'Etat de 1965 par Boumediene. Pour
lui, l'Algérie indépendante a été placé sous le joug militaire. Ce régime cherche à contrôler la recherche historique
considérant que l'accès à l'indépendance a été d'abord une affaire militaire (cette idée leur permet de légitimer la prise
de contrôle du pays par l'armée).
Ainsi, pour l'histoire officielle, il s'agit de mettre en valeur les faits d'armes (les actions militaires), réaliser des biographies
de combattants, de figures héroïques censées représenter tout un peuple dans la lutte. Cette histoire officielle nie la
diversité sociale et culturelle algérienne et nie l'existence de tensions pendant la guerre d'Algérie. Seul le rôle du FLN est
mis en avant, celui joué par Messali Hadj et le MNA, concurrent du FLN est passé sous silence. L'histoire officielle
algérienne insiste sur les exactions françaises et occulte celle du FLN. En Algérie les archives restent pratiquement
inaccessible aux historiens qui restent soumis à une pression du pouvoirs politique. Certains préfèrent s'auto-censurer.
Au XXIe siècle, la perception du conflit évolue : la jeunesse algérienne, majoritaire dans le pays, n'accepte plus la
mémoire officielle, ils la retournent même contre le pouvoir, puisque ce dernier tire sa légitimité de la révolution
algérienne. Ainsi, les manifestations anti-Bouteflika de 2019 ont repris le slogan de 1962 "un seul héro, le peuple", mais
l'ont détourné de son usage initial à l'origine symbole de l'unité algérienne proclamé face au colonisateur, il devient le
slogan du peuple uni contre Bouteflika. Depuis quelques années, les historiens français et algériens se rapprochent et en
2004 est publié la guerre d'Algérie coécrit par Harbi et Stora.

L'histoire est au centre de multiples enjeux tant politiques que mémoriels. L'exemple des responsabilités des Etats dans
le déclenchement la Première Guerre mondiale et celui des mémoires de la guerre d'Algérie le montre. Pour expliquer
les origines de la Grande Guerre, le débat historique et soumis à d'importants enjeux politiques :

au début on s'est focalisé sur la question de la responsabilité et donc de la culpabilité (ici les vaincus).

Après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de rapprochement franco-allemand, la question perd son
caractère politique et les recherches historiques se déplacent vers de nouveaux objets. La polémique internationale
est désormais close.

L'exemple de la guerre d'Algérie souligne quant à lui la manière dont l'histoire et la mémoire s'articulent. En France, la
volonté d'occultation du conflit par l'Etat n'a pas pu empêcher la résurgence des mémoires enfouis. Ces mémoires
émanent à partir des années 1970 de multiples acteurs de la guerre qui demande reconnaissance ou réparation. Face à
ces mémoires en concurrence, l'ouverture des archives permet aux historiens d'établir des faits véritables. Ces
évolutions poussent les pouvoirs publics a entamer une politique de reconnaissance des mémoires du conflit, même si
cette reconnaissance demeure étouffé en Algérie où l'Etat défend une histoire officielle.

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