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L'émotion, puissance de la littérature - Sensibilité et insensibilité : des ... https://books-openedition-org.accesdistant.bu.univ-paris8.

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Tout OpenEdition

Presses
Universitaires
de
Bordeaux
L'émotion, puissance de la littérature | Emmanuel
Boujou, Alexandre Gefen

Sensibilité et
insensibilité : des
larmes à
l’indifférence
Anne Vincent-Buffault
p. 51-72

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Texte intégral
1 Faire l’histoire des larmes ou de l’indifférence, objets liquides
ou évanescents, implique un questionnement
méthodologique original pour les définir en situation à l’aide
de concepts opératoires souvent issus des sciences sociales.
C’est en parcourant tour à tour ces deux terrains d’étude,
manifestations des émotions et absence de sentiment
présenté, que seront évoqués également les rapports entre
histoire et littérature. En effet, concernant l’histoire des
sensibilités, l’étude des textes littéraires constitue un passage
obligé et un exercice délicat au regard des deux disciplines :
je remercie les participants au séminaire « Émotions
esthétiques » de m’avoir ouvert de nouvelles pistes par la
discussion qui a suivi l’exposé dont est tiré cet article1.

1. Les larmes ont une histoire


2 Pourquoi les larmes ? De l’œil humide aux flots de pleurs, du
regard brouillé aux sanglots, les larmes ont aussi une
histoire, qui permet de réfléchir aux manières subtiles ou
contraintes, selon l’époque et la société, de les utiliser.
Norbert Elias, le grand sociologue allemand, et Roland
Barthes, le sémiologue subtil, avaient chacun appelé de leurs
vœux une histoire des larmes, et répondre à cet appel
devenait une heureuse nécessité en s’appuyant sur leurs
travaux.
3 Les échanges de larmes et leurs places dans les enjeux des
Lumières n’ont pas de vrais précédents et peuvent se
résumer ainsi :

un plaisir de l’échange des larmes, ce que j’ai appelé un


modèle de circulation sensible, fondé sur un fluide
cordial que l’on mêle à l’œuvre dans les métaphores du
discours romanesque, mais aussi dans les scènes de
larmes qui empruntent à la gestuelle pathétique ;
une perception en partie déchristianisée de la douleur
d’autrui comme un intolérable, et non comme source
possible de rédemption. Le spectacle du malheur prend
la figure d’un tableau auquel nul ne peut rester

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insensible et qui fait pleurer jusque dans les prétoires2 ;


cette mise en scène du sentiment d’humanité, à la fois
naturel et social met en mouvement les enjeux des
Lumières et s’affiche dans les romans, les pièces de
théâtre, mais aussi dans les tribunaux, voire dans la
réaction des passants dans la rue.

e
4 Au siècle, le public court assister aux comédies
larmoyantes et se donne le spectacle de sa propre sensibilité.
Hommes et les femmes partagent avec délice ces signes de
sensibilité qui les rassemblent en s’opposant au modèle de
cour, qui requiert de maitriser ses émotions. L’homme et la
femme sensible deviennent une figure du débat public. Née
de la sphère publique littéraire, la mode des larmes envahit
les assemblées et les foules, les grandes scènes publiques de
la Révolution française (comme en témoigne l’épisode du
baiser Lamourette). À ce titre, l’émotion fait l’histoire et peut
provoquer des changements. L’émotion met en jeu les corps
et les mobilise dans l’interaction, produit des jugements sur
les situations qui comportent des enjeux éthiques et parfois
politiques. Autour de la Révolution se noue un conflit
d’interprétation au sujet de la sensibilité et de la pitié.
5 À partir de sources littéraires, médicales, judiciaires, de
journaux intimes, de traités de savoir-vivre et de manuels
e
d’éducation, se découvre un siècle aux larmes
facilement versées en public, qui témoignent de la sensibilité
e
et du sentiment d’humanité, et un siècle où chacun aime
pleurer dans le secret et la pudeur, et qui, dans sa seconde
moitié, va tenter de mettre de l’ordre dans les pleurs.
Devenues inquiétantes, les larmes sont suspectes, et les
femmes sont au centre du discours : victimes ou
manipulatrices de leurs larmes, leur puissance émotive doit
être contrôlée… Par exemple, les larmes féminines sont à la
fois liées à leur nature, mais peuvent être un moyen
d’érotiser une scène touchante (Manon Lescaut) ou être
interprétées comme une stratégie, une rhétorique de la
faiblesse.
6 La façon dont la subjectivité se manifeste ou non nous éclaire
sur ce qui est considéré comme acceptable, présentable ou

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intolérable, sincère ou inauthentique, touchant ou


repoussant, normal ou pathologique. Elle renvoie à une
e
conception de l’expressivité qui est mouvante entre le
e
et le siècle : il s’agit de manifester sa sensibilité, ou
d’afficher sa maîtrise sans se livrer aux autres. À ce titre, il
importe de repérer les interprétations portées sur les signes
corporels.
7 Du point de vue théorique, la lecture de Marcel Mauss, qui
fait de l’émotion un signe et parle de sentiment obligatoire et
néanmoins spontané, attendu et intensément vécu, a été
essentielle. « On fait donc plus que manifester ses
sentiments, on les manifeste aux autres, puisqu’il faut les
leur manifester3. » Je crois qu’il s’agit là d’un concept plus
opératoire que d’autres. Il ne se limite pas au rituel et peut
expliquer des phénomènes contemporains en insistant sur le
caractère social de la subjectivité des émotions (je pense en
particulier à la façon d’envisager le malheur public ou privé :
le sociologue Alain Ehrenberg insiste sur le paradigme de la
santé mentale dans nos jeux de langage concernant le
malheur aujourd’hui4). De cette lecture, je crois que l’on peut
tirer des conséquences.

