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Sous la direction de

Youssef Sadik et Petia Koleva

RSE et développement
durable : Regards croisés
Sud-Nord

2021
Cet ouvrage a bénéficié du soutien financier d’Université de Paris
Les opinions exprimées dans le présent ouvrage n’engagent que leurs auteurs

Dépôt Légal :
ISBN : 978-9954-593-79-0
Conception : Nadacom Design
Imprimerie : BIDAOUI
Edition 2021
Remerciements
Nous tenons à adresser nos vifs remerciements à la
Faculté « Sociétés et Humanités » (Université de Paris)
pour son soutien financier à la réalisation de cet ouvrage

Youssef Sadik et Petia Koleva


Sommaire
Introduction générale
Youssef Sadik et Petia Koleva...................................................... 9

Première Partie. La RSE :


controverses théoriques et enjeux pratiques
Chapitre 1.
Le Global Compact des Nations-Unies entre RSE explicite et
implicite. Une recherche exploratoire des réseaux locaux états-
unien, français et allemand
Amel Ben Rhouma et Petia Koleva............................................ 19

Chapitre 2.
Les labels nationaux RSE: quel sens pour quelle appropriation?
Une analyse du label RSE marocain
Fedwa Jebli, Diane-Gabrielle Tremblay, Jamal El baz, Ilias
Majdouline................................................................................ 37

Chapitre 3.
La GRH socialement responsable : quel impact de la RSE sur les
pratiques RH au Maroc ?
Yassine Boudi et Jalila Ait Soudane........................................... 59

Chapitre 4.
La RSE comme un désenchantement du discours managérial : le
cas des entreprises de télécommunication au Maroc 
Youssef Sadik et Meryem Senhaji.............................................. 81
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Chapitre 5.
La pratique de l’entrepreneuriat social et du Social Business par les
entreprises marocaines en Afrique subsaharienne 
Jihad Ait Soussane et Zahra Mansouri..................................... 119

Deuxième Partie:
Le développement durable et communautaire
Chapitre 6.
Le développement durable des universités à l’épreuve des stratégies
de certification
Rachid Moustaquim, Youssef Sadik, Abdellatif Tahir................ 139

Chapitre 7.
Engagement et responsabilité communautaire des entreprises
collectives dans la consolidation des efforts du développement
durable au Canada
Rachid Bagaoui....................................................................... 169

Chapitre 8.
Engagement communautaire de l’ESS et développement territorial
au Maroc
Khadija Askour........................................................................ 183

Chapitre 9.

L’éducation à l’environnement et au développement durable : un


nouvel objet de légitimation des ONGs au Maroc
Youssef Sadik et Widad Jodie Bakhella.................................... 209

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Chapitre 10.
La responsabilité sociale de l’entreprise ou la responsabilité
sociétale de l’organisation : quel rôle pour le mouvement syndical
québécois?
Diane Gagné........................................................................... 233

Chapitre 11.
La RSE comme objet-frontière. Quelques pistes de dialogue en
sciences sociales
Petia Koleva............................................................................ 263

Présentation des contributeurs................................................ 277

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Introduction générale

Youssef Sadik et Petia Koleva

Depuis une quinzaine d’années, les pays du Sud vivent au rythme


de profondes transformations économiques, politiques, sociales
et environnementales. Les mutations économiques inhérentes
aux pays émergents– en particulier l’essor de la production
industrielle et des services et l’insertion dans les marchés
mondiaux– s’accompagnent d’une montée en puissance des
enjeux environnementaux et sociaux soulevés par l’activité des
entreprises nationales et étrangères. Dans le domaine social,
alors que la population prise dans son ensemble bénéficie de
la croissance économique soutenue, les inégalités en termes
de qualification, de conditions de travail et de rémunération se
creusent, soulevant ainsi la question de la nature inclusive de
cette croissance. Dans le domaine écologique, on assiste à une
multiplication des conflits entre les grandes entreprises et les
acteurs locaux autour de l’exploitation des ressources naturelles,
l’accumulation des pollutions etc. Ces tendances rejoignent des
préoccupations déjà existantes dans les pays du Nord, regroupées
sous le vocable générique de « développement durable ».
Même si la rentabilité demeure toujours un moteur majeur des
décisions des entreprises, les bénéfices des actions en faveur de
l’environnement et du capital humain ne peuvent plus être relégués
au second plan.La prise en compte de la Responsabilité Sociale (ou
sociétale) de l’Entreprise (RSE) devient un enjeu essentiel pour les
entreprises en matière de croissance, de gestion des risques (sociaux,
environnementaux et financiers), de retour sur investissement et
de création de valeur. Mais c’est aussi l’occasion pour elles de
mettre en avant leur activisme face aux problématiques soulevées

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

par le développement durable, tout en passant sous silence leur


rôle dans l’aggravation de ces mêmes problématiques. En effet,
l’engagement social dans le Sud soulève de nombreux débats à
propos de ses répercussions sur les pratiques managériales, sur
la réglementation, sur l’être humain et sur la société en général,
opposant généralement les « optimistes » et les « pessimistes ».
Ces débats sont d’autant plus difficiles à trancher qu’il n’existe
ni une définition universelle de la RSE, ni une homogénéité pour
ce qui est du déploiement de ses pratiques à travers le monde.
Selon les uns, le processus d’émergence économique doit être
vu surtout comme une opportunité d’élaborer de nouveaux
modèles de RSE, différents de ceux mis en lumière dans les pays
développés, et rompre avec l’image de passivité des territoires
du Sud véhiculée par de nombreuses études sur les stratégies des
firmes multinationales du Nord. Pour d’autres, la question de la
recomposition des relations entre entreprises et société dans les
territoires du Sud ne saurait se limiter à la RSE. Comme au Nord,
elle invite à s’interroger sur l’existence et la qualité des institutions
qui peuvent agir en tant que régulateurs ainsi que sur le rôle de la
société civile dans le contrôle des activités des acteurs (entreprises,
syndicats, consommateurs, sous- traitants, etc.) au niveau national.
Dans cette perspective, il s’avère nécessaire d’interpeller les
concepts et les paradigmes qui épaulent le discours et les
pratiques managériales de la RSE accusés parfois de reposer
sur l’instrumentalisation et la légitimation de l’image sociale de
l’entreprise. Alors que de nombreuses publications portent sur les
dimensions et les pratiques de la RSE dans les pays développés,
cet ouvrage a pour originalité d’explorer les formes de la RSE dans
le contexte du Sud (avec un focus spécifique sur le Maroc), à la
lumière de catégories et d’expériences de RSE dans les pays du
Nord. Le contexte de cette zone du Sud favorise-t-il les formes

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

plutôt « explicites » ou plutôt « implicites » de la RSE observées


dans les pays du Nord ? Dans un contexte où la répartition du
pouvoir est problématique et la corruption généralisée, la RSE
peut-elle favoriser l’avènement d’une nouvelle gouvernance
partenariale et plurale ?
Au-delà de ces questions relatives aux pays du Sud, il en existe
d’autres, de portée plus générale. Ainsi, si les problèmes sociaux
concernant par exemple la relation employés-employeurs sont
très récurrents dans certaines zones, la pertinence du « dialogue
social » (renforcée par l’engagement institutionnel) mérite d’être
discutée. En effet, ce modèle idéal (par rapport au modèle syndical
« revendicatif ») paraît peu réaliste face aux conflits sociaux
parfois violents. Quelle est donc l’adéquation entre la dimension
idéologique et politique de la RSE d’une part, et la réalité sociale
de l’autre ?
Finalement, l’une des questions essentielles reste de concilier
les impératifs d’efficacité économique et de justice sociale dans
un contexte mondialisée et un marché généralisé. Cette vision
utilitariste revient à s’approprier la RSE de manière opportuniste.
En suivant cet objectif, les acteurs ne soumettent-ils pas la
gestion du social à l’économique limitant ainsi la crédibilité et le
développement de la démarche elle-même?
Les regards croisés de chercheurs en sciences sociales (économie,
sociologie, sciences de gestion, sciences de l’éducation) du Sud et
du Nord permettront de répondre à ces questions en mettant en
avant les défis et les obstacles auxquels se heurtent les entreprises
et les organisations, toutes tailles confondues, lors de l’inscription
de la RSE dans une perspective de développement durable.
L’ouvrage comprend deux parties. La première est dédiée aux
approches théoriques, aux normes et aux enjeux pratiques de la

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

RSE et la seconde au développement durable et communautaire


(au sens nord-américain du terme qui renvoie à des problématiques
territoriales).
Les deux premiers chapitres abordent la question des normes de
la RSE dans les pays du Nord et du Sud. Le chapitre d’Amel Ben
Rhouma et Petia Koleva nous amène à découvrir les dimensions
de la RSE dans trois espaces socio-culturels différents (Allemagne,
Etats-Unis, France) où se déploie l’initiative Global Compact des
Nations-Unies. Partant d’un premier travail exploratoire qui a
débuté en avril 2020, les auteures proposent une perspective très
peu explorée dans la littérature – celle des réseaux nationaux du
Global Compact. L’objectif est double : identifier les éventuelles
différences entre ces réseaux et comprendre la/les logiques de RSE
qu’ils véhiculent à l’échelle nationale. A la différence de certains
travaux qui considèrent le Global Compact comme un instrument
de la RSE explicite, ce dernier apparait comme un cadre intégré
plus complexe où coexistent la logique explicite et la logique
implicite, avec un dosage différent selon les pays.
Le chapitre de Fedwa Jebli, Diane-Gabrielle Tremblay, Jamal El
baz, Ilias Majdouline met en exergue le développement rapide des
pratiques de la RSE dans les entreprises marocaines et interpelle les
démarches d’institutionnalisation de la RSE promus par les standards
et les normes. Alors que nous assistons au développement des
démarches de certification et de labélisation à caractère national
ou sectoriel dans les pays développés, ce sujet reste sous-exploré
dans les pays émergents. L’étude se focalise sur le cas du label RSE
marocain développé par la Confédération patronale CGEM et met
en évidence ses caractéristiques, les particularités de son usage et
plus globalement sa place dans la diffusion de la RSE au Maroc.
Dans un environnement turbulent, l’entreprise est continuellement
à la recherche d’issues lui permettant d’assurer sa pérennité. Pour

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Yassine Boudi et Jalila Ait Soudane, un des moyens pour atteindre


cet objectif réside dans l’intégration des pratiques socialement
responsables dans la gestion des ressources humaines (GRH). La
RSE est ici pensée comme un concept-pivot, susceptible d’initier
une refonte du système de GRH. Elle est envisagée comme un
processus exploratoire et managérial qui vise à enrichir la vision
stratégique de l’entreprise, voire de poser les fondements d’une
nouvelle GRH.
Partant des discours des entreprises de télécommunication
marocaines en matière de responsabilité sociale,le travail présenté
par Youssef Sadik et Meryem Senhaji propose une évaluation de
cette démarche à partir de l’expérience vécue des employés. Il
repose sur une étude longitudinale des publications RSE d’une
part, et sur des entretiens réalisés avec les employés à propos
des pratiques de GRH d’autre part. Les résultats de cette étude
permettent de dire que la GRH des opérateurs marocains se
développe dans le cadre d’une démarche RSE, mais sous l’effet de
plusieurs forces conjuguées qui sont parfois sources de tensions et
de problèmes sociaux.
Jihad Ait Soussane et Zahra Mansouri pensent que les entreprises
sociales, en tant que catégorie d’organisations cherchant à créer
une valeur économique et sociale à long terme pour les populations
marginalisées, méritent davantage l’attention des décideurs, des
praticiens et des universitaires. Ils examinent la manière dont les
firmes multinationales et grandes entreprises marocaines (OCP,
SOTHEMA, BMCE, AWB, ONEE, etc.) appliquent une stratégie
d’entrepreneuriat social dans les pays de l’Afrique Subsaharienne.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage les auteurs dressent un
bilan non exhaustif des pratiques de développement durable et
communautaire engagé par des acteurs de différents horizons

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

institutionnels. Le chapitre de Rachid Moustaquim, Youssef


Sadik, Abdellatif Tahir constate que les nombreux travaux
relatifs à la certification en matière de développement durable (DD)
des différentes organisations laissent de côté le cas des universités.
Leur recherche se base sur l’étude de cas de deux universités
canadiennes : l’une adopte les certifications en matière de DD,
et l’autre ne les adopte pas. L’étude démontre que la certification
en matière de DD amène les universités qui l’adoptent à mieux
intégrer les pratiques de durabilité dans l’ensemble de leurs
activités, à la différence des établissements non certifiés où l’on
observe une intégration partielle de ces pratiques.
Rachid Bagaoui développe une lecture dynamique des multiples
formes de solidarité communautaire dans des moments de crise
économique. Face à la montée du chômage qui frappe durement les
petites régions mono-industrielles du Canada, plusieurs initiatives
de Développement économique communautaires (DEC) ont vu le
jour pour rompre la dépendance économique face à l’employeur
unique. Elles couvrent des activités de production de biens et de
services, la formation, l’insertion, etc. Quel est leur engagement
dans la revitalisation de leur milieu et quelles sortes de pratiques
innovantes inventent-elles ? Le cas d’une entreprisse collective, la
Maison Verte, illustre l’étendu des possibilités qu’une entreprise
de ce type peut réaliser lorsqu’elle est animée par l’engagement
dans son milieu. Cependant, les actions menées en faveur de
la consolidation du modèle de développement sont loin d’être
suffisantes.
Pour Khadija Askour, l’économie sociale et solidaire (ESS) est un
secteur qui mobilise un certain nombre de dimensions comme
la solidarité et la démocratie, et participe activement aux besoins
communautaires. Ces dernières années, une attention particulière
lui est donnée au niveau des politiques publiques, y compris dans

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

les pays du Sud, prônant une approche localisée du développement


par le bas. Si l’émergence de l’ESS au Maroc date des années
2000, elle remonte en fait aux traditions culturelles et ancestrales
des espaces en marge du système socioéconomique et en mal
de développement. Ce chapitre interroge la place de l’économie
sociale et solidaire dans le développement territorial au Maroc au
regard d’expériences réussies de l’engagement communautaire
dans des espaces et des contextes socioculturels différents.
Le chapitre de Youssef Sadik et Widad Jodie Bakhella s’intéresse à
l’évolution de la société civile au Maroc et son engagement en faveur
des questions d’environnement et de développement durable. Les
auteurs montrent qu’à partir des années 1990, la société civile s’est
fortement imposée au Maroc comme un véritable partenaire du
développement économique et social du pays. Parmi les dossiers
pris en charge par la société civile, l’Education à l’Environnement et
au Développement Durable (EEDD) occupe une place importante.
Grâce à son approche de proximité, le champ relatif aux questions
d’éducation à l’environnement et au développement durable,
et dans une moindre mesure aux questions de sensibilisation à
l’environnement et au développement durable, s’avère être bien
adapté à la démarche et au mode d’action des associations.
A la différence de la plupart des contributeurs de cet ouvrage,
plutôt que de parler de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE),
Diane Gagné préfère raisonner en termes de « responsabilité
sociétale des organisations (RSO) » (Turquotte, 2013). La RSO
s’applique à un champ plus large d’organisations, parmi lesquelles
les syndicats. L’auteure cherche à établir si le mouvement syndical
est un contrepouvoir ou une partie prenante à la RSO. A partir
d’une revue de la littérature et d’entretiens avec quatre cadres
syndicaux de la région du Québec (Canada), elle conclut que
si dans le cadre de la négociation de conventions collectives le

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

syndicat est plutôt un contrepouvoir au sens strict de négociateur


des conditions de travail, dans les faits en tant qu’organisation, il
est partie prenante du changement en termes de justice sociale,
d’acceptabilité sociale et de développement durable.
Enfin, le dernier chapitre est une invitation à poursuive la réflexion
interdisciplinaire sur la RSE et le développement durable engagée
dans cet ouvrage. Petia Koleva explique en quoi la RSE en sciences
sociales constitue un objet frontière susceptible de se transformer en
objet épistémique. Cette dernière notion provient de la philosophie
des sciences où il fait référence à une « chose » que les humains
peuvent et veulent savoir. L’auteure esquisse trois pistes pour cette
transformation : la référence aux théories institutionnalistes des
organisations, à la philosophie pragmatiste de la connaissance et à
l’abduction comme méthode de recherche privilégiée.

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Première Partie
La RSE : controverses théoriques et
enjeux pratiques
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Le Global Compact des Nations-Unies entre


RSE explicite et implicite
Une recherche exploratoire des réseaux locaux états-unien,
français et allemand

Amel Ben Rhouma et Petia Koleva

Introduction
Ce texte s’inscrit dans un projet de recherche plus vaste qui
vise à étudier, d’une part, l’impact des crises sur l’articulation
des différentes composantes de la RSE, et d’autre part, le
rôle des cadres de référence internationaux comme vecteur
d’homogénéisation ou, au contraire, de maintien de la diversité
des modèles nationaux de RSE.
Le Global Compact (désormais GC) est reconnu comme l’une
des initiatives internationales les plus importantes en matière de
responsabilité sociale des entreprises (RSE) (Brown et al. 2018 ;
Orzes et al. 2018, etc.). Cet instrument normatif des Nations
Unies, lancé en 2000, se fonde sur des principes universellement
reconnus. La participation au Pacte mondial nécessite un
engagement du directeur général – ou équivalent, pour les entités
non commerciales – avec le soutien du Conseil d’administration.
Cela engage l’organisation à assumer des responsabilités
fondamentales dans quatre domaines : les droits de l’homme, le
travail, l’environnement et la lutte contre la corruption et à faire
un reporting régulier. Comptant 44 entreprises au départ, le GC a
commencé à prendre de l’ampleur au milieu de la décennie 2000.
Plusieurs réseaux nationaux ont alors été créés pour mieux répondre

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

aux besoins des participants. Aujourd’hui, l’initiative regroupe plus


de 14000 participants provenant de 166 pays différents.
En dépit de son importance, sa large diffusion et un certain intérêt
de la part des chercheurs, le GC a fait l’objet de très peu d’études
empiriques, comme le souligne une récente revue systématique
de la littérature menée par Orzes et al. (2018). Notre travail vise
donc à apporter des éléments empiriques supplémentaires pour
contribuer à une meilleure compréhension de la plus grande
initiative volontaire dans le champ de la RSE. Plus précisément,
notre recherche se focalise sur les réseaux nationaux du GC
dans le monde. L’objectif est double : identifier les éventuelles
différences entre ces réseaux et comprendre la/les logiques de RSE
qu’ils véhiculent à l’échelle nationale. Selon Brown et al. (2018),
l’initiative GC doit être considérée comme une forme intégrée de
RSE avec des éléments implicites et explicites. Notre hypothèse est
que le dosage de ces différents éléments varie selon le contexte
national. Le réseau national du GC, au cœur de la RSE contextuelle,
est donc à la fois le reflet d’un modèle de RSE formé au terme d’un
processus historique et institutionnel propre à un pays (Matten
et Moon, 2008) et le diffuseur d’une logique dominante de RSE
explicite ou implicite. Pour illustrer et tester notre proposition de
recherche, nous avons choisi de nous focaliser dans une phase
exploratoire sur les cas des réseaux locaux américain, français et
allemand. L’étude empirique est basée sur l’analyse de contenu
des trois sites locaux du GC sur la base d’une grille de codage issue
de notre développement théorique et cadre d’analyse.
1. Ancrage théorique de la recherche
1.1. Théorie institutionnelle, variétés du capitalisme et RSE
Les approches institutionnelles contemporaines offrent des
outils analytiques stimulants pour comprendre les différences

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

transnationales dans la RSE (Aguilera et Jackson, 2003 ; Campbell,


2007 ; Koleva et al., 2010 ; Ho et al., 2011 ; Ben Rhouma et
al., 2018 ; François et al., 2019). L’approche par la variété des
capitalismes (Hall et Soskice, 2001) et sa transposition à l’étude
de la RSE en Europe et aux Etats-Unis (Matten et Moon, 2008)
constituent le point de départ théorique de notre analyse. Sur
la base des différences institutionnelles et des mécanismes de
coordination liés aux relations professionnelles, à la formation et
à l’enseignement professionnels, à la gouvernance d’entreprise,
aux relations interentreprises et aux relations avec les employés,
Hall et Soskice (2001) distinguent deux catégories de pays : les
économies de marché libérales (EML) (par exemple, les États-Unis)
et économies de marchés coordonnés (EMC) (comme la plupart
des pays européens). Les EML et les EMC présentent des différences
systématiques sur leurs marchés, ce qui se traduit par des systèmes
économiques et des contextes institutionnels différents. Les
stratégies de RSE résultent des choix faits par les entreprises mais
s’inscrivent dans les contextes institutionnels sociaux, politiques et
économiques plus larges du pays (Matten & Moon, 2008). Ainsi,
dans la mesure où la RSE d’une entreprise reste contextualisée
par le cadre institutionnel national, il convient de trouver des
différences dans la manière dont ces responsabilités se manifestent
et sont mises en œuvre. À ce titre, Matten et Moon (2008) parlent
de RSE explicite et implicite. La RSE explicite repose en grande
partie sur la discrétion des entreprises individuelles, plutôt que sur
l’autorité gouvernementale ou les exigences institutionnelles ; il
n’existe aucun mandat sociétal ou gouvernemental en tant que tel
qui précise la nature ou l’étendue de la pertinence de la RSE. La
RSE implicite quant à elle, est basée sur les attentes du rôle d’une
entreprise « au sein des institutions formelles et informelles plus
larges pour les intérêts et les préoccupations de la société» (Matten
& Moon, 2008, p. 409). Selon les auteurs, cette grille possède un

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

triple intérêt : descriptif (comprendre le contenu des pratiques RSE


et leur sous-bassement institutionnel), instrumental (mettre en garde
les entreprises contre les dangers des stratégies universelles de
RSE) et normatif (proposer une vision plus complexe et dynamique
de la RSE que celles qui la considèrent soit comme substitut à la
régulation étatique, soit au contraire comme un outil de window-
dressing).
1.2. Comment et pourquoi le déploiement du GC en tant
qu’initiative de RSE pourrait-il varier entre les Etats Unis,
la France et l’Allemagne ? Proposition d’un cadre d’analyse
Le contexte institutionnel qui existe dans une économie de marché
libérale telle que les États-Unis, incite davantage les entreprises à
entreprendre des initiatives de RSE explicites. En comparaison, le
système économique national dans la plupart des pays européens
se caractérise par une part importante de propriété directe ou de
propriété d’alliances, notamment par le biais de réseaux de banques,
de compagnies d’assurance ou même d’acteurs gouvernementaux.
Dans ces EMC, la RSE est reconnue comme « le rôle de l’entreprise
au sein des institutions formelles et informelles plus larges pour les
intérêts et les préoccupations de la société », et ses politiques et
programmes sont « motivés par le consensus de la société sur le
rôle et les contributions légitimes des entreprises» (Matten et Moon,
2008, p. 410). Les institutions nationales encouragent, imposent
et même contraignent légalement les entreprises à assumer des
obligations sociales en termes collectifs plutôt qu’individuels.
En d’autres termes, les politiques de RSE ne sont pas considérées
comme un choix fait par les entreprises individuelles mais devraient
plutôt être universellement adoptées par toutes les entreprises pour
le plus grand bien de la société.

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Le cadre de la RSE explicite/implicite a été récemment transposé


par Brown et al. (2018) du niveau national d’analyse au niveau du
GC. Les auteurs considèrent le GC comme une initiative publique-
privée reflétant les fondements institutionnels de l’ONU et ses
récents programmes de développement social. En s’appuyant sur
la théorie des logiques institutionnelles (Thornton et al., 2012), ils
proposent trois attributs permettant de qualifier le GC comme RSE
implicite : son optique communautaire, son identité collective et
la structuration par des valeurs ; et trois autres attributs permettant
de le caractériser comme RSE explicite : l’optique de marché,
l’identité au niveau de l’entreprise et la structuration par les
politiques volontaires de l’entreprise.
Comme nous l’avons souligné en introduction, le GC monde
s’est concentré au milieu des années 2000 sur la création de
réseaux locaux dans la plupart des pays reconnus par l’ONU.
Le réseau local se trouve alors confronté aux pratiques de RSE
dominantes à l’échelle des pays et qui résultent (comme démontré
précédemment) des caractéristiques institutionnelles du pays et son
modèle de capitalisme. Ces éléments institutionnels et la RSE qu’ils
produisent sont susceptibles d’influencer la logique qui sera mise
en avant par le réseau local du GC pour gagner en légitimité et
attractivité auprès des entreprises. Nous nous attendons à ce que,
le réseau local américain mette en avant une logique RSE explicite.
A l’inverse, les réseaux allemand et français du GC adopteraient
des logiques plus implicites. La figure 1 ci-dessous synthétise notre
cadre d’analyse :

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Figure 1 : Cadre d’analyse des réseaux locaux du GC

2. Méthodologie
Pour mener à bien l’étude comparative des trois réseaux locaux
américain, français et allemand, nous avons effectué une analyse
triangulaire de leurs sites internet en avril 2020. Tout d’abord,
nous avons recensé la participation au GC dans les trois pays.
Ensuite, nous avons comparé la forme et le fond des trois sites
en fonction de trois critères : i. principales rubriques du menu et
du header ; ii. Organisation des rubriques et description générale
des contenus ; iii. Activités proposées par le réseau national.
Enfin, pour comprendre la/les logique de RSE véhiculée(s) par les
réseaux nationaux, nous avons conduit une analyse qualitative du
contenu des principales pages de leurs sites internet à l’aide de
notre grille de codage théorique (tableau 1). Pour cela, nous avons
commencé par capturer les pages Web à l’aide de l’outil Ncapture
compatible avec le logiciel de traitement des données qualitatives
Nvivo 11. Ensuite, nous avons créé des nœuds correspondants aux
différentes rubriques de notre grille de codage et réalisé l’encodage
des pages web exportées. L’encodage consiste en un processus de

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

regroupement du matériel d’étude dans les différents nœuds. Pour


améliorer la validité des codes et la fiabilité externe du processus de
codification et d’analyse des données qui en découle, nous avons
procédé à un double codage, conformément aux préconisations
de Miles et Huberman (1994), avec deux codeurs différents.
Tableau 1. Grille d’analyse de contenu des sites internet des réseaux
locaux du GC

Attributs de la RSE explicite Attributs de la RSE implicite

1.Logique communautaire 1.Logique de marché


Mise en avant d’éléments Mise en avant des avantages de
normatifs et symboliques l’adhésion pour les entreprises
2. Identité collective 2. Identité au niveau de
Mise en avant de la collaboration l’entreprise
et la contribution des adhérents Mise en avant de l’autonomie
à l’émergence d’un nouveau dont peuvent jouir les membres
« contrat social »
3. Attention des membres 3. Attention des membres
structurée par les valeurs structurée par les activités
Priorité à la légitimité des corporatives volontaires
problématiques abordées par L’adhésion au GC est un
GC et au rôle politique des argument de communication
entreprises RSE auprès des parties prenantes

(source : adapté de Brown et al. (2018))

A titre d’exemple, sur la page d’accueil de son site et la rubrique


« nous rejoindre », le GC France met en avant une logique
communautaire en axant sa présentation sur les principes universels
comme l’illustre le passage suivant : « Le Global Compact France
offre à ses membres un cadre d’engagement volontaire construit
sur la base de dix principes à respecteren matière de droits

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

humains, de droit du travail, d’environnement et de lutte contre la


corruption ». Dans les rubriques correspondantes du site internet
du réseau américain c’est une logique de marché qui prédomine.
En effet, l’accent est mis sur l’avantage différentiel que l’adhésion
au GC pourrait apporter aux entreprises : « Que vous commenciez
tout juste à adopter des pratiques commerciales durables ou que
vous soyez déjà en route, rejoignez le Pacte mondial des Nations
Unies pour faire une différence encore plus grande »1. 
Par ailleurs, dans une des rubriques de son site internet, le réseau
allemand met en évidence l’identité de l’entreprise en soulignant
que «la durabilité de l’entreprise commence par le système de
valeurs d’une entreprise et une approche fondée sur des principes
pour faire des affaires»2 par opposition au réseau français qui met
l’accent sur l’identité collective en stipulant que : « Les entreprises
et organisations à but non lucratif ont un rôle essentiel à jouer dans
la construction de sociétés plus stables, inclusives et durables ».
3. Résultats et discussion
3.1. Des trajectoires différentes en termes de création et de
participation aux réseaux
L’historique des trois réseaux fait apparaître des différences
fondamentales en termes de temporalité, de forme et d’acteurs
fondateurs. Ainsi, le GC Allemagne a été l’un des tous premiers
réseaux locaux lancé à l’initiative de grandes entreprises
allemandes au moment de la création du GC monde en 2000. En
2001, la coordination du réseau a été reprise par l’actuel organisme

1-Traduction propre de “Whether you are just beginning to adopt sustainable business
practices or already on your way, join the UN Global Compact to make an even greater
difference”.
2-Traduction de: “Corporate sustainability starts with a company’s value system and a
principled approach to doing business”.

26
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

allemand de coopération internationale GIZ3. Le lancement officiel


du réseau local français a eu lieu en 2002 dans les locaux de l’Elysée
puis en 2005, le GC France s’est fondé en tant qu’association loi
1901. Quant au GC USA, il n’a été lancé qu’en 2007 sous la forme
d’une plateforme d’échanges entre différents acteurs.
Figure 2. Evolution de la participation au Global Compact en France,
Allemagne et Etats-Unis, 2000-2020

(Source : élaboration personnelle d’après les données archivées sur le site du GC monde)

Les différences entre les réseaux se confirment en analysant


l’évolution de la participation au GC dans les trois pays (cf.
figure 2). En effet, celle-ci croît plus rapidement en France
que dans les deux autres pays. En avril 2020, la France totalise
autant de participants que l’Allemagne et les Etats-Unis pris
ensemble. Cette trajectoire ascendante reflète le rythme soutenu
des initiatives politiques et législatives françaises en lien avec
les thématiques du GC au cours des deux décennies, depuis
l’adoption de la première Stratégie nationale de développement
durable (2003) à la loi « Pacte » (2019), en passant parla loi NRE
(2001), le Grenelle de l’environnement (2007) et la COP-21
3- Deutsche Gesellschaftfür Internationale Zusammenarbeit

27
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

(2015). Les répercussions internationales de cette COP ont été


importantes, y compris outre-Atlantique – en 2019, deux-cents
investisseurs institutionnels ont demandé à 47 des plus grandes
sociétés américaines cotées en bourse d’aligner leurs activités de
lobbying sur les objectifs de l’Accord de Paris4 – d’où un pic relatif
d’adhésion au GC dans le pays. Toutefois, sur la période étudiée,
le GC ne suscite pas le même engouement qu’en France, pour
deux raisons principales liées au contexte américain : la crainte
des entreprises de poursuites judiciaires en cas de non-respect
des engagements explicites pris et le scepticisme général envers
l’ONU (Cavanagh, 2004 ; Hemphill, 2005 ; Hoessle, 2014).
En Allemagne, une accélération des adhésions est également
observée ces dernières années mais pour d’autres raisons qu’aux
Etats-Unis. Elle coïncide avec la transposition, en 2017, dans
le droit allemand de la directive européenne sur le reporting
extra-financier, et plus récemment, avec l’apparition du « Global
Compact on refugees » basé sur des contributions volontaires
et juridiquement non contraignantes, dont le premier Forum
mondial a été co-organisé par l’Allemagne en 2019. Ces deux
initiatives illustrent la coexistence des deux logiques, implicite
et explicite, dans le répertoire actuel des normes de RSE sur le
territoire allemand.
La comparaison temporelle peut être complétée par une typologie
des adhérents au GC dans les trois pays (figure 3). Alors qu’en
France et en Allemagne la grande majorité des membres est
composée d’entreprises (respectivement 93% et 89%), aux Etats-
Unis la proportion des entités non commerciales est relativement
importante (30%).

