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TRANSDISCIPLINARITÉ, MYSTICITÉ ET IDENTITÉ


vers la réconciliation complémentaire de la différence identitaire

Par DANIEL PROULX

1) INTRODUCTION .......................................................................................................................................................... 1
2) LA TRANSDISCIPLINARITÉ .................................................................................................................................... 2
1.1 BREF HISTORIQUE DE LA TRANSDISCIPLINARITÉ ...................................................................................................... 2
1.2 TIERS INCLUS DE LUPASCO ........................................................................................................................................ 3
3) MYSTICITÉ ................................................................................................................................................................... 4
4) IDENTITÉ ...................................................................................................................................................................... 5
5) CONCLUSION ............................................................................................................................................................... 6
6) BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................................... 9

1) INTRODUCTION
Les identités qui composent un individu sont multiples et hiérarchiques, alors comment est-il possible
de prendre conscience de son identité si celle-ci est composée d‟une multitude d‟identités? Quel est
l‟élément permanent et semblable d‟une identité à l‟autre permettant à un sujet de dire et de vivre son
identité comme une et comment chacune des identités singulières qui nous composent permettent-elles
de poser notre identité comme différente?
En adoptant l‟approche transdisciplinaire de B. Nicolescu, cette intervention vise à montrer ce
que les discours mystiques mettent en lumière par rapport au paradoxe de l‟identité sans pour autant
traiter directement de l‟identité.
La transdisciplinarité met en exergue l‟impasse épistémologique de ce problème fondamentale à
partir des problèmes de la « philosophie de la physique ». Cependant plutôt que de déclarer
promptement la défaillance nos approches actuelles du Réel, [Diapo 1] la transdisciplinarité prend le
chemin de la crête et fait apparaître un nouvel horizon de compréhension à partir de l‟antinomie
fondamentale du problème de l‟Un et du Multiple. C‟est dans leur complémentarité contradictoire, dans
une logique antagoniste que l‟Un et le Multiple deviennent coïncidence des contraires.
Dans l‟ordre, j‟esquisserai la transdisciplinarité et son cœur épistémologique qui est la logique
du tiers inclus de Lupasco. Ensuite, il s‟agit de regarder brièvement comment la mysticité d‟une part et
l‟identité d‟autre part, s‟articulent dans cette logique. La mysticité faisant apparaître la nécessité d‟une
vision ouverte et toujours au-delà de la Réalité et l‟identité mettant en lumière une systémogénèse
antagoniste entre l‟intérieur et l‟extérieur, entre le théorique et le pratique. Enfin pour supporter une
compréhension dialogique des problèmes évoqués, je plaiderai en faveur de la réintroduction d‟un
espace imaginal.
Mais avant de s‟élancer, je dois faire une triple mise en garde. 1) La transdisciplinarité, en
s‟appuyant sur la « philosophie de la physique » et je dis bien la « philosophie » de la physique, ne
cherche pas « quantifier » ou « scientiser » les sciences humaines, elle n‟est pas non plus à la recherche
2
de la particule de Dieu. La transdisciplinarité n‟est pas une notion religieuse. C‟est l‟apparition d‟un
nouveau regard issu des observations objectives de la matière qui avaient elles-mêmes suscité
l‟établissement d‟un nouveau regard, le regard quantique. 2) Je ne suis pas un physicien et je ne parle
pas de physique quand je parle de transdisciplinarité, et ce, même si philosophiquement la physique
quantique influence la teneur de certains concepts philosophiques. Je pense, par exemple, à la non-
séparabilité, au principe d‟incertitude ou à la logique du tiers inclus. 3) Cette conférence est issue d‟un
très long développement qui n‟est pas encore publié et j‟ai pleinement conscience de ma problématique
et de ses limites.
[Diapo 2] Mon objectif n‟est pas de faire un exposé systématique ou d‟analyser précisément un
seul concept, mais bien de vous présenter comment pourrait s‟articuler une lecture transdisciplinaire de
la mysticité qui puisse soulever le couvercle du « lieu » de l‟expérience paradoxale de l‟identité.
Je disais que nous marcherions sur un chemin de crête. Ce chemin est parsemé d‟affirmations qui
cherchent justement à le décrire. Je les projette sans les lire faute de temps. Mais rappelez-vous que
cette conférence ne cherche pas à les analyser, mais bien à asseoir leur logique pour éviter que ces
affirmations ne versent dans le relativisme ou dans l‟illogisme à cause d‟une lecture littérale.

