Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Durkheim a donné une image harmonieuse de l'organisation sociale. Ce qu'il privilégie, c'est la
stabilité qu'entraîne la solidarité. La source des conflits vient de la nature des liens sociaux. Le
conflit est le résultat d'un manque : l'anomie. Marx, Dahrendorf et Touraine insistent sur le rôle du
conflit en tant que moteur du changement social. Le point de départ de cette analyse est bien sûr
l'analyse marxiste. On peut alors se demander si l'analyse marxiste du conflit est toujours
d'actualité.
I - La notion de conflit
A - Qu'est-ce qu'un conflit ?
Le conflit général met en présence 2 acteurs (individus ou groupes) aux intérêts divergents. Le
conflit social a des enjeux politiques, économiques et sociaux.
Le conflit du travail reprend ces 3 enjeux, cependant les acteurs appartiennent à la même unité de
production. Il a un caractère légal : c'est la défense collective des intérêts individuels. L'enjeu du
conflit peut être interne à l'entreprise ou se répercuter au niveau de la collectivité (réaction en chaîne
comme en mai 1968).
La forme la plus fréquente du conflit est la grève, qui a un caractère légal. C'est le meilleur moyen
de pression. La manifestation sur la place publique est le moyen traditionnel de prolonger le conflit
( car très médiatisée). Les conflits de classes (cf. Marx et la lutte des classe) sont différents des
conflits sociaux qui sont des oppositions entre groupes sociaux.
B - Le conflit peut être facteur de changement social
Le changement social est la transformation durable de l'ensemble ou d'une partie du système social
dans son organisation, dans sa structure et dans ses modèles culturels. Le changement social est
caractérisé par les transformations sociales importantes de la société (les congés payés en 1936 par
exemple).Le conflit est créateur : il pousse les acteurs à inventer de nouvelles formes sociales. Le
conflit social a une action dynamique sur l'organisation sociale qui l'oblige à évoluer. Le conflit a
une fonction d'intégration des acteurs sociaux car il se déroule au nom d'objectifs communs. Selon
Simmer (1858-1918), le conflit remplit 2 fonctions :
• il révèle les antagonismes sociaux
• il permet de reconstruire l'unité de la société en suscitant des transformations
Selon Marx, le changement social passe par la lutte des classes, qui est le moteur de l'histoire.
Chaque société est supposée connaître une succession d'étapes, chacune se caractérisant par un
mode de production spécifique mais qui dans tous les cas de figure est à l'origine d'une césure entre
dominants et dominés. Cette opposition conduit à la lutte, le système éclate lorsqu'elle devient
exacerbée. Dans le cadre des sociétés capitalistes, la lutte découle de la confrontation entre la
bourgeoisie seule détentrice des moyens de production et le prolétariat, détenteur de sa seule force
de travail.
Depuis le 19ème siècle, les conflits de travail ont beaucoup marqué le changement social. Les
conflits ont permis des progrès significatifs dans l'amélioration des conditions de vie, de travail, de
la durée du travail, des droits sociaux. Les conflits de travail sont profondément liés au mouvement
ouvrier et à sa représentation au sein des syndicats. Temps forts du changement social :
• 1936 : congés payés
• 1945 : comité d'entreprise et sécurité sociale
• 1950 : SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti). Il devient le SMIC (Salaire
Minimum Interprofessionnel de Croissance) en 1970
• 1968 : section syndicale dans les entreprises et 4ème semaine de congés payés
• 1982 : lois Auroux
Toutes ces avancées sociales ont été obtenues à partir de conflits massifs et généralisés : les conflits
de travail ont donc profondément marqué le changement social.
C - Les conflits de travail existent toujours mais ils sont moins nombreux
On assiste à une baisse de ces conflits à la fin des années 1970. Cette époque marque un tournant
avec la baisse du taux de syndicalisation. Les conflits de travail ont laissé la place à d'autres formes
de conflits sociaux, les nouveaux mouvements sociaux, qui ont aussi un rôle à jouer dans le
changement social. Ces conflits dépassent le cadre du travail et mettent en jeu des acteurs sociaux
éloignés du mouvement ouvrier traditionnel : ils dépassent le clivage traditionnel
salariés/employeurs et syndicats/patronat.
Chez Alain Touraine, les nouveaux mouvements sociaux sont de nouvelles formes de conflits
sociaux (mouvements féministes, écologistes, régionalistes...) apparus en réponse aux modifications
économiques et sociales et au renforcement du pouvoir des technocrates caractérisant la société
post-industrielle.
II - L'analyse marxiste du conflit
Le sociologue allemand Karl Marx (1818-1883) est l'auteur du Manifeste du Parti Communiste
(1848) et Le Capital (1867). L'objet central de l'analyse de Marx est la critique du système
capitaliste. Toute l'histoire des sociétés est structurée autour d'un conflit binaire : on parle alors de
bipolarisation de la société. C'est la lutte des classes qui fait avancer la société par le changement
social. La lutte des classes est le moteur de l'Histoire et du changement social. Selon Marx, les
classes sociales ont 3 caractéristiques.
1 - La place dans les rapports de production
La bourgeoisie est propriétaire des moyens de production alors que le prolétariat ne possède que sa
force de travail. Cette force de travail, les prolétaires sont obligés de la vendre contre un salaire
sous-rémunéré, ce qui permet à la bourgeoisie de réaliser un plus-value. Une plus-value est une
augmentation de valeur, dans le cadre de l'analyse marxiste, c'est la différence entre la valeur crée
par la force de travail et la rémunération de cette force de travail, le salaire, qui ne correspond qu'au
coût de la reproduction de la force de travail.
2 - La conscience de classe
Les membres de la classe prennent conscience de leur unité et de leur séparation avec les autres
classes. Marx ne sépare pas la notion de classe de celle de lutte de classe : la bourgeoisie exploite le
prolétariat, ce sont donc deux classes antagonistes.
3 - La lutte pour le pouvoir
Les prolétaires vont s'organiser et lutter de façon à se réapproprier les moyens de production. La
lutte mène donc à la dictature du prolétariat. Cette dictature ne représente qu'une transition vers
l'abolition des classes, vers une société sans classes.
Conclusion
Les conflits de classes, selon Marx, peuvent être moteurs du changement social (rôle primordial des
syndicats et du parti communiste dans la lutte des classes). Les classes sociales sont des des
regroupements d'individus ayant des conditions matérielles d'existence identiques (revenu,
habitat...) et qui, de ce fait, partagent des intérêts communs qui les opposent aux autres groupes
sociaux. Autrement dit, la classe sociale se définit de façon conflictuelle. Pour Marx, une classe
sociale n'est réelle qu'à partir du moment où il y a conscience de classe ; aussi convient-il de
distinguer la classe en soi qui n'est que le regroupement d'individus partageant des conditions de vie
objectives identiques, de la classe pour soi qui correspond au regroupement d'individus qui ont pris
conscience de la similitude de leurs intérêts et qui entreprennent une lutte commune.
III - Les analyses du conflit selon Dahrendorf et Touraine
Dahrendorf et Touraine placent le conflit au centre du changement social. Ces deux sociologues ne
considèrent pas que l'origine du conflit soit essentiellement la recherche de la détention des moyens
de production.
A - L'analyse de Dahrendorf : la lutte pour le contrôle de l'autorité
Ralf Dahrendorf est un sociologue allemand, auteur de Classes et conflits de classes dans la
société industrielle (1957). C'est un théoricien du courant d'analyse des conflits d'intérêts.
Dahrendorf est dans la lignée de Marx. Tout en critiquant l'analyse marxiste, il est d'accord sur
plusieurs points :
• la structuration en classes
• l'existence d'un rapport dominants/dominés
• le rôle du conflit comme moteur du changement social
Le conflit est dû à la distribution inégale de l'autorité. Certains exercent une autorité et d'autres y
sont soumis : une division s'opère en tre les dominants (détenteurs de l'autorité) et les dominés
(soumis à l'exercice de cette autorité). Il existe un pluralisme de conflits : l'autorité peut s'exercer
dans plusieurs domaines (autorité politique, professionnelle, syndicale, religieuse...). Il n'existe pas
seulement 2 classes aux frontières bien établies. Les classes se structurent selon les intérêts à
défendre. Ces regroupements sont multiples et évoluent.
Dahrendorf établit une différence entre :
• les intérêts latents : mal explicités, au degré de conscience collective faible : incapables de
lutter de manière organisée : conflits d'intérêts non-organisés (conflits latents)
• les intérêts manifestes : explicités, au degré de conscience collective important : lutte
organisée, conflits d'intérêts organisés (conflits ouverts)
B - L'analyse de Touraine : la lutte pour le contrôle de l'historicité
Alain Touraine (1925 - ....) est un sociologue français, auteur de La conscience ouvrière (1966) et
La société post-industrielle (1969). Comme pour Marx, il existe aussi une opposition entre
dominants et dominés. La domination résulte de la capacité qu'a un groupe à maîtriser les grands
choix de la société, les grandes orientations (35 heures) qui modèleront le devenir de la société. Les
dominants définissent l'orientation et l'image de la société et imposent leur modèle culturel. Ils
possèdent le savoir, l'information et ces différentes actions entraînent le changement social.
Touraine dit que dans les sociétés post-industrielles, les décisions sont prises par les l'appareil
économique et politique.
autre recherche
Les bouleversements sociaux de ce début de siècle ne sont pas propres à la France. Ils y génèrent
peut-être davantage de désarroi sans susciter autant de créativité qu’ailleurs.
Partout, les liens personnels sont plus fragiles, en partie parce qu’ils reposent davantage sur
l’affectivité et le libre choix. Les entreprises et les métiers n’offrent plus un cadre fiable et durable.
Dans cet univers mouvant, le discours politique, trop général, peu compréhensible, souvent borné
aux frontières nationales, perd sa crédibilité. Les citoyens nourrissent des doutes à l’égard de leurs
institutions politiques, qu’elles soient internationales, nationales ou même locales. Aux structures
traditionnelles, ils tendent à préférer celles du monde associatif. A travers elles, ils cherchent,
partout dans le monde, une manière de mieux exprimer leurs besoins et leur désir de dévouement.