4-https://www.ceres.org/news-center/press-releases/200-investors-call-us-companies-align-
climate-lobbying-paris-agreement

28
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Figure 3. Typologie des adhérents au Global Compact en France,


Etats-Unis et Allemagne, 2020

(Source : élaboration personnelle d’après les données archivées


sur le site du GC monde)
En outre, on observe en France une forte représentation des
PME parmi les participants au GC (figure 3) qui pourrait être
expliquée par un isomorphisme institutionnel (DiMaggio et
Powell, 1983) lié à différents types de pressions caractérisant le
champ organisationnel dans lequel opèrent les PME françaises.
La première forme d’isomorphisme, d’ordre normatif, passe selon
DiMaggio et Powell (1983) par l’influence des organisations
professionnelles et des réseaux d’entreprises. L’activité récente du
réseau national GC France en constitue une bonne illustration :
lancement, en 2016, de l’initiative « Tour de France PME » visant
à créer un réseau d’ambassadeurs au service de la promotion de la
RSE et du GC à l’échelle des territoires ; expérimentation, depuis
2019, des premiers cercles régionaux du GC (comme par exemple
le cercle normand Legallois ou cercle azurien GSF+). On note
également que les PME bénéficient d’une bonne représentativité

29
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

dans le Conseil d’administration du GC France (8 membres sur


20). La deuxième forme d’isomorphisme, de nature coercitive,
correspond aux pressions formelles ou informelles exercées par
d’autres organisations et par les attentes sociales (DiMaggio et
Powell, 1983). Elle s’observe dans les efforts d’explicitation de la
part des PME françaises de leurs engagements en matière de RSE,
restés pendant longtemps implicites et non divulgués. Une telle
explicitation pourrait être motivée par la réponse aux attentes des
parties prenantes et notamment les donneurs d’ordre contraints
par la loi sur le devoir de vigilance (adoptée début 2017) de
mettre en place un système de contrôle des pratiques RSE de leurs
fournisseurs et sous-traitants. Cette contrainte légale rejaillit en
quelque sorte sur les PME et vient renforcer l’isomorphisme de
type coercitif qui s’exerçait sur elles de la part de donneurs d’ordre
pratiquant des politiques d’achats responsables volontaires.
3.2. Un mix de logiques explicite et implicite spécifique à chaque
pays
Pour comparer les trois réseaux locaux français, américain et
allemand, nous avons mené une investigation approfondie de leurs
sites internet respectifs, sur la forme et sur le fond. Tout d’abord, au
niveau de la forme, nous constatons une différence fondamentale
entre le site du réseau américain, d’une part et ceux des réseaux
français et allemand d’autre part. En effet, les rubriques du menu
du site du GC états-unien sont très peu détaillées. Leurs intitulés
sont orientés vers l’identité de l’entreprise (voir par exemple la
rubrique nommée SDG pioneers) et ne mettent pas en avant les
principes du GC. Par opposition, le GC France met beaucoup en
avant les principes du GC et les ODD. Un onglet entier leur est
consacré en plus du renvoi vers le site officiel dans le pied du
site. En outre, à travers un autre onglet nommé « bibliothèque
documentaire », le réseau français joue un rôle important dans la

30
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

fourniture, publication ou traduction d’outils développés par le


siège. Par ailleurs, dans le contexte de la crise sanitaire liée au
coronavirus, un onglet nommé « covid-19 » est mis en avant pour
relayer toutes les informations et webinars du siège à ce sujet, en
plus d’alertes sur Twitter. Or, aucune information sur le covid-19
n’est communiquée sur le site du réseau américain en avril 2020.
Quant au réseau allemand, il mentionne le thème sans lui dédier
un onglet spécifique. Par ailleurs, le réseau allemand communique
sur les principes du GC de manière moins détaillée que le site
français. Une autre différence importante entre les trois réseaux
concerne les activités proposées aux membres : très limitées et
ponctuelles dans le cas américain (ex. symposium annuel), variées
et centrées sur la coopération et l’apprentissage dans le cas français
(interactions PME – grandes entreprises ; entreprises – territoires) et
orientées sur les bonnes pratiques en Allemagne.
Nous pouvons conclure que chaque réseau national opère un
mix des logiques explicite et implicite, spécifique au pays de son
implantation. Le GC France semble mettre en avant une logique
implicite en axant sa communication sur les valeurs du GC,
sur la construction d’une identité collective (via les différentes
activités de ses clubs) et sur les partenariats (entre entreprises et
territoires). A contrario, le réseau américain adopte une logique
explicite centrée sur l’identité de l’entreprise et sur le leadership
(les termes de « Lead » et « leadership » reviennent souvent). Le
réseau allemand présente, quant à lui, un dosage plus équilibré
entre logiques implicite et explicite.
Ce résultat est aussi confirmé par notre analyse de contenu de
certaines pages web mobilisant la grille de codage issue de notre
cadre analytique (cf. section 2). Le tableau 2 synthétise le nombre
de références par rubrique implicite / explicite de notre grille et par
type de page web analysée.

31
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Tableau 2. Résultats de l’analyse de contenu des trois sites internet GC


(en nombre de références par page web)

  « Page « Nous « A propos » « Activités »


d’accueil » rejoindre »

  USA ALL FR USA ALL FR USA ALL FR USA ALL FR

Logique 2 2 0 8 5 0 1 4 0 3 8 21
explicite

Logique 1 3 4 2 9 14 0 9 2 0 11 36
implicite

Malgré la nature mondiale du GC, ce cadre est interprété et


déployé différemment en raison des différences dans les cadres
institutionnels nationaux. Ainsi, la France met en avant une
logique implicite dans la présentation du cadre (trois premières
rubriques du tableau) avec toutefois un certain équilibre entre
logique implicite et logique explicite dans la gestion des activités
proposées aux membres. En Allemagne, c’est une logique mixte
qui ressort des pages web étudiées et aux Etats-Unis – une logique
explicite.
4. Implications et limites
Alors que les débats sur la crédibilité et la légitimité de l’UNGC
se poursuivent (Voegtlin et Pless, 2014), ce travail exploratoire
vise à apporter une double contribution : empirique et théorique.
Sur le plan empirique, alors que l’initiative fête cette année son
vingtième anniversaire, c’est à notre connaissance la première
étude académique qui compare le fonctionnement de ses réseaux
nationaux. La recherche se situe donc à un niveau intermédiaire
par rapport aux investigations existantes sur GC qui s’intéressent
soit à son statut dans la hiérarchie mondiale des normes RSE, soit
au comportement/performances des entreprises qui l’adoptent.

32
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La littérature sur la variété des capitalismes (Hall et Soskice, 2001)


et son extension aux modèles nationaux de RSE (Matten et Moon,
2008) atendance à opposer les Etats-Unis à l’Europe. Notre étude
des réseaux nationaux de l’initiative GC confirme cette opposition.
La logique explicite véhiculée par la communication du réseau
américain à la fois reflète et renforce les spécificités d’un système
économique et institutionnel bien plus libéral qu’en Europe.
Toutefois, nos résultats mettent aussi en évidence des différences
significatives dans la structuration et le fonctionnement des réseaux
français et allemand difficiles à interpréter au prisme des approches
dichotomiques du capitalisme. D’autres typologies institutionnelles
(Amable, 2005 ; Magnin, 2018) pourraient s’avérer plus fécondes
pour comprendre les différences nationales dans le déploiement
de principes universels comme ceux véhiculés par GC. Une autre
piste de recherche consisterait à s’intéresser aux transformations
internes au référentiel GC lui-même. En soulignant l’aspect intégré
du GC – où coexistent RSE explicite et implicite – l’analyse récente
de Brown et al. (2018) se distingue de la vision de Matten et Moon
(2008) du GC comme l’un des outils de convergence vers le
modèle anglo-saxon de RSE. Si notre étude fait bien ressortir le
caractère hybride du dispositif au niveau national, elle n’invalide
pas pour autant la thèse de Matten et Moon (2008). Le fait que
le nombre d’adhérents aux Etats-Unis a récemment dépassé celui
en Allemagne ne témoigne-t-il pas d’un certain renforcement du
caractère explicite du dispositif au fil du temps ?
La principale limite de ce travail est d’ordre méthodologique.
Les informations disponibles en 2020 sur les sites internet des
GC locaux ne suffisent pas, à elles seules, pour comprendre les
rouages et les tensions éventuelles entre les logiques dominantes.
L’étude exploratoire actuelle devrait donc être combinée avec une
investigation portant sur les acteurs qui font vivre ces réseaux.

33
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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36
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Les labels nationaux RSE : quel sens pour quelle appropriation?


Une analyse du label RSE marocain

Fedwa Jebli, Diane-Gabrielle Tremblay,


Jamal El baz, Ilias Majdouline

Introduction
La façon de penser des entreprises a radicalement changé depuis
que Friedman (1962) a estimé que la seule responsabilité des
entreprises était de maximiser la richesse de leurs actionnaires. La
responsabilité sociale d’entreprise (RSE) constitue un changement
radical dans la perception du contrat social reliant l’entreprise et son
environnement où l’entreprise doit aussi inclure les préoccupations
sociétales dans ses opérations et activités. Bien que de plus en
plus diffusée dans le monde, notamment grâce au transfert des
pratiques sociétales des multinationales, au développement des
cursus universitaires portant sur la RSE, aux fonds de recherche
dédiés à l’engagement sociétal des entreprises et à l’intérêt porté
par les chercheurs à ce sujet, la RSE reste sous-étudiée dans le
contexte africain, notamment au Maroc (Amaeshi et Amao, 2009).
En effet, elle reste un concept émergent dans ces contextes dont
les facettes, notamment institutionnelles, sont insuffisamment
étudiées. Notre recherche vise donc à enrichir le débat autour
de la RSE, en particulier au Maroc. Nous nous intéressons tout
particulièrement à l’initiative marocaine de développer un label
RSE porté par une association patronale, la Confédération Générale
des Entreprises au Maroc, afin de promouvoir et de diffuser les
pratiques socialement responsables des entreprises dans le pays.
Notre recherche est de type exploratoire et tente de répondre
à la question de recherche suivante : quel sens donner au

37
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

développement du label RSE de la CGEM au Maroc et dans quel


contexte le label a-t-il vu le jour ? Comme toute recherche de type
exploratoire, l’objectif n’est pas de répondre de façon positiviste à
la question mais plutôt de saisir les facettes du développement du
débat autour de la RSE au Maroc, d’identifier les principales parties
prenantes de cette mouvance et surtout de chercher à analyser les
motivations des entreprises à adhérer au processus de labélisation
nationale.
Notre texte est organisé comme suit : premièrement nous pré-
sentons une description de l’évolution qu’a connue la RSE pour
exposer ensuite le positionnement contextuel de notre recherche.
Ensuite, nous expliquons la méthodologie adoptée avant de pré-
senter et discuter les résultats.
1. Le concept de responsabilité sociale de l’entreprise
Au cours des quatre dernières décennies, les entreprises ainsi que
la société civile ont montré un intérêt croissant pour la RSE et la
façon dont celle-ci pourrait devenir un vecteur de développement
durable (Shen et Zhu, 2011 ; Jamali, 2010). La RSE peut être
considérée comme une manière d’intégrer les préoccupations
éthiques à l’ensemble de la réflexion stratégique de l’entreprise,
ceci dans l’objectif de garantir la durabilité et le maintien de la
satisfaction de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise
(El Baz et al., 2016), bien que le concept de satisfaction et
l’importance des parties prenantes puissent varier. Par ailleurs, la
RSE est considérée par certains auteurs comme étant un facteur
de changement social (Fombrun, 2005) en plus d’être un facteur
déterminant de la performance sociale et économique (Jamali,
2010) de l’entreprise contemporaine. C’est dans cette dernière
perspective que la RSE devient un instrument de gestion que l’on
cherche à opérationnaliser pour faciliter une meilleure réponse de
l’entreprise aux exigences de la RSE (Visser, 2008).

38
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Bien que la présente étude ne vise pas à tracer l’évolution


conceptuelle voire idéologique de la RSE, il faut toutefois souligner
que le concept de la RSE a généré et continue de générer un débat
académique sur sa genèse, sa délimitation et sur les facettes de
son opérationnalité managériale (Carroll et Shabana, 2010). En
effet, depuis le livre séminal de Bowen (1953) sur la responsabilité
sociale des dirigeants des entreprises envers leurs sociétés, la
RSE avait connu plusieurs évolutions qui reflètent l’évolution de
la société humaine et celle du courant Business & Society qui
en a découlé. Nous pourrions résumer cette évolution en quatre
grandes étapes.
La RSE représentée comme outil contribuant au changement social,
notamment en termes de revendications sociales, caractérise
la mouvance des années 1960 aux États-Unis avec les appels
aux droits civiques, à la lutte contre la discrimination raciale et
de genre et au respect de l’environnement (Carroll et Shabana,
2010). Durant cette période, la RSE représentait la pression que
les activistes mettaient sur les entreprises pour satisfaire leurs
revendications (Carroll et Shabana, 2010).
Dans les années 1970, des concepts apparaissent tels que
la réponse sociale de l’entreprise, la performance sociale de
l’entreprise, en plus de celui de la RSE. Ces variations d’appellation
reflètent la volonté de pousser les entreprises non pas à assumer et
à reconnaitre leur responsabilité sociale mais de s’assurer qu’elles
répondent et appliquent des pratiques socialement responsables
(Acquier et Aggeri, 2015), d’où l’appellation de Corporate
Social Responsiveness. Par ailleurs, le concept de performance
socialement responsable de l’entreprise (Corporate Social
performance) fait référence aux efforts des chercheurs à identifier
les effets des pratiques socialement responsables (Wood, 1991).
Ainsi, on pourrait avancer qu’à partir des années 1970, le caractère

39
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

managérial opérationnel de la RSE commençait à se développer


en mettant l’emphase sur l’implémentation et l’évaluation de la
performance sociale.
Dans les années 1980, on assiste à une évolution des travaux
empiriques sur la RSE et notamment des travaux sur la performance
sociétale de l’entreprise (Acquier et Aggeri, 2015). En outre,
des travaux commencent à apparaitre sur la relation entre la
performance sociale et financière de l’entreprise (Lee, 2008) ; cela
pourrait être expliqué par la volonté à légitimer la RSE aux yeux
des actionnaires.
Dans les années 1990-2000, la RSE gagne davantage de popularité
et se diffuse largement dans le monde (Acquier et Aggeri,
2015) profitant de l’engouement (au moins discursif !) pour les
préoccupations de durabilité, de développement durable et de
l’éthique. Par ailleurs, durant cette décennie, la RSE continue à
s’inscrire dansle débat, devenu maintenant éternel, sur la légitimité
de l’entreprise dans la société et notamment la responsabilité de
l’entreprise envers ses parties prenantes.
De façon générale, nous pourrions avancer que dans la littérature
récente sur la RSE, celle-ci est souvent représentée de manière
transcendante dans le sens où elle transcende tous les processus,
politiques et pratiques de l’entreprise (Dahlsrud, 2008). Cette
approche umbrella de la RSE est encore d’actualité (Jamali, 2010).
2. Une approche contextuelle de la RSE
Dans notrerecherche, nous visons à analyser comment les
entreprises dans le contexte marocain réagissent aux exigences de
GRH socialement responsables, dans le cadre de lacertification RSE
nationale. Nous soutenons l’idée selon laquelle la compréhension
des réponses des entreprises à la RSE et à l’adoption d’une
orientation GRH socialement responsable conduit à prendre en

40
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

considération le contexte dans lequel les entreprises opèrent


(Matten et Moon, 2008 ; Visser, 2008). Selon Matten et Moon
(2008), la responsabilité sociale diffère selon les pays et évolue
à l’intérieur de ceux-ci. Par conséquent, la RSE peut différer d’un
pays à l’autre pour ce qui est des priorités des entreprises et du sens
attribué à chaque pratique RSE (Amaeshi et Amao, 2009).
Par ailleurs, le contexte national où se situela réalité de l’entreprise
est le produit de plusieurs facteurs tels que l’Histoire, la(les) culture
(s), le système économique national et international, le système
légal, les identités sociales ainsi que l’organisation sociétale. Tous
ces facteurs ont également un effetsur l’acceptation de la RSE et son
niveau de diffusion (Amaeshi et Amao, 2009). Pour cette raison, on
pourrait avancer que la RSE avec l’ensemble de ses pratiques et
orientations stratégiques ne pourrait exister indépendamment de
facteurs contextuels dans la mesure où celle-ci reste influencée par
des facteurs sociaux-organisationnels-individuels qui déterminent
systématiquement la façon dont les entreprises perçoivent et
traitent les besoins personnels, sociaux et professionnels de leurs
environnements interne et externe. A titre d’illustration et en
termes de la diversité dugenre, on ne peut pas comprendre les
enjeux de l’acceptation des femmes dans l’entrepriseen dehors
d’une analyse du contexte national, notamment la perception des
institutions nationales du rôle de la femme dans la société et les
priorités nationales en termes de gestion de la diversité. Même
chose en ce qui concerne le travail des enfants dans les pays en
développement dont l’éradication est liée à la prise en compte
des facteurs historiques, socio-culturels et politico-économiques
afin d’identifier les meilleures stratégies d’action (Abebe et Bessel,
2011). De plus, une connaissance des facteurs contextuels est
essentielle pour identifier et expliquer pourquoi les entreprises
choisissent de mettre l’accent sur certaines activités socialement
responsables au détriment d’autres pratiques et pour tenter d’aller

41
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

vers une amélioration concrète de la RSE dans toutes ses dimensions


ou tous ses objectifs.
Par ailleurs, bien que la RSE reflète la tendance mondiale
à adopter des pratiques de gestion standardisées (Matten et
Moon, 2008) que l’on cherche à opérationnaliser à travers des
standards internationaux basés sur des indicateurs de performance
socialement responsable, elle reste néanmoins un phénomène
récent dans de nombreux pays dont les pays africains où la RSE est
encore un phénomène émergent (Ideumia, 2014). Ainsi, il paraît
pertinent d’étudier les pratiques et l’évolution de la RSE dans des
sociétés encore sous-étudiées, c’est pourquoi nous avons choisi de
le faire pour le Maroc.
3. Présentation de l’objet de l’étude : le label marocain RSE
Nous nous intéressons tout particulièrement au label RSE
développé par la Confédération Générale des Entreprises du Maroc
(CGEM). La CGEM a été créée en 1947 et est considérée comme
un acteur clé de la scène économique et politique marocaine.
Cette association corporative comprend plus de 90 000 membres
composés de grandes entreprises, de PME et aussi de certaines
filiales (CGEM). La mission de la CGEM est de promouvoir les
intérêts de ses membres ainsi que d’aider les entreprises nationales
à améliorer leurs performances, notamment à travers la mise à
niveau, l’accompagnement stratégique et l’adoption des politiques
et pratiques RSE. La CGEM reconnait en effet que la RSE est devenue
un outil opérationnel nécessaire au maintien de la compétitivité à
l’international (CGEM, Site web). Dans ce contexte, la CGEM a
développé une charte de la RSE qui donne lieu à un label RSE. Il est
à souligner que le processus de labélisation implique un processus
d’évaluation effectué par un tiers indépendant agrée par la CGEM.
Par ailleurs, le label développé en 2006 a été élaboré en s’inspirant
de la législation marocaine, de la définition de l’Organisation

42
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Internationale du travail (OIT) du travail décent ainsi que des


principes du standard ISO 26000 dédié à la RSE (CGEM, 2014).
Du point de vue du contenu, la charte RSE de la CGEM comprend
neuf axes qui mettent l’accent sur les droits de l’homme, les
conditions de travail et les relations de travail considérées par la
CGEM et le gouvernement comme des priorités pour renforcer
le développement du capital humain, la préservation de
l’environnement, la lutte contre la corruption, la promotion de la
RSE auprès des fournisseurs et sous-traitants, la saine concurrence,
la transparence, la protection du consommateur et enfin le
développement d’un engagement envers la communauté
De façon générale, le label RSE de la CGEM est considéré par
les acteurs politiques et économiques au Maroc comme un
changement majeur dans le contrat social entre les entreprises, le
gouvernement marocain et les citoyens.
4. Méthodologie
Afin de comprendre les caractéristiques contextuelles de la genèse
du label RSE marocain piloté par la puissante CGEM et mieux
comprendre les enjeux de l’institutionnalisation de ce label dans
le paysage marocain, une approche qualitative nous parait utile
pour l’objectif exploratoire de notre recherche. Ainsi, nous avons
d’abord mobilisé une analyse documentaire des supports publiés
par la CGEM à travers la commission RSE, son site Internet ainsi
que des documents de travail de la Confédération. Au total, 12
documents publiés entre 2014 et 2018 ont été analysés. Ensuite,
9 entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de 3 auditeurs
agrées par la CGEM pour évaluer les entreprises intéressées par
le label, un entretien avec l’ancien président de la commission
dédiée à la RSE et au label RSE/CGEM, et 5 entretiens auprès des
représentants d’entreprises ayant été labélisées. Il est à souligner
qu’un échantillon préliminaire de 15 entreprises a été identifié

43
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

sur la liste des entreprises labélisées disponible sur le site CGEM,


ensuite des contacts par e-mails et des relances téléphoniques ont
été effectuées et 5 ont accepté de participer à la recherche. Les cinq
entreprises comprennent trois multinationales (industrie du papier,
matériaux de construction, offshoring) et deux grandes entreprises
marocaines (agroalimentaire, télécommunications).
Les entretiens ont été conduits à l’aide d’un guide d’entretien semi-
structuré portant sur :
(1) Les informations générales sur l’entreprise ;
(2) Les raisons justifiant le recours à la certification nationale RSE
de la CGEM ;
(3) Les facteurs de diffusion de la RSE dans le contexte marocain ;
(4) Les caractéristiques du label marocain ;
(5) La portée du label marocain en comparaison avec les standards
RSE internationaux tels que GRI et ISO 26000 ;
(6) La description des initiatives RSE adoptées par l’entreprise ;
Tableau 1. Description des entreprises étudiées

Nombre Fonction de la
Entreprise Secteur d’activité
d’employés personne interviewée

A Industrie papier 1225 Directeur RH

Matériaux de
B 1200 Directeur RH& RSE
construction

C Offshoring 270 Responsable RSE

D Agroalimentaire 1087 Directeur RSE & RH

Directeur
E Télécommunications 671
communications & RSE

44
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Enfin, il est à souligner que l’ensemble des enregistrements et


observations ont été ajoutés à des informations obtenues d’autres
sources (par exemple, des rapports et sites Web d’entreprises) et
stockés dans une base de données d’études de cas comme suggéré
par Yin (2009) et Easterby-Smith et al. (2012). Il en a été de même
pour les entretiens avec les auditeurs indépendants RSE.
5. Résultats
Une conclusion largement partagée par les répondants insiste
sur le caractère encore émergent de la RSE au Maroc. En effet, la
RSE est surtout adoptée par les entreprises multinationales et les
grandes entreprises très liées au marché international. Ces dernières
cherchent à se faire reconnaître comme ayant de bonnes pratiques
de RSE en se soumettant à la grille pour obtenir la certification.
5.1.Les facteurs de diffusion de la RSE dans le contexte marocain :
analyse des parties prenantes
Pour une meilleure compréhension des facettes entourant le
développement du label RSE marocain, une analyse des facteurs de
diffusion de la RSE parait pertinente. Nous désignons par les facteurs
de diffusion, les sources de pression institutionnelle poussant les
entreprises à adopter des démarches RSE. L’identification de ces
sources donne lieu à une identification des principales parties
prenantes exerçant une pression formelle ou informelle sur les
entreprises.
__ Marché international
Les répondants insistent tous sur la large dépendance des entreprises
et du tissu marocain à l’égard du marché international, surtout
celui de l’Union Européenne (UE). Dans ce sens, les entreprises
marocaines et notamment celles opérant dans les chaines globales
d’industrie agroalimentaire, textile et minière se voient obligées

45
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de « rassurer » leurs clients sur les conditions de fabrication de


leurs produits. Par ailleurs, les entreprises installées dans les pays
industrialisées, et notamment l’UE, s’inscrivent à leur tour dans des
processus de certifications auditées qui exigent que celles-ci fassent
appel à des fournisseurs également socialement responsables.
« Nous vivons à l’époque des chaines d’approvisionnement
globales ; les grands groupes industriels, de l’automobile, de
l’agroalimentaires, de l’offshoring, si on pense aux centres
d’appel, sont étroitement liés aux fournisseurs dans les
pays en développement. Il faudra donc rassurer les clients
que ces fournisseurs n’endommagent pas l’environnement
des communautés locales, que les employés sont payés
équitablement, que les enfants n’y sont pas exploités, etc. »
(auditeur).
De plus, la pression des consommateurs est aussi considérée
comme un facteur important dans l’adoption des démarches
RSE. Les témoignages insistent sur le fait que les consommateurs,
particulièrement ceux appartenant à l’UE, se tournent de plus en
plus vers l’achat socialement responsable. Ainsi, leur décision
d’achat est influencée par les garanties offertes par les différentes
certifications et labels témoignant du respect du processus de
production de la dignité humaine et de l’environnement. Il est à
souligner qu’aucun entretien n’a fait référence au consommateur
marocain.
« En France ou en Suisse par exemple, les gens lisent les étiquettes
des produits, leurs pays d’origine et sont de plus en plus regardant
sur les conditions dans lesquelles le produit est arrivé jusqu’à leurs
rayons. Nous devons leur assurer que le produit a vu le jour dans
le respect des droits humains et de la dignité humaine » (DRH,
entreprise B).

46
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

__ Investissements directs étrangers (IDE)


Les IDE sont considérés par les participants (6 sur 9) comme une
source importante de pression pour pousser les entreprises non
seulement à assurer des actions philanthropiques ponctuelles
mais à décliner les pratiques RSE à l’ensemble des processus de
gouvernance de l’entreprise. Le fait que les entreprises intègrent la
RSE dans leur stratégie organisationnelle renvoie ainsi à l’inscription
de la RSE dans la durabilité. Le tissu économique marocain est
largement dépendant des IDE, que ce soit sous forme d’entreprises
internationales ou à titre d’actionnaires dans les entreprises locales.
« Les investisseurs sont de plus en plus regardants sur la façon
dont leur capital sera utilisé, les entreprises actionnaires
aussi. Elles ne veulent pas que leur nom soit lié à un scandale
moral, comme vous le savez les médias occidentaux sont très
puissants et les actionnaires ne veulent pas avoir affaire à
eux » (ancien représentant CGEM)
Par ailleurs, le Maroc reste aussi largement tributaire des bailleurs
de fonds internationaux pour appuyer son plan de développement
national, surtout au niveau de la mise en place de grandes infras-
tructures. Dans ce sens, le Maroc est aussi appelé à faire preuve
d’engagement socialement responsable, relatif notamment au dé-
veloppement humain. Dans cette perspective, le Maroc s’attend à
ce que les entreprises jouent aussi un rôle dans la consolidation de
sa réputation comme un pays de plus en plus socialement respon-
sable et durable.
« Nous sommes une entreprise multinationale ayant fait le
choix du Maroc pour de nombreuses raisons dont la qualité
des infrastructures, la stabilité politique et sociale, certaines
incitations fiscales…il est donc de notre rôle de rendre service
au pays en le soutenant dans ses objectifs de développement
social » (DRH, entreprise A)

47
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

__ Gouvernement
De façon générale, les gouvernements représentent une source de
pression régulatrice à travers le respect des régulations relatives
au droit du travail, à la gouvernance financière, etc. Au Maroc,
le développement de la RSE intervient dans un contexte où le
gouvernement adopte le Code du travail en 2004 après des
négociations de longue durée avec les opérateurs économiques
et représentants syndicaux, des négociations qui ont duré
presque 20 ans ! Le Code du travail marocain est présenté par le
gouvernement comme étant révolutionnaire et en cohérence avec
la définition internationale du travail décent, largement inspirée de
celle de l’Organisation Internationale du Travail. Cela expliquerait
le fait que les entretiens citent tous le Code de Travail comme un
repère pour les entreprises qui veulent adopter un management
socialement responsable de leurs collaborateurs, bien que la
RSE comme démarche soit censée puiser dans un engagement
volontaire au-delà du strict respect des régulations :
«  L’Etat lutte pour la promotion du Code de Travail, nous
peinons à forcer les entreprises à déclarer leurs salariés alors
qu’il s’agit de la moindre des choses ! Le Code de Travail est
largement représenté dans la charte RSE de la CGEM car il
s’agit là de priorités nationales » (auditeur)
Par ailleurs, le Maroc est signataire de plusieurs conventions
internationales relatives aux droits humains, à l’égalité de genre
(convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations
contre les femmes, CEDAW) en plus de l’engagement dans les
objectifs de développement promus par l’ONU pour la vision
2030.
Par ailleurs, le gouvernement représente aussi une source de pres-
sion indirecte pour les entreprises pour les inciter à s’intégrer da-

48
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

vantage dans la mouvance internationale de la RSE. En effet, les


entretiens font référence à l’appel « indirect » de l’Etat aux entre-
prises marocaines de participer à la stratégie nationale de dévelop-
pement social et humain, notamment celle de l’Initiative de Dé-
veloppement Humain (INDH) lancée par les hautes instances de
l’Etat en 2004. Pour illustrer cet argument, quatre répondants ont
cité le discours du Roi de 2005 incitant les entreprises à prendre
la part de leurs responsabilités dans les enjeux du développement
national, notamment à travers l’investissement socialement res-
ponsable.
« Il est clair que le débat autour de la RSE a été aussi alimentée par
la mouvance sociale du pays avec un appel indirect aux opérateurs
économiques de montrer davantage de solidarité envers les projets
sociaux du pays…Je crois que le message que l’Etat à lui seul ne
peut pas tout faire, a été reçu par les opérateurs économiques
marocains »(auditeur)
__ L’Association professionnelle CGEM
A un moindre degré, la CGEM a été citée comme un acteur
important de diffusion de la RSE au Maroc (4 entretiens sur 9).
Selon les témoignages, la CGEM joue d’abord le rôle d’un parrain
qui attribue à la RSE une « légitimité de point de vue managérial »
avant la légitimité sociale. De par son autorité historique (créée
en 1947) et son pouvoir économique et politique, la CGEM jouit
d’un respect auprès de ses membres, parmi lesquels des acteurs
importants de la scène économique marocaine, ce qui donne à son
label RSE une légitimité locale. De plus, cet engagement largement
médiatisé a également permis de « populariser » le concept de la
RSE, qui était encore dans un stade embryonnaire.
Dans ce sens, les entretiens expriment que pour faire avancer
le dossier de la RSE il est important que celle-ci soit portée par