2. Qu’est ce que cela nous apprend sur


l’histoire des émotions ?
8 La mode de la sensibilité, la montée du sentimental croisent
des enjeux sociaux et politiques qui peuvent donner lieu à un
conflit de larmes, par exemple sous la Révolution française.
L’idée que « ce n’était pas pareil autrefois » permet un écart
salutaire pour qui veut comprendre et parfois se déprendre
du régime d’émotions auquel nous sommes tenus. Les
sentiments apparaissent et se transforment. Les émotions
sont historiques, même si le langage qui dit l’émotion n’est
pas à prendre à la lettre (Alain Corbin parle ainsi de l’inertie
des pratiques langagières5). D’autant que les larmes
apparaissent quand le langage fait défaut (Rousseau exploite
cette vicariance des larmes). Les métaphores véhiculent
e
néanmoins un imaginaire – et au siècle, on verse des
torrents de larmes –, mais impliquent aussi un recours à la

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lecture participative (les lettres des lecteurs de Rousseau en


témoignent : on y pleure beaucoup) et à des scènes de
sensibilité du théâtre au prétoire, et de là à la rue.
e
9 Au siècle, la larme rare devient la valeur montante de la
sensibilité masculine, l’œil humide suffit à déceler la
sensibilité cachée. On entre dans l’économie de la rareté.
Nous pensons, nous vivons l’émotion avec les mots et la
gestualité de notre temps, mais aussi à travers les
conceptions scientifiques et philosophiques qui tentent de les
appréhender. La théorie des fluides nerveux infléchit la
perception de l’émotivité féminine et la rabat sur les autres
humeurs féminines (les règles et le lait).
10 À l’issue de l’analyse, l’économie d’un signe corporel s’est
modifiée : humeur noble qui révèle la sensibilité, les larmes
se font inconvenantes quand elles se répandent à l’excès ou à
propos de clichés. La dévalorisation des figures de
l’apitoiement, du pathétique ou de la sentimentalité dessine
un clivage à la fois social et sexuel (femmes et peuple qui
e
pleurent sont tournés en ridicule au siècle, parce qu’ils
sont encore dans cette demande lacrymale). Anne Coudreuse
a travaillé sur le refus du pathos6. On peut faire le même
travail sur la dévalorisation de la sentimentalité. Car c’est
manifester des sentiments convenus, trop s’exposer (ce que
Norbert Elias appelle un processus de déformalisation7).
Cette maîtrise de l’émotion n’est pas totale et rencontre sa
limite. Éclater en sanglots révèle une situation de fragilité,
une crise où l’on se trouve hors de soi (les larmes deviennent
symptôme, comme dans la pathologie hystérique ou dans la
dépression, où elles sont inappropriées). L’étrangeté se
trouve au cœur de l’intime. Les larmes masculines ne sont
tolérables qu’en de rares occasions, quand le langage ou
l’action ne sont plus possibles, c’est-à-dire face au désespoir
ou à la mort.
11 La façon dont l’émotion se manifeste nous éclaire sur ce qui
est considéré comme acceptable, présentable ou intolérable,
sincère ou inauthentique, touchant ou repoussant, normal ou
pathologique, et sur la construction sociale de ces normes.
Mais il faut à mon avis aller plus loin que le programme
culturaliste ou fonctionnaliste. Une « culture » n’est pas

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donnée une fois pour toutes : elle tient principalement aux


pratiques qui la mettent à l’épreuve, en renouvellent la
pertinence ou l’invalident. La dynamique de l’histoire des
larmes est de ce point de vue significative, car elle ne relève
pas du temps long, comme on aurait pu le croire, mais
quasiment d’un style de vie où des groupes sociaux
s’affirment dans des conflits d’interprétation. À chaque
moment de l’histoire, les émotions et la manière dont elles se
manifestent en sont transformées. Je prendrais pour
exemple l’interprétation des larmes sous la Révolution
française, et en particulier sous la Terreur, telle qu’elle fut
donnée au sortir celle-ci8. Les « âmes sentimentales » ont fait
couler le sang, dit-on alors. Les détracteurs de la Révolution
s’en prennent aux métaphores et à la gestuelle, aux images,
aux clichés de la compassion et du genre pathétique. Les
monarchistes réactivent le modèle chrétien des larmes de
repentir et de la douleur rédemptrice. Le vocabulaire mais
aussi la gestualité des émotions en sont transformés et clivés.
Ces effets sociaux se retrouvent dans les deuils publics au
e
début du siècle. Les cortèges royalistes ravivent la
conception chrétienne des larmes dans le repentir et la
contrition. Par contre, le cortège libéral-républicain aux
funérailles du général Foy, en novembre 1825, connaît
encore le modèle des Lumières de la circulation sensible,
dont se moquent les journalistes légitimistes9. Il s’agit bien
d’observer des décalages dans l’usage des émotions selon des
clivages sociaux et politiques. Rien de linéaire ni d’unitaire
dans ces mouvements. Plus étonnant encore, l’interprétation
des larmes sous la Révolution française est encore un
marqueur dans l’histoire des émotions (William Reddy10 et
David Denby11, dans la tradition anglo-saxonne tiennent à
distance les larmes révolutionnaires).
12 Il est devenu maintenant plus évident que l’émotion, qu’elle
soit individuelle ou collective, ne s’oppose pas à la raison
comme irruption de l’irrationnel ou de l’affectif. L’émotion,
de ce point de vue, n’est pas un état psychique interne : elle
se vit dans l’interaction et la situation concrète, en se
cherchant et s’essayant (la sociologie de Goffman en fournit
l’illustration pour le contemporain).

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13 Il s’agit d’une production sociale. Pas seulement, comme le


dit Durkheim, parce qu’il existe des phénomènes d’émotions
collectives indispensables à l’ordre social ou, selon Weber,
parce qu’existent des communautés « émotionnelles »
(Gemeinden, dont la traduction française pose problème12).
Les émotions sont des œuvres communes auxquels plusieurs
participent à l’aide d’un répertoire disponible. Il existe dans
l’échange une part d’incertitude qui différencie la
manifestation de l’émotion du langage articulé que l’émotion
vient parfois remplacer. Ce sentiment d’incertitude peut
varier selon les époques et, c’est ce qui est intéressant, il
e e
s’accroît au siècle, alors que le siècle avait célébré
la sensibilité en mettant en place un code d’apparence
crédible13. Une méfiance s’instaure à l’égard des émotions,
preuve de faiblesse et facteur d’incertitude qui se trouve dans
le journal intime de Maine de Biran et l’œuvre philosophique
de Victor Cousin. Les émotions essentiellement mobiles et
vagues révèlent la faiblesse de la nature humaine.