Parmi les préoccupations nouvelles qui suscitent le désir de mobilisation et d’innovation, la
Fondation a retenu :
Dans le contexte français d’une crise de la représentation politique aux symptômes multiples,
le thème du renouveau des élites, a été depuis quelque 20 ans au centre des discours et des
programmes, mais aussi des attentes de l’opinion. C’est cette rhétorique du changement qui a
fondé la légitimé d’un certain nombre de projets de réformes institutionnelles, dont le projet
paritaire. Nous ferons d’abord porter notre investigation sur le sens d’une réforme intervenue
par le biais législatif et le recours à l’action positive, dans un pays de culture universaliste. En
effet, la révision constitutionnelle concernant la parité peut être considérée comme une remise
en cause de la conception classique de la représentation. Puis, dans un deuxième temps, nous
questionnerons la réalité des changements entraînés par le loi du 6 juin 2000 (dite loi sur la
parité) : ouverture et diversification sociale des élites politiques, modification du rapport
inégalitaire des femmes au pouvoir, restauration de la confiance des Français dans leur classe
politique.
1. Féminiser (par la loi) pour « moderniser » la République
La France a longtemps été hostile, de par sa culture universaliste, à l’application, dans la sphère
politique, du principe de « discrimination positive », terme d’ailleurs contestable et contesté,
auquel je préfère substituer celui, plus neutre, d’« action positive » [1]. Elle a pourtant été le
premier pays au monde à adopter une loi imposant aux partis politiques la parité des
candidatures hommes/femmes à certaines élections. Après la réforme constitutionnelle du 8
juillet 1999, qui organise un « universalisme sexué », la loi du 6 juin 2000 prévoit une parité
obligatoire des candidatures (avec alternance homme/femme) pour les scrutins de liste,
facultative pour le scrutin uninominal des législatives. Depuis, la France a fait école en quelque
sorte, imitée, par la Belgique (en 2002) puis par le Rwanda (en 2003).
1.1. L’action positive contre la culture républicaine
Interrogeons-nous sur le sens de ce paradoxe. La France républicaine, reposant sur l’Un, sur
l’indivisibilité de la Nation, devient la première démocratie organisée sur une base paritaire. On
sait que le recours à la loi et à l’Etat pour susciter le changement social fait partie de la culture
française. Mieux encore, la mise en œuvre de lois d’action positive est couramment admise en
matière sociale et fiscale. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que « la progressivité de l’impôt est
une forme de discrimination positive » (Conseil d’Etat, 1997, p. 87). En revanche, le recours à
des actions volontaristes au plan de la représentation politique suscitait les plus vives
réticences, dans la mesure où elles impliquaient une prise de distance avec l’individualisme
juridique qui est à la base de la pensée libérale. Dans la mesure aussi et surtout où, en France,
l’action positive passait pour contrevenir à l’universalisme révolutionnaire et au principe
d’égalité qui est « en tant que principe de non-discrimination un élément essentiel de l’héritage
républicain » (Conseil d’Etat, 1997, p. 19).
Le consensus a ainsi longtemps prévalu, chez la plupart des acteurs, à gauche comme à droite,
selon lequel l’Etat n’a pas à intervenir pour réguler les candidatures aux élections politiques ; et
que les partis politiques, et eux seuls, sont maîtres d’œuvre pour organiser à leur gré la
sélection des investitures, faire en sorte que cette sélection soit représentative ou non de la
société. A eux par conséquent revient d’appliquer ou de ne pas appliquer des quotas internes de
femmes, de jeunes, de membres des catégories défavorisés... pour qu’à l’arrivée, le « coût »
d’entrée en politique ne favorise pas déjà les plus favorisés. Les normes républicaines les plus
généralement partagées faisaient donc qu’on préférait le « laisser-faire » partisan - même
générateur de pratiques discriminatoires - au recours à des lois d’action positive.
Si une première tentative de loi de quota en matière de représentation politique avait été initiée
en 1982, sa légitimité en avait été immédiatement contestée sur la base de son
inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel. L’argumentation juridique, bien que connue,
mérite d’être rappelée, puisque l’invalidation de l’article de la loi municipale de 1982 (qui
introduisait un quota de 25 % de femmes sur les listes municipales) a été rendue au nom de
l’égalité des citoyens devant la loi, garantie par l’article 3 de la Constitution de 1958 et l’article
6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (Lochak, 1983). Ainsi, la morale
juridique de cette décision - qui faisait jurisprudence - faisait qu’un projet de loi ayant pour
objet d’assurer l’égalité réelle entre les sexes était déclaré caduc au nom même de l’égalité
abstraite entre les citoyens. « Ne découpez pas le démocratie en tranches, l’une pour les
hommes, l’autre pour les femmes, avait pu déclarer abruptement François Mitterrand en 1994 à
propos de la revendication paritaire (Jenson/Sineau, 1995, p. 311). Une position qui résumait
bien la position des républicains orthodoxes face à cette demande de droit.
Tel était le contexte français : l’histoire comme le droit semblaient se liguer pour repousser
toute acclimatation de l’action positive en politique. Cependant, la revendication paritaire, bien
que née dans un cercle assez étroit d’intellectuelles et de militantes féministes, au début des
années 90, a débouché politiquement en un délai court (moins de 10 ans). Comment en est-on
arrivé à inscrire dans l’agenda parlementaire, puis à faire voter, une réforme qui passait pour
contrevenir aux normes de l’universalisme républicain ? Réforme à laquelle les députés - y
compris ceux de gauche - se montraient majoritairement hostiles, trois ans auparavant, comme
en porte témoignage le sondage réalisé par Le Monde en mars 1997 (Sineau, 1998, pp. 74-
76) [2]. Pourquoi les représentants de la Nation ont-ils accepté de faire leur « nuit du 4 août » ?
1. 2. La parité pour ré-enchanter la politique
Il me semble que le processus de légitimation de la réforme paritaire a été facilité par deux
types de facteurs, intervenant les uns sur la scène internationale, les autres sur la scène
nationale.
Rôle moteur du droit international. Le rôle du droit international dans la mutation de la culture
juridique française paraît indéniable. C’est en effet grâce aux instruments juridiques
internationaux que la licité des lois de quota et de parité a progressivement gagné du terrain en
France. Depuis 1975 - déclarée année internationale de la femme par les Nations Unies - les
organisations internationales (l’ONU, mais aussi le Conseil de l’Europe et l’Union européenne)
ont opéré un travail de légitimation en profondeur des actions positives, les présentant comme
outil efficace pour rééquilibrer le pouvoir entre hommes et femmes. Une étape juridique
essentielle avait été franchie avec l’entrée en vigueur, en 1981, de la Convention des Nations
Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
(Convention à laquelle la France a adhéré en 1983). Cet instrument était doublement important.
D’une part parce qu’il prévoit l’élimination des discriminations fondées sur le sexe en assurant
aux femmes le droit de vote et d’éligibilité ainsi que le droit de prendre part à l’élaboration et à
l’exécution de la politique de l’Etat. D’autre part, parce que son article 4 (alinéa 1), qui pose le
principe d’un traitement de faveur temporaire, constitue la base juridique la plus souvent
évoquée des actions positives. Si le rôle de l’ONU a été capital, celui du Conseil de l’Europe
n’a pas été moins déterminant pour fonder juridiquement le concept d’action positive. Alors
qu’il a commandité plusieurs travaux sur le sujet (dont un premier rapport en 1986), il a aussi
été, au sens propre, l’inventeur du concept de « démocratie paritaire », ayant organisé en 1989
un séminaire sur ce thème (Sineau, 2004a p. 13).
Dans la rhétorique de justification du recours à l’action positive sur la scène française,
l’invocation des nouvelles normes internationales aura eu une grande place, maints auteurs
l’ont souligné. Eléonore Lépinard (2004) en particulier a bien montré que ces normes ont été
sollicitées avec un certain succès, comme ressources dans le débat national sur la parité ; et
qu’elles l’ont été par de nombreux acteurs, associations de femmes, réseaux d’expertes et
d’intellectuelles, députés ...
On notera que la France (comme d’autres démocraties occidentales) a développé un rapport à
l’action positive rigoureusement inverse à celui des pays d’Europe centrale et orientale. Dans
l’ancienne Europe communiste, les actions positives, en tant que legs idéologique du passé, ont
subi un processus de dé-légitimisation, suscitant après la chute du rideau de fer, une défiance
extrême des citoyens de base comme des responsables politiques. Toutefois, les enquêtes
récentes laissent deviner l’esquisse d’un retournement de l’opinion, qui semble moins hostile à
l’égard des quotas. C’est le cas en Tchécoslovaquie, depuis le milieu des années 90
(Forest/Sénac, 2004, p. 19).
Si la montée en puissance de la revendication paritaire a été facilitée par un contexte
international qui lui a été propice, elle l’a aussi été par une série d’opportunités intervenues
dans le cadre national.
La crise de la représentation. Plusieurs éléments ont joué pour accélérer l’inscription de cette
demande de droit nouveau dans l’agenda gouvernemental. Au premier rang d’entre eux on
nommera la crise politique, qui comme l’a rappelé Stéphane Rozès n’est pas une crise
démocratique, mais bien une crise de la représentation. Tant il est vrai que « c’est au nom de la
démocratie que les citoyens critiquent les hommes politiques » (Rozès, 2005 , p. 5). Ce malaise
dans la représentation touche d’autres pays européens, lié à l’affaiblissement de l’Etat-nation et
à l’entrée en scène de nouveaux acteurs (l’Europe politique, la globalisation financière...). Mais
il revêt en France une acuité particulière, pour plusieurs raisons cumulées : sclérose des partis
politiques, manque de représentativité des élus, pratique généralisée du cumul des mandats
(accentuant le phénomène d’accaparement du pouvoir par les mêmes) et enfin faiblesse
structurelle du Parlement sous la Ve République. Dans un contexte de perte de légitimité des
hommes politiques, la parité (comme la limitation du cumul de mandats) correspond aux
attentes profondes des Français de voir leurs élites se renouveler. Le sondage IFOF publié dans
L’Express du 6 juin 1996 a ainsi révélé qu’une forte majorité de Français des deux sexes
approuve toute une série de réformes qui seraient prises pour parvenir à l’égalité hommes-
femmes dans la vie politique (en particulier 77 % sont d’accord pour « modifier la Constitution
afin d’introduire la parité comme principe général »).
C’est donc l’acuité de la crise politique en France, qui a incité au réformisme institutionnel.
C’est elle qui a contribué à rendre impopulaire le monopole masculin sur la res publica.
Désormais - c’est une nouveauté - la marginalisation des femmes dans cette sphère est vue
comme un des symptômes d’un système représentatif « malade », et la parité comme un
remède possible à lui apporter. Les acteurs politiques prennent acte de ce désir profond de
réformes. De sorte que le thème de la féminisation des élites, va progressivement intégrer les
discours et les programmes, en particulier à partir de la présidentielle de 1995.