49
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

des acteurs institutionnels « familiers », du « terrain », « ayant


une connaissance de la réalité marocaine », « connaissance des
contraintes des entreprises au Maroc », « gens respectueux » et
« accessibles ». Ainsi, ces descriptifs extraits des entretiens repré-
sentent à la fois des facteurs de promotion de la RSE au Maroc
comme démarche et concept et également des facteurs d’adhésion
au processus de labélisation locale développée par la CGEM.
« Il est certain que les exigences et recommandations du label
restent réalistes et moins romanesques, ce qui correspond
à la réalité de la large partie des entreprises marocaines
qui peinent toujours à se mettre à niveau par rapport à la
concurrence internationale » (ancien représentant CGEM)
Enfin, il est à souligner que la CGEM a mis en place une commission
RSE (créée en 2006), une plateforme web dédiée à la RSE, des
documents d’accompagnement à l’adoption de la RSE, un guide
d’accompagnement à la labélisation avec une explication du
processus d’audit, une liste d’évaluateurs agrées par la CGEM ainsi
qu’un club d’entreprises labélisées par le label RSE/CGEM. Ces
efforts d’institutionnalisation de la RSE dans le paysage marocain,
notamment à travers le label, renvoient à une volonté de la CGEM
de se positionner comme diffuseur principal de la RSE au Maroc.
__ Entreprises multinationales
Enfin, comme cela est confirmé par d’autres travaux sur la RSE dans
le contexte africain (voir par exemple Amaeshi et Amao, 2006), les
entreprises multinationales jouent aussi un rôle important dans la
diffusion des pratiques RSE. En effet, les trois multinationales ayant
participé à l’enquête ont exprimé une certaine maturité vis-à-vis de
la RSE, notamment en se calquant sur les pratiques déjà promues
par leurs sièges sociaux. Par ailleurs, les trois filiales rencontrées
sont également certifiées par la norme internationale GRI (Global

50
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Reporting Index) qui est largement reconnue à l’international,


en plus du label de la CGEM. Il est intéressant de noter que ces
entreprises peuvent aussi inciter leurs fournisseurs et distributeurs à
évoluer vers un plus grand respect des principes de la RSE. Ceux-ci
peuvent être adaptés à la couleur locale mais ils visent ultimement
une meilleure gouvernance et une meilleure performance.
« En tant que multinationales, nous avons une mission
informelle qui consiste à générer un effet de boule
de neige auprès de nos fournisseurs et distributeurs
marocains. L’objectif est de les pousser à s’intégrer dans
les processus de labélisation et certification RSE pour une
meilleure gouvernance, meilleure performance et surtout
pour développer un partenariat entreprise-société civile »
(Responsable RH, entreprise A)
5.2 Caractéristiques du label RSE national et des entreprises
labélisées
L’analyse du contenu de la charte RSE de la CGEM reflète deux
constats majeurs :
a) Une prédominance des pratiques légales en ce qui a trait aux
pratiques de l’emploi : en effet, les clauses relatives aux pratiques
RSE orientées vers les employés présentent un contenu de base, qui
ne reflète pas le caractère innovant et volontaire indispensable à la
RSE (Carroll et Shabana, 2010 ; Jamali, 2010). A titre d’exemple,
nous citons les recommandations relatives au strict respect des
obligations légales relatives à la déclaration de tous les salariés
aux organismes de sécurité et de protection sociales (CGEM, Site
web). Un autre exemple concerne le respect du droit syndical et
de la législation relative aux accidents de travail. En revanche, le
contenu est davantage fondé sur le sens de l’initiative volontaire en
ce qui concerne les dimensions relatives à la gestion de la diversité,

51
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

notamment l’inclusion des femmes et des personnes à mobilité


réduite de même que de celles ayant besoin d’accommodements.
Le témoignage suivant reflète cette différence de « ton » :
« Les recommandations du label peuvent à mon sens porter à
croire que des pratiques sont plus importantes que d’autres,
surtout qu’au Maroc les entreprises se considèrent comme
étant socialement responsables parce qu’elles respectent
strictement les lois. Cela pourrait expliquer pourquoi dans
nos recommandations, la question de la représentativité des
femmes revient très souvent. Pour les personnes handicapées,
aucun avancement là-dessus car justement on n’a pas une loi
qui impose un quota comme c’est le cas du secteur public
(7% de l’effectif doit représenter les personnes à mobilité
réduite) » (Auditeur)
b) Un contenu qui reflète des pratiques volontaires, durables
au-delà du strict respect de la loi : nous le retrouvons dans les
recommandations relatives à la préservation de l’environnement,
au respect des intérêts des consommateurs, au développement de
l’engagement vis-à-vis de la communauté et à la responsabilisation
des fournisseurs et sous-traitants sur la RSE.
Enfin, en ce qui concerne les caractéristiques des entreprises
labélisées, les témoignages sont unanimes sur le fait que la
RSE au Maroc reste encore une affaire des grandes entreprises.
L’absence, ou la présence très marginale, des PME pourrait selon
les témoignages être expliquée par les raisons suivantes :
• Le manque de compétences et de structures organisationnelles
internes qui favorisent l’adoption de la RSE à travers l’ensemble
des fonctions de l’entreprise (4 sur 9). Ainsi les grandes entreprises
nationales et les filiales des multinationales disposent des
ressources organisationnelles et humaines suffisantes favorables

52
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

à l’adoption d’une politique RSE avec les pratiques qui en


découlent ;
• Le manque de ressources financières suffisantes pour mener
à bien le processus de labélisation RSE, en particulier pour
mettre en place les recommandations exprimées par le cabinet
d’évaluation agréé par la CGEM ;
« Il est vrai que le manque de ressources pourrait jouer. Par
exemple, si on recommande la mise en place de vestiaires
supplémentaires, une meilleure ergonomie ….cela signifie
un budget pour l’entreprise » (auditeur)
• Un grand nombre d’entreprises préfèrent continuer à profiter
de l’ambiguïté et du manque d’éthique qui continuent à exister
dans un contexte économique ambigu, très basé sur l’informel,
sans oublier le fléau de la corruption encore très répandu. Ainsi,
s’engager dans la RSE renvoie à une visibilité que certaines
entreprises craignent encore.
6. Discussion et conclusion : quel pouvoir pour quel(s) usage(s) du
label RSE marocain ?
Notre recherche, de type exploratoire, tente de répondre à la ques-
tion de recherche suivante : quel sens donner au développement
du label RSE de la CGEM au Maroc et dans quel contexte le label
a-t-il vu le jour ? Comme toute recherche de type exploratoire,
l’objectif n’est pas de répondre de façon positiviste à la question
mais plutôt de saisir les facettes du développement du débat au-
tour de la RSE au Maroc. Nous avons aussi voulu identifier les prin-
cipales parties prenantes de cette mouvance et surtout chercher à
analyser les motivations des entreprises à adhérer au processus de
labélisation nationale. Il est à souligner que bien que les résultats
mettent en lumière le caractère encore émergent de la RSE, elles

53
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

laissent percevoir une volonté institutionnelle d’instaurer la RSE


dans la réalité économique locale.
Par ailleurs et à titre anecdotique, nous pouvons nuancer les propos
de Visser (2008) quand il avance que les citoyens en Afrique,
tellement déçus de leurs gouvernements, mettent leur espoir dans
la RSE pour une vie meilleure. En fait, la RSE au Maroc est plutôt
considérée comme un outil pour pousser les entreprises à respecter
les exigences légales minimales, telles que la simple déclaration
des salariés, face à l’échec de l’Etat à généraliser l’application
de la loi par l’ensemble des structures économiques. Par ailleurs,
l’analyse des facteurs de diffusion de la RSE au Maroc expliquerait
l’approche instrumentale de la RSE promue à la fois par les
documents de la CGEM et dans les témoignages collectés. Selon
cette perception, la RSE est d’abord un outil pour faciliter l’accès aux
marchés internationaux, pour attirer et retenir les investissements
étrangers directs et enfin pour avoir de la reconnaissance des
pairs et celle de la CGEM, organisation puissante et très proche
des décideurs politiques marocains. Dans ce sens, l’engagement
dans la RSE en général et l’adhésion au label marocain de la RSE
ne semble pas motivé par une orientation volontaire de la part
des entreprises à devenir des agents du changement social positif
durable, avec ce que cela impliquerait comme déclinaison de
l’ensemble des décisions et pratiques de l’entreprise aux exigences
et aux principes de la RSE. Cela donne finalement l’impression
d’un attribut cosmétique à effet ponctuel, voire éphémère.
De plus, si on se réfère à une posture institutionnaliste, les résultats
montrent un effet d’isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983)
illustré par la volonté des entreprises à se faire labéliser par le label
national et à accéder ainsi au club des entreprises ayant décroché
le label CGEM. Cette « bonne et saine compétition » (responsable
RH, entreprise 1) est décrite comme essentielle à la diffusion

54
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

(effet de boule de neige) de la RSE et aussi au développement


d’un apprentissage collectif sur l’intégration des préoccupations
sociétales dans les activités des entreprises. Ce rôle d’apprentissage
ou de flambeau est surtout confié aux multinationales et aux très
grandes entreprises à travers leurs réseaux de fournisseurs et de
sous-traitants. Cela pourrait expliquer pourquoi les multinationales
–déjà certifiées par des standards internationaux largement
reconnus– demandent à se faire labéliser par la CGEM afin
d’encourager les entreprises locales à développer une conscience
vis-à-vis de la RSE.
Par ailleurs, le label national de la RSE est perçu comme un label
qui correspond à la réalité marocaine, même s’il est largement
inspiré des principes du standard ISO 26 000. Ceci est valable
surtout pour ce qui est des conditions de l’emploi, en particulier la
documentation systématique des salariés, et la lutte anti-corruption.
Enfin, chose surprenante, les valeurs culturelles et sociétales
marocaines n’ont été mobilisées ni par les personnes interviewées
ni dans les documents de la CGEM consultés. Pourtant, d’après
Scott (2005), les systèmes culturels et cognitifs qui renvoient au
consensus social vis-à-vis de ce qui est collectivement construit
comme étant acceptable ou rejeté comme comportement sont
également une source de pression pour consolider ou non les
institutions.

55
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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57
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La GRH socialement responsable : quel impact de la RSE


sur les pratiques RH au Maroc

Yassine BOUDI et Jalila AIT SOUDANE

Introduction
Dans un monde de plus en plus internationalisé, caractérisé par la
mondialisation de l’économie, le développement des technologies
de l’information et de la communication (TIC) et leurs évolutions
permanentes, la concurrence nationale et internationale est forte,
de même que l’exigence des clients à l’égard de la qualité totale.
Les entreprises d’aujourd’hui sont appelées à faire face à un niveau
de compétitivité de plus en plus élevé, à mettre en place un mode
de gestion de la main-d’œuvre en phase avec les tendances du
marché. Le risque est alors grand que les enjeux économiques des
entreprises commencent à prendre le pas sur les enjeux sociaux
et humains. La diversité de ces évolutions permet toutefois aux
entreprises de comprendre que les hommes qui les constituent
représentent leur force et qu’elles doivent les mettre au cœur de
leurs préoccupations pour assurer leur compétitivité.
Le débat, souvent polémique sur la responsabilité sociale des
entreprises, stimule la réflexion sur le modèle d’entreprise
socialement performante dans son environnement à l’heure où ce
dernier est marqué par des tensions sociales et la méfiance entre
les différents acteurs et parties prenantes.
Ainsi, la représentation de l’entreprise et les modes de gouver-
nance évoluent du « modèle actionnarial » au « modèle partena-
rial » (Charreaux et Desbière, 2001 ; Gabriel et Cadiou, 2005). Elle
s’accompagne d’une définition élargie de la notion de responsabi-

59
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

lité et du concept de partenaire de l’entreprise. On parle ainsi de


responsabilité sociale de l’entreprise ou même de responsabilité
globale (Perez, 2003 ; CJD, 2004). Il est intéressant de constater
comment l’étude de la responsabilité de l’entreprise constitue un
phénomène sociologique encourageant une évolution de la défini-
tion de l’organisation dans son environnement, et renvoie au rôle
de l’entreprise dans la cité au sens grec du terme. La difficulté
principale à laquelle se heurtent les travaux de recherche a trait à
la définition du comportement considéré à la fois responsable et
performant.
Cette posture présuppose qu’il existe un comportement à
priori défini comme tel. Or, force est de constater que dans la
pratique des acteurs, il n’y a pas de norme d’action prédéfinie,
celle-ci se construisant dans le cadre d’échanges entre parties
prenantes, notamment les salariés, les fournisseurs, les clients,
les consommateurs, la communauté locale, les associations
environnementales et autres organisations non gouvernementales
(ONG). Autrement dit, la performante économique, sociale,
environnementale et sociétale des entreprises est liée aux besoins
et aux attentes de leurs parties prenantes. Les contraintes imposées
par l’environnement ainsi que la pression sociétale poussent donc
les entreprises à se confronter à un nouvel enjeu majeur, celui de
prendre en compte et de mesurer, au-delà de la seule dimension
économique et financière, la dimension sociale et sociétale de
leur activité. Concernant les dimensions sociales, elles ont pour
objectifs de mesurer l’implication sociale de l’entreprise, en
termes notamment, de conditions de travail (sécurité, accident du
travail, hygiène), de gestion des carrières et des compétences et de
dialogue interne.
La gestion des ressources humaines (GRH) apparaît comme
une fonction pertinente afin de prendre en considération ces

60
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

dimensions sociales, ce qui va permettre à l’entreprise d’adopter


un comportement socialement responsable. Dans ce sens, le
professionnel en ressources humaines doit se préparer à remettre en
question la vision économique à court terme de certaines décisions
de manière à préserver à long terme les intérêts de chaque partie
prenante. Il doit également faciliter l’intégration des principes de
la responsabilité sociale aux multiples pratiques de GRH. Pour
cela, il peut s’aider d’actions qui visent à accroître, d’une part,
la marge de confiance de toutes les parties prenantes, et d’autre
part, la volonté des acteurs à s’engager dans les transformations
organisationnelles.
Cette intégration de la RSE au sein des pratiques de GRH va-t-
elle créer ou renforcer les atouts stratégiques qui assureront le
développement de l’organisation ? Est-ce que cette intégration
permettra de poser les nouveaux fondements de pratiques RH
responsables ? Pour répondre à notre problématique de recherche,
nous passerons d’abord en revue quelques définitions et approches
critiques de la RSE avant de nous intéresser au lien entre la RSE et
la GRH. Dans un second temps, nous étudierons l’impact de la
démarche RSE sur les pratiques RH au Maroc.
1. Cadre théorique de la recherche
1.1. Les définitions académiques de la responsabilité
sociale de l’entreprise (RSE)
La question de la RSE est explorée depuis plusieurs décennies par
les chercheurs. Au niveau théorique (Attarça et Jacquot, 2005),
c’est Bowen qui, en 1953, avait ouvert la voie. Il a présenté la RSE
comme une obligation pour les dirigeants de mettre en œuvre des
stratégies, de prendre des décisions, et de garantir des pratiques
qui soient compatibles avec les objectifs et les valeurs de la
communauté en général. Cette première approche a été complétée
par les travaux plus formels de Carroll (1979) qui a défini la RSE

61
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

comme un ensemble d’obligations de l’entreprise vis-à-vis de la


société. Il a distingué quatre types d’obligations :
- La responsabilité économique concerne l’obligation pour
l’entreprise de produire des biens et services pour les
consommateurs et du profit pour les actionnaires ;
- La responsabilité légale consiste à atteindre les objectifs
économiques dans le respect des lois en vigueur ;
- La responsabilité éthique exige que les entreprises se
conforment à des codes de conduite considérés comme
justes par la société ;
- La responsabilité discrétionnaire comprend les actions
engagées par l’entreprise dans le but de l’amélioration du
bien-être de la société et représente sa volonté de devenir un
acteur citoyen.
Partant de là, la performance de l’entreprise n’est pas seulement
jugée selon des critères financiers ou économiques, mais aussi
selon des critères relatifs à son comportement sociétal. Les relations
avec l’ensemble de ses parties prenantes deviennent alors une
donnée objective dans l’appréciation de la performance (Attarca
et Jacquot, 2005).
Il existe plusieurs exemples de tentatives visant à encadrer et
définir la dimension sociale des entreprises. C’est en 1972 que
l’OIT (Organisation Internationale du Travail) a commencé à
travailler sur les fondements de la responsabilité sociale des
entreprises. Dans la « Déclaration de principes tripartite sur les
entreprises multinationales et la politique sociale » (adoptée à
Genève en 1977), l’OIT relevait l’importance de la responsabilité
des entreprises dans trois domaines, à savoir: l’emploi, la formation
et les conditions de travail.

62
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

C’est le troisième Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro (Brésil) en


1992, qui a été considéré comme le point de départ avec l’adoption
du concept de développement durable. Quelques années plus
tard, le programme Global Compact, lancé par les Nations Unies
en 2000 s’est donné comme objectif de promouvoir au sein des
entreprises des pratiques respectueuses de l’environnement, du
travail, des droits de l’homme et de la lutte contre la corruption
à travers ses « dix principes universels ». En 2001, C’est le « Livre
vert sur la responsabilité sociale des entreprises », conçu par
l’Union Européenne, qui donne aussi des paramètres d’action aux
entreprises, en termes éthiques, environnementaux et sociaux. La
responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) y est définie comme :
« l’intégration volontaire des préoccupationssociales et écologiques
des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec
les partiesprenantes ». (Livre vert, 2001).
Si les travaux fondateurs de Bowen (1953) ont permis de
donner une première définition à la notion de RSE, prenant en
considération les attentes sociales de la société, Davis (1960) pour
sa part a défini les responsabilités sociales comme renvoyant « aux
actions et aux décisions d’un homme d’affaires qui dépassent, au
moins en partie, les intérêts économiques ou techniques directs
de l’entreprise » (Davis, 1960, p. 70). Quelques années plus tard,
Davis (1967) propose une autre définition et suggère la prise en
compte, de la part des entreprises, des conséquences éthiques de
leurs décisions. Il avance que : « la substance de la responsabilité
sociale résulte de l’intérêt porté aux conséquences éthiques de ses
propres actes dans la mesure où ils peuvent affecter les intérêts
d’autrui […] les responsabilités sociales s’étendent au-delà [des
relations interpersonnelles] en mettant l’accent sur les actions
institutionnelles et leurs effets sur l’ensemble du système social »
(Davis, 1967).

63
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Pour Jonas (1979), la notion de responsabilité évoque l’obligation


de justifier tout acte ou décision en fonction de normes morales
et de valeurs. Le livre de ce philosophe allemand intitulé
« Le principe Responsabilité » est considéré comme une référence
capitale sur la responsabilité comme posture éthique. A la suite
de Kant, ce philosophe a développé le besoin d’anticiper, et de
prendre en considération les conséquences de son action : « un
individu doit agir de façon que les effets de ses actes ne soient
pas destructeurs et soient compatibles avec la permanence d’une
vie authentiquement humaine » (Jonas, 1979). Ce constat est
toujours d’actualité, et il constitue même le centre du mouvement
de développement durable défini comme un développement qui
permet à la génération présente de satisfaire ses besoins sans
compromettre la capacité des générations futures à assurer les
leurs.
Pour ce qui est des disciplines de gestion, et toujours dans le
prolongement de notre recherche de définitions de la notion de
responsabilité sociale de l’entreprise, Carroll (1979) propose,
comme nous l’avons évoqué précédemment, une approche
qui définit une pyramide de quatre niveaux de responsabilité
(économique, légale, éthique et discrétionnaire). Cette définition
a été souvent utilisée dans la littérature académique. Caroll (2010)
analyse parmi les points forts de son modèle la responsabilité
économique considérée comme élément de base de la RSE. Pour
l’auteur, ce constat soutient fortement l’approche du « business
case » de la RSE (Caroll, 2010).
Néanmoins, ce modèle est plutôt fait pour conceptualiser la RSE,
mais pas pour l’opérationnaliser. Jones (1980) témoigne que seules
les dimensions discrétionnaires et éthiques seront susceptibles
de déterminer la responsabilité définie comme « la notion selon
laquelle les entreprises ont une obligation envers les acteurs

64
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

sociétaux autres que les actionnaires, et au-delà des prescriptions


légales ou contractuelles ». Wood (1991) propose une définition
qui récapitule bien les travaux antérieurs portant sur les essais de
définition de la RSE, dans la mesure où elle considère que : « la
société et l’entreprise ne sont pas des entités séparées mais qu’elles
sont, au contraire, très souvent en interaction. Ainsi, la société
a certaines attentes vis-à-vis du comportement et des résultats
spécifiques des entreprises » (Wood, 1991).
1.2. GRH et RSE : quels liens?
Aujourd’hui, les entreprises doivent penser à de nouveaux modèles
de gestion des ressources humaines, et ce, dans le but d’accroitre
leur performance ainsi que leur position concurrentielle.
«Longtemps définie comme une activité de support aux autres
fonctions de l’organisation, la gestion des ressources humaines
représente maintenant la fonction qui permet à une entreprise de
se démarquer de ses concurrents » (Becker et al. 1997, in Chrétien
et al, 2005, p. 2). D’après Peretti (2008), « les politiques et les
pratiques de ressources humaines ont profondément évolué au
cours des dernières années, ce qui a conduit à la création de
nouveaux termes et à l’apparition de nouveaux intervenants et de
nouveaux sigles ».
Sibaud (2003), affirme que la GRH comprend deux dimensions :
__ La dimension « management » traite les questions de
contours et de missions de la fonction, les questions
d’organisation et d’activation de la fonction;
__ La dimension « ressources » traite des questions de
l’acquisition, de l’entretien, de la valorisation ainsi que de
l’enrichissement du capital humain.
Selon Gendron et al. (2008), la GRH qui s’inscrit dans une
démarche RSE a plusieurs avantages notamment, la réduction

65
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

des coûts liés aux problèmes de santé physique et mentale.


Une GRH responsable contribue à améliorer la productivité, la
qualité des produits et des services et favorise l’innovation, grâce à
l’engagement des employés. Elle contribue également à améliorer
l’image de l’entreprise et facilite par conséquent le recrutement de
collaborateurs qualifiés (Gendron et al. 2008, 117).
Dans ce cadre, de nouveaux contours de la RSE viennent question-
ner la GRH et posent la question d’une redéfinition de la GRH en
une fonction socialement responsable. Elle implique que celle-ci
s’engage sur des questions telles que la formation tout au long de
la vie, la santé et la sécurité, l’amélioration de l’équilibre entre tra-
vail, famille et loisirs, la diversité accrue de ressources humaines,
l’application du principe d’égalité pour les rémunérations et les
perspectives de carrière, la participation aux bénéfices et les for-
mules d’actionnariat.
Parler de la dimension sociale de la RSE, c’est placer l’Homme au
centre de l’entreprise (Reynaud, 2011). De ce fait, de nouveaux
défis à caractère « durable » se présentent aux RH (Gond et Iga-
lens, 2011) :
__ La formation : à quel point les collaborateurs doivent-ils
être formés par l’entreprise ?
__ La gestion des compétences : comment faire pour valoriser
toute compétence détenue par un collaborateur quel que
soit son niveau d’études, son poste ou sa fonction ?
__ La carrière : comment préparer les employés à une évolu-
tion de carrière, à un départ responsable à la retraite ?
D’autres sujets comme la rémunération avantageuse des collabora-
teurs, leur santé et sécurité ou encore la promotion de la diversité sont
aussi des enjeux sur lesquels les services RH des entreprises se foca-
lisent de plus en plus (De Serres, Gendron et Ramboarisata, 2005).

66
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Le tableau 1, issu des recherches de Beaupré et al. (2008), com-


porte les indicateurs les plus utilisés par les services RH afin de
mener à bien leurs démarches de responsabilité sociale.
Tableau n°1 : indicateurs de responsabilité sociale
selon Beaupré et al. (2008)

__ Effectifs − Employés avec contrats


__ Rémunération et avantages à durée déterminée/
sociaux indéterminée
__ Employés à temps plein/ − Taux de satisfaction des
temps partiel employés
__ Femmes employées − Ancienneté
__ Participants à l’actionnariat − Employés ayant des
de la banque responsabilités parentales
__ Dépenses en formation − Répartition des employés par
__ Employés appartenant aux groupe d’âge
minorités visibles − Licenciement
__ Employés handicapés − Heures supplémentaires
__ Accidents en milieu de − Main d’œuvre extérieure
travail − Temps de travail
__ Employés couverts par des − Absentéisme
mesures de santé et de − Taux de satisfaction des
sécurité employés
__ Participants au régime de
pension de la banque

Quant à Begrmann (1999), il suppose qu’une bonne gestion et


organisation des ressources humaines suffit déjà pour qu’elles
soient durables. Le développement durable des ressources
humaines repose sur trois thèses principales :

67
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

__ Le développement durable passe par une prise de conscience


et un développement des Hommes qui implique la valorisa-
tion des aspects psychosociaux et la responsabilisation envers
l’environnement;
__ Le développement durable signifie l’abondance de la crois-
sance au bénéfice de valeurs immatérielles;
__ Les ressources humaines sont durables à condition qu’on les
utilise bien.
Beaupré et al. (2008), soulignent que des actions responsables de
recrutement dans le sens non discriminatoire pourraient permettre
d’améliorer l’embauche de personnes afin qu’elles puissent rentrer
sur le marché de l’emploi. Les personnes les plus souvent concer-
nées sont généralement les minorités ethniques, les salariés âgés,
les femmes, les chômeurs qui sont restés longtemps sans travailler
et les personnes défavorisées.
Le concept de Personnel-Mix développé par Martory et Crozet
(2008) situe bien l’impact potentiel de l’engagement dans une dé-
marche RSE sur les pratiques de GRH. Ces auteurs estiment que les
politiques et pratiques de GRH responsables sont la politique sala-
riale, la valorisation sociale des salariés, climats et comportements
sociaux et l’image sociale de l’entreprise.

68
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Tableau n°2 : Une analyse des politiques et pratiques de GRH


potentiellement impliquées par l’engagement dans une démarche RSE

Niveau des - Renforcer l’équité externe des rémunéra-


POLITIQUE salaires tions
SALARIALE
- Favoriser l’équité interne des rémunérations
Structure de la
- Reconnaître les compétences acquises
rémunération

Nature et - Primauté donnée à la flexibilité interne sur


qualité des la flexibilité externe
emplois
Gestion - Anticipation des conséquences sociales
Prévisionnelle des choix stratégiques
des Emplois
- Actions de reclassement des salariés
et des
compétences
- Mise en œuvre d’une politique diversité en
Recrutement & matière de recrutement
VALORISATION Intégration - Actions visant à favoriser l’insertion des
SOCIALE DES travailleurs handicapés
SALARIES
- Développement de l’employabilité des
salariés
Gestion des
- Développement de la promotion interne
carrières
- Actions de maintien dans l’emploi des
seniors

- Développement de la Validation des


Acquis de l’Expérience (VAE)
Formation
- Formation des salariés aux Nouvelles
Technologies

- Mise en œuvre d’un plan d’amélioration


Conditions et des conditions de travail
Organisation - Construction d’organisations apprenantes
du travail - Développement du temps partiel choisi
- Développement de programmes de
conciliation travail-vie privée-vie familiale

69
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

CLIMATS ET - Mise en œuvre d’actions de prévention de


Climat social
COMPOR- l’absentéisme
TEMENTS
Absentéisme
SOCIAUX Turnover - Réalisation d’enquêtes sur les départs

Image interne - Réalisation d’enquêtes de climat social


IMAGE
SOCIALE DE - Développement de partenariats avec des
L’ENTREPRISE organismes de formation
Image externe
- Développement d’actions destinées à
favoriser l’engagement bénévole
Source : adapté de Martory et Crozet (2007)

A l’inverse, d’autres auteurs considèrent que la relation existante


entre RSE et GRH ne concerne que quelques domaines spéci-
fiques, tels que ceux liés à la santé et à la sécurité au travail ainsi
qu’à la prévention de la discrimination au travail (Kagnicioglu et
Kagnicioglu, 2007).
2. Impact de la démarche RSE sur les pratiques RH au Maroc
2.1. La démarche méthodologique adoptée
Mesurer l’impact de l’engagement dans une démarche RSE sur la
fonction RH a été observé via une série de questions intégrées dans
un questionnaire administré auprès des entreprises labellisées RSE
selon la charte CGEM. Le choix de cette catégorie d’entreprises
s’impose à nous d’une manière légitime. En effet, la RSE, comme un
ensemble de pratiques managériales, n’est pas encore généralisée
dans le contexte marocain. Notre étude de l’impact de la RSE sur
les bonnes pratiques RH exclut délibérément de la population
cible toutes les entreprises n’adoptant pas une démarche RSE qui
pourrait, éventuellement, nécessiter un tel dispositif. Ne retenir
que les entreprises « socialement responsables » nous permettra
non seulement de détecter s’il existe un impact positif ou non,
mais également de repérer à quel point ces entreprises labellisées
RSE intègrent dans leurs systèmes managériaux des pratiques RH
socialement responsables.

