PLURILINGUISMES ET IDENTITÉS
COURS
Cyril Trimaille
PLURILINGUISMES
ET IDENTITÉS
COURS
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par le CNED avec l’autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands Augustins, 75006 Paris).
© CNED 2015
Table des matières
Avant-propos................................................................................................................... 5
Introduction générale.............................................................................................. 10
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 4
éléments de bibliographie.................................................................................... 79
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Avant-propos
O Avertissement
L’orthographe utilisée dans ce cours tient compte des rectifications parues au Journal
Officiel du 6 décembre 1990.
Objectifs du cours
S’inscrivant dans le domaine de la sociolinguistique et de la sociologie du langage, ce
cours vise à amener les étudiant(e)s à construire des connaissances sur les situations de
plurilinguisme, à mieux cerner la notion vaste et complexe d’identité, ainsi qu’à appré-
hender les interactions qui existent à différents niveaux entre deux objets d’étude des
sciences humaines. L’un des premiers objectifs sera d’amener les étudiant(e)s à interro-
ger et à déconstruire certaines définitions concernant des termes clés du cours, pour en
reconstruire de nouvelles, opératoires dans un cadre sociolinguistique et didactique.
Le sujet étant inépuisable, ce cours ne se veut bien entendu pas exhaustif : il entend
donc en présenter un aperçu à la fois partiel et pluriel (en convoquant, pour l’identité
par exemple, des notions issues de différents champs des sciences humaines), permet-
tant ainsi au lecteur de construire des connaissances, en s’investissant activement dans
cette construction, autant que le permet la modalité d’enseignement/apprentissage à
distance.
Certains des contenus de ce cours recoupent partiellement ou sont à articuler avec ceux Chapitre 1
du cours de M. Matthey intitulé « Rapports intergroupes, exolinguisme et didactique des Autour des contacts
langues ». de langues :
multilinguismes
sociaux
Organisation de votre formation
Page 5
Organisation des contenus
Le cours en quatre chapitres présentés ci-dessous :
Le chapitre 1 : Autour des contacts de langues : multilinguismes sociaux vous per-
mettra de prendre conscience ou d’affiner vos connaissances des multiples situations
multilingues dans le monde. Ce chapitre propose également une première approche
des façons dont le multilinguisme peut être organisé/régulé par l’aménagement
linguistique, et des modalités selon lesquelles les langues en contact sont souvent
hiérarchisées, valorisées ou dévalorisées.
Le chapitre 2 : Les situations de bi-plurilinguisme individuelles aborde la pluralité
des définitions et l’évolution de la notion de bilinguisme individuelles dans l’histoire ;
il vous donnera des informations pour vous permettre de mieux cerner la réalité des
pratiques et des compétences plurilingues, et notamment la façon dont les sujets bi-
plurilingues utilisent les langues de leur répertoire verbal.
Le chapitre 3 : Multiples conceptions de l’identité se propose de vous guider pour
découvrir, pas à pas, le caractère complexe, composite et potentiellement labile de
l’identité, ainsi que les liens variés que cette notion entretient avec les langues et
façons de parler.
Le chapitre 4 : Migrations, plurilinguismes et identités vous amènera à examiner
de façon assez concrète les interactions des dimensions sociales/sociétales et indivi-
duelles des liens entre plurilinguisme et identités, en s’intéressant particulièrement
aux représentations que des sujets migrants ou descendants de migrants se font de
leurs langues et aux fonctions qu’ils leur attribuent.
Ce cours a été spécialement pensé pour une formation à distance en prenant en compte
votre isolement et donc votre besoin d’accompagnement.
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Organisation de votre session de travail
Pour vous accompagner au mieux dans votre formation, nous avons adopté, dans chaque
chapitre, un découpage présentant les différentes phases nécessaires pour atteindre les
objectifs fixés, clairement identifiables par un bandeau orange :
• Découvrir
Dans cette partie, vous découvrirez tous les concepts et notions à maitriser grâce à
des textes à lire, des explorations, des exemples, des activités à réaliser.
• S’exercer
Dans cette partie, vous vous entrainerez, à travers une série d’activités autocorrec-
tives, à mettre en pratique les concepts et notions étudiés dans la partie précédente
en vue de faciliter leur maitrise. Le corrigé de ces activités est disponible dans le
fascicule « Autocorrection ». à la fin de chaque activité, un renvoi vers ce fascicule
vous permettra d’accéder rapidement au corrigé.
• Retenir
Dans cette partie, vous disposerez d’une synthèse des concepts et notions à
connaitre pour votre examen final.
• Aller plus loin
Dans cette partie, vous disposerez d’une bibliographie et des références qui vous
permettront d’élargir votre champ de connaissance et d’approfondir certains
points, notamment dans la perspective de l’élaboration de votre mémoire.
Conseils méthodologiques
Le présent cours est conçu comme un cours de 12 heures. Il implique donc une dou-
zaine d’heures pour prendre connaissance des contenus, et autant de travail personnel
pour réaliser les travaux dirigés et effectuer des recherches documentaires. Il ne s’agit
en aucun cas d’apprendre « par cœur » les contenus ! Le but est d’être sensibilisé à la
complexité des notions, et si possible de tisser des liens entre elles, ainsi qu’avec vos
expériences d’enseignement, présentes ou futures.
La base pédagogique du cours est donc la lecture accompagnée de prise de notes (par-
ticulièrement pour les concepts, typologies et articulations entre informations liées). Les
étudiants peuvent ainsi par exemple élaborer un glossaire qui rassemble les principales
définitions.
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L’une des autres pratiques consiste à consulter, dans la mesure du possible, des sources
disponibles données en bibliographie ou en notes de bas de pages pour approfondir.
Outre les articles et ouvrages papiers, des références de sites Internet sont également
indiquées, qui doivent être accessibles indépendamment des lieux de résidence des can-
didats. Mais il ne s’agit pas là non plus de tout lire, à moins que vous ne vous découvriez
une passion pour le sujet.
Par ailleurs, au point de vue méthodologique, il est nécessaire autant que faire se peut,
de respecter les phases de travail, en effectuant les activités proposées dans le cours,
qu’elles soient introductives, applicatives ou plus personnelles. En fin de chapitre, des
activités ou questions de synthèse sont également proposées : elles visent à faciliter une
appropriation active des notions et vous préparent à l’évaluation.
Vous trouverez des commentaires et des corrigés de certaines de ces activités en fin de
fascicule, dans la partie Eléments de corrigé.
évaluation finale
L’évaluation, d’une durée de deux heures consistera soit en une dissertation nécessitant
de mettre en relation ou de synthétiser diverses parties ou notions du cours, soit en un
exercice de commentaires de texte(s) ou de document(s) lié(s) à un ou plusieurs aspects
du cours (textes de spécialistes, articles de presse, tribune politique ou transcriptions de
discours de sujets bi-plurilingues). Le devoir pourra combiner plusieurs types de ques-
tions.
Chapitre 1
Autour des contacts
Le mémoire de langues :
multilinguismes
sociaux
Voici quelques informations destinées aux étudiant(e)s envisageant de réaliser leur
mémoire de M1 sur un thème ou une problématique en relation avec le cours
Page 7
Plurilinguismes et identités.
L’étude documentaire
Quel que soit le sujet choisi, la construction d’un mémoire passe d’abord par la collecte
d’informations spécialisées, tant sur les résultats de recherches menées dans le domaine
d’intérêt, que sur les méthodologies déployées pour parvenir à ces résultats. à ce stade
des lectures et de la construction de la bibliographie, il est essentiel de noter systémati-
quement les références complètes des ouvrages ou des articles consultés :
– auteur(s) ;
– titre(s) ;
– année ;
– revue de parution ;
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– éditeur ;
– et les numéros de pages des passages à intégrer ou à exploiter, afin de constituer
son corps de références bibliographiques.
Ces informations qui relèvent de ce que l’on appelle, certes de façon un peu présomp-
tueuse, « l’état de l’art », fournissent un cadre théorique, alimentent des hypothèses
conformes, en partie différentes ou contraires aux informations collectées lors de l’en-
quête de terrain.
Cette phrase documentaire permet aussi de resserrer le thème de recherche et d’affiner
la question de départ, pour déboucher sur une problématique.
L’enquête
à la suite de cette phase d’étude documentaire, l’objet de recherche choisi orientera en
grande partie les choix méthodologiques, à opérer ou à combiner parmi les options qui
ressortissent à deux grands ensembles.
a) Observations directes
Enregistrement audio ou vidéo d’échanges en classe ou au travail, au sein de la famille
ou entre amis par exemple. Ces observations avec enregistrements peuvent avantageu-
sement être complétées par la prise systématique de « notes de terrain », dans lesquelles
l’observateur consigne tout ce qu’il observe/entend, même s’il s’agit de phénomènes
(comportements, discours non enregistrés/ables) qui au moment de leur observation
Chapitre 1 peuvent paraitre anodins, voire insignifiants mais qui, ultérieurement, peuvent prendre
Autour des contacts
du sens, ou permettre de comprendre ou d’expliquer d’autres observables.
de langues :
multilinguismes b) Observations indirectes
sociaux
Questionnaires (ouverts/fermés, faisant l’objet d’un traitement quantitatif).
Page 8 Pour pouvoir être traités de façon quantitative, les questionnaires doivent être adminis-
trés à un nombre conséquent d’« informateurs » (en effet, des pourcentages réalisés sur
un échantillon de 15 personnes n’ont que peu de sens).
Entretiens semi-directifs (enregistrés puis transcrits et traités à l’aide de grilles d’analyses).
Les sujets de type a) nécessitent plutôt des collectes de données obtenues par observa-
tions indirectes, c’est-à-dire en sollicitant des sujets « informateurs », qui peuvent être
plus ou moins nombreux.
Pour les sujets de types b) et c), l’idéal est de combiner les deux types d’observation
(directe et indirecte), afin de croiser des observations empiriques objectives (les enregis-
trements audio ou vidéo) avec les déclarations des sujets recueillies soit par question-
naire soit par entretien. La convergence ou la divergence de ces informations peuvent
constituer des objets de réflexion intéressants.
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Bibliographie complémentaire
BILLIEZ, J. et MERABTI, N. (1990) : « Communication familiale et entre pairs : variations
du comportement langagier d’adolescents bilingues », in Plurilinguismes, n°1, p. 34-51.
BLANCHET, A., GHIGLIONE, R., MASSONAT, J. & TROGNON, A. (1987) : Les techniques
d’enquête en sciences sociales, Paris, Dunod.
BLANCHET, P. (2000) : La linguistique de terrain. Méthode et théorie, une approche eth-
no-linguistique, Presses Universitaires de Rennes, Collection Didact Linguistique.
BRES, J. (1993) : Récit oral et production d’identité sociale, Montpellier, Langage et
praxis.
CALVET, L.-J. & DUMONT, P. (dir) (1999) : L’enquête sociolinguistique, Paris, L’Harmattan.
Chapitre 1
Autour des contacts
de langues :
multilinguismes
sociaux
Page 9
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Introduction générale
Plurilinguismes, identités. Les deux noms qui constituent le titre de ce cours ont en
commun de renvoyer à des réalités profondément liées à l’humain, à des objets à la fois
multiséculaires et contemporains, universaux et infiniment variés.
Ils partagent encore le fait d’être socialement construits et, notre époque le montre
chaque jour, idéologiquement investis. Si l’on peut sans doute, comme tout un chacun,
définir ces deux termes, on peine néanmoins à en appréhender, de façon synthétique, le
caractère hétérogène et complexe. Ainsi, il y a fort à parier que chacun des lecteurs de
ce cours proposerait des définitions diverses pour la notion de plurilinguisme et a fortiori
pour celle d’identité.
La diversité des composantes identitaires, la pluralité des affiliations et des niveaux
d’identification se conjuguent avec l’omniprésence du linguistique et du langagier qui
structurent les relations sociales. Le social, comme l’humain, est de parole.
Mais, au fil de sa vie, on peut choisir où l’on vit, changer de statut social, de nationalité,
de prénom, de nom, et même de visage ou de sexe. Ces derniers éléments, qui parais-
sent des éléments les plus stables, sont donc potentiellement soumis à fluctuation, à
évolution ou à changement. Les langues étant potentiellement, comme on le verra, des
éléments importants de l’identité, elles sont aussi amenées à évoluer avec certains des
changements qui ponctuent les trajectoires des sujets et des groupes auxquels ils appar-
tiennent.
Chapitre 1 En effet, dans de nombreux contextes, du fait par exemple de la multiplication des
Autour des contacts contacts d’individus et de populations (et donc des langues dont les individus sont
de langues : locuteurs), de la massification et de la « mondialisation », de l’individualisation et de la
multilinguismes déstructuration des communautés (Kaufmann, 2004), les identités (qu’elles soient ethni-
sociaux
ques, nationales, religieuses, sociales, sexuelles, générationnelles…) sont souvent dites
Page 10
« en crise », et ne semblent pas ou plus pouvoir être appréhendées comme des réalités
homogènes et stables. Mais l’ont-elles déjà été, peut-on se demander légitimement.
Au-delà des mutations contemporaines, peut-être la complexité de la notion tient-elle,
d’emblée, à sa nature paradoxale, déjà mise en lumière par la philosophie grecque.
Comme le plurilinguisme, les relations et interactions entre langues et identités peuvent
être appréhendées au niveau des individus et de leurs interactions en face-à-face comme
au niveau beaucoup plus large des relations entre groupes sociaux voire des grands
groupes (nationaux, ethniques, etc.).
On peut tout à fait illustrer cela en s’arrêtant sur l’origine du mot « schibboleth » défini
comme une « épreuve décisive qui fait juger de la capacité d’une personne » (Le nou-
veau Petit Robert, éd. 2002). Ce terme qui signifie « épi » en hébreu servait en effet de
test linguistique et, in fine, identitaire, comme cela est raconté dans le Livre des Juges :
la langue hébraïque comportait déjà des variétés (différences régionales). Après
la bataille, des soldats de Galaad demandèrent aux survivants d’Ephraïm (actuelle
Cisjordanie), de prononcer le mot « schibboleth ». Les Galadéens le prononçaient
[∫ibolεt] avec un « ch » alors que les autres, les Ephraïmites, incapables de cette même
réalisation le prononcèrent [sibolεt] avec un « s » et furent tous égorgés sur les bords du
Jourdain1. (Jug. 12, 5-6).
1O
n peut souligner le fait que dans ce cas un simple trait phonémique (lieu d’articulation alvéolaire pour /s/
et post-alvéolaire pour /∫/ permet la différenciation. En tout cas, il valait mieux ne pas avoir un « seveu » sur
la langue... Et l’histoire est jalonnée de ce type d’évènements. Voir les différents exemples donnés par C.
Van den Avenne dans son article « Parler » dans Dorier-E. Apprill & Gervais-Lambony P. (éds), Vies citadines,
Paris Belin, p. 109-128 (en ligne http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/38/04/49/PDF/Parler_version-
perso_cvda.pdf, consulté le 3/09/09).
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Dans cet épisode biblique, la relation se joue à la fois au niveau des groupes (les X
possèdent et mettent en œuvre un procédé de reconnaissance des Y) et au niveau des
individus qui interagissent en face-à-face, mettant en jeu des identités groupales et per-
sonnelles.
Après avoir cerné les multiples dimensions des deux notions, plurilinguismes dans un
premier temps, et identités dans un second, nous tenterons donc de concevoir les rela-
tions entre des compétences linguistiques plurielles et l’identité au niveau microsociétal,
c’est-à-dire au niveau des individus et des petits groupes, en nous intéressant plus spé-
cifiquement aux situations de multilinguisme et de plurilinguisme en situations post-
migratoires, particulièrement étudiées par la sociolinguistique.
Chapitre 1
Autour des contacts
de langues :
multilinguismes
sociaux
Page 11
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Chapitre 1
Autour des contacts de langues :
multilinguismes sociaux
u Plan
Introduction au multilinguisme
Modalités de coexistence des langues dans les situations de
multilinguisme
Aménagement, politique et planification linguistiques
Découvrir
Page 13
Introduction au multilinguisme
Diversité linguistique dans le monde
Pour se convaincre de la véracité de l’affirmation des deux auteurs suisses, on peut obser-
ver ce tableau qui met en perspective nombre d’états et nombre de langues parlées dans
les cinq continents ; on est amené à une tout autre conclusion que celle vers laquelle
nous orientaient l’histoire et les représentations linguistiques de la France et du français.
2 Il convient de préciser que par « langue » nous entendons ici tout système de signes doublement articulé
permettant la communication et partagé par une communauté. Cette définition implique que, d’un point de
vue linguistique, on ne fasse pas de distinction entre ce qu’on a coutume d’appeler « langue », « dialecte »
ou « patois », et qu’on considère comme langue à part entière tout système linguistique, même n’étant pas
doté d’une écriture.
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Les langues et états d’Europe3
Pays Langues Principales langues d’usage quotidien
officielles
Albanie Albanais Albanais, macédonien, macédo-roumain, romani,
grec
Allemagne Allemand Allemand, turc, danois, frison, romani, sorabe
Andorre Catalan Catalan, espagnol, français, portugais
Autriche Allemand Allemand, serbe, croate, slovène, turc
Bélarus Biélorusse Biélorusse, russe, polonais, ukrainien, tatar
Belgique Néerlandais, Néerlandais, français, allemand, luxembourgeois
français, allemand
Bosnie-Herzégovine Bosniaque Bosniaque, serbe, croate, anglais
Bulgarie Bulgare Bulgare, turc, romani, macédo-roumain, arménien
Chypre Grec, turc Grec, turc, anglais
Croatie Croate Croate, serbe, italien, hongrois, slovène
Danemark Danois Danois, turc, eskimo, faroïen, serbo-croate.
Espagne Espagnol Espagnol, catalan, valencien, galicien, basque
Estonie Estonien Estonien, russe, ukrainien, biélorusse, finnois
Fédération de Russie Russe Russe, tatar, ukrainien, biélorusse, allemand
Finlande Finnois, suédois Finnois, suédois, anglais, russe, estonien
France Français Français, alsacien, arabe, berbère, breton, occitan, por-
Chapitre 1 tugais, turc, kurde, romani
Autour des contacts Grèce Grec Grec, turc, albanais
de langues :
Hongrie Hongrois Hongrois, ukrainien, allemand, romani, roumain
multilinguismes
sociaux Irlande Anglais, gaélique Anglais, gaélique
Italie Italien Italien, napolitain, piémontais, vénitien, ligure
Page 14 Lettonie Letton Letton, russe, anglais, allemand, polonais
Lituanie Lituanien Lituanien, russe, polonais, biélorusse, ukrainien
Luxembourg Allemand, français, Italien, portugais, russe
luxembourgeois
Macédoine (ex-Rép. Macédonien Macédonien, albanais, turc, serbo-croate, romani
de Yougoslavie)
Norvège Norvégien Norvégien, saami, suédois, vietnamien, danois
Pays-Bas Néerlandais Néerlandais, frison, arabe, turc, papiamento
Pologne Polonais Polonais, allemand, biélorusse, kachoube, russe
Portugal Portugais Portugais, arabe, galicien, mirandesa, calão
Rép. de Moldova Moldave Moldave, ukrainien, russe, bulgare, gagaouze
Rép. tchèque Tchèque Tchèque, slovaque, allemand, polonais, romani
Roumanie Roumain Roumain, hongrois, romani, turc, allemand
Royaume-Uni Anglais, gallois Anglais, italien, arabe, gujarati, ourdou
Saint-Marin Italien Italien
Slovaquie Slovaque Slovaque, hongrois, romani, ruthène, ukrainien
Slovénie Slovène Slovène, allemand, hongrois, italien
Suède Suédois Suédois, finnois, serbe, bosniaque, persan
Suisse Français, allemand, Allemand, français, italien, espagnol, serbo-croate
italien, romanche
Turquie Turc Turc, kurde, zaza, kirmanjki, arabe
Ukraine Ukrainien Ukrainien, russe, roumain, bulgare, hongrois
Yougoslavie Serbe Serbe, croate, albanais, roumain, slovaque
3D
onnées essentiellement tirées du site de l’Unesco, en ligne à : http://fr.unesco.org. Le Luxembourg a été
ajouté, ainsi que les PLUQ (principales langues d’usage quotidien) pour l’Allemagne. Manquent encore
quelques états comme, par exemple, le Lichtenstein.