Le deuxième élément moteur a été l’arrivée de la gauche au pouvoir, en juin 1997, après la
dissolution décidée par le chef de l’Etat, Jacques Chirac. Lionel Jospin, candidat socialiste,
avait fait de la rénovation de la vie politique un des axes centraux de sa campagne.
(Auparavant, il avait rénové le PS, faisant voter en 1996 par les militants le principe d’un quota
de 30 % de femmes aux législatives). Devenu premier Ministre, il propose dès sa déclaration
de politique générale, le 19 juin 1997, un « nouveau pacte républicain fondé sur la
modernisation de notre démocratie » [3]. Deux réformes phares sont promises : la parité et la
limitation du cumul des mandats, qui toutes deux visent à renouveler le personnel politique. Le
pari était osé, compte tenu du contexte de cohabitation. Mais, le président de la République,
loin de s’opposer aux réformes institutionnelles voulues par la gauche, va reprendre à son
compte le thème - désormais populaire - de la modernisation et de la féminisation de la vie
politique.
Enfin, si la parité a fini par rallier une classe politique qui y était hostile, c’est aussi parce que
le nouveau concept paraissait résoudre la quadrature du cercle républicain : concilier l’égalité
des sexes et la prise en compte de la différence sexuelle. En effet, la double logique à laquelle il
se réfère, celle de l’égalité (50/50), qui colle à l’idéal républicain et celle de l’action positive,
beaucoup plus étrangère à cet idéal, a aidé à brouiller les cartes. Au cours des débats politiques,
de nombreux acteurs ont mis en exergue la logique égalitaire au détriment de celle des quotas.
C’est bien pourquoi dans le texte de loi lui-même, le mot « égalité » a été préféré à celui de
« parité ».
En définitive, la réforme paritaire avait fait d’autant plus consensus qu’elle avait suscité de
belles espérances : oxygéner une société politique passablement sclérosé et fermée. Sa mise en
œuvre via la loi du 6 juin 2000 a-t-elle pour autant répondu à l’objectif visé ?
2. La parité cinq ans après : les limites du changement
En février 2000, dès après l’adoption, en première lecture, de la loi dite de parité par
l’Assemblée nationale, l’historien René Rémond s’était risqué au pronostic suivant :
l’application de ce « texte fort contraignant » dès les prochaines élections au scrutin de liste
« entraînera un bouleversement dans la classe politique, dont notre vie nationale n’a pas connu
d’équivalent depuis 1945, pas même en 1958 ni en 1981 » [4].
La prévision s’avère, en un sens, exacte [5]. Pourtant - la réserve est de taille - le pronostic
taisait l’essentiel : à savoir que le bouleversement annoncé ne toucherait que la vie politique
locale. Les municipales et les régionales sont en effet les seules élections au scrutin de liste
pour lesquelles on savait a priori que l’effet de la loi jouerait à plein. Pour les autres scrutins de
liste, en revanche, il était facile de prévoir a contrario que la loi aurait des effets moins
spectaculaires. Ou bien parce que le scrutin réglait l’élection d’une assemblée déjà très
féminisée : ainsi la délégation française au Parlement européen - élue à la proportionnelle
intégrale et moins convoitée par les hommes - comportait déjà plus de 40 % de femmes à
l’issue des européennes de 1999 (Sineau, 2005, p. 308). Ou bien parce que le scrutin de liste ne
concernait qu’une partie des sièges à pourvoir, comme dans le cas des élections sénatoriales.
Depuis la réforme de 2003, les sièges sénatoriaux élus au scrutin de liste proportionnel sont
encore moins nombreux qu’auparavant (ils ne concernent plus que les départements ayant 4
sièges ou plus, contre précédemment ceux ayant au moins 3 sièges). Désormais, seule la moitié
des sièges du Sénat sont élus au scrutin de liste proportionnel, contre les deux tiers auparavant.
De fait, cinq ans après le vote de la loi du 6 juin 2000, le bilan à tirer en terme de changement,
apparaît fort contrasté. Si on doit à la nouvelle législation une rotation accélérée d’une partie
des élites locales, elle n’a guère entamé la composition des élites nationales, laissant par
ailleurs persister l’essentiel des inégalités hommes/femmes face au pouvoir politique.
2.1. Rotation accélérée du personnel politique local
Les résultats des municipales de 2001 et des régionales de 2004 sont connus : je ne reprendrais
que quelques chiffres, élémentaires, mais parlants.
Un processus de féminisation sans précédent La loi du 6 juin 2000 a provoqué un processus de
féminisation sans précédent des élus municipaux et régionaux. La première application de la loi
aux municipales de 2001 (pour les seules villes de 3 500 habitants et plus), a permis de faire
passer la part des femmes conseillères municipales de 25,7 % à 47,5 %, soit une augmentation
inédite de près de 85 %. Aux régionales de mars 2004, la progression, quoique forte, a été
quelque peu freinée par la réforme électorale de 2003 : en rétrécissant le cadre géographique,
celle-ci a atténué l’effet proportionnel et donc la dynamique paritaire [6]. La part des
conseillères régionales est pourtant passée de 27,5 % en 1998 à 47,6 %, soit une augmentation,
là encore inédite, de plus de 70 %. Désormais, les Françaises siègent donc à quasi parité avec
les hommes dans deux types d’assemblées : les municipales et les régionales. C’est là un point
d’avancée incontestable, dû à la loi du 6 juin 2000.
Une nouvelle sociologie des élites. Deuxième effet de la loi, qui se déduit de la féminisation
engendrée : elle a contribué à diversifier le recrutement du personnel politique local. Celui-ci
présente aujourd’hui un nouveau visage, sociologique et politique.
Nouveau visage sociologique : l’entrée en masse des femmes dans les élites locales a entraîné
leur rajeunissement. On en donnera quelques exemples chiffrés. S’agissant des conseillères
municipales, plus du quart d’entre elles ont moins de 40 ans (contre 15 % des hommes) et 7 %
n’ont pas encore atteint 30 ans (contre moins de 4 % des hommes). A l’autre extrémité de
l’échelle des âges, elles se comptent en moins grand nombre parmi les seniors de 60 ans et plus
(11 % contre près de 20 % des hommes) (Sineau, 2001, p. 272).
Si les femmes n’insufflent pas la même jeunesse aux conseillers régionaux (étant très rares
parmi les moins de 30 ans), au moins leur donnent-elles un âge moins avancé. Elles viennent,
d’un côté, grossir les tranches intermédiaires : quelque 44 % d’entre elles ont un âge compris
entre 30 et 49 ans contre 34 % des hommes. De l’autre, elles font diminuer la part des seniors
(on ne compte parmi elles que 11,5 % de 60 ans et plus contre plus de 20 % chez les hommes).
Les femmes contribuent ainsi à rééquilibrer la pyramide des âges, même si les quinquagénaires
restent la génération « charnière », formant plus de 40 % des élus régionaux (considérés
globalement). On y voit la preuve que pour avoir les meilleures chances d’être investie et élue
à cet échelon, y compris avec l’incitation paritaire, il faut disposer d’une expérience politique,
qui ne s’acquiert qu’avec l’âge (Sineau, 2004b, p. 13).
La dynamique paritaire a aussi contribué à diversifier le recrutement social. Rajeunissement et
diversification vont d’ailleurs parfois de pair. Ainsi, à l’échelon municipal, la part des étudiants
- population jeune par excellence - est deux fois plus importante chez les femmes élues. En
sens inverse, les retraités - catégorie âgée par définition - voient leur part diminuer dans les
élites locales, sous l’effet de la féminisation. Quelques chiffres en donnent la mesure. Parmi les
élus municipaux, à peine plus de 10 % des femmes sont retraitées contre près de 20 % des
hommes ; parmi les élus régionaux, c’est le cas de 5 % des premières contre 8 % des
seconds [7]. La diminution du vivier des retraités a pour pendant l’augmentation des « sans
profession », catégorie féminine par excellence, même si elle est de composition très
hétérogène. Les femmes au foyer participent désormais au recrutement des élites locales : les
conseillères municipales comptent en effet 15 % de « sans profession » (contre moins de 3 %
chez les hommes), les conseillères régionales 10,6 % (contre 3,5 % chez les hommes). Si toutes
les enquêtes montrent que l’exercice d’une profession est pour une femme la meilleure
propédeutique à la politique active, constatons qu’au niveau local il en va un peu différemment.
Le troisième effet induit par la féminisation est une diversification de statut professionnel. Au
niveau municipal, plus du tiers provient, chez les femmes comme chez les hommes, des
salariés du secteur privé ; cependant la singularité du recrutement féminin est de comporter
plus de professions libérales (6 % contre moins de 3 % chez les hommes) mais moins de
patrons de l’industrie et du commerce (4 % contre 8 %). Au niveau régional, les femmes sont
plus souvent recrutées parmi les salariés du privé (19,2 % contre 13,8 %), les hommes étant
plus souvent patron de l’industrie et du commerce (12 % contre 5 %). On notera aussi que
certaines professions, très féminisées, et jadis peu présentes, sont aujourd’hui moins rares dans
les hémicycles régionaux (employés du secteur privé, salariés du secteur médical, assistantes
sociales...).
Dernier effet, qui va moins dans le sens d’une diversification que d’une densification d’un
bassin traditionnel de recrutement : la féminisation a encore accru la part des enseignants et
fonctionnaires. En l’absence d’un statut de l’élu local, le statut de la fonction publique (avec
ses possibilités de mise en détachement et en disponibilité...) représente bien un filet de
protection dont les femmes ont (encore plus) besoin pour entrer en politique. Au niveau
municipal, elles sont sensiblement plus nombreuses que les hommes à appartenir à ce milieu
(20 % contre 16 %). Au niveau régional, reconnaissons que si la part des
enseignants/fonctionnaires a beaucoup augmenté en 6 ans, passant de 23 % en 1998 à près de
30 %, elle s’explique plus par le changement de majorité, de droite à gauche, [8] que par la
féminisation proprement dite : si 31 % des conseillères régionales élues en 2004 sont
enseignants et fonctionnaires, c’est le cas aussi de 28,5 % des hommes. La différence existe
mais est plus ténue qu’au niveau municipal.
Last but not least, l’enquête menée auprès des conseillers régionaux en novembre 2005 par
l’Association des Régions de France (ARC) révèle que les élues de sexe féminin sont plus
souvent issues de l’immigration (11,5 % contre 6,5 % chez les hommes) [9].