70
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Selon Aktouf (1987, p. 72), l’échantillonnage consiste à « choisir,


selon des critères définis à l’avance, un certain nombre d’individus
parmi les individus composant un ensemble défini, afin de réaliser
sur eux des mesures ou des observations qui permettront de
généraliser les résultats à l’ensemble premier ». Dans notre cas,
l’ensemble défini regroupe toutes les entreprises disposant d’une
démarche RSE qu’elle soit formelle ou informelle.
L’enquête s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, une fois les
construits opérationnalisés, une première version du questionnaire
a été élaborée et testée auprès de deux DRH d’entreprises
labellisées RSE et membres de la CGEM, et un expert en matière
de RSE et RH (directeur du club des entreprises labellisées RSE et
ex DRH de COSUMAR).
Ce pré-test du questionnaire est crucial selon plusieurs chercheurs
(Cooper et Schindler 2003 ; Aaker, Kumar, et Day 2004 ; Churchill
et Lacobucci, 2005). En effet, il a permis une mise à l’épreuve de
la forme des questions, de leur ordonnancement, une revue du
vocabulaire, une vérification de la compréhension des répondants
et de la pertinence des modalités de réponses proposées, une
estimation du temps nécessaire pour remplir le questionnaire. À
l’issue de ce test préalable, nous avons élaboré la version définitive
de notre questionnaire.
Les tests des hypothèses que nous avons menés ont montré que
l’engagement dans une démarche de RSE influence positivement
les pratiques de recrutement, de formation continue, et le climat
de travail.
2.2. Discussion des résultats
2.2.1. L’impact de la démarche RSE sur le recrutement
et l’intégration
Les résultats obtenus mettent en avant des relations positives et
significatives entre l’adoption d’une démarche RSE et la pratique

71
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

du recrutement. Ce résultat pourrait s’expliquer par l’engagement


des entreprises labellisées RSE au Maroc dans une politique
de diversité dans leurs opérations de recrutement qui peuvent
englober des hommes, des femmes, des candidats de différentes
religions et cultures, et des personnes en situation de handicap), et
ce à travers l’adoption d’une charte interne, un règlement intérieur,
ou bien un code de conduite.
En effet la charte RSE de la CGEM insiste dans ses deux premiers
axes sur le respect des droits humains et sur l’amélioration
en continu des conditions d’emploi et de travail. Pour cela,
les entreprises labellisées visent à favoriser la parité homme/
femme et l’égalité professionnelle en réalisant un taux important
de quasi-parité avec un effectif féminin élevé pour les postes
de management. La norme marocaine NM 00.5.601 incite
les organisations à respecter les exigences sociales légales et
réglementaires ou celles auxquelles elles souscrivent, comme le
travail des mineurs et le respect de l’âge d’admission au travail, le
travail des femmes et celui des personnes handicapées.
En ce qui concerne la pratique de l’intégration, nous constatons
qu’il n y’a pas une forte relation avec l’engagement dans la
démarche RSE. Cela pourrait s’expliquer par l’absence d’un
processus d’accompagnement des nouvelles recrues. Intégrer
un collaborateur c’est faire en sorte qu’il trouve sa place et une
harmonie dans l’environnement qu’il rejoint. Faute d’harmonie,
le nouvel embauché aura tendance à ne pas vouloir rester dans
l’entreprise… et cela arrive plus souvent qu’on ne le croit. En
effet, la charte RSE de la CGEM n’a pas soulevé cette question
d’intégration des nouveaux employés, ce qui explique la non
dépendance des entreprises labellisées de cette pratique. Ce
résultat reste limité, car il faut le compléter par une analyse des
perceptions au niveau des salariés embauchés dans ces entreprises

72
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

labellisées afin de mesurer leur degré de satisfaction par rapport à


leur intégration.
2.2.2. L’impact de la démarche RSE sur la formation
continue
Les résultats obtenus mettent en avant des relations positives et
significatives entre l’adoption d’une démarche RSE et la pratique
de la formation continue. Ce résultat pourrait s’expliquer par
l’engagement des entreprises labellisées RSE au Maroc dans
une politique de développement des compétences afin de rester
compétitives, et de s’adapter aux mutations que connait leur
environnement.
En effet, les entreprises labellisées RSE ont un avantage compétitif
certain et cherchent toujours à attirer les meilleurs collaborateurs.
Pour cela elles essayent de développer leur marque employeur, que
ce soit à travers leur politique de recrutement, de fidélisation ou de
formation continue. Toutes ces actions contribuent à la cohésion
sociale, à la construction d’un esprit d’équipe, au développement
de la fierté d’appartenance. En affirmant sa volonté d’être et
d’agir en entreprise responsable, l’entreprise labellisée RSE
cherche à satisfaire les attentes de ses partenaires internes par le
développement de leurs compétences, en organisant des actions de
formation pour l’ensemble des collaborateurs sans discrimination
et en augmentant le pourcentage des dépenses destinées aux
programmes de formation par rapport à la masse salariale. Dans
ce sens l’État joue aussi un rôle important en encourageant les
entreprises à travers le remboursement à hauteur de 70% jusqu’à
80% des frais de formation.
2.2.3. L’impact de la démarche RSE sur le climat social
Les résultats obtenus mettent en avant des relations positives et
significatives entre l’adoption d’une démarche RSE et le climat

73
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

social. En effet,les organisations accordent une grande importance


à la qualité du dialogue social car celui-ci permet de faire émerger
un climat de confiance. Réglementé par la loi, le dialogue social
doit aller plus loin jusqu’à faire naitre un véritable échange entre
la direction et les salariés notamment au travers des syndicats.
Le climat social doit être un levier de performance déterminant
la qualité de vie au travail et la productivité de l’organisation. Il
renforce le sentiment d’appartenance des salariés notamment en
période de crise où les difficultés doivent être résolues autrement
que par des conflits.
La forte pression exercée par les parties prenantes réglementaires
amène les entreprises à recourir aux indicateurs de la RSE. Dans
notre étude, nous avons trouvé que l’engagement dans une dé-
marche RSE ne peut qu’impacter positivement le climat social, ce
résultat pourrait s’expliquer par le pouvoir de plus en plus impor-
tant des parties prenantes réglementaires (syndicat, les instances
représentatives du personnel) qui contribuent à imposer des lois
et des directives aux entreprises en matière sociale et environ-
nementale. Certes, la RSE est un concept relativement récent au
Maroc. Cependant, elle a été favorisée, ces dernières années, par
un contexte global propice porté par des réformes stratégiques à
la fois économiques, juridiques et institutionnelles. Ce résultat est
compatible avec celui de l’étude de Simnett et al. (2009) qui sug-
gèrent que les entreprises subissant une pression forte de la part
des parties prenantes réglementaires seraient plus contraintes non
seulement à recourir aux indicateurs de la RSE mais à les faire
vérifier par un auditeur. Nous pensons que l’engagement dans une
démarche de RSE est utilisé par ces entreprises pour assoir leur
légitimité.

74
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

2.2.4. L’impact de la démarche RSE sur le bien-être et la


santé au travail
Les résultats obtenus mettent en avant des relations positives et
significatives entre l’adoption d’une démarche RSE et le bien-être et
la santé au travail. En effet, toute organisation est garante de la santé
de ses salariés et de la mise en place de bonnes conditions de travail.
Le rôle d’une organisation est d’évaluer les dangers, d’adapter le
travail aux personnels et de planifier la prévention des risques au
travail. Face aux maladies professionnelles, accidents du travail,
stress, incivilités et harcèlement, la préoccupation des entreprises
et institutions pour le bien-être au travail prend de l’ampleur.
Améliorer l’organisation et l’environnement de travail, prendre en
compte les besoins des salariés et encourager leur développement
personnel procure aux organisations des retombées positives que
ce soit en termes de productivité des salariés, d’image, de marque
employeur, etc. Ainsi, la norme ISO 26000 définit notamment
la RSE comme étant : «la responsabilité d’une organisation vis-
à-vis des impacts de ses décisions etactivités sur la société et sur
l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et
transparent qui contribue au développement durable, y compris à
la santé et au bien-être de lasociété ; prend en compte les attentes
des parties prenantes ; respecte les lois en vigueur tout enétant en
cohérence avec les normes internationales de comportement ; est
intégré dans l’ensemble del’organisation et mis en œuvre dans ses
relations ».
Notre étude a montré que l’engagement dans une démarche
RSE impacte positivement le bien-être et la santé au travail, les
entreprises labellisées RSE au Maroc ont manifesté la conviction
que cette pratique doit se situer au centre de l’implantation de la
démarche de RSE. Étant donné le rôle transversal joué par la GRH
dans l’entreprise, elle est la seule fonction de l’organisation capable

75
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de donner sens et cohérence, de communiquer et d’innover dans


le but de mettre en place les principes de la RSE.
Conclusion
Aujourd’hui la Gestion des Ressources Humaines est confrontée à
plusieurs défis. On peut citer l’urgence d’entretenir la motivation,
de gérer les compétences, de développer le capital humain, le
management par la confiance et l’employabilité ainsi que de
partager les responsabilités entre employeurs et salariés. Les
entreprises doivent donc repenser leurs pratiques traditionnelles
de gestion des ressources humaines, et ce, dans le but d’accroitre
leur performance sociale ainsi que leur position concurrentielle.
Dans ce cadre, la RSE se présente comme un moyen utilitaire
ou instrumental afin de mettre en valeur la rationalité sociale de
l’entreprise.
Lier la GRH à la RSE est une tâche complexe. En effet, la RSE mobi-
lise une gamme très large de concepts en relation avec les res-
sources humaines, allant du respect des droits de l’homme jusqu’à
l’aide des employés à assurer un équilibre entre leur vie person-
nelle et leur travail.
Reste à signaler que cette relation RSE-GRH n’a pas eu suffisam-
ment d’attrait auprès des chercheurs malgré sa grande influence
sur la performance et l’emploi. L’entreprise sera responsable d’une
part, des personnes qu’elle gère et dans une certaine mesure de
leur avenir et d’autre part, des conséquences sociales que son acti-
vité génère. Pour ce faire, elle doit profiter des capacités humaines
qu’elle possède et ouvrir le dialogue avec elles, pour s’ouvrir au
changement et à l’innovation. L’un des défis majeurs qui attend
l’entreprise socialement responsable serait d’entretenir, dans la
durée, la motivation intrinsèque de ses membres et leur aptitude à
se mobiliser dans leur travail. Le personnel pourra ainsi jouer un

76
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

rôle primordial dans la dynamique du développement durable de


l’entreprise.
L’engagement dans une démarche de RSE conduit les entreprises
marocaines labellisées RSE à adopter certaines pratiques RH.
D’autres pratiques restent liées soit à la stratégie globale de
l’entreprise, soit à la stratégie RH propre à chaque entreprise.
L’intégration entre la GRH et la RSE dans les entreprises
marocaines repose sur un ensemble de pratiques qui respectent
les droits fondamentaux de l’être humain (égalité des droits, non-
discrimination en matière de recrutement, conditions de travail
satisfaisantes) ; encouragent le développement des compétences
à travers des programmes de formation destinés à l’ensemble des
collaborateurs ou bien à une catégorie bien définie ; encouragent
l’accomplissement des employés et suscitent leur engagement ;
favorisent une relation d’emploi durable entre employeur et
employé à travers un climat social sain et propice ; veillent à
protéger la vie des employés sur le lieu de travail.

77
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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79
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La RSE comme désenchantement du discours managérial :


le cas des entreprises de télécommunication au Maroc

Youssef SADIK et Meryem SENHAJI

Introduction 
De nos jours, la responsabilité sociale de l’entreprise est un sujet
récurrent dans les débats aussi bien dans les recherches acadé-
miques que dans les milieux des affaires. L’entreprise, devenue
une affaire de société, doit relever un nouveau défi : celui de
prouver sa légitimité et son utilité sociale (Sainsaulieu, 1990). Du
point de vue conceptuel, la RSE peut être définie comme une
«intégration volontaire des préoccupations sociétales et éco-
logiques aux activités industrielles et commerciales » (Igalens,
2003). C’est une démarche engagée par les entreprises, en vertu
de laquelle, elles intègrent de manière volontaire des considéra-
tions touchant le domaine économique, social et environnemental
dans leur gestion et dans leur relation avec les parties prenantes.
Dans le cadre de ce chapitre, notre problématique porte sur la
perception de la RSE par les employés. Pour cela, nous posons
les questions de recherche suivantes : comment les employés
perçoivent-ils les actions socialement responsables mises en
œuvre par leur entreprise ? Comment réagissent-ils à ces actions ?
Quel est l’effet de cette perception sur leurs attitudes et leurs
comportements au travail ?
Les employés étant une partie prenante saillante pour les entre-
prises, leur perception de la RSE constitue une source privilégiée
de l’évaluation de la performance du concept. En d’autres termes,
nous nous interrogeons sur les réalités et les enjeux de la RSE pour
une gestion responsable des ressources humaines.

81
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La RSE résultant d’un engagement volontaire, sa dimension


communicationnelle est très importante (Bodet et Lamarche, 2013).
Sachant que l’image et la réputation d’entreprise citoyenne se
traduisent dans des pratiques de gestion, l’entreprise doit engager
une réelle réflexion stratégique quant à son engagement RSE (Porter
et Kramer in Aggeri et al., 2011) sans négliger la recherche de la
rentabilité et de la maximisation du profit (Perez, 2005).
Par rapport aux enjeux liés à la RSE, l’entreprise doit être sensible
au décalage entre la communication sociétale et les pratiques
réelles étant donné qu’elle est directement concernée par les
problématiques liées au recrutement du personnel.
La relation RSE/GRH est un champ de recherche émergent dans
lequel les travaux empiriques sont rares et limités (Grimaud et
Vandangeon-Derumez, 2010). Produire une communication
sociétale uniformise l’entreprise sans prendre en considération les
tensions multiples qui la parcourent (Théret, 1999).
Ce texte vise à contribuer à la compréhension de ce qui fait du
décalage perçu entre discours RSE et pratiques de GRH par les
employés, un déterminant important de la manière dont ces
derniers se comportent. Dans ce sens, une étude longitudinale des
publications RSE des entreprises de télécommunication marocaines
sera analysée à la lumière des témoignages des employésen ce qui
concerne les pratiques concrètes en matière de GRH.
Le texte s’articule autour de deux parties. La première a pour
objectif d’aborder la thématique de la responsabilité sociétale : son
évolution conceptuelle, sa mesure, sa relation avec la cognition
managériale et la théorie de l’échange social. Dans la seconde
partie, nous détaillerons les choix méthodologiques adoptés pour
répondre à nos interrogations puis nous présenterons les résultats
obtenus et les commentaires qui en découlent.

82
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

1- La RSE : aspects théoriques


1-1- Développement conceptuel de la responsabilité
sociale des entreprises
La question d’une responsabilité sociale des entreprises est apparue
suite à des considérations éthiques et religieuses, et s’est ensuite
progressivement structurée dans les milieux d’affaires managériaux
avant d’entrer au sein des débats théoriques et conceptuels du
monde académique. Si l’ouvrage fondateur et visionnaire de
Bowen (1953) a jalonné les développements théoriques ultérieurs
sur la RSE, l’histoire du concept montre qu’il est un champ donnant
lieu à une prolifération de concepts qui génèrent une confusion
grandissante (Igalens et Gond, 2008). Gendron (2000) récapitule
les controverses qui ont touché la conceptualisation de la RSE
autour de trois grandes orientations :
Une première orientation philosophique et normative (1950/60)
ressort des premières recherches sur la RSE qui se sont focalisées
sur l’évaluation des contours de ce phénomène en prenant en
considération les attentes sociales de la société. Au sein de cette
orientation normative, deux approches ont été identifiées dans la
typologie proposée par Gendron (ibid.) :
-Le courant « Business and Society » stipule que l’entreprise est une
institution sociale, responsable de ses actes vis-à-vis de la société
qui l’a créée, et qui pourra mettre fin à ses activités si jamais elles
évoluent en sa défaveur (Donaldson, 1995 ; Preston et Post, 1987).
Les premières conceptions de la RSE ont été formulées dans
l’objectif de montrer qu’il existe une responsabilité autre pour
l’entreprise que celle de faire du profit puisque celle-ci n’est pas
isolée de la société où elle évolue.

83
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Gond (2006b) a identifié plusieurs points communs dans les


définitions proposées par les auteurs du courant « Business
and Society » : la reconnaissance de l’existence d’une relation
entre l’entreprise et la société l’obligeant à élargir le champ de
ses responsabilités au-delà des aspects économiques, légaux
ou techniques ; la modification de la manière de gestion des
entreprises devant prendre en compte les attentes sociales, voire
jouer un rôle afin « d’augmenter le bien-être économique et social »
et la prise en compte des conséquences sociales potentielles de
chaque décision de l’entreprise, dans le sens où les activités de
celle-ci peuvent affecter son environnement externe.
- Le courant « Business ethics», stipule que l’activité de
l’entreprise est soumise au jugement moral, ce qui implique que la
responsabilité sociale de l’entreprise dépend de sa responsabilité
éthique (Goodpaster, 1983).
Pour Pesqueux et Biefnot (2002), ce courant de l’éthique des af-
faires « concerne l’activité des entreprises déclinées, par exemple,
en codes d’éthique mais aussi les représentations liées aux consé-
quences éthiques véhiculées par les outils de gestion » (p. 19).
Les objectifs de l’entreprise se rapprochaient plus d’une œuvre
philanthropique dont la motivation première était le respect de
l’éthique, notion qui se voit ensuite réintroduite par un certain
nombre d’auteurs. Pour Carroll (1979) par exemple, la RSE
peut être approchée selon une pyramide de quatre niveaux.
La responsabilité sociétale de l’entreprise comprend alors
« les attentes économiques, légales, éthiques et discrétionnaires
que la société ades organisations à un moment donné » (Carroll,
1979, p. 500).
A propos de cette orientation, il convient de préciser que les
constructions théoriques issues des courants « business and society»

84
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

et « Business ethics», ont donné naissance à une première prise en


compte des valeurs et des principes dans la gestion des entreprises.
Elle sera ensuite qualifiée de RSE 1 qui, malgré son importance
dans le champ de la RSE, reste normative dans le sens où elle décrit
ce que l’entreprise doit faire ou ce qu’il est souhaitable qu’elle
fasse pour être socialement responsable sans montrer comment les
dirigeants peuvent concrètement l’opérationnaliser pour répondre
aux attentes de la société. D’où la naissance d’une deuxième
orientation plus pragmatique et managériale.
Une deuxième orientation pragmatique et managériale:
Développée dans les années 1970, elle se focalise sur la façon dont
l’entreprise pourrait concrètement détecter et gérer les problèmes
de la RSE, pertinents pour elle. En fait, la nécessité d’un plus fort
pragmatisme dans l’effort de définition de la RSE s’est concrétisée
par la proposition d’une vision plus procédurale en travaillant sur
le concept de « corporate social responsiveness », ou « capacité
de l’entreprise à répondre aux pressions sociétales » (Frederick,
1978).
Ce deuxième niveau de conceptualisation appelé RSE 2 pose les
premières réflexions sur le processus de gestion des problèmes
sociaux auxquels les entreprises sont confrontées.
Dans une perspective stratégique, la RSE 2 laissant de côté le
« pourquoi » de la RSE 1 et se focalisant sur le « comment »
d’une telle démarche, s’intéresse aux processus de détection et de
réponse de l’entreprise aux attentes de la société.
Différentes postures de réponse ont été identifiées dans plusieurs
définitions (McAdam, 1973 ; Wilson, 1975). Elles se déclinent en
niveaux stratégiques de réponse allant du refus de reconnaissance
de sa responsabilité quand surviennent des demandes sociétales

85
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

(comportement réactif), jusqu’à l’anticipation (comportement


proactif) de ces demandes.
Cependant, le monde académique qui se trouve rapproché des
préoccupations managériales par l’intermédiaire de cette nouvelle
forme de RSE 2, s’éloigne simultanément considérablement des
origines normatives, morales et éthiques qui avaient fondé le
concept de RSE, ce qui fera le point de départ d’une troisième
forme plus intégratrice.
Une troisième orientation synthétique et intégratrice : développée
depuis les années 1980/90, cette orientation s’inspirant du courant
de la RSE 1, et de celui de la RSE 2, tente d’en réaliser une synthèse
permettant d’intégrer les principes et valeurs, les processus de
gestion et les conditions d’amélioration des résultats sociétaux.
Cette synthèse renvoie à une nouvelle approche de la RSE plus
réfléchie et plus active. Elle a pour objectif la recherche pragmatique
de l’intérêt final que peut avoir une entreprise en adoptant cette
démarche. Elle est centrée notamment sur l’étude des conditions
dans lesquelles la performance financière de l’entreprise peut être
améliorée.
Au cœur de cette interprétation, une vision utilitariste de la RSE a
émergé sous le nom de « business case de la RSE ». Les partisans
de cette approche essayent de répondre à la question suivante :
les entreprises peuvent-elles avoir une meilleure performance
financière en réalisant à la fois leur cœur de métier tout en étant
responsables vis-à-vis de la société au sens large (Kurucz et al,
2008). Carroll et Shabana (2010) précisent que le business case
de la RSE « se rapporte aux arguments sous-jacents ou rationnels
supportant ou démontrant pourquoi la communauté d’entreprises
devrait accepter et soutenir la cause de la RSE. Il répond à la
question clé : Que peuvent retirer les organisations de la RSE ?

86
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

C’est-à-dire comment bénéficient-elles de façon tangible de leur


engagement dans des politiques, activités ou pratiques de RSE ? »
(Carroll et Shabana, 2010, p 85). Label et Aka (2010), indiquent
que « le business case pour la RSE » devrait tenir compte des
véritables retombées positives souhaitées par les managers, que
celles-ci soient liées au profit ou à la création de valeur. Gendron
(2000), dans sa typologie, situe cette orientation dans le courant de
la RSE instrumentale dans le champ « social issue management»
(Freeman, 1984) qui affirme que la gestion des questions de RSE
permet à l’entreprise d’améliorer sa performance économique.
Ainsi vont naître les notions de performance sociétale de l’entreprise
(PSE), ayant pour motivation la recherche d’un intérêt à long terme.
La question d’un lien entre performance financière et performance
sociale est devenue dominante dans le sens où elle permet
d’identifier les facteurs extra-économiques susceptibles de
permettre aux organisations de contribuer au développement
durable tout en assurant une maximisation de leur performance
financière.
1.2. Relation entre performance sociale(PSE) et performance
financière(PF)
La corrélation entre performance sociale et performance écono-
mique est une question qui rejaillit dans les travaux de recherches
sur la RSE chaque fois que la réflexion porte sur la mesure des
résultats.
Carroll et Shabana(2010) font la distinction entre deux approches
méthodologiques qui présentent cette relation : l’approche étroite
et l’approche élargie. Dans la première, les recherches ont été
orientées vers l’étude du lien direct entre la RSE et la performance
financière et pour lesquelles les résultats entre ces deux variables
étaient mitigés. Si certaines études postulent l’existence de relation

87
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

négative entre ces construits (Vance, 1975), d’autres montrent qu’il


existe une relation positive (Graves et Waddock, 1994), tandis
ce que d’autres enfin ne montrent aucune relation significative
(McGuire et al, 1988). Selon Vogel (2005) l’imprécision de la
mesure de la RSE est liée à certaines défaillances relatives à la
négligence de variables de contrôle et à des biais dans la sélection
des entreprises étudiées. Ainsi, pour les études qui n’utilisent
aucune variable de contrôle, toute relation trouvée entre PSE et PF
peut être fallacieuse, car pouvant être due à d’autres causes que
celle de la variable explicative « PSE ». Partant des faiblesses de
cette première approche, une deuxième perspective plus récente a
vu le jour, et comprenant encore peu de travaux.
Dans cette deuxième perspective qualifiée de plus élargie, les
chercheurs ont tendance à rechercher des relations directes et
indirectes entre la RSE et la performance de l’entreprise, permettant
ainsi d’apprécier la relation complexe entre la RSE et la performance,
en reconnaissant l’interdépendance qui lie l’entreprise et la
société (Berger et al, 2007). Contrairement aux recherches qui se
sont centrées sur la justification d’un lien direct entre la PSE et PF
(identification des réductions immédiates des coûts engendrés par
la démarche de RSE), la perspective élargie du business case prend
en considération l’ensemble des variables, ainsi que la nature
complexe des interrelations entre elles permettant d’expliquer le
lien entre la RSE et la performance financière (Label et Aka, 2010).
Allouche et Laroche (2005) avancent que « le développement
des connaissances passe par la reconnaissance et l’identification
des multiples facteurs de contingence affectant l’interaction.
Il reste à faire l’évaluation des performances, partie prenante par
partie prenante, et celles-ci ne sont pas identiquement sensibles à
chaque aspect de la responsabilité sociale ». Outre l’exploration
des liens entre performance financière et performance sociale,

88
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

les interactions entre RSE et réputation d’entreprise permettent


de dire que la RSE peut être appréhendée comme une variable
contingente.
1-3- Perception de la RSE par les employés
La définition des employés comme partie prenante légitime de
l’organisation a des implications organisationnelles et managériales
(Greenwod et De Cieri, 2005). En tant que partie prenante
primaire, les employés sont susceptibles d’évaluer les principes
de la responsabilité sociale de leur entreprise, les procédures et
les implications qui en découlent. Cette évaluation peut à son
tour avoir une influence sur leur manière de se conduire envers
leur organisation. A cet égard, Van Tulder et al. (2009) soulignent
que la perception de la RSE par les salariés est considérée
comme un mécanisme important de la contribution des salariés
à la performance de l’entreprise. Dans une approche cognitive,
l’organisation est perçue comme en partie ou en totalité créée par
les individus qui agissent sur elle et non comme un organisme
obéissant à une série de lois scientifiques (Cossette, 2004).
En effet, les employés d’une organisation ne sont pas de simples
acteurs mus par des injonctions externes. Ils agissent en fonction
de leurs croyances et valeurs.
L’intérêt de la cognition managériale se trouve dans l’importance
qu’elle accorde aux éléments de nature cognitive tels que la
perception ou l’interprétation dans la formation de la pensée
managériale. L’approche sociocognitive considère les organisations
comme des entités sociales où les processus cognitifs sont très
influencés par les dimensions sociales dans un contexte d’action
donné (Lauriol, 1998). Elle contribue alors à la compréhension
des comportements des employés dans leur organisation, par
l’explication de la manière dont un acteur traite l’information afin
de lui donner un sens par le moyen de ses perceptions. En matière

89
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de RSE, certains chercheurs avancent que ces perceptions peuvent


avoir des effets sur l’engagement organisationnel des salariés, leur
satisfaction au travail, et leur identification à l’organisation (Collier
et Esteban, 2007 ; De Roeck et Swaen, 2010).
Sous cet angle d’approche, nous pouvons supposer que la percep-
tion de pratiques relatives à la RSE dans leur ensemble influence
positivement les attitudes professionnelles des employés. D’ail-
leurs, les employés peuvent agir comme agents de changement
social quand ils poussent les entreprises à adopter un comporte-
ment socialement responsable (Aguilera et al., 2007). Ils peuvent
évaluer, juger et réagir aux programmes et actions RSE réalisés par
l’entreprise (Gond et al, 2011). Igalens et Tahri (2010) considèrent
les salariés comme la seule partie prenante qui peut figurer à la
fois en amont, au centre et en aval de la RSE. Le salarié peut être
à l’origine d’une action de RSE, le plus souvent il en est l’acteur
principal, ou l’un des acteurs du programme d’actions, enfin, dans
certains cas il en est également le bénéficiaire. Ainsi, il peut contri-
buer à la performance de l’organisation en renforçant son enga-
gement et identification envers elle, ainsi que par la promotion de
son image RSE en externe. Rindova et al (2005), précisent que la
réputation d’une organisation s’apparente à la façon dont l’orga-
nisation est perçue par l’ensemble de ses parties prenantes et à sa
capacité à créer de la valeur, comparativement à ses concurrents.
Partant de leur perception, les salariés peuvent répondre à la RSE
engagée par leur organisation de manière positive ou négative. Ce-
pendant, la perception des employés est influencée par plusieurs
facteurs tels que les connaissances personnelles, la personnalité et
le milieu social. Elle est aussi et surtout influencée par le contenu
et la spécificité du code éthique, comment il a été communiqué
aux employés ainsi que par l’efficacité du système de récompense/
punition en cas de conformité ou de non-conformité aux instruc-

90
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

tions du code d’éthique (Schwartz, 2001). Dans la même veine,


Tahri (2010) souligne que les employés réagissent à ce qu’ils per-
çoivent comme comportements responsables ou irresponsables de
leur organisation.
La question que nous nous posons ici c’est comment ces percep-
tions peuvent affecter les attitudes et les comportements des em-
ployés au travail ?
Les différentes conclusions concernant la nécessité d’ouvrir la
« boîte noire » des interactions entre la PSE et la PF que nous
avons présenté auparavant, et pour laquelle plusieurs auteurs
suggèrent aux chercheurs de découvrir les variables médiatrices et
contingentes en jeu dans ce type d’interactions, nous orientent vers
la recherche des mécanismes qui peuvent expliquer le passage de
la PSE à la PF.
Dans cette perspective, Schuler et Cording (2006) suggèrent que
l’analyse de la relation entre la PSE et la PF doit passer par une
recherche sur la séquence d’évènements qui se produisent entre la
mise en place par une entreprise d’actions de RSE et les réponses
propres de chaque catégorie de partie prenante.
En fait, le sens et le contenu que peut avoir une démarche sociale-
ment responsable peuvent varier en fonction de l’activité de l’en-
treprise mais aussi de la perception des parties prenantes concer-
nées.
Il sied donc d’identifier les liens fins qui unissent l’entreprise et
ses collaborateurs et qui peuvent montrer le rôle que peut jouer
la perception de la RSE dans l’explication des comportements au
travail. Cette relation dialectique sera expliquée sur la base d’une
théorie comportementale qui est la théorie de l’échange social.

91
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

1.4. Théorie de l’échange social et RSE

Cette théorie est intéressante pour notre étude au regard de la


norme de réciprocité qui caractérise la nature des échanges entre
les salariés et leur organisation.
Les travaux qui ont mobilisé les préceptes de cette théorie (Coyle-
Shapiro et Conway, 2004), avancent que les employés qui se sentent
soutenus, respectés et valorisés dans leur travail, ont généralement
tendance à rétrocéder volontairement les dispositions bienveillantes
dont ils font l’objet, c’est-à-dire « rendre la pareille ».
La manifestation tangible de cet échange s’observe notamment
à travers des attitudes et comportements positifs et créateurs de
valeur, tels la satisfaction au travail, l’engagement, l’assiduité,
la performance, ou la fidélité. La théorie de l’échange social
considère que la relation tissée entre deux parties peut être décrite
sur un continuum entre deux extrêmes : l’échange économique
comprenant des obligations respectives claires, centrées sur
la satisfaction de ses propres intérêts et limitées à un échange
de ressources quantifiables, et l’échange social qui inclut des
obligations non spécifiées, laissées à la discrétion des deux parties,
tant quant à leur contenu que quant à leur fréquence d’apparition
(Cropanzano et Mitchell, 2013).
Pour Schaninger et Turnipseed (2005), l’échange économique
donne forme à une obligation contractuelle dont les conditions
sont spécifiées par avance, connues par chacune des parties, et
formalisées par écrits dans les contrats de travail, conventions
collectives et règlements intérieurs. L’échange économique définit
la relation d’emploi à minima et pose le cadre normatif dans lequel
doivent s’inscrire les comportements de travail. Au contraire,
l’échange social permet de dépasser le cadre restreint et prescriptif
du contrat de travail en faisant appel à la bonne volonté et aux

92
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

comportements discrétionnaires des employés. Dans cette relation


d’échange social, les obligations des deux partenaires sont souvent
non spécifiées, diffuses et valorisées comme symboles de loyauté,
de support mutuel et de bonne volonté et les standards pour
mesurer les contributions de chacune d’entre elles sont souvent
flous et indéterminés.
Mais si l’échange économique est basé sur la réciprocité instru-
mentale, les relations au travail se fondent essentiellement sur
la confiance et sur un sentiment d’obligation morale. D’ailleurs,
Gouldner (1960) indique que ce sont les obligations engendrées
par les comportements antérieurs qui donnent raison aux compor-
tements futurs des individus. Selon que leurs obligations s’effec-
tuent envers l’organisation, leurs collègues ou leurs supérieurs, la
relation d’échange peut générer divers comportements et attitudes
des salariés au sein de l’organisation.
En contexte organisationnel, la théorie de l’échange social
édicte que lorsque les employés perçoivent recevoir de l’aide,
du soutien, de l’attention ou d’autres dispositions bienveillantes,
ils sont davantage susceptibles de rétrocéder en manifestant des
attitudes et comportements de travail positifs et créateurs de valeur
(Cropanzano et Mitchell, 2013).
A ce titre, mettre en place une stratégie socialement responsable
pousse l’entreprise à s’investir dans des pratiques volontaires de
RSE positives notamment pour le bien-être de ses salariés. Les
initiatives socialement responsables qui produisent des niveaux
élevés du soutien organisationnel perçu, créent chez les salariés une
obligation pour récompenser l’organisation de ses contributions
positives. Autrement dit, plus les salariés sont soutenus à travers des
politiques de gestion qu’ils perçoivent comme bienveillantes, plus
ils feront des efforts pour atteindre les objectifs organisationnels.

93
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La théorie de la justice organisationnelle peut être aussi un cadre


pertinent pour étudier les attitudes et comportements au travail
dans la mesure où elle se préoccupe de la façon dont les employés
déterminent s’ils sont traités équitablement dans leurs emplois et
la façon dont ces déterminations influencent d’autres variables
liées au travail. En se basant sur le principe de la réciprocité des
échanges, un traitement juste est récompensé par la coopération,
l’assistance et le soutien alors que l’injustice est vécue comme une
transgression morale motivant l’insatisfaction, la non-coopération
et la vengeance (Restubog, & Tang, 2008).
Selon Bies et Tripp (1995) la justice organisationnelle peut être
définie comme étant l’ensemble des règles et normes sociales
gouvernant la manière dont les résultats doivent être alloués, les
procédures qui doivent être utilisées pour prendre les décisions et
la nature du traitement interpersonnel que les individus doivent
recevoir.
Ainsi, une démarche socialement responsable engagée par une
organisation pourra influencer d’une manière positive ou négative
les parties prenantes selon leurs perceptions des procédures et
pratiques mises en œuvre par cette dernière.
1-5- La communication en tant que composante de la RSE
L’ensemble de ces construits offrent une base théorique permettant
de comprendre le mécanisme par lequel la RSE des entreprises
influence les attitudes et les comportements des employés au
le travail. En outre, la communication, en tant que composante
principale dans l’organisation de l’entreprise, prend une place
particulièrement intéressante dans la compréhension de la
nature des relations qui se nouent entre l’entreprise socialement
responsable et ses parties prenantes.