2) LA TRANSDISCIPLINARITÉ

1.1 Bref historique de la transdisciplinarité


Le terme est une création plutôt nouvelle, apparu dans le sillage de l‟inter, du multi et du mono
disciplinaire dans le milieu des années 70. C‟est le travail particulièrement remarquable du physicien
nucléaire Basarab Nicolescu qui va permettre d‟asseoir la transdisciplinarité dans un ensemble
conceptuel et sémantique cohérent. En 1985 dans son livre Nous, la particule et le monde le dernier
chapitre est consacré à l‟émergence de la transdisciplinarité comme façon d‟aborder « le problème de
l’unité de la connaissance humaine1 ». Nicolescu y suggère la création de centre de recherche
transdisciplinaire où « toutes les branches de la connaissance, sans aucune exclusive, doivent avoir leur
place2 » afin d‟évacuer les certitudes absolues et de permettre « par un questionnement permanent du
“réel” […] l‟élaboration d‟une approche ouverte, en permanente évolution, qui se nourrira de toutes les
connaissances humaines et qui remplacera l‟homme au centre des préoccupations de l‟homme.3 »
Ce projet se concrétisera en 1987 par la fondation d‟un Centre international de recherches et
d‟études transdisciplinaires (CIRET). En 1994, au Portugal, la transdisciplinarité se dote d‟une charte
qui pose les jalons méthodologiques et les orientations précises du projet transdisciplinaire4.
L‟un des apports majeurs de la philosophie de la physique quantique à la transdisciplinarité,
c‟est d‟avoir prouvé que des multiples niveaux de réalité peuvent coexister simultanément.
Macrophysique et microphysique possèdent des lois pouvant être contradictoires tout en étant
parfaitement opératoires.
Étrangement, les conséquences philosophiques de cette découverte scientifique tardent à se faire
sentir dans les autres domaines de recherche. L‟importance de l‟approche transdisciplinaire comme
1
NICOLESCU, B., Nous, la particule et le monde, Paris, Le Mail, 1985, p.237
2
Ibid., p.243
3
Ibid., p.245
4
http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/chartfr.htm et NICOLESCU, B., La transdisciplinarité : manifeste, Monaco, du
Rocher, 1996, 231 p.
3
l‟indique l‟article 3 de la Charte, c‟est justement d‟intégrer la réflexion « de toutes les disciplines à ce
qui les traverse et les dépasse5». Pour traiter des niveaux de réalité et porter le regard transdisciplinaire
sur ce qui traverse et dépasse les disciplines, il faut d‟abord exposer la logique sous-jacente à une telle
approche ; la logique du tiers inclus.