Offrant un autre visage sociologique, les élites locales féminisées de l’ère paritaire présentent
aussi un autre profil politique, plus ouvert et diversifié. Au niveau municipal, près des trois
quarts des conseillères (72 %) sont étiquetées « divers gauche » « divers » ou « divers droite »,
(contre 56 % des hommes). Ce qui signifie que les femmes (surtout dans les petites
municipalités) sont plus souvent recrutées hors du milieu partisan, venant du secteur associatif
ou de la société civile. « Cette prédominance des non-encartées sur les encartées parmi les
élues s’explique en partie par la valeur conférée par les têtes de liste aux candidatures
féminines extérieures aux partis » (Paoletti, 2005, p. 317). Cette plus forte implantation dans la
société civile semble se retrouver au niveau régional : d’après l’enquête ARF 2005, quelque 20
% des élues (contre 13 % des hommes) déclarent que si elles ont été désignées comme
candidates, c’est parce qu’elles étaient « actives dans le milieu associatif » ou parce qu’elles
étaient une « personnalité de la société civile de la région ». Autre trait distinctif, au niveau
régional : les nouvelles élues se recrutent moins souvent parmi les notables cumulards. A peine
5 % des conseillères régionales élues (ou réélues) en 2004 ont un autre mandat ou fonction
électif, contre 10 % des hommes [10].
Ainsi, les conseils municipaux et régionaux, devenus assemblées quasi paritaires, se sont
muées en véritables laboratoires d’analyse. Les enquêtes à venir diront si cette féminisation à
« marche forcée » est porteuse d’autres mutations : dans les pratiques et mœurs des acteurs
mais aussi dans le contenu même des politiques élaborées.
2.2. Inégalité persistante des femmes face au pouvoir politique
Si la loi a bel et bien provoqué un bouleversement sans précédent du personnel municipal et
régional, elle n’a pas diffusé au-delà. Loin de réduire l’inégalité des femmes face au pouvoir,
elle n’a fait qu’accentuer le phénomène, en le réifiant. L’inégalité politique hommes/femmes
revêt un double visage : suivant les types d’assemblées, et suivant les niveaux hiérarchiques de
celles-ci.
Inégalité entre assemblées. La loi a échoué à provoquer, par capillarité, une dynamique de
féminisation des assemblées élues au scrutin uninominal. Pour les cantonales, et les sièges
sénatoriaux élus au scrutin majoritaire - qui échappent à toute contrainte paritaire, ne faisant
pas partie du champ de la loi - aucun effet d’entraînement n’a été perceptible [11]. Quant aux
législatives, les partis politiques parlementaires (sauf les Verts) ont mis tout en œuvre pour
torpiller le dispositif de parité incitative prévu par la loi (via des pénalités financières pour les
contrevenants à la règle paritaire). A droite, les deux grands partis, l’UMP et l’UDF n’ont
présenté respectivement que 20,6 % et 18,9 % de femmes candidates, n’en faisant élire que
10,4 % et 6,8 %. A gauche, le PS et le PC n’ont investi que 36,3 % et 44 % de femmes, n’en
faisant élire dans leur groupe respectif que 16,3 % et 19 % (Sineau, 2002).
Ce dévoiement du principe paritaire par les partis aux législatives de 2002 tend à démontrer la
nécessité d’un dispositif vraiment coercitif. En l’absence d’obligation, les formations partisanes
ont continué, comme avant, de privilégier les candidatures masculines dans la sélection des
investitures, afin d’optimiser la logique du scrutin uninominal (Sineau/Tremblay). Une logique
que l’on qualifiera d’« électoraliste », puisqu’elle conduit les sélecteurs partisans locaux à
donner la prime aux candidats ayant le plus de chances de remporter l’élection. Qui sont ils,
sinon ceux qui sont les plus connus des électeurs de la circonscription : à savoir les sortants et
les notables locaux (maires, conseillers généraux ...), en majorité de sexe masculin. C’est
pourquoi, les grands partis (sauf les verts) ont tous trahi le rôle que leur octroyait l’article 4
modifié de la Constitution : contribuer à mettre en œuvre le principe d’« égal accès des femmes
et des hommes aux mandats électoraux ». Ils ont préféré renoncer à l’intégralité du
financement public auquel ils avaient droit plutôt que de mettre en péril la réélection des
députés de leur groupe, ce à quoi conduisait, à leurs yeux, le fait de présenter de nouvelles
venues, souvent dépourvues de notabilité locale. Ainsi, on mesure les impasses auxquelles a
conduit une loi mal pensée (ou trop bien pensée par les représentants mâles de la Nation). A
l’entrée en masse des femmes dans les conseils municipaux et régionaux s’oppose le
« verrouillage » de l’accès au Parlement comme à celui des conseils généraux - antichambres
de la carrière parlementaire. Plus que jamais la loi a constitué ces assemblées en bastions
masculins inexpugnables. Au niveau symbolique, on constatera que l’Assemblée nationale
paraît toujours tenir lieu de rempart au pouvoir républicain mâle, alors même que les lois se
font de plus en plus à Strasbourg, dans l’hémicycle européen. Autre paradoxe, la Chambre
basse est aujourd’hui moins féminisée que le Sénat (12,3 % de femmes contre 16,9 % à la
Chambre haute), pourtant fort de longues traditions antiféministes.
Loin de gagner du terrain dans le palmarès international, la France a encore régressé quant à la
proportion de femmes députées : elle se situe aujourd’hui au 81e rang (classement de l’Union
interparlementaire de octobre 2005). On mesure par là l’échec d’une loi, dont l’objectif premier
était d’avoir un effet de « rattrapage ». Cinq ans après, l’Assemblée nationale française est plus
que jamais stigmatisée en raison de sa masculinité, comme d’ailleurs de sa clôture sociale.
Inégalité hiérarchique au sein d’une même assemblée Si le mouvement de féminisation a
touché les élus de base des assemblées, il a épargné le sommet des exécutifs. La proportion de
femmes maires stagne à 10,9 % (contre 7,5 % en 2001). Ce sont donc les hommes qui
continuent de détenir la réalité du pouvoir municipal. A l’étage supérieur, parmi les présidents
de structures intercommunales (ou Etablissements Publics de Coopération Intercommunal), qui
regroupent 88 % des communes et plus de 52 millions d’habitants, les femmes se raréfient
encore davantage : on n’en compte plus que 5,4 %. Encore leur présence diminue-t-elle à
mesure que l’on monte dans la hiérarchie de l’intercommunalité : si 5,5 % président des
communautés de communes, elle ne sont plus que 4,4 % parmi les communautés
d’agglomération, tandis que les 14 présidents de communautés urbaines n’admettent aucune
femme parmi eux. C’est dire si la féminisation des villes est hiérarchisée, reflétant les enjeux
de pouvoir sous-jacents à la division sexuelle du travail politique. Au niveau régional, les 26
présidents de conseils régionaux ne comptent qu’une seule femme, la socialiste Ségolène
Royal, qui a conquis sur la droite la région Poitou-Charente lors des élections de 2004. Les
hommes ont pu si bien conserver un contrôle jaloux sur les exécutifs que la loi du 6 juin 2000
ne leur impose aucune contrainte à ce niveau, alors pourtant - c’est un autre paradoxe - qu’elle
a (aussi) pour objet de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions
électives [12].
La « nouvelle féodalité républicaine » (Hureaux, 2004) est donc est restée aux mains des
hommes, qui cumulent souvent ces fonctions exécutives avec des mandats locaux ou
nationaux. C’est précisément l’accumulation qui fonde le pouvoir de ces « féodaux ». Comme
l’écrit Bernard Roman, « La culture du rapport au pouvoir dans le monde politique français, la
culture de la concentration du pouvoir qu’ont les élus, c’est-à-dire les hommes (....) constitue
un frein particulièrement fort à la reconnaissance de la parité » [13].
On attendait de la réforme paritaire - comme de celle de la limitation du cumul des mandats -
qu’elle soit un outil privilégié pour accélérer la rotation et l’ouverture des élites politiques à
tous les niveaux. Or, la leçon à tirer des nombreux scrutins qui ont eu lieu depuis 5 ans est que
le renouvellement réalisé est très partiel ; il ne concerne qu’une partie des élites locales,
épargne presque totalement la représentation nationale. Ces deux réformes ont été impropres à
réduire le coût d’accès au parlement, sous le double critère de l’appartenance sexuelle et de la
détention préalable de mandats locaux. A l’issue des législatives, près de 90 % des bancs de
l’Assemblée nationale sont occupés par des hommes, qui, pour la plupart, sont en état de
cumul. La société politique française apparaît bien en situation d’archaïsme et de blocage. Sous
ce registre, l’échec de la réforme paritaire n’est qu’un aspect particulier de la crise - non
résolue - des institutions politiques de la Ve République. C’est la raison pour laquelle les
projets de réforme se mettent à refleurir, notamment à gauche dans les rangs du PS. Parmi les 5
motions déposées pour le Congrès du Mans (18-19 novembre 2005), pas une qui ne développe
des ambitions réformatrices en direction des institutions de la V République (interdiction totale
du cumul, extension de la loi du 6 juin 2000 aux exécutifs, renforcement des pouvoirs du
Parlement, voire suppression du Sénat...). L’échec de la rénovation des élites, sur fond de crise
partisane, explique aussi pourquoi les Français n’ont pas retrouvé confiance en leurs élus. Le
sondage CSA réalisé pour Le Parisien [14] en septembre 2005 donne à voir que le fossé entre
les Français et leurs représentants, loin de se combler, ne fait que se creuser encore davantage :
71 % des Français ont une mauvaise image des hommes politiques (ceux-ci arrivant bons
derniers sur une liste comportant une série de neuf « professionnels »), 85 % pensent qu’ils se
préoccupent d’abord de leur carrière, 78 % pensent qu’ils ne connaissent pas les
préoccupations des Français, 76 % ne leur font pas confiance (dont 37 % pas confiance du
tout), 55 % pensent qu’ils sont plus archaïques que nombre de leurs homologues européens,
enfin plus de 80 % d’entre eux voudraient plus de jeunes et de femmes parmi les élus,
notamment au Parlement.
Conclusion
La parité n’est pas l’égalité. Ou plus précisément, la parité promue par la loi du 6 juin 2000
débouche sur une égalité « introuvable » (Lépinard, 2004). En dépit d’une féminisation
accélérée des assemblées locales, l’inégalité des femmes face au pouvoir politique perdure. La
division sexuelle du travail politique, et la hiérarchie des genres qui la sous-tend, sont même
plus accusées en France que dans nombre de pays européens, pourtant dépourvus de toute
législation coercitive. Preuve s’il en est que les quotas partisans peuvent être plus efficaces que
les quotas légaux (surtout lorsqu’ils s’appliquent à des scrutins de liste).