94
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

En effet, il ne suffit pas à l’entreprise de s’engager dans une


démarche RSE, il faut qu’elle communique ses engagements
auprès des différentes parties prenantes internes et externes. La
communication sociétale place en effet le management au centre
de la RSE de manière à internaliser les externalités négatives (de
La Broise et Lamarche, 2006). Elle synthétise les engagements
socialement responsables et rend compte à la société civile de
degré de performance sociétale de l’entreprise. Elle est véhiculée
à la fois par les nouvelles technologies de l’information et de la
communication comme les sites Internet des entreprises, les outils
de reporting sociétal ainsi que les rapports RSE/Développement
Durable, que les entreprises veillent à produire chaque année
(Acquier et Aggeri, 2007).
Selon Chauvey, Giordano-Spring (2007) par cette communication,
l’entreprise divulgue des informations en dehors du cadre légal
et réglementaire et permet à la société civile d’évaluer la qualité
et la crédibilité de son engagement responsable. C’est alors la
crédibilité de son engagement qui devient un gage de légitimité
(Capron, 2009). Néanmoins, au-delà du simple aspect déclaratif et
communicationnel, l’entreprise doit démontrer une réelle volonté
de s’engager et de s’impliquer dans la RSE. La communication
sociétale doit être impérativement traduite en actes pour assurer la
légitimité de l’entreprise et crédibiliser ses actions. Cela implique
que la RSE soit déployée au sein de toute l’entreprise (Roberson et
al., 2005). La littérature démontre que plus l’image de l’entreprise
est positive, plus les salariés actuels lui sont fidèles et sont prêts
à déployer des efforts supplémentaires à son égard (Smith et al.,
2004). C’est ainsi qu’une communication autour de principes
RSE permettrait aussi de mettre en place une relation affective
et durable avec ces parties prenantes via un partage de valeurs
(Sharma et al., 2009).

95
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Par ailleurs, si l’utilisation des moyens de l’information et de la


communication offre la possibilité de dévoiler le discours RSE
porté par la hiérarchie, il est important de noter que le potentiel
des entreprises pour communiquer avec les parties prenantes
doit dépasser largement la simple transmission d’information.
Le principe d’un dialogue et d’une concertation avec les parties
prenantes, suppose la mise en commun de l’information afin
d’aboutir à une forme équilibrée de l’échange avec autrui.
Sobczak et Minvielle (2011) avancent que « L’une des premières
motivations qui conduit les dirigeants à définir et à mettre en
œuvre une démarche de RSE est l’identification d’une attente
dans ce domaine de la part des parties prenantes » (p. 30). Pour
connaître les exigences des parties prenantes afin de répondre au
mieux à leurs attentes, ils suggèrent aux dirigeants des entreprises
d’analyser les discours de chaque catégorie de partie prenante
en matière de RSE ou alors de les interroger directement ou à
travers leurs représentants. Ainsi, « Une telle démarche permet de
dépasser le dialogue traditionnellement bilatéral entreles dirigeants
et chacune des catégories de parties prenantes et peut favoriser
une approcheplus transversale des enjeux économiques, sociaux
et environnementaux » (Sobczak et Minvielle, Ibid.). Mais, si
l’échange sincère et équilibré avec les parties prenantes apparaît
comme un des fondements de la RSE, sa réalisation pose beaucoup
d’interrogations.
La réflexion sur ses modalités est encore embryonnaire et
pose le risque fort de transformer la relation d’échange en une
communication unilatérale, voire en manipulation des parties
prenantes. Ainsi, nous nous interrogeons sur le degré de décalage
qui peut exister entre la perception des entreprises concernant leur
RSE, et la perception des salariés en la matière. Nous supposons
que l’existence d’un décalage entre les deux perceptions pourra

96
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

avoir un impact sur les comportements des salariés au travail, et


parconséquent sur la performance financière de l’entreprise.
Au-delà de l’impact supposé de la RSE sur la PF, il sied de dire
qu’une démarche socialement responsable peut être perçue par les
salariés d’une manière différente de la manière dont le management
l’envisage dans ses discours.
C’est pourquoi, il nous semble intéressant de comparer les discours
des entreprises sur leurs pratiques socialement responsables, et
les discours des salariés à propos de ce sujet, tout en cherchant
à identifier les variables qui interviennent dans le mécanisme qui
relie RSE et PF.
2.La RSE dans le contexte marocain
2.1. Présentation de l’échantillon d’étude

Pour l’étude de notre problématique, le secteur de télécom-


munication marocain semble être le plus adéquat. Par rapport
aux autres industries classiques, le secteur de télécoms est une
« industrie » particulière tant par ses caractéristiques intrinsèques
que par son impact sur le développement du Royaume, à travers
sa contribution significative, à l’accompagnement des politiques
publiques et sectorielles menées par le Gouvernement, au soutien
aux PME dans leur croissance, ou encore à la création d’emplois.
Outre l’importance primordiale de ce secteur dans l’économie,
les entreprises de télécommunication marocaines sont devenues
de plus en plus préoccupées et engagées dans une démarche
éthique et socialement responsable. De même, leurs engagements
sont communiqués aux différentes parties prenantes, permettant
ainsi d’obtenir leurs opinions sur les pratiques socialement res-
ponsables.

97
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

2.2. Méthodes de recueil des données

Dans le cadre de ce travail le recueil d’informations présente à la


fois des données primaires et des données secondaires:
- Les données secondaires : dans un premier temps, nous avons
étudié les discours des entreprises concernant leurs pratiques
socialement responsables à travers leurs publications en la matière
vu que l’accès aux pratiques et stratégies responsables de ces
entreprises s’avère difficile. Ces publications sont constituées des
informations extra financières diffusées par les entreprises via des
rapports DD ou à défaut intégrées sous forme d’un chapitre dans
leurs rapports d’activités annuelles ou bien encore mentionnées
dans des sections dédiées à la RSE.
Mais, comme il existe une grande variété et hétérogénéité des pu-
blications rattachables à la RSE, il semble judicieux d’analyser les
documents les plus significatifs. Selon leur disponibilité au sein de
l’entreprise, nous avons pu étudier 19 supports RSE. Ces derniers
couvrent les exercices allant de 2006 à 2013 pour Maroc Telecom,
de 2004 à 2015 pour Méditel et de 2011 à 2015 pour Inwi.
-Les données primaires : dans un deuxième temps et dans une
perspective d’évaluation de cette démarche, nous avons interrogé
directement les employés afin de détecter leur perception par
rapport à la politique RSE de leurs entreprises.
Une série de 42 entretiens semi-directifs ont été menés auprès du
personnel des trois entreprises.
Les employés ciblés sont ceux du pôle technique et commercial et
ceci pour les raisons suivantes :
-En plus de l’accès direct aux informations, interroger la force de
vente constitue pour nous une population dont la fonction ne se
limite pas uniquement à accroitre le chiffre d’affaire, mais elle la

98
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

dépasse vers l’amélioration et/ou la détérioration de l’image de


marque de l’entreprise. Sur le terrain, nous avons eu l’occasion
d’interroger une force de vente directement affiliée aux opérateurs
et une autre plutôt externalisée.
-Interroger les membres du service technique à propos de notre sujet
parait intéressant dans la mesure où ils affrontent des problèmes
souvent complexes qui nécessitent une forte résistance au stress.
Ce service sera très sensible au sujet de l’engagement affectif des
employés étant donné qu’il fait appel à des compétences et des
profils à forte employabilité.
Pour étudier l’impact des perceptions de la RSE sur les attitudes
et comportements des employés au travail, nous avons articulé
notre guide d’entretien selon l’orientation intégratrice de la RSE.
Le premier axe du guide d’entretien vise à amener les employés
à identifier la RSE au sein de leur organisation. Le deuxième axe
touche aux actions déployées par les entreprises afin de gérer les
questions sociales et qui permettent aux employés de se sentir
bien ou mal traités. Le troisième axe s’intéresse aux résultats
du comportement responsable de l’entreprise en étudiant les
perceptions des employés sur les pratiques RSE. Il s’agit de
déterminer leur degré d’appréciation de la démarche et de son
impact sur le développement de pratiques positives ou négatives
au travail en fonction de cette appréciation.
Notre problématique qui s’interroge sur les effets de la RSE sur
les attitudes et comportements des salariés, s’inscrit donc dans
la lignée des travaux sur le « business case » de la RSE prédisant
que la mise en place d’une telle démarche puisse à la fois être
bénéfique à la société, tout en étant bénéfique à la performance
économique des entreprises.

99
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Les bénéfices de la RSE ne sont pas homogènes et dépendent de la


capacité de l’organisation à développer des stratégies appropriées
de RSE qui sont dirigées vers l’amélioration parallèle des relations
avec les parties prenantes PP et du bien-être social (Barnett, 2007).
Ceci suppose donc que nous nous interrogions dans un premier
temps, sur la mise en œuvrede la RSE au sein des organisations
avant d’exposer, le point de vue des employés.
2.3. Présentation des résultats de la recherche
En étudiant l’effet des pratiques socialement responsables sur les
employés, le point suivant s’attardera sur le contenu social des
documents étudiés.
Contenu social des documents RSE analysés 
Les principales questions sociales abordées dans les supports
RSE traduisent les efforts fournis par les opérateurs en matière
d’organisation du travail, le développement des compétences et
des performances du capital humain, la promotion du dialogue
social, les mesures d’hygiène et sécurité au travail ainsi que la
politique de rémunération.
L’ensemble de ces initiatives sont présentées en se référant aux
principes de la théorie de l’échange social. L’établissement,
le maintien et le renforcement des relations durables entre les
opérateurs et les employés sont réalisés à travers différentes facettes
du processus de l’échange social :
La communication est présentée comme une clé de la confiance.
En fait, les opérateurs communiquent à leurs employés le
corpus légal et réglementaire régissant l’activité du secteur de
télécommunication et les principes universels de déontologie
professionnelle, formant ainsi le socle des valeurs d’éthique de
l’orhanisation.

100
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La communication de ces principes et valeurs détermine les droits


et les obligations des collaborateurs dans l’accomplissement
de leurs tâches et missions notamment en matière de diffusion
d’information, de contrat avec la clientèle et de la gestion de
conflit. En outre, cette communication couvre des aspects
liés à l’engagement des opérateurs envers les employés qui
sont principalement liés à la bonne gestion des carrières et au
perfectionnement des compétences des employés, au respect des
règles de droit de travail, à l’égalité des chances et au renforcement
de la place des femmes dans la prise des décisions.
Tant par sa fréquence que par son contenu, cette communication,
traduit l’importance que nos les trois entreprises, accordent aux
employés en tant que partie prenante au cœur des réalisations
organisationnelles.
Le soutien organisationnel constitue un investissement volontaire
des trois entreprises au profit des employés afin de reconnaitre
leurs réalisations individuelles. Il s’agit d’un ensemble de pratiques
discrétionnaires en matière de GRH à travers lesquelles les
opérateurs démontrent bien qu’ils valorisent et soutiennent leurs
employés.
L’existence des perspectives d’évolution et des possibilités
d’apprentissage à travers les dispositifs de formation ou de
coaching, de mobilité ou de changement d’emploi, sont présentés
comme des pratiques-clés dans le développement du parcours
professionnel des employés.
Les mesures prises en matière de protection de la santé des
employés, les dispositifs mis en place pour assurer leur sécurité au
travail, ainsi que les avantages sociaux qui leur sont octroyés par
les opérateurs traduisent l’attention particulière que ces derniers
portent au bien être des RH.

101
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La justice organisationnelle est généralement abordée à travers les


engagements des opérateurs ayant pour objectif de promouvoir
l’égalité des chances et le renforcement de la place des femmes.
Ces engagements constituent une autre source visant à accroitre
la confiance des employés vis-à-vis des opérateurs dans la mesure
où elle traduit l’adhésion de ces derniers aux valeurs et aux
principes que les individus considèrent comme indispensables
dans tout échange social. Il s’agit de donner droit aux employés à
un traitement équitable en matière de rémunération, d’évaluation,
de récompenses, de formation et de développement.
La confiance : au cœur d’une approche globale de l’échange social
se trouve la dimension confiance. Elle est appréhendée par les trois
entreprises comme un élément central à toute relation durable avec
leurs parties prenantes. Elle était mentionnée à différents passages
correspondants à différents niveaux qui caractérisent la relation
d’échange entre opérateurs et collaborateurs. Les construits de
l’échange social cités précédemment (communication, soutien
organisationnel, justice organisationnelle) sont tous évoqués par
les opérateurs dans l’objectif de bâtir la confiance avec leurs
employés.
Motivation, implication et comportements des collaborateurs :
la satisfaction des collaborateurs et des autres parties prenantes
constitue le principal objectif des opérateurs vu qu’elle a des
effets positifs sur leur performance financière et non financière. Le
soutien et la justice organisationnels qui constituent une base pour
l’instauration d’un climat de confiance entre les opérateurs et les
collaborateurs, sont présentés comme des variables qui participent
à l’augmentation des performances dans le travail.
Ces premiers résultats révèlent que le travail sur les pratiques
socialement responsables est amorcé dans les trois entreprises

102
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

en suivant une stratégie de gagnant-gagnant. Cependant, ils ne


reflètent pas forcément la réalité des actions menées, mais bien
celles que les opérateurs ont choisies de valoriser par le biais des
sites web comme moyen de communication.
C’est pourquoi ces premières réflexions sont inscrites dans un
travail de recherche plus large à travers des entretiens avec les
employés en tant que partie prenante susceptible d’évaluer les
engagements RSE de leurs organisations.
- Analyse des entretiens menés avec les employés
Les réponses reçues lors des entretiens se présentent ainsi :
Principes et engagements des opérateurs en matière de RSE perçus
par les employés
L’ensemble des interviewés avance que les activités sociales,
sociétales et environnementales font partie intégrante des actions
menées par leurs entreprises. Selon eux, ces dernières ont élaboré
des chartes éthiques et des codes de conduites permettant non
seulement de communiquer sur les responsabilités sociales, mais
aussi de réguler les comportements des employés au travail.
Les valeurs fondamentales que les opérateurs adoptent font
référence à l’éthique des affaires, au respect d’autrui, à la
transparence et au dialogue avec les clients.
Néanmoins, les entretiens réalisés révèlent la présence d’une
méfiance forte dans la perception des employés vis-à-vis des
discours et des pratiques socialement responsables de leur
entreprise. Plus précisément, les résultats indiquent que ce
scepticisme gravite principalement autour de trois points, à savoir :
la prééminence de l’actionnaire qui s’oppose à l’idée de la RSE,
l’objectif de valoriser l’image de l’entreprise comme premier
enjeu de la RSE ainsi que l’évolution sociale des entreprises qui
tend généralement vers la stagnation ou la régression. « La RSE
103
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

est une activité symbolique pour notre entreprise : le social n’a


jamais existé dans les entreprises privées et n’existera jamais ! »
(Répondant 1). Le côté relatif aux salariés ne figure pas dans cette
responsabilité. Nous venons en dernière position après toutes les
autres personnes: clients, citoyens, actionnaires, Etat… ».
Déclinaison des pratiques RSE dans la GRH
Trois champs ont été développés dans le thème « déclinaison des
pratiques RSE dans la GRH » : la politique salariale adoptée par
les opérateurs, la gestion des emplois et des compétences qu’ils
déploient et la place de la communication qu’ils accordent pour
promouvoir cette démarche.
-Politique salariale
La politique de rémunération qui est l’un des sujets les plus
sensibles en GRH, crée une insatisfaction chez plus de la moitié les
répondants. Par rapport à ce point, l’analyse des entretiens révèle
que ceux-ci s’intéressent à la manière dont les salaires ont évolué
ces dernières années. Selon leurs témoignages, la dynamique des
salaires connait une stagnation par rapport au niveau des salaires
et une révision à la baisse par rapport à ses composantes.
Dans ce cadre, force est de constater que l’insatisfaction sur le
niveau de rémunération est beaucoup plus marquée pour les
commerciaux des trois opérateurs : « Le salaire de base n’est
pas du tout reconnaissable de notre effort et la commission n’est
pas toujours attribuée, c’est en fonction des objectifs. Avec la
concurrence, on n’arrive plus à atteindre des objectifs qui sont
vraiment exagérés ».
Cette insatisfaction est d’autant plus marquée chez la force de
vente externalisée et pour laquelle cette politique de rémunération
est gérée par les distributeurs.

104
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Pour les salariés du site technique, l’intérêt porté à cette question


touche d’une part à la fréquence et l’ampleur des augmentations de
salaires et d’autre part à l’évolution des composantes variables de la
rémunération, telles que les primes et les heures supplémentaires :
« L’augmentation des salaires connait une stagnation et l’astreinte
est mal évaluée, la prime de dérangement n’est pas du tout
reconnaissable de notre effort ».
-Gestion des emplois et des compétences
En ce qui concerne la gestion des emplois, la répartition des statuts
d’emploi qui résulte de la flexibilité du travail mise en place par
les entreprises est considérée comme un signe d’insuffisance en
matière de RSE.
Ce constat est partagé par la majorité des collaborateurs travaillant
sur le site commercial pour lequel il existe deux circuits de
distribution : un modèle externalisé de relation client en parallèle
d’un modèle de distribution directe assuré par les entreprises
elles-mêmes : « Nous souffrons beaucoup de cette discrimination
à l’embauche. Nous effectuons les mêmes tâches que les salariés
qui sont directement rattachés aux opérateurs et pourtant nous ne
recevons que la moitié de leurs salaire ».
Selon leurs expériences, ce modèle tend vers une instabilité de
leur emploi : leurs relations avec les distributeurs se concrétisent
généralement par des contrats en intérimou des contrats à durée
déterminée.
En effet, ces types de contrats excluent la force de vente externalisée
d’un certain nombre de garanties octroyées aux salariés internes
des opérateurs. Ainsi, les pratiques socialement responsables
touchent un périmètre réduit des employés
Les employés du service technique témoignent des cas de rupture
des contrats ayant pour cause l’inaptitude de l’employé à évoluer
dans le cadre de nouveaux changements de l’entreprise.

105
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Sur ce point, il sied de signaler que la flexibilité de travail, réduit


la possibilité d’une contestation organisée et d’un dialogue social
efficace à cause d’une répartition des statuts d’emploi. En outre,
nos interviewés confirment que la contestation des décisions
des entreprises déclenche souvent des politiques disciplinaires
démesurées (discriminations syndicales, suppression d’avantages,
licenciement pour motif personnel, une mise au placard) qui
instaurent une relation fragile entre les opérateurs et leurs
collaborateurs.
-Communication
Adopter une démarche RSE par les opérateurs suppose d’informer
les salariés sur sa mise en place vu qu’ils attendent souvent une
dynamique interne de la part de leur direction. La majorité des
répondants sont unanimes pour dire qu’ils sont informés de cette
démarche.
Tout en reconnaissant les efforts déployés par les opérateurs en RSE,
l’honnêteté et la fiabilité perçue par nos interviewés concernant
la communication de leur entreprise sur ce sujet, est largement
sujette à caution. Les personnes interrogées ont majoritairement un
fort sentiment de scepticisme relatif à la capacité des opérateurs à
mettre en accord ce qu’ils avancent.
Impact de la RSE sur les attitudes et comportements au travail
Dans la présente étude, l’impact de la RSE perçue est variable
d’une catégorie d’employés à l’autre. Cependant, il est intéressant
de mentionner que l’ensemble des interviewés sont attentifs à
l’application de la justice distributive et procédurale dans la GRH.
Les quelques employés qui perçoivent leur entreprise comme
socialement responsable confirment leur engagement dans
l’accomplissement des tâches. D’ailleurs, ils manifestent

106
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

un sentiment de fierté fort, du fait qu’ils appartiennent à une


organisation où il y a une justice organisationnelle.
Par contre, le sentiment d’injustice ressenti par plusieurs répondants
constitue un catalyseur des comportements organisationnels
négatifs. Pour rétablir l’équité, certaines actions entreprises par
les commerciaux peuvent être source de risques et de coûts pour
les opérateurs : «Vu tout ce qu’on fait et ce que les commerciaux
directs font, ce n’est pas juste qu’ils gagnent mieux que nous. C’est
démotivant, ça me pousse parfois à renvoyer poliment le client en
lui disant que le système ne fonctionne pas, qu’il doit s’adresser à
une autre agence ou revenir un autre jour ».
D’autres actions prises par le personnel technique se déclinent sous
forme d’une démobilisation et une performance réduite au travail :
« Il y a une passivité qui se développe, notre opérateur essaye de
fidéliser le personnel par plusieurs moyens de communication,
mais notre feedback commence à baisser car nous commençons à
comprendre sa stratégie : on ne peut pas être performant 24H/24 ». 
« Nous travaillons en supportant des situations stressantes dues
notamment à l’incertitude de l’emploi et à la surcharge du travail
ce qui est une source de déstabilisation constante pour nous ».
Un désengagement vis-à-vis des intérêts de l’entreprise a été
évoqué par les personnes qui connaissent un plafonnement de
carrière correspondant à une absence de mobilité, une limitation
des augmentations de rémunération, et une perte des symboles
de succès, et de reconnaissance. L’intention de quitter l’entreprise
s’installe ainsi lorsque la perception d’alternatives externes
d’emploi représente une opportunité pour le salarié qui compare
sa situation aux autres.

107
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

2.4. Discussion

Nous avons fondé nos analyses sur la confrontation entre les


discours managériaux et les discours des employés.
La confrontation conclut à l’idée que la promotion des pratiques
de RSE/DD relève davantage du discours managérial et conduit à
plusieurs constats :
- Les documents RSE produisent des informations générales et
sélectionnées qui traitent généralement des questions globales. Ils
illustrent aussi une passivité de dialogue avec les parties prenantes
dans la mesure où ils présentent un catalogue de bonnes pratiques
sociales et environnementales en l’absence de contre-expertises
dans les démarches RSE.
- À l’inverse des discours RSE qui valorisent et présentent les
entreprises étudiées comme un tout unifié, les propos des employés
témoignent d’une crise de confiance entre les deux parties.
- A l’inverse de ce que prétend la théorie, une GRH très sophistiquée
n’influence pas nécessairement les attitudes et les comportements
au travail de manière positive. En effet, même s’ils travaillent dans
des organisations reconnues pour leurs pratiques vertueuses en
GRH, certaines exigences dépassent les capacités d’adaptation des
enquêtés et témoignent d’une crise réelle dans la relation entre la
personne et son travail.
De notre terrain d’étude, nous confirmons que la distribution
indirecte par exemple illustre une relation d’emploi différente de
celle traditionnelle qui reflète la recherche d’une flexibilité externe
de la main d’œuvre.
Liées aux profondes mutations structurelles, les évolutions récentes
du marché d’emploi nous amènent à penser que la souplesse
peut entrainer la précarité. Dès lors, son accroissement conduira

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

inévitablement à la protection d’une forme d’élite du salariat


constituant ainsi un périmètre réduit de la RSE.
La souplesse ou la flexibilité présente donc un caractère ambigu,
à travers lequel peut résulter le pire comme le meilleur. En effet,
la flexibilité du travail se traduit par des modes de GRH où les
responsables de la relation de travail (distributeurs) ne sont plus
strictement ceux de la relation d’emploi (opérateurs), pourtant
les seuls reconnus par le droit du travail. Ainsi, la réponse à
des interrogations fondamentales telles que : qui commande le
salarié? qui prend les décisions d’emploi ? devient un peu difficile.
Cette flexibilité fonctionnelle influe sur les relations de travail
et peut être source de conflits dans la mesure où elle introduit
une distorsion au sein d’une même communauté de travail
(statut différent selon qu’il s’agit des salariés de l’opérateur ou
des salariés du distributeur) et génère des relations triangulaires
complexes. C’est pourquoi, lorsque des problèmes apparaissent,
le dédoublement du patron constitue un défi pour les stratégies
syndicales et fragilise le dialogue social.
Vers qui doit se tourner l’action ? Qui détient le pouvoir consacré
par la loi ? Et qui détient le pouvoir effectif ? À cause de cette
ambigüité, il est possible de commettre nombre d’illégalités afin
d’assurer la flexibilité souhaitée dans la mesure où les employeurs
commanditaires font un report de leur gestion sur des employeurs
intermédiaires.
Par ailleurs, cette flexibilité dont l’objectif est de réduire les coûts
des entreprises, peut donner lieu à des effets inattendus. Ces
effets conduisent à dire que si les commerciaux intégrés et ceux
externalisés créent de la valeur pour les opérateurs, il est important
de répondre aux attentes de ces derniers en les intégrant dans un
nouvel effort de conception de la démarche RSE.

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La GRH peut constituer une des clés de la réussite d’une démarche


RSE au sein de l’entreprise à travers une application des fonctions
de la GRH (procédures d’évaluation, de sanction, de promotion…)
en impliquant les employés dans la prise des décisions. Un
management responsable du capital humain permettra, d’une part,
de régulariser et prévenir les comportements non éthiques et d’autre
part, d’encourager et de garantir l’adoption des comportements
éthiques au sein de l’organisation.
Conclusion
D’après cette étude, les pratiques socialement responsables
considérées comme signes de performance organisationnelle
connaissent des insuffisances qui limitent la portée de la RSE.
Les résultats obtenus vont dans le sens d’une RSE peu crédible
générant un manque d’adhésion et un certain désengagement de
la part des interviewés. Selon cette vision, rentabilité économique
et rentabilité sociale sont difficilement conciliables au travers des
politiques RSE des opérateurs. En fait, quelques opinions peuvent
être classées dans une perspective plutôt favorable à une telle
réconciliation par ces derniers, mais elles restent minoritaires en
nombre de répondants et de citations.
Le défi auquel les opérateurs doivent faire face est celui de la
congruence entre les engagements RSE communiqués en externe,
et la réalité de leur mise en application en interne. Le risque
possible de perception de dichotomie entre RSE interne et RSE
externe concerne notamment la communication sur les valeurs ou
principes de RSE tels que l’équité organisationnelle.
Les travaux existants sur la perception de la RSE par les salariés ont
démontré un effet positif et significatif de celle-ci sur les attitudes
et comportements au travail. Or dans cette étude, il y a lieu de
croire que l’engagement des opérateurs dans des actions de RSE

110
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

n’implique pas stricto sensu un impact positif sur la perception des


construits de l’échange social en raison du contexte organisationnel.
Le profil de la force de vente externalisée qui s’est dégagé des
résultats de notre enquête de terrain joue un rôle prédominant
dans l’explication des postulats que nous avons avancés et dont
nous confirmons la portée théorique et empirique.

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La pratique de l’entrepreneuriat social et du Social Business


par les entreprises marocaines en Afrique subsaharienne

Jihad Ait Soussane et Zahra Mansouri

Introduction 
En réponse aux enjeux sociaux et environnementaux actuels,
notamment l’inégalité et l’exclusion sociale et l’épuisement des
ressources naturelles, le phénomène de l’entreprise sociale en
tant que catégorie distincte d’organisation a attiré l’attention
des décideurs, des praticiens et des chercheurs. Ce type
d’entreprise peut prendre différentes formes, allant du modèle
du secteur privé au troisième secteur (à savoir les coopératives).
Pour promouvoir un système capitaliste qui crée une valeur
économique et sociale à long terme pour la majorité de la
communauté mondiale, le monde des affaires doit dépasser le
concept de philanthropie, à savoir le modèle de la RSE, et rechercher
des solutions commerciales dans le domaine de l’économie.
Prahalad et Hart (2002), les deux pionniers du modèle du Social
Business dans le cadre de l’Entrepreneuriat social, ont lancé
un débat sur le rôle important que pourraient jouer les sociétés
multinationales dans l’atténuation des problèmes sociaux et
environnementaux. Les entreprises multinationales ne sont plus
censées exercer uniquement des activités de responsabilité sociale,
qui peuvent être limitées, voire inefficaces, pour aider à améliorer
le niveau de vie des personnes marginalisées. Au lieu de cela, elles
devraient proposer des produits et des services innovants pour
répondre à des types de demande différents de ceux auxquels se
consacraient traditionnellement les grandes entreprises.

