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D'enfant victime à adulte abuseur: Itinéraire d'un prisonnier
D'enfant victime à adulte abuseur: Itinéraire d'un prisonnier
D'enfant victime à adulte abuseur: Itinéraire d'un prisonnier
Ebook291 pages8 hours

D'enfant victime à adulte abuseur: Itinéraire d'un prisonnier

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About this ebook

Le témoignage rarissime d'un agresseur sexuel.

Ce document témoignage est inédit. Il est rarissime que l’on donne la parole à un agresseur sexuel. Nicolas Henri est un cas particulier, ce qui n’enlève rien ni à sa responsabilité ni à l’horreur de son acte. Il a en effet accepté la totalité de sa peine sans aller en appel, a indemnisé ses victimes en acceptant une clause de réévaluation des indemnités, qu’il a versées. Et il s’est battu en prison pour accéder à une prise en charge thérapeutique promise par l’administration carcérale et qui traînait à venir. Il a écrit ce journal en prison et l’on y lit son cheminement de pensée, sa prise de conscience de la gravité de ses actes et l’évolution de sa responsabilité tout au long de sa peine, et plus particulièrement dès son suivi en thérapie. Il nous a semblé important de pouvoir lire et appréhender le phénomène de l’agression sexuelle sur mineur dans sa globalité, sans se voiler la face. Il est utile de comprendre les mécanismes, mettre en perspective les moyens thérapeutiques et de punition pour faire diminuer les agressions de ce type. La mise en perspective des actes de Nicolas Henri et de son processus de pensée est éclairée par l’intervention de Serge Corneille, psychologue, spécialiste de la prise en charge des abuseurs sexuels.
Naturellement, aucun écrit contraire à la loi n’a été autorisé dans ce livre.

Découvrez un ouvrage qui cherche à appréhender le phénomène de l’agression sexuelle sur mineur dans sa globalité, sans se voiler la face.

EXTRAIT

Dimanche 1er février. Si j’avais encore des doutes sur la religion de Didier qui participe depuis quelques semaines à l’équipe du journal, désormais c’est clair, c’est un Témoin de Jehovah pur jus. Hier, durant la partie de Scrabble tout a été prétexte à une évangélisation forcenée. Au point de casser les pieds à Roger pourtant féru de religiosité. Moi, ça m’amuse. Je porte sur les religions un regard désabusé. Dieu n’existe que dans notre imagination. C’est nous qui l’avons créé et non l’inverse. Ce postulat étant admis, le discours de Didier frise le ridicule avec sa prédiction de la mort prochaine de la Grande Prostituée (l’Église catholique), l’avènement imminent d’un gouvernement mondial sous l’égide de l’ONU et, cerise sur le gâteau, la fin du monde actuel. Ceci dit, Didier a une façon très persuasive de répéter sans cesse les mêmes balivernes et de citer Saint Mathieu, le Deutéronome ou je ne sais quel passage du Livre. Il dispose d’une quinzaine de versions de la Bible. Inutile de vouloir le bluffer en matière d’exégèse.
LanguageFrançais
Release dateApr 25, 2018
ISBN9782390091653
D'enfant victime à adulte abuseur: Itinéraire d'un prisonnier

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    Book preview

    D'enfant victime à adulte abuseur - Nicolas Henri

    hommes

    Préface

    N’éprouvez-vous pas de difficultés à préfacer un livre écrit par une personne qui a commis des abus sexuels ?

    Votre question appelle des commentaires à plusieurs niveaux.

    D’une part, vous avez désiré m’interviewer en tant que psychologue au sujet de la délinquance sexuelle et je vous ai répondu. Que l’auteur de cet ouvrage soit victime ou auteur de délits sexuels, voire les deux, ne change en rien les réponses que je peux vous apporter. Comprenez que je suis psychologue, je ne suis pas critique littéraire. A ce titre, je n’ai aucun avis sur les qualités littéraires de ce livre tout comme je ne légitime à aucun instant les infractions, crimes ou délits à caractère sexuel que l’auteur a pu commettre ou subir.

    La délinquance sexuelle est un phénomène largement médiatisé qui, habituellement, donne lieu à des commentaires passionnels, émotifs, moralisateurs ou idéologiques. Personnellement, cela ne me pose aucune difficulté de donner l’occasion au grand public d’avoir accès à des informations d’un autre ordre, en l’occurrence, des données à caractère scientifique.