Ce constat d’échec, ou de semi-échec de la loi doit être tempéré par une considération plus
positive, liée à la force symbolique de la loi. Les sociologues du droit ont montré que des lois
inefficaces, c’est-à-dire sans effets immédiats sur les pratiques, pouvaient avoir, après coup,
des effets symboliques importants, en modifiant les représentations [15]. On peut faire le pari
que la loi du 6 juin 2000 sera un instrument de légitimation de la présence des femmes dans la
sphère politique et publique. Elle l’est déjà, si l’on admet que l’élection de Laurence Parisot à
la tête des patrons français, est un changement qui a valeur de symbole, dans un milieu, celui
des entreprises, où le degré de masculinité du pouvoir n’a rien à envier au milieu politique [16].
Références Bibliographiques
Association des Régions de France (ARF) (2005) Enquête auprès des conseillers régionaux,
novembre 2005, Consultation réalisée par Le Fil, en partenariat avec IPSOS. www.arf.asso.fr.
Conseil d’Etat (1997) Rapport public 1996. Sur le principe d’égalité, Paris, La Documentation
française.
Forest Maxime, Sénac-Slawinski Réjane (2004) « Universalisme versus Egalitarisme.
Contextes et arguments comparés des débats sur la participation politique des femmes en
France et en République tchèque », Transitions, vol. XLIV, n°1, pp. 59- 78.
Hureaux Roland (2004) Les nouveaux féodaux. Le contresens de la décentralisation, Paris,
Gallimard.
Jenson Jane, Sineau Mariette (1995) Mitterrand et les Françaises. Un rendez-vous manqué,
Paris, Presses de Sciences Po. _Lépinard Eléonore (2004) L’égalité introuvable. Stratégies de
légitimation et mise en œuvre de la parité politique en France, thèse de sociologie soutenue le
16 décembre 2004.
Lochak Danièle (1983) « Les hommes politiques, les ‘sages’ ( ?) ... et les femmes (à propos de
la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982) », Droit social, 2, février, pp.
131-137.
Paoletti Marion (2005) « Femmes et partis politiques » in Margaret Maruani dir. Femmes,
genre et sociétés. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, pp. 315-322.
Rozès Stéphane (2005) « Aux origines de la crise politique », Le débat, n° 134, mars-avril
2005, pp. 4-18.
Sineau Mariette (2005) « Femmes (représentation des femmes au Parlement européen depuis
1979) in Yves Deloye dir. Dictionnaire des élections européennes, Paris, Economica, pp. 306-
310.
Sineau Mariette, Tremblay Manon (2005) « Représentation parlementaire des femmes et
système uninominal. Une comparaison France/Québec », communication au Congrès des
quatre pays, (1er congrès commun des associations suisse, française, belge communauté
francophone et de la société québécoise de science politique), Lausanne, 18-18 novembre
2005.
Sineau Mariette (2004a) Parité - Le Conseil de l’Europe et la participation des femmes à la vie
politique, Strasbourg, Editions du Conseil de l’Europe.
Sineau Mariette (2004b) « Parité 2004 : les effets pervers de la loi », Revue politique et
parlementaire, n° 1031, juillet-septembre 2004, pp. 153-160.
Sineau Mariette (2002) « La parité en peau de chagrin », Revue politique et parlementaire,
n°1020-1021, septembre-décembre, pp. 211-218.
Sineau Mariette (2001) Profession : femme politique. Sexe et pouvoir sous la Cinquième
République, Paris, Presses de Sciences Po.
Sineau Mariette (1998) « La féminisation du pouvoir vue par les Français-es et par les hommes
politiques », in Jacqueline Martin dir. La parité. Enjeux et mise en œuvre, Toulouse, Presses
Universitaires du Mirail, pp. 61-81. _
[1] Sur ce point, je rejoins Joan W. Scott, Parité ! L’universel et la différence des sexes, Paris,
Albin Mich, p. 8 : « Souvent, on parle en France de ‘discrimination positive’, mais l’expression
est impropre. Pour éviter toute connotation péjorative, d’autres pays francophones parlent
couramment d’« action positive », terme qui sera utilisé dans cette traduction ».
[2] A cette date, plus des ¾ des députés repoussaient l’hypothèse d’inscrire dans la Constitution
le principe de parité entre les hommes et les femmes dans les assemblées. Les seuls partisans
inconditionnels de cette modification constitutionnelle étaient les communistes (79 % de oui).
Les socialistes étaient divisés, les anti (45 %) étant cependant plus nombreux que les pro (42
%).
[3] Voir à ce sujet le discours d’investiture de Lionel Jospin, le 19 juin 1997. Cf. Mariette
Sineau, Profession : femme politique, Paris, Presses de Sciences Po, p. 188-189.
[4] René Rémond, Préface à L’année politique, économique et sociale, Paris, Ed. Evénements
et Tendances, février 2000, p. 19.
[5] Elle avait d’ailleurs peu de chances d’être démentie par les faits, compte tenu de la teneure
de la loi : en imposant obligatoirement aux partis une parité alternée des candidats sur les listes,
la législation imposait par là même, à l’arrivée, une quasi parité des élus.
[6] La réforme a introduit des sections départementales sur les listes régionales. Toutefois, le
gouvernement a accepté de modifier la loi du 6 juin 2000 : au lieu d’imposer la parité par
groupe de six candidats (comme cela est la règle dans les scrutins à deux tours), celle-ci s’est
appliquée au sein des sections départementales selon la règle de l’alternance un homme/une
femme du début à la fin de la liste.
[7] Il est vrai qu’en 6 ans, le tarissement du vivier « retraités » s’est fait sentir aussi chez les
hommes. Entre 1998 et 2004, le nombre de conseillers régionaux « retraités » a diminué de
moitié, passant de 13,8 % à 6,9 %.
[8] On connaît les affinités électives qui existent entre la gauche socialiste et le milieu
enseignant-fonctionnaire. Inversement la droite recrute davantage parmi les patrons du
commerce et de l’industrie et les professions libérales : c’est pourquoi ces deux catégories sont
en diminution, passant de 24,2 % en 1998 à 29,6 % en 2004.
[9] Questionnaire auto-administré (Internet/version papier) diffusé aux 1881 conseillers
régionaux. 630 questionnaires complets ont été exploités (retour de 34 %).
[10] Le mandat le plus souvent détenu est celui de parlementaire : 22 femmes et 77 hommes
conseillers régionaux siègent en même temps à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
[11] Aux cantonales de 2004, les femmes ne sont que 10,9 % parmi les conseillers généraux
renouvelés, ce qui représente une quasi stagnation par rapport au renouvellement de 1998 (8,6
%), comme à celui de 2001 (9,8 %). Aux dernières sénatoriales, le nombre de femmes élues
dans les départements avec scrutin majoritaire a été dérisoire : en 2001, elles étaient 2 sur 28
sièges, soit 7,1 % ; en 2004, elles étaient moins nombreuses encore : 2 sur 45, soit 4,4 %.
[12] Seuls les postes de vice-présidents de Conseils régionaux s’entrouvrent à la mixité. Ainsi à
l’issue des élections de 2004, plus du tiers de ces fonctions étaient occupées par des femmes,
contre 15 % en 1998 (Sineau, 2004, p. 154). L’enquête de ARF (2005) révèle d’ailleurs que 73
% des conseillers régionaux seraient favorables à ce que la loi impose la parité dans la
composition des exécutifs régionaux.
[13] Bernard Roman, intervention au Colloque « Cinq ans après la loi : parité mais presque »,
Assemblée nationale, XIIe législature, Délégation aux droits des femmes, p. 21.
[14] Le Parisien du 10 octobre 2005, sondage réalisé les 6 et 7 octobre 2005 auprès d’un
échantillon national représentatif de 988 personnes.
[15] Cf. Jacques Commaille et al. Le divorce en Europe occidentale. La loi et le nombre, Paris,
INED, 1983.
[16] Il n’y a que 4,5 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises
françaises.
LE CHANGEMENT SOCIAL
Intervention de
M. Gilles Férréol
professeur de Sociologie à l'Université de Lille
SOMMAIRE
• Introduction:
• 1. Auguste COMTE
• 2. Emile DURKHEIM
• 3. Karl MARX
• A. Alexis de Tocqueville
• B. Max WEBER
• 1. Le modèle bureaucratique
• 2. La critique du modèle
INTRODUCTION
Théories fondées sur le " primum mobile ", c'est à dire l'explication d'un phénomène par une cause
unique.
1. Auguste COMTE
- Vision évolutionniste des sociétés à travers 3 grands stades , d’abord « l’état théologique » puis «
l’âge métaphysique » où les hommes sont plus libres et enfin « l’âge positif », phase de
l’émancipation grâce à la science qui amène le progrés économique et l'évolution des esprits.
- Constructivisme Comtien où le changement social est compris à partir de lois et qui est structuré
au travers d’étapes que les sociétés doivent franchir.
Passage des sociétés primitives fondées sur la solidarité mécanique aux sociétés modernes fondées
sur la solidarité organique, que l’on peut expliquer par l’augmentation de la densité morale
( croissance des individus et de leurs relations sur un même territoire).
La division sociale du travail, liée à la progression de la densité morale est au coeur de cette
nouvelle solidarité et permet de compenser l’affaiblissement de la « conscience collective » par de
nouveaux liens sociaux créés par la spécialisation.
L’originalité de Durkheim, par rapport à Smith, est d’ajouter une dimension d’intégration sociale à
la division du travail.
Durkheim va insister sur la dérégulation sociale liée à la division du travail, en insistant sur ses
formes anomiques et il va préconiser le développement des corps intermédiaires ( corporation,
atelier, association...).
Mais Durkheim est un théoricien de l’intégration.
Modifications du droit = répressif dans les « sociétés primitives », restitutif dans les sociétés
modernes.
Exemples concrets de communauté: une église où il y a le même engagement, les mêmes transferts
( rites) ou une foule revendicatrice dans laquelle on éprouve les mêmes frissons, métaphore de la
fusion ( la solidarité entre nous prévaut ).
Cf. Tonnies « Socialisation communautaire » et « socialisation sociétale ».
Synthèse: Toutes les conceptions sont fondées sur le déterminisme ( " primum mobile " ),
l'évolutionnisme et le finalisme.
Pour ces auteurs, le changement s'explique et a un aboutissement.
Issu d'une famille bas-normande qui joue un rôle clé dans l'ancien régime, il a une formation
juridique et devient substitut. Il demande un congé à l'administration et part avec son ami
Gustave de Beaumont, aux E-U pour faire une comparaison internationale sur la situation des
prisonniers.
1. Le modèle bureaucratique:
• Pour Weber la bureaucratie, symbole de modernité, est légitime car efficace.