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Nous verrons plus loin ce qu’il en est pour les locuteurs. Néanmoins, il est important de
noter dès à présent qu’il n’existe pas de relation systématique et biunivoque entre le
bimultilinguisme d’un état et l’éventuel bilinguisme ou plurilinguisme de ses ressortis-
sants.
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•M
igrations : déplacements internes (par exemple, l’exode rural qui fait converger vers
les villes des locuteurs porteurs de langues différentes, notamment en Afrique) et
internationaux (migrations liées à des motifs économiques, religieux, politiques).
La France, malgré sa longue tradition de centralisation linguistique et son régime offi-
ciellement monolingue, est un pays dont les ressortissants utilisent soixante-quinze
langues « de France », comme le montre le rapport Cerquiglini remis au ministre de
l’éducation, de la Culture et de la Communication en 1999.
Vous pouvez consulter ce document en tapant « rapport Cerquiglini » dans un moteur
de recherche.
Consultez avec une attention toute particulière (et le cas échéant en faire une impres-
sion) la liste des langues parlées par des ressortissants français sur le territoire de la
République, proposée en fin d’article, et les notes associées.
La situation sociolinguistique française, dans laquelle coexistent donc de mul-
tiples langues, parlées par des ressortissants français mais aussi par des non natio-
naux, résulte, à différents degrés, de l’histoire de France – au cours de laquelle
se sont succédées des phases de conquête, de colonialisme, et d’immigra-
tion –, de la construction du royaume, puis de la nation et de la république.
Eu égard à sa tradition de centralisme et de purisme, la France est aussi un espace social
où la coexistence des langues et des variétés de langues est marquée par une forte hié-
rarchisation, sans toutefois pouvoir être considérée comme une diglossie telle qu’elle a
été définie par C. Ferguson.
Chapitre 1
Autour des contacts
de langues : Modalités de coexistence des langues dans les situations
multilinguismes
sociaux de multilinguisme
Page 16 Diglossie
Forgé, ou plus exactement repris et diffusé par C. Ferguson en 19597, puis revisité par
J. Fishman8, le concept de diglossie s’est imposé comme incontournable dans le déve-
loppement de la sociolinguistique des contacts de langues. Il désigne, en première
approche, une situation sociolinguistique stable dans laquelle deux langues génétique-
ment apparentées coexistent dans un espace (pays, région) en assumant des fonctions
communicatives complémentaires (on parle de répartition fonctionnelle). L.-F. Prudent
(1981)9 donne la traduction suivante de la définition de Ferguson :
« La diglossie est une situation linguistique relativement stable dans laquelle, en plus
des dialectes premiers10 de la langue (qui peuvent comprendre un standard ou des stan-
dards régionaux), il existe une variété superposée très différente, rigoureusement codi-
fiée (souvent plus complexe du point de vue de la grammaire), qui est le support d’un
recueil imposant et considérable de textes littéraires provenant d’une époque antérieure
ou d’une communauté linguistique étrangère, qui est largement apprise par le biais de
l’école, et qui est utilisée pour la plupart des textes écrits et des discours formels, mais
qui n’est jamais utilisée – dans quelque segment de la société – pour une conversation
ordinaire. »
7 F erguson, C., « Diglossia », in Giglioli, P. P., Language and Social Context, Penguin Books, 1972, p. 232-251
(première parution dans Word, 1959).
8 Fishman sera à son tour revisité par Ferguson.
9 Prudent, L.-F., « Diglossie et interlecte », in Langages, 1981, n°61. Article téléchargeable en ligne sur : http://
www.persee.fr/web/revues/home/prescript
10 Ce terme de « dialecte » renvoie selon Ferguson aux variétés dites B (low ou basses) acquises informellement
dans la famille, tandis que l’expression « variété superposée » correspond à la variété linguistique apprise
formellement en milieu scolaire, soit la variété dite H (high, ou haute).
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Les exemples sur lesquels s’est appuyé Ferguson sont les suivants :
– la diglossie grecque (katharévousa, langue savante utilisée dans des cérémonies
officielles, vs démotique, langue usuelle) ;
– la diglossie suisse alémanique (allemand standard vs schwyzertüüsch, ou dialecte
alémanique ; la répartition fonctionnelle se fait en fonction de la nature écrit / oral
de l’échange) ;
– la diglossie haïtienne (français vs créole haïtien) ;
– la diglossie arabe (arabe classique vs arabes dialectaux).
Dans sa première élaboration par Ferguson, la diglossie est caractérisée par une série de
critères sociolinguistiques et linguistiques :
– il existe une répartition fonctionnelle des usages des variétés apparentées H et B ;
– la variété haute bénéficie d’un prestige social et historique que n’a pas la variété
basse, à tel point que B est parfois déclaré ne pas exister11 ;
– la variété B est acquise naturellement (dans le milieu familial) en tant que première
langue, contrairement à H qui fait l’objet d’un apprentissage formel à l’école ;
– contrairement à la variété basse, H est codifiée et standardisée, c’est-à-dire que des
ouvrages métalinguistiques (grammaires, dictionnaires) en décrivent et en fixent les
usages ;
– la variété haute a servi une tradition littéraire reconnue et valorisée ;
– la situation diglossique est stable dans le temps.
Au niveau linguistique enfin, H est considérée comme plus complexe que B sur le plan Chapitre 1
grammatical, c’est-à-dire morphologique et morpho-phonologique. Ce critère de simpli- Autour des contacts
cité appelle cependant une grande prudence. D’abord parce que les variétés basses ne de langues :
multilinguismes
sont que partiellement ou pas décrites ; ensuite parce que le fait qu’un système soit plus sociaux
simple sur un point n’empêche pas qu’il soit plus complexe sur un autre.
Le lexique des deux langues peut comporter des mots différents pour référer à une Page 17
même réalité, à un même objet, ou des mots apparentés avec des variations morpho-
phonologiques plus ou moins importantes. Voici quelques exemples lexicaux empruntés
à Ferguson (1959).
Exemples de doublets lexicaux en situation de diglossie (cités par Ferguson, 1959)
Grèce
Grec katharévousa (variété H) Grec démotique (variété B)
íkos maison spíti
ídhor eau neró
éteke procréer eyénise
inos vin krasi
alá mais má
11 «
Des locuteurs de l’arabe, par exemple, peuvent déclarer (en utilisant la variété basse) qu’un tel ou un tel
ne parle pas arabe. Cela signifie habituellement qu’il ne connait pas H, bien qu’il puisse parler couramment
et efficacement B. Si un non arabophone demande à un arabophone lettré de l’aider à apprendre l’arabe,
ce dernier essaiera normalement de lui enseigner des formes de H, en insistant sur le fait que celles-ci sont
les seules formes à utiliser. » (Ferguson, 1959).
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Haïti
Français (variété H) Créole haïtien (variété B)
homme, gens personne, gens moun
âne âne bourik
donner donner bay
beaucoup beaucoup apil
maintenant maintenant Kou-n-yé-a
La notion de diglossie a été reformulée et son champ d’application élargi par J. Fishman
(1967)12 qui l’a, en premier lieu, distinguée du bilinguisme : le premier phénomène est
une situation sociale dans laquelle au moins deux langues coexistent avec des statuts
différents, alors que le second est une faculté individuelle à l’usage d’au moins deux
langues. Comme l’indique le titre de son article de 1967, ces deux phénomènes ne sont
pas forcément concomitants. Fishman a ensuite étendu l’application de la notion de
diglossie à des situations de coexistence de langues non apparentées génétiquement :
toute situation dans laquelle deux langues ou plus de deux langues sont coprésentes et
concurrentes peut donc être vue comme diglossique (par exemple les sociétés coloniales
où coexistent la langue du colonisateur et celle(s) des autochtones, non apparentées
génétiquement).
à la suite de sa reformulation par Fishman, le concept de diglossie a été étendu ou adap-
té à des situations caractérisées par la présence de plus de deux langues. On parle ainsi
Chapitre 1 de triglossie ou de polyglossie qui correspondent généralement, selon M. Beniamino13,
Autour des contacts à des situations de « diglossie enchâssée » ou « juxtaposée », qui désignent respective-
de langues : ment selon cet auteur :
multilinguismes
sociaux • « une situation linguistique caractérisée par un « emboitement » de deux diglos-
sies ». Dans certaines situations africaines par exemple : d’une part entre le fran-
Page 18 çais et une (des) langue(s) véhiculaire(s) africaine(s), et d’autre part entre ce(s)
véhiculaire(s)14 et les vernaculaires africains. Par exemple au Sénégal le français est
seule langue officielle, et donc langue dominante par rapport aux langues locales.
Le wolof est l’une des six langues locales codifiées ayant le statut de langue natio-
nale (avec le peul, le sérère, le diola, le malinké et le soninké). Mais de ces 6 langues
nationales, le wolof est la seule langue utilisée comme véhiculaire pour la plupart
des communications interethniques, et de loin la plus utilisée dans l’enseignement
dans médias après le français : elle est donc dominante par rapport aux 5 autres
langues nationales. Pour plus de précisions consulter la page « Sénégal » du site de
J. Leclerc http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/senegal.htm
• une situation dans laquelle « la langue d’origine européenne (langue du colonisa-
teur) qui se trouve en position de variété haute (H) assure aussi des fonctions de
communication interethnique, en l’absence de véhiculaire africain » (ibid., p. 130).
Le cas du Gabon, où le français est à la fois la seule langue officielle et la seule
langue véhiculaire pour les échanges interethniques, est prototypique de cette
configuration.
12 F ishman, J., “Bilingualism with and without diglossia, diglossia with and without bilingualism”, in Journal
of Social Issues, 1967, n° 32, repris en 1971 dans l’ouvrage en français Sociolinguistique.
13 Beniamino, M., « Diglossie enchâssée / Diglossie juxtaposée », in Moreau, M.-L. (éd.), Sociolinguistique.
Concepts de base, Sprimont : Mardaga, 1997, p. 129-130.
14 Le terme « vernaculaire », appliqué à une langue ou à une variété linguistique, désigne le code utilisé au
sein d’un groupe. Il s’oppose à « véhiculaire » qui réfère, dans la définition de Calvet (1993), à un système
linguistique utilisé pour la communication entre groupes géographiquement voisins n’ayant pas le même
vernaculaire ou langue première (wolof ou bambara en Afrique de l’ouest ; swahili en Afrique de l’est ;
anglais à une large échelle). Comme le montre ce dernier exemple de l’anglais, une langue peut évidemment
être le vernaculaire d’un groupe et servir de véhiculaire, ce qui incite à appréhender ces notions en termes
de fonctions.
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u Cf. document 1 : définition de « polyglossie »15.
Bien qu’elle ait été importante dans la construction de la sociolinguistique, la notion de
diglossie est critiquable, notamment pour ce qui concerne sa stabilité : la situation grec-
que, l’un des cas que Ferguson donnait en exemple de sa théorie, a évolué. La variété
basse, le démotique a accédé au statut de langue officielle, supplantant l’ancienne
variété haute, comme cela avait été le cas pour les langues romanes (français, espagnol,
etc.) qui s’étaient imposées face au latin.
La théorie de la diglossie a également servi de base à une théorie qui considère que
l’inégalité de statut des langues en concurrence est de nature historique et politique :
ces langues sont en conflit.
Conflit linguistique
Prolongeant la théorie de la diglossie, tout en la critiquant pour sa neutralité entérinant
l’ordre de domination, la théorie du conflit linguistique a été élaborée par un courant
théorique regroupant les écoles de sociolinguistique catalane (L. Aracil et R. L. Ninyoles
à la suite notamment de Badia i Magarit,) et occitane (P. Gardy, R. Lafont). Ces « écoles »,
distinctes mais proches aux plans géographique, politique et scientifique, ont théorisé
le conflit linguistique.
La vision en termes de conflit linguistique tend à remettre en cause l’idée d’une coexis-
tence pacifique induite par la répartition fonctionnelle qu’impliquent le concept de
diglossie et le mythe bilinguiste. Pour les tenants de cette théorie, les langues en présen-
ce dans une situation de conflit linguistique sont donc soit dominantes soit dominées : Chapitre 1
« Il y a conflit linguistique quand deux langues clairement différenciées s’affrontent, l’une comme politi- Autour des contacts
quement dominante (emploi officiel, emploi public) et l’autre comme politiquement dominée. Les formes de langues :
de la domination vont de celles qui sont clairement répressives (telles que l’état espagnol les a pratiquées multilinguismes
sous le franquisme) jusqu’à celles qui sont tolérantes sur le plan politique et dont la forme répressive est sociaux
essentiellement idéologique (comme celles que pratiquent les états français et italien). Un conflit linguis
tique peut être latent ou aigu, selon les conditions sociales, culturelles et politiques de la société dans Page 19
laquelle il se présente. » (G. Kremnitz16, 1981 : 65-66.) »
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rarchisation des langues en présence (la langue dominante étant perçue comme utile,
standardisée, moderne, tandis que la langue dominée est vue comme celle du passé,
caractérisée par l’absence de règles explicites et d’utilité) et provoquent l’aliénation
linguistique. Le discours d’un ouvrier-paysan lorrain (né en 1907), analysé par S. Mougin
(1991 : 91) et cité par J. Billiez (2004)18 est à cet égard particulièrement significatif :
« – [Entre le patois et une langue] je fais une différence, c’est que la langue elle a une grammaire, elle a
des règles, le patois n’en a pas.
– Y a pas de règles ?
– Non, on le dira n’importe comment, personne n’est répréhensible. Tandis que du français, faut le causer
correctement, l’allemand, faut le causer correctement : ça c’est des langues. Tandis que le patois et le dia-
lecte c’est pas des langues.
– Le patois n’a pas de règles ? Comment vous conjuguez les verbes ?
– Bah on n’a pas de verbes ! On n’a pas de verbes ! On cause comme ça on tape dans le tas. On cause comme
ça, comme on sait, mais y a pas de règle. »
18 B illiez, J. « Et il fallut apprendre à étudier les représentations », in Gajo, L., Matthey, M., Moore, D., Serra, C.
(éds), Un parcours au contact des langues. Textes de Bernard Py commentés, Paris : Crédif-Didier (collection
LAL), p. 253-256.
19 Voir par exemple : Matthey, M., de Pietro, J.-F., « La société plurilingue : utopie souhaitable ou domination
acceptée ? », in Boyer, H., Plurilinguisme : « contact » ou « conflit » de langues, Paris : L’Harmattan, 1997,
pp. 133-190, ou Boyer, H., Introduction à la sociolinguistique, Dunod, 2001, section « La sociolinguistique
suisse : une autre conception de la diglossie », p. 50-52.
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entre locuteurs dans lesquels se construisent les pratiques des contacts de langues et se
manifestent leurs représentations. Selon ces chercheurs, les représentations des langues
et des usages, qu’elles soient conflictuelles ou pacifiques, sont actualisées et parfois
reconstruites en contexte, et doivent pouvoir être observées dans les interactions, parti-
culièrement dans les choix et les alternances de langues.
Sans nier la répartition fonctionnelle des langues et « la lutte des variétés pour le pou-
voir », G. Lüdi (1997 : 90)20 montre que tous les groupes sociaux utilisent le dialecte suisse
allemand tant dans la communication familiale que professionnelle : la diglossie est dite
médiale, dans la mesure où la répartition fonctionnelle se fait en fonction de la nature
écrite/orale de l’échange. Il affirme que la diglossie ne doit pas être réduite à sa dimen-
sion conflictuelle, et qu’elle peut même être consensuelle.
Quel que soit le modèle permettant de décrire et d’analyser les contacts de langues,
tous confèrent un rôle à l’action de différents acteurs sociaux ou instances politiques
dans la construction de la place et du statut des langues dans une société multilingue.
En ce sens, ils mettent en exergue l’aménagement linguistique dont l’analyse mais aussi
la définition constituent l’un des objets de la sociolinguistique.
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plusieurs langues n’est pas suivie d’effets concrets, en terme de communication étatique
ou d’enseignement) ou à visée pratique (par exemple, en France certains élus jugent
qu’il est nécessaire de défendre la langue française et décident de limiter les emprunts à
l’anglais et de leur proposer des équivalents francisés).
D. de Robillard réserve l’expression « planification linguistique » à la seconde opération
qui consiste à traduire une politique linguistique en « une stratégie d’ensemble compo-
sée d’actions viables, programmées dans le temps, les agents sont identifiés, les moyens
(financiers, humains, scientifiques…) prévus, etc. » (de Robillard, 1997 : 228).
Il existe de nombreux cas de figure. Nous n’évoquerons que les principaux.
Politique de non-intervention
Les politiques linguistiques peuvent être non-interventionnistes. Mais l’absence de déci-
sion explicite, équivalant à laisser les langues et les communautés linguistiques évoluer
« librement », est aussi un choix, qui bénéficie généralement à la langue dominante et
conduit à l’assimilation des langues dominées. Jacques Leclerc dénombre plus de cin-
quante états qui pratiquent ce laisser-faire.
Politique d’assimilation
Certains états, comme la France post-révolutionnaire peuvent par ailleurs décider d’une
politique délibérément orientée vers l’assimilation des communautés linguistiques mino-
Chapitre 1 ritaires et/ou dominées, et mettre en place des mesures pour accélérer cette évolution.
Autour des contacts Pour J. Leclerc cette politique est peu respectueuse des droits et de la protection des
de langues : groupes linguistiques et comporte le risque d’engendrer de l’animosité ou des conflits
multilinguismes entre groupe majoritaire et groupe(s) minoritaire(s).
sociaux
22 L a typologie des politiques linguistiques présentée est celle proposée par J. Leclerc sur son site
L’aménagement linguistique dans le monde, à laquelle quelques adaptations et simplifications ont été
apportées. (Voir l’adresse du site en bibliographie).
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d’une communauté vivant sur un territoire déterminé à l’intérieur d’un état, où la
langue minoritaire est co-officielle avec la langue majoritaire, qui peut être utilisée sur
tout le territoire (Val d’Aoste en Italie ; Catalogne, Galice, Navarre et Pays Basque en
Espagne).
•B
ilinguisme fondé sur les droits territoriaux : dans un pays bilingue ou plurilingue,
les langues reconnues sont séparées et leurs usages « confinés » de part et d’autre de
frontières linguistiques ; le droit d’utiliser sa langue n’est pas valable partout. L’état
peut être bilingue mais les provinces unilingues (Belgique, Suisse).
La construction d’une entité supranationale telle que l’Europe pose évidemment la ques-
tion de la politique linguistique qui y prévaut.
Le CE et les langues
Chapitre 1
à partir des années 1970, le CE promeut une réflexion et des recherches dans le domaine
Autour des contacts
de l’enseignement/apprentissage des langues, notamment dans les domaines de : de langues :
– la caractérisation des publics ; multilinguismes
sociaux
– la définition des besoins ;
– l’analyse de la communication et particulièrement son ancrage sociologique. Page 23
Ces recherches débouchent notamment sur la publication, en 1975-1976, de documents
respectivement intitulés Threshold level et Pour un niveau seuil, qui renouvellent pro-
fondément la didactique des langues étrangères en introduisant une réflexion sur les
situations de communication et corollairement sur la définition des besoins langagiers
des apprenants. Aujourd’hui encore le rôle novateur du CE dans les réflexions sur l’ap-
prentissage des langues et sur les politiques linguistiques ne se dément pas, notamment
grâce aux programmes de recherche que cette institution soutient. En effet, bien que
l’un des buts du Conseil soit de « favoriser la prise de conscience de l’identité euro-
péenne fondée sur des valeurs partagées et transcendant les différences de culture », les
politiques linguistiques qu’il promeut sont favorables au multilinguisme des sociétés et
au plurilinguisme des individus.