    D’autre part, à ma connaissance, l’auteur de ce livre a été sanctionné pour ses délits d’une peine de privation de liberté qu’il a exécutée. Par contre, il n’a jamais été condamné à une peine de privation de sa liberté d’expression. Il me semblerait pour le moins déplacé qu’un psychologue se substitue à la justice. Il y a, dans ce domaine, comme dans toute situation incestueuse, suffisamment de confusions de rôles me semble-t-il. Il est fréquent en matière de délinquance sexuelle, de voir des journalistes se confondre avec des juges, des psychologues se prendre pour des avocats, des avocats s’instituer experts, des victimes remplacer le procureur, des juges devenir des conseillers moraux. Il ne me semble pas que de telles confusions soient favorables à une gestion efficace d’une problématique aussi complexe.

    Enfin, je perçois dans votre interrogation, une question à peine dissimulée. Permettre à un délinquant sexuel d’éditer son témoignage, n’est-ce pas là une façon de le récompenser de ses crimes ? Encore une fois, il n’appartient pas au psychologue que je suis de soutenir, de condamner ou, moins encore, d’assumer vos responsabilités éditoriales. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je suis favorable à toute démarche qui permet de favoriser la réinsertion psychosociale d’un délinquant sexuel ou autre, dans la mesure où ces démarches vont augmenter le bien-être du délinquant tout en diminuant son risque de récidive. Quitte à me répéter, il est illusoire d’imaginer que l’on puisse amener une personne à respecter ses obligations tout en la privant de la jouissance de ses droits.

    Des fenêtres. Des barreaux...

    Des fenêtres. Des barreaux. Derrière cette fenêtre, un espace crado. Au -delà, un mur de briques sombres surmonté de barbelés.

    Et dire que je me sens libre !

    Mon corps est en prison. C’est clair, c’est l’évidence, c’est physique.

    Mais mon esprit suit les pigeons qui s’envolent de l’espace crado en faisant le bruit d’un volet qu’on ouvre.

    Qu’on ouvre !

    Tout a commencé ce matin. La poste. Deux ou trois courses comme d’habitude: le boucher, le boulanger,

    le marchand de journaux... Le retour suivi par une Peugeot bleue. Les flics qui sont dans la cour. Surprise totale.

    – C’est si grave ?

    Pas besoin de réponse. J’ai compris. Cela faisait des mois, des années que cela me pendait au nez. Eh bien, ça ne pend plus ! C’est tombé.

    – Nous avons saisi votre ordinateur. Il contenait des trucs dégueulasses...

    Je le croyais clean. Mais, l’informatique étant ce qu’elle est, j’ai dû oublier une bricole quelque part. Une grosse bricole capable d’ameuter un, deux, trois... cinq flics.

    C’est presque trop d’honneur. La suite, je la connaissais pour l’avoir déjà vécue.

    Se montrer correct, poli, coopérant. D’ailleurs, je sais ce qu’ils cherchent et ce qu’ils cherchent n’est pas caché. Ils trouvent très vite ce qu’ils veulent. Des images,

    des photos. Des garçons. Encore des garçons. Toujours des garçons. Le reste, tout le reste, ne les intéresse pas.

    En une bonne heure, ils auront fouillé tout, mis à nu une intimité complètement illusoire.

    Soyons justes. Tout s’est passé correctement. Entre gens de bonne compagnie.

    Je passe les détails.

    – Veuillez nous suivre...

    Suivre est une façon de parler. Je suis embarqué.

    Je crois encore que ce sera comme la première fois, il y a presque dix ans : un simple interrogatoire...

    Mais non.

    La police judiciaire de Malmedy n’a d’autre mission que de m’emmener chez le juge à Verviers où la décision de m’arrêter a été prise tôt ce matin. Clic. Clic.

    Les menottes qui se referment sur les poignets.

    – Vous croyez vraiment que je vais me sauver ?

    – C’est la procédure !

    Le respect humain, ils n’en ont rien à foutre. L’important c’est la procédure. Nous quittons Malmedy sirènes hurlantes et gyrophare allumé. Tu parles d’un bandit ! Ça recommence au centre de Verviers. La juge Herbier – elle s’appelle Anne-Laure – m’attend.

    Rien qu’à son sourire un rien gourmand, je comprends que c’est cuit. Ce soir, je finirai Chaussée de Heusy.

