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L’expression justice privée vise à recouvrir l’ensemble des procédés par lesquels un
sujet de droit se fait justice à lui-même. Est donc laissée de côté ici, l’autre
acception courante de cette expression qui désigne l’arbitrage, comme justice “
privée ” opposée à la justice étatique. Entendu comme droit de se faire justice à soi-
même, le recours à la justice privée renvoie à des pratiques relevant de temps fort
reculés et soulève d’importantes questions théoriques. D’anciennes institutions
consacrent des cas d’exercice de la justice privée ; elle semble de surcroît
correspondre à un âge ou un état préjuridique dans lequel elle était censée assumer
les fonctions du droit et de la politique, l’un et l’autre défaillants. Pourtant la
civilisation n’est jamais parvenue à l’éliminer totalement. Ainsi, malgré la force et
l’apparente universalité de l’adage “nul ne peut se faire justice à soi-même”, des
mécanismes de justice privée ont toujours continué de se manifester dans l’ordre
interne et surtout dans les relations interétatiques.
Étant donné que la faculté de se faire justice à soi-même ne peut reposer que sur
l’appréciation purement subjective de celui qui entend y recourir, la justice privée
est l’objet d’une méfiance qui s’inscrit dans un débat philosophique où elle est
opposée à l’état social et à toute idée de droit. Elle est en effet souvent opposée à
l’état social, dont elle serait la figure antithétique. Cela vient en partie de ce que la
justice privée a longtemps désigné de manière exclusive l’usage de procédés
violents aux fins de faire prévaloir un droit…
Or, s'il est admis que le juge ne saurait être totalement évincé, la nature et l'étendue
du rôle qui lui est ainsi dévolu en présence d'actes de justice privée restaient
cependant à préciser.
L'enjeu est celui de la construction d'un régime cohérent pour encadrer la sanction
prononcée par les parties contractantes.
Dans cette quête, il est apparu que la clé de ce régime se trouve, davantage que
dans les seuls mécanismes typiques du contrôle d'une prérogative tel l'abus de droit,
dans la sollicitation de la qualification d'acte juridique.
L'acte juridique se présente en effet comme une méthode éprouvée - bien que trop
peu sollicitée - permettant non seulement d'améliorer le régime des manifestations
d'ores et déjà consacrées en droit positif, mais aussi de fournir un cadre rationnel
pour en accueillir de nouvelles.
Le juge est souvent considéré comme le seul à pouvoir remédier efficacement à
l'inexécution du débiteur afin de protéger la force obligatoire du contrat. Les actes
de justice privée par lesquels le créancier peut remédier unilatéralement à la
défaillance de son partenaire sont cantonnés, soit à des mécanismes d'incitation à
l'exécution, soit à de simples anticipations de la décision du juge, en cas d'urgence
ou de faute grave.
Cette étude démontre que les remèdes de justice privée sont légitimes face à
l'inexécution du débiteur. Ils donnent le droit au créancier d'inciter son partenaire à
l'exécution, notamment grâce à des instruments d'adaptation, mais ils lui accordent
aussi le droit de rompre unilatéralement le contrat lorsqu'elle altère le lien
contractuel. Les remèdes de justice privée peuvent ainsi être considérés comme une
alternative aux remèdes judiciaires.
Pour cette raison, ils ont vocation à s'appliquer de manière générale, en concurrence
avec les remèdes judiciaires, selon les mêmes conditions, déplacées des mains du
juge à celles du créancier. Leurs effets peuvent, certes, être remis en cause par
l'intervention judiciaire a posteriori mais seulement lorsque le créancier les a
abusivement mis en oeuvre. Leurs avantages et leurs limites conduisent ainsi à
dédramatiser le recours à la justice privée en matière contractuelle.