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Corrigé de dissertation sur l’argumentation 

: la dénonciation de la tartufferie

Le sujet invite à mettre l’accent sur les moyens propres à la littérature par opposition à d’autres
médias comme le journalisme, la tribune politique etc. : quel usage particulier de la parole, du
langage permet d’exprimer autrement des idées où la chair des mots ne s’efface pas au profit du seul
contenu ?

I. La diversité des moyens dont dispose la littérature pour véhiculer ses idées est bien
représentée dans le corpus : l’hypocrisie religieuse a fait l’objet de dénonciations
multiples au théâtre avec la comédie de mœurs de Molière, Tartuffe, qui sera d’ailleurs
prolongée par Dom Juan, après la censure dont la pièce avait été frappée.
L a poésie n’a pas été en reste et depuis l’Antiquité des fabulistes
comme Esope, Hygin, des satiriques comme Perse, Boileau, Voltaire, Hugo ont bien su
percer à jour les masques des hommes enclins à cacher leurs vices, leurs vilenies. La
Fontaine a trouvé l’image idoine du rat caché dans son fromage de Hollande pour nous
en dévoiler un autre avatar.
Dans les romans aussi les tartuffes sont légion : il suffit d’ouvrir La Comédie Humaine de
Balzac : les filles du père Goriot, Sophie Gamard dans Le Curé de Tours entre autres.
Stendhal en développe de multiples facettes dans Le Rouge et le Noir avec Julien Sorel
qui endosse l’habit noir des jésuites après son passage au séminaire de Besançon pour
tromper le marquis de La Môle. Dans Zadig Voltaire ne s’est pas privé d’étaler au grand
jour les turpitudes des gens de cour ou de pouvoir.
Enfin la prose des moralistes en fait sa matière de prédilection : le portrait d’Onuphre
dépasse même Tartuffe en noirceur, car il adopté pour la discrétion.
Tous les registres sont efficaces pour procéder à cette dénonciation : notre corpus
fait la part belle à l’ironie, au comique. Mais le tragique peut aussi y contribuer comme
avec Iago dans Othello de Shakespeare, ou le polémique qui domine dans les pamphlets
comme Les Provinciales de Pascal ou dans les brûlots des encyclopédistes.

II. Les limites de ce pouvoir : le sujet emploie la formule « Dans quelle mesure … », ce qui
suggère que cela ne va pas de soi : la littérature peut se détourner de cet objectif, quand
le souci de la forme l’emporte sur la fonction morale, ou échouer dans cette entreprise, à
cause de la censure, de la résistance des pouvoirs mis en cause, ou même montrer
l’intérêt et la nécessité des masques sans les condamner directement. Molière fait faire
un éloge très ambigu de l’hypocrisie à Don Juan, Balzac procède ainsi avec son Vautrin.
Si l’on élargit le propos à d’autres textes étudiés pendant l’année, qu’on pense au cerf
des Obsèques de la lionne : l’hypocrisie permet de sauver sa vie dans la jungle de
Versailles. Le choix de Winston Smith dans 1984 reste ambigu : dans un monde totalitaire
comme dans une démocratie ouverte, on est condamné à vivre dans le mensonge pour
sauver les apparences et conserver une marge de manœuvre.

III. La littérature est un média, donc elle passe par des filtres, des masques pour dévoiler,
plutôt que dénoncer, leur perversion sociale : c’est par le théâtre, art des masques (en
grec un un« hypocrite » désigne un acteur de théâtre) que l’on peut le mieux démasquer
les tartuffes qui nous entourent, que nous sommes. Le procédé de la mise en abyme en
est la meilleure illustration : c’est sous la table, masqué par un tapis qu’Orgon comprend
la vérité de Tartuffe qui s’est enfin démasqué, car Elmire lui a joué la scène de la
coquette, prête à céder à ses avances.
Le théâtre est depuis l’antiquité la métaphore de la vie terrestre : le monde est un
théâtre où chacun joue un rôle, porte un masque et ce n’est qu’après la mort, dans cette
acception, que l’on peut atteindre la vérité : celle de l’autre vie pour les croyants, celle du
néant pour les autres… Que l’on songe à En attendant Godot.
Quand Molière fait l’apologie de Louis XIV à la fin de Tartuffe, est-il sincère ? Remet-il un
masque de flagorneur ? N’est-il pas tout bonnement dans son propre rôle d’auteur,
metteur en scène et acteur attitré de la troupe du Roi ?

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