1.2 Tiers inclus de Lupasco


Développée par Stéphane Lupasco, la logique du tiers inclus vient appuyer logiquement l‟existence de
multiple niveau de réalité. Parce que la philosophie de la physique quantique, comme l‟indique
Nicolescu, a fait surgir « des couples de contradictoires mutuellement exclusifs (a et non-A) : onde et
corpuscule, séparabilité et non-séparabilité, causalité locale et causalité globale6», [Diapo 3] les
axiomes de la logique classique devaient être révisés pour pouvoir tenir compte des multiples niveaux
de réalité.
Les trois axiomes de base de la logique classique sont :
« 1. L‟axiome d‟identité : A est A.
2. L‟axiome de non-contradiction : A n‟est pas non-A.
3. L‟axiome du tiers exclu : il n‟existe pas un troisième terme T (T de « tiers inclus ») qui est à la fois A
et non-A.7»
Bien évidemment, remettre en cause l‟axiome du tiers exclu ouvre la porte à des dérives fantasques
comme d‟affirmer que le haut est le bas ou de permettre, en fait, de dire une chose et son contraire
simultanément. Le tiers inclus consiste à affirmer qu‟il « existe un troisième terme T qui est à la fois A
et non-A.8» Cependant, il faut mettre en perspective la logique du tiers inclus avec la notion de niveau
de réalité, car l‟état T s‟exprime toujours à un autre niveau de réalité, ce qui sauvegarde à la fois
l‟axiome du tiers exclu et du tiers inclus. À partir de notre regard, l‟état T apparaîtra comme
proprement antagoniste et exclusif, mais il est nécessaire d‟apercevoir l‟état T comme réalisant
simultanément et instantanément une conciliation à un autre niveau de réalité 9. Comme Nicolescu
l‟indique « dans la logique du tiers inclus les opposés sont plutôt des contradictoires : la tension entre
les contradictoires bâtit une unité plus large qui les inclut.10» [Diapo 4]
De là, Nicolescu identifie trois miroirs11 1) Le miroir de la pensée magique dans lequel tout peut
être vu, perçu et vécu. Le monde est enchanté et plein de mystère. L‟unité est actuelle et la diversité est
potentielle. 2) Le deuxième miroir est celui de la pensée mécaniste, mais c‟est plutôt un miroir brisé, un
scalpel. Le monde est une machine pleine de lois. L‟unité est potentielle et la diversité est actuelle. 3)
Enfin, il y a le miroir de la transdisciplinarité qui se « trouve à la fois entre et au-delà de tous les

5
Article 3 de la Charte de la transdisciplinarité http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/chartfr.htm
6
NICOLESCU, B., La transdisciplinarité : manifeste, Monaco, du Rocher, 1996, p.37
7
Ibid., p.41
8
Ibid., p.45
9
« La logique du tiers inclus est capable de décrire la cohérence entre les niveaux de Réalité par le processus itératif
comportant les étapes suivantes : 1. Un couple de contradictoires (A, non-A) situé à un certain niveau de réalité est unifié
par un état T situé à un niveau de Réalité immédiatement voisin ; 2. À son tour, cet état T est relié à un couple de
contradictoires (A‟, non-A‟), situé à non propre niveau ; 3. Le couple de contradictoire (A‟, non-A) est, à son tour, unifié
par un état T‟ situé à un niveau différent de Réalité, immédiatement voisin de celui où se trouve le ternaire (A‟, non-A‟,
T). Le processus itératif continue à l‟infini jusqu‟à l‟épuisement de tous les niveaux de Réalité, connus ou concevables. »
ibid., p.75
10
Ibid., p.47
11
Pour ce qui suit ibid., p.98
4
domaines de la connaissance. [Si] le monde classique est le monde de la figuration, […] le monde
transdisciplinaire est celui de la transfiguration.12» Par la transdisciplinarité le monde apparaît comme
une machine enchantée, où l‟unité et la diversité sont à la fois potentielles et actuelles.
L‟élément important concernant notre sujet, c‟est que les identités sont justement perçues
comme étant contradictoires, mais en élargissant la compréhension de la Réalité par la logique du tiers
inclus, s‟ouvre à nous la possibilité de traverser la complexité des éléments composants la vie sans
recourir à une logique dualiste engendrant exclusion et incompréhension (droite ou gauche, bien ou
mal, etc.)13. C‟est dans l‟esprit de la logique du tiers inclus que les mystiques me semblent avoir évolué
et expérimenté la vie et Dieu. Si l‟état mystique est l‟union avec Dieu, c‟est là une manière d‟être à la
fois pleinement potentiel et pleinement actuel. La mise en rapport du tout et de la partie, du centre et de
la circonférence n‟est donc pas simplement un jeu de langage, mais proprement un « jeu de langage ».
C‟est un rapport qui pointe la Réalité ; comme un doigt désignant la lune; gare à celui qui confond le
doigt et la lune, comme l‟indique la célèbre sentence du bouddhisme.

