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Nassima Dris
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plan urbanistique grandiose les monuments d’une capitale… le rôle d’une capitale d’un Empire
Africain. » De son côté, H. Prost disait à propos de la création de la région algéroise d’urba-
nisme qu’elle va permettre « un aménagement qui doit être digne de la capitale de l’Afrique du
Nord », cf. « Le plan régional d’Alger », dans Chantiers, Alger, mai 1936.
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valeurs différentes. L’espace hérité tel qu’il est perçu aujourd’hui, c’est-à-
dire comme un tout constituant de la réalité urbaine, favorise l’intégration
urbaine dans le sens où il peut être pour ceux qui y vivent, éminemment valo-
risant. Pourtant, les appréciations de la ville par les habitants ne font pas réfé-
rence à son origine historique mais surtout à ses valeurs intrinsèques et à ses
qualités fonctionnelles qui sont reconnues et appréciées par l’ensemble des
groupes sociaux même si, ça et là, des marquages s’y inscrivent. Les habi-
tants évacuent l’histoire coloniale pour ne retenir de la ville que ses formes
architecturales prestigieuses et l’usage aisé de ses espaces.
LA DÉMATÉRIALISATION DE LA VILLE
2. El-houma (le quartier) est une expression typique de la spatialité arabe qui s’oppose à l’idée
selon laquelle la métropolisation signifie la disparition du quartier. Partant de l’idée de Gaston
Bardet sur la notion d’« échelon urbain » dans l’urbanisme moderne (Le Nouvel urbanisme,
1948 : 208 et s.), Jacques Berque estime que « la tradition islamique » dote la recherche
moderne d’un instrument de recherche quantitative lié à la rencontre entre la mosquée à
khut’ba et la houma (le nombre de mosquées correspondant au nombre de houma) : cf.
Maghreb, histoire et sociétés, Paris, Duculot/Alger, SNED, 1974, p. 128. Cette délimitation par
l’impact du rayonnement de la mosquée présente effectivement un intérêt certain mais n’en est
pas moins insuffisante aujourd’hui pour définir le quartier.
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3. L’honneur et la fierté, en tant que référents de la face sociale, sont une contrainte imposée aux
individus par la société : Cf. E. Goffman, Les Rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974, p. 13.
4. F. Navez-Bouchanine note, à propos du Maroc, que le brassage, extrêmement important des
populations urbaines actuelles, et la disparition des anciennes formes d’organisation tant cita-
dines que rurales contribuent sans doute plus que la mobilité au désarroi marquant les proces-
sus d’identification et de structuration sociale. Cf. « L’espace limitrophe : entre le privé et le
public, un no man’s land ? La pratique urbaine au Maroc », dans Espaces et Sociétés n° 62-63,
1991, p. 135-158.
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persistent dans les quartiers à forte densité dont les caractéristiques s’appa-
rentent à celles des « aires de ségrégations » (Park, 1926). Il apparaît que cer-
tains comportements issus de la tradition s’enracinent dans le social en dépit
des changements sociaux comme l’a montré R. Hoggart (1970) pour les
« milieux populaires » en Angleterre. Dès lors, la houma puise son sens dans
les conditions de vie difficiles de ses habitants. L’identité des jeunes de ces
quartiers se confond avec celle du lieu où ils vivent : « Bab-El-Oued ech-
chouhada » (Bab-El-Oued des martyrs), un des slogans des émeutes de 1988,
en est l’expression la plus dramatique. Les bandes d’adolescents se forment
autour de cette identité du quartier (Bab-El-Oued, Belcourt, Casbah, etc.) qui
n’existe que dans l’opposition, parfois violente, à d’autres quartiers (surtout
lors des rencontres sportives et en particulier le football). Cette forme de
revendication territoriale se manifeste « comme si le stigmate avait acquis ses
lettres de noblesse […] dans une sorte de demande de droit de cité à la
déviance généralisée » (Ostrowetsky, 1995). Le sens donné aux espaces ren-
voie à des indicateurs sociaux qui dépassent le cadre physique. D’une façon
plus large, l’enracinement dans la ville se réalise par l’inscription des réfé-
rents sociaux dans l’espace. De ce fait, le rapport aux formes spatiales trouve
son sens dans un ensemble d’idées (famille, rites, croyances, proximités…)
en perpétuelle recomposition et qui fait la société urbaine.
5. C’est ainsi que J.-N. Ferrié dans son article intitulé « Remarques sur l’islamisation des
espaces modernes au Caire » écrit : « Penser que ces détails sont eux-mêmes révélateurs
d’autres choses que d’un rapport normal au monde tel qu’il va, c’est être surpris de ce que la
société égyptienne et les Égyptiens partagent le même monde que nous. D’une certaine
manière, cet étonnement est déplacé. Il indique de quelle façon nous instaurons souvent les dif-
férences, en nous étonnant que d’autres puissent nous ressembler », dans Maghreb-Machrek,
Paris, n° 51, janvier-mars 1996, p. 6-12.