Le corps des bureaucrates est au service de l'intérêt général ( contrairement à Marx pour
qui les bureaucrates sont des parasites ).
• L' "idéal type" bureaucratique suppose:
• des régles explicites
• une hiérarchie non arbitraire fondée sur la méritocratie.
• une codification par l'écrit ( on sait qui a fait quoi ).
• une séparation stricte entre la vie privée et la vie professionnelle ( entre la fonction et la
personne ).
2. La critique du modèle:
• Critiques des néo-machiavéliens (Michels-1911) " Loi d'airain de l'oligarchie ".
Dans les organisations, une caste de professionnels confisque le pouvoir et ne pense qu'à
sa réélection. Situation de népotisme face à laquelle la collectivité a peu de parades alors
que l'intérêt collectif est oublié.
• Critiques de l'OST ( années 20: Ecole des relations humaines, E. Mayo, K. Lewin...).
Le modèle bureaucratique ne tient pas assez compte de la dynamique de groupe et des
dimensions informelles.
Toutes ces analyses ont un objectif, chasser le conflit.
• Analyse stratégique des années 50: Michel Crozier ( 1963: " le phénomène
bureaucratique ").
Les théories jusqu'à présent ont une approche holiste et un but utilitariste. L'analyse
stratégique qui est celle de M. Crozier est fondée sur l'individualisme méthodologique et a
des visées cliniciennes.
L'idée fondamentale est qu'il est irrationnel d'être trop rationnel.
Dans cette sociologie des organisations, la bureaucratie engendre l'inefficacité et
empêche la prise de décisions. Ex: Construction du RER à Paris, Campus de Nanterre.
Effet de seuil:
• Dans les organisations bureaucratiques, plus l'affaire est complexe, moins elle est
prise en considération par les différents échelons et plus son traitement est rapide.
• Les décisions ne sont pas longues forcément en proportion de leur importance.
• Il existe à l'intérieur des organisations hiérarchisées, des alliances, des contre alliances,
des contrats non définitifs...
BIOGRAPHIES
Auguste COMTE
(1798-1857) : " Cours de philosophie positive " (1830-1842)
Théoricien de l'évolutionnisme : - des sociétés (de la "société théologique" et "militaire" à la
"société scientifique" et " industrielle") - des sciences et de l'esprit humain : l'esprit humain est
passé de l'âge "théologique" à l'âge "métaphysique" puis à l'âge "positif". On est passé "des
sciences analytiques" ( math, physique, chimie ) aux sciences "synthétiques" ( biologie,
sociologie ).
"De la division du travail social" (1893) - "Les régles de la méthode sociologique" (1895) - "Le
suicide" (1897) - " Les formes élémentaires de la vie religieuse" (1917) -
La sociologie a pour Durkheim un objectif : étudier les faits sociaux qui sont considérés comme
extérieurs aux individus et qui donc peuvent être analysés de façon scientifique (il faut expliquer
les faits sociaux par d'autres faits sociaux). Importance de la "conscience collective" et du lien
social.
( 1818-1883 ) : "Le manifeste du Parti Communiste" ( avec Engels en 1848 ) - "La lutte des
classes en France" (1849-1850) - "Contribution à la critique de l'économie politique" (1859) -
"Le Capital" (trois tomes à partir de 1867)...
Au moyen du matérialisme historique et de la dialectique Marx met en valeur les contradictions
du Mode de Production Capitaliste et son inéluctable dépassement.
Alexis de TOCQUEVILLE
Max WEBER
DEFINITIONS
:
Solidarité sociale : liens de dépendance et d'obligations réciproques entre membres d'une même
collectivité.
Solidarité mécanique: solidarité fondée sur la similitude entre les personnes et sur le partage des
mêmes valeurs ( elle caractérise les " communautés").
Solidarité organique: solidarité fondée sur la complémentarité entre les individus dans le cadre
de sociétés à forte division du travail.
répressif: droit qui a pour objectif de punir en privant l'individu fautif de quelque chose.
restitutif: droit qui a pour objectif de remettre les choses en état ( droit fondé sur le principe de
compensation ).
infrastructures:
Représentent chez Marx la combinaison des rapports sociaux de production et des forces
productives.
• Les rapports sociaux de production sont les rapports qu'entretiennent les hommes entre
eux en fonction des relations qu'ils ont avec les moyens de production ( propriété,
utilisation, contrôle...).
• Les forces productives regroupent les outils de production, les techniques, l'organisation
du travail et la force humaine physique ou intellectuelle.
superstructures:
Elles comprennent chez Marx, l'organisation juridique, politique, idéologique et morale (systéme
de valeurs) qui dépend des infrastructures.
Egalisation des droits (attention, ce n'est pas toujours l'égalisation des conditions de vie!).
Idéal type
: Construction d'un modéle à partir des traits principaux de la réalité. L'objectif n'est pas de
traduire cette réalité mais d'aider à mieux la comprendre.
CHANGEMENT SOCIAL:
cf."le processus du changement social", deuxième partie du programme de terminale ES, étudié
dans le cadre de l'analyse des processus du développement économique et social.
Quatre thèmes sont abordés dans cette partie:"changement et solidarités sociales", "changement
et conflits", "changement et valeurs" et "Démocratie et inégalités" ( B.O. du 15/12/1994)
Rapidement, Bourdieu a précisé cette position en reconnaissant aux acteurs la capacité de
développer des stratégies, afin notamment de "faire face à des situations imprévues et sans
cesse renouvelées" (3). Mais ces stratégies s'exercent dans le cadre d'un habitus toujours
défini comme : "principe générateur et organisateur de pratiques et de représentations qui
peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et la
maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre" (4). En fait, il s'agit donc
avant tout de stratégies de reproduction.
Ce principe a été souvent critiqué (5). Sans partager nécessairement les propositions
alternatives proposées, nous réitérons cette critique importante. Les acteurs sont en effet
souvent conscients de leur situation de dominants ou de dominés. Ils sont au moins
partiellement conscients des mécanismes par lesquels s'exerce cette domination et ils peuvent
y résister. Sinon, comment expliquer la contestation sociale et politique, ainsi que les
changements qui en résultent ?
Prenons l'exemple de la domination masculine. Si les individus étaient totalement enfermés
dans les habitus, il n'y aurait jamais eu de mouvement féministe, ce mouvement n'aurait
jamais trouvé de soutiens masculins sincères et il n'aurait jamais eu d'impact politique et
juridique. Or, il y a depuis plus d'un siècle des mouvements féministes partout dans le monde.
Ils ont rencontré de nombreuses résistances mais aussi des soutiens essentiels chez les
hommes.
Un système fixiste
De fait, la liste des conquêtes des femmes depuis un demi-siècle est impressionnante si l'on
prend un minimum de recul historique. L'égalité des droits civiques, politiques, sociaux et
familiaux entre hommes et femmes a considérablement progressé au cours de la seconde
moitié du XXème siècle, ce qui rend très contestable le choix de Bourdieu de prendre la
situation de la femme kabyle comme exemple "paradigmatique" (6). Les femmes ont
notamment obtenu le droit de vote et l'éligibilité (1944), la mise en place de la mixité dans
l'enseignement secondaire (1959), la suppression de la tutelle maritale (1965), le remplacement
de la notion de " père de famille " par celle d'" autorité parentale conjointe " (1970),
l'instauration du divorce par consentement mutuel (1975), la dépénalisation de l'avortement
(1975), la répression des discriminations sexuelles à l'embauche (1975), une meilleure
répression du viol (1980), l'égalité professionnelle entre hommes et femmes (1983), l'égalité
complète des époux dans la gestion du patrimoine de la famille (1984), la création du délit de
harcèlement sexuel dans les relations de travail (1992) et enfin la parité politique le 28 juin
1999. Ainsi, en droit, la domination masculine est pratiquement cassée. Bien sûr, l'évolution
est beaucoup plus lente dans les pratiques et dans les mentalités. Mais on ne peut pas faire
l'économie d'une analyse des causes de ces changements juridiques et de leurs conséquences
sur ces pratiques et ces mentalités.
A travers on aperçoit déjà le deuxième problème, celui du changement, de l'historicité. Le
système d'explication sociologique de Bourdieu est un système fixiste, un système de la
reproduction et non de l'évolution. Ceci n'est du reste pas surprenant compte tenu du contexte
intellectuel des années 55-65 durant lesquelles Bourdieu a formé sa pensée : c'était la période
conquérante du structuralisme et du marxisme. Fidèle à cet héritage, Bourdieu continue à
penser que "le but de la recherche est de découvrir des invariants transhistoriques ou des
ensemble de relations entre des structures relativement stables et durables" (7). L'histoire est
pour lui une superposition d'époques dont il analyse le fonctionnement interne mais pas les
mécanismes de transition, il aborde l'histoire " par une série de coupes synchroniques " (8).
Or, la réalité, l'histoire, c'est pour une partie la reproduction mais pour une autre le
changement ; c'est aussi le fait qu'aujourd'hui ne ressemble plus vraiment à hier et que
demain ne ressemblera plus tout à fait à aujourd'hui. Et comme le changement ne se fait
jamais tout seul (car ce sont bien les hommes qui font l'histoire, même s'ils ne savent souvent
qu'une partie de l'histoire qu'ils font), il faut bien en venir à s'interroger sur la politique du
changement.
Les positions politiques de Bourdieu
Pendant longtemps, Bourdieu n'a pas exprimé publiquement ses positions politiques, il se l'est
même interdit par principe :
"La science sociale ne peut se constituer qu'en refusant la demande sociale [...]. Le sociologue n'a pas de mandat,
pas de mission, sinon ceux qu'il s'assigne en vertu de la logique de sa recherche. Ceux qui, par une usurpation
essentielle, se sentent en droit ou se mettent en devoir de parler pour le peuple, c'est-à-dire en sa faveur, mais
aussi à sa place, [...] ceux-là parlent encore pour eux-mêmes" (9).
Le principe était que le sociologue devait lever les impostures, à charge aux acteurs de se saisir
ensuite de ses découvertes. Relues en 1999, ces phrases ont fait sourire. Néanmoins, on a le
droit de changer d'avis, d’éprouver "une sorte de fureur légitime, proche parfois de quelque
chose comme un sentiment du devoir" (10), même si on aimerait tout de même lire aussi une
analyse de l’opportunité d’un type d’action jusque là dénié. Cependant, on peut aussi penser
qu’il s'agit moins d'un changement radical (survenu en décembre 1995) que d'une lente
évolution vers la politique depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir. Rappelons en effet qu'en
1988 Bourdieu avait approuvé la "méthode" du nouveau Premier ministre, Michel Rocard ;
qu'en 1990, il avait présidé au ministère de l'Éducation nationale une commission de réflexion
sur les contenus de l'enseignement ; qu’en janvier 1992, il avait donné un interview déjà très
engagé au Monde (11) ; que depuis 1993 il s’est beaucoup impliqué dans le soutien aux
intellectuels algériens et qu’il s’était à sa façon impliqué dans la campagne présidentielle de
mai 1995 en participant au Groupe d’examen des programmes électoraux sur les étrangers en
France, le Gepef (12).