3) MYSTICITÉ
L‟importance de la mystique abrahamique est de mettre en lumière un fond épistémologique commun
qui correspond à l‟impossibilité radicale d‟enclore la Réalité, puisque celle-ci est fondamentalement
considérée comme toujours « au-delà ». De manière très générale, les courants spirituels et religieux
qui s‟insèrent dans les schèmes de la transdisciplinarité sont attachés à la théologie négative ou
apophatique. Cette approche du réel, en postulant qu‟il est impossible de personnifier Dieu et
impossible d‟établir un critère ou un concept universel de Dieu, ouvre une voie intermédiaire qui est
celle d‟un mode d‟être au monde. La « présence-humaine », ou le mode d‟être par lequel on naît au
monde, en se comprenant elle-même, trace un horizon qui n‟est pas limité, car c‟est une limite qui, en
se sachant limite, laisse l‟horizon ouvert14.
Le parallèle le plus flagrant entre la dimension mystique et la transdisciplinarité, c‟est qu‟elles
présupposent qu‟il y a toujours un au-delà, que le système est ouvert15. Toutefois, comme le mystique
est à la recherche de l‟établissement d‟une relation intime avec Dieu, les monothéismes en général
n‟ont pas vu d‟un bon œil les idées concourantes à la recherche mystique. Mais les mystiques ont
toujours su faire la différence entre Dieu et la Déité ou encore entre Dieu et ses théophanies ou entre le
Dieu caché et le Dieu personnel. Maître Eckhart a affirmé en ce sens :
« qui cherche Dieu sous un mode saisit le mode mais laisse Dieu qui est caché sous le mode. Au
contraire, qui cherche Dieu sans aucun mode, celui-là Le saisit tel qu‟Il est en Lui-même […] Pourquoi
vis-tu?, si elle pouvait répondre, elle ne dirait rien d‟autre que : “Je vis parce que je vis.” La raison en est
que la vie tire sa vie de son propre fond et jaillit de ce qui lui est propre : c‟est pour cela qu‟elle vit sans

12
Ibid., p.99
13
Cf. Ibid., p.49
14
Pour mieux comprendre ce que nous entendons par « présence-humaine », terme qui pour Corbin traduit au mieux le
Dasein, il est possible de se référer à CORBIN, H.,« De Heidegger à Sohravardî - Entretien avec Philippe Némo », dans
Henry Corbin, Paris, L'Herne, 1981, p.31
15
« La structure gödelienne de l‟ensemble des niveaux de Réalité, associée à la logique du tiers inclus, implique
l‟impossibilité de bâtir une théorie complète pour décrire le passage d‟un niveau à l‟autre et, a fortiori, pour décrire
l‟ensemble des niveaux de Réalité. L‟unité reliant tous les niveaux de Réalité, si elle existe, doit nécessairement être une
unité ouverte. » NICOLESCU, B., La transdisciplinarité : manifeste, Monaco, du Rocher, 1996, p.79
5
demander le pourquoi, parce qu‟elle ne vit que d‟elle-même. Maintenant, si l‟on demandait à un homme
véritable, quelqu‟un qui opère de son propre fond : “Pourquoi opères-tu tes œuvres?”, s‟il voulait
répondre droitement, il ne dirait rien d‟autre que : “J‟opère parce que j‟opère.”16»

La pensée européenne a trop souvent fait face à un faux dilemme : « ou bien les universaux abstraits de
la logique de l‟entendement, ou bien les réalités concrètes de la perception sensible17». Les propositions
mystiques, telles qu‟elles apparaissent dans le tableau ci-contre annonce une nouvelle approche du
Réel. Mon hypothèse est qu‟à partir de l‟actualité des formes sensibles de la vie, si le mystique
entreprend le chemin inverse, c‟est-à-dire que par intériorisation, abnégation ou ascèse il potentialise
les formes extérieures, lorsque seront en équilibre soutenu les forces d‟actualisation et de
potentialisation l‟état mystique pourra apparaître.
Comme le dit Nicolescu, « le vide quantique est plein, plein de toutes les potentialités de la particule à
l‟univers.18» Nous pourrions dire qu‟être hic et nunc ouvre un vide quantique qui rend présent la
« présence-humaine » ce qui potentialise les événements de la conscience19. Ainsi, les formes
spirituelles apparaissant dans « le fait d‟être-là » dans la pleine « présence-humaine » au monde ne sont
ni des allégories fantasmagoriques ni des constructions conceptuelles. Il faut donc comprendre que
c‟est dans le mode de présence au monde que la réalité intérieure se potentialise.