3. Des sources littéraires indispensables,


même si elles sont difficiles à manier
14 C’est la raison pour laquelle la littérature et l’écriture intime
restent un terrain essentiel, même si les divisions
disciplinaires rendent cet exercice d’interprétation délicat.
Nous devons, comme historiens ou sociologues, nous
prévenir d’une lecture trop littérale et les confronter à
d’autres sources.
15 – C’est en particulier dans les textes littéraires et intimes que
se lisent les contraintes de plus en plus fines qui régissent les
attitudes mais aussi les réactions de rejet qu’elles suscitent
(un romantisme qu’on pourrait dire « structurel », dans la
perspective de Norbert Elias14). Par exemple, si la
e
philosophie du début du siècle, on l’a dit au sujet de
Maine de Biran et de Victor Cousin, se méfie des émotions,
preuve de faiblesse et facteur d’incertitude, les romantiques
les exaltent au même moment. Plusieurs régimes d’émotions
cohabitent, s’affrontent, débattent.
16 – La littérature et la pratique de l’écriture intime constituent

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un espace de réflexivité, le lieu d’émergence de nouveaux


modèles de subjectivité pour les lecteurs qui éprouvent des
émotions. C’est sans doute avec la pratique de la lecture
romanesque, de la correspondance et du journal intime que
e
naît, au siècle, une certaine forme d’intimité faite de
confidences, de révélation du secret, d’émotion. Ces formes
de subjectivité ne sont pas intrinsèquement liées aux
pratiques de la vie privée et aux exigences de maîtrise de soi :
elles s’y ajoutent, voire s’y opposent. La littérature et
l’écriture intime à cette époque créent un récit avec du
désordre, de l’informe. Un sujet peut se tromper sur ces
propres émotions, et c’est ce que ne cesse de nous apprendre
le roman (de Marivaux à Henry James).
17 – Loin d’être le pur reflet du réel, la littérature est en souvent
la figure inversée, laboratoire où se formulent, se combinent,
s’expérimentent (par le biais de la fiction qui la rend
pensable), « les pratiques rusées de la relation à autrui15 »,
selon l’expression de Michel de Certeau explicitant les
formalités des stratégies sociales.
18 – Je ne suis pas loin de penser, comme Pierre Pachet, que
certains écrivains regardaient déjà eux-mêmes les choses
sous l’angle anthropologique. En décrivant ce qui se
présentait à eux (dans les rues aussi bien que dans le
déroulement de leur pensée ou en élaborant des fictions), ils
se rendaient et rendaient leurs lecteurs sensibles aux
variabilités des comportements humains. Ils bâtissaient des
institutions du sens (terme que Vincent Descombes
empreinte justement à Pachet, qui l’avait inventé à propos du
dandysme16).
19 Il va de soi que ces remarques impliquent une sensibilité aux
effets de la littérature sur les lecteurs, qui trouve aujourd’hui
des échos avec les travaux de Martha Nussbaum, de Jacques
Bouveresse, de Sandra Laugier et, bien évidemment, de
Stanley Cavell, sur l’activation complexe des sentiments
moraux par les moyens de l’art et sur les modes de
subjectivation qu’ils rendent possibles.

4. Affecté désaffecté : l’indifférence


20 Peut-on faire l’histoire d’un sentiment qui est une absence de

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sentiment, qui approche du degré zéro de l’expression ?


21 Alors que la manifestation de l’émotion fait signe par les
larmes, l’indifférence l’annule. L’attitude indifférente a ceci
de paradoxal qu’elle se définit par ce par quoi (ou par qui)
elle refuse d’être affectée. Elle se veut suffisante sans se
suffire. L’indifférence peut être néanmoins chargée
d’émotions paralysantes (inhibition, effroi, désarroi). C’est
parfois une éclipse de la sensibilité, une mise en suspens.
22 Je limiterai mon propos, dans le cadre des rapports entre
histoire et littérature, à deux axes essentiels. En quoi la
littérature a-t-elle participé à construire la représentation
d’une montée de l’indifférence ? Qu’est-ce que nous apprend
le personnage de l’indifférent sur l’histoire de la subjectivité,
et sur le lien établit entre pathologie individuelle et crise de
civilisation ?
23 D’après cette enquête, l’histoire de la perception de
l’indifférence est indissociable de l’énonciation des causes de
e
son extension. Au siècle s’affirment ainsi :

la perception d’une indifférenciation sociale, dans


l’anonymat des grandes villes ;
la dénonciation des médiocrités de la vie bourgeoise,
réputée indifférente à toute passion ;
la conséquence de la rationalisation liée au
développement de la science et de l’industrie.

24 Toutes ces observations convergent pour créer le sentiment


d’une montée de l’indifférence. Ces représentations rendent-
elles dicibles un malaise, et permettent-elles de mettre en
mots une atmosphère pesante d’ignorance mutuelle ?
25 Partons de l’hypothèse suivante : contrairement à la pensée
systématique des critiques de la démocratie et des
changements issus de la Révolution, l’impureté féconde du
roman dont parle Mona Ozouf17 prend acte des
contradictions de la démocratie en marche dont elle est
fille18. C’est la raison pour laquelle elle nous permet
d’interroger les représentations de l’indifférence. Mais plus
encore, elle met en forme ce problème de manière plus
intéressante et plus subtile que les théories, et même celles

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que pourraient défendre les romanciers – par exemple, celle


de Flaubert sur la démocratie dans sa correspondance. En
effet, c’est le style de Flaubert qui tend à l’indifférence : il
développe un véritable pathos de l’apathie par le style
indirect libre, l’usage de l’imparfait. Avec la difficulté à
accommoder l’ensemble et les détails, Flaubert provoque la
ruine d’une conception hiérarchisée de la description et signe
l’apparition de la vision démocratique du réel, où chaque
objet, le moindre caillou ou n’importe quel brin d’herbe
valent autant que les histoires sentimentales d’une femme
normande, comme le dit Jacques Rancière19.
26 La description et la dénonciation de l’indifférence comme
phénomène social participent d’une histoire à la fois
intellectuelle et littéraire. En effet, les scansions que ces
descriptions dégagent nous paraissent familières : elles
commencent avec la société issue de la Révolution française,
que nous découvrirons avec Balzac. Elles se poursuivent avec
la place grandissante de l’argent, de la marchandise, dont
nous ferons l’analyse avec Heine, puis celle de l’industrie et
e
de la science à la fin du siècle, avec la disparition de la
responsabilité dans un monde régi par la statistique, que
nous envisagerons avec Musil. Enfin, je vous parlerai d’une
expérience singulière de l’indifférence qui fut interprétée
comme une pathologie sociale : je veux parler du journal
d’Amiel. La réception de ce journal d’indifférent cultivé fait
figure de symptôme d’une crise de civilisation.