Quoi qu'il en soit, les positions politiques de Bourdieu s'exprime pleinement aujourd'hui et il
est important de comprendre qu'elles se situent dans le prolongement direct de sa pensée
sociologique (13). Entre les deux, il y a un lien logique. C'est du reste heureux : contrairement
à d'autres, Bourdieu est tout à fait cohérent avec lui-même. Dès lors, on peut appliquer la
même lecture à sa pensée politique qu'à sa sociologie. On peut d'abord se féliciter et se
solidariser avec la dénonciation des injustices et des processus de domination. Mais on peut
aussi faire les mêmes critiques. En effet, la pensée politique de Bourdieu est fixiste comme sa
sociologie. Elle est incapable de déboucher sur une analyse du changement et sur des projets
de réformes. Le seul livre propositionnel du groupe de Bourdieu est le livre collectif de
l'Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche, Areser (14). De
sorte que les seules propositions de ces universitaires concernent leur petit monde
universitaire… En réalité, Bourdieu ne parvient, comme on l'a encore vu récemment (15),
qu'à théoriser la défense de certains des plus dominés (les sans-papiers et les chômeurs) par le
recours à une utopie d' "internationalisation" des mouvements sociaux (ce qui évoque
fatalement le parallèle avec Marx : "chômeurs de tous les pays, unissez-vous..."). Il est donc
incapable de concevoir l'évolution du système, l'évolution des institutions. D'où la légitimité de
certaines des réactions que ce texte a suscité dans toute la gauche politique, y compris au Parti
Communiste.
Dernier exemple : le mouvement des chômeurs. Pour les mêmes raisons que précédemment, la
constitution d’un tel mouvement lui apparaît comme un "miracle social" vu les conditions
structurelles de la situation de ces personnes (16). Sur le fond, il a raison de considérer que
cette constitution était difficile (on sait qu’elle sera du reste très fragile), mais elle ne s’en est
pas moins réalisée. En fait de miracle, il y a eu des acteurs conscients de leur domination qui
ont tenté de réagir en s'organisant. Dès lors, pourquoi ne pas s’intéresser de près à l’analyse
de ces structures d’action collective ? D’autre part, comment se fait-il que Bourdieu ne dise
mot des buts politiques de ce mouvement ? Pourquoi ne parle-t-il pas ne serait-ce que du
cahier de doléances de ces organisations ? Pourquoi, fort de sa connaissance des structures de
domination, ne les aide-t-il pas à élaborer des revendications et des actions, au lieu de
simplement faire acte de présence à leurs côtés ? Pourquoi sinon parce que le système
intellectuel de Bourdieu n’a pas prévu cette situation qui est en effet, pour le non-croyant, un
"miracle" ?
La pensée de Bourdieu de parvient pas à construire
Sociologiquement comme politiquement, théoriquement comme pratiquement, la pensée de
Pierre Bourdieu dénonce avec force, mais elle ne parvient pas à construire. Elle analyse très
bien la reproduction, mais elle ne pense pas le changement. Or, nous vivons dans des sociétés
qui, tout en perpétuant des structures de domination, changent de plus en plus et de plus en
plus vite au regard de la longue durée historique. Entendons-nous bien : le changement n'est
pas nécessairement un progrès, même si c’est le cas pour les femmes depuis cinquante ans.
Cela peut être aussi un retour en arrière, comme c'est le cas avec les inégalités sociales en
général depuis une quinzaine d'années ou une nouveauté comme l'apparition d'un fort clivage
générationnel au détriment des plus jeunes (17).
L'évolution historique est rarement unilatérale. Raison de plus pour dire que nous ne pouvons
plus et que nous pourrons de moins en moins faire l'économie d'une analyse du changement
social et d'une construction de la réforme. C'est même ce vers quoi il faudrait orienter tous
nos efforts. Pour cela nous pourrons nous appuyer sur les analyses déconstructionnistes de
Bourdieu, mais nous n’y trouverons pas le souffle de la reconstruction.
Notes
1. La reproduction. Éléments pour une théorie du système d'enseignement, Paris, Minuit,
1970, p. 19 (avec Jean-Claude Passeron).
2. Le métier de sociologue, Paris-La Haye, Mouton-Bordas, 1968, p. 40-41 (avec Jean-
Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron).
3. Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz, 1972, p. 176.
4. Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 88, 84-86 et 245.
5. La liste des commentaires sur Bourdieu est extrêmement longue, il y faudrait au moins
un article entier. Je renvoie simplement ici au bilan de A. Dewerpe, La stratégie chez
Pierre Bourdieu, Enquêtes, 1996, 3, p. 191-208.
6. La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p. 10. Quand bien même il serait exact que
cela vaudrait grosso modo pour "la France du début du siècle", cela serait
anachronique pour la France actuelle (ainsi que l'a également fait remarquer Janine
Mossuz-Lavau, Magazine littéraire, 1998, 369, p. 57).
7. Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 57.
8. Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 201.
9. Leçon sur la leçon, Paris, Minuit, 1982, p. 27-28.
10. Contre-feux, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1998, p. 7.
11. " La main droite et la main gauche de l’Etat ", repris dans Contre-feux, op.cit.,
p. 9-17.
12. " Le sort des étrangers comme schibboleth ", repris dans Contre-feux, op.cit., p.
21-24.
13. C'est aussi ce que suggère à demi mots François Dubet, Magazine littéraire,
1998, 369, p. 47.
14. Quelques diagnostics et remèdes urgents pour une université en péril, Paris,
Liber-Raisons d’Agir, 1997.
15. " Pour une gauche de gauche ", Le Monde, 8 avril 1998.
16. Contre-feux, op.cit., p. 102-104.
17. Cf. Louis Chauvel, Le destin des générations, Paris, PUF, 1998.
Nature n'endure mutations soudaines sans grande violence" François Rabelais, Gargantua.
<<Face au monde qui change, il vaut mieux penser les changements que changer les pansements>> Francis
Blanche
"L'apparence de l'équilibre, c'est que rien ne bouge; la vérité de l'équilibre, c'est qu'il suffit d'un rien pour tout faire
bouger",
Julien Gracq dans "Le rivage des Syrtes" citation approximative
Puisque toute politique et toute économie proviennent en dernière analyse de phénomènes sociaux profonds, on peut
demander aux sociologues leurs réflexions sur les origines de l'ordre et du changement.
Tout sociologue bien né reconnaîtra le caractère central d'une telle interrogation, énumèrera les différentes écoles de
pensée, c'est à dire les divergences sur les domaines inventoriés, les méthodes d'analyse, les conclusions et les
justifications théoriques des conclusions.( )
A- L'ORDRE
En quoi consiste l'ordre et comment se maintient-il?
- le leadership et l'autorité légitimée d'un chef, relayés par la force, la dissuassion ou la contrainte physique exercée par
les dominateurs; en contrepartie, la soumission des dominés par aversion de la violence ou besoin de sujétion au Père et
au Général-miracle.
- le conformisme moral: "political correctness" aux Etats- Unis; l'acceptation de valeurs transcendantes( Dieu, la Patrie,
le Parti, la Raison...).( )
- l'ensemble des volontés individuelles manifestées par des contrats, des règles communes : principes généraux, droit,
modalités d'arbitrage, le recours à un principe d'entente supérieur (ex: le conflit Haut Adige-Sud Tyrol réglé dans le
cadre de la CEE, la fédération yougoslave...avant 1990), la loi et le contrat respectés par connivence et consentement.
- la convergence des intérêts, l'habitude d'actions réalisées en commun.
- le poids des structures, des systèmes, des habitudes acquises, la mémoire collective ?
- le plaisir d'être ensemble (libido) ou la force mystérieuse du "holisme" qui constate que le tout est supérieur à la
somme des parties, que nul élément autonome (individu, institution, fonction) ne survit en dehors de son milieu et qui
débouche sur la fraternité et la solidarité.
L'ordre est potentiellement dangereux quand la part de désordre n'est pas, d'une manière ou d'une autre, intégrée dans un
ordre supérieur; ou quand l'ordre majoritaire perd le sens de la mesure et impose sa conception à l'ensemble de la
population et de la personne humaine (totalitarisme) ou à des voisins plus faibles (impérialisme). Il suscite alors la crise,
le conflit, le changement violent.
B- LE CHANGEMENT
Dans son livre, par ailleurs remarquable, Jean François REVEL avait prévu en 1983 "Comment finissent les
démocraties". Relire aujourd'hui cet ouvrage montre que les changements politiques ne correspondent pas toujours aux
évolutions apparentes. Les démocraties n'ont pas nécessairement retenu la leçon de vigilance mais l'adversaire redouté a
eu le bon goût de disparaître avant elles.
Qu'est-ce qui fait bouger les sociétés et donc suscite risques et opportunités? On peut s'appuyer pour simplifier sur
l'archipel des huit themes prospectifs proposé par B.CAZES ( ): quatre themes de l'ordre économique (ressources,
travail, techniques, croissance) et quatre de l'ordre socio-politique (population, idées et valeurs, institutions et règles,
comportements).
a) les facteurs externes à la sphère politique
La technologie, la pression démographique, les échecs ou succès de l'économie modifient les champs d'application de la
politique ainsi que l'identité et le comportement des acteurs.
* les techniques, notamment les techniques militaires, de production, de communications;
* la compétition économique entre systèmes (par exemple: systèmes de propriété, de production...), entre acteurs (pour
le contrôle des marchés de ressources ou de clientèles), effets mécaniques pervers des systèmes (marchés des changes,
marchés de dérivées et futures);
* les mouvements sociopolitiques : pression démographique, systèmes de valeurs et de modes de vie, compétition de
pouvoir entre collectivités ou communautés.
b) les facteurs internes à la politique
* l'évolution des idées
* le comportement des acteurs : dynamique du jeu politique, actions et réactions;
* le fonctionnement des systèmes politiques, notamment de régulation ( arbitrages divers, règles du jeu politique, modes
de négociation), mais aussi les mécanismes d'alliances, les stratégies et tactiques de pouvoir.
c) Réforme et révolution
L'accumulation de facteurs de changement crée un déséquilibre qui peut rester latent pendant des années (Union
Soviétique entre Khrouchtchev et Gorbatchev) ou peut déboucher sur une crise avec ou sans conflit ouvert (rôle de
l'évènement déclencheur de désordre ou de rupture).