119
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Par ailleurs, l’intensification de la concurrence sur les marchés


européens pousse les entreprises marocaines à pénétrer le
marché africain, ce qui encourage le Maroc à diversifier ses
partenaires commerciaux pour absorber les chocs exogènes de
l’économie internationale. A cet effet, les firmes multinationales
ont commencé à manifester leur intérêt pour ce continent tout en
investissant dans plusieurs secteurs, dans le cadre d’un modèle
de co-développement intégré, durable et équitable, qui a pour
mission de consolider le positionnement du Maroc dans l’Afrique,
et surtout dans la CEDEAO, et de renforcer la coopération Sud-Sud
pour un gain mutuellement bénéfique (Rigar 2016).
A partir d’une discussion sur le social business (SB), notre cha-
pitre explore la façon pour les firmes marocaines d’entreprendre
des initiatives sociales dans les pays de l’Afrique Subsaharienne,
dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Nous nous sommes
concentrés sur les firmes multinationales et grandes entreprises
marocaines (OCP, ONEE, SoThema, AWB, etc.) opérant dans
plusieurs secteurs (phosphates, formation, pharmaceutique, ban-
caire, etc.). Notre étude montre que ces sociétés multinationales
développent des initiatives sociales liées à leur mission, à leurs
valeurs et à leurs stratégies afin de parvenir à une transformation
sociale intrinsèquement liée à leur activité principale. Le présent
chapitre est organisé comme suit : nous examinons d’abord la
littérature sur les entreprises sociales, l’entrepreneuriat social, le
Social Business et le rôle joué par les grandes entreprises et firmes
multinationales dans la création d’un impact social au sein du
pays d’accueil. Ensuite, nous exposons le modèle de la diplo-
matie économique comme un modèle de co-développement
durable et social. Puis, nous présentons les opportunités offertes
par le continent africain pour les investisseurs et pour ses habi-
tants. Finalement, nous décrivons l’expérience des firmes multi-

120
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

nationales et des opérateurs marocains dans le Social Business en


Afrique Subsaharienne.
1. Revue de littérature sur l’entrepreneuriat social et le Social
Business 
1.1. Le cadre conceptuel de l’entrepreneuriat et du Social
Business 
D’après la théorie économique, les échecs du marché produisent
des externalités et des inefficacités qui se traduisent par des couts
environnementaux et sociaux. Les défaillances du marché offrent
aux entreprises une opportunité de remédier à ces problèmestout en
réalisant un gain économique dans le processus. Les entrepreneurs
sociaux se distinguent des entrepreneurs classiques par la poursuite
d’objectifs de création de valeur équitable, d’inclusion sociale et
de protectionde l’environnement, au lieu de la seule rentabilité
économique (Yunus, 2004).
Globalement, l’entrepreneuriat social se réfère à toute activité
innovante ayant un objectif social, que ce soit dans le secteur
privé ou le secteur tertiaire, à savoir les coopératives en particulier.
Idéalement, l’entrepreneuriat social associe une mission sociale
pure, avec des objectifs non financiers, et un degré élevé
d’innovation en termes d’introduction de nouvelles méthodes,
pratiques, services ou produits pour générer peut être considérée
une métamorphose sociale. En conséquence, l’innovation constitue
le caractère le plus distinctif de l’entrepreneuriat social (Yunus et
al., 2010).
Concernantle Social Business (l’affaire sociale), il existe deux
approches théoriques principales : l’approche européenne et
l’approche américaine. D’une part, l’approche dite européenne,
dérivée de la tradition de l’économie sociale (associations
et coopératives), met l’accent sur les actions menées par les

121
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

organisations de la société civile pour effectuer des fonctions


publiques avec le soutien du gouvernement (Fischer et Comini,
2012). D’autre part, l’approche américaine, ou anglo-saxonne,
considère les entreprises sociales comme relevant du secteur privé
qui emploient une logique de marché pour trouver des solutions
durables aux problèmes sociaux et environnementaux (Rosolen
et al., 2014). La perspective américaine recherche une valeur
économique équitablement partagée, dans laquelle l’entreprise
privée déploie ses efforts pour créer des solutions durables, fondées
sur les mécanismes du marché, visant à résoudre des problèmes
sociaux et environnementaux.
Donc, le concept de Social Businessse réfère à toute activité en-
trepreneuriale dont l’objectif est d’influer sur l’environnement et/
ou le social, tout en intégrantsa fonction commerciale comme
l’entreprise classique, du fait que la création de valeur économique
est souvent un sous-objectif qui permet à l’organisation d’obtenir
efficacité, pérennité et autosuffisance. Il s’agit d’un équilibre entre
l’économique, le social et l’environnemental. D’ailleurs, les entre-
prises sociales sont des organisations hybrides àl’intersection des
pôles d’organisations à but lucratif et à but non lucratif (Yunus et
al., 2010 ; Rosolen et al., 2014). Elles ressemblent aux entreprises
classiques en ce qui concerne la logique du marché à savoir les
produits, les services, les clients, les segments, les coûts et les re-
venus, mais se distinguent par une activité principale différente :
internaliser les externalités du marché classique en servant la socié-
té, en améliorant les conditions de vie des populations vulnérables
et respectant l’environnement. Elles se distinguent également des
organisations non gouvernementales (ONG) en ce qu’elles tentent
d’être autonomes financièrement en s’appuyant sur la fonction
commerciale de vente des produits et des services plutôt que de
dépendre de dons privés et de subventions gouvernementale (Yu-

122
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

nus et al., 2010). L’objectif principal de l’entreprise sociale n’est pas


de maximiser les profits des propriétaires et des bailleurs de fonds,
mais de maximiser l’impact social/environnemental et de répondre
aux besoins des membres les plus défavorisés et marginalisés de la
société. Son impact social est aisément identifiable par de simples
actions sous forme de réductions de prix, de meilleurs services, de
produits à haute qualité ou d’une plus grande accessibilité et taux
de couverture (Rosolen et al., 2014 ; Yunus et al., 2010), tout en
restant rentable pour pérenniser ses affaires. Afin de gérer cet arbi-
trage rentabilité-social, Doherty et al. (2014) proposent d’utiliser
la mission sociale comme une direction stratégique de l’entreprise
sociale pour trouver les conditions optimales dans lesquelles la
génération des gains commerciaux peut être associée avec succès
à la création de la valeur sociale où la rentabilité financière et le
social peuvent coexister.
Le Social Business diffère de la responsabilité sociale des entre-
prises (RSE) en ce qu’il implique un ensemble d’actions planifiées
et organisées, ainsi qu’une activité centrée et ciblée sur les besoins
d’une certaine communauté. Sa performance est quantifiée et me-
surée en termes de rentabilité pour les parties prenantes et l‘entre-
prise (propriétaires et investisseurs), de perceptions des consom-
mateurs et des attentes du marché. Autrement dit, si la RSE peut
se définir comme un acte entrepreneurial tout en considérant le
social, le Social Business n’est autre chose que de faire des affaires
avec le social lui-même.
2.1. La pratique du SB par les grandes firmes et les
multinationales
Tout d’abord, une firme multinationale peut être définie comme
une entreprise à grande taille qui exerce diverses activités par
l’intermédiaire d’un groupe de filiales, directes ou indirectes, et de
sociétés associées situées dans plusieurs pays.

123
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Les firmes multinationales et le transfert de la connaissance 


Pour les firmes multinationales, la création d’une entreprise sociale
peut être considérée comme un « laboratoire d’apprentissage »,
qui offre un espace où les gestionnaires peuvent développer
des capacités dynamiques pouvant à leur tour être utiles à leur
activité principale (Yunus et al., 2010). Kiss et al. (2012) suggèrent
d’étudier les méthodes utilisées par les filiales de multinationales
des pays en développement pour apprendre à maîtriser les entraves
institutionnelles ainsi que les barrières économiques, politiques et
culturelles.
D’ailleurs, la théorie de la croissance endogène avance que les
firmes multinationales contribuent au développement social et
humain de l’économie d’accueil en se fondant sur le rôle central
de l’innovation, les « spillovers » technologiques et la diffusion de
la connaissance, dans le pays hôte, générés à travers les réseaux
implantés par les firmes multinationales qui créent des externalités
positives aux industries domestiques. La théorie examine les effets
des investissements provenant des multinationales sur la croissance
économique du pays hôte en s’appuyant sur le rôle du transfert de
la technologie. Les investissements directs étrangers non seulement
amènent des afflux de capitaux et augmentent le stock initial du
capital domestique du pays d’accueil, mais aussi accumulent le
capital humain qui correspond au savoir-faire, la connaissance et
la technologie.
Les effets du transfert de la connaissance peuvent être concrétisés
dans les types d’innovation selon Joseph Schumpeter (1911) qui
met l’accent sur le rôle de l’innovation dans la prospérité et la
croissance des entreprises par quatre voies :
1°/ Innovation organisationnelle : les firmes multinationales
contribuent au transfert de savoir dans le domaine du management

124
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

et les techniques de l’organisation en produisant un effet


d’entraînement « Learning by doing  » de la main-d’œuvre
domestique. Par conséquent, l’organisation sophistiquée augmente
la productivité des travailleurs en matière de quantité, qualité et
gestion de temps ;
2°/ Innovation de procédé : l’apport des firmes multinationales ne
correspond pas seulement aux afflux des capitaux, mais aussi à
la technologie de la production, qui implique une efficience de
productivité et, par conséquent, une compétitivité de l’industrie
nationale. Ce niveau de transfert de technologie est primordial
dans le contexte de la mondialisation où la variable stratégique de
la compétitive devient la maîtrise des coûts ;
3°/ Innovation de la commercialisation du bien : grâce aux firmes
multinationale et à leurs cadres expatriés au sein de leurs filiales,
une connaissance en matière d’action commerciale et de marketing
est transférée en raison du rôle majeur que la connaissance de
marché joue dans l’internationalisation des firmes domestiques ;
4°/ Innovation de produit : Les firmes multinationales ne se
consacrent pas seulement aux biens déjà existants dans l’économie
d’accueil, mais aussi aux nouveaux produits issus d’une innovation
en termes de qualité.
En outre, Paul Romer (1994) affirme que ce transfert de connais-
sances par les firmes multinationales baisse les écarts technolo-
giques entre les pays en voie de développement (le Sud) et les
pays développés (le Nord) dans le cadre de la convergence entre
les pays. Généralement, selon la théorie de la croissance endo-
gène, les multinationales et leur IDE constituent un catalyseur de
changements quantitatifs et qualitatifs de la structure socio-éco-
nomique du pays d’accueil. Une accumulation du capital finan-
cier accompagnée par une accumulation du capital humain et de

125
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

la connaissance et un changement de la gouvernance et de la qua-


lité des institutions provoquent en fin de compte une croissance
économique durable, équitable et partagée.
Les firmes multinationales, le SB et la réduction de la pauvreté 
Plusieurs auteurs mettent l’accent sur le rôle des firmes multina-
tionales dans la réduction de la pauvreté dans le pays d’accueil
et proposent des solutions viables pour créer un accès à une vie
meilleure (Chaves, 2017).
Prahalad (2006) propose un modèle d’affaires qui inclut les
entreprises opérant au niveau de la base de la pyramide (BoP :
Bottom of Pyramid), ou des populations à faible revenu, et pas
nécessairement dans des domaines tels que la santé, l’éducation
ou le logement (Prahalad, 2006). Le modèle « BoP » est une
adaptation du modèle capitaliste pour les 4 milliards d’individus
qui vivent avec moins de 2 $/jour. Tout d’abord, les entreprises
n’adressent leurs produits qu’au sommet de la pyramide, à savoir
800 millions de personnes les plus riches. L’idée consiste à montrer
qu’en ciblant les populations les plus marginalisées avec des
produits adaptés, on peut réduire la pauvreté. Prahalad et Stuart
Hart (2002), en se basant sur le modèle de SB, visent à créer un
nouveau système économique qui sera adapté aux populations
pauvres, afin de construire avec elles une relation « gagnant-
gagnant ». Ce modèle de SB allie le profit et l’impact social par les
firmes multinationales.
Alors, Prahalad et Hart (2002) considèrent cela comme une
opportunité pour les grandes entreprises de développer leurs
activités tout en améliorant les conditions de vie grâce à des
produits et services respectueux de la culture, respectueux de
l’environnement et économiquement rentables.
L’entreprise sociale, parmi les grandes entreprises et les
multinationales, a une mission distincte liée à la création de valeur

126
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

sociale partagée. Celle-ci est définie par Porter et Kramer (2011)


comme un nouveau moyen de développer des produits, de servir
les marchés et de créer des entreprises productives profitant à la
fois à l’entreprise et à la société. Les entreprises peuvent utiliser
ce mécanisme pour offrir des avantages aux catégories sociales
marginalisées, améliorer les conditions de vie des personnes se
trouvant à la base de la pyramide sociale et leur permettre d’accéder
à des services essentiels de meilleure qualité à des prix plus bas.
2- Méthodologie
Notre approche méthodologique estde nature qualitative et re-
posesur la richesse des narrations subjectives individuelles afin de
confirmer les hypothèses de la revue de littérature à l’aide d’un
petit échantillon des entreprises marocaines. Nous avons mené
une étude de cas concernant des grandes entreprises et multina-
tionales marocaines, soutenue par une recherche documentaire.
Nous avons collecté des données provenant de plusieurs sources :
documents internes fournis par les départements de développe-
ment durable et social business, journaux, magazines et sites Web,
rapports et vidéos d’entreprise. Ces sources ont fourni des infor-
mations précieuses sur les initiatives de l’entrepreneuriat social et
du SB.
L’étude de cas comprend les filiales africaines des grandes
entreprises, multinationales et opérateurs marocains en Afrique
Subsaharienne selon une approche sectorielle: l’OCP pour le
secteur des phosphates ; BMCE, AWB et BCP pour le secteur
bancaire ;ONEE pour le secteur énergétique ; la SAMIR et l’UIC
pour le secteur éducatif et de formation, et Sothema pour le secteur
pharmaceutique.
Les critères utilisés pour sélectionner les cas reposent sur
leur portée internationale et continentale et leur processus

127
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

d’internationalisation en Afrique, leur expertise reconnue en


matière de SB et d’activités de développement durable en Afrique.
A noter que notre analyse suit l’approche américaine (anglo-
saxonne) en considérant ces firmes multinationales et grandes
entreprises comme des entreprises sociales opérant dans le secteur
privé et qui emploient une logique de marché pour trouver des
solutions durables aux problèmes sociaux et environnementaux en
Afrique subsaharienne.
3- Résultats 
3.1. Le secteur financier et bancaire 
Les grands groupes bancaires marocains, Attijariwafa Bank (AWB),
BMCE Bankla Banque Centrale Populaire (BCP), s’africanisent tout
en profitant des avantages offerts par le continent à savoir la taille
du marché, la croissance économique et un taux de bancarisation
inexploité. Désormais, au-delà de la recherche de rentabilité
économique, elles se positionnent en Afrique Subsaharienne
comme des catalyseurs et financeurs du développement socio-
économique du continent (Institut AMADEUS, 2014).
L’engagement des banques marocaines dans le développement
socio-économique de l’Afrique Subsaharienne passe par la
signature de conventions pour consolider le positionnement du
secteur bancaire marocain dans le modèle du Social Business.
Onze conventions ont été signées par la Banque Centrale Populaire
(BCP), neuf par Attijariwafa Bank (AWB) et une convention par
BMCE Bank, pour couvrir des secteurs d’activité touchant les
populations subsahariennes les plus défavorisées : le financement
des infrastructures nécessaires au développement humain et social,
l’assistance des petits et moyens opérateurs agricoles, les ciments,
l’immobilier, etc.

128
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

3.2. Le secteur énergétique 


Les performances du Maroc dans le secteur de l’énergie ont permis
des réalisations notables pour le pays, en termes de développement
économique et social, en atteignant un taux d’électrification de
plus de 98% contre 18% en 1995 et en améliorant les conditions
de vie d’environ 12 millions d’habitants, soit le tiers de la
population totale marocaine. Par ailleurs, le Maroc s’est lancé
dans des stratégies de production d’énergies renouvelables, en
particulier l’énergie solaire et l’énergie éolienne, afin de diminuer
sa dépendance énergétique vis-à-vis de l’extérieur, assurer la
sécurité énergétique, atténuer le déficit énergétique et assurer une
transition vers une économie verte plus propre qui respecte la
contrainte environnementale.
De ce fait, dans le cadre de la coopération Sud-Sud, l’Office
National de l’Electricité et de l’Eau Potable (ONEE) capitalise les
expériences réussies précitées en les dupliquant largement en
Afrique Subsaharienne qui compte untaux d’électrification très
faible (38%).
Dans ce cadre, l’ONEE a conclu deux contrats, au Sénégal,
d’électrification des zones rurales. En outre, elle a créé deux filiales
locales pour la gestion de concessions au Sénégal, COMASEL
de Louga et COMASEL de Saint-Louis. Ces deux filiales assurent
la gestion des concessions de distribution d’électricité pour une
durée de 25 ans dans les régions de Louga-Kébémér-Linguére, ce
qui fait bénéficier 370 villages et 11 826 clients (dont 1852 foyers
en solaire) et Saint Louis-Dagana-Podor, au profit de 510 villages
et 19 574 clients (dont 5719 foyers en solaire).
De surcroit, l’opérateur marocain ONEE s’engage dans le
développement social par l’assistance technique et le transfert de

129
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

savoir-faire apporté à plusieurs autres pays subsahariens comme


la Sierra Leone, le Tchad, le Niger, la Gambie, le Cap-Vert etle Mali.
3.3. Le secteur éducatif 
Comme démontré précédemment, la relation qui associe le Maroc
à ses voisins subsahariens dépasse la vision de la coopération
purement économique. Cette relation a été marquée depuis toujours
par son attachement au développement social et humain, une
coopération dite Sud-Sud. Les activités de formation, d’éducation
et de développement du capital humain rejoignent cette forme de
coopération en triplant au cours de ces dernières années le nombre
d’étudiants subsahariens inscrits dans les universités publiques
marocaines dont la majorité bénéficie d’une bourse d’étude. Les
établissements privés marocaines sont encouragés à s’engager
dans la coopération. L’Université Internationale de Casablanca
(UIC) a signé en mars 2014 une convention avec le Ministère de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique de la
République de Côte d’Ivoire dans le cadre de partenariat et de
coopération ayant, l’objectif de favoriser les échanges académiques
entre les deux pays en attribuant des bourses d’études pour les
étudiants ivoiriens, en offrant des séminaires de formation, en
fournissant un accès à des plateformes de formations on-line, etc.
Le grand raffineur marocain la SAMIR s’intègre dans le SB en
Afrique Subsaharienne en adoptant les activités de formation de
l’Association des Raffineurs Africains (ARA) qui a été créée par
l’Académie Africaine de l’Energie (ACAFE) ayant pour objectif de
promouvoir le développement des compétences managériales
dans le cadre d’une diversité culturelle unifiée. Les objectifs de
cette initiative sont l’accompagnement des entreprisesafricaines
pour développer leurs ressources humaines et valoriser leurs
compétences tout en apportant une réelle expertise aux

130
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

opérationnels africains notamment en termes de connaissance


technique, de savoir-faire managérial, et detransfert technologique
nécessaires à l’exploitationet au développement de leurs industries.
Ces initiatives, entre autres, traduisent l’engagement des entreprises
et opérateurs marocains dansla formation et le développement des
compétences du capital humain africain, à travers le transfert de
la technologie et de la connaissance, une condition primordiale
pour un développement social inclusif et une croissance durable
qui fait bénéficier tous les niveaux de la pyramide.
3.4. Le secteur pharmaceutique
La Société de Thérapeutique Marocaine (Sothema) est l’une des
entreprises les plus performantes dans le secteur pharmaceutique
au Maroc. Suivant la tendance du Social Business, Sothema a créé
en mars 2013 une filiale à Dakar-Sénégal, nommée West Afric
Pharma. Cette filiale a pour objectif de fabriquer une production
pharmaceutique concernant des médicaments génériques
destinés à soigner les pandémies les plus communes de la région
(paludisme, diarrhées chroniques, choléra, etc.). Ces médicaments
sont exportés vers les huit pays de la zone CEDEAO.
En outre, Sothema a signé une conventionde partenariat avec
le Ministère de la Santé de Guinée-Bissau pour transférer son
expertise, savoir-faire et sonassistance technique dans le cadre
de la construction d’un environnement législatif de l’industrie
pharmaceutique du pays qui va hisser les conditions sanitaires de
la populations les plus démunies.
3.5. Le secteur des phosphates
Le grand opérateur dans l’activité de phosphate l’Office Chérifien
des Phosphates (OCP) se positionne en Afrique subsaharienne
comme un acteur engagé pour la sécurité alimentaire mondiale,

131
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

continentale et nationale tout en assurant un développement


durable vis-à-vis de l’environnement.
En particulier, dans le cadre de la coopération Sud-Sud, l’OCP
entretient une vision durable et équitable vis-à-vis le continent
africain en s’engageant dans une politique de sécurisation
alimentaire et d’accompagnement de la révolution verte en Afrique
Subsaharienne depuis des années à travers une panoplie d’actions
concrètes permettant de soutenir la production agroalimentaire de
l’Afrique. Ces mesures permettent aux populations de la base de
la pyramide (BoP) d’accéder aux biens alimentaires de première
nécessité à bas prix.
Bien que le continent africain subsaharien représente 18% des
terres cultivables au niveau mondial, il totalise seulement 1% de
la consommation mondiale d’engrais. Ce faible ratio menace le
développement agricole harmonieux et la sécurisation de l’appro-
visionnement du continent pour sa consommation intérieure. De
surcroit, le continent africain connait une explosion démogra-
phique qui excédera celle de la Chine et de l’Inde.
Compte tenu de ce phénomène, les besoins en engrais ne feront
qu’augmenter de manière spectaculaire. L’OCP s’engage pour
réponde à ces enjeux par les actions suivantes : chaque année, un
volume de production d’engrais, estimé à 506 000 tonnes, est dédié
uniquement à l’exportation vers 14 pays africains, quelle que soit
la demande mondiale et la conjoncture économique, pour assurer
la couverture de la demande en fertilisants. En outre, dans le cadre
de sa stratégie de révolution verte, l’OCP transfert son expertise,
sa connaissance et son savoir-faire technique aux agriculteurs
africains, en soutenant de projets d’amélioration des productivités
et rendements agricoles au Sénégal. Finalement, l’OCP investit
dans la R & D et l’innovation pour produire et commercialiser une

132
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

gamme de produits fertilisants (Terractiv) adapté aux besoins des


terres africaines et permettant d’atténuer les pénuries de ces terres,
en plus des produits accessibles d’un point de vue tarifaire pour les
agriculteurs africains.
Conclusion 
A travers une analyse des cas pertinents à la lumière de la
littérature existante, notre étude a montré qu’il était à la fois
possible et souhaitable de développer des modèles d’entreprise
sociale dans le champ des multinationales. Les cas étudiés
montrent des organisations du secteur privé qui cherchent à
résoudre des problèmes sociaux en utilisant leurs forces, ainsi que
les mécanismes du marché, pour créer des solutions innovantes,
dans le cadre de l’approche américaine du Social Business.
Les pratiques commerciales de celles-ci suivent le modèle de
transformation socioculturelle, selon lequel elles essaient de
renforcer les capacités des communautés et entreprises locales,
soit en s’intégrant dans la chaîne de valeur de l’organisation, soit
en transférant leur connaissance, savoir-faire et technologie.
Les entrepreneurs sociaux n’ont pas besoin de modèles
commerciaux totalement différents. Ils peuvent s’appuyer sur
les connaissances existantes du secteur privé pour obtenir et
développer un impact social positif. Les objectifs de durabilité
financière et de création simultanée de valeur sociale, auparavant
considérés comme incompatibles, sont devenus indissociables
dans le Social Business.

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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135
Deuxième partie
Le développement durable et
communautaire
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Le développement durable des universités à l’épreuve


des stratégies de certification

Rachid Moustaquim, Youssef Sadik, Abdellatif Tahir

Introduction
Les entreprises sont de plus en plus soumises à des pressions de
la part des parties prenantes internes et externes pour la prise
en considération des aspects du développement durable, tels
que l’impact environnemental et social de leurs opérations.
Particulièrement depuis les années  2000 on assiste à une
multiplication de scandales en lien avec le non-respect de ces
considérations. Ces scandales ont eu des effets néfastes sur la
réputation et même l’existence des entreprises impliquées, allant
d’une chute temporaire des prix de leurs actions ou une lutte de
plusieurs années pour la récupération d’une réputation perdue,
jusqu’à la disparition de l’entreprise.
En réponse à cette pression grandissante, les entreprises recourent
aujourd’hui à l’adoption et à l’implantation de plusieurs initiatives
et pratiques de durabilité. Au-delà de ces initiatives, des études
ont montré que ces entreprises essaient d’utiliser des certifications
en développement durable et de communiquer autour d’elles
pour améliorer leur image et construire leur réputation (Searcy, et
Elkhawas, 2012).
En parallèle de cette prise de conscience des entreprises quant
à l’importance du développement durable, on constate un
intérêt grandissant porté par les institutions de l’éducation et
plus particulièrement celles de l’enseignement supérieur et des
universités au concept de développement durable. Cet intérêt est

139
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

reflété dans l’évolution du nombre d’articles scientifiques publiés


par ces institutions depuis l’apparition du concept, ainsi que par
le nombre de conférences mondiales tenues par ces institutions.
Malgré cette multiplicité des études sur l’intégration et
l’implantation du développement durable dans les universités,
nous remarquons un manque de considération apporté à la
question du lien entre la certification en développement durable
et la réussite de l’intégration du développement durable dans
l’université. En effet, les études dans ce domaine adoptent
généralement trois perspectives. La première perspective
se limite à étudier l’intégration du développement durable
uniquement dans les activités d’enseignement et de recherche
des universités ; ces études ne prennent pas en considération
les débats publics ni la gestion du patrimoine des universités ;
le développement durable est alors considéré comme des
programmes et des cours dans le volet enseignement, et des projets
d’innovation sociale ou technologique dans le volet recherche.
On constate que la majorité de ces études ont été publiées dans
des revues scientifiques spécialisées en éducation (Academy
ofManagement Learning & Education, International Journal
of Sustainability in HigherEducation, Journal of Sustainability
Education, Journal of Transformative Education). Dans le cadre
de ce premier type d’étude, Wals & Jickling (2002) ont abordé
le problème du flou conceptuel (The ill-defined nature of
sustainability) qui entoure le développement durable et qui rend
son enseignement dans les programmes universitaires difficile.
Les auteurs ont proposé d’adopter un langage moins exclusif afin
d’atteindre le maximum d’étudiants et de réussir la mission de
diffusion du concept de développement durable.
Le deuxième type d’étude s’intéresse à l’intégration du dévelop-
pement durable dans toutes les dimensions de l’université : aussi

140
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

bien dans le système de gestion du patrimoine, que dans l’ensei-


gnement, la recherche, et la dimension de débat public. Dans
ce cadre, Clugston & Calder (1999) ont réalisé une étude de cas
sur deux universités qui ont essayé d’intégrer le développement
durable dans leurs institutions, ils ont conclu que, pour être entiè-
rement durables, les universités doivent intégrer le développement
durable en tant qu’importante dimension à tous les niveaux de
l’université : l’énoncé de la mission de l’université, l’enseignement
du développement durable dans toutes les disciplines, l’incorpo-
ration dans son système social et écologique (gestion du campus,
traitement des employés…), la prise en considération dans le sys-
tème de recrutement et de promotion des employés et des profes-
seurs. Pour ces auteurs, il est donc aussi important pour les uni-
versités d’inclure le développement durable dans les opérations
de gestion que dans les fonctions d’enseignement et de recherche.
Une autre recherche menée par Lozano (2006) insiste sur l’impor-
tance d’implanter le développement durable de façon intégrale par
les universités, c’est-à-dire dans toutes ses activités notamment la
gestion de son patrimoine.
La troisième perspective s’intéresse aux outils de mesure de la
durabilité dans les universités, on aborde dans cette perspective
la certification d’une manière indirecte. On remarque que les
études relevant de cette perspective sont plus rares. Dans ce cadre,
Shriberg (2002) a effectué une analyse de 11 outils de mesure
de la durabilité, l’objectif étant de savoir si ces outils permettent
effectivement de saisir le degré de durabilité des universités. Les
résultats de cette étude montrent que la majorité de ces outils sont
excellents dans la recension d’informations sur la performance
environnementale et de durabilité, mais ne fournissent pas un
mécanisme pour comparer les efforts des universités avec les autres
institutions nationales et internationales.

141
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Aspects méthodologiques de l’étude


Notre stratégie de recherche est l’étude de cas. Ce choix s’explique
par plusieurs éléments, dont principalement la nature de la
question de recherche, le « pourquoi » nous impose une étude en
profondeur des raisons qui sous-tendent l’adhésion ou non à la
certification en matière de développement durable par l’université
(Yin, 2003). Notre unité d’analyse sera l’université.
L’analyse de l’environnement organisationnel des universités que
nous voulons étudier fait ressortir, en général, deux types d’uni-
versités :
1. Celles qui ont décidé d’adopter des pratiques de durabilité
sans se faire certifier.
2. Celles qui ont décidé d’adopter des pratiques de durabilité
en adhérant à des certifications et classifications.
Nous avons choisi de prendre un cas représentatif dans chaque
type (Yin, 2003), afin de couvrir notre question de recherche et de
pouvoir réaliser une analyse des deux types d’universités.
Nous allons donc suivre l’exemple de Clugston & Calder (1999) et
de Davis et al. (2003) qui ont étudié le concept de développement
durable dans les universités en réalisant une étude de cas auprès
de deux universités. Nous prendrons l’exemple de deux institutions
d’enseignement supérieur canadiennes, l’établissement H1, qui
adopte les pratiques de développement durable sans adhérer
aux certifications ou classifications, et l’ établissement H2, qui
adopte les pratiques de développement durable tout en adhérant à
plusieurs certifications dont une au niveau mondial.
L’utilisation d’une étude de cas de deux universités nous permettra
d’une part, d’étudier en profondeur les raisons qui sous-tendent
le choix de se faire certifier ou pas, et de l’autre, de faire la

142
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

comparaison entre les deux cas, d’autant plus que les deux ont fait
des choix différents quant à la certification et classification. Ceci ne
signifie pas que les résultats de cette étude puissent être généralisés
ou généralisables, mais ils peuvent aider à mieux comprendre les
attitudes des universités vis-à-vis des pratiques de certification et
classification dans des environnements et circonstances similaires.
Nos interlocuteurs dans ces établissements sont le directeur du
développement durable à l’établissement H1que nous nommerons
M. (D.T), le directeur de développement durable de l’établissement
H2 que nous nommerons M. (P.C), et un responsable dans le
service de développement durable de l’établissement H1que nous
nommerons M. (F.M)
Nous avons procédé à plusieurs types de triangulations (Patton,
2002). D’une part, nous avons utilisé différentes sources
d’information en interviewant une autre personne responsable dans
le service de développement durable afin d’avoir une deuxième
vision du développement durable dans l’établissement et de
valider celles des directeurs. Nous avons comparé les visions des
personnes interviewées avec la documentation des établissements
(les politiques et plans d’action). Enfin, nous avons utilisé la théorie
pour trianguler tout au long de notre analyse et nos conclusions
(Yin, 2003).
Les sources de données 
Notre collecte d’information s’est faite en trois étapes. Dans une
première étape, nous avons construit un cadre général du concept
de développement durable dans les universités, notre principale
source d’information à ce stade étant la théorie. Nous avons bâti
notre guide d’entretien ; dans cette démarche nous nous sommes
inspirés des recherches précédentes, comme recommandé par Yin
(2003).

143
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La deuxième étape consistait en la collecte d’informations sur les


universités concernées à travers leurs sites web et leurs étudiants.
Nous avons utilisé les rapports sur les événements et pratiques
se rapportant au développement durable, les politiques et toutes
autres documentations sur le développement durable archivées
sur leurs sites. Ces deux établissements gardent tout l’historique
des événements en lien avec le développement durable dans
leurs sites internet, et ce, depuis la création de leur direction du
développement durable.
La troisième étape de notre collecte d’information était réalisée sur
le terrain. Nous avons conduit des entretiens avec les directeurs
du développement durable des deux établissements, ainsi qu’avec
un coordinateur au service du développement durable à l’établis-
sement H1. Ces entretiens, d’une durée entre 30 minutes et 60
minutes, ont été réalisées entre juin et juillet 2016, et ont couvert
trois principaux thèmes : la définition du développement durable,
les pratiques de développement durable dans l’établissement et la
certification en développement durable dans l’établissement.
Nous avons décidé d’enregistrer les entrevues afin de nous assurer
de ne pas manquer des détails de nos conversations, aussi, nous
avons décidé de prendre le minimum de notes afin de ne pas
ralentir nos interlocuteurs.
Cadre conceptuel
Comme nous l’avions précisé un peu plus haut, nous avons
construit une compréhension sur l’intégration des pratiques du
développement durable dans les universités, cette compréhension
est basée sur, d’une part la théorie qui traite du développement
durable et ses trois dimensions, et de l’autre, la littérature qui aborde
les différentes dimensions d’activités. Nous avons donc commencé
avec un cadre conceptuel plus simple mettant en lien le concept de

144
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

développement durable et les universités, sans toutefois spécifier le


résultat de cette intégration ; en effet, dans le résultat, nous avons
introduit le développement durable dans les quatre dimensions
d’activités de l’université en pointillé, car nous ne savions pas
ce que nous allions découvrir chez nos interlocuteurs, de plus,
la littérature parle de grande divergence quant aux résultats des
expériences des autres universités. Il convient de noter que ce
cadre conceptuel a évolué au fur et à mesure que nous avancions
dans notre analyse des résultats obtenus.