5. La vision démocratique du réel


27 Dans la littérature, l’indifférence n’est pas seulement un
thème, mais une manière d’écrire et de décrire, un style qui
nous la fait sentir, qui nous la rend palpable. C’est l’analyse
d’Auerbach dans Mimésis qui m’a inspiré20. Lorsque Balzac
dans Le Père Goriot, dresse le tableau des « êtres rassemblés
par le hasard21 » à la table de la pension Vauquer, le lecteur
est mis en disposition de sentir cette indifférence mêlée de
défiance, cette distance dans la proximité. Nous verrons
qu’une telle description rend compte de l’inquiétude des
lecteurs de son époque.

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La vie mécanique de l’indifférence rendue palpable


28 La pension Vauquer fait se côtoyer des personnes dont les
situations sociales passées et présentes sont très différentes.
Le hasard de la grande ville les a regroupés, sans qu’elles se
soient choisies, et elles se côtoient en lieu clos dans la plus
complète indifférence et dans une grande proximité statique,
sans bénéficier de l’effet de fluidité de la foule en marche.
29 Chacun a des « malheurs » qui ont épuisé sa capacité de
compatir. Personne ne s’intéresse vraiment au malheur
d’autrui, sauf à y trouver des occasions de persiflages et de
bavardages à la table qui les réunit dans l’absence de lien.
30 Bien sûr, les fortunes diverses des personnages sous la
Révolution expliquent en grande partie ces ignorances
volontaires. Personne ne s’inquiète de vérifier les malheurs
des uns et des autres, chacun se sent impuissant à participer
à la douleur des autres. La pension devient une société
complète en réduction où les relations humaines paraissent
détruites dans cette cohabitation de hasard : « il ne restait
donc entre elles que les rapports d’une vie mécanique, le jeu
de rouages sans huile22 ». Le lieu lui-même, triste, sombre et
poisseux, provoque chez le lecteur la sensation palpable de
cette « indifférence mêlée de défiance qui résultait de leurs
situations respectives23 », donnant un effet de réel très
prégnant. La littérature balzacienne a pour vocation de créer
un climat, une atmosphère physique et morale dans une
situation historique générale24. La vie mécanique de
l’indifférence nous est rendue palpable dans le roman.

La crainte de l’isolement et la réponse de la


littérature
31 Les romans de Balzac répondent à une forte demande des
lecteurs concernant la compréhension de la vie sociale. La
crainte de l’indifférenciation sourd de ces romans. La
multiplication des intérêts, des ambitions semble créer une
situation confuse, une expérience sociale de la perte des
repères, une difficulté de socialisation, une situation
constitutive d’indifférence.
32 La description littéraire de cette indifférence nous paraît

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fondatrice de ce point de vue : elle correspond à l’horizon


d’attente des lecteurs ordinaires de l’époque qui cherchent
une meilleure lisibilité du monde social, ce que révèlent leurs
lettres aux grands écrivains, étudiées par Judith Lyon-
Caen25. Cette hantise de l’indifférenciation se traduit chez
Balzac par la production de nuances infinies qui sollicitent le
regard. Soit l’on s’attache à raviver les distinctions anciennes,
soit l’on crée des vanités nouvelles : l’Empire, la
Restauration, la monarchie de Juillet multiplient ces
mouvements de distinction sur l’échelle sociale. Dans la
grande ville balzacienne, de nouveaux signes de
différenciation apparaissent, tandis que les souvenirs des
différences anciennes, venues de l’existence passée des
contemporains, survivent en parallèle et resurgissent de
manière intempestive. La contiguïté de l’aisance et de la
misère, de la futilité et du malheur renforce cette perception.
La multiplication et le nivellement des différences, la
concurrence avec tous semblent engendrer une atmosphère
générale d’indifférence mutuelle. Par ce chatoiement de la
différence, le roman balzacien peut ainsi passer pour un
remède à l’indifférence.
33 Plus encore, la foule devient, comme le dit Walter Benjamin,
le thème pour lequel le public de plus en plus nombreux de
lecteurs passe commande aux écrivains. Balzac, Hugo,
Eugène Sue tentent de répondre à cette foule parisienne,
constituée en public, qui exige « de se retrouver dans le
roman de son époque26 ». Hugo, Sue l’ont bien compris qui
furent élus au Parlement.

6. La critique artistique et la dénonciation


de l’indifférence bourgeoise
34 Se dégage une figure particulière de l’indifférent : le
bourgeois. Les caricaturistes en ont croqué la posture
satisfaite dans sa suffisance. Les physiologistes en dessinent
les types et les stéréotypes : l’épicier, le notaire, le rentier, ce
que Max Weber appelle aussi le borné heureux27. Il vit dans
l’acceptation d’une vie tiède, terne, d’un monde sans gloire,
tranquille dans la répétition des jours, de la quiétude

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bourgeoise. Cette tiédeur vigilante et assumée résiste et se


défend tout à la fois de l’excès de la dépense aristocratique et
du désordre révolutionnaire. Jamais sans doute autant que
sous la monarchie de Juillet le goût de l’immobilité et de la
routine n’a été érigé en modèle de vie. La critique de cette
attitude contagieuse devient véritable insurrection contre la
tiédeur, dégoût de la fadeur et de l’uniformité, guerre déclaré
à l’ennui.
35 L’ensemble de ce que nous pouvons appeler la critique
artistique de l’indifférence à l’époque romantique repose sur
la détestation de ce culte de l’utile, de l’argent et l’absence
des valeurs de l’héroïsme.
36 Personne mieux que Heinrich Heine dans un article de
Lutèce n’a décrit la source de ce sentiment qui règne sous le
gouvernement Guizot :
Ici règne actuellement le plus grand calme. Une paix de
lassitude, de somnolence et de bâillements d’ennui. Tout est
silencieux comme une nuit d’hiver enveloppée de neige. Rien
qu’un petit bruit mystérieux et monotone, comme des
gouttes qui tombent. Ce sont les rentes des capitaux,
tombant sans cesse dans les coffres-forts des capitalistes, et
les faisant presque déborder ; on entend distinctement la
crue continuelle des richesses des riches. De temps en temps
il se mêle à ce sourd clapotement quelque sanglot poussé à
voix basse, le sanglot de l’indigence28.

37 Heine tend, dans Lutèce, à brosser un « tableau de l’époque


jusque dans les moindres nuances29 » : reportages et
réflexions quotidiennes, commentaires sur la vie politique et
économique, visites d’exposition écrites entre 1840 et 1843
que nous allons justement commenter. L’ironie, la faculté de
saisir le trait significatif caractérisent l’écriture de Heine.
Étranger curieux dans la ville, il dessine, comme il le dit lui-
même, des daguerréotypes.
38 Le recours au tableau pour donner à sentir l’indifférence est
une manière de mettre le lecteur en tiers. C’est un procédé
utilisé par Michelet, lorsqu’il décrit un tableau hollandais
pour faire sentir les malheurs de la guerre de Trente Ans et
l’indifférence cruelle d’un capitaine face à la misère d’une
paysanne qui a perdu toute sa famille30. Il réactive le

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pathétique dans une période de glaciation et d’indifférence,


de guerre mécanisée.
39 Mais le mobile de Heine est différent. Le Salon de 1843
prend sous sa plume l’aspect d’une visite du climat de
l’époque, la marque de l’esprit du temps. Le regard
indifférent d’un chameau assistant à un marché scabreux,
dans un tableau d’inspiration biblique peint par Horace
Vernet, symbolise pour lui l’« indifférentisme » de la
bourgeoisie31.
40 Heine nous livre une description ironique de la peinture
bourgeoise, où règne l’inexpressivité. Tous les sentiments
exprimés sur les visages ne manifestent que des intérêts
financiers et les vertus épargnantes, la tiédeur politique. Une
fustigation du Christ ressemble à celle d’un directeur
d’entreprise en faillite se trouvant face à ses actionnaires
courroucés qui lui demandent, sous la forme de bourreaux et
de pharisiens, des comptes après avoir perdu beaucoup
d’argent32. Dans un autre tableau, Guillaume le Conquérant
apparaît comme un garde national qui fait sa faction avec un
zèle exemplaire, honore son épouse et solde régulièrement
ses billets à échéance33. L’indifférence souligne
l’anachronisme des sentiments sous les costumes d’époque.
41 Il semble à Heine, contemplant un tableau, que l’original
vivant ne pensait qu’au montant à payer et que le peintre
« regrettait continuellement le temps qu’il était forcé de
prodiguer à cette déplorable corvée mercenaire34 ». L’ironie
romantique ruine le pathétique et démonte les mécanismes
de la relation marchande et de la rente.

7. Les statistiques et le désert des détails :


l’indifférence morale chez Musil
42 Robert Musil, dans L’Homme sans qualités, tend à opposer
son travail romanesque à la montée de l’indifférence. La
science, la loi des grands nombres, l’homme moyen et
objectivé donnent à la vie un aspect terne et neutre qui
s’inscrit au plus près des habitudes sociales, et pétrifient les
sentiments :
[L]’extraordinaire solitude de l’homme dans un désert de

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détails, son inquiétude, sa méchanceté, l’indifférence sans


égale de son cœur, sa cupidité, sa froideur et sa violence,
toutes caractéristiques de notre temps, ne peuvent être autre
chose, si l’on en croit ces censeurs, que la conséquence des
pertes que ferait subir à notre âme une pensée aiguisée par la
logique35 !

43 Dans le roman choral de Musil, chaque personnage, devant


l’indifférence du monde moderne, tente de trouver sa voie
pour restaurer des valeurs telles que l’âme, la patrie, la
culture ou l’art. Musil traite leur quête avec ironie dans une
série d’histoires parallèles dont le point d’articulation est
Ulrich, qui se donne la liberté d’indifférence (se mettre en
congé de la vie, sans projet).
44 Ulrich, le héros de L’Homme sans qualités, quitte le monde
des mathématiciens, ces policiers de la logique qui peuplent
le monde de chiffres, malgré son talent prometteur. Il
abandonne sa carrière de mathématicien car il se sent
essentiellement substituable. Ainsi, d’autres aboutiront ce
qu’il était en train de tenter dans ses recherches. « Plus tard,
dans une époque mieux informée, le mot destin prendra
probablement un sens statistique36. »
45 De son expérience scientifique, il retire que la paralysie du
sentiment à la base du comportement objectif a son pendant
dans l’abolition du sentiment dans la vie sociale. Le monde
gouverné par la statistique correspond au principe de raison
insuffisante éprouvé par Ulrich et par la Cacanie tout
entière : il correspond à une absence de cause, une absence
de motivation ou de signification, une absence de nécessité,
qu’il s’agisse de la croyance ou de l’action37. Dans un monde
dominé par l’énormité des données statistiques, les
probabilités permettent toutes sortes d’irrégularités que l’on
considère comme sans conséquence sur le cours du monde.
46 Cette conscience aiguë du nombre, d’être parmi des millions
d’autres, est une expérience historique dont Ulrich tire les
conclusions : « Il s’est constitué un monde de qualités sans
homme, d’expériences vécues sans personne pour les vivre »,
conclut-il38.
47 Les individus se déchargent du fardeau de la responsabilité
personnelle, qui se dissout « dans l’algèbre des significations

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possibles39 ». Ils se livrent à la négligence ou à l’absence de


conscience sans qu’on puisse tenir qui que ce soit pour
responsable. Les victimes des crimes deviennent abstraites,
comme des milliers de personnes qui sont exposées aux
dangers des usines, du chemin de fer et de l’automobile. Mis
à part quelques hommes que leur constitution psychique
rend capables de s’apitoyer de façon systématique sur le sort
de n’importe quelle victime, l’être humain ordinaire est
indifférent à l’égard de ce qui se passe en dehors de son petit
cercle. Cette paralysie du sentiment se transpose dans la vie
quotidienne. « La vie devenait toujours plus uniforme et
impersonnelle. Dans les plaisirs, les excitations, les
délassements, dans les passions même, la normalisation, la
mécanique, la statistique s’insinuaient40. »
48 Or la grande affaire de Musil est le sentiment, et alors que
dans les deux premières parties du roman, Ulrichprend le
parti de l’indifférence, la fin du livre est consacrée à
l’expérimentation sentimentale. Ulrich décèle dans cette
situation un nouveau champ de possibles à explorer avec sa
sœur Agathe. Il décide de résister à l’emprise de la seule
logique et de ne pas se satisfaire du caractère rudimentaire
de la connaissance des émotions. Il fait place au flottement
intérieur, à l’indéterminé. À son plus haut degré
d’incandescence, ce qu’il appelle l’autre état conduit au
pouvoir de « modifie[r] le monde avec l’indifférence et le
désintéressement du ciel modifiant ses couleurs41 ». Cette
autre conception de l’indifférence fait penser au neutre de
Barthes.