4) IDENTITÉ
D‟une part, les identités sont multiples et hiérarchiques tout en étant unifique et fluide. Étant donné que
la hiérarchisation identitaire est toujours médiée par l‟identité globale, il n‟est pas possible de procéder
à une hiérarchisation stricte des identités. En résumé, je pense que la personne est toujours au centre et
que ce centre situe la « présence-humaine », que le centre de la personne personnifie les diverses
identités. D‟autre part, ce qui permet de dynamiser et faire progresser le rapport que nous avons à nous-
mêmes, rapport manifesté à travers sa présence au monde, c‟est l‟Autre et les autres. Il faut une force
qui comprend soi et l’autre, une force d‟altérité dialogique entre le pratique et le théorique. Donc si
l‟identité personnelle est au centre, la périphérie de ce centre sera la vision du monde commandant
chaque fois un mode de présence au monde se manifestant dans le rapport à l‟autre.
En fait, l‟antagonisme systématique du pratique et du théorique de l‟externe et de l‟interne
engendre une sorte de systémogénèse, car deux systèmes en équilibre impliquent un système
antagoniste qui sera lui-même en équilibre avec un autre système antagoniste. C‟est là, je pense le
processus à la base de l‟identité. Dès lors, la solution entre thèse et antithèse n‟est pas la synthèse

16
ECKHART, Traités et sermons, trad. par DE LIBERA, A., 3e éd., corr. et mise à jour, Paris, Garnier Flammarion, 1995, «
sermon no. 5b », p.256
17
SOHRAVARDÎ, S. Y., CORBIN, H. et NASR, S. H., Oeuvres philosophiques et mystiques prolégomènes, analyses et
commentaires par Henry Corbin, Téhéran/Paris, A. Maisonneuve, 1970, p.67 Cf. aussi CORBIN, H., En Islam iranien,
aspects spirituels et philosophiques ‒ Sohrawardî et les Platoniciens de Perse, vol. II, Paris, Gallimard, 1971, pp.363-
366
18
NICOLESCU, B., La transdisciplinarité : manifeste, Monaco, du Rocher, 1996, p.91
19
Eckhart affirme en ce sens « l‟âme à deux puissances qui n‟ont rien à faire avec le corps et qui opèrent au-dessus du
temps : l‟intellect et la volonté. […] Il est dans l‟âme une puissance à laquelle toutes choses sont également douces; oui,
le meilleur et le pire sont absolument choses égales pour cette puissance. Elle saisit, en effet, toutes choses par-delà ici et
maintenant. “Maintenant”, cela veut dire le temps, et “ici” c‟est l‟espace, le lieu où je me trouve maintenant.» ECKHART,
Traités et sermons, trad. par DE LIBERA, A., 3e éd., corr. et mise à jour, Paris, Garnier Flammarion, 1995, p.340
6
puisque la synthèse annihile la potentialité de la polarité antagoniste, thèse et antithèse forment une
unité contradictionnelle qui comme unité s‟antagonisera contradictionnellement avec une autre unité du
même niveau de complexité et ainsi de suite20. L‟idée de ces forces permet donc d‟expliquer comment
s‟opère la complexification identitaire et comment si on reste dans une logique bivalente entre le
pratique et le théorique, entre l‟objectif et le subjectif, entre l‟interne et l‟externe, il est facile d‟opposer
infiniment deux identités antagonistes sans jamais les recadrer dans un autre niveau de complexité.
C‟est donc en ne cherchant pas l‟au-delà du trans, mais en l‟assumant pleinement que la
transdisciplinarité rend méthodologiquement une unité de la connaissance qui, n‟est ni universalisante,
ni réductrice, mais qui permette de prendre pleinement conscience de sa responsabilité. L‟antagonisme
réciproque de l‟un et du multiple dans l‟identité ou « la collision entre le “jeu de langage” de la
tradition culturelle dans laquelle le sujet est enraciné par son éducation, et le “jeu de langage” de sa
spontanéité naturelle 21» amène l‟éthicien Jean-François Malherbe à affirmer « que le “devenir-soi” du
sujet consiste précisément à user de l‟énergie dégagée par cette collision pour se tenir dans l‟équilibre
instable entre tradition et spontanéité22 », car dit-il, « “Penser”, c‟est s‟aventure par-delà l‟antagonisme
de la technique homogène et de l‟arbitraire hétérogène.23 »