23 Il faut bien distinguer Union européenne et Conseil de l’Europe. Parmi les actions du CE, on peut noter
l’action menée en faveur de la diversité linguistique et culturelle grâce par exemple à l’élaboration et à la
promotion de la Charte des langues régionales et minoritaires, signée mais non ratifiée par la France.
24 Pour des informations générales sur le Conseil de l’Europe, voir en ligne : www.coe.int. Qui sommes-nous ?
25 P our un résumé du traité, voir le site de J. Leclerc : http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/charteresume.htm
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Le CE est également à l’origine du Cadre européen commun de référence26, dont on peut
considérer qu’il se situe à la fois dans le champ de la didactique (il définit des objectifs
d’apprentissage et des moyens d’évaluation) et dans celui de la politique linguistique
puisqu’il réaffirme l’objectif général du CE et doit contribuer à l’atteindre : « parvenir à
une plus grande unité parmi ses membres notamment par l’adoption d’une démarche
commune dans le domaine culturel ». Ce document, qui a commencé à prendre forme
en 1991 et s’est concrétisé en 2001, est une base commune pour l’élaboration de pro-
grammes de langues vivantes. L’objectif de cet instrument de référence est d’aboutir à
la convergence et à la comparabilité des systèmes éducatifs nationaux et de favoriser la
mobilité. Le Cadre décrit aussi précisément que possible les connaissances et habiletés
que les apprenants doivent développer dans une langue pour communiquer efficace-
ment. Il définit une échelle de niveaux de compétences, servant de modèle commun
pour l’évaluation des connaissances et des compétences dans différentes langues.
C’est dans les travaux préparatoires au Cadre qu’ont été définis la compétence plurilin-
gue (cf. Coste et al., 1998) ainsi que les objectifs de promotion du plurilinguisme.
Dans leur travail visant à formuler un Guide pour l’élaboration des politiques linguis-
tiques, J.-C. Beacco et M. Byram établissent que le plurilinguisme est le principe qui sous-
tend les actions du CE et de ses Etats membres en matière de politique linguistique, et
en donnent une double définition :
« Les politiques linguistiques, les politiques linguistiques éducatives et les idéologies linguistiques qui leur
donnent sens seront rapportées au plurilinguisme, retenu comme principe des politiques linguistiques
éducatives par le Conseil de l’Europe. Le plurilinguisme est à entendre comme :
Chapitre 1 – la capacité intrinsèque de tout locuteur à employer et à apprendre, seul ou par un enseignement, plus
d’une langue. Cette compétence à utiliser plusieurs langues, à des degrés de compétence différents et
Autour des contacts
pour des buts distincts est définie dans le Cadre européen commun de référence (p. 129), en tant que
de langues :
compétence « à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède,
multilinguismes
à des degrés divers, la maitrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures [tout en étant à
sociaux
même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel] ». Cette compétence se matérialise dans un
répertoire de langues que le locuteur peut utiliser. La finalité des enseignements est de développer cette
Page 24 compétence (d’où l’expression : le plurilinguisme comme compétence) ;
– une valeur éducative fondant la tolérance linguistique : la prise de conscience par un locuteur du carac-
tère plurilingue de ses compétences peut l’amener à accorder une valeur égale à chacune des variétés
utilisées par lui-même et par les autres locuteurs, même si celles-ci n’ont pas les mêmes fonctions (com-
munication privée, professionnelle, officielle, langue d’appartenance). Mais cette prise de conscience doit
être accompagnée et structurée par l’Ecole, car elle n’est aucunement automatique (d’où l’expression : le
plurilinguisme comme valeur).
Le plurilinguisme est à considérer sous ce double aspect : il constitue une conception du sujet parlant
comme étant fondamentalement pluriel et il constitue une valeur, en tant qu’il est le fondement de la
tolérance linguistique, élément capital de l’éducation interculturelle. »
Beacco, J.-C., Byram, M., Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques, 2003, p. 15-16, (version pdf
consultable en ligne).
Force est de constater que dans le contexte européen, le plurilinguisme est au centre
d’une réflexion renouvelée sur l’enseignement des langues et que l’accent est mis ici sur
la capacité à employer et à apprendre plusieurs langues, en vue de favoriser les échanges.
Comme on le voit, les relations entre les langues reflètent les relations entre les groupes
humains, les dominations politiques et économiques ; l’évolution des rapports entre idio-
mes résulte également des changements sociaux, (géo)politiques et historiques.
Mais il est important de préciser dès à présent que le contact de langues n’est pas que
la rencontre d’objets ou de systèmes linguistiques désincarnés – les langues homogènes,
abstraites et décontextualisées de la linguistique structuraliste. Ce contact de langues est
le fait de locuteurs qui en sont le lieu et s’actualise généralement soit dans la coexistence
pacifique soit dans le conflit des langues.
26 C
onsultable en ligne sur le site du conseil de l’Europe.
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Ainsi, selon L.-J. Calvet (1993 : 112), l’aménagement linguistique (qu’il nomme, lui,
politique linguistique) peut prendre une forme quotidienne, se manifestant par les
choix qu’opèrent, en situation de multilinguisme par exemple, les locuteurs dans leurs
échanges, dans le but de favoriser l’intercompréhension ou de remplir d’autres fonctions
(et notamment la fonction identitaire, sur laquelle nous serons amenés à revenir en
détail dans le chapitre 4. On parle dans ce cas de politique « par le bas » ou « in vivo » :
il peut s’agir par exemple, dans un couple mixte, du choix de la ou des langue(s) dans la/
lesquelle(s) sont élevés les enfants, ou également du choix (le swahili en Afrique de l’est)
ou de l’élaboration in vivo d’une langue véhiculaire (sabir, pidgin).
27 N
elde, P.-H., « Le nouveau plurilinguisme de l’Union européenne et la linguistique de contact », in Revue
française de linguistique appliquée, décembre 2004, vol. ix-2, p. 31-46.
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S’exercer
Activité 1
à partir des chiffres de ce tableau, livrez-vous au petit exercice suivant : pour chaque
continent, calculez approximativement le ratio entre le nombre de langues et le nombre
de pays, puis le nombre de locuteurs moyen pour chaque langue. Malgré la circonspec-
tion qu’appellent ces moyennes, quelles observations et conclusions peut-on faire ?
Activité 2
Caractérisez en quelques phrases l’orientation du Conseil de l’Europe en matière de
politique linguistique.
Activité 3
Que recouvre le terme de diglossie ? Quelles en sont les principales caractéristiques ?
Quelles sont les différences entre la définition de Ferguson et celle de Fishman ?
Activité 4
Quelles sont les différences entre :
a. Politique linguistique et planification linguistique ?
b. Aménagement du corpus vs du statut ?
c. Multilinguisme, diglossie, conflit linguistique ?
Activité 5
Quelles sont les issues possibles d’un conflit linguistique ?
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Activité 6
onnaissez-vous des personnes dont certains discours peuvent être rapprochés de l’une
C
des 3 attitudes en situation de conflit linguistique ? De quelle teneur sont ces discours ?
Si vous n’en connaissez pas, rendez-vous sur un forum dont le thème concerne les lan-
gues régionales et leur statut en France.
Activité 7
uelles sont les politiques linguistiques (notamment en matière éducative) en vigueur
Q
concernant la ou les langue(s) officielle(s) et les autres langues dans le pays où vous
résidez ? Observez-vous des écarts entre ce qui est proclamé et ce qui se produit dans
les faits ? De quelle nature, en faveur de quelle(s) langue(s) ?
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
Activité 8
Quels types de politiques linguistiques ont cours en France ?
Activité 9
Que répondriez-vous à quelqu’un qui vous affirmerait que :
a. le français est la seule langue de France ;
b. l’état français est respectueux des langues et des cultures de France ?
Activité 10 Chapitre 1
Autour des contacts
our plus d’informations sur les politiques linguistiques des deux institutions euro-
P de langues :
péennes Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne, lire et résumer les principales multilinguismes
sociaux
instances, outils et mesures dans les 2 pages du dossier du CIEP :
http://ciep.fr/sites/default/files/atoms/files/focus-politiques-linguistiques-europe. Page 27
pdf
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
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Retenir
Notions essentielles
• Langue
• Diglossie
• Conflit linguistique (issues possibles, attitudes qui sont liées au conflit)
• Langue vernaculaire
• Représentations sociales et sociolinguistiques
• Aménagement linguistique : politique vs planification ; du statut d’une ou
plusieurs langues vs du corpus d’une ou plusieurs langues ; Principaux types de
politiques linguistiques, et notamment les politiques bilingues ou plurilingues
• Politiques linguistiques européennes
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Chapitre 2
Les situations de bi-plurilinguisme individuelles
u Plan
Définitions
Le développement du bi-plurilinguisme
Modalités de « cohabitation » des langues : le répertoire bi-plu-
rilingue
Modalités de « gestion » et d’actualisation du bi-plurilinguisme
Découvrir
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Le développement du bi-plurilinguisme
De la même manière que l’on ne nait pas locuteur d’une langue (ce qui questionne bien
évidemment la notion de « locuteur natif »), on ne nait pas bilingue ou plurilingue ;
on le devient par l’action de différents facteurs, à différentes périodes de sa vie. Ainsi,
naitre de parents de langues premières29 différentes est classiquement considéré comme
un facteur de développement bilingue, bien que cette issue ne soit pas systématique.
Les sujets développent des répertoires bi-plurilingues, soit parce que, dès leur petite
enfance, ils grandissent et sont socialisés dans un environnement bi-plurilingue (c’est le
cas d’une grande partie des enfants dans le monde), soit parce que leur trajectoire bio-
graphique, et particulièrement leur mobilité ultérieure – pendulaire (travailleurs fronta-
liers), temporaire (voyageurs, professionnels travaillant au contact de plusieurs langues)
ou définitive (exilés, migrants) – les amène à utiliser régulièrement plusieurs langues.
Les spécialistes distinguent d’ailleurs le bi-plurilinguisme selon que les deux langues sont
acquises simultanément ou successivement.
29 L e non-usage de l’expression « langue maternelle » résulte d’un choix délibéré. Pour une critique de cette
expression, voir notamment Moore (2006 : 107-109) Dabène (1994 : 8), Lüdi et Py (2003 : 44), Baker, C., Prys
Jones, S., Encyclopedia of Bilingualism and Bilingual Education, Clevedon : Multilingual Matters, 1998, p. 47.
30 Cette théorisation ayant été menée en considérant deux langues, nous conservons ici les termes « bilingue/
bilinguisme », bien qu’elle s’applique souvent à des locuteurs ayant des compétences dans plus de deux
langues (par exemple, beaucoup des migrants arrivés en France du Maghreb ou d’Italie étaient déjà au
moins bilingues dans leurs régions d’origine, caractérisées par des situations diglossiques (arabes littéraire
vs arabes dialectaux et/ou variétés de berbères ; « italien national » vs dialectes italiens). Eu égard à ce
déplacement théorique et à la prise en compte de la notion de « compétence partielle » (cf. supra la défi-
nition de « plurilinguisme » de Beacco et Byram), les questions qui touchent la simultanéité / successivité de
l’appropriation perdent une grande partie de leur pertinence.
31 T
aeschner, T., The sun is féminin, a study on language acquisition in bilingual children, Berlin : Springer,
1982.
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Mais ce modèle de fusion puis de différenciation progressive est remis en question
notamment par F. Genesee (1989) et J. Meisel (1989)32 qui apportent des éléments attes-
tant que les enfants bilingues sont capables, dès leur entrée dans le langage, de diffé-
rencier leurs systèmes grammaticaux. Le stade II n’aurait donc pas de réalité empirique,
et de plus, concernant le stade I, il faudrait, pour ces deux chercheurs, se demander si
le « mélange » de ses deux langues par l’enfant n’est pas dû aux « mélanges » (cf. plus
loin la notion d’alternance codique) des adultes qui fournissent l’input ou modèle lin-
guistique33.
32 G
enesee, F., “Early bilingual language development : one language or two ?”, in Journal of Child Language,
1989, 16 : 161-179 ; Meisel, J. M., “Early differenciation of language in bilingual children”, in Hyltenstam,
K., Obler, L. (eds), Bilingualism across the lifespan, Cambridge : Cambridge University Press, 1989, p. 13-40.
33 Concernant la différenciation des systèmes par l’enfant bilingue, cf. notamment Deprez, 1994 : p. 110-130.
34 Comme nous le précisions déjà dans le chapitre 1, il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de langues
dans le monde ne sont pas écrites.
35 Là encore, la conception d’une compétence plurielle rend caduque cette opposition puisque, par nature,
le bi-plurilinguisme est la combinaison d’habiletés différentes dans différentes langues, développées en
fonction des besoins communicatifs situés.
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Quelques exemples de sujets bi-plurilingues
• S ujet né dans un pays anciennement colonisé utilisant une langue première verna-
culaire et la langue de l’ex-colonisateur, devenue officielle à l’indépendance (cas de
nombreux peuples autochtones d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie).
•M
igrant devant utiliser quotidiennement sa ou ses langue(s) familiale(s) ainsi que la ou
les langue(s) du pays/de la région de résidence.
• Enfant d’un couple mixte dont les parents utilisent et transmettent chacun leur langue.
• élève d’une classe bilingue, suivant ses enseignements dans au moins deux langues.
• Salarié travaillant régulièrement dans une autre langue que sa première langue.
36 O
n trouve déjà cette idée de « répertoire » dans la définition du plurilinguisme proposée par J.-C. Beacco et
M. Byram (cf. supra, chapitre 1) ; attention, le répertoire verbal ne se limite pas au lexique ou vocabulaire.
37
Tabouret-Keller, A., « Le bilinguisme : pourquoi la mauvaise réputation », in Migrants-Formations,
décembre 1990, n° 83, p. 18-23. (disponible en ligne : tapez le titre dans un moteur de recherche). Par ail-
leurs, G. Lüdi, dans son plaidoyer en faveur du bilinguisme L’enfant bilingue : chance ou surcharge ? (http://
sprachenkonzept.franz.unibas.ch/Annexe_8.html) cite aussi S. Laurie qui écrivait « s’il était possible pour un
enfant de vivre dans deux langues à la fois, tant pis. Sa croissance intellectuelle et spirituelle ne serait pas
ainsi doublée, mais divisée par deux. L’unité de son esprit et son caractère auraient de grandes difficultés à
s’affirmer dans de telles circonstances. » (Laurie, S.S. (1890) : Lectures on Language and Linguistic Method
in School, Cambridge, Cambridge University Press, p. 15, notre traduction).
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pan-indien, sera probablement en hindoustani ; il lira un journal en gujarati standard non littéraire et,
s’il a une éducation secondaire, il regardera un film en anglais à la télévision ou écoutera à la radio le
commentaire en anglais d’un match de cricket. S’il est assez riche, il enverra ses enfants dans une école où
l’enseignement se fait en anglais. »38
La compétence bi-plurilingue
Cette capacité à choisir la langue ou la variété de langue que l’on utilise résulte d’une
compétence qui n’est pas à proprement parler linguistique, mais qui met aussi et surtout
en jeu des connaissances sociales et culturelles : c’est la compétence de communication,
définie en ces termes par D. Hymes : Chapitre 2
« Un enfant acquiert une connaissance des phrases, non seulement comme grammaticales, mais aussi Les situations
comme étant ou non appropriées. Il acquiert une compétence qui lui indique quand parler, et aussi de quoi de bi-plurilinguisme
parler, avec qui, à quel moment, où de quelle manière. » (Hymes, 1984 : 74.) individuelles
En effet, en plus de et en complémentarité avec les formes verbales et les autres formes Page 33
signifiantes (conduites non verbales) qui composent le répertoire communicatif, la com-
pétence de communication comprend toute une série de règles d’usages des ressources
communicatives : comment s’adresser (ou ne pas le faire) à telle ou telle personne
dans telle situation (en fonction du lieu, du moment, des participants, de la présence
de public…), pour atteindre tel but en réalisant des actes de langage. La compétence
de communication dépasse donc largement les compétences purement linguistiques et
embrasse des savoirs d’ordre socioculturel (comment s’adresser, ou ne pas le faire, à un
interlocuteur socialement identifié par son statut et un/des rôle(s)) et des savoirs sur le
monde (connaissances déclaratives).
La définition que donnent D. Coste, D. Moore et G. Zarate de la compétence plurilingue
(et pluriculturelle), et qui a inspiré celle de Beacco et Byram (cf. supra, l’extrait du Guide
pour l’élaboration des politiques linguistiques) est à cet égard très claire :
« On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagière-
ment et à interagir culturellement possédée par un acteur qui maitrise, à des degrés divers, plusieurs lan-
gues, et a, à des degrés divers, l’expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer l’ensemble
de ce capital langagier et culturel. L’option majeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou
juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien existence d’une compétence plurielle, com-
plexe, voire composite et hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles, mais qui est
une en tant que répertoire disponible pour l’acteur social concerné. » (Coste, Moore et Zarate, 1998 : 12).
38 L a description originale a été réalisée par P. Pandit dans « Perspectives in sociolinguistics in India », extrait
de Mc Cormack, W. C., Wurm, S. A. (Eds), Language and society, The Hague : Mouton, p. 171-182. Elle est
citée par J. Hamers et M. Blanc dans Bilingualité et Bilinguisme, Bruxelles : Editions Mardaga, 1983.
39 Le terme de « lecte » designe une variété de langue. On le retrouve dans les notions d’idiolecte, de dialecte/
régiolecte, ou encore de sociolecte, qui renvoient respectivement à des variétés linguistiques individuelles,
géographiques et sociales.
8 1118 TG PA 00
communicative d’un sujet bi-plurilingue « stable40 » est donc aussi fonctionnelle et effi-
cace que celle d’un monolingue (à niveaux socioéconomique et d’études identiques) dès
lors qu’elle lui permet de communiquer aussi efficacement dans toutes les situations
sociales auxquelles il est confronté : c’est cela qui doit être évalué et non pas seule-
ment les compétences linguistiques qui diffèrent presque toujours, le bi-plurilinguisme
équilibré étant une situation exceptionnelle. Nous conclurons ce point avec le clin d’œil
métaphorique de F. Grosjean, à cet égard très « parlant » :
« Il ne viendrait jamais à l’esprit de l’amateur d’athlétisme de comparer le coureur de 110 mètres haies à
la fois au sauteur en hauteur et au sprinter. Et pourtant le premier combine en partie les compétences du
sauteur et du sprinter, mais il le fait de telle manière qu’elles deviennent un tout indissociable, formant
ainsi une compétence nouvelle. Et ce n’est qu’en tant qu’athlète performant qu’il peut être comparé au
sprinter ou au sauteur. Cette analogie reflète assez bien la situation du bilingue face au monolingue. »
(Grosjean, 1984 : 19-20.)
Ainsi, C. Deprez rapporte cet exemple d’un enfant qui, changeant de milieu de vie, cesse
Chapitre 2 de parler l’une de ses langues :
Les situations « Burling a montré que son fils dont le garo était la langue dominante jusqu’à l’âge de cinq ans, c’est-à-dire
de bi-plurilinguisme pendant sa petite enfance passée en Inde, a cessé d’employer cette langue dès que la famille est retournée
individuelles aux Etats-Unis. L’enfant qui parlait même le garo en dormant ne l’utilisera pratiquement plus par la suite,
y compris avec son père, alors qu’il avait l’habitude de s’en servir quotidiennement avec lui auparavant en
Page 34 Inde. Au bout de six mois, aux USA, la langue aura complètement disparu. » (Deprez, 1994 : 138-9.)
8 1118 TG PA 00
bilingue et bi-plurilingue, opérée notamment par P. Lambert. En effet, invitant au chan-
gement de paradigme du bi- au pluri- en travaillant sur des situations plurilingues et
non plus seulement bilingues, P. Lambert (2005) propose de modéliser le continuum, afin
d’intégrer plus de deux langues.