8. Amiel drapé dans son manteau


d’indifférence
49 L’indifférence sociale, au cœur du journal intime d’Amiel et
sa réception après publication, nous livre un angle d’analyse
précieux sur l’interprétation de la crise de la civilisation
e
bourgeoise de la deuxième moitié du siècle.
50 L’expérience de l’indifférence est révélée par la pratique du
journal intime, pour ainsi dire de l’intérieur. Amiel se
retranche du monde, qui le tient à distance. Dans la solitude

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et le retrait, il analyse la perception du poids d’être un


individu, le sentiment d’une impuissance de soi sur soi.
Amiel déplore avec constance son inconsistance et son
apathie dans un journal tenu pendant quarante ans : plus de
vingt mille pages.
51 Lecteur de Tocqueville, Amiel explore les effets de sa
singularité sans personnalité comme une maladie propre à
l’âge égalitaire, celui d’un souverain déchu, menacé par
l’impersonnalité. Il présente à cette époque le sentiment
e
d’une certaine bourgeoisie cultivée du siècle face aux
contraintes de la modernité, et la conscience très aiguë de la
montée de l’individualité aux prises avec la massification,
l’anonymat et de la démocratisation, fruit de l’histoire. En
cela, sa lecture du malaise qui le taraude est politique : « Le
spleen deviendra la maladie du siècle égalitaire42. »
52 La vie sociale et l’action l’indiffèrent, il se sent étranger aux
hommes. Avec son indécision, son irrésolution et ses
scrupules moraux, Amiel guette sans relâche son propre
détachement du monde réel et raconte sa souffrance d’être
indifférent. Une autre humeur le renvoie à sa fierté de
solitaire, à son « autonomie entière et altière », à son
« instinct d’antivasselage43 ». Dans son sentiment inquiet
d’une absence, d’un vide de sentiment, « enveloppé du
manteau de l’indifférence, comme un souverain détrôné et
une majesté méconnue44 », Amiel déplore son destin
d’anonyme blessé dans une société qui ne reconnaît pas sa
différence.
53 Le journal intime devient un monument d’insignifiance, où
l’éloignement de la vie sociale, le manque d’ambition et de
volonté renvoient à une intime indifférence.
54 Amiel, témoin de l’échec de la toute-puissance de l’individu,
tout à la fois orgueilleux et humilié, se trouve réduit à se
conformer à l’ordre social par aboulie, tout en ne supportant
pas la société de masse qui l’emporte. L’indifférence se loge
alors au cœur même de l’intime, le retrait en son intime
devient un phénomène social. Dans « le sentir que je ne sens
pas » que traduit la pathologie de l’indifférence se noue une
réflexivité nouvelle.
55 Cette tendance a des conséquences politiques et sociales :

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Amiel a ceci de paradoxal qu’il respecte avec minutie les


règles sociales et remet en cause des idéaux religieux,
moraux, sociaux et scientifiques. Il ne se révolte pas : c’est un
conformiste sans idéal, un indifférent sans chimère.
56 « Hamlet protestant », comme le nomme Paul Bourget45, il
est le double indécis du champion de l’action dans le monde
de « l’esprit du capitalisme » de Max Weber. Il s’empêche
lui-même d’agir dans un monde déréalisé : l’idéal ascétique
ne le pousse pas à l’action, mais le réduit à un conformisme
qui le taraude.
57 Par le journal, Amiel tient à distance la société dans laquelle
il vit, avec ses raisons ressassées : « Le statisticien
enregistrera un progrès croissant et le moraliste un déclin
graduel ; progrès des choses, déclin des âmes46. »

Le journal d’un indifférent


58 Publié, le journal d’Amiel devient à la fois le prototype d’une
pathologie et la figure-témoin d’une crise de civilisation : il
révèle la banalité de l’échec existentiel.
59 D’où la lecture qui en a été faite par les moralistes de la fin
e
du siècle (Renan, Taine, Bourget) comme symptôme
d’un malaise politique dans la culture, de l’impossible
adaptation du moi à la vie moderne. Pour les plus critiques
comme Bourget, la maladie du siècle est liée à
l’affaiblissement de la volonté, au nihilisme, au
cosmopolitisme. Ce mal comporte le danger d’une
« propagande d’idées et de sentiments47 » qui provoque la
dégénérescence. Le critique français dénonce l’influence du
romantisme et de la philosophie d’outre-Rhin.
60 Amiel devient une institution, tout comme le journal intime
qui, en cette fin de siècle, se publie, ce qui explique aussi de
nombreuses appropriations.

Les pathologies du rapport au réel


61 Amiel devient un cas surtout à partir de la lecture qu’en fait
le célèbre médecin Pierre Janet. Celui-ci dégage du journal
d’Amiel les traits du psychasthénique, caractérisé par un
sentiment d’abattement sans remède, provoqué par le

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scrupule, mais surtout par une inadéquation à la fonction du


réel. « Les fonctions les plus troublées sont les fonctions qui
mettent l’esprit en rapport avec la réalité, l’attention, la
volonté, le sentiment et l’émotion adaptée au présent48. » Le
psychasthénique, souvent cultivé, raisonne avec rigueur,
déploie en toute logique les conséquences de ces symptômes
dont il a tout à fait conscience. Amiel, idéaltype du
psychasthénique cultivé, est taraudé par l’impossibilité de
décider, l’aboulie par excès de réflexivité. Dans son univers,
plus rien n’a d’importance ni de saveur. Le sentiment
d’absence de relief, comme celui de faux, de dédoublement,
d’éloignement, d’isolement, d’engourdissement sont
rassemblés par Janet sous le terme générique d’un sentiment
d’absence à la réalité. Avec la perte de la fonction du réel,
l’indifférence devient une tonalité affective où toutes les
possibilités se retirent.
62 Il semble que la capacité de rationalisation de ces malades
menace le clinicien d’un débat sans fin avec un univers
mental tragiquement cohérent, qui puise dans la philosophie
e
et les inquiétudes métaphysiques du siècle une capacité
de doute illimitée, des interrogations infinies qui éloignent
du réel.
63 La dépersonnalisation du sujet est corrélative de sa
déréalisation du monde extérieur, d’un manque d’attention à
la vie présente, selon Bergson49. Le philosophe, cherchant à
dégager sa propre définition des troubles psychasthéniques,
y voit un amenuisement de l’élan constitutif de la
personnalité : en effet, remarque Bergson : « Lorsqu’on les
examine attentivement, on s’aperçoit que ces désordres sont
tous, sans exception, des formes d’indécision. Et derrière
cette indécision elle-même il y a une cause plus profonde, à
savoir le ralentissement de l’élan normal50. » Et qu’est-ce que
ce ralentissement de l’élan normal, sinon le déficit de ce que
Bergson appelle « la poussée vers l’action51 » ?