Figure 1 : Cadre conceptuel initial : le développement durable au sein


des universités

Analyse et interprétation des données


Comme la collecte et l’analyse des données ne sont pas des
activités distinctes ni séquentielles (Bourgeois et Eisenhardt, 1988 ;
Smith et Zeithaml, 1999), notre analyse des données a commencé
au moment de la collecte de données. Au fur et à mesure que
nous avancions dans nos entrevues, nous avions une vision de plus
en plus claire sur la résultante de l’intégration du développement
durable dans chaque établissement. La comparaison entre les
145
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

deux cas a permis de compléter notre vision et de répondre à notre


question de recherche.
La première étape de notre analyse était donc de construire une
compréhension approfondie de chaque cas, en analysant la
documentation de chaque université, avant d’analyser les entretiens
et en ressortir la compréhension du concept de développement
durable pour pouvoir comparer la réalité sur le terrain avec les
politiques établies.
L’établissement H1
Nous avons commencé notre analyse avec une vérification de
la cohérence d’identification du développement durable, en
comparant les perceptions des interviewés avec la définition
adoptée dans la politique du développement durable.
Cette analyse des différentes définitions du développement durable
chez les interviewés montre qu’il y a une différence d’interprétation
de ce concept, même si les deux personnes se réfèrent à la même
définition, celle du rapport de Brundtland. En effet, nous constatons
que D.T utilise des termes tels que « s’enrichir », « appauvrir »,
ou « capacité de production », termes qui ont une connotation
économique, alors que F.M utilise le terme de permaculture pour
faire le rapprochement avec le concept, ce qui se rapproche plus
vers la dimension environnementale.
Cette différence de perception confirme les conclusions de LealFilho
(2000) selon lesquelles la formation et l’expérience, entre autres,
influencent la perception du concept de développement durable.
Nous constatons que le background de chaque interlocuteur
influence sa perception de ce concept.
En effet, D.T a un background et une expérience en comptabilité
et finance, ce qui explique son utilisation des termes empruntés

146
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

à l’économie pour définir le développement durable ; F.M est


un coordinateur d’un important projet d’agriculture urbaine,
cette expérience explique peut-être son utilisation du terme
« permaculture » qui a une connotation environnementale pour
définir le développement durable.
La perception du développement durable chez les interlocuteurs
Dans cette deuxième étape de notre analyse, nous avons utilisé le
logiciel d’analyse Atlas-TI afin de savoir quelles sont les dimensions
du développement durable et le type d’activité de l’université qui
reviennent le plus dans le discours de nos interlocuteurs. Ceci
reflète, pour nous, l’importance qu’ils donnent à ces dimensions et
types d’activité, et donc leur réelle perception du développement
durable, au-delà de leurs déclarations verbales.
En effet, concernant les dimensions du développement durable,
nous constatons que chez D.T c’est la dimension économique qui
revient le plus souvent, avec des termes tels que «  le développement
économique », le « taux de croissance », ou « la richesse et la
trésorerie » etc. Encore une fois, les conclusions de LealFilho (2000)
se sont confirmées, on peut dire que la formation et l’expérience
de notre interlocuteur contribuent grandement dans la formation
de la perception sur le concept de développement durable.
Toujours chez notre interlocuteur D.T, nous avons constaté que,
dans son discours, la fonction de recherche de l’université revient
plus souvent que celle de l’enseignement, et ce contrairement à sa
déclaration explicite où il annonce que l’activité la plus importante
de l’université est celle de l’enseignement, mais le nombre de
récurrences des deux fonctions reste relativement plus proche
(17 fois pour la fonction de recherche et 15 fois pour la fonction
d’enseignement) par rapport aux deux autres types d’activités
(5 fois pour la gestion du patrimoine et 5 fois pour le débat public),

147
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

D.T considère que l’université a plus de potentiel de diffuser le


développement durable par la recherche et l’enseignement que
par une intégration effective dans la gestion quotidienne de
l’université, ceci a été clairement annoncé dans son discours « on
est plus significatif en enseignement », ensuite il annonce « notre
deuxième responsabilité, ça sera la recherche », enfin il déclare « là
où on a le moins de résonnance c’est la gestion du patrimoine ».
Nous signalons que cette perception de l’importance des activités
de recherche et de l’enseignement est une perception personnelle
à notre interlocuteur, mais elle se reflète dans les choix de
l’établissement, car, comme il nous l’a clairement annoncé, il est
le directeur du développement durable de l’établissement, et ces
décisions reflètent souvent la volonté de l’établissement.
Le troisième thème que nous avons abordé avec notre interlocuteur
était celui de la certification, nous avons, dès le début, compris que
c’était un thème critique pour lui, il était entièrement contre cette
pratique de certification, et il l’annonçait en utilisant des termes
tels que « je déteste la conformité », « Je n’ai pas d’appétit pour
la certification », « c’est du temps perdu », « c’est beaucoup de
bureaucratie », « je n’aime pas courir après les certifications », etc.
La raison derrière cette attitude de notre interlocuteur était que
les certifications sont coûteuses, et que les ressources consacrées
à la promotion du développement durable sont très limitées,
alors il préfère les mettre dans la mise en œuvre des pratiques de
durabilité plutôt que de réaliser ce qu’il appelle des exercices de
conformité.
Concernant la tenue des rapports, notre interlocuteur reconnait
l’inexistence de rapport, ni annuel, ni à fréquence régulière, le
seul type de reporting tenu à l’établissement est le site web du
développement durable, où sont répertoriées toutes les réalisations

148
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de l’établissement H1 depuis la création du site internet ; à ce


niveau, D.T déclare qu’il aimerait arriver à la production d’un
rapport annuel, mais que les moyens ne le permettent pas,
puisque le service de développement durable ne produit pas
financièrement. En résumé de notre entrevue avec D.T, nous
retenons les points importants suivants :
(a) La perception du concept de développement durable se
rapproche plus de la dimension économique que d’un équi-
libre entre les trois dimensions du concept, (b). La recherche et
l’enseignement sont les plus importantes activités de l’établisse-
ment H1, vient ensuite le débat public, et en moindre degré la
gestion du patrimoine, (c) Le seul reporting tenu au niveau de
l’établissement est celui du site internet de la direction du déve-
loppement durable.
L’analyse de notre entrevue avec F.M nous permet de confirmer
plusieurs de nos conclusions précédentes ; tout d’abord concernant
la perception du concept du développement durable qui est biaisé
par la formation et l’expérience de l’individu (LealFilho, 2000),
dans le cas présent la différence est très grande, la dimension
environnementale revient 15 fois dans le discours contre 3 fois
pour la dimension sociale et une seule fois pour la dimension
économique ; cette différence de récurrence s’explique par le fait
que notre interlocuteur invoquait tout au long de l’entrevue des
projets environnementaux.
Quant aux types d’activité de l’établissement, F.M donnait
beaucoup plus l’importance à la gestion du patrimoine qu’aux
autres activités, la gestion du patrimoine est revenue 13 fois alors
que le débat public n’a été cité que deux fois, et l’enseignement
et la recherche n’ont presque pas été mentionnés ; là aussi, cette
différence s’explique par sa fonction en tant que coordinateur d’un
projet d’agriculture urbaine, projet qui fait partie de l’activité de

149
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

gestion du patrimoine et en même temps appartient à la dimension


environnementale du développement durable.
Concernant le reporting, F.M confirme la non-tenue d’un reporting
à fréquence régulière, seulement le site web, ainsi que des rapports
ponctuels concernant des projets spécifiques, ce manque de
reporting s’explique pour F.M aussi par un manque de ressources ;
et au niveau de la certification, F.M nous confirme le non-
intéressement de l’établissement aux certifications.
Les réalisations versus la politique de développement durable
Dans cette dernière étape de notre analyse en profondeur du
développement durable à l’établissement H2, nous allons faire une
analyse comparative entre la politique de développement durable,
surtout la partie mise en œuvre, et les pratiques de l’établissement
afin de constater la différence qu’il pourrait y avoir entre les
objectifs et les réalisations.
On constate les points positifs suivants : (1) Les réalisations
au niveau de l’enseignement et de la recherche sont les plus
importantes, et les plus démontrables, que ce soit en qualité ou
en quantité, (2) Les réalisations au niveau de débat public sont
assez importantes en nombre, (3) Le site web joue un double rôle,
d’une part il permet de répertorier toutes les actions réalisées dans
l’établissement, et de l’autre il joue un rôle dans le débat public
en permettant de communiquer autour du développement durable
avec la communauté et les partenaires.
D’un autre côté, nous avons constaté les points négatifs suivants :
(1) L’absence d’un plan d’action ne reflète pas une grande volonté
de mettre en œuvre la politique de développement durable, car
sans le plan d’action, d’une part, la politique reste sans traduction
en actions concrètes, et de l’autre aucun responsable n’est
désigné pour la réalisation des objectifs fixés, (2) Conséquence

150
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

au point précédent, aucun rapport n’est tenu, alors que c’est


spécifié dans la politique qu’il y aura des rapports fréquents, de
ce fait, il n’y a moyen ni de mesurer les progrès et les degrés
d’atteinte des objectifs, ni de savoir la conformité et l’adéquation
des réalisations par rapport aux principes du développement
durable, (3) Au niveau de l’enseignement, les termes utilisés par
l’établissement (souhaiter, tenter) ne reflètent pas une grande
volonté d’intégrer les principes du développement durable dans
tous les programmes, (4) Au niveau de la gestion du patrimoine,
la majorité des réalisations répertoriées dans le site sont en lien
avec la dimension environnementale du développement durable :
Toit vert, agriculture urbaine, gestion des matières résiduelles,
événements écoresponsables, etc., ce qui laisse présager qu’il
y a une tendance à surdimensionner le côté environnemental
par rapport aux autres dimensions du développement durable
au niveau de la gestion du patrimoine, (5) Dans la dimension
économique, la politique envisage favoriser la gestion financière
et l’approvisionnement responsables. Or aucune procédure n’est
établie, D.T déclare  : «  on en tient compte (de l’approvisionnement
responsable), mais de façon informelle, et non pas systématique,
sauf qu’on sait que nos gens de la filière approvisionnement
à l’établissement sont bien instruit des meilleures pratiques
d’approvisionnement et tentent de les intégrer le plus possible
dans leurs… (Opérations) », à ce niveau aussi, sans reporting,
aucune conclusion ne peut être tirée.
Pour résumer cette partie, nous pouvons dire qu’au niveau de cet
établissement : (a) L’intégration du concept de développement
durable a été faite au niveau de l’activité enseignement, avec une
réserve concernant la généralisation de son intégration à tous
les programmes, (b) Au niveau de recherche aussi, le concept de
développement durable a été intégré, le nombre de recherches et

151
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

publications en témoigne, (c) Au niveau de débat public, plusieurs


événements ont été réalisés, (d) L’intégration du développement
durable au niveau de la gestion du patrimoine de l’établissement
est la moins réussite, seule la dimension environnementale apparait
dans les pratiques de l’établissement H1, et avec le manque de
reporting, on ne peut se prononcer ni sur l’atteinte des objectifs
ni sur l’adéquation des pratiques par rapport aux principes du
développement durable.
Finalement, nous retenons que : (1) La non-certification de
l’établissement H1 est due en premier lieu à un choix du directeur
de développement durable, et ensuite à un manque de ressources,
(2) La non-tenue de reporting est due principalement à un manque
de ressources.
À l’issue de cette analyse, nous pouvons dessiner un cadre conceptuel
nous permettant de conceptualiser nos conclusions sur l’intégration
du développement durable par l’établissement H1 (figure 2)

Figure 2 : développement durable dans les universités sans adoption de


certification

152
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Le développement durable en pointillé dans les activités


d’enseignement et recherche montre que son intégration est
partielle, c’est-à-dire qu’il n’est pas pris en charge dans toutes
les disciplines ; dans l’activité de gestion de patrimoine, la
représentation de la dimension environnementale par un plus
grand cercle veut dire qu’il y a un surdimensionnement de l’aspect
environnemental par rapport aux considérations économiques et
sociales du développement durable.
L’établissement H2
L’établissement H2 accueille plus de 40 000 étudiantes et étu-
diants, provenant de 120 pays.
À la suite d’une consultation effectuée auprès de sa communauté
universitaire, l’établissement a adopté une politique de
développement durable en 2005 ; elle a approuvé un plan
d’action 2008-2011 qu’elle a réalisé à 85 %, et elle a adopté un
plan stratégique qui est toujours encours.
Cet établissement a récolté plusieurs prix en reconnaissance de
son engagement dans ce domaine de développement durable.
L’établissement H2 a créé un observatoire de l’environnement
et du développement durable, elle a développé 24 programmes
spécialisés en développement durable ou en environnement.
Nous allons commencer cette analyse par la définition du
développement durable.
P.C nous donne une définition conforme avec celle du
rapport de la conférence de Johannesburg, mais de par sa
formation d’environnementaliste, il privilégie la vision plutôt
environnementale du développement durable, ainsi pour lui, la
priorité est de minimiser l’empreinte écologique des actions de
l’établissement, sans pour autant négliger les dimensions sociale et

153
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

économique du développement durable, ce choix d’interprétation


du concept de développement durable, qui confirme encore une
fois les conclusions de LealFilho (2000), est totalement volontaire
et admis par l’interlocuteur lui-même.
La perception du développement durable
L’analyse du discours de P.C nous permet de faire les constats
suivants :
Au niveau du concept de développement durable, P.C privilégie
plus la dimension environnementale, c’est un choix, il le déclare
expressément « je suis davantage de l’école environnementale »,
mais cette vision du développement durable reste équilibrée,
puisque, même avec la dimension environnementale qui revient 27
fois dans son discours, le concept développement durable est aussi
présent, il revient 22 fois, et on constate aussi qu’en général, quand
il aborde la dimension environnementale, il évoque ensuite les
deux autres dimensions en précisant qu’il faut faire une intégration
complète du concept, ce qui explique le fait que le concept
de développement durable est aussi présent que la dimension
environnementale. De l’autre côté, les dimensions économique et
sociale sont moins présentes que l’environnementale (la dimension
économique 12 fois et sociale 5 fois).
Cette différence de récurrence de la dimension environnementale
par rapport aux deux autres est due au fait que notre interlocuteur
évoquait beaucoup plus les réalisations à caractère environnemental
dans ses exemples.
Concernant les types d’activités de l’établissement, on constate
une large dominance de l’activité de gestion du patrimoine dans le
discours de notre interlocuteur, cette activité a été évoquée 27 fois
contre 8 fois pour la recherche, quatre fois pour l’enseignement et
trois fois le débat public ; cette dominance nous montre l’intérêt

154
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

que porte notre interlocuteur à cette activité de gestion qui


représente pour lui un important moyen de démontrer la faisabilité
d’intégration du développement durable. Il le dit clairement
dans son discours :« on doit intégrer (le développement durable),
on doit se servir de ces institutions (universitaires)comme étant
des laboratoires du développement durable, pour montrer que
c’est faisable, pour en faire des vitrines à la fois technologique
et sociale ». Selon lui, il est important que l’Université donne
l’exemple aux autres organisations, non seulement en enseignant
le développement durable ou en faisant de la recherche sur ce sujet
mais principalement en appliquant le concept du développement
durable dans la gestion quotidienne de l’établissement, dans toutes
les prises de décision.
Le troisième thème que nous avons abordé avec notre interlocuteur
est celui de la certification. Ce thème est primordial pour nous,
car c’est à ce niveau que nous allons pouvoir répondre à notre
question de recherche.
Généralement au niveau de ce thème de certification, on remarque
que ses trois éléments reviennent presque aussi fréquemment,
le reporting et la certification ont été évoqués 15 fois chacun,
et la classification 12 fois ; ce nombre élevé de récurrences de
ces éléments démontre leur importance dans l’esprit de notre
interlocuteur. Effectivement, quand on analyse son discours on
remarque qu’il accorde une grande importance à la certification
dans la transmission d’un message aux étudiants et à tout
l’environnement organisationnel de l’établissement, y compris aux
autres établissements ; on remarque aussi que le reporting (reddition
de compte) occupe la même importance que la certification dans
le discours, puisqu’ils ont la même récurrence.
Par ailleurs, nous avons constaté que malgré le manque des
ressources financières consacrées au développement durable,

155
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

l’établissement procède à la certification des événements


stratégiques « On ne peut pas faire ça constamment, mais en
même temps on veut le faire sur un ensemble d’enjeux ».
Dans le cadre de cette certification, l’université réalise des rapports
spécifiques qui lui servent en même temps comme moyen de mesure
d’atteinte des objectifs, c’est ce qui explique le nombre identique
de récurrences des deux éléments (reporting et certification), d’un
autre côté, l’établissement utilise cette expertise dans d’autres
événements de moindre importance, sans les faire certifier, et
donc sans reddition de compte onéreuse à l’établissement, ce
qui lui permet d’avoir une bonne performance en matière de
développement durable tout en rationalisant les ressources qui y
sont consacrées.
Selon P.C, l’importance de la certification pour l’établissement
réside d’une part, dans la volonté de transmettre un message à
différents types de parties prenantes en externe, et d’autre part,
pour répondre à un nombre de soucis en interne.
Au niveau interne de l’établissement, l’adoption de la pratique de
certification se fait dans un souci, d’une part, de vérification de
l’adéquation des pratiques adoptées avec les principes du concept
de développement durable, ensuite, de mesure et de validation de
l’atteinte des objectifs par des entités externes, expertes et crédibles,
et enfin, de profiter de l’expérience de ces entités expertes en
adoptant les meilleurs indicateurs « et en même temps ça permet
de se dire (voici notre approche en interne et on est convaincu que
notre approche est bonne, et c’est confirmé par des tiers que ce
qu’on fait est adéquat), et puis l’autres éléments c’est qu’on ne se
contente pas de développer des indicateurs maison qui ne sont pas
à la fine pointe de la connaissance et de ce qu’on devrait obtenir
comme type de mesure d’évaluation, d’où l’importance de prendre

156
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

une mécanique de reddition de compte officielle, reconnue, qui a


une crédibilité internationale ».
Au niveau externe, l’établissement adopte cette pratique de
certification afin de passer un message à son entourage, l’analyse
du discours de P.C nous montre que l’établissement veut passer
trois types de message à son entourage : (1) L’établissement
veut transmettre un message aux étudiants : « le concept de
développement durable est très important pour nous, mais en tant
que pratique, pas seulement en tant que discours » « comme on
essaie de communiquer et de favoriser l’implication des étudiants il
faut qu’ils puissent voir les stratégies possibles, des cas d’exemples,
donc il faut le faire » ; l’université veut que ses étudiants, qui sont
des futurs gestionnaires, adoptent le développement durable dans
leurs décisions de tous les jours, dans les stratégies et les actions, (2)
L’établissement veut transmettre un message aux autres universités
et servir d’exemple aux autres organisations, afin de diffuser les
stratégies de développement durable : « le message que je donnais
à mes collègues des autres universités…, que ces stratégies-là
deviendront des stratégies normales de mises en œuvre dans toutes
les institutions », (3) Enfin, le troisième message que l’université veut
transmette est destiné aux organisations en général, le développement
durable n’est pas une utopie, il n’est pas irréalisable, et l’université
en est la preuve vivante, elle réussit à l’appliquer et en tirer les
bénéfices malgré le manque de ressources financières : « on doit
intégrer, on doit se servir de ces institutions (les Universités) comme
étant des laboratoires du développement durable, pour montrer
que c’est faisable… pour dire que cette utopie de nouvelles sociétés
est faisable, existe, fonctionne, se fait à des coûts acceptables, et
avec des retombées positives ».
En plus de ces messages destinés aux différentes parties prenantes
de la société, l’établissement veut soutenir les politiques
gouvernementales en lien avec le développement durable, dans

157
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

ce cadre, il adopte les certifications en envoyant un message


positif à des entités telles que BNQ, ou recycle-Québec : « … pour
mettre en œuvre l’ensemble de ce volet de certification au niveau
de l’institution, donc ça a deux réalités finalement, appuyer une
démarche de développement durable d’un partenaire souvent
gouvernemental qui nous dit, on veut travailler sur ça c’est
intéressant, cas de recycle-Québec et du BNQ… »
La troisième et dernière partie de notre analyse en profondeur au
niveau de l’établissement H2 concerne la comparaison entre les
réalisations et le plan d’action.
Cette analyse comparative entre les actions prévues dans le
plan d’action du développement durable et les réalisations de
l’établissement H2, nous permet rapidement de voir jusqu’à quel
point la politique a été mise en œuvre, et avec un suivi continu ;
en effet, l’examen des réalisations de l’établissement fait ressortir
les points suivants :
(1) L’intégration du développement durable dans les activités
de l’enseignement : l’établissement compte 24 programmes
spécialisés en développement durable et en environnement, elle
adopte une approche inter-facultaire, ce qui lui assure la prise en
considération des principes du développement durable dans les
autres disciplines tels que la finance, le marketing, etc.;
(2) L’intégration du développement durable au niveau des
activités de recherche : l’établissement adopte une approche de
recherche transdisciplinaire lui permettant d’orienter la recherche
au développement durable ; de plus, l’université profite de cette
fonction de recherche pour résoudre ces propres difficultés qu’elle
rencontre en essayant d’intégrer le développement durable dans
ces activités de gestion de patrimoine;

158
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

(3) L’intégration des trois dimensions du développement


durable dans les activités de gestion du patrimoine : l’université
s’assure de mettre en œuvre des actions en lien avec la
dimension environnementale (gestion de l’eau, des matières
résiduelles, des émissions du GES, etc.), économique (un service
d’approvisionnement écoresponsable, des investissements
écoresponsables, etc.), et la dimension sociale (relations avec les
étudiants, les employés, et la communauté) ;
(4) l’activité de débat public de l’établissement est supportée par
des faits concrets, permettant à l’université d’être plus convaincante
et pertinente dans ces débats avec ses parties prenantes.
En examinant le discours de notre interlocuteur, nous comprenons
que ces réalisations ont été acquises grâce à quelques éléments
clés qui sont :
a. l’ancrage du développement durable dans les stratégies de
l’établissement ; le terme stratégie est revenu plus de 60
fois dans le discours de P.C, ce qui explique l’importance
du développement durable non seulement comme pratique,
mais en tant que stratégie;
b. le développement d’un plan d’action qui a permis de
traduire les politiques en termes d’actions concrètes facilitant
l’intégration du développement durable ;
c. la tenue des rapports, d’une manière optimale permettant,
d’une part, de faire le suivi des réalisations en mesurant le
degré d’atteinte des objectifs établis dans le plan d’action,
et d’autre part d’accéder à des certifications sans avoir à
gaspiller les ressources financières limitées ;
d. la certification permet de, confirmer la pertinence des actions
entreprises, assurer de l’adéquation des pratiques mises en

159
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

place avec les principes du développement durable, et enfin


valider l’atteinte des objectifs ;
e. la classification a permis à l’université de s’assurer de la
bonne l’intégration du développement durable à tous les
niveaux, et dans toutes ses activités ; en effet, l’établissement
participe à une classification mondiale (Green Metric World
University Ranking), cet indicateur prend comme base
d’évaluation la couverture des différents activités et enjeux
de l’université par le développement durable, et le fait que
l’université réussit à se classer parmi les premières signifie
qu’elle a réussi à intégrer le concept de développement
durable dans toutes ses activités.
D’une manière globale, on constate une complémentarité des
mesures entreprises par l’université pour s’assurer de sa démarche
d’intégration du développement durable. Elle a mis en place un
plan d’action concret avec des objectifs mesurables, elle a tenu
des rapports pour mesurer l’atteinte des objectifs, elle a adopté
des certifications pour s’assurer de la performance des actions
entreprises et leur adéquation par rapport aux principes du
concept de développement durable, et enfin, elle a adopté une
classification mondiale qui lui permet de s’assurer de l’intégration
complète du développement durable dans toutes ses activités.
Un dernier point important qui a été soulevé par notre interlocuteur,
c’est qu’« il ne faut pas faire de la certification pour faire la
certification », cela doit être fait dans un objectif, d’autant plus
que les ressources des universités sont de plus en plus limitées,
et les budgets de plus en plus serrés ; c’est un équilibre critique
qu’il faut chercher à réaliser, il faut établir des priorités, choisir
les certifications qu’on juge pertinentes, qui soient raisonnables en
terme de coût, et agir en conséquence.

160
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

À l’issue de cette analyse, nous pouvons compléter notre cadre


conceptuel concernant un établissement qui a pu intégrer avec
succès les pratiques de développement durable avec adoption de
certifications et classification en développement durable.

Figure 3 : développement durable dans les universités avec adoption de


certification

Nous avons symbolisé le développement durable dans les activités


de l’université pour notifier qu’il y a un équilibre dans son intégration
dans toutes les activités, et sa représentation à l’intersection des
activités signifie qu’il est pris en charge en tant que stratégie de
l’université (figure 3).
Conclusion et avenues de recherche
Les résultats de cette étude nous éclairent sur les motivations qui
peuvent amener les établissements d’enseignement supérieur à
adopter ou pas la certification et développement durable. Cette
étude pourrait aussi éclairer les établissements désireux d’adopter
cette pratique, sur les répercussions de ce choix dans l’intégration
du développement durable au sein de leurs activités.

161
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

D’une manière sommaire, notre étude nous a amenés à ressortir


les points suivants : (1) Dans un contexte de manque de
ressources financières à consacrer au développement durable, les
établissements ont réagi différemment, l’un a préféré consacrer
presque toutes les ressources disponibles pour réaliser des pratiques
de durabilité en ne prenant en considération ni le reporting ni la
certification, l’autre établissement a opté pour s’engager dans un
exercice d’optimisation de ces ressources, en réalisant le reporting
et en adhérant à quelques certifications en parallèle avec l’adoption
des pratiques de durabilité, (2) L’impact de ce choix s’est manifesté
sur la qualité d’intégration du développement durable dans chaque
établissement. L’établissement qui a opté pour la tenue des rapports
et la certification a performé en matière de développement durable,
il a pu l’intégrer d’une manière équilibrée, et intégrale (à toutes les
activités). L’autre établissement n’a pas pu réaliser une intégration
complète du développement durable dans ses activités, avec
l’absence du reporting, il n’a pu ni mesurer le degré de réalisation
de ses objectifs ni assurer un équilibre entre les dimensions du
développement durable dans son activité de gestion du patrimoine,
(3) L’établissement qui adhère à la certification en matière de
développement durable a développé un plan d’action, et a pu
tenir un reporting, alors que l’établissement qui n’adhère pas à
la certification n’a pas produit de plan d’action, et n’a pas tenu
des rapports en développement durable. Nous notons à ce niveau
que ceci est un constat, nous ne pouvons affirmer qu’il y a un
lien entre l’adhésion à la certification en développement durable
et la tenue du reporting ou la production de plan d’action, (4) La
motivation du directeur de développement durable joue un rôle
dans l’adoption ou non de la pratique de certification, cependant,
nous ne pouvons-nous prononcer sur le degré d’influence de cette
motivation personnelle du directeur sur l’adoption ou non de la
certification au niveau de l’établissement.

162
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Comme nous l’avons mentionné un peu plus haut, les résultats


de cette étude peuvent être utiles pour élucider les raisons
derrière le choix de certification, ou non-certification, en matière
de développement durable dans les universités, cependant ces
résultats ne peuvent être généralisés ni généralisables, ce sont des
résultats spécifiques à des établissements canadiens, francophones,
dans un contexte économique moins favorable (période de reprise
de l’économie après une crise), de plus, il existe plusieurs autres
aspects qui peuvent avoir de l’influence, que nous n’avons pas
abordés, et qui constituent des pistes potentielles de recherche : (a)
quel est l’impact de la formation du directeur de développement
durable sur l’adoption de la certification en développement
durable ? (b) quel est l’impact de la notoriété de l’établissement
sur l’adoption des pratiques de certification ? (c) nous avons parlé
de certification en général mais il faut prendre des exemples de
certification et approfondir la recherche pour savoir si l’effet change
avec le changement de certification, (d) quels sont les critères pour
identifier le seuil à ne pas dépasser en matière de certification et
classification ? (e) au-delà de cet équilibre, est-ce que la pratique
de certification en développement durable est elle-même une
pratique de durabilité ?