5) CONCLUSION
[Diapo 5] L‟espace où s‟effectue les flux identitaires n‟est pas linéaire, ni même seulement dynamique,
il permet les deux à la fois et, le seul lieu qui me semble correspondre aux critères invoqués, c‟est le
mundus imaginalis, le monde imaginal. De même, l‟expérience mystique se passe quelque part, elle a
un lieu dont les lois ne sont pas celles de l‟entendement ni des sens et, là encore, ce lieu ressemble au
mundus imaginalis.
En somme, le mundus imaginalis est un plan où le temps devient espace24. C‟est un pôle situatif qui,
comme le dit admirablement Corbin, par « le “virement” ou “revirement” du temps présuppose une
métamorphose intérieure de l‟homme25 » Cet espace-temps qui supporte les visions et les expériences
spirituelles, dans sa dimension inter-humaine, c‟est ce que j‟appelais la hiérohistoire, ou l‟histoire
sacrale de l‟humanité. La hiérohistoire c‟est la structure espace-temps dans laquelle s‟accomplie les
événements du Monde imaginal qui sont chaque fois corrélatifs de l‟acte de présence au monde de la
personne. Cela rejoint précisément cette réflexion de Hamann : « de même que le temps n‟est pas une
pluralité successive et atomique de “maintenant”, […] le présent est chaque fois l‟unité accomplie du
passé et de l‟avenir, il aurait fallu l‟union de ces deux forces en une philosophie prophétique.26»
Ce que donne à penser la transdisciplinarité et la logique du tiers inclus par les paradoxes mystiques et
identitaires, c‟est la nécessité de modifier profondément la compréhension linéaire du Réel et de la

20
LUPASCO, S., Les trois matières, Paris, Julliard, 1960, p.51
21
MALHERBE, J.-F.,« Esquisse d'une histoire de l'éthique à l'aune du « tiers inclus » », dans À la confluence de deux cultures
Lupasco aujourd'hui,sous la direction de NICOLESCU, B., Escalquens, Oxus, 2010, pp.50-51
22
Ibid., p.51
23
Ibid., p.52
24
Sur ce thème cf. CORBIN, Henry, Histoire de la philosophie islamique, p.34
25
CORBIN, H., En Islam iranien, aspects spirituels et philosophiques ‒ Le Shî'isme duodécimain, vol. I, Paris, Gallimard,
1971, p.178
26
CORBIN, H. et HAMANN, J. G., Hamann, philosophe du luthéranisme, Paris, Berg international, 1985, p.81
7
Réalité. Une compréhension qui fait appel à un organe de connaissance qui a longtemps été délaissée et
qui est l‟imagination. Enfin pour ceux qui voudraient poursuivre avec moi sur le chemin de
l‟exploration du rôle essentiel de l‟imagination comme organe de connaissance vraie entre les sens et la
raison, je vous invite à assister à ma conférence de cet après-midi intitulée La notion d’imagination au
seuil des pensées d’Ibn ‘Arabî et de Jakob Böhme.
8
Mysticité
Formulation anthropologiques
Celui qui se connaît soi-même (son âme) connaît son Hadîth attribué au Prophète de l‟islam.
seigneur.27

Je l’ai vu tel que j’avais la capacité de le voir.28 Actes de Pierre, texte apocryphe.