Amiel devient un symptôme


64 Janet et Bergson prennent-ils les effets pour la cause, en
dressant le portrait clinique du psychasthène et en visant la
déficience de son élan vital ? Les moralistes y voient plutôt

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les effets d’une crise de civilisation, où les individus, sommés


de se particulariser, se révèlent trop faibles de par leur
constitution morbide52.
65 Cette figure pathologique et sociale est historiquement
construite. Il existe un lien entre diagnostic médical et
analyse de la crise de la culture. Devant cette pathologie
nouvellement construite de l’individualisme bourgeois, face à
ce mal-être mental, les moralistes n’hésitent pas à parler de
déclin, de déficience ou de dégénérescence en réveillant les
sirènes nationalistes. Car, devant cette maladie de la volonté,
des mesures radicales sont à prendre, en particulier à l’égard
de la jeunesse53.

Conclusion
66 La vie mécanique dans la société démocratique naissante,
que les écrivains comme Balzac décryptent pour combler une
attente, nous fait sentir l’indifférence : mimésis. Heine
invente une nouvelle lecture du tableau qui dénonce
l’indifférentisme bourgeois en neutralisant le pathétique par
l’ironie et fait sentir la platitude. Avec le roman de pensées
de Musil, la question de l’individu, du qualitatif, du variable
s’impose comme centrale. L’élaboration romanesque se
mesure à ce que l’histoire paraît inexorablement privilégier :
le règne des valeurs moyennes, de l’indifférence. À ce titre, la
littérature construit des représentations tout en fournissant
une porte de sortie par le foisonnement des différences et
l’éveil de l’émotion, du sentiment. Nous avons fini sur Amiel
et sur la forme subjective de l’indifférence (du sentir que je
ne sens pas), témoignant d’une pathologie de l’individu
démocratique détrôné et empêché dont on peut faire la
généalogie : à partir d’un journal se construit un cas dont
s’empare essayiste, médecin et philosophe, pour en appeler
au sens de la volonté et au pouvoir d’agir à la veille de la
Première Guerre mondiale.
67 Ces traversées me paraissent davantage approcher cet état
d’absence d’émotion, tel que le percevaient les
contemporains, que les discours théoriques sur la montée de
l’indifférence : pouvoir de l’art, droit à la nuance. Dans tout
ce qui forme les sensibilités, la touche de gris de

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l’indifférence méritait autant d’attention que l’éclat des


larmes.

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Freund, J. “L’éthique économique et les religions mondiales
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Freund, Julien. “L’éthique économique et les religions
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F , Julien, « L’éthique économique et les religions


mondiales selon Max Weber », Archives des sciences sociales
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4 (October 1904): 589. https://doi-org.accesdistant.bu.univ-
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Pachet, Pierre. “Entretien avec Pierre Pachet”. Rue Descartes
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Notes
1. Université Bordeaux 3, séminaire interdisciplinaire « Émotions
esthétiques », 4 avril 2012.

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2. Voir, à ce sujet, Sarah M , Vies privées, affaires publiques : les


causes célèbres de la France prérévolutionnaire [1993], trad. de l’anglais
(États-Unis) par Christophe Beslon et Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris,
Fayard, 1997.
3. Marcel M , « L’expression obligatoire des sentiments » [1921], in
Œuvres, t. III, Paris, Éd. de Minuit, 1969, p. 277-278.
4. Alain E , La Société du malaise, Paris, O. Jacob, 2010.
5. Alain C , Le Temps, le désir et l’horreur, Paris, Aubier, 1991,
p. 238.
e
6. Anne C , Le Refus du pathos au siècle, Paris, Honoré
Champion, 2001.
7. Voir N. E , La Solitude des mourants [1982], trad. de l’allemand
par Sibylle Muller, Paris, C. Bourgois, 1987.
e e
8. Voir Anne V -B , Histoire des larmes, - siècles,
Paris, Marseille, Rivages, 1986, chap. v : « Pleurer sous la Révolution
française (1789-1794) ».
9. Voir Emmanuel F , La France des larmes : deuils politiques à
l’âge romantique, 1814-1840, Seyssel, Champ Vallon, 2009.
10. William R , The Navigation of Feeling : A Framework for the
History of Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. Il
trouve le modèle des Lumières fondé sur des émotions naturelles plus
e
contraignant pour l’individu que celui du siècle, qui permettrait une
plus grande liberté dans la navigation émotionnelle en cantonnant au
privé l’expression des émotions.
11. David J. D , Sentimental Narrative et Social Order in France,
1760-1820, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, où il fait la
genèse du sentimentalisme comme style narratif centré sur le tableau
touchant. Il affiche une certaine méfiance à l’égard de l’universalisme des
Lumières et des mobiles cachés de la bourgeoisie sentimentale.
12. Voir, par exemple, Jeanne F -S , « Weber, les émotions et la
o
religion », Terrain, n 22, mars 1994, p. 93-108.
13. Richard S , Les Tyrannies de l’intimité [The Fall of Public
Man, 1977], trad. de l’anglais (États-Unis) par Antoine Berman et
Rebecca Folkman, Paris, Éd. du Seuil, 1995.
14. Norbert E , La Société de cour [1969], trad. de l’allemand par
Pierre Kamnitzer et Jeanne Étoré, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,
1985, p. 241-242.
15. Michel de C , Histoire et psychanalyse entre science et fiction,
Paris, Gallimard, coll. « Folio-essais », 1987, p. 128.
16. Vincent D , Les Institutions du sens, Paris, Éd. de Minuit,
1996 ; Pierre P , Le Premier Venu : essai sur la politique
baudelairienne, Paris, Denoël, 1976, p. 97 sqq. Voir aussi « Entretien