Si les potentiels de changement sont assez faciles à repérer et à décrire en scénarios possibles (analyse de risque
politique), la prédiction de l'évènement reste utopique.
C- LE DESORDRE
L'ordre facilite la stabilité des opérations de routine qui, si elles sont bien conçues, peuvent lentement accumuler du
progrès.
Le changement est facteur d'opportunités et de risques. Mais c'est le plus souvent le désordre, changement mal contrôlé,
qui crée les dommages, notamment les dommages politiques.
L'absence d'ordre ne se traduit pas nécessairement par la révolution : le plus souvent les révolutions débouchent assez
rapidement, par renouvellement de la légitimité, sur un ordre plus rigoureux qu'auparavant( ).
Les démocraties occidentales, mais aussi avec une toute autre ampleur les régimes issus du communisme, semblent
plutôt menacés par l'entropie, c'est à dire la dégradation des conditions d'équilibre politique:
a- le pouvoir entravé
Corporatisme, politiques catégorielles, les effets néfastes du marketing politique par segmentation;
L'absentéisme, la marginalisation (Lumpenproletariat, Underclass).
b- le pouvoir détourné
Fraude, corruption, ingérence, népotisme, détournement, abus de pouvoir;
Les enquêtes parlementaires et de presse (Washington Post, Canard Enchaîné); les "petits juges" de France et d'Italie.
Pour acquérir le pouvoir par les media, les hommes politiques ont besoin d'argent, de trop d'argent. Beaucoup ont perdu
leur âme en jouant du pipeau ou du violoncelle.
c- le pouvoir combattu
La critique idéologique, assassinat politique, terrorisme, guérilla, révolution.
Toutes ces formes de malaise social, éventuellement entretenues par des facteurs externes de déstabilisation, portent
atteinte aux facteurs essentiels d'efficacité collective : l'adhésion incontestée à des projets clairement visibles, la
capacité de coordination et de régulation souple des différends.
Changement social et conflits
introduction
quelques définitions :
- le conflit : expression d'antagonismes ouverts entre des individus ou des groupes pour la recherche, la
possession et la gestion de biens matériels ou symboliques ( richesse, pouvoir, prestige ...).
- l'action collective : activités par lesquelles un groupe cherche à agir sur l'agencement de l'ordre social et à
promouvoir la revendication dont il est porteur. Soit encore action commune menée par différentes personnes
pour atteindre un certain objectif).
Dans l'action collective, il y a deux dimensions : la prise de conscience d'un intérêt commun et la mobilisation
(s'organiser pour l'atteindre).
- le mouvement social : action collective qui se déroule à l'échelle de la société.
ils sont "désocialisés" par leur travail, coupés des centres les plus actifs et les
plus denses de la vie sociale
une culture de classe centrée sur les vertus de la communauté :
_ les modes de vie, les façons de consommer, les habitudes
alimentaires valorisent la communauté, ce qui unit.
_ des conflits "dans les règles" : ils opposent des acteurs sociaux
respecteux des mêmes valeurs, des mêmes normes, des mêmes règles
Tant que les conflits ne remettent pas en cause les valeurs sur lesquelles reposent la société,
tant que les enjeux des affrontements sont monétisables, tant que la multipolarisation des
conflits résiste à la bipôlarisation alors l'unité de la société n'est pas en danger.
• ils remplissent une fonction cohésive
c'est le cas :
doc 14 p. 228 : Pour cet auteur, le sens de l'histoire dans les sociétés modernes va
dans l'affirmation de la démocratie. Aussi les inégalités économiques, certes ne
sont pas éliminées, mais deviennent secondaires par rapport au phénomène de
l'égalité de condition. C'est sur cette base qu'il développe la thèse de la
frustration relative : plus l'égalité des conditions s'affirme et plus les inégalités
deviennent insupportables et ainsi elles sont sources de conflits. (c'est ainsi qu'il
explique la révolution de 1789). Autrement dit le moteur de l'histoire est la soif
d'égalité.
b) l'analyse de Darhendorf
doc 6 p. 224 : il explique les conflits de classe pour l'exercice de l'autorité. Ainsi il
relativise l'importance du déterminant économique pour comprendre le conflit.
En fait, il reconnaît une grande diversité de conflits entre groupes sociaux. On
abondonne la thèse de la pôlarisation pour adopter celle de la multipôlarisation.
Cette analyse sera prolongée par celle de Touraine. Alors que P. Bourdieu
rectiendra le non déterminisme économique mais reviendra à la thèse de la
bipôlarisation.
Selon Touraine, la société est traversée par un conflit central et une multiplicité
de conflits périphériques. Jusqu'à la fin des 30 glorieuses, ce conflit central était
le conflit entre le mouvement ouvrier et celui de la bourgeoisie industrielle. A
partir de cette période, les enjeux ne sont plus tant économiques que culturels
(cas de la société post industrielle). (doc 9 p. 288). Apparait ici le thème des
"nouveaux mouvements sociaux"
Selon P. Bourdieu (doc 10 p. 226), la lutte des classes porte non seulement sur des
enjeux économiques mais aussi et surtout sur des enjeux symboliques (social et
culturel) entre dominants et dominés. Il considère en effet que le rapport de
domination peut être étendu en dehors de la sphère économique.
c) avec les mutations de l'emploi, la disparition des classes sociales ?
(des conflits sociaux sans être des conflits de classe ?)
Q9 p. 254 : avez vous le sentiment d'appartenir à une classe sociale ? 56% des
personnes interrogées répondent oui en Avril 1987 contre 68% en Décembre
1976. C'est surtout chez les ouvriers que la conscience de classe se perd ( - 24
points sur la période). (sondage Sofres Mars - Avril 1987).
pourquoi cette évolution ?
- vers la fin des ouvriers ? le texte de J.P. Durand distingue deux facteurs : le recul
du sentiment d'appartenance - la diminution de la place temporelle du travail
professionnel dans la vie quotidienne. De ce fait l'appartenance professionnelle
ne serait plus qu'une référence parmi d'autres dans la formation de l'identité
sociale. (Q33 p. 230 : la thèse de la disparition des classes)
comment en est on arrivé là ? l'auteur évoque les transformations de la classe
ouvrière.
quelles sont les transformations de la classe ouvrière ? doc 17 et 18 p. 230
- recul numérique des travailleurs non qualifiés
- éclatement de la classe ouvrière avec d'un côté un phénomène de promotion
des ouvriers qualifiés vers les couches moyennes et d'un autre un phénomène de
déclassement des moins qualifiés (phénomène de prolétarisation).
- recul de la syndicalisation et des luttes ouvrières comme symboles de la
conscience de classe et de la lutte de classe.
- "ethnicisation" des rapports sociaux
- atténuation de la spécificité du mode de vie ouvrier : formes de vie familiale,
accession à la propriété.
- atténuation de la différence entre ouvriers et employés.
- dans un contexte de chômage massif, la lutte des classes tend à laisser la place à
la "lutte pour les places". La stratégie individuelle pour trouver un emploi se
substitue à la stratégie de défense collective.
on trouvera une illustration dans Dubet "sociologie de l'expérience"
"les études menées au début des années 80 montrent la fin de la classe ouvrière comme monde
"total", de l'ouvrier comme sujet historique" Nous avons vu plus haut que la classe ouvrière c'est
une communauté, un groupent d'intérêts, un mouvement social. Il y a aujourd'hui séparation de
ces 3 dimensions de l'action :
• comme communauté, la classe ouvrière s'étiole, soumise à deux mouvements opposés : les
ouvriers qualifiés ou employés dans des secteurs relativement protégés vivent comme des
fractions inférieures des classes moyennes. Une autre partie de la classe ouvrière se "sous-
prolétarise" de nouveau, définie par son exclusion relative. Dans les banlieues, les liens
communautaires se forment sur d'autres principes que ceux du mouvement ouvrier =
territoire, ethnie
• l'action revendicative s'autonomise en une série d'actions particulières, défensives ou
corporatistes : l'action syndicale défend les intérêts d'un groupe limité mais
stratégiquement bien placé pour exercer une grande pression (cf les cheminots). L'action
syndicale laisse de côté un nouveau prolétariat. la conscience de classe se dilue en
conscience d'intérêts spécifiques et en sentiment d'exclusion ex des coordinations : elles
sont moins le renouveau de l'action de classe que
_ une protestation corporatiste exaspérée
_ un mode d'entrée dans l'action collective organisée de groupes qui y furent longtemps
marginaux comme les femmes.
• le mouvement social total disparaît . Les valeurs du mouvement ouvrier ont été mises en
cause par de nouveaux mouvements s'appuyant sur une culture post-matérialiste (cf p. 261
doc 17). L'action ouvrière est aujourd'hui une expérience sociale où les individus se
perçoivent comme dispersés.
Conclusion : plusieurs ordres de rapports sociaux se forment sans que l'un d'eux s'impose.
L'intégration sociale se détache des concurrences d'intérêts, qui se séparent à leur tour de la
capacité critique et utopique.
_le 3° âge :
• l'invention de la retraite
• allongement de l'espérance de vie
• classe en soi ?
la défense d'un statut de la fonction publique peut paraître anachronique pour les salariés du privé
concernés par le chômage. Mais les manifestations de 1995 ont montré la pertinence du concept de
"grève par procuration" : les salariés ont soutenu les salariés du public dans leur combat. On verra
plus loin comment peut on expliquer ce paradoxe.
FonctPu 12600 33300 97490 34100 85300 78490 68600 23220 57390 2390 2180 38850
b d'Etat 0 0 0 0 0 0 0 00 0 00 00 0
Entrepri
ses
privées,
23272 14835 13570 88490 10415 96900 12422 90440 69370 6655 4905 53320
publique
00 00 00 0 00 0 00 0 0 00 00 0
s,
nationali
sées
24532 18165 23319 12259 18945 17539 19282 32264 12676 9045 7085 92170
Total
00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 0
1994 1995 1996
Entreprises privées,
521000 2120500 447775
publiques, nationalisées
des exemples : les étudiants, les cheminots en 1986, les instituteurs en 1987, les
gardiens de prison, les infirmières en 1988, les assistantes sociales en 1991.
Pourquoi ?
elles se font dans des milieux faiblement syndiqués (sauf pour instit,
cheminots)
elles défendent des professions dont les traditions, l'éthique du travail sont fortes