L’œil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans Sermon No 12 Maître Eckhart, Traités et sermons, trad. par
lequel Dieu me voit. Mon œil et l’œil de Dieu sont un seul Alain DE LIBERA.
et même œil.29

Si donc tu Me perçois, tu te perçois toi-même Ibn „Arabî. Anthologie du soufisme de Eva VITRAY-
mais tu ne saurais Me percevoir à travers toi. MEYEROVITCH.
C’est par Mon œil que tu Me vois et que tu te vois,
ce n’est pas par ton œil que tu peux Me concevoir.30

Formulations objectivées
Lis le Qorân comme s’il n’avait été révélé que pour ton Suhrawardî d’Alep, trad. Henry Corbin.
propre cas31

Formulations métaphysiques
Tout est dans tout (quodlibet est in quolibet)32 Popularisée par Nicolas de Cues qui l‟utilise comme titre du
chapitre 5 du livre II de la Docta ignorantia.
Dieu est la sphère infinie dont le centre est partout et la Deuxième proposition sur Dieu du Livre des XXIV
circonférence nulle part.33 philosophes, trad. par F. HUDRY.

Je suis la Réalité du monde, Ibn „Arabî. Anthologie du soufisme de Eva VITRAY-


le centre et la circonférence, MEYEROVITCH.
J’en suis les parties et le tout.34

Formule hermétique/alchimique de Zosime de Panopolis.

« l’un le tout » (ἓν τὸ πᾶν35)

27
CORBIN, H., Le paradoxe du monothéisme, Paris, L'Herne, 1992 [1981], p.87 ss
28
CORBIN, H., Temps cyclique et gnose ismaélienne, Paris, Berg international, 1982, p.70; tirées JAMES, M.R., The
Apocryphal New Testament, Oxford, 1950, p.321-322
29
ECKHART, Traités et sermons, trad. par DE LIBERA, A., 3e éd., corr. et mise à jour, Paris, Garnier Flammarion, 1995,
pp.295-300
30
VITRAY-MEYEROVITCH, E., Anthologie du soufisme, 2e éd., Paris, Sindbad, 1978, p.46
31
CORBIN, H., Suhrawardî d'Alep, Montpellier, Fata morgana, 2005[1939], p.47
32
CUES (DE), N., De la docte ignorance, trad. par LAGARRIGUE, J.-C., Paris, Cerf, 2010, livre II, chap.5
33
Cette phrase correspond à la deuxième proposition sur Dieu du Livre des XXIV philosophes. HUDRY, F. et VICTORINUS, C.
M., Le livre des XXIV philosophes : résurgence d'un texte du IV e siècle, Paris, J. Vrin, 2009, 225p. et ANONYME, Le Livre
des XXIV philosophes, trad. par HUDRY, F., Grenoble, Jerome Millon, 1989, 221 p.; Mais c‟est surtout Alain de Lille qui
popularise cette idée en l‟incluant dans sa septième règle. ALAIN DE LILLE, Règles de théologie ; suivi de, Sermon sur la
sphère intelligible, trad. par HUDRY, F., Paris, Cerf, 1995, 304p. Cette idée est aussi reprise par Pascal à la pensée 72-199
intitulée disproportion de l’homme PASCAL, B., Pensées, texte établi par Léon Brunschvicg avec chronologie,
introduction, notes, archives de l'oeuvre et index par Dominique Descotes, Paris, GF Flammarion, 1976, p.65 ; Cette
même phrase avec une petite modification est aussi reprise par Nicolas de Cues. COUNET, J.-M., Mathématiques et
dialectique chez Nicolas de Cuse, Paris, J. Vrin, 2000, p.169-171
34
VITRAY-MEYEROVITCH, E., Anthologie du soufisme, 2e éd., Paris, Sindbad, 1978, p.46
35
PANOPOLIS, Z. D., Mémoires authentiques, trad. par MERTENS, M., Paris, les Belles lettres, 1995, p.22
9
6) BIBLIOGRAPHIE

1. ALAIN DE LILLE, Règles de théologie ; suivi de, Sermon sur la sphère intelligible, trad. par HUDRY,
F., Paris, Cerf, 1995, 304 p.