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avec Pierre Pachet », Rue Descartes, 1/2004, no 43, p. 70-87, publié en


ligne : www.cairn.info/revue-rue-descartes-2004-1-page-70.htm.
e
17. Mona O , Les Aveux du roman : le siècle entre Ancien
Régime et Révolution, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2004, p. 347.
18. Nelly W , Le Roman de la démocratie, Saint-Denis, Presses
universitaires de Vincennes, 2003.
19. Jacques R , Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007,
p. 48 sqq.
20. Erich A , Mimésis : la représentation de la réalité dans la
littérature occidentale [1946], trad. de l’allemand par Cornelius Helm,
Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977, p. 465 sqq.
21. Honoré de B , Le Père Goriot [1835], in La Comédie humaine,
t. III, éd. publ. sous la dir. de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1976, p. 57.
22. Ibid., p. 62.
23. Ibid.
24. E. A , Mimésis, op. cit., p. 465.
25. Judith L -C , La Lecture et la Vie : les usages du roman au
temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2007.
26. Walter B , « Sur quelques thèmes baudelairiens »
[1939/1940], trad. de l’allemand par Maurice de Gandillac, revue par
Rainer Rochlitz, in Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. « Folio-essais »,
2000, p. 345.
27. Max W , Wirtschaft und Gesellschaft, 3e éd., Tübingen, J. C. B.
Mohr, 1947, iv, 10, t. I, p. 314, cité par Julien Freund, « L’éthique
économique et les religions mondiales selon Max Weber », Archives des
sciences sociales des religions, vol. 26, no 26, 1968, p. 21.
28. Heinrich H , Lutèce : lettres sur la vie politique, artistique et
sociale de la France, nouv. éd., Paris, Michel Lévy frères, 1866, LI [4
décembre 1842], p. 289.
29. Ibid., épître dédicatoire [1854], p. 9.
30. Jules M , Histoire de France, t. XIV, Paris, A. Lacroix, 1877,
chapitre premier, p. 5.
31. Heine, Lutèce, op. cit., LVII [7 mai 1843], p. 346.
32. Ibid., p. 341.
33. Ibid., p. 342.
34. Ibid.
35. Robert M , L’Homme sans qualités [1930-1932], trad. de
l’allemand par Philippe Jaccottet, et par Jean-Pierre Cometti et Marianne
Rocher-Jacquin pour les textes nouveaux, Paris, Éd. du Seuil, 2004, I,

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chap. 11 (« L’essai le plus important »), t. I, p. 61.


36. Ibid., III, chap. 8 (« Famille à deux »), t. II, p. 59.
37. Jacques B , Robert Musil : l’homme probable, le hasard, la
moyenne et l’escargot de l’histoire, Paris, Éd. de l’éclat, 1993.
38. R. M , L’Homme sans qualités, op. cit., II, chap. 39 (« Un homme
sans qualités se compose de qualités sans homme »), t. I, p. 180.
39. Ibid.
40. Ibid., IV, chap. 46 (« Rayons de lune en plein jour »), t. II, p. 422.
41. Ibid., IV, chap. 58 (« Ulrich et les deux mondes du sentiment »), t. II,
p. 525.
42. Henri-Frédéric A , journal du 6 septembre 1851 in Journal
intime. 1, 1839-1851, texte établi et annoté par Philippe M. Monnier, avec
la collab. de Pierre Dido, Lausanne, L’Âge d’homme, 1976, p. 1063.
43. Id., journal du 13 septembre 1866, in Journal intime de l’année 1866,
texte intégral publié avec une introduction et des notes par Léon Bopp,
Paris, Gallimard, 1959, p. 422 ; Journal intime. 6, octobre 1865-mars
1868, texte établi et annoté par Philippe M. Monnier et Anne Cottier-
Duperrex, Lausanne, L’Âge d’homme, 1986, p. 560.
44. Id., journal du 5 avril 1866, éd. Bopp, op. cit., p. 220 ; éd. Monnier,
op. cit., p. 312.
45. Paul B , « Henri-Frédéric Amiel », in Essais de psychologie
contemporaine, Paris, Plon-Nourrit, 1920, t. II, p. 258.
46. H.-F. A , journal du 6 septembre 1851 in Journal intime. 1,
1839-1851, op. cit., p. 1063.
47. P. B , « Avertissement de 1885 », in Essais de psychologie
contemporaine, op. cit., t. I, p. xx.
48. Pierre J et Fulgence R , Les Obsessions et la
psychasthénie [1908], Paris, L’Harmattan, 2005, t. II, vol. i, p. 737-738.
49. Comme l’écrit Janet, si la fonction du réel « consiste dans
l’appréhension de la réalité sous toutes ses formes », elle « constitue
“cette attention à la vie présente” dont parle M. Bergson dans un livre de
métaphysique qui semble souvent prévoir ces observations
psychologiques ». Ibid., p. 477. Le livre en question est Matière et
mémoire, Paris, F. Alcan, 1896, p. 190.
50. Henri B , « Onze conférences sur “La personnalité” aux
Gifford Lectures d’Edinburgh, 21 avril-22 mai 1914 », trad. Martine
Robinet, in Mélanges, textes publiés et annotés par André Robinet et al.,
Paris, PUF, 1972, p. 1083.
51. Ibid. Voir Nicolas C , « Janet et Bergson : psychasthénie et
inattention à la vie », Documents de travail du département de
philosophie de l’université de Poitiers, conférence prononcée le 8 avril

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2005 dans le cadre du séminaire thématique commun du master


recherche Bordeaux-Toulouse-Poitiers, publié en ligne :
http://www.sha.univ-poitiers.fr/philosophie/.
52. Pierre-Henri C , « Amiel, ou la métamorphose de l’obsédé »,
publié en ligne : http://pierrehenri.castel.free.fr/Articles/Amiel.htm.
Cette analyse m’a particulièrement éclairée, ainsi que celle de Claude
M , Qui est moi aujourd’hui ?, Paris, Fayard, 1984.
53. Barrès en est le propagandiste le plus influent.

Auteur

Anne Vincent-Buffault

Historienne. Chercheuse associée


au Laboratoire de Changement
social (Université Paris 7)
© Presses Universitaires de Bordeaux, 2013

Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org.accesdistant.bu.univ-paris8.fr:2048/6540

Référence électronique du chapitre


VINCENT-BUFFAULT, Anne. Sensibilité et insensibilité : des larmes à
l’indifférence In : L'émotion, puissance de la littérature [en ligne].
Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2013 (généré le 25 décembre
2021). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org.accesdistant.bu.univ-paris8.fr:2048
/pub/8282>. ISBN : 9791030004250. DOI : https://doi-
org.accesdistant.bu.univ-paris8.fr/10.4000/books.pub.8282.

Référence électronique du livre


BOUJOU, Emmanuel (dir.) ; GEFEN, Alexandre (dir.). L'émotion,
puissance de la littérature. Nouvelle édition [en ligne]. Pessac : Presses
Universitaires de Bordeaux, 2013 (généré le 25 décembre 2021).
Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org.accesdistant.bu.univ-paris8.fr:2048
/pub/8249>. ISBN : 9791030004250. DOI : https://doi-
org.accesdistant.bu.univ-paris8.fr/10.4000/books.pub.8249.
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