8 1118 TG PA 00
locuteur à son interlocuteur (face à une attitude qu’il juge hostile, un locuteur peut
choisir de marquer sa distance en opacifiant son message) ;
– le choix de langue est enfin déterminé par les paramètres de la situation de com-
munication (statuts et rôles des interactants, thème de l’échange, présence de tiers)
et plus largement du macrocontexte sociolinguistique (statuts formels et informels
des langues).
J. Gumperz (1989b) met quant à lui en relation le choix de langue et le type d’interac-
tion, selon que celle-ci est personnelle (les participants à l’interaction agissent en tant
que sujets) ou transactionnelle (les sujets s’effacent relativement au profit de leurs sta-
tuts ou d’un rôle social déterminé).
Le point sur lequel insistent autant F. Grosjean que G. Lüdi et B. Py est qu’il faut toujours
se demander comment la situation de communication est définie par les participants
bi-plurilingues eux-mêmes. En effet, ce qui peut apparaitre à un observateur extérieur
monolingue comme une erreur, voire une « affreuse faute » (un transfert d’une règle
syntaxique par exemple, une interférence phonologique) peut résulter d’une planifica-
tion ou d’un choix d’avoir recours à un parler bi(pluri)lingue, c’est-à-dire de mobiliser des
ressources de ses deux codes. Dans ce cas, lorsque le choix de langue ne conduit pas le
bi-plurilingue à une production quasi-unilingue44, il façonne un parler bilingue (Lüdi et
Py, 2003 : 140) qui est « une forme de choix de langue », secondaire par rapport au choix
d’une langue de base (ibid.). Dans le schéma de P. Lambert (doc.3), la zone centrale maté-
rialisée par un cercle comprend les différentes possibilités de convergences linguistiques,
ponctuelles ou plus stables : il s’agit de la possibilité d’utiliser un parler plurilingue (PP),
Chapitre 2 reformulation/extension de ce que G. Lüdi et B. Py conceptualisaient comme « parler
Les situations bilingue ». Pour neutraliser l’opposition entre deux langues ou plus de deux langues,
de bi-plurilinguisme nous opterons pour notre part pour l’expression parler bi-plurilingue (PBP).
individuelles
Alternance codique
Comme la notion de bilinguisme qui la fonde, l’alternance codique (également appelée
code switching) a également fait l’objet de multiples définitions. Selon J. Gumperz, « l’al-
ternance codique dans la conversation peut se définir comme la juxtaposition à l’inté-
rieur d’un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes
ou sous-systèmes grammaticaux différents » (Gumperz, 1989b : 57).
44 M
ême si l’interaction est définie comme unilingue, il est rare que des traces de la (des) langue(s) exclue(s)
de l’interaction n’apparaissent pas, même sous une forme très minimale. En effet, le désamorçage total de
l’autre langue n’est guère aisé. On parle alors traditionnellement d’interférence.
8 1118 TG PA 00
G. Lüdi et B. Py considèrent quant à eux l’alternance codique comme « le passage d’une
langue à l’autre dans une situation de communication définie comme bilingue par les
participants,. […] l’alternance codique [...] présuppos[ant] le maintien de deux systèmes
distincts » (ibid.).
Gumperz (1989b : 57) distingue des alternances situationnelles dans lesquelles le
changement de langue est déterminé par un élément de la situation (par exemple un
changement d’interlocuteur ou l’arrivée d’un nouveau participant à l’interaction qui ne
comprend pas la langue utilisée auparavant) et des alternances conversationnelles ou
métaphoriques qui sont plus liées quant à elles au contenu du message45 ; par exemple
le changement de langue peut permettre de rapporter des propos tenus dans une autre
langue, peut servir à référer à une réalité qu’aucun mot ne désigne précisément dans la
langue utilisée, comme dans l’exemple suivant recueilli à Grenoble dans le discours d’un
adolescent fils d’immigrés algériens :
« H. là-bas, c’est pas hallal / moi, je mange pas de viande de cette boucherie. »
L. Dabène (1994 : 95), précise que le passage d’une langue à une autre joue un rôle dans
la construction et le déroulement de l’interaction. Ainsi, le changement de langue peut
permettre une emphase sur un segment (par l’usage d’une interjection par exemple,
d’une formule de jurement (cf. exemple 4 ci-dessous). D’autres alternances codiques
(AC) pourront permettre à un sujet de désigner un participant comme destinataire, ou
de combler une lacune, par exemple lexicale. Le passage d’une langue à une autre peut
jouer un rôle dans la redéfinition de la situation d’interaction et de la relation entre
les participants, en fonctionnant par exemple comme un indice de connivence ou au
contraire de distance. Par exemple pour des immigrés de même origine, le passage de Chapitre 2
la langue du pays de résidence à la langue de la région d’origine peut signifier un rap- Les situations
prochement. de bi-plurilinguisme
individuelles
Au total, Lüdi et Py (2003 :159) décrivent huit fonctions de l’alternance codique :
Page 37
Marquage de l’appartenance des locuteurs / auditeurs à une même communauté bilingue et
I
biculturelle
II Indication du destinataire original dans un discours rapporté
III Indication du destinateur original dans un discours rapporté
IV Marquage d’un commentaire métadiscursif
V Accroissement du potentiel référentiel
Utilisation d’avantages spécifiques à l’une ou à l’autre des langues (expressions précodées,
VI
mots transparents, etc.)
Marquage de l’appartenance de l’évènement relaté à un domaine d’expérience (fonction
VII
déictique)
VIII Amélioration de l’accès lexical
45 P
our des transcriptions et des analyses illustrant bien ces deux catégories voir Deprez (1994 : 190-201).
8 1118 TG PA 00
Quelques exemples d’alternances codiques
N. B. : les traductions sont en gras et italique.
(1) Discussion entre parents et enfants à propos de la venue d’invités pour Noël :
1A (fils) – Luis, il vient ?
2B (ami de Luis) – J’sais pas.
3C (mère) – No t’a pe dit (il ne t’a pas dit) ?
4B – No porque hay sus primos (non parce que ses cousins sont là).
(Dabène et Moore, 1995.)46
(2) Entre adolescents, fils de migrants d’Afrique du Nord :
« c’est qui qui a [halit] (ouvert, en arabe tunisien) la bouteille ? »
(3) Entre descendants de migrants d’Afrique du Nord :
« Non, (il) faut pas parier dans une main qui a le [hena] (henné). »
(4) Entre adolescents fils de migrants d’Afrique du Nord :
« C’est vrai walla (en arabe : « par Dieu » = je te jure) ce matin i(l) va même pas faire
sa compétition de Tae Kwon do. »
(5) S . : « A » lay-kum es-salâm u rehmatu-llâh (arabe classique : que la paix soit sur vous
et la miséricorde de Dieu). Allez viens N. »
(6) L a semana próxima tengo cada vez de las doce a las dos y luego tengo que venir otra
Chapitre 2 vez (la semaine prochaine, je dois (y aller) de midi à deux heures et après je dois
Les situations revenir) pendant au moins trois jours je fais ça (Dabène, 1994 : 94)
de bi-plurilinguisme
individuelles Comme on peut le constater, une alternance codique (AC) peut être de différente taille
et s’insérer selon différentes modalités dans le discours ou la conversation. Pour les clas-
Page 38 ser, nous nous appuierons donc sur une typologie proposée par Dabène (1994).
•A
C inter-interventions : en premier lieu, il peut y avoir un changement de langue
entre deux interventions d’un même locuteur, comme en (1). Dabène (1994) parle alors
d’alternance inter-intervention ou de remise en cause du choix de langue. Ce type de
changement est souvent déterminé par l’énoncé qui précède : le locuteur change de
langue pour « suivre » son / un interlocuteur, marquant ainsi par cette convergence son
adhésion homodialectale. L’ami de Luis change de langue entre ses interventions 2 et
4, passant du français à l’espagnol, pour s’adresser à la mère, dont les compétences en
français semblent moins développées que celles des jeunes. Même si dans le présent
exemple, la mère n’utilise pas vraiment l’espagnol mais plutôt un énoncé mêlant sys-
tème syntaxique français (présence de « t’ », et « dit » qui appartiennent au français et
constituent un syntagme verbal, « pe » (pas) combiné à « no », qui peut être une pro-
nonciation espagnole du « ne » français) et espagnol (absence de pronom de troisième
personne, la forme « no » pouvant aussi correspondre à une simple négation).
•A
C inter-actes : à l’intérieur d’une même intervention ou du même tour de parole, une
alternance peut ensuite se produire entre deux actes de langage (c’est-à-dire entre
deux unités fonctionnelles, pragmatiques). Dans la terminologie de L. Dabène, on parle
alors d’alternance intra-intervention inter-actes. Dans l’exemple (5), S. produit un acte
de salutation en arabe classique à l’intention de tous les participants à l’échange, puis
adresse, en français, une injonction/invitation à N : on a bien alors une alternance de
langues entre deux actes mettant en œuvre plusieurs unités. Lorsque l’alternance a
lieu dans une même intervention et à l’intérieur d’un seul acte de langage, elle est dite
segmentale, comme c’est le cas dans l’exemple (6).
46 D
abene, L., Moore, D., “Bilingual speech of migrant people”, in Milroy, L., Muysken, P. (eds), One speaker,
two languages, Cambridge : Cambridge University Press, 1995.
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•A
C unitaires – incises vs inserts – : les exemples (2) et (3) illustrent le cas où l’alternance
ne porte que sur un item lexical ou grammatical, une unité, intégrée syntaxiquement.
En effet, le nom [hena] forme un syntagme nominal avec son déterminant « le » tandis
que « halit » est utilisé comme participe passé après l’auxiliaire avoir. On a ainsi une
alternance unitaire de type incise. Formellement, l’introduction d’une incise s’appa-
rente à un emprunt, mais résulte de l’initiative du locuteur, et n’est pas lexicalisée,
contrairement à d’autres termes d’arabe dialectal comme « chouya » (un peu)47. Enfin,
l’insert tel qu’on peut l’observer en (4) consiste à insérer une seule unité sans que celle-
ci soit intégrée syntaxiquement.
Voici résumés dans un schéma les différents types d’alternances codiques classés selon
leur modalité d’insertion dans le discours.
AC
inter-interventions intra-intervention
inter-actes intra-acte
Chapitre 2
Les situations
segmentale unitaire de bi-plurilinguisme
individuelles
Page 39
insert incise
47 P
our ce genre d’emprunts, F. Grosjean utilise le terme d’« emprunt de parole », qu’il oppose aux « emprunts
de langue » passés dans l’usage commun, voire légitimés par leur présence dans les dictionnaires.
8 1118 TG PA 00
Si l’on observe les trois premiers exemples, on se rend compte que les mots « extendu »,
« watchas » et « tchouraveur » portent les traces du contact des langues. Ils permettent
de mettre en évidence le premier type de marque transcodique constitué en quelque
sorte par la fusion d’unités issues de deux langues en une seule unité linguistique : on
parle de mélange de langues ou code mixing.
Ainsi, en (1) « extendu » résulte de l’ajout de la terminaison « -u » (marque de participe
passé de verbes du 3e groupe en français) au verbe anglais to extend. Grosjean à qui
l’exemple est emprunté l’analyse comme une interférence et lui attribue donc un carac-
tère involontaire.
En (2) la forme « watchas » (tirée d’une chanson, et donc sans doute volontaire) est
construite en conjuguant le verbe anglais to watch (regarder) avec le paradigme espa-
gnol dans lequel la terminaison « -as », marque la deuxième personne du singulier.
Il s’agit d’une des nombreuses créations qui forment, aux Etats-Unis, une variété de
contact entre l’anglais et l’espagnol nommé spanglish.
L’un des critères (parfois ténu, il faut le reconnaitre) permettant d’identifier le « mélange
de langues » et de le distinguer de l’AC semble donc être le fait que le mélange linguis-
tique (code mixing) ne respecte pas l’intégrité des systèmes en présence (G. Lüdi et B.
Py, 2003 : 155).
(3) illustre un cas où le verbe tchourav (qui signifie « voler » en romani) est dérivé grâce
au suffixe « eur » sur le modèle vol(er) > voleur, ce qui crée un nom, intégrant formel-
lement une lexie empruntée par le français. A propos de ce lexème, il faut signaler qu’il
Chapitre 2
n’est pas le fait d’un locuteur qui serait bilingue français-romani, contrairement aux
deux exemples précédents.
Les situations
de bi-plurilinguisme (4) fournit une occurrence de ce que l’on peut appeler un calque, dans ce cas de nature
individuelles
sémantique. En effet, l’expression anglaise « talking trough his hat » qui signifie « parler
Page 40 pour ne rien dire » est traduite littéralement en français, langue dans laquelle elle ne
signifie rien. Les calques sont une entrée classique de l’analyse des marques transcodi-
ques dont J. Hamers donne la définition suivante.
« Le calque est une construction transposée d’une langue à une autre. » (Hamers, 1997 in Moreau (éd) : 64.)
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S’exercer
Activité 11
omparez les définitions suivantes du bilinguisme en vous attachant à identifier les
C
critères définitoires que leurs auteurs mettent en avant.
• Bloomfield (1935)
« Le cas extrême dans [la] connaissance d’une langue étrangère survient lorsque le locuteur est si compé-
tent qu’on ne peut le distinguer des locuteurs autour de lui pour qui cette langue est leur langue mater-
nelle. [...] Lorsque cette connaissance parfaite d’une langue étrangère ne s’accompagne pas d’une perte
de la langue maternelle, nous aboutissons au bilinguisme, connaissance de deux langues comme si elles
étaient toutes deux maternelles. »
Bloomfield, L., Language, London : Allen and Unwin, 1935 (trad. Le langage, Payot, 1970, p. 57).
• Myers-Scotton (2006)
« Le bilinguisme est la capacité à utiliser deux ou plus de deux langues suffisamment pour mener une
conversation limitée ou informelle, mais nous ne fixerons pas de limites déterminées à la compétence ou
de seuil quantitatif quant à la capacité à s’exprimer ou à comprendre un interlocuteur. Cette définition ne
limite pas le bilinguisme au fait de parler un dialecte spécifique de la L2 ; cela peut être un dialecte stan-
dard ou n’importe quel dialecte non-standard » (Myers-Scotton, 2006, Multiple voices. An introduction to
bilingualism, Blackwell, p. 44, ma traduction).
Activité 12
En vous appuyant sur les analyses des définitions du bilinguisme, dites quel est le
déplacement majeur entre une conception commune du bilinguisme et une conception
fonctionnelle, débouchant sur la notion de compétence plurilingue ?
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
Activité 13
établissez votre répertoire verbal (qu’il soit monolingue ou bi-plurilingue), en mettant
en relation des composantes langagières, des situations et des fonctions.
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
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Activité 14
Faites un schéma permettant de rendre compte de l’articulation entre : langues, réper-
toire verbal et compétence de communication.
Activité 15
Examinez votre compétence de communication, et, si vous enseignez, celles de certains
de vos étudiants : cherchez des connaissances, des savoirs ou savoir-faire qui ne sont
pas à proprement parler linguistiques mais qui sont importants pour communiquer de
façon appropriée (par exemple : ne pas parler trop fort dans certains lieux, comme des
bibliothèques, des hôpitaux ou des lieux de cultes ; regarder son interlocuteur dans les
yeux ou ne pas le faire, etc.).
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu).
Activité 16
Qu’est-il important de déterminer pour catégoriser ou évaluer (dans une perspective
didactique par exemple) les marques transcodiques qui constituent le parler bilingue
ou plurilingue ?
Activité 17
Observez vos échanges bilingues (ou à défaut ceux d’une personne de votre entourage) :
prêtez attention aux moments où vous changez de langue en insérant un segment (mot,
expression, phrase) et tentez d’identifier la raison ou la fonction des changements ;
demandez-vous quels éléments de la situation ou de l’interaction ont pu déclencher le
Chapitre 2
changement. Mettez ces aspects en relation avec la typologie et le tableau des fonctions
Les situations
de l’alternance codique.
de bi-plurilinguisme
individuelles (Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu).
Page 42
Activité 18
Discutez avec une personne bilingue de votre connaissance : demandez-lui quand et
comment elle est entrée en contact avec ses différentes langues, lesquelles elle emploie
régulièrement, quand, comment et pour quoi elle les utilise, quelles fonctions elle
attribue à chacune d’elle, etc. : essayez d’établir sa biographie langagière. Faites une
synthèse graphique.
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
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Retenir
Notions essentielles
•P
our des compléments et des considérations générales sur le bilinguisme et
le plurilinguisme: le site de ressources de la section FLE de l’Université de
Strasbourg http://fle.u-strasbg.fr/ressources/documents/module3/bilinguisme.
php, Hélot (2007) : chapitres 1 et 2 ou encore Moore (2006) chapitres 1, 2 et 4.
8 1118 TG PA 00
Chapitre 3
Multiples conceptions de l’identité
u Plan
L’identité : une réalité complexe entre mêmeté et altérité,
à l’interface des sujets et des groupes
Perspectives plurielles, dynamiques et stratégiques
Découvrir
O Avant de commencer à étudier cette partie, faites l’activité 19 : « qui suis-je ? » p. 58.
48 D
ans une de ses versions courantes, les sujets enquêtés doivent répondre vingt fois de manière différente
à la question « qui suis-je ? ».
8 1118 TG PA 00
L’identité : une réalité complexe entre mêmeté
et altérité, à l’interface des sujets et des groupes
Au-delà de son sens commun, l’examen de l’étymologie du terme identité (du latin
« idem », le même) fait apparaitre la difficulté à cerner le sens, ou du moins une signifi-
cation monosémique de la notion.
D’une part, elle renvoie à la qualité qu’a un objet ou un sujet d’être semblable à d’autres,
tout en en étant distinct, quand, d’autre part, elle désigne le fait pour ce même sujet ou
objet, d’être unique. Comme le précise E.-M. Lipiansky, « l’identité se propose ainsi, au
niveau même de sa définition, dans le paradoxe d’être à la fois semblable et différent,
unique et pareil aux autres » (Lipiansky, 1992 : 7).
On peut d’ailleurs observer que « identique », qui veut dire « semblable », renvoie à une
identité logique, à une relation de « mêmeté » en quelque sorte interne, intra indivi-
duelle49 ( cf. L’expression « être égal à soi-même »).
Parallèlement à cette identité logique, on peut aussi envisager une identité de type
catégoriel, en ce sens que des objets ou sujets sont dits identiques lorsqu’ils sont des
exemplaires d’une même catégorie ou d’une série : la mêmeté est dans ce cas à concevoir
comme externe, interindividuelle.
On s’accorde à reconnaitre le rôle de précurseurs qu’ont joué William James (Principes de
psychologie en 1890), S. Freud (qui introduit la notion d’identification dans ses Essais de
psychanalyse, en 1921) et G. H. Mead (et sa notion de soi50, dans L’esprit, le soi la société)
Chapitre 3 dans l’élaboration de la notion d’identité. Un consensus existe également sur le fait que
Multiples conceptions c’est à Erik Erikson (1972)51 que l’on doit la première tentative de définition rigoureuse
de l’identité de cette notion. Erikson élabore la notion d’identité en montrant que celle-ci émerge de
l’interaction entre :
Page 46
– des facteurs internes, d’une part, « un sentiment d’identité », une « sensation sub-
jective » (Kaufmann, 2004 : 27), c’est-à-dire des mécanismes psychologiques ;
– et des facteurs externes (contexte et relations sociales), d’autre part.
Cette conceptualisation est notamment due au fait que ses études portaient sur des
anciens combattants et l’entrée des enfants dans l’adolescence ; c’est sans doute
d’ailleurs en partie ce qui l’a amené à parler de crise d’identité.
49 L oin d’être un trait sémantique de surface, ce paradoxe apparait fondamental lorsqu’on examine les autres
termes entretenant avec l’identité une certaine connexité, comme personne (quelqu’un vs Ø) ou individu
(« chaque être considéré isolément » vs « exemplaire d’une série ») (Lipiansky, 1992 : 8).
50 G . H. Mead considère que « le Self (Soi) en tant qu’objet pour soi, est essentiellement une structure sociale
et nait dans l’expérience sociale » (Mead, 1934, cité par Lipiansky et al., 1990 : 14).