2. ANONYME, Le Livre des XXIV philosophes, trad. par HUDRY, F., Grenoble, Jerome Millon, 1989,
221 p.

3. CORBIN, H., « De Heidegger à Sohravardî - Entretien avec Philippe Némo », dans Henry Corbin,
Paris, L'Herne, 1981, pp.23-37 (coll. « Cahier de l'Herne » no.39 sous la direction de Christian Jambet)

4. CORBIN, H., En Islam iranien, aspects spirituels et philosophiques ‒ Le Shî'isme duodécimain, vol. I,
Paris, Gallimard, 1971, (coll. « Bibliothèque des idées » no.189)

5. CORBIN, H., En Islam iranien, aspects spirituels et philosophiques ‒ Sohrawardî et les Platoniciens
de Perse, vol. II, Paris, Gallimard, 1971, 384 p. (coll. « Bibliothèque des idées » no.190)

6. CORBIN, H., Le paradoxe du monothéisme, Paris, L'Herne, 1992 [1981], 219 p. (coll. « Livre de
poche » no.4167)

7. CORBIN, H., Suhrawardî d'Alep, Montpellier, Fata morgana, 2005[1939], 82 p.

8. CORBIN, H., Temps cyclique et gnose ismaélienne, Paris, Berg international, 1982, 208 p.
(coll. « L'Île verte »)

9. CORBIN, H. et HAMANN, J. G., Hamann, philosophe du luthéranisme, Paris, Berg international, 1985,
152 p. (coll. « L'Île verte »)

10. COUNET, J.-M., Mathématiques et dialectique chez Nicolas de Cuse, Paris, J. Vrin, 2000, 456 p.
(coll. « Études de philosophie médiévale » no.80)

11. CUES (DE), N., De la docte ignorance, trad. par LAGARRIGUE, J.-C., Paris, Cerf, 2010, 316 p.

12. ECKHART, Traités et sermons, trad. par DE LIBERA, A., 3e éd., corr. et mise à jour, Paris, Garnier
Flammarion, 1995, 554 p. (coll. « Texte intégral » no.703)

13. HUDRY, F. et VICTORINUS, C. M., Le livre des XXIV philosophes : résurgence d'un texte du IVe
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14. LUPASCO, S., Les trois matières, Paris, Julliard, 1960, 184 p.

15. MALHERBE, J.-F., « Esquisse d'une histoire de l'éthique à l'aune du « tiers inclus » », dans À la
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Oxus, 2010, pp.40-53 (coll. « Les Roumains de Paris »)

16. NICOLESCU, B., La transdisciplinarité : manifeste, Monaco, du Rocher, 1996, 231 p.


(coll. « Transdisciplinarité »)
10
17. NICOLESCU, B., Nous, la particule et le monde, Paris, Le Mail, 1985, 245 p.

18. PANOPOLIS, Z. D., Mémoires authentiques, trad. par MERTENS, M., Paris, les Belles lettres, 1995,
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19. PASCAL, B., Pensées, texte établi par Léon Brunschvicg avec chronologie, introduction, notes,
archives de l'oeuvre et index par Dominique Descotes, Paris, GF Flammarion, 1976, 376 p.

20. SOHRAVARDÎ, S. Y., CORBIN, H. et NASR, S. H., Oeuvres philosophiques et mystiques


prolégomènes, analyses et commentaires par Henry Corbin, Téhéran/Paris, A. Maisonneuve, 1970,
français 156 + persan 494 p. (coll. « Bibliothèque iranienne » no.17)

21. VITRAY-MEYEROVITCH, E., Anthologie du soufisme, 2e éd., Paris, Sindbad, 1978, 363 p.

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