    La prison de Verviers est située à quelques encablures du Palais de Justice. Bâtie à flanc de coteau, on y accède par une rampe en zigzag. Vues d’en bas, ses hautes murailles lui donnent l’aspect d’une forteresse moyenâgeuse. Vétuste – elle date de la fin du XIXe siècle – elle nécessiterait de sérieux et coûteux liftings. Mais c’est bien le cadet de mes soucis alors que, après avoir franchi la première enceinte, j’entre dans l’aile administrative du bâtiment principal.

    J’y arrive. Empreintes digitales. Photos.

    – On va te voir dans toute la Belgique !

    C’est Mourad, le jeune flic maghrébin qui essaie à chaque fois que c’est possible de me foutre les jetons.

    Il vient du Maroc. Je ne suis jamais allé au Maroc.

    – Et j’espère bien que vous n’y mettrez jamais les pieds...

    Il n’a pas de mots assez durs pour cracher son mépris des pédés. Entre deux absences du commissaire durant l’interrogatoire, il essayait visiblement de me donner la pétoche. Râpé pour l’instant. Dernière estocade quand je dois le quitter à l’entrée de la prison.

    – C’est l’heure des douches, tu vas pouvoir aller te faire sodomiser...

    J’encaisse en silence.

    J’aurais pu lui répondre que oui, s’il y avait dans les douches un mec avec sa jolie gueule de jeune beur, cela ne m’aurait peut-être pas déplu.

    Je me trompe peut-être. Je me trompe sans doute. Mais l’homophobie de Mourad cache peut-être un pédé refoulé. Je n’ai pas été au Maroc, c’est vrai. Mais si j’y vais un jour, si j’y avais été, je suis sûr que tôt ou tard, j’aurais été abordé par une petite gouape dans le genre de Mourad.

    – Vous êtes seul ? C’est la première fois que vous venez à Marrakech?

    Au bout de quelques minutes, il m’aurait proposé une fille. Devant mon refus, un mec.

    – Un mec ? Pourquoi pas ?

    Et peut-être aurions-nous terminé la visite de Marrakech au plumard ?

    Mais Mourad n’est pas à Marrakech. Il travaille à Malmedy. Il a un salaire mensuel garanti et il ne se prostitue pas. Et il n’aime pas les pédés. Et tient à le faire savoir.

    Exit Mourad !

    Au bout du couloir, il y a des grilles, des portes qui ne s’ouvrent que si la précédente est verrouillée. Nous contournons le cœur névralgique de l’étage d’où l’on peut surveiller les trois ailes de l’établissement. Le quartier protégé, enfin. Un gardien cordial, correct – oserais-je dire : aimable ? – pour m’accueillir. Changer de pantalon, de chemise.

    – Vous pouvez garder votre montre...

    Je dois vider le portefeuille, en faire l’inventaire.

    Quand j’arrive chez Marco, il doit être un peu plus de dix-huit heures. Trop tard pour le repas du soir.

    Marco. 73 ans. Sourd comme un pot. Il regarde la télévision sans mettre le son. J’essaie d’échanger quelques mots. Pas possible. En plus, il doit probablement lui manquer une case quelque part.

    Comment peut-on garder en prison des mecs pareils?

    La nuit est tombée sur Verviers.

    Les barbelés sont éclairés. Cela fait au-dessus du mur des guirlandes scintillantes. Je suis prisonnier. Il me reste quelques mètres carrés pour bouger mon corps. Mais je suis éreinté. Je vais essayer de dormir...

    Dormir. Pas facile.

    Je pense à ma mère, à son courage dans les épreuves qu’elle a traversées. La guerre d’abord. Mon père envoyé sur le front russe après avoir été enrôlé de force dans la Wehrmacht. Ma naissance d’autant plus pénible que prématurée. Pas d’hôpital, pas de couveuse et un verdict pessimiste de la sage-femme et du médecin appelé à la rescousse pour l’accouchement à domicile. Je n’allais pas survivre. Comme le frère mort-né qui m’avait précédé en 1942. Mais j’ai survécu. Ce fut, pour mon père, l’occasion d’obtenir une permission dont il profita pour déserter l’armée allemande et se réfugier en Hesbaye d’où il ne reviendra qu’en 1944 après la Libération du pays par les Alliés. Je n’avais pas dix-sept ans quand mon père est mort d’une leucémie en 1960. Ma mère s’est retrouvée veuve avec sept enfants sur les bras. J’étais l’aîné et en pension au Petit-Noviciat des Frères des Écoles Chrétiennes d’où j’allais être renvoyé l’année suivante pour avoir entretenu ce qu’on appelait pudiquement une amitié particulière avec un condisciple. Juste un peu de sensualité partagée dans le jardin secret de notre adolescence. Pas de quoi fouetter un chat. Seulement, je n’étais pas un chat mais un postulant à la vie religieuse. Dès lors pas question de goûter au fruit défendu, Aux yeux des religieux, nous étions censés devenir des êtres asexués. Au vu de ce que l’on feint de découvrir aujourd’hui dans les milieux ecclésiastiques, on a du mal à mesurer toute l’hypocrisie du système. Pour moi, ce renvoi fut presque une délivrance, car je doutais sérieusement de ma vocation religieuse. Pour ma mère, très croyante, ce fut un choc doublé d’une grande déception. Mais elle encaissa le coup et ne me rejeta pas. Maintenant, je me jure d’être à sa hauteur.

    Je me répète quelquefois :

    – Ton corps est en prison, mais pas ton esprit, Nico !

    Ça ne va pas être facile, mais je tiendrai bon. Je dois tenir, sinon je vais devenir une loque. L’horreur, quoi !

    Presque une semaine que je suis là et je n’arrive pas encore à m’ennuyer. Pourtant, les quelques mètres carrés de la cellule ne permettent guère de bouger. Quelques mètres carrés avec deux lits superposés, des armoires qui occupent tout un mur, deux chaises, un évier et un w-c. Pas de place pour se dérouiller les membres. Se coucher, s’asseoir. S’asseoir, se coucher. Pas beaucoup de variantes possibles. C’est dingue, c’est fou. Est-ce inquiétant ?

    Je me sens ici comme dans une bulle, protégé de l’extérieur. Calme. Tranquille. Comme si j’avais besoin de ce calme, de cette tranquillité quasi monacale.

    Ici, les gestes les plus ordinaires redeviennent primordiaux. Boire une tasse d’eau froide... Moi qui n’en buvais presque jamais, je la trouve délicieuse et rafraîchissante. Se raser, laver ses couverts. Tartiner du choco sur son pain. Chier. S’il y a bien un attentat à la pudeur, c’est ici que ça se passe, mais avec la bénédiction – aveugle –

    de Dame Justice.

    Non, je ne suis pas révolté. Mon sort, je l’accepte. C’est le prix d’une vie libre. Non pas libre de faire tout et n’importe quoi. La plupart des photos que les flics ont saisies chez moi l’avaient déjà été en 1998 et m’avaient été restituées soit par le Parquet de Verviers, soit par la Cour d’Appel de Liège. J’imagine mal qu’elles se soient métamorphosées en pédopornographie en vieillissant. Ce sont, pour l’essentiel des photos prises lors de mes nombreux périples à travers le monde, des photos prises à l’improviste dans des lieux publics. Des photos éparpillées parmi des centaines, des milliers d’autres photos que les juges ne voudront jamais voir parce qu’elles ne correspondent pas à l’image qu’ils veulent me coller. S’y ajoutent celles que j’ai piquées sur internet et qui, je dois le reconnaître, sont parfois loin de l’aspect anodin de mes photos de voyages. Pour les premières, j’imagine que n’importe quel avocat saura remettre les pendules à l’heure. Pour les secondes, ce sera évidemment plus difficile.

    Comme dit une maxime venue de je ne sais qui, de je ne sais où « on n’attribue aux autres que ce que l’on est capable de concevoir... ». Pardon, Madame la Juge, d’avoir eu cette pensée.

    De là à m’attribuer le label d’angélique, il y a un pas que je ne franchirai pas. D’autant plus que, c’est bien connu, tous les anges ne sont pas au paradis.

    Le paradis, ce n’est pas ici, même si je m’y sens, je l’ai déjà dit, plutôt à l’aise.

    Samedi, petite visite chez un des sous-directeurs. Surprise agréable. Il est plutôt jeune, d’un abord sympa. Il me fait comprendre que dans mon cas...

    – Vous avez quel âge ?

    – Soixante-cinq ans...

    – C’est la première fois que vous êtes incarcéré ?

    – Il faut un début à tout...

    Je bluffe sans doute quand je lui réponds ça. Mais l’entretien administratif se déroule très cordialement. En cellule, Marco dort. Une vraie marmotte. Moi, j’essaie de l’imiter, de récupérer les heures de sommeil de mes nuits trop courtes. Je dors peu depuis des années. Peut-être qu’ici, ça ira mieux.

    Ça ira mieux. Voilà. Il faut po-si-ti-ver  !

    Pour le petit-déjeuner, j’ai du pain. Sec, cela va de soi, un peu de café. Pour le beurre, pour les couverts, il faudra attendre...Vous savez la cantine, c’est le jeudi...

    – Et quand on arrive le vendredi soir ?

    – C’est comme ça. C’est le règlement.

    Ah oui, le règlement ! Mange du pain sec et respecte les directives. Mais ici, les gardiens sont très corrects et à midi, j’ai quand même droit à une assiette, un bol et des couverts en plastique. Ma cellule vient de gagner une étoile. Marco, lui, il dort... Je zappe sur quelques chaînes de TV. Marco, quand il l’allume, la met systématiquement sur RTL-TVI et ne met pas le son. Sourd comme il est, ça ne servirait à rien. Mais sa présence ici me choque bien plus que la mienne.

    Durant l’après-midi, régulièrement, les pigeons s’envolent du petit terrain vague derrière les cellules avec le bruit du volet qu’on ouvre. Le ciel est d’un bleu méditerranéen. C’est rare en février. En deux battements d’ailes, ils ont surmonté les barbelés. Les pigeons... Je repense à la blague parue dans La Libre il y a quelques mois : quelle est la différence entre un pigeon et un banquier ? - Le pigeon arrête parfois de voler ! Les pigeons volent, s’envolent.... Allez ! Il y a encore un monde, une vie dehors. Je ne connais pas la longueur de la parenthèse que je viens d’ouvrir. Le problème des parenthèses, c’est qu’elles sont toujours fermées.

    Dimanche. Le week-end, tout est au ralenti. Je prends une douche. (Désolé, Mourad, mais je suis on ne peut plus seul pour la prendre. Pas le moindre beur pour me niquer). Je prends petit à petit connaissance des mécanismes qui règlent la prison.

    Est-ce l’attrait de la nouveauté ? Toujours est-il que je suis persuadé que l’on peut crever davantage d’ennui dans les immeubles anonymes du centre-ville ou dans un home que moi dans ma cellule... Je ne sais pas. Moi, le temps passe. C’est déjà le souper. Marco dort.

    Lundi. La routine devrait reprendre son cours normal. Mais non. Il faut voir le médecin. C’est qu’on veut me garder en bonne santé pour le sacrifice final. Puis, passage pour une nouvelle prise d’empreintes digitales.

    – Mais je l’ai déjà fait...

    – Je sais, mais c’était pour la police, le Ministère de l’Intérieur. Ici, c’est pour le Ministère de la justice...

    Sourire de l’employé qui avait dû me récupérer car, livré à moi-même, je m’étais paumé dans le dédale des couloirs que je ne connais pas encore.

    – Vous savez bien que le gouvernement a de l’argent à gaspiller...

    Entre un second détenu pendant que je me lave les mains tachées par l’encre des empreintes digitales.

    – Votre taille ?

    – Couleur de cheveux ?

    Il sait pas.

    – Châtain... Ça ira châtain... Et vos yeux.

    Il sait pas non plus. Alors le fonctionnaire me demande très gentiment :

    – Vous ne voulez pas me dire la couleur des yeux de Monsieur car moi, comme je suis daltonien, je risque de me tromper...

    J’obtempère. Le garçon, costaud malgré sa binette, me fixe.

    – Gris. Je crois qu’ils sont gris...

    – Va pour gris !

    Et tourne la machine administrative. La paperasserie a encore de beaux jours devant elle.

    Après-midi, c’est l’assistante sociale qui veut me voir. Jamais tranquille dans ce bordel ! Soyons sérieux : ça me fait un bien fou de rencontrer quelqu’un qui ne dort pas et qui me permet de téléphoner à ma sœur. Annie. Pas affolée, calme et qui me rassure d’emblée.

    – La porte de la maison te restera toujours ouverte...

    Je lui ai envoyé une lettre ce matin même. Pour la rassurer et lui demander de passer un de ces jours, pas tellement pour m’aider à tenir le coup (Je crains fort que sa visite au parloir de la prison ne lui soit plus pénible que ne l’a été mon entrée en ce lieu), mais pour régler les aspects financiers de mon incarcération. À Thirimont, c’est moi qui réglais tout à travers un véritable puzzle de comptes bancaires. Il faudra bien que je lui explique quelques-unes des clés qui les régissent. Je ne voudrais pas que Jacques, mon frère, soit dans la mouise à cause de moi.

    Quand je rentre dans la cellule, Marco dort. C’est un leitmotiv. Mais je ne pourrai plus le répéter car on me change de crèche.

    – Pourquoi ? Y a un problème ?

    – Il est détenu et vous, vous n’êtes que prévenu. Vous ne pouvez pas cohabiter...¹

    Ah, le règlement ! Bien sûr, le règlement !

    Je passe du 150 au 146. Louis-Marie est plus jeune que Marco. La quarantaine. Au bout d’une heure, j’ai compris que le déménagement administratif n’était qu’un prétexte. Louis-Marie a connu quelques codétenus qu’il trouvait difficiles à vivre. (Il est là depuis plus de trois mois). Son moral est à zéro. Au bout d’une heure, il m’a raconté trois fois, si pas six, le problème qui l’a amené ici. Une histoire d’attouchement sur un mineur dont il avait la charge. Ne reste plus qu’à le convaincre que son crime ne le conduira pas à l’échafaud, qu’il est présumé innocent, que son avocat saura exploiter les failles du dossier, car d’évidence, il y en a... si ce qu’il me raconte est vrai. Mais n’avons-nous pas tout un chacun tendance à embellir notre histoire ? Je viens de passer du dormeur muet à l’insomniaque bavard. Mais à la nuit tombée, il est un peu plus cool. Il serait peut-être temps de penser à moi. Demain, je passe en chambre du conseil². Ah oui, j’oubliais ! J’ai rencontré l’avocat commis d’office. Il est très jeune, sympa. Mais sera-t-il à la hauteur des difficultés qui s’annoncent ? De ma volonté de ne pas jouer les carpettes tout en assumant mes responsabilités. A priori, je lui fais confiance. On verra demain à l’audience.

    Mardi. Comme la chambre du conseil est à 9 heures, on vient me chercher vers sept heures trente, avant le petit-déjeuner dont il faudra bien me priver. Je pars donc à jeun avec un agent. Ce n’est même pas un bon mot. Mais c’est l’agent un peu rondouillard qui m’a accueilli vendredi soir.

    – Tu as eu des problèmes avec Marco ?

    – Non. Comment veux-tu avoir des problèmes avec un homme qui dort tout le temps ?

    – Alors ?

    Je lui explique le sacro-saint règlement invoqué pour le transfert chez Louis-Marie.

    – Ouais. Parfois on l’applique.

    J’ajoute :

    – Je crois surtout qu’on cherchait quelqu’un qui a le moral pour redoper Louis-Marie...

    Sourire.

    – Je ne connais pas bien ce détenu...

    Le règlement. J’y reviens avec une autre anecdote.

    Hier, en rentrant de chez l’assistante sociale, le chef de quartier me signale que l’on m’a mis d’office en section protégée³. Ce dont je ne me plains pas. Il faudra donc que j’introduise une demande officielle si je veux y rester. La réponse venue de je ne sais trop où me fera sourire : Mais vous y êtes déjà ! Point d’exclamation compris. Ma demande était parfaitement inutile. J’aimerais comprendre quel est le règlement qui est appliqué par tout le monde aux trois étages de la prison, aux 250 détenus qui y croupissent.

    Reprenons ma route vers la chambre du conseil. Au bout du parloir de la prison, il y a quatre flics baraqués comme des Rambos, révolver à la ceinture. Je suis accompagné d’un jeune type qui ne s’exprime qu’en allemand et qui, pendant la grosse demi-heure d’attente dans le local d’activités n’a fait qu’arpenter la salle en marmonnant des mots incompréhensibles. Il a vérifié chaque clenche des portes, chaque interrupteur, ouvert et refermé quelques fois les fenêtres de la pièce. Il ne tenait pas en place. Enfin, nous allons pouvoir partir. Après une fouille au corps. Un policier nous tâte la poitrine, l’abdomen, les cuisses, les mollets, vérifie que nos chaussures ne contiennent pas d’objets illicites. Le règlement, n’est-ce pas ? Clic. Une menotte à mon poignet gauche. Clic. Une menotte au poignet droit du mec et nous voilà embarqués, sirènes hurlantes, vers le palais tout proche. Les menottes, c’est important. Surtout enlever un maximum de dignité aux prévenus. Bien leur faire comprendre qu’on ne croit pas une seconde qu’ils pourraient ne pas être coupables. Ça me fait penser au proverbe arabe (Pardon Mourad !) : Bats ta femme tous les jours, si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait !

    Entrée triomphale par la cour intérieure du Palais. Dans le hall, il y a une douzaine de cages d’un mètre de large, deux mètres de haut et cinquante à septante centimètres de profondeur. Certaines contiennent deux détenus. Des fauves en fait. On fait exactement ce qu’il faut pour les rendre sauvages avant qu’ils ne pénètrent dans le bureau où Madame la présidente, Madame la procureure, la juge d’instruction et la greffière, bien propres sur elles, nous attendent, l’un après l’autre, affaire après affaire. L’accueil dans ce hall est à la hauteur de mon appréhension.

    – Sale pédé ! Pédé de merde ! Fils de chienne !

    Pardon maman ! Tu ne méritais pas ce flot d’injures...

    Puis je me retrouve, seul, sans menottes cette fois, dans un des cagibis. Dans les cages autour de moi, ça hurle, ça frappe, ça tambourine, ça s’impatiente. Avec, parfois, des plages inattendues de calme. Surtout rester serein. Ne pas craquer. Tenir tête. Ce cirque, si médiocre soit-il, se joue sans toi, Nico. Cette forme de justice relève du Moyen Âge, elle est indigne d’une démocratie du XXIe siècle. Allez, cesse de philosopher : c’est ton tour

    – Veuillez retirer les mains de vos poches !

    C’est sec comme une trique. Madame la présidente a en effet un côté trique. Pas évident de dégeler ce bloc de glace. Je n’y pense même pas. En quelques mots, la juge (Anne-Laure) résume le dossier. Madame la procureure embraye et appuie sur l’accélérateur. Mon tout jeune avocat me défend comme il peut, mais il sait aussi bien que moi que la cause est entendue.

    – Vous souhaitez vous exprimer ?

    – Oui !

    Les yeux de la juge pétillent. Je sens qu’elle aime croiser le fer avec un prévenu. Ceux de Madame la présidente s’assombrissent. Pour ceux de Madame la procureure, je ne sais pas. Je remarque juste son décolleté et la naissance (juste un peu et pardon de mon indiscrétion !) des seins de la représentante suprême de la justice à Verviers.

    Elles attendent que je conteste, que je minimise, que je réfute. Désolé de les décevoir mais, d’emblée, j’avance :

    – Oui. J’ai commis une connerie d’autant plus conne que j’avais des antécédents judiciaires⁴. Oui, je suis coupable d’avoir détenu des images que je n’aurais pas dû détenir et vous trouverez sur mon ordinateur la trace d’un grand nombre d’images que vous jugerez, à juste titre sans doute, dégueulasses. Je veux vous rassurer tout de suite : je n’irai pas en appel et j’accepte la décision que vous prendrez quelle qu’elle soit. Je souhaite par ailleurs profiter de mon passage à la prison pour entamer les démarches pour un suivi psychologique. (Arrête, Nico, encore un peu et tu vas les supplier de te garder...)

    Les réactions sont à la hauteur de leur scepticisme.

    Je pourrais récidiver. (Qui ne le pourrait pas ?) Mais je n’ai plus d’ordinateur. Je constitue une menace pour la société. Ne demandez pas qui je menace : c’est LA société. Celle qui fabrique des fauves, qui ne fait rien, ou si peu, pour les sortir de leur cycle infernal. Je pourrais fuir à l’étranger. Anne-Laure a quand même le bon goût de reconnaître qu’elle n’y croyait pas une seconde. J’essaie encore, avec quelques mots plus maladroits sans doute, moins vindicatifs, de leur expliquer qu’elles trois, elles avaient sans doute la chance de mener une vie sexuelle harmonieuse (je le leur souhaite en tout cas). Que moi, pédé dans une zone rurale, c’était beaucoup moins évident. Que l’image était souvent le seul moyen de fantasmer un peu, d’alimenter des rêves... Nico, tu dérailles de leur balancer tout ça...

    Oui. Je déraille sans doute, mais

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