51 On peut remarquer que l’élaboration de la notion d’identité s’est réalisée chez Erikson, notamment en lien
avec sa propre expérience : il est né de père inconnu, a vécu l’expérience de la migration et a changé de
patronyme. Il n’est donc pas hasardeux qu’il soit à l’origine de la conceptualisation de la notion de « crise
d’identité ». Selon Kaufmann (2004 : 29) « toute sa vie et son œuvre semblent ne faire qu’une avec la ques-
tion identitaire ».
8 1118 TG PA 00
Des composantes identitaires « données »
Nous sommes toutes et tous nés quelque part sans choisir ni d’être humain, ni nos
nationalité, sexe, prénom, famille, ni notre niche développementale (Dasen, 200052), et
par conséquent nos milieux et modes de socialisation et d’enculturation53. Ces données,
bien qu’elles ne soient que partielles, et qu’elles ne soient pas toujours, à notre sens, les
plus pertinentes ou significatives, constituent ce que l’on pourrait appeler des assigna-
tions identitaires qui s’imposent à nous avec plus ou moins de force et de prégnance :
elles nous catégorisent, nous classent (sexe, date de naissance, nom, couleur de peau,
nationalité…) en même temps qu’elles nous particularisent en nous définissant comme
différents d’autres.
Ainsi par exemple, le nom et le prénom constituent sans doute les premières assignations
identitaires qui permettent d’inscrire un enfant dans une lignée (par le patronyme), dans
une histoire familiale (par exemple en donnant le prénom d’un des grands-parents),
dans une tradition religieuse (choix dans un paradigme, dans un stock de prénoms qui
manifestent une allégeance religieuse : Marie, dans le monde catholique, Abd- [serviteur
de, suivi d’un des noms de Dieu, Allah par exemple] dans la tradition musulmane).
« Nom et prénom inscrivent le nouveau venu dans une filiation, une histoire, une mythologie… mais aussi
dans une projection, un devenir à partir d’un point d’articulation : le « choix » parental. Ce premier acte
fait exister : il sort l’enfant de sa réalité biologique pour le projeter dans la réalité sociale organisée symbo-
liquement par la langue, légalement par la loi qui reconnait la filiation et psychologiquement en fondant
le sujet dans son histoire particulière. » (Ouamara et Chaouite, 2007 : 89)
Mais il est probable aussi que certains des termes que vous avez retenus pour vous
définir (traits de personnalité) correspondent moins à des caractéristiques objectives,
Chapitre 3
préexistantes à votre être, assignées « de l’extérieur », qu’à des représentations de soi,
des constructions ou des choix personnels. Il est donc fondamental de tenir compte de Multiples conceptions
de l’identité
cet aspect dialectique : des éléments identitaires nous sont donnés, de manière plus ou
moins imposée, et nous les faisons nôtres, parfois en les transformant, ou nous les refu- Page 47
sons pour devenir nous-même !
8 1118 TG PA 00
Un retournement historique
Or, la place donnée de nos jours et dans les sociétés occidentales à l’influence des aspects
subjectifs de l’identité, à la possibilité de se construire, n’a pas toujours été la même.
La répartition de l’influence de ces deux ordres, objectif et subjectif, a en effet évolué :
J.-C. Kaufmann distingue dans l’évolution de bon nombre de sociétés occidentales, deux
périodes séparées par un « retournement historique » (2004 : 90). Il y aurait donc eu un
« avant » et un « après » correspondant respectivement à des sociétés dans lesquelles
les dimensions objectives gouvernent absolument les identités (les subjectivités n’y étant
que le reflet du donné, des appartenances groupales, religieuses…), et à d’autres où, en
lien avec l’individualisation et l’irruption d’une subjectivité réflexive, les données objec-
tives sont largement soumises à réinterprétation et/ou à reconstruction.
Sans que l’opposition dimension objective/dimension subjective ne recouvre totalement
la distinction aspects personnels/aspects sociaux, ces deux dichotomies sont liées. C’est ce
qui nous amène à présent à exposer les différents niveaux auxquels on peut appréhender
les identités – les niveaux personnel et social – tout en insistant sur le fait qu’empirique-
ment ces deux niveaux sont sans doute difficilement dissociables et que c’est bien dans
le but de les rendre plus facilement descriptibles que nous opérons cette dissociation54.
Nous nous intéresserons ainsi dans un premier temps à l’identité individuelle ou per-
sonnelle, qui renvoie à un sujet unique qui conserve toute sa vie son identité, malgré
des modifications passagères ou durables, profondes ou superficielles, de constitution
ou d’apparence. Puis, nous aborderons les dimensions sociales, les ancrages collectifs de
l’identité. Mais au-delà de ces différents niveaux auxquels peut se construire et s’ancrer
Chapitre 3 l’identité, on verra également qu’il existe aussi diverses manières d’appréhender ces
Multiples conceptions processus et leur produits.
de l’identité
54 Cette distinction est aussi évidemment liée aux disciplines qui étudient l’identité.
55 h ttp://www.zdnet.fr/actualites/levee-de-boucliers-contre-la-biometrie-dans-les-lycees-39313020.htm
56 L ’Ecuyer, R, Le développement du concept de soi, de l’enfance à la vieillesse, Presses universitaires de
Montpellier, 1994, cité par J.-C. Ruano-Borbolan (1998 : 4).
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Le psychologue social Pierre Tap détaille six caractéristiques de l’identité personnelle :
– conscience et besoin de continuité (appartenance à une famille, une lignée, une
culture, une religion, un imaginaire) ;
– cohérence : représentations plus ou moins structurées de soi, absence de contradic-
tions trop fortes ; en fait, la gestion relativement harmonieuse de la diversité et de
l’unicité ;
– unicité : sentiment d’être original, différent ; fait de se percevoir comme unique.
Peut être positif mais peut aussi conduire à un repli ou à de l’arrogance ;
– diversité : plusieurs personnages ou rôles cohabitent en une même personne (édu-
cateur, père, pratiquant de l’escalade ou des échecs, ami, amant, stagiaire en for-
mation, etc.) ;
– réalisation de soi par l’action : se faire en faisant, en agissant ; (par exemple pour
les personnes en formation) ;
– estime de soi (vision positive de soi, de sa valeur personnelle).
Identité sociale
Ce concept d’identité sociale fournit des outils pour penser l’identité en termes d’appar- Page 49
tenance, de comparaison, c’est-à-dire en tant que membre d’une catégorie de « nous »
opposée à une (des) catégorie(s) de « eux » : dans ce cadre théorique, issu de la psycho-
logie sociale, le Soi est perçu comme un exemplaire d’une catégorie, et le Nous entre
donc dans la définition de soi. Outre la conscience d’appartenance(s), Tajfel met en avant
dans cette définition les dimensions affective et éthique (ou idéologique) qu’impliquent
les appartenances.
à la suite des travaux de Tajfel, la notion d’identité sociale, selon J.-C. Deschamps (1999),
s’articule autour des principales idées suivantes :
– un sujet acquiert une identité sociale par ses appartenances à différents groupes ;
– les individus ont pour objectif d’avoir une identité sociale positive59 ;
– la réalisation d’un tel objectif n’est possible que si une appartenance à un groupe
donné permet de se comparer favorablement aux membres d’autres groupes ;
– pour établir ou préserver cette possibilité de comparaison favorable à leur groupe,
les individus sont amenés à produire de la discrimination envers les autres groupes.
Un des éléments mis en lumière par les travaux de H. Tajfel et ceux des psychologues
sociaux de l’école de Bristol est donc le rôle des processus de catégorisation sociale aux-
quels les sujets ont recours pour organiser et donner du sens à la masse d’informations
qu’ils reçoivent de leur environnement, qu’il soit physique ou social. Ce traitement de la
réalité perçue, influencé par autrui, implique des réorganisations de la réalité, en raison
de la prééminence accordée à certaines caractéristiques et de la sous-estimation d’autres
traits. Pour Lipiansky et al. (1990 : 14), la construction d’une catégorie exige la constitu-
tion d’une catégorie inverse (Blancs/Noirs, femmes/hommes, nationaux/étrangers, etc.).
8 1118 TG PA 00
Cette réorganisation du monde est notamment conditionnée par des biais perceptifs
(discrimination60 intergroupe) qui amènent les sujets à minimiser les différences au sein
des catégories qu’ils élaborent et à exagérer les différences entre ces catégories. Les
stéréotypes résultent de cette activité cognitive de discrimination qui opère par exemple
dans la construction des stéréotypes ethniques (régionaux, nationaux) : la production
de tels stéréotypes et le fait d’y adhérer impliquent de minimiser les différences entre
les membres d’une catégorie (« les Français sont… »), ce qui permet de les appréhender
comme une catégorie homogène et de les comparer/opposer ainsi plus facilement à une
autre catégorie, en accentuant les différences entre groupes (« les Allemands sont… »).
De tels processus psychosociaux ont pour fonction de rendre le monde social plus stable
et intelligible, permettant ainsi une économie cognitive.
C’est donc au sein des groupes, étendus ou restreints, choisis ou imposés, que se déve-
loppent les relations et les interactions de construction de l’identité. Le groupe d’appar-
tenance est le groupe auquel l’individu appartient objectivement (par exemple en en
détenant une carte de membre), dit appartenir (« je suis X ou Y ») ou est dit appartenir
(« c’est un X ou Y »). Appartenir à une culture, une nation, et même une ethnie, bref à
un groupe, implique non seulement de s’y identifier mais aussi d’être reconnu comme
semblable aux membres sur quelques caractéristiques jugées essentielles, mais rarement
explicitées. Par exemple, si un étudiant de Fle peut être mexicain et à ce titre assez
patriote, appartenir au groupe d’apprenants de français qui suit le cours, il appartiendra
aussi à une famille, à la communauté linguistique des hispanophones, éventuellement à
un groupe humain indigène et encore à celle plus virtuelle des apprenants du français, à
un groupe de musique, à un syndicat, un parti politique… Nous nous identifions et nous
Chapitre 3 sommes identifiés à différents groupes.
Multiples conceptions
de l’identité On peut faire une utile distinction entre groupe d’appartenance et groupe de référence
dans lequel, l’individu cherche à se faire accepter ou à maintenir cette acceptation. Pour
Page 50 permettre et faciliter cette acceptation, le sujet règle ses comportements et ses attitudes
sur ce qu’il pense être les valeurs du groupe (fonction normative du groupe de référence)
et cherche à ressembler au moins sur certains points aux membres prototypiques du
groupe de référence pour obtenir leur approbation, membres qui en retour observent
et jugent la personne. Le groupe de référence a aussi une fonction comparative qui
doit permettre de se considérer, en tant qu’appartenant à ce groupe, comme de valeur
égale ou supérieure aux membres d’autres groupes. Un groupe de référence peut être
choisi. Ainsi, si on reprend l’exemple de l’étudiant mexicain, on peut faire l’hypothèse
que le macrogroupe « locuteurs du français » est pour lui un groupe de référence : pour
l’intégrer et être reconnu comme tel, il lui faut parler français et donc développer des
stratégies qui peuvent par exemple consister à fréquenter des Français pour leur compa-
gnie linguistique.
De cet examen, qui tient plus du survol rapide que de la plongée en profondeur, ressort
néanmoins la complexité et la plasticité de l’identité, et le fait que les sujets, quels qu’ils
soient, ne sont jamais réductibles à une dimension identitaire. Il en va souvent ainsi de
l’identité linguistique que l’on envisagera donc au pluriel.
Identités linguistiques
Qui n’a pas, un jour, cru reconnaitre, sur la base de la langue parlée par un locuteur
ou une locutrice, ou de son accent, son origine, nationale, géographique ou sociale ?
En effet, les langues permettent d’attribuer (avec plus ou moins de pertinence et de
précision) une identité à une personne, sans même l’avoir vue, de la reconnaitre comme
semblable ou différente, c’est-à-dire d’instituer une frontière identitaire.
60 L a discrimination n’est pas entendue ici dans le sens commun, mais dans une acception qui a cours en psy-
chologie, équivalant à « l’exagération des différences ».
8 1118 TG PA 00
Ainsi par exemple, nous avons toutes et tous eu l’occasion d’observer – parfois à nos
dépends – le rôle du langage dans la construction sociale de l’identité adolescente. En
effet, dans des contextes sociolinguistiques très variés, les adolescents développent des
pratiques langagières qui sont à la fois un moyen d’exprimer des réalités propres et des
perceptions spécifiques de ces réalités. En plus de véhiculer des significations « référen-
tielles » (objets de la sémantique), certaines formes linguistiques qui constituent ces
pratiques langagières sont porteuses de significations sociales. En effet, parler – comme
se vêtir – de la même manière que ses amis adolescents peut être une stratégie (plus ou
moins consciente) pour se faire accepter d’eux, être reconnu comme même, et peut avoir
pour fonction de se différencier des plus petits (groupe des enfants auquel on ne veut
surtout plus appartenir ou être assimilé) et signifier à ses parents et à d’autres adultes
(enseignants) que l’on revendique de l’autonomie voire que l’on entre en rébellion.
Tout comme la nationalité, l’appartenance locale ou sociale, la langue ou les langues
sont des supports d’identification (identification à quelque chose/quelqu’un, de quelque
chose/quelqu’un). Pour Verma-Shivendra (1990 : 82)61, « Le concept de langue maternelle
est étroitement lié à la conscience des affiliations identitaires des sujets à la société. Une
déclaration de langue maternelle par un individu est avant tout un jugement conscient
ou subconscient pour identifier les habitudes de son propre parler avec l’autre à travers
un terme général […] comme un signe de cohésion ou un moyen de se distinguer des
autres par une marque de distinction ».
On pourrait ajouter, en suivant A. Decrosse (1987)62, qu’au plan identitaire, par exemple
dans la construction d’un Etat-nation comme la France, la langue maternelle fonctionne
comme un « mythe unificateur » (cf. chapitre 4). Chapitre 3
à ce titre, les langues peuvent être aimées ou haïes, dépréciées ou mythifiées. Mais, Multiples conceptions
comme le précisent R. Le Page et A. Tabouret-Keller (1985 : 4), les groupes et leurs de l’identité
attributs linguistiques n’existent pas réellement hors de l’esprit des individus, ils sont
Page 51
construits en fonction du comportement mutuel de leurs membres. Langues et façons
de parler sont donc au cœur des processus identitaires, comme le montre l’article de
S. Mufwene (1997).
61 V erma-Shivendra, K., « My mother tongue is not my mother tongue », in Gagne et al., Didactique des lan-
gues maternelles, Bruxelles : De Boeck, 1990, cité et traduit par L. Dabène (1994 : 22).
62 D
ecrosse, A., « Un mythe unificateur: la langue maternelle », in France pays multilingue, Les langues en
France un enjeu historique et social. Paris : L’Harmattan, 1987, tome II, p. 29-37.
63 F ascicule Documents, document n°6 p. 13 à 15.
64 Poplack, S., “Sometimes I’ll start a sentence in Spanish y termino en español : toward a typology of code-
switching”, in Linguistics, 1980, 18, p. 581-618.
8 1118 TG PA 00
On peut traduire et résumer les grandes phases du modèle de Le Page et Tabouret-Keller
en cinq points :
• Dans un premier temps, un groupe d’humains est nommé en référence à une carac-
téristique qu’ils partagent. Ces traits caractéristiques peuvent être constitués par
l’origine géographique (les Américains, les Malaisiens), une parenté commune (la
« tribu de Judah »), des caractéristiques physiques (les Noirs, les Blancs) ou des tra-
ditions communes (les Chrétiens), etc.
• Puis, lors d’une deuxième étape, les pratiques linguistiques du groupe sont dési-
gnées, nommées grâce à un nom référant au système linguistique (langue, parler,
créole, patois…) et à un adjectif formé à partir d’un terme désignant le groupe
(« english gereod » : le parler des Anglais ; « lingua franca » : le parler des Francs65 ;
« bahasia malaysia » : la langue du pays des Malaisiens ; « papia kristang » : la lan-
gue des chrétiens de Malacca, une péninsule partagée entre Thaïlande et Malaysia).
• Lors de la troisième phase, les adjectifs deviennent des noms qui ne dénotent pas
seulement le système linguistique appartenant au groupe, mais qui connotent éga-
lement les valeurs sociales attachées au groupe.
• Le stade suivant est celui auquel la langue s’autonomise du groupe et acquiert une
existence en tant que système linguistique en soi, auquel se voient transférés le sys-
tème de valeur, le prestige ou la stigmatisation associé au groupe66. P. Sériot (1997)
souligne bien l’enjeu de cet acte de nomination :
« A partir du moment où une langue a un nom, elle devient un objet homogène, non plus un ensemble
dans un diasystème, mais objet de politique linguistique, d’éducation, enjeu de la constitution d’un Etat-
nation. Elle devient aussi, et surtout, objet de discours, qu’il est si facile de confondre avec un objet du
Chapitre 3
monde. » (Sériot, P., 1997).67
Multiples conceptions
de l’identité •E
nfin, lorsque le système a acquis cette existence propre dans les représentations
des individus et, en général, qu’il a été codifié, il peut être à la fois « réifié et
Page 52 totémisé ». Pour R. Le Page et A. Tabouret-Keller, la boucle est alors bouclée, et la
langue peut devenir un des attributs qui permettent de définir et de nommer un
groupe d’humains.
65 D
ans l’usage qu’en font ici R. Le Page et A. Tabouret-Keller, l’expression « les Francs » réfère au nom donné,
à partir des croisades, aux Européens dans les ports du Levant.
66 P ar exemple, le français du siècle des lumières est devenu la langue de la raison et de l’universalisme ; à
l’inverse, et même si les pratiques langagières des jeunes vivant dans les périphéries urbaines françaises ne
peuvent pas être considérées comme une langue, ce qu’on appelle aujourd’hui en France « le français ou
langage des banlieues » est souvent perçu comme intrinsèquement pauvre, incivil, agressif, violent.
67 Seriot, P., « Faut-il que les langues aient un nom ? », in Tabouret-Keller, A. (éd.), Le nom des langues I, Les
enjeux de la nomination des langues, Louvain-la-Neuve : Peeters, 1997, BCILL 95, p. 167-190.
68 Bouchard, G., « Manifeste pour une coalition nationale », in Le Devoir, 4 septembre 1999 en ligne à http://
vigile.net/archives/999/bouchardnation.html
69
« Langue et identité », in Revue républicaine, en ligne sur http://www.cairn.info/zen.php?ID-
ARTICLE=CITE-023-0003
8 1118 TG PA 00
Ainsi, l’identité québécoise est fondée sur l’usage du français et l’un des clivages iden-
titaires qui structure cette société est la frontière linguistique (et administrative) avec
les Canadiens anglophones. Plus au sud du continent américain, le découpage et l’iden-
tification ethnique au Mexique sont largement fondés sur des critères qui touchent à
l’identité linguistique.
Comme le précisent encore R. Le Page et A. Tabouret-Keller (1985 : 236), les membres
d’un groupe qui sentent leur identité culturelle ou politique menacée auront tendance
à affirmer qu’il est crucial de maintenir, de protéger ou de ressusciter leur langue. Ainsi
que le proclame le texte suivant, le peuple kurde, qui n’a pas d’Etat et vit disséminé dans
plusieurs pays du Moyen-Orient (Turquie, Iran, Irak, Syrie), fait de la possession d’une
langue un élément fondamental de la possession d’une identité propre et de l’existence
d’une nation.
« Toutes les théories sur le nationalisme en conviennent : la langue est un facteur déterminant, sinon exclu-
sif, de la formation d’une nation : sans une langue, sans une culture sous-tendue par une langue, il n’y a
pas de Nation. Apparemment, les Kurdes entrent dans cette catégorie : tout en étant aujourd’hui le plus
grand “ Peuple sans Etat ”, ils ont une langue et une culture qui leur donne un vif sentiment d’identité –
une identité qui a survécu à des siècles de répression et d’assimilation, et qui les conduit à se battre pour
les droits de la nation Kurde ». Kurdistan : langue, culture, identité. Qu’est-ce qu’être Kurde ?, en ligne à
http://www.chris-kutschera.com/identite_kurde.htm.
Dans le cadre d’un état multilingue, le choix d’une langue comme langue administrative,
au détriment d’autres langues qui pourraient, au moins pour leurs locuteurs, prétendre à
la même promotion sociale ne va pas sans générer des problèmes. Ainsi, à la suite d’une
déclaration du président de la République sénégalaise dans laquelle il évoquait la pos-
sibilité d’alphabétiser tous les fonctionnaires en wolof, une des langues véhiculaires du Chapitre 3
pays, et à la polémique qui s’ensuivit, un enseignant réagit. Il affirme l’importance de la Multiples conceptions
pluralité linguistique, en tant qu’élément identitaire, en lien avec les influences cultu- de l’identité
relles (négro-africaines, arabo-musulmanes et occidentales/françaises) qui alimentent
l’identité sénégalaise : Page 53
« Je dirais que la république du Sénégal et ses langues sont la preuve que le plurilinguisme culturel est à
la fois une richesse et un fardeau. Ce fardeau, nous devons trouver les moyens de le porter parce qu’il y va
de la survie de notre identité plurielle, de l’institution d’un système éducatif performant, de l’instauration
d’une démocratie effective qui s’exprime dans les langues du peuple. L’un des moyens de porter ce fardeau
linguistique est de mener une politique linguistique bien pensée qui reconnait toutes les langues et assigne
à chacune d’elle sa fonction culturelle, sociale ou politique. » (M. H. Kébé, 2001.)70
Le lien entre langue et nation ou ethnie, considéré comme consubstantiel par certains,
ne se dément pas et il est réactivé lorsqu’un danger plane sur la langue ou que l’identité
nationale suscite des interrogations. Mais point n’est besoin, pour rencontrer ce lien
fort entre langue et identité nationale de voyager vers d’exotiques contrées… Ainsi, en
France, on n’hésite pas à considérer la langue non seulement comme un élément consti-
tutif de l’identité de la nation (comme l’ont réaffirmé, de nombreuses contributions au
« débat » sur l’identité nationale lancé en 2009 par éric Besson) mais aussi comme un
pilier de l’intégrité nationale :
« Garant de l’indépendance et de l’intégrité de la nation, le chef de l’état doit l’être avant tout de la
pérennité de sa langue. Il n’y a pas d’état sans nation et de nation sans patrimoine culturel et linguistique
commun. La défense du français est, de ce fait, une affaire intérieure fondamentale. »71
Nous reviendrons sur cette notion et sur les liens entre langues, plurilinguisme et iden-
tités dans le chapitre 4.
8 1118 TG PA 00
Perspectives plurielles, dynamiques et stratégiques
On peut donc considérer que nous sommes constitués, que nous nous définissons et que
nous sommes définis par une gamme, un répertoire d’éléments identitaires, conception
plurielle que défend notamment l’anthropologue Jean-Loup Amselle. Puis, en fonction
des situations sociales, on active ou inhibe différents de ces éléments : c’est cette accep-
tion qu’Isabelle Taboada-Leonetti donne à l’identité située.
8 1118 TG PA 00
Les sujets, acteurs sociaux, puisent dans ce réservoir lorsqu’ils interagissent. Ils « choi-
sissent » d’activer certains traits ou composantes, selon les paramètres de la situation,
leurs désirs conscients ou des processus inconscients et les incitations émises par les inter-
locuteurs ; réglage qui rejoint la définition de l’identité située.
Le texte de Nancy Huston, extrait de son essai Nord Perdu, est une parfaite illustration
d’une construction identitaire par contraste.
Stratégies identitaires
L’approche en termes de stratégie, rassemblant des psychologues et des sociologues,
pose qu’en plus d’une démarche descriptive des éléments identitaires, il faut privilégier
l’analyse stratégique de l’identité. Partant de la définition commune de « stratégie »
75 F ascicule Documents, document n° 8 p. 20.
8 1118 TG PA 00
comme « ensemble d’actions coordonnées, de manœuvres en vue d’une victoire »,
J. Kastersztein place la problématique à un « niveau interactionnel et dynamique »
(1990 : 30), auquel la stratégie « définit une situation tensionnelle qu’on va tenter de
résoudre positivement par l’accès à la récompense » (ibid. : 30-31) : la victoire identitaire.
Il est donc question d’une mise en cause d’une structure identitaire actuelle, par des
acteurs sociaux, dans une tentative pour « faire accepter, reconnaitre, valoriser puis
imposer une structure », ces buts constituant la finalité (la « victoire ») des stratégies.
L’un des fondements de cette analyse tient au fait que les « comportements observés
ne peuvent être expliqués par les seules stimulations internes ou externes [et que] les
réponses des individus ne sont pas simplement conjoncturelles mais [qu’] elles sont
toutes et toujours finalisées » (Kastersztein, 1990 : 31).
à partir de là, les stratégies qui tendent à obtenir la reconnaissance de l’existence dans
le système social, peuvent, schématiquement, s’opérer selon deux séries de finalités, qui
tendent à maximiser les ressemblances ou les différences.
Stratégies d’intégration
D’un côté, un acteur peut rechercher la manifestation de son appartenance ou la
démonstration de sa volonté d’intégration. Il poursuivra alors différents objectifs.
•C
onformisation. Cet objectif correspond à une attitude qui amène à « rentrer dans le
rang ». Kastersztein (1990 : 33) définit la conformisation comme suit : « Lorsque l’écart
est vécu comme trop grand, la pression sociale aidant, l’individu, va tendre à mettre en
Chapitre 3 place des comportements conformes aux attentes ».
Multiples conceptions •A
nonymat. « Lorsque leurs caractéristiques physiques ou culturelles le permettent,
de l’identité
certains groupes minoritaires tentent de faire pression sur leurs membres (les jeunes
Page 56
en particulier) pour qu’ils se fassent « oublier », qu’ils acceptent l’anonymat et main-
tiennent ainsi une situation socialement confortable » ; cette stratégie serait à la fois
source de déresponsabilisation mais aussi révélateur des potentialités individuelles
(ibid., p. 34). Par exemple une stratégie d’anonymat peut consister, pour certains immi-
grés, à choisir pour leurs enfants un premier prénom usité dans la culture majoritaire
du pays dans lequel ils vivent, et un second issu du stock de leur culture d’origine (cf.
Ouamara & Chaouite, 2007 : 89-90).
•A
ssimilation. Cette stratégie constitue la solution la plus radicale dans la recherche
de similitude. Les acteurs sociaux vont oublier ou occulter des « caractéristiques histo-
riques et culturelles qui les rendaient distincts et accepter l’ensemble des valeurs et des
normes dominantes » (ibid., p. 35) : cette stratégie permet à des groupes minoritaires
stigmatisés d’échapper à la discrimination, et l’Histoire montre que certains groupes
ayant refusé cette assimilation continuent de subir le racisme (Arméniens, Tsiganes,
Juifs). D’autres travaux montrent que les sujets qui, entre deux cultures, choisissent
de s’assimiler à celle du milieu d’accueil sont sanctionnés par leur groupe d’origine :
choisir de s’assimiler, c’est accepter de s’exposer à cette sanction sans garantie d’être
pleinement acceptés par la culture d’accueil.
Stratégies de distinction
à l’inverse, lorsqu’un sujet se sent trop similaire, que ses comportements sont répétés
et « moyennisés », il cherche à faire valoir ses spécificités et privilégiera les stratégies de
distinction.
8 1118 TG PA 00
•D
ifférenciation. G. Lemaine (1974)76 définit cette stratégie comme un « ensemble de
phénomènes par lesquels des personnes se déplacent vers de nouvelles conduites, de
nouveaux espaces de vie, inventent de nouvelles dimensions de jugements ou d’évalua-
tion relatives aux modes de faire et d’être avec autrui ». Kastersztein (1990 : 33) donne
l’exemple du « réveil » des identités minoritaires régionales en France qui ont reven-
diqué une reconnaissance, notamment depuis le début du processus d’intégration
européenne. Cet auteur thématise également le travail de double différenciation des
jeunes issus de l’immigration, par rapport aux assignations de la culture dite d’« ori-
gine » et à celles de la culture dite d’« accueil ».
•V
isibilité sociale. Cette stratégie consiste pour les individus, membres de groupes
minorisés, à rechercher une reconnaissance, à « compter pour quelque chose » et dans
la mesure du possible une valorisation. Cette recherche de visibilité serait une des
causes du développement de stratégies identitaires et notamment d’identité négative :
malgré les risques de sanction et de dévalorisation, des acteurs sociaux socialement
invisibles se rendent visibles en mettant en avant des aspects de leur identité qui
sont jugés négativement par la majorité. Ainsi, Souad, une jeune fille vivant dans le
département de Seine-Saint-Denis, déclarait dans une interview : « On n’a plus rien à
perdre, tout ce qu’on veut c’est exister et savoir pourquoi » (France Inter, Café bazar,
le 17 mars 2006).
•S
ingularisation (ou individuation). C’est, selon J. Kastersztein, la solution la plus
extrême. Si une société, une culture dominante accepte bien la différence individuelle
en raison d’une appartenance à une autre culture, elle refuse, voire réprime, les indi-
vidualités trop fortes (taxées d’excentricité), sauf pour certains « privilégiés » tels que Chapitre 3
les artistes ou les intellectuels. Multiples conceptions
On perçoit dans cette alternative entre conformisation et différenciation, ces deux de l’identité
finalités stratégiques que révèle l’analyse en termes de stratégie, le paradoxe que nous
Page 57
évoquions dans la première section entre identité au sens d’identique ou au sens d’uni-
que. Il ressort également de cet examen rapide, et sans doute simplificateur, de quelques
finalités, que pour les acteurs sociaux, l’indifférenciation et l’invisibilité sont souvent plus
inacceptables que la dévalorisation et le rejet. Il faut ajouter que, comme les identités
que nous avons décrites en début de ce chapitre, les positionnements, comportements et
attitudes stratégiques des sujets ne sont pas monolithiques : Kastersztein précise que les
acteurs sociaux peuvent désirer simultanément se conformer et se différencier.
Ce type de perspective a été utilisé dans des recherches sur l’identité de personnes ou de
groupes migrant d’un pays vers un autre.
76 L emaine, G., “Social differenciation and social originality”, in European Journal of Social Psychology, 1974,
4, p. 17‑52.
77 F ascicule Documents, document n°9 p. 21 à 23.
8 1118 TG PA 00
S’exercer
Activité 20
Les théories de l’identité personnelle
Lisez le document 4. Dégagez les principales caractéristiques de chacune des concep-
tions des auteurs présentés. Complétez par une recherche pour approfondir la notion
d’autrui généralisé de G. H. Mead, père du courant de recherche baptisé « interaction-
nisme symbolique ».
Activité 21
Chapitre 3
Multiples conceptions Identité personnelle
de l’identité
Pour chacune des caractéristiques précédentes, essayez de trouver des exemples per-
Page 58 sonnels qui vous concernent directement, ou qui touchent des personnes que vous
connaissez.
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
Activité 22
En quoi la notion d’identité est-elle paradoxale selon E.-M. Lipiansky ?
Activité 23
ans votre entourage, particulièrement si vous vivez hors de France, tentez de repérer
D
des comportements ou des discours qui peuvent être interprétés comme participant à la
mise en œuvre de stratégies identitaires. Mais, comme il faut se méfier de nos premières
impressions ou du moins les mettre à l’épreuve, laissez de côté votre première attribu-
tion et cherchez une autre interprétation de ce que vous avez observé, par exemple en
faisant intervenir, si vous ne l’aviez déjà fait, les paramètres de la situation d’interaction.
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
Activité 24
Dégagez un plan détaillé (environ une page en traitement de texte) de l’article
« Identité » de S. Mufwene (document 6).
8 1118 TG PA 00
Activité 25
En repartant de vos autodéfinitions et en vous aidant du plan de ce chapitre, proposez
votre propre définition de l’identité, en essayant d’intégrer ses différentes caractéris-
tiques. Si vous le jugez nécessaire, vous pouvez réaliser un schéma.
(Activité d’approfondissement personnel : pas de corrigé prévu)
Activité 26
Dans quelles mesures identités individuelles et collectives interagissent-elles ?
Activité 27
à partir de la définition de Pierre Tap, cherchez à relier les 6 composantes de l’identité
personnelle à des dimensions linguistiques ou liées à l’apprentissage/acquisition d’une
langue.
Activité 28
Lisez l’extrait du roman Montedidio de E. De Luca79. Quelles conclusions peut-on en tirer
sur la situation des langues du répertoire familial et quelles hypothèses peut-on faire
sur l’identité des membres de la famille ?
Page 59
8 1118 TG PA 00
Retenir
Notions essentielles
• Aspects objectifs vs subjectifs de l’identité (assignation vs construction / recons-
truction)
• Composantes de l’identité personnelle (p. 48).
• Identité sociale, catégorisation et discrimination sociales (p. 49).
• Groupes d’appartenance, de référence (p. 50).
• Identités linguistiques (p. 53), plurielles (p. 54) situées et par contraste (p. 55).
• Différents types de stratégies identitaires (p. 56-57).
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Chapitre 4
Migrations, plurilinguismes et identités
u Plan
Migrations et identités
Usages et fonctions des langues en situation post-migratoire
Découvrir
Chapitre 4
Migrations et identités Migrations,
plurilinguismes
Langage et identités et identités
Pour aborder les relations entre plurilinguisme et identités, nous partirons de l’affir- Page 61
mation de J. Gumperz (1989a : 14) selon laquelle « l’identité sociale et l’ethnicité sont
en grande partie produites et reproduites par le langage ». Les termes « produite » et
« reproduite » sont importants en ce qu’ils invitent à considérer le langage, les langues,
les variétés et les façons de parler, en situation monolingue comme en situation multilin-
gue, non pas seulement comme des outils permettant de manifester ou de montrer une
identité qui préexisterait à une situation d’interaction, mais bien comme des éléments à
part entière de l’identité. En détournant des termes mathématiques, nous poserons donc
que les langues et variétés de langues ne sont pas que des dérivées de l’identité person-
nelle, sociale ou ethnique, mais qu’elles en constituent aussi, parmi d’autres éléments,
des primitives, ce que l’on peut formuler de la façon suivante :
Je ne parle pas x ou y (seulement) parce que je suis80 X ou Y
mais
je suis81 X ou Y (notamment) parce que je parle x et / ou y, que je le dis ou le montre82.
Les migrants (isolés, en famille, ou en communautés plus larges) sont le plus souvent, à
des degrés divers, confrontés à un environnement nouveau aux plans géographique et
culturel, et ce, quelles que soient leur situation dans le pays ou la région de résidence,
les relations qu’ils entretiennent avec leurs origines, les raisons, les conditions et la durée
du changement (Lüdi et Py, 2003 : 18). Pour D. Calin, « l’émigration, comme tout change-
ment important de la position sociale objective du sujet, met inéluctablement en cause
les sentiments sociaux d’appartenance, et partant de là le sentiment d’identité ».
80 C ’est-à-dire tel que je suis défini de façon externe par une série de caractéristiques personnelles, sociales et
ethniques (aspects « objectifs » de l’identité).
81 C ’est-à-dire tel que je me représente (pour moi) et me présente (pour les autres).
82 Dans ce cadre, certains calques, mais aussi de petites différences prosodiques ou pragmatiques peuvent
revêtir une importance particulière. Ces éléments transcodiques offrent l’avantage de permettre de montrer
aux mêmes qu’on est même, sans forcément montrer aux autres qu’on est un autre.
8 1118 TG PA 00
Pour approfondir ces notions, nous vous proposons de consulter le texte de Daniel Calin,
« Construction identitaire et sentiment d’appartenance », à l’adresse http://dcalin.fr/textes/
identite.html. Lisez tout particulièrement la partie intitulée « La rupture migratoire ».
Au-delà de la grande diversité qui les caractérise, les migrations, par l’immersion dans
une ou plusieurs langues nouvelles qu’elles impliquent, provoquent non seulement une
reconfiguration du répertoire verbal mais aussi une reconstruction du sens donné « aux
expériences déconcertantes, parfois douloureuses qui marquent l’insertion d’un migrant
dans un nouvel environnement socioculturel » (Lüdi et Py, 2003 : 19).
83 B
illiez, J., « Le « laboratoire migrant ». Itinéraire et contribution des recherches sur le bi-plurilinguisme », in
Actes du colloque international : Du contact des langues à la didactique du plurilinguisme, Alger, juin 2005.
84 Annie Montaud cite le cas exceptionnel des Soyers du Shaurastra (Inde) qui ont maintenu l’usage de leur
variété de goujarati, langue indo-aryenne, bien qu’ils aient émigré depuis plusieurs siècles au Tamil Nadou
(en milieu dravidophone). Montaud, A., « Diaspora des langues en contexte multilingue : l’Asie du Sud », in
Faits de langue, 2001, n° 14, pp. 53-64.
85 M. Matthey et B. Py (dans Lüdi, Py et al., 1995 : 18) insistent sur le fait que ces manières d’appréhender le
monde, appelées « recettes » par A. Schütz, servent à interpréter le monde, à y prendre place et à y agir.
Ils précisent que si la réalité est « évidente » pour les membres d’une communauté donnée, c’est que ces
recettes (système de valeurs, de représentations, etc.) fonctionnent comme une sorte de prêt à penser, à
catégoriser, à juger.
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Nous nous attacherons à dégager les liens, de diverse nature, qui existent entre les pra-
tiques langagières effectives ou déclarées de sujets et leur identité, en s’intéressant à
leur appréhension de la réalité.
Il nous semble également important de distinguer entre les situations, fort différentes,
des personnes faisant elles-mêmes l’expérience de la migration (qu’elles soient adultes
ou enfants) et celles de leurs descendants, qui ne peuvent pas être considérés comme
migrants ou immigrés au seul motif qu’au moins un de leurs parents a migré.
Mais, pour des sujets plurilingues, la situation est plus complexe. Ainsi, ce chercheur de Page 63
nationalité italienne en poste à Grenoble affirme dans un premier temps que sa langue
première et « maternelle » est le bisiacco (dialecte du Frioul) :
« Je considère ce dialecte comme ma langue maternelle, parce que je la parlais avec mes parents. » (Billiez
et al., 2000 : 32.)
Dans une certaine mesure, on peut donc considérer que la LM est une forme « d’illusion
d’optique monolingue », ayant permis à la langue nationale de fonctionner comme un
mythe (cf. chapitre 3). à cet égard, l’extrait d’entretien d’Aziz Chouaki (universitaire et
artiste) est assez édifiant.
Malgré ses limites, l’expression n’en reste pas moins opérante dans les représentations
des sujets et elle demeure un point essentiel de repère et d’identification, comme le
montrent les propos d’Alessandra, une élève en première année d’enseignement secon-
daire dans une classe bilingue, à qui on a demandé d’écrire un petit texte sur sa LM.
86 K
ochman, R., « Y-a-t-il une langue maternelle dans la salle ? », in « Langue maternelle et communauté
linguistique », Langue française, 1982, n° 54, p. 119-128.
87
Fascicule Documents, document n° 11 p. 26. Voir aussi le texte d’A. Chouaki dans le supplément de
Libération du 16 mars 2006, « Francophonie. Ma langue vivante », p. 13.
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Le texte « Ma langue maternelle » d’Alessandra88 illustre l’attachement à une identité
linguistique première, perçue comme naturelle et sécurisante, et la relative déstabili-
sation (sans doute temporaire) de son appréhension du monde qui se traduit par des
sentiments négatifs à l’égard du français, langue que, par contraste, elle juge inutile,
laide et insécurisante.
Ce petit texte illustre bien à notre sens le fait que, dans une situation sociolinguistique
comme celle de la France, la LM recouvre en fait plusieurs réalités langagières, comme le
montre bien L. Dabène (1994 : 19-24) qui distingue :
– le parler vernaculaire, c’est-à-dire la langue ou la variété de langue utilisée au
contact du groupe le plus proche (famille, puis groupe de pairs) ;
– la langue de référence, « langue de départ » ou encore « langue source », est celle
apprise formellement (généralement à l’école, associée à une forme écrite) et qui
fournit un « bagage métalinguistique ». En situation de multilinguisme social ou
familial, cette langue de référence ne correspond pas toujours à la langue ou la
variété vernaculaire89 ;
– la langue d’appartenance est celle « envers laquelle le sujet fait acte d’allégeance
et qu’il considère comme définissant son appartenance communautaire » (Dabène,
1994 : 24). Tout sujet pouvant, comme l’affirment aussi bien A. Maalouf que J.-L.
Amselle, revendiquer simultanément et pleinement plusieurs appartenances, sans
pour autant vivre cela comme une crise ou un déchirement, il peut aussi être attaché
à plusieurs langues.
Nous serons amenés à nous intéresser particulièrement à cette dernière catégorie de
Chapitre 4
langue, dans la mesure où, dans les situations migratoires et post-migratoires (celles que
Migrations,
vivent les immigrants et leurs descendants, parfois longtemps après la migration spatiale
plurilinguismes
et identités proprement dite), la ou les langues dites d’« origine »90 peuvent être une composante
importante de l’identité ou fonctionner comme un emblème identitaire.
Page 64
L.-J. Calvet donne un exemple qui illustre bien l’idée selon laquelle le marquage de
l’identité par la langue est étroitement lié à certains paramètres de la situation de com-
munication, et dans le cas suivant, le lieu où celle-ci se déroule, ou l’identité de l’inter-
locuteur :
« Ainsi un Malien de langue songhay se sentira songhay dans son pays face à un Bambara ou à un Peul,
et sa langue sera alors investie d’une fonction identitaire forte, il la parlera en famille ou avec ses amis,
pour marquer son appartenance à un groupe. Il se sentira malien dans un autre pays africain ou face à un
Africain ressortissant d’un autre pays, et sa façon de le marquer linguistiquement sera de parler bambara,
la langue véhiculaire dominante, soit de parler le français du Mali. Face à un Africain anglophone, son
identité sera sans doute francophone, et en Europe, son identité sera africaine. Il vit donc un enchâssement
d’identités. » (Calvet, 2001.)
88 A ctivité 29 p.75.
89 O n pourrait ajouter qu’en situation de monolinguisme social, la variété de référence (norme scolaire légi-
time) diffère (voire s’oppose), sous de nombreux aspects (phonologiques, syntaxiques, lexicaux), à des varié-
tés vernaculaires régionales (français de Picardie, français méridional) ou sociales (français dit « populaire »).
90 Nous n’employons cette expression que pour mieux en souligner l’inadéquation, en tenant compte de
la position d’E. Témime, spécialiste de l’histoire des migrations qui écrit : « Je ne sais pas trop ce qu’est
une langue d’origine, si ce n’est une référence obligée à des origines que je ne veux pas renier, mais dans
lesquelles il ne me parait pas indispensable de me draper éternellement. » (Témime E., 1989 : « Quelques
réflexions sur l’enseignement d’une histoire des cultures et des civilisations », Migrants-Formation, n°77, p.
65.)
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Usages et fonctions des langues en situation post-
migratoire
Lorsqu’ils établissent leur biographie langagière, souvent beaucoup plus complexe que
l’image que l’on s’en fait apriori, les migrants sont amenés à parler de leurs langues, du
rapport qu’ils entretiennent avec et des rôles qu’ils leur assignent dans leur vie.
Langues d’appartenance
Même si l’on peut repérer, dans les nombreuses recherches menées, des tendances et des
régularités, chaque trajectoire, chaque expérience migratoire est différente. Ainsi, des
sujets ayant des répertoires composés des mêmes langues, venant des mêmes régions et
ayant migré vers le même pays, peuvent tout à fait adopter des stratégies identitaires
distinctes et construire des répertoires verbaux différents. Face à cette complexité, nous
ne ferons par conséquent que rendre compte de quelques tendances mises en évidence
de façon récurrente dans les recherches sur le plurilinguisme lié aux migrations, en les
illustrant par des propos recueillis lors d’entretiens semidirectifs91. L’entrée adoptée ici,
contrastant langue(s) d’appartenance et langue(s) du pays de résidence pour cette pré-
sentation est certainement trop binaire et simplificatrice, mais elle permettra une pre-
mière approche de la reconfiguration des répertoires verbaux de la migration.
Usages déclarés
Comme le décrit bien B. Py, la migration est un facteur de remise en cause d’une « recet-
te » bien établie en terre d’origine : Chapitre 4
« Lorsqu’on s’établit dans une autre région linguistique, la pratique de la langue d’origine cesse peu à peu Migrations,
d’aller de soi. En effet, son utilisation dépend de la situation, notamment de l’identité sociale et linguisti- plurilinguismes
et identités
que de l’interlocuteur. » (Py, dans Lüdi, Py et al., 1995 : 128.)
Malgré cela, dans la plupart des cas, les adultes ayant migré déclarent continuer à utiliser Page 65
« leur(s) » langue(s), tout en les cantonnant souvent aux situations familiales ou commu-
nautaires, leur attribuant bien ainsi une valeur de « we code »92 (« code nous »), réservée
aux situations d’entre soi, ce que décrit bien ce sujet :
« Actuellement […] je parle encore sicilien. Soit avec ma femme, mes enfants mes amis… on parle sicilien. »
(immigré d’Italie, trilingue sicilien-italien-français.) ;
ou encore cette femme venue d’Espagne, qui établit une répartition en fonction du lieu,
confirmée par sa fille :
« [Ma fille], elle parle espagnol parce qu’à la maison on parle seulement l’espagnol […] La langue de la
famille la langue de tout, c’est l’espagnol. » (femme immigrée d’Espagne, bilingue espagnol-français.) ;
« souvent espagnol à la maison et français en dehors. » (fille d’immigrés d’Espagne, bilingue espagnol-
français.)
Dans les familles immigrées en France, dont les enfants sont nés dans le pays de résiden-
ce et/ou y sont scolarisés depuis un certain temps, les répertoires verbaux des parents et
ceux des enfants sont souvent asymétriques. Les parents recourent très souvent (mais pas
exclusivement, bien entendu en fonction de leurs compétences dans la langue du pays
de résidence) à la langue de la région d’origine (ou à l’une d’elles) tandis que les enfants
répondent dans la langue du pays de résidence. Les parents qui sont en quelque sorte
« dépositaires » des composantes de l’identité culturelle et linguistique « originelle »,
peuvent transmettre de façon plus ou moins intensive des éléments de la (des) langue(s)
d’appartenance qui est (sont) associée(s) à cette identité, sans que cela fasse nécessaire-
ment l’objet d’une réflexion consciente :
91 S auf mention contraire les extraits d’entretiens cités sont tirés d’une recherche collective menée à Grenoble
et qui a fait l’objet d’un rapport de recherche remis à la Délégation générale à la langue française (Billiez
et al., 2000).
92 Gumperz, J.-J., “Linguistic and Social Interaction in Two Communities”, in Gumperz, J.-J., Hymes, D. (eds.),
The Ethnography of Communication, American Anthropologist, 1964, vol. 66 (6), p. 137-153.
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« [Aux enfants je parle] en espagnol souvent eux ils me répondent en français. (femme immigrée d’Es-
pagne, bilingue espagnol-français.)
M. (enquêtrice) – Jusqu’à quel âge ils t’ont parlé sicilien ?
D. (fils d’un couple d’immigrés siciliens) – Jusqu’à ce qu’on se marie. Quand J. [sa femme] est arrivée, ils se
sont forcés à parler français à ce moment-là […] Nous ils nous parlaient sicilien et nous on leur répondait
en français. » (Giunta, 2005.)93
Nous reviendrons plus en détail sur cette « communication asymétrique » (Deprez, 1994)
et sur ses implications dans l’évolution du répertoire des membres des familles immigrées.
Dans certains cas, les parents peuvent adopter une « politique linguistique familiale »
qui consiste à ne pas transmettre leur(s) langue(s), en vue de favoriser l’intégration de
leurs enfants, intégration qui tend donc alors vers l’assimilation linguistique94. Lorsque
ce type de choix a pu être encouragé par des enseignants qui percevaient le bilinguisme
comme un facteur pouvant rendre difficile l’apprentissage du français, et que quelques
années plus tard l’institution promeut officiellement l’enseignement précoce d’une
langue étrangère valorisée, cela peut générer chez les enfants un sentiment de frustra-
tion :
« [A mes parents] on leur avait dit de faire un effort de parler français à la maison pour que les enfants
apprennent à parler comme il faut et donc petit à petit ils ont commencé à parler français […] Je me sens
plus bilingue, c’est sûr, en anglais parce que j’ai plus de pratique et de théorie qu’en sicilien. C’est vrai que
j’aurais aimé que mes parents continuent à parler sicilien pour que je puisse aussi parler le sicilien correc-
tement, mais bon, à l’époque les profs pensaient que ça pouvait nous [empêcher d’apprendre le français
[…] Je suis pas trop d’accord là-dessus, mais bon, c’est surtout quand je vois qu’ils [les enfants] apprennent
l’anglais maintenant ça me… et c’est vrai je trouve ça dommage. » (fille d’immigrés siciliens, trilingue sici-
lien-français-anglais.)
Chapitre 4
Migrations, On peut remarquer aussi dans cet extrait que la jeune fille exprime des regrets de n’avoir
plurilinguismes pas acquis la langue première de ses parents (cf. un autre extrait infra), et qu’elle se
et identités
sent « plus bilingue » en anglais qu’en sicilien du fait qu’elle ait appris cette langue en
Page 66
contexte formel, scolaire.
Quand le terme langue est utilisé pour décrire le sicilien, c’est pour exprimer une éva-
luation négative :
93 G iunta, J., Le bi-plurilinguisme : des représentations aux pratiques, 2005, mémoire de master FLE 1e année,
université Stendhal, Grenoble 3.
94 Pour un aperçu récent de l’état des langues régionales et étrangères en France, et notamment des langues
des immigrations voir Clanche, F., « Langues régionales, langues étrangères : de l’héritage à la pratique »,
Insee première, 2002, n° 830, en ligne sur http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP830.pdf, ainsi que Heran, F.,
Filhon, A., Deprez, C., « La dynamique des langues en France au fil du xxe siècle », in Populations et Sociétés,
2002, n° 376, en ligne sur https://www.ined.fr/fr/publications/population-et-societes/la-dynamique-des-
langues-en-france-au-fil-du-xxe-siecle/
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« Le patois ça fait vieux, vieille langue [...] ça fait dur […] c’est pas agréable à écouter. » (Giunta, 2005 : 28.)
Les langues d’appartenance sont parfois présentées comme des « jardins secrets »
enfouis sous la ou les langues d’acculturation. L’association aux émotions, la profondeur
et le jaillissement difficilement contrôlable servent à les caractériser :
« Ça sort du fond de moi […] quand il fallait gueuler c’est clair que ça sortait mieux en espagnol […] Ça
sort plus de là je crois, ça sort plus, je sais pas c’est plus profond. » (femme immigrée d’Espagne, bilingue
espagnol-français.)
« Quand je veux dire des choses que je sens je les dis en grec, je m’exprime mieux en grec […] J’extériorise
mieux avec ma langue, avec la langue grecque tous mes sentiments. » (femme immigrée de Grèce, bilingue
français-grec.)
• Compensation consolatrice
Nous avons déjà évoqué cette notion dans la présentation de la théorie du conflit lin-
guistique (cf. chapitre 1) :
Chapitre 4
« [Enquêtrice : Vous trouvez le sicilien plus doux ?] Forcément oui (rires), forcément oui, je le trouve très
Migrations,
doux, très gai, très chaleureux, ça roule, voilà quoi [...] [La langue que je préfère] je dirais le sicilien parce
plurilinguismes
que c’est mon cocon, quoi, c’est depuis que je suis petite que je l’entends, bon, je dirais le français aussi,
et identités
mais je trouve tellement que [le sicilien] c’est doux, c’est enfin, j’aime beaucoup cette langue-là et je
regrette des fois de ne pas pouvoir m’exprimer librement dans cette langue-là. » (fille d’immigrés siciliens,
trilingue sicilien-français-anglais.) Page 67
La jeune fille ne tarit pas d’éloge à l’égard du sicilien qu’elle dit regretter de ne pas mai-
triser alors que l’italien, la variété haute du pays d’origine de ses parents (qu’elle n’a pas
choisi d’apprendre durant sa scolarité), ne jouit pas de tels attributs :
(172) : « L’italien non, pour moi c’est froid ; c’est, ça passe pas non. » (idem)
L’inscription dans le champ des sentiments qui fait de la langue d’appartenance « la
langue du cœur », contribue, a contrario, à lui dénier des fonctions sociales valorisées
(exclusion de l’administration, de l’école, des médias, des productions culturelles) et tend
à objectiver la répartition fonctionnelle de type diglossique, à entériner l’inégalité socia-
lement et historiquement construite en la faisant passer pour naturelle.
• Fonction emblématique et proclamation volontariste
La lecture de l’article de J. Billiez (1985) permettra de saisir cette question de l’utilisation
emblématique de certaines composantes d’un répertoire verbal bi-plurilingue.
Comme le montre le texte de J. Billiez, la langue, les façons de parler ou, en situation
plurilingue, les langues constituent donc un moyen privilégié de dire, d’affirmer et / ou
de construire son identité parce qu’elles contribuent fondamentalement à la présen-
tation de soi, à l’image que l’on construit pour les autres et pour soi. Cette fonction
d’emblème peut fonctionner à deux niveaux au moins, en quelque sorte par l’usage
(utilisation de marques transcodiques, telles que l’alternance codique, l’emprunt ou le
mélange) ou par la mention (cf. la déclaration d’allure paradoxale du jeune Kamel dans
8 1118 TG PA 00
l’article de J. Billiez).
En effet, on peut dire ou montrer qui l’on est, ce que l’on est, de manière explicite, en
déclarant, dans une conversation ordinaire ou en situation d’entretien de recherche,
parler telle ou telle langue :
« La fonction emblématique est donc celle qui exprime, de façon la plus explicite, l’identité ou les identités
de la personne plurilingue. Mentionnée par les locuteurs eux-mêmes, elle se réfère aux possibilités qui leur
sont données par les langues de s’identifier à telle ou telle communauté puisqu’elles sont perçues en tant
qu’emblèmes identitaires véhiculant ainsi des valeurs culturelles et des traditions. » (Billiez et al., 2000 : 56.)
La jeune fille descendante d’immigrés siciliens, déjà citée à plusieurs reprises, fait aussi, à
la fin de son entretien, et non sans une hésitation proche du lapsus97, une proclamation
d’identité par le biais de la langue :
« Je veux garder mon individualité avec ma culture que j’ai pu avoir et, française et italienne, et je serais
prête à perdre l’italien, le français pardon, et à acquérir le sicilien »
Dans certains cas, comme dans le discours de jeunes descendants d’immigrés, qui par
ailleurs utilisent peu la langue familiale, ces déclarations peuvent revêtir une valeur de
« proclamation volontariste » d’identité (Millet, dans Billiez et al., 2000 : 42), en lien
avec la construction d’une biculturalité. Ce type de proclamation donne parfois lieu
à des formulations paradoxales. Ainsi dans l’article de J. Billiez (cf. document 12), la
Chapitre 4
déclaration du jeune Kamel (« Ma langue, c’est l’arabe mais je ne la parle pas. ») montre
Migrations,
plurilinguismes que la langue est moins perçue comme un outil de communication que comme « une
et identités composante primordiale de l’héritage et comme marqueur d’identité » (Billiez, 1985 :
102). Cette structure discursive de forme P mais Q98, a été analysée par A. Ouamara et
Page 68 A. Chaouite (2007) dans d’autres énoncés qui concernent le lieu de naissance de jeunes
descendants d’immigrés d’Afrique du Nord, comme dans l’énoncé suivant, produit en
réponse à la question « Que représente pour toi l’Algérie ? » :
« L’Algérie, c’est mon pays (P) mais je suis né ici [en France] (Q). »
De nombreuses recherches menées en France ont montré qu’en contexte urbain défavo-
risé, les descendants de migrants, particulièrement d’Afrique du Nord, ont mis en circula-
tion certaines de leurs connaissances en arabe maghrébin dans les pratiques entre pairs,
sous formes d’alternances codiques, d’emprunts ou de mélanges de langues. A la suite
de J. Billiez (1992)99 qui a proposé l’expression de « parler véhiculaire interethnique »,
L.-J. Calvet (1994)100 a décrit ce phénomène comme la création d’un « we code » (« code
nous ») par l’intégration d’éléments de plusieurs « we codes » (arabe, romani…) au fran-
çais, perçu comme un « they code ». F. Melliani (1999)101 a étudié les usages des langues
par des jeunes vivant dans les banlieues défavorisées de Rouen. Pour elle, l’expérience
96 T ous les immigrés temporaires dont les propos sont cités sont chercheurs, et donc bénéficient d’un statut
socio-professionnel plus élevé que les autres immigrés interviewés.
97 Ce type de lapsus pouvant être chargé de sens lorsqu’il s’agit, comme ici, de dire son identité.
98 D ans cette formalisation P réfère à la première affirmation et Q à la restriction qui y est apportée par la
seconde proposition ; A. Ouamara et A. Chaouite en donnent un autre exemple : « l’Algérie c’est mon pays
mais je suis né en France ». Pour les auteurs, les segments P et Q ont non seulement deux valeurs argumen-
tatives opposées, mais sont aussi des actualisations de deux discours apparemment contradictoires. L’énoncé
P (« l’Algérie, c’est mon pays ») suggérerait la conclusion R (« je suis Algérien »), et l’énoncé Q (« je suis né
ici »), au contraire, suggérerait (« je suis natif de France ») qui, à son tour, suggérerait je suis « Français ». Au
total, le sens construit « pencherait pour la conclusion non-R, c’est-à-dire « je ne suis pas Algérien » » (ibid.).
99 Billiez, J., « Le « parler véhiculaire interethnique » de groupes d’adolescents en milieu urbain », in Des lan-
gues et des villes, Didier Erudition, 1992, p. 117-126.
100 C alvet, L.-J., Les voix de la ville. Introduction à la sociolinguistique urbaine, Paris : Payot, 1994.
101 Melliani, F., « Le métissage langagier comme lieu d’affirmation identitaire », in Les parlers urbains, Lidil,
1999, n° 19, p. 57-77.
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de la stigmatisation et du racisme, conjuguée à la relégation résidentielle a déclenché
chez eux un processus spécifique de construction identitaire, un clivage eux / nous, dans
lequel les usages langagiers qu’elle qualifie de « métissés » jouent un rôle essentiel de
stratégie identitaire, en étant à la fois un objet de ralliement et d’identification, de dif-
férenciation et d’ostension d’un certain pouvoir de réaction face à la domination vécue.
Les usages emblématiques des langues d’appartenance de communautés longtemps
invisibles ou stigmatisées dans l’espace public ont ainsi alimenté des parlers de jeunes
urbains dont la base est constituée d’un français que l’on peut qualifier de populaire.
Ils sont ainsi devenus, notamment grâce à leur utilisation et à leur diffusion par le rap,
l’instrument de stratégies identitaires de recomposition et de renversement du stigmate.
Malgré la saillance perceptive de certains éléments langagiers, notamment aux yeux et
aux oreilles des adultes, il est important d’insister sur le fait que les dynamiques identi-
taires dont ces éléments sont porteurs n’ont rien d’exceptionnel et qu’elles s’inscrivent
dans le cadre général de la signification sociale que tout locuteur donne, consciemment
ou non, aux pratiques et aux variations langagières. Cette façon d’utiliser le français est
le produit et le vecteur de relations sociales spécifiques et non, comme cela est souvent
décrit, l’expression d’un « handicap socioculturel » constituant une barrière à la commu-
nication sociale.
Cependant, même si elle peut fonctionner comme un emblème, la langue d’apparte-
nance ne constitue pas toujours un havre de sécurité. Lorsqu’elle n’est que partiellement
transmise, et apprise « sur le tas », son usage peut être, pour les descendants d’immigrés,
cause d’insécurité linguistique, par exemple lorsqu’ils vont en vacances dans le pays
d’origine de leurs parents, comme ces deux adolescents descendant respectivement de
parents tunisiens et algériens : Chapitre 4
« [Avec mes cousins, en Tunisie] c’est trop dur à parler avec eux / i(ls) te sortent des morceaux de mots Migrations,
et / et nous / nous des fois : on comprend pas […] [Ils me disent :] Euh « là tu l’as mal prononcé » i(ls) se plurilinguismes
moquent de moi. » et identités
« […] avec mes deux cousins […] je bégayais. » (Trimaille, 2004.)102 Page 69
D’une façon simplifiée, on peut définir l’insécurité linguistique comme le sentiment géné-
ré par la perception qu’a un locuteur d’un écart entre sa production langagière et une
norme qu’il estime souhaitable/nécessaire d’appliquer. Ce sentiment d’insécurité peut
être source de sentiment d’infériorité qui peut produire – notamment en situation d’ap-
prentissage ou en situation formelle – des silences, des hésitations, des hypercorrections.
La migration, en ce qu’elle implique une reconstruction de la réalité, entraine parfois des
reconstructions d’identités mais aussi des brouillages dans les allégeances linguistiques,
notamment quand plusieurs langues sont concurrentes dans la région d’origine. C’est ce
que nous allons voir en nous intéressant d’un peu plus près au discours d’une jeune fille
marocaine arrivée en France à l’âge de onze ans.
102 T
rimaille, C., « Plurilinguisme, variations et entrée dans l’adolescence chez des descendants d’immigrés
maghrébins : construction et affirmation d’appartenances multiples », in Hommes et migrations, 2004, n°
1252, p. 66-73.
8 1118 TG PA 00
Mais elle souligne qu’elle considère que l’appropriation d’une nouvelle langue est une
souffrance.
« Une langue, c’est une souffrance / pour moi, c’est un peu ça / une nouvelle langue, c’est une souffrance. »
On peut se demander ce qu’elle entend par cette déclaration : s’agit-il d’une « souffrance
cognitive » liée à la difficulté de l’apprentissage, à l’insécurité linguistique qu’implique
souvent l’entrée dans l’apprentissage d’une langue avec ce que cela peut comporter
d’atteintes à l’estime de soi ? Ou s’agit‑il d’une réminiscence de son enfance qui a été
marquée par la diglossie berbère / arabe en vigueur au Maroc (à laquelle on pourrait
rajouter la diglossie arabe littéraire et arabe maghrébin) et de sa scolarisation en arabe
classique qui l’a confrontée à une altérité dominatrice ? Mise en question identitaire qui
a engendré chez elle une attitude ambivalente, voire négative envers les deux langues.
Au cours de son entretien, elle exprime d’abord (au présent puis au passé) ce que les
sociolinguistes catalans ont appelé le sentiment d’auto-odi (haine de soi) :
« T’as un mépris envers toi-même [...] tu dis à quelqu’un “je parle berbère” et surtout chez les petits dans
l’enfance c’est comme si tu lui dévoiles “ben je suis je suis à l’état animal pour toi” c’est un peu exagéré
mais c’est un peu ça [...] c’est un dégoût pour moi c’était un dégoût. »
Dans la théorie du conflit, l’auto-odi (qui signifie haine de soi en catalan) est un senti-
ment des locuteurs de la langue dominée dirigé contre cette même langue et la culture
qui y est associée : ce sentiment, qui résulte d’une intériorisation du mépris des membres
du groupe dominant envers ceux du groupe des dominés, conduit à une autodévalorisa-
tion individuelle et collective.
Elle verbalise ensuite une attitude de distanciation voire de disqualification de l’arabe
Chapitre 4
de l’école, symbole de domination et source de la haine de soi qu’elle a pu éprouver.
Migrations,
Ce n’est pas sa « vrai » langue, mais une langue imposée. En la comparant à l’anglais à
plurilinguismes
et identités l’école en France, elle en fait un objet dont la manipulation est artificielle, une matière
de plus en quelque sorte, ce qui n’est pas sans rappeler les propos d’Alessandra à l’égard
Page 70 du français (dans son texte « Ma langue maternelle »)103.
« [L’arabe] je peux dire c’était pas la vraie langue, c’était la langue que l’école à imposée [...] c’est comme
pour ici l’anglais au lycée, c’est un peu ça, c’est parce que le prof nous oblige à parler. »
« Je l’utilise [l’arabe], c’est vrai que je l’utilise quoi / mais il y a un moment je la détestais pour moi c’était
l’ennemi / quoi pas l’ennemi c’est des mots que j’emploie / durs. »
Après des propos dans lesquels l’arabe est qualifié de « langue ennemie », on sent émer-
ger à la fin de cette intervention un effort de pacification de sa relation à cette langue.
En effet, bien que la situation sociolinguistique du Maroc continue apparemment d’in-
fluencer ses représentations de l’arabe, l’expérience migratoire et l’installation en France
les ont fait considérablement évoluer. Elle affiche à plusieurs reprises un rejet ostensible
de l’arabe parlé maghrébin qui l’amène à « switcher » avec le français en produisant des
alternances codiques divergentes :
« Ma mère, et les copines de ma mère, [quand elles parlent arabe], je sais très bien de quoi elles parlent,
je leur réponds en français […] [Avec des Algériens ou des Tunisiens], je parle français. Je préfère parler
français qu’arabe. [Si on me parle arabe], je comprends mais je réponds en français. »,
Mais ses jugements envers l’arabe semblent aujourd’hui être moins tranchés. En effet,
malgré sa divergence revendiquée en refusant le choix de langue de certains de ses inter-
locuteurs, elle attribue néanmoins, dans le même entretien, des valeurs esthétiques et
culturelles à l’arabe littéraire, ou à la variété d’arabe parlé qui, dans ses représentations
s’en rapproche le plus, c’est-à-dire la variété égyptienne. Dans cette hiérarchisation des
variétés d’arabe, elle ne mentionne pas l’arabe marocain.
« C’est vrai que la langue arabe, je reconnais qu’elle est belle pour les poésies […] Si quelqu’un lit et qu’il
s’applique pour lire l’arabe littéraire, c’est très beau […] C’est très beau la langue égyptienne, elle est très
belle parce que la langue égyptienne est la plus proche de l’arabe littéraire, c’est poétique, ça chante. »
103 A
ctivité 29, p.75.
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Ces éloges manifestent donc l’amorce d’un changement d’attitude et une revalorisation
symbolique de l’arabe littéraire qui seront peut-être suivis d’une mise en conformité des
comportements. C’est en tous cas le souhait qu’elle formule :
« Le fait que j’ai vécu ça [le dégoût de l’arabe], ça m’empêche pas de l’apprécier, et tu sais, un de mes buts,
c’est de pouvoir un jour retourner vers cette langue [...] je peux pas me dire j’ignore l’arabe. »
Ces éloges peuvent également manifester la prégnance des valeurs acquises / apprises
quant au prestige de la langue haute dans le pays d’émigration.
L’identification aux valeurs et emblèmes de groupes de pairs au sein desquels des élé-
ments d’arabe parlé maghrébin endossent une fonction emblématique et donc valorisée,
la découverte d’un attachement à une culture arabe semblent amener la jeune fille à
passer d’une relation diglossique et conflictuelle à une gestion contactuelle et plus paci-
fiée de son répertoire plurilingue.
En situation post-migratoire, la ou les langue(s) apportée(s) lors de la migration assu-
ment des fonctions différentes, selon les individus, les familles et les communautés,
elle(s) joue(nt) souvent un rôle de lien symbolique avec la communauté et/ou la région
d’origine. Mais réduire la situation linguistique des migrants à une dichotomie voire à
une opposition « langue d’origine » / « langue d’intégration » serait par trop réducteur.
« Le migrant est à la fois (ou alternativement) locuteur natif de sa langue d’origine, apprenant de la langue
d’accueil et bilingue – ce qui nous rappelle que la recherche a trop souvent dissocié ces aspects complémen-
taires du contact des langues. » (Py, dans Lüdi, Py et al., 1995 : 125.)
M. Matthey et B. Py soulignent que l’intégration n’est pas que linguistique : elle impli-
que que les sujets fassent « l’expérience de l’inadéquation plus ou moins marquée de
leur système de recettes importé de la région d’origine » (dans Lüdi, Py et al., 1995 : 19)
pour appréhender la nouvelle réalité sociale à laquelle ils sont confrontés. Ainsi, si l’on
reprend l’exemple de la petite Alessandra, on peut faire l’hypothèse que sa représenta-
tion très négative du français pourra évoluer à mesure que cette langue, d’abord vécue
comme étrangère, imposée et « inutile », deviendra le code qui lui permettra de se faire
des ami(e)s, de recevoir des gratifications de ses enseignants, de comprendre des chan-
sons qu’elle aime, de vivre pleinement sa socialisation adolescente, etc.
Ainsi, pour les sujets ayant migré définitivement, la restructuration du répertoire verbal
est la manifestation langagière d’un besoin plus ou moins vital de reconstruction de la
réalité sociale en un univers qui fasse sens et dans lequel ils puissent trouver une place
(De Pietro, 1995 : 182)105.
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Une double médiation
u Cf. document 14 : La double médiation . 106
Les parents, et parfois les ainé(e)s jouaient (ou non d’ailleurs) le rôle de transmetteur de
la langue d’appartenance comme un élément de continuité identitaire.
à l’opposé, lorsque des enfants (qu’ils soient eux-mêmes migrants ou nés en pays d’immi-
gration) sont scolarisés dans le pays d’accueil, la LPR est souvent aussi utilisée dans la
famille, au sein de laquelle s’organise très souvent une sorte de « répartition des tâches »
entre les générations (cf. exemples supra). Dans le cas de l’immigration en France, le
français pénètre aussi largement les foyers issus de l’immigration, où les pratiques sont
alors mixtes. Les enfants de migrants y jouent un rôle charnière dans la politique linguis-
tique familiale (Deprez, 1994) et la « double médiation linguistique » qui s’opère.
« [Avec mon frère] on parlait français tout le temps. » (fille d’immigrés d’Espagne, bilingue espagnol-français.)
Chapitre 4
Migrations,
plurilinguismes
et identités
Page 72
Alternance des langues en famille selon les générations (d’après Deprez, 1994 : 55).
Mais ce schéma, pour courant qu’il soit, ne s’applique pas dans tous les cas. Comme
l’a montré P. Lambert (2005, cf. supra document 14), au sein de la fratrie, les ainé(e)s,
surtout s’ils ou elles ont migré avec les parents, assument aussi parfois un rôle dans la
transmission de la langue familiale. Dans d’autres cas encore, par exemple quand l’un
des parents (souvent la mère) rejoint l’autre longtemps après la migration ou qu’il est
très inséré dans un réseau social linguistiquement homogène, les enfants peuvent être
amenés à alterner les langues en fonction du parent auquel ils s’adressent, comme c’est
le cas pour ces deux jeunes garçons bilingues en français-arabe (respectivement tunisien
ou algérien) :
S. – Moi, je parle français avec mon père et arabe avec ma mère.
N. – Moi, c’est mon père qui sait pas bien parler français, ma mère, je parle français avec elle. (Trimaille, 2004)
Certains immigrés évoquent avec une certaine fierté la maitrise du français par leurs
enfants, cette fierté se conjuguant d’ailleurs parfois avec celle qu’inspire le maintien de
la ou des langue(s) familiales :
« [Ma fille] elle parle aussi bien l’espagnol que le français. » (femme immigrée d’Espagne, bilingue espa-
gnol-français.)
« Les enfants, maintenant, ils parlent que… ils parlent français, ils parlent l’anglais, ils parlent les langues,
ils parlent l’arabe, ils parlent tout. » (père trilingue berbère-arabe-français.)
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Au vu de ces déclarations, l’appropriation de la LPR par les enfants peut être interprétée
comme un symbole de la réussite d’une dimension du projet migratoire qui vise souvent
une amélioration des conditions de vie, et une contrepartie des abandons de divers
ordres qu’il implique, dont parfois celui de la langue d’appartenance.
Le caractère obligatoire, voire forcé, de cet apprentissage qui est abordé dans le dernier
extrait est parfois évoqué avec une certaine amertume :
« [Parler français] c’était pas une envie, c’était une obligation. La langue que je préfère par la force des
choses, c’est le français parce que c’est la langue que j’utilise quotidiennement, mais je ne vous cache pas
que j’ai un faible pour la langue grecque parce que c’est vraiment une belle langue. » (femme immigrée
de Grèce, bilingue français-grec.) Chapitre 4
Migrations,
Bien qu’elle soit une des clés de l’intégration, certains migrants perçoivent l’apprentis-
plurilinguismes
sage ou l’usage de la LPR comme une menace de l’identité d’origine. C’est le cas, en et identités
situation de migration interne dans un pays plurilingue, pour certains Suisses romands
migrant en Suisse alémanique, chez qui l’apprentissage trop poussé de l’allemand suscite Page 73
des craintes :
« à la limite je n’aimerais pas trop progresser en… je ne veux pas dire progresser, mais enfin trop accentuer
le poids de l’allemand parce que j’aurais peur de perdre une certaine souplesse dans le maniement de la
langue [française], et puis ça alors je m’y refuse totalement. » (Lüdi, Py et al., 1995 : 129.)
Pour d’autres, la divergence (cf. la théorie de l’accommodation, document 13) que sym-
bolise l’usage de la LPR entre immigrés peut être d’autant plus mal acceptée que les
compétences dans cette langue sont jugées défaillantes et mènent à une forme d’auto-
dévalorisation collective.
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« C’est IMPARDONNABLE ça, les gens de ma génération qui sont venus de Grèce, quand on est en train
de discuter en français, premièrement on le parle mal, moi, je trouve que c’est déplacé […] On a un foutu
accent qui…, on peut pas faire quoi que ce soit. » (femme immigrée de Grèce, bilingue français-grec.)
Page 74 E. – On a appris tout doucement […] on comprenait rien. (Giunta, 2005 : 24.)
107 Il faut ajouter que les représentations et les stéréotypes sur la culture des habitants des pays où sont par-
lées les langues peuvent aussi avoir une influence sur les apprentissages linguistiques.
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« Le russe, rien que le fait que c’était obligatoire, ça donne pas envie d’y aller. »
(immigré temporaire hongrois, hongrois-allemand-français-anglais-norvégien.)
Nous insisterons, pour conclure ce chapitre, sur le fait que si l’acquisition par les migrants
de la (des) langue(s) du pays est un élément important de l’intégration dans un nouvel
environnement, elles ne constituent pas le seul. Il nous semble également important de
réaffirmer que la dimension linguistique du processus de construction identitaire, qu’elle
soit plurilingue ou monolingue (et plurilectale), est un phénomène universel qui nous
concerne toutes et tous à des degrés divers, à différents moments et selon différentes
modalités. Par la rupture qu’elle induit, la migration n’est donc qu’un facteur qui rend
plus visible, ou plus tangible l’évolution linguistique.
S’exercer
Activité 29
Ma langue maternelle
Dans le court texte, ci-dessous, écrit par une jeune élève migrante bilingue en italien et
en français, repérez les représentations de ses langues et la façon dont elles sont mises
en mots.
me sens plus sûre. Avec ma famille je parle en italien. La langue étrangère, Page 75
c’est comme si c’était quelqu’un qui veut me faire tromper et me faire honte.
Ma langue étrangère, c’est le français. Je n’aime pas le français. Quand
j’entends l’italien, c’est comme si c’était un orchestre qui ne s’arrête pas de
faire de la musique et tout le monde l’applaudit. Quand j’entends le français,
c’est comme si c’était un orchestre qui ne sait pas faire de la musique et que
tout le monde est déçu. Quand j’entends le français, je me vois assise dans
une salle où il y a un orchestre qui joue et je n’aime pas la musique. Je n’aime
pas entendre le français parce que c’est comme si j’entendais une musique que
je n’aime pas, cela ne sert à rien.
La première personne qui a dit mon prénom en français, c’est ma mère et je
lui ai tout de suite dit : « Ne répète plus jamais mon prénom en français, j’ai
horreur de ça ! ». Maintenant à l’école tout le monde m’appelle Alexandra à
la place de « Alessandra » et je me suis tellement habituée que j’ai envie de
changer de prénom ». Alexandra.
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Activité 30
En vous aidant des commentaires faits dans le cours sur différents extraits, et en reli-
sant la définition de la théorie de l’accommodation, analysez les passages de discours
suivants.
a) [Sur les chantiers] il y avait les deux, il y avait les Siciliens et il y avait les Italiens.
Quand on se retrouvait sur le chantier, si l’autre était italien, on parlait en italien,
alors que s’il était sicilien, on parlait sicilien. (immigré d’Italie, trilingue sicilien-italien-
français)
b) Ma mère, pour elle, il faut essayer d’effacer le berbère le plus pour pouvoir parler
le français, c’est vrai qu’elle c’est une volonté, le handicap elle l’a vraiment senti,
quand tu parles pas une langue, tu n’existes pas. Mais je veux dire elle en a pleuré,
plusieurs fois. C’est une souffrance. (jeune fille immigrée du Maroc, trilingue berbère-
arabe-français)
c) Je pense que si j’avais vécu là-bas [au Maroc], j’en serais pas consciente. Le fait
d’avoir l’expérience des deux, je suis plus consciente de mon identité […] J’y tiens
plus, je suis plus consciente de mon identité, avant j’en avais honte parce qu’on m’ap-
prenait « faut pas dire que tu es berbère » dans les classes, je mentais, et on me disait :
« Tu es arabe ou tu es berbère ? », je disais : « Oh non, je suis arabe ! » Maintenant j’ai
pas honte de le dire au contraire. (jeune fille immigrée du Maroc, trilingue berbère-
arabe-français).
Activité 31
Chapitre 4
Quelles sont, schématiquement les deux possibilités d’accommodation dans la théorie
Migrations,
plurilinguismes
de l’accommodation communicative (élaborée par H. Giles et ses collaborateurs) ?
et identités
Activité 32
Page 76
Caractérisez simplement le processus de double médiation.
Activité 33
Quelles sont les limites de la notion de langue maternelle en situation de plurilinguisme ?
Activité 34
Selon L. Dabène, quelles sont les différences entre langue de référence et langue d’ap-
partenance ? Pour une personne donnée, ces deux notions peuvent-elles s’appliquer à
la même langue ? Dans quels cas ?
8 1118 TG PA 00
Retenir
Notions essentielles
• La ou les langue(s) comme éléments constitutifs de l’identité.
• L angues « maternelles » (et discussion de l’inadaptation de cette notion à bien
des situations plurilingues, p. 61-62) (p. 64).
• L angue(s) d’appartenance(s) ; langue de référence ; langue(s) du pays de rési-
dence.
• Compensation consolatrice, auto-odi.
• Fonctions identitaire, emblématique, instrumentale/intégrative.
• Théorie de l’accommodation (convergence / divergence).
• Répertoire verbaux asymétriques, double médiation.
• Insécurité linguistique.
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éléments de bibliographie
Les références reportées ici sont mentionnées dans le texte du cours sous forme réduite
(par exemple Baggioni, 1997). D’autres références, notamment lorsqu’elles ne sont men-
tionnées qu’une fois, sont données dans le texte ou en note de bas de page.
Les quelques entrées « incontournables », et vraisemblablement consultables dans un
certain nombre de centres documentaires, sont signalées par un « B » ou « B B »,
selon leur importance.
Les théories n’étant pas unifiées et tous les auteurs cités n’ayant pas toujours exactement
les mêmes points de vue, ou proposant parfois des typologies différentes, ces divergen-
ces ne doivent pas dérouter les étudiants.
Nous avons également tenté d’indiquer le plus grand nombre possible d’articles consul-
tables en ligne pour tenir compte de la diversité des situations géographiques des étu-
diants et de l’accès parfois difficile aux ressources « papier ».
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