6. Le mode de fonctionnement des classes politiques a confiné la société civile dans l’inapti-
tude à s’émanciper de l’hégémonie étatique. M.-C. Ferjani écrit à ce sujet : « Les « moderni-
sations » entreprises dans des pays comme la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte, beaucoup de pays
arabes, comme dans d’autres pays du Sud et de l’Est, se sont souvent traduites par la destruc-
tion des solidarités traditionnelles sans pour autant promouvoir les Droits de l’Homme et les
libertés collectives qui permettent la régénérescence de la société civile et des contre-pouvoirs
nécessaires à son autonomie et à la prévention du danger totalitaire », dans Cahiers de
Recherche du GREMMO, n° 4, « Difficultés et conditions d’une rupture démocratique dans les
pays arabes », Université de Lyon Lumière 2, 1995, p. 33-40.
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7. Si la mosquée a subi les aléas d’une urbanisation accélérée et déficiente, l’explication n’est
pas dans une quelconque rupture par rapport aux référents religieux. Elle relève plutôt de l’in-
capacité de l’urbanisme à appréhender la place de la mosquée (absence de ratio technique, de
normes, de caractéristiques architecturales, de références…). Face à l’urgence des réalisations
considérées comme prioritaires (logements, équipements scolaires et sanitaires…), la construc-
tion des mosquées est laissée à l’initiative de la population qui usera de cet espace pour instal-
ler de nouvelles sociabilités urbaines, exister en tant que communauté et s’affirmer comme
société civile. Cf. A. Moussaoui, « La mosquée en Algérie : religion, politique et ordres
urbains », dans ouvrage collectif, Urbanité arabe. Hommage à Bernard Lepetit, Paris,
Sindbad/Actes Sud, 1998, p. 258-295.
8. Pour S. Mazouz, les constructeurs de mosquées de ces dernières années utilisent des tech-
niques avancées en matière de béton armé ou de structures métalliques qu’ils habillent d’un
« costume folklorique fait d’archétypes historicistes », dans Les Cahiers de l’EPAU, n° 5-6,
« Culture et architecture. Cas de l’architecture religieuse en pays islamiques. Les occasions
perdues », Alger, octobre 1996, p. 64-72.
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cette question. Dans certaines localités, les élus d’obédience islamiste avaient
organisé des Assises de l’urbanisme rassemblant des architectes et des opé-
rateurs publics ou privés locaux 9. Sur la base de quelques discours sur la
grandeur de la « ville islamique » pour signifier la rupture politique, l’accent
est mis sur la nécessité de promouvoir un « urbanisme moderne » qui inscrit
la ville dans un contexte régional. Concrètement, les objectifs portaient sur la
transformation du centre-ville en « véritable centre tertiaire » par l’implanta-
tion d’immeubles de standing, des services tertiaires, des équipements de loi-
sirs en intégrant tous les ingrédients de « l’urbanisme moderne ». Fortement
critiqués sur leur capacité à conduire le développement, les élus islamistes se
sont entourés d’experts formés dans les universités algériennes et étrangères.
Il en a résulté une continuité dans le processus d’urbanisation, c’est-à-dire
des opérations de promotion immobilière, des opérations de requalification
des quartiers centraux par la construction de logements de « haut standing »,
des commerces de « luxe » et des équipements administratifs. Les similitudes
avec le projet de restructuration du Hamma à Alger, pourtant décidé par les
hautes instances du pays, sont saisissantes. La restructuration urbaine par le
centre en est l’élément le plus flagrant. La transposition du modèle algérois
se décline avec des variantes dans de nombreuses villes de l’intérieur du
pays 10 en confirmant une logique de continuité des actions et des formes
urbaines. Au regard de ce qui précède, le ralliement de certains architectes,
ingénieurs et entrepreneurs aux projets dits « islamistes » a été la consé-
quence d’une situation dans laquelle le pouvoir public condamne à la margi-
nalité et laisse peu de place à l’émergence de compétences nouvelles. Cette
façon de faire s’est soldée par un « retour du refoulé » qui, paradoxalement,
s’inscrit dans la continuité de l’organisation sociale et spatiale.
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CONCLUSION
La ville n’est pas « un spectacle achevé, accompli, mais une œuvre dont
la structure est à la fois ferme et révisible » comme l’a affirmé R. Ledrut
(1968). Dans une société où se mêlent un désir profond d’accéder aux privi-
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES