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Yves STALLONI
LES GENRES
LITTÉRAIRES
'l.-'
ARMAND Ci')UN
AVANT-PROPOS .. .. .. .... ... .... ... ..... ..... .. ..... .... ... ... .... ... ............ ... ........ ........ ... . 6
1. LA NOTION DE GENRE LIITÉRAIRE ...... .. ... .. .... .......... .... .... ..... .... ....... .. .. . 8
1. Définition et délimitation .. ........................ ..... ................. ............... . 8
1.1 Le mot et ses acceptions .. ....... ...... ..... .......... .. .......... ........... ... . 8
1.2 Sur quelques présupposés .. ........................ ..................... ... ..... 9
1.3 Le mot « genre » en littérature .... ................... ....................... . 10
2. La perspective historique ............ .. .................................................... 12
2.1 Le modèle-grec : Platon et Aristote ...... .. .... ........................... . 12
2.2 La triade canonique .... .. .. ......... .... ......... ... ........ ..... ... ....... .... ... . 15
2.3 Heurs et malheurs de la triade ....... ..... ............ ....................... . 16
3. Le débat théorique ................................. .......................... ................ . 18
3.1 Fiction et non-fiction ........ ........... ........ ........... ...... ................. . 18
3.2 Modes, genres, archigenres, ...... ..... .. .. ................... ............ ..... . 19
3.3 Pragmatique et « h_onzon d attente >> ........... .. ............ .......... .. . 20
3.4 Les autres typologies ..................... ........... ................. ............ . 21
2. LE THÉÂTRE ET LE GENRE DRAMATIQUE .. ... .. ........ ... .. .... ..... .. .... ..... ..... . 25
DANGER Ce logo a pour objet d· alerter le lec1eur sur la menace que représente pour 1·avenirde l'écrit. tou 1 par- 1. Le genre dramatique. ...... ..... ........................... .................................. 25
tkulièremem dans le domaine universitaire. Je développemen1 massif du « photocopillage >}. Cette
1.1 Une forme prioritaire .................. ............. .................... ........... 25
®
pratique qui s'est généralisée. notamment dans les établissements d'enseignement. provoque une
baisse brutale des achats de livres. au point que la possibilité même pour les auteun; de créer des 1.2 Les critères du genre........ ..... ....................... ............... ....... ..... 26
œuvre.s nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. 1.3 Théâtre et théâtralité. .. ....... ....... ..... ............ ........... ............. ..... 29
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans aulorisation, ainsi que Je recel. son! passibles
li Pl!OIOCOPWCI de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées au Centre français
TUE LEUVRE d'exploitation du droit de copie : 20. rue des Grands-Augustins. 75006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70.
2. La tragédie.. ................................................................ ...................... 31
2.1 La définition d ' Aristote .. ..... ... ... ... .. .. .. ... .. .. .. ... .. ... ...... .. .. . ..... ... 31
2.2 Esthétique de la tragédie... .............................. ..... .... .. ....... ...... 32
2.3 Les vanations tragiques ... ............ ...... ..... ......... ..... ..... .. ........... 33
© Armand Colin, 2007 pour cette présentation.
© Nathan/HER 2000 3. La comédie........ .................. .... ......... .... ......................................... ... 34
Internet : http://www.armand-colin.com 3.1 La position d'Aristote......... ........... ..... ........... ............. ............ 34
JS BN : 2-200-34!86c5
1. Les fondements de la nan-ation ..................................................... .. 46 S. Aux FRONTIÈRES DU GENRE ... .......... ... .......... ... .. .............. ...... .. ..... .... ... 102
].5
t~~ pre!Ilières définit~oi;is du genre ..... .. ... .. ........................ .. .. 46
.- epopee et le genre ep1que .. .. .... .... .. ............ .... ......... ... ... .... .. 47 1: L'ère du soupçon . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. ...... ... .. .... .. .. .. .. .. .. ... .. ... .. ....... 102
2. Le récit : éléments de définition .... .... ... .......................................... . 52 103
;.5
Une notion faussement simple ......................... .. .................. ..
2'3
Les composantes du récit.. .......... ... ......... .. ..... .......... ... .......... .
52
53
2. Genres et contexte ........................................................................... .
2.1 L'éloq~ence. ··;···._ ... ... ............ ....... ... .... .. .... .... ....... .... ... ........ ... . 104
2.2 La cntique htteraire .. .. ............. .. .......... .. ..... ... ......... ........ ....... . 105
. L'analyse du récit .. ............................... .. ................ ............. .. . 54 2.3 L' histoire .... ......... ... ........... ...... ... ... .. ..... ... ... .. ........................ .. . 107
3. Le roman et ses formes ...... ........................................ .. .......... ... ....... 56 2.4 La littérature de l'intime ................. ............. ...... .. .. .. ... ....... .. .. . 108
~ · i Le mot et le genre ...... .............................................. .. ........... . 56 3. Le renouvellement des genres ...... ... .. .. ..... .... .... .. ......... ............ .. .. .... . 113
. Une définition difficile ......................................................... .. 57 3.1 Le jeu de l'arborescence ................................. .. .... .. .............. . 113
3 .3 Esthétique du roman ............................................................ .. 59 3.2 Parler des camps ........... .... ....... .... .. ......................................... . 114
3 .4 Un genre encombrant.. .......................................................... . 61 3.3 Le fragn1ent ......................................................................... .. 115
3 .5 Typologie romanesque ............................. .... ...................... .. .. 63
4. Le genre en procès .. .............................. .. ..................... .. .. .. ............. . 117
4. Les autres genres narratifs .... .......... .. .... .. ...... .. .................. .. ............ . 66
4.1 La nouvelle ····· ············································ ···· ·· ····················· 67
4.1 Le mythe de l'œuvre unique .................................................. . 118
4.2 Fusion et confusion des genres ...................... .... ..... .. .. .. .... .... .. 119
t~ ~~t~·~~1 ~é~ù~ï;~:~ù .................................................................. . 71 4.3 Œuvre pure et écriture blanche .......... .. ...... .. ................ .. ........ . 121
·································································· 74
CONCLUSION........... .... ................ .............................................................. 124
4. LA POÉSIE ET LE GENRE LYRIQUE.. ............. ... .... ............ ... ...... .... ......... 77
BIBLIOGRAPHIE ..... ... ....... .. ... ... .. .. .. ... .... .... ........ .. ....... ... .. .. .... .. ....... .. .... .. ... . 126
1. Un genre incertain................................. .. .... .... ........... ..................... 77
.i
l Le critère du vers ................................. .... .. .. .... .. .... .,.. ............
1. Le critère de subjectivité........................................................
77
80
INDEX DES NOTIONS ...... .... .... ...... ........ ... .. .. ... ...... .. ... .... ...... ... ....... ...... .. ..... 128
4 5
AVANT-PROPOS jours abouti à des définitions claires. L'objectif de cet ouvrage se situe dans
la double perspective suggérée par ce constat: il s'inscrit d'abord dans le
sens de la réhabilitation actuelle de l'approche rhétorique de la littérature. Le
genre, fidèle en cela à une histoire mouvementée qui lui a successivement
accordé trop ou pas assez d'honneur, connaît en effet, après une période de
La littérature, art du langage, a depui~ toujours éprouvé le besoin de regrou- · relatif oubli dans la première moitié du siècle, un regain de faveur provoqué
per diverses formes de discours à partir de structurations typologiques. ou alimenté par les recherches des structuralistes et de la « nouvelle
C'était déjà le cas des œuvres de l' Antiquité gréco-latine que des ouvrages critique ».
théoriques (comme La Poétique d'Aristote) se proposaient de définir et de Cet ouvrage souhaite ensuite faire le tri à l'intérieur des abondants tra-
classer; c'est encore le cas des œuvres plus modernes qui, ne serait-ce que vaux suscités par la notion de« genre», afin de dégager quelques définitions
pour les nécessités de l'édition ou de la bibliologie, ont besoin d'être identi- et quelques outils susceptibles d'aider et de guider l' étµdiant.~i_ans son travail
fiées clairement. Ce qUe font les genres. L'acheteur dans une librairie, l' étu- sur les textes. La réflexion sur le genre, comme celle touchànt à la critique
diant dans une bibliothèque, l'éditeur devant un manuscrit doivent ou à l'histoire littéraire par exemple, ne doit pas faillir à sa mission
rapidement différencier un essai d'un roman, un recueil poétique d'une pièce prioritaire : permettre une meilleure lecture et une meilleure compréhension
de théâtre et même, en affinant la classification, un roman autobiographique des textes. Par la maîtrise des notions techniques sera facilitée l'entreprise
d'une fiction, une biographie historique d'un pamphlet politique, un recueil critique qui consiste, en passant d'une forme à un sens, à identifier et à
de nouvelles d'une plaquette de vers, un récit fantastique d'un conte pour apprécier l'œuvre littéraire. L'enjeu est donc d'importance, comme l'écrit un
enfants. spécialiste aux premières pages de son essai, puisque c'est toute la littérature
Même en négligeant ce que Gérard Genette appelle le « péritexte qui se déploie à partir de la notion de genre :
éditorial» (format, collections), les indications génériques sont ainsi deve- La théorie des genres est ainsi devenue le lieu où se joue le sort du champ exten-
nues, dans l'édition modernei le complément indispensable du titre, confé- sionnel et de la définition de la littérature: l'introuvable spécificité sémiotique est
rant au livre un « statut officiel », celui « que l'auteur et l'éditeur veulent « sauvée» grâce à la relève [... ] de la théorie des genres.
attribuer au texte et qu'aucun lecteur ne peut légitimement ignorer ou négli- Jean-Marie Schaeffer, Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?,
ger, même s'il ne se considère pas comme tenu à l'approuver 1. »Au point Le Seuil, coll. «Poétique», 1989, p. 10.
que cet indice, relevant du« paratexte »,peut, à lui seul, constituer un guide
de choix, un élément de jugement esthétique, une manœuvre d'auteur pour
hypothéquer le mode de lecture. Ainsi, Gide répartissait arbitrairement ses
œuvres narratives en « soties. », « récits » ou «romans ». Et Corneille orien-
tait« l'horizon d'attente» de ses lecteurs en baptisant Le Cid, dans l'édition
originale, « tragi-comédie ».
Si chacun admet l'importance et l'utilité du concept de genre, on doit
bien reconnaître toutefois que l'intérêt pour la notion a varié au cours des
époques et que les tentatives de description et de délimitation n'ont pas tau-
6 7
..,, 9
L'idée de nombre cile. Ai nsi, l'on parle de l' épopée, de la poésie lyrique et du drame comme des
Li: genre est une figure de la pluralité. Pour qu 'il y ait genre, il faut la réu- trois grands genres ; et, en même temps, la nouvelle, la comédie et l' ode sont
ni un. fo ndée sur des critères de ressemblance, d 'éléments individuels pris en aussi appelés des genres. Un seul concept doit donc embrasser deux sortes de cho-
ses et ifféren tes.
nombre indéfini mais d'importance assez grande. C'est par la juxtaposition
de diverses œuvres théâtrales conforme à la même esthétique qu 'on établira « Histoire des genres littéraires », dans Théorie des genres,
Le Seuil, coll. « Points», 1986, pp. 9-1 O.
la catécrorie
b
de la comédie - même si Molière, Marivaux et Courteline sont
en définitive assez différents. Le genre, en outre, prend toute sa signification Le premier problème ici posé est donc de nature lexicale : que met-on
par r<lpport aux autres genres desquels il se distingue. En la circonstance, la exactement derrière Je mot genre ? On se rendra vite compte que cette ques-
coméd ie s'oppose à la tragédie et au drame. Cette constatation soulève deux tion banale équivaut à s 'interroger sur la nature particulière des diverses pro-
types de questions : ductions littéraires, sur l'angle retenu pour mener l'analyse, sur l'acte de
- celle de l'un et du multiple: quel type de relation entretient l'objet avec la lecture, sur la réception réservée à rœuvre, sur sa « littérarité », bref sur
catégorie supérieure à laquelle il est rattaché (ici, la comédie avec le théâtre l'essence même de la littérature. Il faudra avancer avec prudence dans un
en général) 7 domaine où les mots sont piégés et, comme Je disent des spécialistes du lan-
- c~lle de la délimitation quantitative : à partir de quel degré de fréquence gage,« cesser d 'identifier les genres avec les noms des genres' ».
un genre peut-il se définir comme tel ? Combien faudra-t-il dénombrer de A l'inverse de ce qui se passe pour les autres arts, la littérature semble
tragédies qui finissent bien pour que ce qui semble être une infraction aux avoir du mal à s'entendre sur une théorie cohérente des genres fondée sur
règles devienne une catégorie identifiable, la tragi-comédie ? des définitions rigoureuses et sur des délimitations précises. On peut tou-
jours adapter au cas particulier de la littérature la définition générale, comme
L'idée de hiérarchie le fait A. Kibedi-Varga :
La définition du mot « genre » a fait apparaître de manière nette une division
Le genre est une catégorie qui permet de réunir, selon des c1itères divers un cer-
stratifiée du savoir. Le genre délimite un premier niveau par rapport à tain nombre de textes.
l'espèce, elle-même divisée en familles ou en classes, elles-mêmes réparties
Dictionnaire des littératures de langue française, art. « Genres littéraires »,
e n groupes ou cellules, elles-mêmes composées d'unités ou d'objets et ainsi sous la direction de J.-P. de Beaumarchais, D. Couty, A. Rey, Bordas, 1987.
de suite. La notion reproduit donc une réalité sociale, culturelle - et quasi
idéologique-, celle de l'organisation humaine sous sa forme pyramidale. Mais quelles catégories ? Quels critères ? et combien ? Quels textes ? et
combien ? Ces questions indispensables renvoient inévitablement à notre
point de départ, à savoir !'analyse « poétique » de la production littéraire.
1.3 Le mot « genre » en littérature Afin d'échapper à la tautologie on pourra s'en tenir à la seule définition
On mesure à ce qui précède la difficulté de parvenir à une définition précise acceptable pour !'instant, celle qui, s'appuyant sur une forme, retient
du genre en littérature. Le critique allemand Karl Viëtor recommandait, dans l'aspect « structural » de l' œu vre. C'est ce que conseille Riffaterre affirmant
que « le genre est la structure dont les œuvres sont les variantes ».
les lignes liminaires de l'essai consacré à la question, la plus extrême pru-
Cette « typologie structurale » rudimentaire combine implicitement deux
dence en matière terminologique :
approches : une première de nature historique (comment se sont produilès et
Dans le débat scientifique qui s'est instauré, au cours de la dernière décennie, sur
les rapports des genres littéraires entre eux, le concept de «genre » n'a pas un
emploi aussi unifié qu'il le faudrait pour qu'on_progresse enfin sur ce te1rain diffi- 1. O. Ducrot. T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Le
Seuil, coll. « Points», 1972, p. L93.
10 11
2.1 Le modèle grec: Platon et Aristote Les chapitres suivants vont expliquer et développer les principes définis
dans ce préambule, et notamment proposer de commenter les trois modes
Si l'on considère la question sous son angle historique, il semble avéré que d' imitation :
le texte fondateur en matière de genre littéraire, celui au moins auquel on - les moyens (critère formel) qui pennettent de distinguer par exemple la
accorde la plus grande autorité, est celui d' Aris,~9te, La Poétique, o~vrage prose des vers ou un combiné des deux ;
malheureusement parvenu jusqu'à nous dans un «aspect lacunaire et - les objets (critère thématique) à partir desquels se définit la matière plus
désordonné 1 ».Le livre s'ouvre sur une définition des objectifs poursuivis: ou moins « noble » des personnes représentées (c'est par ce moyen que se
Nous allons traiter de l'art poétique lui-même et de ses espèces, de l'effet propre à différencie la comédie de la tragédie) ;
chacune d' entre elles, de la manière dont il faut agencer les histoires si l'on sou- - le mode de représentation (critère énonciatif) suivant que les objets sont
haite que la composition soit réussie ; nous traiterons en outre du nombre. et de la imités par le récit (ce qui suppose une énonciation à la première ou à la troi-
nature des parties qui la. constituent et pareillement de toutes les questlo~s .qui sième personne), ou bien par la représentation directe (sous la forme de dia-
nppartiennent au domaine de recherche, en commençant d'abord par ce qm vient
logue de théâtre).
d' abord, suivant l'ordre naturel.
Poétique, 1447a, trad. M. Magnien, op. cit., p. 85.
12 13
On peut reproduire ce système dans un tableau : Nous voici bien en présence cette fois d'une triade fondée sur Je mode
d'énonciation et qui distingue :
Mimésis - 1' art d'imitation, c'est-à-dire Je théâtre (comédie et tragédie) :
Moyen Objet Mode - l'art du récit, en l'occurrence le dithyrambe (écrits en vers, évidemment);
- l'art mixte, l' épopée (celle d'Homère en particulier).
Prose Vers ·Supérieur Inférieur Narratif Dramatique Un nouveau tableau peut schématiser le système :
Première 1 Troisième
personne personne Mimésis (fonction imitative)
Énonciation zéro Énonciation directe Énonciation mixte
Ce classement, par ailleurs, peut, suivant Je mode d'imitation envisagé,
aboutir à des « genres » différents (comédie vs tragédie, poésie vs prose, Dramatique Narratif Narratif
récit l'S théâtre, mais dans ces diverses classifications, seule la troisième Tragédie Comédie Dithyrambe Epopée Autres genres
semble inaugurer une typologie de forme classique. 1 1 narratifs
Enfin Je théoricien grec n'accorde qu'une importance relative à une dis·
tinction capitale pour nous et qui se trouvait chez Platon (La République), Nous notons toutefois que la poésie n ' apparaît toujours pas dans cette dis-
c' est celle qui oppose diégésis (l'histoire, le récit) à rnirnésis (imitation dia- tribution, puisqu ' elle ressortit à une distinction d ' un autre ordre, celui des
loguée). Ou plutôt Aristote n'accepte cette nuance qu'à l'intérieur d ' une « moyens » utilisés par l' artiste, et qu'elle concerne l'ensemble des discours
même espèce définie par le troisième mode en distinguant une mimésis nar· retenus. Si l'on néglige la troisième catégorie, qui n'est qu'un panachage des
rative (comprenant du récit et du dialogue, comme chez Homère) à une deux précédentes, on aboutit encore à une division binaire_ celle d' Aris-
mimésis dramatique (Ùmitée à l'échange de paroles au style direct). tote en définitive - entre deux grands genres: le théâtre, fondé sur la mirné-
Cette imprécision prend son origine dans le projet général de La Poétiqut. sis, le récit, fondé sur la diégésis.
qui est surtout de légiférer en matière de théâtre - comme le traité symétri·
que, La Rhétorique, se proposait de Je faire en matière_d'é~oquence--: _et de 2.2 La triade canonique
démontrer la supériorité d'une fo1me artistique en part1cuher, la traged1e. S1 ------------------------
1' on souhaite dégager plus cl~irement les élém~nts typologiques permettarn Il semble en fait que ce soient les successeurs de Platon et d ' Aristote qui, par
de déboucher sur nos genres, 11 faut s'attacher a un texte de Platon, dans ù une lecture « moderne » des écrits antiques, aient contribué à établir une dis-
République, où le philosophe, mû par des in~e~tio~s bi_en ~ffé~entes de ce!· tr~bution ternaire des genres. Ducrot et Todorov mentionnent J'appoit de
les qui animeront Aristote, en vient à une d1stmct10n a trois mveaux, assei Diomède, grammairien latin du IVe siècle qui, « systématisant Platon, pro-
nette cette fois : pose le.s définitions suivantes : lyrisme =les œuvres où seul parle l'auteur;
Il y a une première sorte de poésie et de fiction entièrement imitative qui corn-dramatique = les œuvres où seuls parlent les personnages ; épique = )es
prend. comme tu l' as dit, la tragédie et la comédie ; une deuxième o? les faits sonœuvres où auteur et personnages ont également droit à la parole! ».
rapportés par le poète lui-même - tu la trouveras surtout dans les dithyrambes -
et enfin une troisième formée de la combinaison des deux précédentes, en usagt
dans l'épopée et beaucoup d'autres genres.
La République, III, 394b, trad. R. Baccou. Garnier-Flammarion, P· 146 J. Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, op. cit., p. 198.
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15
16 17
1 LE DÉBAT THÉORIQUE cher~ ~eux ?rands types : d'un côté la fiction (dramatique ou narrative) de l'au
la poes1e lyrique, de plus en plus souvent désignée par le terme poésie tout court;:
Deux conséquences découlent de ce qu ' il est convenu d'appeler le « modèle Fiction et Diction, Le Seuil, coll. « Poétique », 1991, p. 211
aristotélicien» : d'une part une allégeance inconditionnelle à la triade, deve-
nue désormais, au nom du «principe d'autorité», la marque légitime de Cette ?ouv~lle distributi_on ne semble finalement pas très éloignée d..
toute description littéraire ; d'autre part, un besoin épistémologique de justi- ~artage~ .etabhs par le~ ~< p~res f~ndateurs ». Elle s'en sépare toutefois par
fier mais aussi de clarifier, d'amender, de contester cette tripaitition en lui 1 oppos1t1on, devenue 1c1 pnmordtale, entre fiction (mimésis) et non-fiction.
apportant divers correctifs. Elle accorde e? o.utre une i~portance nouvelle au genre poétique dont le sta· ·
tut se trouve ams1 reconnu a parité des deux autres.
1. K. Hamburger, La Logique des genres littéraires, 1954, trad. fr., Le Seuil, 1986. l. G. Genette, « Introduction à l'architexte »,op. cit., p. 142.
18 19
L' analyse (inachevée) que propose Bakhtine a le mé1ite de réintégrer les Les formes simples
Le concept a été défini dans les années trente par le critique allemand André
m1 vres littéraires dans le domaine propre à l'activité humaine qui est celui
Jolies qui , s'appuyant sur le folklore et les productions littéraires considé-
de l'utilisation du langage; elle a l'inconvénient de ne pas retenir comme
rées d ' un point de vue ethnographique et linguistique, a dégagé quelques
pertinente la « littérarité » propre aux énoncés particuliers que sont les textes
formes littéraires élémentaires d'où dériveront des formes littéraires qu ' on
1illéraires.
pourrait appeler « genres ». En évoluant, ces « formes simples » (comme le
Cette fonction de « littérarité » (que s'efforcera de définir Jakobson) est
au contraire au centre de la réflexion inaugurée par les théoriciens de !'École
de Constance, à commencer par son principal représentant, Hans-Robert
J. Pour une esthétique de la réception , Gallimard, coll. « Tel », 1994, p. 53.
21
.20
c:1s cle conscience, la geste, !'énigme deviendront « savantes » et, par exem- satire, le monde héroïque de la romance ou le monde mimétique
ple. !J « geste » se fera épopée, le conte se fera nouvelle, etc . 1 l'histoire 1 ».
1. R. Scholes, « Les modes de la fiction», 1974, dans Théorie des genres, op. cit., p. 1
1. Cf. sur ce point A. Jolles. Formes simples, Le Seuil. coll. « Poétiques », 1972. 2. J.-M. Schaeffer, Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?, Le Seuil, 1989, p. 112.
22
Mode
Dramatique Narratif
Objet
Supérieur Tragédie Épopée
Inférieur Comédie Parodie
Introduction à l 'architexte, op. cit., p. 1OO.
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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
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1 ·111'1 :tl'll's par dl's violo11s » (f,j1îrn· d1 ·s /.ois d1· Minus, 1772). 011 s'inlcrrogt' Ibid.
p11111 ,,avoir si lià1;11ic·1· n' es! pas u111: si111pk élégie. i:l 011 s'tSto1111e de la seule
di.1 :1,,·alil' de l'/11"dr1·: " Elle s'assied » (1. 1). Cette conception du personnage-exécutant, simple agent de l'action , s'est
.- \ Vl'l' 1' app:1ri1 ion du théâtre 111odernc. le discours théfüral se voit concur- modifiée au cours de l'histoire (encore qu'on puisse noter que certains met-
,,. w 1· p:1r ks 111arqucs de la représentation : occupation de l'espace, décors, teurs en scène, Planchon par exemple, semblent y revenir), au point que, la
: 1111· .>s11irc~.. 111i111i4ues. etc. La «mise en scène » (et l'expression doit être priorité s' inversant, le personnage et ses déchirements psychologiques ont
1·11l<'111h1t· a11 se11s fort) devient importante jusqu'à, parfois, éclipser le texte. pu constituer l'objet principal du spectacle. La déchéai;ice de Lear, les illu-
l .1 ·~. 11·11vn·s de Ionesco. de Beckett sont saturées de didascalies. Le drama- minations de Polyeucte, les hésitations d' Araminte, les dilemmes de Loren-
111q'.1' irlandais n' hésite pas à présenter sur la scène des Actes sans paroles zaccio, sont devenus, pour le spectateur occidental converti aux valeurs
1rn1 1'on parle un peu malgré tout), confirmant un idéal dramatique moderne individualistes, d'un intérêt supérieur à toutes les questions politiques, reli-
q111 ~;c111hk s'inscrire dans une esthétique de la libération pulsionnelle des gieuses ou sociales que soulèvent les œuvres correspondantes de Shakes-
1·1 iq ·~ au tklriment d ·un langage tenu pour trompeur ou dérisoire. peare, Corneille, Marivaux ou Musset.
:-;c 1rnuvcn1 ainsi réalisés les vœux d' Antonin Artaud pour qui la mise en Les tenants du théâtre moderne se défient de cette préférence psycho-
•,,·(' 11L' L;lail " dan s une pièce de théâtre la partie véritablement et spécifigue- morale, également dénoncée par Artaud, et qui a le défaut de dévaluer
111L·111 1hd11rale »et gui souhaitait que « le langage des mots cède la place au l'action dramatique en favorisant la confusion entre un dire et un faire. Ils
la111!agc des signes » afin de retrouver « une forme de langage unique à mi- préfèrent rendre au personnage sa fonction essentiellement dramatique qui
vlH·111111 cn1rc le geste et la pensée » 1• consiste à le replacer dans un système, celui du conflit, bien souligné par
l •a11s cc rapport dialectique de la scène et du texte il peut arriver que la 1' analyse « actantielle » , et à retenir smtout les marques sémantiques de sa
111 isl' c11 scène. loin de répéter le texte, le conteste, le désavoue, introduisant fonction (présence/absence, parole/silence, action/abstention).
lllll' dimension sémantique supplémentaire qui permet de « revisiter» les Sans entrer dans le détail du débat - largement ouvert aujourd'hui - on
11..·uvres et de les éclairer alors par des lectures nouvelles. conviendra que le statut qui revient au personnage de l'œuvre dramatique
suffit à constituer une des particularités du genre. Ajoutons en outre, pour
l ,c personnage aider à mesurer la complexité du problème, que sa parole est double, desti-
S'il Y a un domaine où l'ambiguïté de l'art dramatique apparaît, c'est bien née à un allocutaire avoué (l'autre personnage) autant qu'à un destinataire
celui du statut et de la fonction du personnage. Pour la tradition grecque, Je implicite, le public. Il est, comme on l'a dit, le lieu de toutes les interroga-
personnage (persona= masque) est un simple support de l'action, devant tions.
laquelle il est sommé de s'effacer. « La tragédie, nous rappelle Aristote,
imite non des hommes, mais l'action, la vie » (La Poétique, 145ûa). Et le 1.3 Théâtre et théâtralité
philosophe du Lycée ajoute :
D'autres critères auraient pu être retenus pour contribuer à une délimitation
l. Le Théâtre et son double, « Le théâtre de la cruauté » Gallimard coll « Idées », précise du genre dramatique : la forme matérielle du texte théâtral avec ses
1964. ' . '
divisions séquentielles, ses identifications de parole ; la rhétorique dramati-
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- la comédie de caractère, fondée sur un personnage et ses particularités Ces réserves n'empêchent pas le terme d'entrer progressivement dans le
ps ychologiques. Illustrée par Molière (L'Avare, Le Misanthrope), elle fut vocabulaire littéraire pour désigner une « forme » (ou « espèce » ?) intermé-
trè :; prisée au XVIIIe siècle (Regnard, Le Joueur, Le Distrait ; Destouches, Le diaire entre la comédie et la tragédie. Encore que Nivelle de la Chaussée,
Glorieux : Piron, La Métromanie) ; chantre de ces productions hybrides (Le Préjugé à la mode, 1735) lui préfère
-- la comédie héroïque, imitée de Lope de Vega et représentée par Corneille l'expression oxymorique «comédie larmoyante», et Diderot considère ses
(Don Sanche d'Aragon) et Rotrou (Saint Genest); œuvres théâtrales (Le Fils naturel, 1757, Le Père de famille, 1758) comme
·· la co médie de mœurs qui s'attache à ridiculiser les défauts d'un groupe relevant d'un « genre sérieux ». Pourtant, si le mot est à cette époque d'un
social : les financiers (Turcaret de Lesage), les aristocrates (Le Mariage de emploi incertain, il tend à s'imposer sous la plume de divers dramaturges et
Figaro de Beaumarchais}, plus près de nous les médecins (Knock de Jules théoriciens du XVIIIe siècle comme Diderot, Beaumarchais ou Louis-Sébas-
Romains). les affairistes .(Topaze de Marcel Pagnol) . tien Mercier.
Cette multitude de formes spécifiques, aux limites parfois incertaines, Si le statut du drame ne peut se comparer à celui de la comédie ou, encore
rnntirrne cette liberté du genre qui semble préférer aux lois contraignantes et moins, de la tragédie - genres attestés de longue date - il n'est pas impos-
réductrices une variété corrigée par un trait dominant, le rire. · sible de lui reconnaître une esthétique spécifique. Ce que tente Anne
Ubersfeld :
Peut être dite drame toute œuvre qui , sans considération de forme ou de code,
4. LE DRAME d'effet pathétique ou comique, construit une histoire, une fable impliquant à la
fois des destinées individuelles et un univers « social ».
Le Drame romantique, Belin, 1993, p. 7.
4.1 Un nouveau genre ?
Dans une perspective voisine, Michel Lioure attribue cette difficulté au
l v lllot « drame » désigne d'abord l'action théâtrale et c'est dans ce sens que fait que le drame « se définit par son refus de la notion même de genre 1 »,
l'clllploie Aristote dans ., sa Poétique. Henri Gouhier précise bien cette qu'il se limite à n'être « qu'une tentation théâtrale perpétuelle » qu'on peut
parlicularité: « L'essence du théâtre tient en deux mots: 10 ôpaµa [drama] au mieux rapporter à quelques lois esthétiques : l'intensité (vs la pureté), la
1
011 l'action, rn 8<:aapov [théatron], le lieu où l'on voit . »Dans ce sens, le variété (vs l'unité), le plaisir direct (les «jouissances immédiates » vs les
dnivé adjectival, dramatique, a été employé très tôt pour recouvrir « ce qui « recherches exquises » ), la simplicité ( « la chaleur de la vie » vs « les raffi-
t\' kve de l'ac tion », soit, par extension, tout ce qui touche au théâtre. Ainsi le nements de l'art » ).
" ;_~cnre dramatique». Un peu comme la comédie, qui se pose en s'opposant, le drame ne se
On peut donc affirmer, comme le fait Michel Lioure, que : laisse pas enfermer dans des caractères pertinents universels. Ce qui contri-
[... J le drame n'existe pas en tant que genre dramatique spécifique, [et] la notion bue à remettre en cause son statut de « genre » et impose, plus encore que
de drame. dépouillée de. toute signification particulière, englobe donc tragédie et pour la comédie, de l'identifier à travers ses manifestations historiques.
comédie. Sophocle et Aristophane.
le Drame, A. Colin, coll. « U », 1963, p. 7.
1. H. Gouhier. Le Théâtre et /'Existence, Aubier, 1952, p. 13. 1. M. Lioure, Le Draine. op. cil., p. 9.
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1.1 Les premières définitions du genre Aristote abandonne cette distinction, ou plutôt la considère comme un cas
particulier (sous la forme d'une alternative exprimée entre parenthèses dans
Avant d'évoquer le cas particulier du roman - le mot, et même la chose le passage précédemment cité) d'un genre unique, le genre narratif. De ter-
apparaîtront assez tardivement - il convient de parler de la forme littéraire à naire, le système devient donc binaire, ainsi que le rappelle Genette :
laquelle il appartient, la na1rntion. Aristote, dans La Poétique, oppose à une
À la triade platonicienne (narratif, mixte, dramatique) s'est substitué le couple
mimésis dans laquelle les personnages sont représentés directement (le dra- aristotélicien (nan-atif, dramatique) et ce non par éviction du mixte : c'est le nan-a-
matique) une autre forme d'imitation où l'action est racontée par un narra- tif pur qui disparaît parce qu' inexistant, et le mixte qui s'intronise narratif, comme
teur (le narratif). Dans les deux cas une différence de degré est introduite par seul narratif existant.
le mode, les niveaux supérieur ou inférieur, et une différence d' énonciation, Introduction à l 'architexte, op. cit., p. 107.
la nairntion pouvant être faite à la troisième ou à la première personne
(cf. supra, chap. 1). Une autre différence de point de vue entre Platon et Aristote tient au statut
Rappelons que dans son, traité Aristote prend seulement en considération de la mimésis. Pour l'auteur de La République (livre III), la mùnésis n'existe
les œuvres en vers et, parmi elles, uniquement celles qui représentent des qu'à condition que le poète s'efface pour donner l'illusion d'une imitation
actions humaines ou des êtres humains. Ce qui nous place assez loin des for- parfaite, comme c'est le cas au théâtre. En revanche, quand le poète parle en
mes narratives modernes mais nous permet néanmoins de dégager quelques son nom, dans un récit non mêlé de dialogues, nous sommes dans la diégé-
premiers principes directeurs concernant le genre du récit. Celui-ci se recon- sis. Cette distinction ne se retrouve plus chez Aristote pour qui toute création
naît à : littéraire qui représente des actions est par essence mimétique.
- une représentation décalée, médiatisée - et non directe comme au théâtre S'il est un point en tout cas sur lequel les deux philosophes semblent en
(la parole est rapportée) ; accord, c'est pour faire d' Homère l'exemple le plus représentatif du mode
- la présence implicite d'une voix, celle du narrateur; narratif et, à travers lui, un type d'œuvre particulier qui en relève, l'épopée.
- une énonciation variable suivant que le poète parle en son nom propre ou
se confond avec la parole d'un personnage. 1.2 L'épopée et le genre épique
N'est pas mentionnée ici une particularité qui se rencontre dans un pas-
sage de La République de Platon (393d-394c) et qui signale une divergence
Définition de l'épopée
entre les deux théoriciens antiques. Pour Platon, il y a lieu de distinguer -
Au chapitre V de La Poétique, Aristote s'attarde à décrire l'épopée qui n'est
comme genres autonomes dirions-nous - le narratif pur (récits d'où sont
pas, à ses yeux, structurellement différente de la tragédie ; la différence se
situe ailleurs :
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111 1·· 111t· 1q11a11d k 11arralt·ur rarollll' a lrnwrs n· q11l' sail 1·1 v1til k pt·rson · d't'lrc 1111 lypt· d'crnv1r . l'.1n·1110Jt: J'expression csl d'un regisrre inférieur,
11;1 ~ 'l ' Li fornlisalio11 1·x1t·1111· ( k l\'l'il t'sl fail par 1111 11;11Tall'llr qui L'll sail
). populaire. comme l'u:uvre qu'il Jésigne, elle-même d'un niveau subalterne
111 ° 0 i11s qut· st·s pcrsunnagcs) 1• car soir traduilc ou adaptée ùu latin soit directement écrite dans une langue
non noble. Pendant plusieurs siècles Uusqu'à l'époque des Lumières envi-
ron) le roman aura à souffrir de cet héritage dévalorisant.
J LE ROMAN ET SES FORMES À l'heure de sa nai ssance, le roman ne tire donc pas son identité d' une
forme littéraire. D'ailleurs, des récits écrits en langue romane sont très sou-
3.1 Le mot et le genre vent rédigés en vers, comme les poèmes hagiographiques (Vie de saint
Alexis) , les épopées écrites en laisses d'octosyllabes (La Chanson de
l .t · roman, forme littéraire dominante aujourd'hui, est un genre récent. Son Roland) ou les premiers récits de style « romanesque » comme Le Roman de
011gi11e est à chercher du côté de l'épopée et des autres formes de récits pri- Brut, Énéas, Le Roman de Troie . L'apparition de la prose ne modifiera pas la
lllitifs, ainsi que le suggère Pierre Chartier: nature du « genre ». En revanche ce type d'œuvre, parce qu'il marque une
Donc cc futur héritier, rejeton supposé et décrié de l'épopée, parent pauvre et cou- rupture avec !'oralité, fonde progressivement une rhétorique nouvelle d'où
sin des autres genres, n'a pas eu d'existence légale, pas d'état civil pendant 1' Anti- procédera le roman moderne : recours à des situations quotidiennes, souci de
quilt;. Pas de nom, pas d'existence? ou au contraire une existence multiple, la vraisemblance, priorité de l'individuel sur le collectif, rapidité de la narra-
.i.:111111lipliée. tion, goût de l'amplification.
/11rmd11c1io11 aux grandes rhéories du mnwn, (Dunod, 1990). Nathan Université, Tout n'est pas renié, on le voit, du modèle épique, mais ce glissement vers
2000, p. 21. un mode de représentation plus contemporain et plus intime amorce la cons-
L'.I le commentateur cite Pierre Grimal qui perçoit la présence du roman titution d'une forme autonome. L'apparition, vers le début du XVIIe siècle, de
tl ;111s L'Odyssée, « premier roman d'aventure », chez Hérodote pour des constructions romanesques comme L'Astrée, L'Histoire comique de Fran-
rfr its historiques à valeur romanesque, dans le discours mythologique qui cion, puis, un peu plus tard, Clélie , Le Roman comique, La Princesse de Clè-
r;1 L· o111e de « belles histoires » (La Théogonie d'Hésiode) . Ces divers exem- ves, marque l'élargissement du genre qui connaîtra son plein
ples. toutefois, semblent plus renvoyer à une littérature naiTative, clairement épanouissement à partir de la fin du règne de Louis XIV - avant son déve-
at tes tée par Aristote, qü'à un genre où se reconnaîtrait notre futur roman . loppement hégémonique dans les époques suivantes.
L' Antiquité nous offreen fait de bons exemples d'épopées , des récits de
mythes. des productions mixtes qui introduisent des dialogues (comme Le 3.2 Une définition difficile
Sotiricon de Pétrone), 11i_ais pas réellement de« roman» au sens moderne.
Le mot « roman » apparaît au Moyen Âge pour désigner, particularité La reconnaissance du roman comme genre n'est pas seulement incertaine,
importante pour notre sujet, non un contenu mais un choix linguistique. En elle est, comme nous l'avons dit, tardive. Boileau dans son Art poétique de
effet la lingua romana désigne la langue parlée, vernaculaire, « vulgaire» , 1674 ne mentionne ni le mot ni la chose. Quatre ans plus tôt pourtant, Huet,
par opposition à la lingua latina, langue savante et recherchée dans laquelle l' ami et conseiller de Mme de Lafayette, est un des premiers à tenter de don-
son t écrites les ceuvres sacrées. Le« roman » est d'abord un mode d'expres- ner une définition du roman :
sion, un« parler » (qui se retrouve dans les langues dites «romanes ») avant Ce qu'on appelle proprement romans sont des histoires feintes d'aventures amou-
reuses, écrites en prose avec art, pour le plaisir et l'instruction des lecteurs. Je dis
des histoires feintes pour les distinguer des histoires vraies ; j'ajoute aventures
1 G. Genette, Figures lll. op. cit.
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Bien des points de cette définition sont contestables, périmés ou non per-
tinents. Elle est pourtànt intéressante car elle semble entériner des usages et 3.3 Esthétique du roman
des goûts propres à une époque où la littérature romanesque commence à se
Si l'on écarte sa valeur morale ou son caractère d'utilité - critères de peu
développer. On remarque que le roman se définit par un rapport au réel (fic-
d' intérêt dans la description esthétique - on admettra que le roman se
tion vs réalité), par un mode d'écriture (prose vs vers), par une thématique
reconnaît à cinq points précis.
(histoires d'amour), par un objectif esthétique et moral (plaire et instruire).
Huet ne porte pas de jugement de valeur sur le roman alors que !'époque Une écriture en prose
le tient pour un genre méprisable et corrupteur. Un peu plus tard, Diderot, Nous savons que cette loi, aujourd ' hui indiscutée, marque une rupture avec
faisant l'éloge de Richardson (1761), voudra corriger cette réputation en l'origine du genre. Par ailleurs, cette prose peut être de nature « poétique »,
introduisant un nouveau caractère, la force morale et l'utilité : ce qui affaiblit la caractérisation pour la littérature moderne notamment, qui
Par un roman, on a entendu jusqu'à ce jour un tissu d'événements chimériques et a partiellement aboli la distinction entre prose et poésie.
frivoles dont la lecture était dangereuse pour le goGt et pour les mœurs. Je vou-
drais bien qu'on trouvât un autre nom pour les opvrages de Richardson, qui élè- Le lieu de la fiction
vent l'esprit, qui touchent l'âme, qui respirent partout l'amour du bien, et qu 'on Huet et Littré parlaient d' « histoire feinte », Robert d ' « œuvre
appelle aussi des romans.
d'imagination ». On écarterait donc du geme tout ce qui est relation de faits
Éloge de Richardson, dans œuvres esthétiques, Classiques Garnier, 1988, p. 29. authentiques, journalisme, histoire, par exemple. Mais là encore les choses
En reprenant ce thème de la portée édifiante du roman, Diderot illustre ne sont pas aussi simples. De nombreux romans mélangent le réel et le fictif,
une mode du XVIIIe siècle qui souhaite soustraire cette forme nouvelle aux ainsi dans le <' roman historique » (un seul exemple: dans L'Été 1914, de
accusations de futilité et de danger. Plusieurs romanciers (Crébillon, Laclos, Roger Martin du Gard, nous est relaté avec une grande fidélité !'assassinat
Sade; et même Rousseau) déclareront n'avoir sacrifié au genre que dans le de Jaurès, parallèlement à des aventures inventées). D' autre part, juger de la
but de remplir une fonction morale. L'originalité de Diderot est, de plus, « vérité » d'un roman, c'est choisir de limiter son appréciation au seul
d 'écarter le «chimérique », préparant l'avènement d'une esthétique « sujet », ce qui serait faire de Crime et châtiment un roman policier et de
« réaliste » indissociable de l'effet moral. L'Espoir un reportage journalistique. Le Robert établit une nuance sur ce
Seuls les dictionnaires échappent à l'entreprise de réhabilitation. Ainsi point, puisqu'il reconnaît que les personnages sont« donnés comme réels ».
Littré : Ajoutons encore que la fiction peut aussi s' appliquer au théâtre, voire à la
poésie. C'est pour contourner l'ambiguïté que la langue anglaise utilise deux
Histoire feinte en prose, ou l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des
passions, des mœurs, ou par la singularité des aventures. mots : navel, qui recouvre une fiction proche de la réalité, et romance, pour
les œuvres où domine l'imagination.
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1. M. Zéraffa, Dictionnaire des littératures de langue française, art. « Roman », op. cit. 1. ibid.
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1. Si on en croit Roland Barthes, « Structure du fait divers >>, dans Essais critiques, Le
Seuil, 1964.
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On sait que Mallarmé, admiré et commenté par Valéry, rêvait d'un lan- Seule une « grâce divine » permet à des hommes d'exception d'accéder
gage originel qui, affranchi des nécessités pratiques, s'offrît à l'usage poéti- au délire créateur d'où sortiront les « beaux poèmes » en lesquels il n' y a
que dans une absolue virginité. Il préparait ainsi toutes les transgressions de « rien qui soit humain » .
la poésie moderne en quête d'une forme brillante ostensiblement libérée de , Cette conception antique recevra un accueil très favorable à la Renais-
la nécessité du sens. Les analyses connues de Sartre développent la même sance (avec le mythe de la muse chez Ronsard et du Bellay par exemple) et
idée: surtout à l'époque du romantisme (avec le stéréotype du poète inspiré chez
Lamartine, chez Musset ou chez Hugo). Au XXe siècle encore, un Claudel
revendiquera cette source mystérieu se présente dans l'émotion:
En un mot, la poésie ne peut exister sans l'émotion ou , si l'on veut, sans un mou-
vement de l' âme qui règle celui des paroles.
« Lettre à l'abbé Brémond sur l'inspiration poétique»,
1. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, Éd. de Minuit, 1963 . Positions et propositions sur le vers fran çais, 1927.
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Le sonnet
C'est la plus vivante (et la plus féconde) des formes fixes. Ce type de poème,
codifié par Pétrarque, vient d'Italie et fut introduit en France par !'école de
Marot avant de devenir le genre préféré de la Pléiade (du Bellay et Ronsard
tout particulièrement). Les précieux (Voiture, Benserade, Malleville) y
virent Je prétexte à des virtuosités condamnées par Boileau :
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rant de Souriau (La Correspondance des arts) Je critique propose un tableau L'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue, et d'appliquer à la des-
utile à l'identification générique : cription de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite, le pro-
cédé qu'il avait appliqué à la vie ancienne et étrangement pittoresque.
Lettre à Arsène Houssaye, reprise comme préface au Spleen de Paris.
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Vers Prose
L'idée de« modernité » deviendra, à partir de ce moment, un trait distinc-
Présentation Poésie Poème en prose tif du genre. Dans la suite de sa célèbre lettre-préface,. Baudelaire précise son
Représentation Epopée, narration et Fiction (roman, conte) but et amorce une définition esthétique :
description versifiées Quel est celui qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d' une prose
poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour
s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux
Tableau qui semble résoudre une de nos difficultés axiomatiques : le clas-
soubresauts de la conscience ?
sement des œuvres à la fois narratives et versifiées (comme l'épopée), ou à la
Ibid.
fois poétique et en prose, comme le poème en prose ;
- l'énonciation: Michel Sandras introduit l'idée d'une caractérisation fon- Le recueil, sous le titre Petits Poèmes en prose, paraîtra en 1869, deux ans
dée sur le mode d'énonciation. Puisque le «je » occupe - comme dans la après la mort du poète. Les trois décennies qui suivent« balisent un âge d'or
poésie versifiée - une place importante dans le poème en prose, on peut en du poème en prose qu'expérimentent les plus grands écrivains de cette
faire un élément distinctif. Or dans ces énoncés, Je «je » est « plurivoque », époque: Cros, Rimbaud, Villiers de L'Isle-Adam, Huysmans, ~allarmé,
éclaté (au moyen de l'ironie par exemple), non lyrique (il n'est pas celui de Laforgue, Claudel' ». Au chapitre XIV du roman de Huysmans A rebours
l'épanchement ou de la confidence). Du coup: (1884), Des Esseintes exprime sa préférence pour le poème en prose qui
[ ... ] le poème en prose semble avoir aménagé un lieu de parole qui, à la diffé- représente pour lui « le suc concret, l'osmazône [sorte de quintessence chi-
rence du poème lyrique, admet des formes de distance et d'hétérogénéité dans le mique] de la littérature, l'huile essentielle de l'art ».
langage, mais qui, à la ditîérence de la fable et du récit, exalte les droits de l'indi- Il faudra attendre le XXe siècle et les lendemains de la Seconde Guerre
vidu et toute forme de singularité. mondiale pour voir naître des créations originales qui renouvelleront le
Michel Sandras, op. cit., p. 149. genre. Elles s'inscrivent dans les marges du surréalisme avec Pierre Reverdy,
Max Jacob ou René Char, ou sous la plume de poètes indépendants comme
Historique du poème en prose Henri Michaux, Francis Ponge, Saint-John Perse ou Léon-Paul Fargue.
L' invention du poème en prose est traditionnellement attribuée à Aloysius L'aventure n'est évidemment pas terminée, et il semble même que par la
Benrand (1807-1841) dont le Gaspard de la nuit. Fantaisies à la manière de souplesse de ses moyens et par la révolte de son message le poème en prose
Rembrandt et de Callot est publié en 1842. À la même époque, deux autres soit propre à s' adapter aux métamorphoses et aux innovations de la poésie
« romantiques mineurs », Alphonse Rabbe et Xavier Forneret, publient des
contemporaine, soucieuse d'exprimer par l'écriture sa tenace aspiration à la
textes de forme voisine. Mais c'est évidemment Baudelaire qui donnera au
liberté. ·
genre une vraie dignité littéraire. À partir de 1857, le poète des Fleurs du
mal rédige des textes, qu'il souhaite publier en recueil, délibérément inspirés
de Bertrand :
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L'autobiographie
- la monographie ou la biographie d ' hommes célèbres: les Grecs (Héro-
Cette fonne littéraire, relativement récenlt~ (le 11101 t'NI 11'1uhnl• p1t1· l1 A1,111M·
dote, Plu tarque), les Latins (Suétone en particulier) ont fondé la tradition,
mie qu'en 1878) a pris un essor considérahlc duns lu lltt~r1tllU'f rn1Mlfrllf On
dont rhagiographie (vie de saint) est une variante;
doit à Philippe Lejeune les analyses les plus fouillél's sur ''l'i nouv1111111•nt• 1
- la chronique: le mot n'apparaît en français qu'au XIVe siècle, mais il exis-
dont il a donné, en particulier, une définition stricte :
tait dep uis longtemps en latin en concurrence avec « annales » (exposé
Nous appelleron s autobiographie le récit rétrospct:tif en prosr qur qurh111'1111 fnlt
année par année de certains faits) ou les « gesta » (actes). La chronique peut
de sa propre ex isten ce, quand il met l'accent principal sur su vir imlivi1l11c1ll.-. 1'11
être en vers, comme Le Romç111 de Brut ou Le Roman de Rou du poète nor-
particulier sur l'histoire de sa personnalité.
mand Wace ( 1110-1180). Elle est le plus souvent en prose et a été illu strée
L'Autobiographie en France, Armand Culin. l1J7 I
par de prestigieuses figures comme R. de Clary, Villehardouin, Joinville,
1
Commynes, Froissart ; Cette définition, soutenue par d ' autres analyses appelle 4ucl411cs rc11u11
- les mémoires, genre qui ressortit davantage à la littérature par son carac- ques sur les composantes esthétiques du genre :
tère de confidence personnelle, abondamment représenté à partir du - la forme en prose domine dans l'autobiographie, mais l'utilisation Ju vers.
XVIe siècle : Montluc, La Rochefoucauld, le cardinal de Retz, le marquis de Lejeune en conviendra (Moi aussi, 1981), est envisageable;
Saint-Simon, d'Argenson, Màrmontel, etc. - l'autobiographie raconte une vie et comporte donc quelques passages obli-
Si l'histoire a continué à élargir son domaine et à diversifier ses approches gés constitutifs d ' une thématique conventionnelle ;
(avec le reno uvellement opéré par !'École des Annales et la « Nouvelle - Lejeune impose l'idée d'un« pacte autobiographique» par lequel l'auteur
Histoire ») elle a aussi pris sès distances par rapport à la littérature. Un peu s' engage - dans le titre, la dédicace, le prière d'insérer, l'incipit... - à
comme pour l'éloquence, à mesure que cette pratique définit des objectifs raconter sa propre vie avec sincérité ;
propres, élabore une méthode, délimite un teITitoire, elle se libère de la - ce pacte suppose l'identité de l'auteur, du naiTateur et du personnage. Du
tu telle iittéraire et fonde une zone de savoir indépendante qui, en l'occur- naiTateur au personnage, la relation est soit d'adhésion (le moi se retrouve
rence, confine plutôt à l'anthropologie ou à la philosophie. Ce qui illustre à dans son passé), soit de distanciation ou d'ironie (le moi juge le comporte-
la foi s le caractère évolutif des formes littéraires et leur difficulté, quand ment d'alors);
e lles se situent dans les marges des modèles reconnus, à entrer de manière - l'autobiographe doit-il , veut-il, peut-il tout dire? La revendication (fré-
rigoureuse dans des classifications théoriques . quente) de sincérité n' est-elle pas un leurre ? La vérité que prétend repro-
duire le texte n'est-elle pas illusion ou tromperie ?
Pour désigner une tendance à mélanger le récit autobiographique et la fic-
2.4 La littérature de l'intime
tion, Serge Doubrovsky a créé, en 1977, le mot « auto fiction » qui, plus pré-
À 1' opposé de l'histoire, dont l'ambition est de restituer J'aventure collective cis que la vague appellation « roman autobiographique », est en train de
de l'humanité, une autre tendance littéraire s'est développée à partir de la fin constituer un « sous-genre » nouveau.
du XIXe siècle surtout (bien que des précédents existent), avec les produc-
tions centrées sur Je sujet écrivant. Cette « littérature de l'intime » ou du
« moi», comme on l'a appelée, délimite un espace générique assez large qui
a pu, selo n une tendance à la ramification sur laquelle nous reviendrons,
s'exprimer en quatre sous-catégories présentées parfois à leur tour comme 1. Celles de Starobinski , notamment dans un article du numéro 3 de la revue Poétique
des «genres ». intitul é« Le style de l'autobiographie », 1970.
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1 1\11.\.fim11ières du genre
genres. qui, à leur tour, peuvent devenir de nouveaux sous-genres appelés à et les enjeux de la démarche en des termes qui éclairent notre problématique
se scinder, et ainsi de suite - au risque, évidemment de déconstruire la de l'instauration générique :
notion de genre. Nous ne reviendrons pas sur les exemples de ces effets Peut-on définir a priori cette littérature ? L'incessante lame de fond de l'histoire
d'arboresc;nce qui peuvent fonctionner également au niveau de ce que l'on fait qu ' aucun savoir ne peut prétendre ici asseoir une autorité sur un sol
nomme parfois des «tonalités littéraires », comme le fantastique (parfois stable [ ... ]. Dans sa majeure partie, la réflexion critique sur la littérature des camps
analysé comme genre et que l'on distinguerait du merveilleux, de l'horreur, s 'effectue dans des cadres aléatoires fixés dans la précipitation, et dont la légiti-
du surnaturel, de l'étrange ... ) ou l'utopie qui relève de la littérature narra- mité théorique n'a pas été réellement réfléchie. Ainsi, toute désignation d' un cor-
tive, mais qui se divise à son tour en « eutopie » (modèle enviable) ou en pus problématise d 'emblée ses propres critères de constitution.
« dystopie » (univers insupportable), et qui englobe aussi, pour certains, la « La « vérité » du témoin comme schisme littéraire »,
pastorale, le mythe de l'âge d'or, le messianisme, la robinsonnade ... Et si in Les Camps et la littérature, Une littérature du rr siècle. La Licorne, 2000, p. 63.
l'on considère la science-fiction comme un sous-genre de lutopie, on cons- Et, parlant plus spécialement de L'Espèce humaine de Robert Antelme,
tate qu'elle-même, de date pourtant récente, se spécialise en diverses tendan- un des livres emblématiques du genre, la commentatrice souhaite :
ces qui forment des sous-genres: le voyage imaginaire, l'anticipation, etc.
que non seulement ce texte mais son genre - celui des témoignages littéraires des
Ainsi, la littérature, en perpétuel devenir, invente des formes que le dis- camps - soit intégré à la Littérature. Ni cette intégration, ni cette institionalisa-
cours théorique tente, a posteriori, de codifier. Nous souhaiterions illustrer tion ne vont de soi. ( ... ) Si l' appartenance de ce genre à la littérature ne fait aucun
cette tendance avec deux exemples de création générique, la « littérature des doute, cette relation d ' appartenance n'est pas simple, mais complexe : critique,
camps » et le fragment. autocritique, plus ou moins ostensiblement torturée.
Ibid, p. 59.
3.2 Parler des camps En écartant la dimension sociologique et morale on retiendra que nous
assistons bien ici à la naissance d'un genre, avec tous les problèmes et les
Au lendemain de la Seconde .Guerre mondiale et dans les décennies qui ont
incertitudes liés à cette opération : appellation (littérature concentration-
suivi, sont apparus des textes relatant l'expérience douloureuse des camps
naire, des camps, de la Shoah, de témoignage .. . ), définition d ' une topique,
de concentration et réunissant, en apparence, les caractères de la littérature
d'une esthétique, théorisation des concepts, délimitation d ' un corpus, orien-
de témoignage. Or, au fil des publications et en poussant plus loin l' analyse
tation d ' une recherche, etc . La publication quasi conjointe de divers travaux
de quelques-uns de ces textes, la critique moderne a considéré que nous
(d' A. Parrau, de A. Wievorka, de S. Kofman, de C. Coquio elle-même), la
étions en présence d'une forme nouvelle d'écriture dont l'ambition esthéti-
caution littéraire de Maurice Blanchot 1 contribuent non seulement à fonder
que et éthique devait conduire à une intégration officielle dans le champ de
le genre mais à lui attribuer un rôle prépondérant dans l'évolution esthétique
la littérature. Le récit concentrationnaire, quand il était signé de Robert de la littérature de la deuxième moitié du xxe siècle .
Antelme, de Primo Levi, de David Rousset, de Jorge Semprun, de Jean
Améry, de Varlam Chalamov, de Paul Celan, d'Elie Wiesel, voire de George
Perec (pour ne citer que les noms les plus unanimement reconnus), ne se 3.3 Le fragment·
réduisait pas à la relation anecdotique d'une expérience de l'horreur. Il fon-
Commentant le dernier livre, original et déroutant, de Michel Butor, Mobile
dait un nouveau modèle, créait de nouvelles approches esthétiques, soulevait
( 1962), Roland Barthes écrivait :
des interrogations poétiques inédites. Il s'organisait d'autre part en un cor-
pus suffisamment homogène pour créer un espace d ' étude universitaire. Une
des spécialistes du « genre », Catherine Coquio, s'interrogeait sur la validité 1. M. Blanchot,« L'expérience-limite », in L'Entretien infini, 1967.
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celle d u beau : « enfin et toujours la seule distinction véritable des œuvres de Œuvres esthétiques, Garnier, 1968, p. 190.
l'esprit est celle du bon et du mauvais. » (Ibid). De nombreux auteurs du
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M. Blanchot. L'Espace lirtéraire, Gallimard. 1955, p. 314. tient plus à un genre. tout livre relève de la seule littérature, comme si celle-ci
détenait par avance, dans leur généralité, les secrets et les formules qui pe1mettent
Cette parole « agraphique », ce langage essentiel et pur c'est, comme seules de donner à ce qui s'écrit réalité de livre. Tout se passerait donc comme si
l'éc rit Roland Barthes, « la littérature amenée aux portes dè la TetTe pro- les genres s' étant dissipés, la littérature s 'affirmait seule, brillait seule dans la
m ise, c ' est-à-dire aux portes d ' un monde sans littérature 1 » Parole transpa- clarté mystérieuse qu ' elle propage et que chaque création littéraire lui renvoie en
;-enie. arnodale, « blanche », qui s'écrit pour elle-même et n'a que faire des la multipliant.
étiquettes ou des classements. Barthes précise ainsi cette tendance : f/Jid., p. 293.
Comme si la littérature, tendant depuis un siècle à transmuer sa surface dans une La liquidation du genre est donc ici prononcée au nom de la priorité du
forn1è sans hérédité. ne trouvait plus de pureté que dans l'absence de tout signe, texte que la critique actuelle, depuis trois décennies en particulier, n'a cessé
proposant enfi n l'accomplissement de ce rêve orpbéen : UP écrivain sans littéra- de réclamer. Pour le commentateur, comme pour le créateur, la loi des caté-
ture. L'écriture blanche. celle de Camus, celle de Bl2.nchot ou de Cayrol par
gories a vécu, et la littérature, affranchie de ses carcans théoriques, devien-
exemple. ou l'écriture de Queneau, c'est le dernier épi sode d ' une Passion de
J'écrirure. qui suit pas à pas le déclin de la conscience '.Jourgeoise. » drait enfin libre de c hoi sir ses voies.
Ibid .. pp. 9- 1O.
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