163
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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167
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Engagement et responsabilité communautaire des entreprises


collectives dans la consolidation des efforts du développement
durable au Canada

Rachid Bagaoui

Introduction
Les petites régions au Canada vivent depuis plusieurs années
une double crise. D’abord, une crise de stratégie de développe-
ment industriel. La stratégie de développement qui a façonné le
destin économique des régions depuis l’après deuxième Guerre
mondiale est celle de l’employeur unique. En grand meneur de
jeu, l’employeur implanté dans une petite région avait la responsa-
bilité de redynamiser le milieu par la création d’emplois, directs et
indirects, de participer à doter de la ville de services et de financer
les activités sociales et sportives. Aujourd’hui, avec les restructura-
tions industrielles, la mobilité du capital, l’emprise de l’actionna-
riat sur l’entreprise, cette stratégie de développement des régions
a atteint ses limites. Conséquences de cette crise : le chômage
frappe de nombreuses catégories sociales, les commerces ferment
leur porte, les jeunes sans diplômes et sans qualifications partent
pour les grandes villes à la recherche d’un emploi.
Malgré leurs intérêts contradictoires, tous les acteurs sociaux,
y compris le monde des affaires, en viennent à la conclusion
que continuer de miser uniquement sur cette stratégie de
développement d’après-guerre pour sortir de la crise s’avère une
gageure à haut risque. Parce qu’aujourd’hui, en effet, l’employeur
maître du jeu dans une petite région n’embauche plus comme
auparavant et n’assure plus la reproduction générationnelle.
Car, il faut le rappeler, dans la période de l’après-guerre,

169
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

l’emploi à l’usine, dans une petite région à employeur unique,


était une affaire de « famille » (Beaud et Pialoux, 2012). Le fils
qui abandonnait ses études très tôt n’avait le choix que de quitter
la région ou suivait le modèle de son père en s’embauchant comme
lui à l’usine. Aujourd’hui, ce cycle de vie ininterrompue n’est plus
possible.
La logique de développement est également en crise parce que les
remèdes de l’État pour s’attaquer à la précarité et aux inégalités
n’ont pas livré les résultats attendus. Bon nombre de ces remèdes
ne répondent plus aux attentes de la population. Face à la réduction
des effectifs et des services dans les petites régions, la population est
contrainte de se fier à ses propres ressources pour innover et sortir
du marasme. Ce qui ne va pas toujours de soi. Sortir de la précarité
exige certes de trouver des voies innovantes mais exige aussi des
supports collectifs, des ressources. Et justement c’est l’État qui est
le principal pourvoyeur de protections sociales (Castel, 2009).
Enfin, une autre crise qui mérite d’être soulignée a trait au rôle
du milieu. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, grâce à une
période de croissance relativement soutenue, le milieu vivait sur
un mode de « ça va de soi ». Malgré les inégalités à cette époque,
l’emploi était au rendez-vous, le chômage était considéré comme
un accident de parcours et l’État et le secteur privé redynamisaient
le milieu. Bien que les attentes de la population envers l’État et le
privé ne s’affaiblissent toujours pas, elles ne vont plus de soi. Avec
des décennies de chômage, d’austérité et de discours justifiant ces
choix politiques, la population en est venue à l’évidence qu’il faut,
sans tourner le dos à l’État et à l’entreprise privée, mettre en valeur
d’autres initiatives de développement économique (Bagaoui, 2009).
Et les initiatives ne manquent pas pour sortir de la marginalisation,
parmi lesquelles on compte celles qui relèvent du développement

170
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

économique communautaire (DEC). C’est à l’examen de ces


initiatives que se consacre ce texte.
Le développement économique communautaire
Le DEC une stratégie de développement qui met l’accent sur la
prise en main par la population de son propre développement
et par la volonté de s’attaquer à toute forme de marginalisation
rencontrée par un groupe ou un territoire. Cette prise en main
comprend plusieurs structures productives dont les principales
sont les entreprises collectives. Parmi les activités ou services
rendus à la population, il y a la création et la production des biens
et services, l’aide à la création d’entreprises, le renforcement du
capital humain, la revitalisation du milieu, etc.
L’intérêt pour les entreprises collectives n’est pas nouveau ; il a fait,
depuis les années 1990, l’objet de nombreux travaux en sciences
sociales. Ces études ont en commun de problématiser la question
de ces initiatives innovantes en terme de renouvellement, qu’il soit
socio-économique, politique ou identitaire. Selon ces auteurs, la
particularité de ces pratiques est fondée sur l’engagement dans le
milieu et sur la participation à la consolidation du développement
durable. Malgré le caractère daté de ces publications, leur
problématique est toujours d’actualité. A la condition de
s’éloigner de l’idéalisme des premiers travaux, les phénomènes
de la précarité et des inégalités sont loin de disparaître. De plus,
avec les conséquences économiques de la pandémie récente de
Covid-19, le dossier de la précarité et des inégalités est loin d’être
clos (à supposer qu’il puisse l’être un jour), d’autant plus que les
entreprises (petites et moyennes) elles-mêmes sont touchées de
plein fouet par cette pandémie.
Ce texte s’inscrit, donc, dans le prolongement de ces travaux.
Mon objectif est d’examiner quelques initiatives du DEC et leur

171
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

engagement dans leur milieu en me demandant comment ces


entreprises collectives répondent à la crise que traversent les
régions ? Quel est leur engagement dans la revitalisation de leur
milieu et quelles sortes de pratiques innovantes elles inventent ?
Les entreprises de DEC sont nombreuses et diversifiées couvrant
des activités de production de biens et de services, la formation,
l’insertion, etc. Dans ce texte, je mettrai l’accent sur le cas d’une
entreprise collective : la Maison Verte.
Quelques repères méthodologiques
Pour répondre à ces questions, j’ai mené une enquête sur les
entreprises de DEC dans le Nord de l’Ontario (Canada). Pour
repérer les entreprises, j’ai dû, dans un premier temps, constituer
un répertoire de DEC. En tout, j’ai recensé 34 organismes ou
entreprises collectives dans le Nord de l’Ontario. Les éléments
qui ont permis d’établir le profil des entreprises sont : la mission,
le genre de services offerts, la clientèle visée, les sources de
financement, le mode de gestion, l’engagement dans le milieu, les
pratiques innovantes, etc. Ce répertoire n’épuise pas la réalité du
DEC mais c’est un outil qui comble un vide évident en la matière.
Pour mener l’enquête, un questionnaire et un guide d’entrevue ont
été élaborés. Le questionnaire permettait de tracer un profil socio-
démographique de l’entreprise (date de création, secteur, région,
etc.). Une fois les entreprises classées en fonction de ces critères,
un guide d’entrevue a été utilisé pour reconstituer l’histoire, décrire
l’engagement dans le milieu, les pratiques innovantes ou le soutien
du milieu. Parmi les 34 entreprises et organismes répertoriés, la
moitié a accepté de participer à l’enquête. Le questionnaire a été
rempli par des responsables d’entreprises. Quant aux entrevues,
elles ont été menées auprès des responsables et des employés (en
moyenne trois employés par entreprise ont accepté de répondre

172
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

aux questions). L’enquête couvrait cinq villes de la région du Nord


de l’Ontario.
Les projets étudiés
Les projets étudiés sont variés. On trouve des projets de
recyclage de carton en pâte à papier, comme celui de la Société
de développement économique de Nippising ou celui de la
production de semis pour le reboisement de la Maison verte à
Hearst. On trouve également des projets comme la production de
champignons pour alimenter le marché du Nord, la production de
vêtements ModElles, la construction d’un complexe agricole, la
prise en main d’un aéroport par un organisme à but non lucratif à
Sault. On rencontre également des projets offrant des services en
matière de logement social ou de tourisme communautaire.
Malgré la diversité des projets, ils ont quelques points en commun.
Tout d’abord, toutes ces initiatives sont menées par des associa-
tions à but non lucratif. Leur engagement dans le milieu s’exprime
par la création d’emplois et par la consolidation du capital hu-
main (ex. formation, transfert des connaissances techniques). Les
groupes défavorisés, les jeunes et les femmes en difficultés et sans
qualifications, sont les premiers bénéficiaires de ces retombées.
Ces initiatives se sont soldées également par des prestations de
formation technique et, dans certains cas, elles ont même permis
à certaines personnes de retourner à l’école pour compléter le di-
plôme secondaire. Il est vrai que devant l’ampleur des problèmes,
ces retombées ne sont qu’une goutte dans un océan, mais pour les
régions touchées cela représente une centaine de création d’em-
plois et de formation. Également, par la création de l’emploi et la
formation, les initiatives ont permis aux populations touchées de
sortir de leur isolement, de développer des réseaux, des amitiés
et de prendre confiance en leur capacité d’agir. Car, common le

173
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

sait, l’emploi ou l’école est plus qu’un pourvoyeur de travail ou de


diplôme : ce sont un puissant facteur d’intégration sociale.
Ensuite, ces initiatives se caractérisent par la mobilisation du milieu.
En effet, les projets n’ont pas été développés par quelques personnes
travaillant dans l’ombre. Pour créer les conditions d’aboutissement
du projet, les fondateurs ont compté sur l’engament de différents
acteurs comme les syndicats, la municipalité et les corporations
de développement et parfois le secteur privé. L’engagement de la
population elle-même a été mentionné dans toutes les entrevues.
Tous les projets, en effet, ont fait l’objet d’appui de la part de
groupes concernés. La population en général a aussi joué un rôle
dans ce processus par son engagement financier ou par son appui
symbolique. Elle se sent concernée parce que les projets émanent
d’abord du milieu pour le milieu. Dans cette perspective, les
projets, aux yeux de la population, sont avant tout un bien collectif
qu’il faut soutenir et défendre.
Enfin, mentionnons également que ces intuitives de prise en
main ne se sont pas réalisées contre les pouvoirs publics. Malgré
les orientations néo-libérales poursuivis ces dernières années,
l’État demeure un levier important de développement. Toutes les
initiatives ont bénéficié, donc, d’un soutien financier de la part de
l’État dans la création de ces entreprises collectives.
Pour donner à voir concrètement l’originalité de ces initiatives, je
mettrai l’accent, dans la section suivante, sur un cas d’entreprise
de DEC qui me semble significatif de cet effort de consolidation du
modèle de développement durable. Il s’agit de la Maison Verte, une
entreprise collective fondée par et pour les femmes. Le choix de ce
cas se justifie amplement. Outre le fait que cette entreprise réunit
toutes les caractéristiques mentionnées ci-dessus (engagement
dans milieu, pratiques innovantes, etc.), elle existe depuis 38

174
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

ans. Cela montre bien, si l’on juge par son enracinement et son
engagement dans son milieu depuis toutes ces années, qu’une
entreprise collective peut très bien réussir économiquement et
socialement dans la durée.
Le cas de La Maison Verte
La Maison Verte est une entreprise collective que l’on peut ranger
dans la catégorie des entreprises de développement économique
communautaire. Située dans la ville de Hearst, une petite ville
qui dépend des ressources naturelles, La Maison Verte a vu le
jour en 1982. Sa création a pour mandat principal la création
d’emplois pour les femmes en difficultés. Presque quarante ans
après sa création, La Maison Verte est toujours active sur son
territoire. Elle emploie une vingtaine d’employés, en majorité des
femmes. L’activité principale est la production de semis destinés
au reboisement. Avec le temps, cette entreprise collective s’est
diversifiée vers d’autres secteurs : l’agriculture biologique et les
produits botaniques. Pour couronner le tout, l’entreprise s’est
dotée d’un magasin pour écouler ses produits.
L’originalité de La Maison verte réside dans le fait qu’elle a été créée
non pas par des promoteurs individuels mais par une association
à but non lucratif. Cette association de femmes avait pour mandat
principal de faire la promotion de l’autonomie des femmes. Mais au
lieu de se contenter d’occuper le terrain social, elle s’est aventurée
dans le domaine économique en cherchant à créer des emplois
aux femmes sans diplôme et sans qualifications. Cette association
est, donc, autonome de la Maison verte et possède sa dynamique
propre et son histoire.
Le cas de l’association Parmi-Elles
Les conditions de sa création remontent à 1979. A cette époque
le Canada traversait une crise économique sans précédent

175
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

caractérisée par la fermeture massive d’usines. C’est aussi une


période caractérisée par la montée des mouvements de femmes
qui luttaient, entre autres, pour l’autonomie économique des
femmes défavorisées. Une dynamique qui s’inscrivait aussi dans
une mouvance mondiale où les femmes ont pris en main leur
destin pour asseoir des logiques de développement égal et durable
au nord comme au sud (Collinge et Klein, 2020).
La région offrait peu de possibilités aux femmes puisqu’elle
dépendait de l’industrie du bois, un secteur essentiellement
masculin. Vivant dans un milieu qui ignore leurs préoccupations,
elles n’avaient de choix que de compter sur elles-mêmes.
Le point de départ de cette aventure se situe hors du monde du
travail et de l’économie. C’est lors d’un colloque, organisé par
une autre association de femmes (Franco-femmes), et portant sur
les problèmes que rencontrent les femmes, que l’idée de créer
une association a vu le jour. Sa future fondatrice, femme sans
emploi, monoparentale, prend connaissance lors de ce colloque
de l’existence d’un programme gouvernemental du nom de
PACLE (Programme d’assistance à la création locale d’emploi).
Le programme était destiné aux personnes qui rencontraient des
difficultés d’employabilité. Plusieurs femmes entraient dans cette
catégorie. Monoparentales pour la plupart, sans qualification, sans
diplôme, ces femmes vivaient sur l’assistance sociale ou survivaient
grâce à des emplois précaires.
À la suite de ce colloque, la future fondatrice de Parmi-Elles, réunit
immédiatement un groupe de femmes pour créer une association
dont le but est l’identification des problèmes que rencontrent les
femmes et des solutions économiques à mettre de l’avant. Cela
devait passer par la mise sur pied d’un projet créateur d’emplois
pour les femmes monoparentales, la catégorie la plus touchée parmi

176
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

toutes les catégories sociales. Mais un an après, le groupe finit par


inclure toutes les femmes qui subissaient la précarité. L’association
prend le nom de Parmi-Elles. Le but était non seulement social
mais économique.
De Parmi-Elles à La Maison Verte
Le travail associatif exige un habitus particulier : gérer les réunions,
travailler en équipe, tenir des dossiers, etc. La période allant de
1980 à 1981 sera marquée par la mobilisation des femmes autour
de cet objectif : la préparation des femmes à la vie associative.
Puis à partir de l’année 1981, l’association se penche sur le travail
proprement économique, celui de création emploi. Les femmes
embauchent alors une agente économique pour les aider à
trouver les idées pour un projet économique et les moyens de les
concrétiser. Après l’examen de plusieurs projets, le groupe décide
de se lancer enfin dans le secteur du bois mais à leur façon. Il
s’agissait en quelque sorte de réparer les dégâts de l’industrie
du bois qui, avec son exploitation éhontée de la forêt, a causé
d’énormes dégâts à l’environnement. Le projet consiste à produire
des semis destinés au reboisement. Le projet se voulait, donc, à la
fois économique et environnemental.
Pour réaliser ce projet, on a créé une structure productive qui a
pris le nom de La Maison Verte dont le propriétaire est l’association
Parmi-Elles. Grâce à un soutien financier du gouvernement et de
soixante-dix-sept investisseurs locaux, l’entreprise passe du papier
à la réalité. L’engagement du milieu mérite aussi d’être mentionné :
Le Centre d’emploi est un exemple d’une agence gouvernementale
qui a permis de dénicher et de former les futures employées. La
Corporation de développement économique de Hearst, de son
côté, a coordonné la campagne, invitant divers groupes à appuyer
financièrement le projet.

177
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Pour produire les plants d’épinette noire et de pin gris pour


reboisement, l’association a construit une serre, a acheté les
équipements et a procédé à l’embauche et à la formation des
employées, en faisant appel à l’expertise dans le domaine de
production des semis. En 1987, Parmi-Elles rachète finalement les
actions privilégiées et devient du coup la seule propriétaire de la
Maison Verte. Elle signe également un contrat avec la Hearst Forest
Management Inc., une compagnie de bois, désireuse de se lancer
dans le reboisement.
L’engagement de La Maison verte dans le milieu
Créée pour faire la promotion de l’autonomie des femmes,
La Maison Verte contribue à sa façon et selon sa traille à lutter
contre la précarité. Elle offre des emplois aux femmes et participe
au développement économique de la communauté de Hearst.
L’entreprise a débuté avec sept employés dont six femmes et un
homme. À l’heure actuelle, elle en emploie une vingtaine dont la
plupart sont des femmes. Ces emplois, stables et permanents, sont
ouverts à toutes les femmes. Des femmes qui viennent à l’entreprise
sans expérience et sans formation académique ou technique afin
d’y chercher des connaissances qui leur permettent de comprendre
le fonctionnement de l’entreprise et de se préparer à l’exercice de
leur métier. L’entreprise a réussi à élargir sa production allant du
reboisement à la production agricole biologique. En sens on peut
dire que cette entreprise collective s’engage aussi écologiquement
dans son milieu.
La gestion de La Maison Verte est participative. Cela se traduit dans
les faits par la prise de décision collective des affaires de l’entreprise.
Une des formes de participation privilégiée et la consultation auprès
des employées. Tous les vendredis, les employées se réunissent
pour discuter et échanger des opinions et de l’information au sujet

178
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de l’entreprise. Depuis le début des années 1990, les employées


participent aux bénéfices de La Maison Verte. C’est ainsi que
10% du total des bénéfices, avant impôt, sont répartis auprès
des employées à la fin de l’année. Ces profits sont distribués à
toutes les employées tant à temps plein que saisonnières. Pour les
employées à temps plein, la moitié des bénéfices reçus est placée
dans un régime de pension (REÉR) et l’autre moitié est donnée
en argent. Quant aux employées saisonnières, les bénéfices sont
répartis selon le nombre d’heures (le minimum étant de 300 heures
par an pour accéder au droit de participation) et cette répartition se
fait de la façon suivante : 50 % sur la base du salaire et l’autre 50%
sur la base de l’ancienneté.
La Maison Verte est bien enracinée dans le milieu. Elle écoule sa
production sur place et ses principaux clients sont les compagnies
forestières locales, la Hearst Forest Management Inc. et la QUNO.
La Hearst Forest Management est également un grand partenaire
qui l’assiste en matière technique (ex. échange l’information sur
le type et la taille de plants). Compte tenu de la dépendance de
l’économie régionale face aux ressources naturelles, la compagnie
développe différents partenariats avec les acteurs régionaux
pour promouvoir la diversification des activités économiques
sur le territoire. C’est ainsi qu’actuellement, elle fait partie d’une
coopérative de recherche forestière qui finance des projets dans
le but de permettre de développer des techniques de production
telles que la diversification des produits.
L’engagement se manifeste par le rapport étroit entre l’association
Parmi-Elles et la Maison Verte. Une partie des fonds générés est
réutilisée par l’association pour continuer sa mission qui est
la promotion de l’autonomie des femmes. A titre d’exemple,
l’association a soutenu la création de quelques entreprises
comme ModElles, une entreprise collective gérée par des femmes,
spécialisée dans la fabrication des vêtements.

179
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Au-delà de toutes les difficultés que rencontre ce genre d’entreprises


(ex. capitaux, marché) la Maison Verte représente un cas qui
illustre l’étendu des possibilités qu’une entreprise collective peut
réaliser lorsqu’elle est animée par l’engagement dans son milieu.
Issue du milieu, gérée par des gens de la place, l’entreprise devient
pour eux un bien collectif qu’il faut défendre et préserver. Son
dynamisme lui vient aussi de l’association Parmi-Elles qui a su lui
insuffler l’esprit associatif.
Si ce cas du développement économique communautaire peut
susciter « l’admiration », il ne faut pas céder aux sirènes de
l’idéalisme. Le développement économique communautaire ne
peut endiguer à lui seul la précarité et le sentiment d’inégalité que
vivent les femmes. Il ne peut non plus constituer un modèle de
développement tellement la précarité des femmes est un problème
structurel. Les entreprises du développement économique
communautaire peuvent, néanmoins, par leur engagement,
participer aux efforts de développement durable qui manquent
tant aux entreprises privées.
Conclusion
Les entreprises de développement économique communautaire ne
sont pas la solution à tous les problèmes de précarité parce qu’elles
n’offrent pas toutes les protections et les possibilités de promotion
qu’offrent la plupart des entreprises privées (Sadik, 2018). De plus,
pour combattre la précarité et les inégalités, les actions menées
par les entreprises ne semblent pas suffisantes : il faut une réelle
politique publique orientée vers les objectifs de développement
durable et égal. En fait, comme le démontre le cas des entreprises
du DEC, les multiples limites repérées ne viennent pas forcément
de leurs faiblesses internes mais aussi et surtout des défaillances
des politiques publiques qui n’accordent pas une place importante

180
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

au DEC dans leur stratégie de développement. D’où l’importance


des mesures d’accompagnement des initiatives privées par l’acteur
public : l’État. En effet, toutes les actions étatiques qui se sont
dirigées vers l’entreprise privée considérant celle-ci comme le seul
acteur économique digne de sortir la population de la précarité
sont vouées à l’échec (Bagaoui, 2020). Or, comme le montrent les
expériences partout dans le monde, la libre initiative privée dont
les limites ne sont pas clairement définies par un pouvoir régulateur
de la puissance publique n’ont abouti qu’à l’enrichissement des
actionnaires et à l’exploitation excessive des ressources naturelles
au détriment des employés et de la nature. Leur engagement dans
le milieu est, donc, éphémère : lorsque les ressources se tarissent,
les entreprises n’hésitent pas de mettre la clé à la porte au lieu
d’explorer de nouvelles pratiques innovantes.
Les entreprises de DEC sont certes des structures modestes, mais,
elles ont au moins l’avantage d’être des entreprises créées par le
milieu pour le milieu. Leur engagement n’est pas éphémère puisqu’il
est l’émanation d’un processus de co-construction des acteurs
locaux à partir et sur la base des besoins ressentis localement. C’est
pourquoi, au lieu de s’éterniser sur le débat entourant le caractère
rentable ou pas de ces initiatives, il faut plutôt travailler à les faire
reconnaître légitimement comme partie prenante du modèle de
développement durable.

181
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Bibliographie
Bagaoui, R. (2009). « Aperçus de l’économie sociale en Ontario : une
modalité spécifique de l’affirmation de la minorité francophone »,
Revue internationale de l’économie sociale, (312), p. 89–101.
Bagaoui, R, (2020). Le champ de développement économique
communautaire et l’économie sociale en Ontario (Canada):
Émergence, évolution et spécificité, in Youssef Sadik (Dir.)
Résistances économiques et sociales dans les Suds, Rabat.
Beaud, S. et Pialoux, M. (2012). Retour sur la condition ouvrière.
Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, La
Découverte, coll. « La Découverte/Poche ».
Castel, R. (2009). La Montée des incertitudes. Travail, protections,
statut de l’individu, Paris, Éditions du Seuil, La couleur des idées.
Collinge, C, et Klein, J. L. (2020). « Les femmes et l’approche
du BuenVivir en Bolivie : entre l’absence et l’émergence », Épisté-
mologies des Suds, 64 | 2020.
Defouny, J. (1994). Développer l’entreprise sociale, Fondation du
Roi Beaudoin, Belgique.
Favreau, L. (2008). Entreprises collectives : les enjeux
sociopolitiques et territoriaux de la coopération et de l’économie
sociale, Québec, Presses de l’Université du Québec.
Laville, J. L. (1994). L’économie solidaire. Une perspective
internationale, sous la direction de Jean-Louis Laville, Paris,
Desclée de Brouwer.
Levesque, B. et Mendell, M. (1999). L’économie sociale au Québec:
éléments théoriques et empiriques pour le débat et la recherche.
Lien social et Politiques, (41), p. 105–118.
Sadik, Y. (2018). Les paradoxes de l’employabilité au Maroc. Le
travail et l’entreprise au Sud à l’épreuve de la mondialisation, Paris,
L’Harmattan.

182
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Engagement communautaire de l’ESS et le développement


territorial au Maroc

Khadija Askour

Introduction
Au nom du développement, on constate, depuis quelques années
maintenant au Maroc, une tendance vers la mise en place de
recompositions territoriales et l’encouragement aux pratiques
communautaires. Celle-ci concerne plus précisément les territoires
en marge du système ou en mal de développement, et propose une
valorisation et une réorganisation des filières productives autours
des produits de terroir. Les besoins des populations sont alors au
centre de l’attention de l’action publique.
L’encouragement à l’engagement communautaire se veut ainsi
une solution à certaines problématiques comme la pauvreté,
l’analphabétisme, etc. dont souffrent les pays en développement
comme le Maroc. Il représente une possibilité d’obtenir une société
plus équitable et démocratique.
Sur le plan conceptuel et opérationnel, l’engagement
communautaire comporte certaines ambiguïtés (Poirier et al.,
2019). Au niveau de notre article, on comprendra toutefois par
engagement communautaire, une démarche permettant aux
sociétés et économies d’aspirer à un progrès social, et de satisfaire
certains besoins des populations. Il pourra concerner l’amélioration
des conditions de vie des populations vulnérables et marginalisées
ou encore de celles qui aspirent à satisfaire les besoins de base
comme l’emploi, la santé ou l’éducation.

183
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Ce type d’initiative relève, généralement, de l’action publique


qui admet, dans ses approches, la nécessité d’une nouvelle vision
localisée « indispensable au développement socio-économique
territorial ». Mais il s’observe également chez les acteurs locaux
qui sont directement ou indirectement concernés par ce type de
développement.
L’économie sociale et solidaire représente dans ce cas, la forme
autour de laquelle cette revendication territoriale se manifeste.
Connue pour sa contribution à la création d’emploi, l’économie
sociale et solidaire participe au rayonnement socio-économique
de certains territoires, de par l’implication des populations locales
dans des activités de solidarité et d’entraide. Elle engage des
valeurs, des actions, des principes centrés sur les besoins d’une
communauté, et permet de surpasser les freins à l’entrepreneuriat
à petite échelle.
L’objectif de cet article est ainsi de mettre en lumière certaines
initiatives communautaires lancées au Maroc, accompagnant
le processus « reconnu » et bien établi de la différenciation des
ressources territoriales et de leur mobilisation dans une trajectoire
de développement durable.
I - Espace et territoire : de l’émergence des concepts à leurs
frontières
La grande préoccupation des économies aujourd’hui est comment
permettre et pérenniser un développement pour des espaces
ayant une histoire et des ressources mais aussi des opportunités,
des menaces et des fonctionnements, différents. La mise en avant
de la notion de territoire par les politiques publiques, dans ce
cas, est perçue comme la composante qui permettra la jonction
de tous ces éléments. Elle intègre les aspects communautaires et
économico-géographiques propres à chaque espace, formant un

184
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

tout homogène sous la forme de relations et de connexions entre


acteurs locaux.
Au niveau du paradigme territorial, la conception de l’espace limitée
à une distance entre les lieux se voit substituer par une conception
plus large qui combine plusieurs dimensions : économique,
géographique et sociale. Selon certains chercheurs comme Rallet,
le territoire est défini comme : « une construction aléatoire d’agents
localisés structurés en un réseau de relations » (Rallet, 1993,
p. 370). Il interpelle ainsi les interactions entre acteurs locaux. Pour
Lacour (1996), ce concept permet : « d’introduire des dimensions
que jusque-là, les économistes avaient grand mal à prendre en
compte, notamment les dimensions culturelles, sociales, familiales,
religieuses » (Lacour, 1996, p. 36).
Au niveau de la littérature, le territoire n’apparaît pour la première
fois dans la science économique que dans l’école néo-marshal-
lienne représentée par des économistes italiens. Dans les débuts
de la théorie économique, il n’y avait aucun cadre de référence
propre au territoire. L’espace était représenté comme un point de
localisation des activités. Aucun intérêt ne portait sur la dimension
territoriale, ni sur son rôle dans les agitations économiques. Plu-
sieurs bifurcations sont ainsi présentes dans la construction du corps
scientifique sur les territoires. Selon Claval (2008), il faut distinguer
trois moments de la réflexion dans le processus d’émergence du
concept de territoire et d’espace dans les sciences sociales. Durant
la première période on constate le fait encore embryonnaire de
la recherche dans le domaine, où l’idée de région est le résultat
de trois approches indépendantes : l’économie spatiale, la théorie
des relations économiques internationales et la géographie éco-
nomique (sous sa première forme). Il distingue ensuite un second
temps de réflexion, représentant la première bifurcation qui débu-
teaux alentours des années 1930. Et enfin un troisième temps de
réflexion, représentant une seconde bifurcation, qui débute vers

185
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

les années 1970, et qui approuve et met en avant le rôle du déve-


loppement par le bas.
Mais c’est en proposant la création d’une science régionale, que
Walter Isard, va donner le point de départ aux réelles recherches
sur la place des territoires dans les sciences sociales. L’auteur va
contribuer ainsi à la naissance d’une multitude de paradigmes
de recherche, issus de disciplines différentes, dont le maillage
semblait jusqu’à il y a quelques années encore, impensable.
Sur le plan des politiques publiques au Maroc, cette reconnaissance
progressive du territoire, s’est faite avec l’émergence, entre autres,
de formes d’organisations localisées spécifiques efficaces dans
le monde, permettant un développement territorial. Les districts
industriels italiens ou encore la Silicon Vallée en sont des exemples.
II - Territoire et développement territorial au Maroc
Depuis quelques années maintenant, on observe en effet au Maroc
une tendance « prononcée » aux pratiques de développement
territorial. On passe ainsi d’un modèle de développement centralisé
à un système basé sur l’encouragement des synergies entre acteurs
locaux dans le cadre d’une approche communautaire d’économie
sociale et solidaire. Ce tournant territorial est manifestement
la résultante d’une certaine limite de l’action «centralisée» et
‘généralisée’ des politiques publiques sectorielles (PNAZI, entres
autres), vantant les mérites d’une distribution équitable régionale de
plateformes économiques. Ces mesures mettent en avant le prisme
de l’économique au détriment d’une réflexion plus soutenue des
référentiels et fonctionnement des territoires.
Cette nouvelle vision du développement nous pousse toutefois à
préciser la signification retenue au Maroc. En effet, la réorientation
de l’action publique vers une approche territoriale fait l’objet de
plusieurs conceptions pas toujours précises et unanimes. Le fait est

186
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

que les institutionnels se prêtent souvent à une démarche qui omet


parfaitement les soubassements et caractéristiques de la notion
de territoire, à savoir les trois composantes suivantes : l’activité,
la population et l’espace, pour la confiner à une proximité
géographique.
La situation est telle qu’on assiste actuellement à une confusion
au niveau des concepts utilisés au Maroc. On parle de territoire
de projet, de territoire pertinent ou de territoire productif. La
problématique concerne aussi bien les contenus accordés aux
concepts que celle des cas similaires dénommés différemment.
Cette insuffisance existerait également sur le plan des concepts
«approuvés » par la littérature scientifique comme l’approche du
système productif localisé (SPL) ou celle des pôles de compétitivité,
qui peuvent être catégorisées comme une seule et unique
approche de développement territorial. Il s’agit donc d’autant
de définitions qui rendent difficile la détermination des contours
réels des phénomènes de développement territorial au Maroc.
Ainsi et afin d’éviter une déperdition du cadre conceptuel, propre
aux phénomènes d’agglomérations et des territoires productifs,
certains chercheurs préfèrent s’abstenir de donner un concept
supplémentaire en plus de la pléiade des concepts déjà proposés,
et préfèrent se focaliser à identifier les écarts entre les concepts ou
à chercher leurs points de ressemblance (Askour, 2009).
C’est cette démarche qui est préconisée au niveau de notre
réflexion. On considère ainsi que la présence d’une proximité
organisationnelle, géographique et/ou institutionnelle, sous la
forme de coopération productive localisée, pourrait être un
dénominateur pertinent autour duquel des comparaisons entre
approches de développement territorial peuvent être élaborées.

187
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

II - Des coopérations productives localiséesau SPL à la


marocaine 
Si l’intérêt porté aux notions de territoire s’explique par la
prise de conscience de l’inégale répartition dans les sociétés et
économies en termes de ressources et de potentialités et donc
de fonctionnement, il s’appuie également sur la reconnaissance
du modèle réussi des coopérations productives localisées. Cette
approche est conçue initialement pour et/ou par les entreprises de
petites tailles situées à proximité et où les productions s’inscrivent
dans une dynamique collaborative de production.
Dans les pays en voie de développement comme le Maroc, ce
type de coopération est fortement encouragé par les politiques de
développement. Les synergies constituent, comme le montrent
bon nombre d’exemples étrangers (dont les districts industriels
italiens), une réelle issue vers la réussite économique. Benko et
Lipietz (2000) parlent, dans ce cas, de territoires gagnants.
Dans la littérature, ce phénomène de réseautage, analysé dans ses
débuts par des sociologues et économistes à travers le concept de
district industriel, va prendre différentes conceptions  : L’écosystème
territorial, le district technologique, les milieux innovateurs, les
aires de spécialisation. Tous ces réseaux de collaboration peuvent
être considérés comme des variantes du SPL (Courlet, 2001). Ils
ont des caractéristiques similaires dans l’approche retenue pour les
catégoriser, à savoir une proximité organisationnelle, géographique
et/ou institutionnelle.
Courlet définit le SPL comme : « Toute organisationde la production
basée sur la présence d’économies externes et de connaissances
non transférables et sur l’introduction de formes spécifiques
de régulation qui identifient et sauvegardent l’originalité de
la trajectoire de développement » (Courlet, 2002, p. 31). Il le définit

188
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

également comme : « une configuration d’entreprises regroupées


dans un espace de proximité autour d’un métier, voire de plusieurs
métiers industriels ou tertiaires. Les entreprises entretiennent des
relations entre elles et avec le milieu socio-culturel d’insertion.
Ces relations ne sont pas seulement marchandes, elles sont aussi
informelles et produisent des externalités positives pour l’ensemble
des entreprises. Le métier industriel dominant n’exclut pas la
possibilité de l’existence (au sein d’un SPL) de plusieurs branches
industrielles. Souvent, on fait référence à des systèmes de PME ;
cependant, il existe aussi des relations très territorialisées entre
grandes entreprises et PME (dans un rapport autre que celui de la
sous-traitance traditionnelle)» (Courlet, 2001).
Le SPL est une forme d’organisation qui permet de contrecarrer les
effets de la concurrence grâce à une meilleure coordination des
activités, à l’atmosphère industrielle qu’il procure, et à l’innovation
qu’il développe. Il permet également un ancrage territorial, de
même qu’il représente un catalyseur du développement et de la
performance économique des entreprises qui le forment. L’exemple
italien montre que l’appartenance à un district (forme de SPL)
accroit la rentabilité des entreprises de 2 à 4%, en moyenne, du fait
des économies d’agglomération créées par les SPL (OCDE, DATAR,
2001, p. 8). Les entreprises d’un SPL profitent de bassins de main
d’œuvre spécialisée, de services aux entreprises et d’idées, etc. Ce
qui n’est pas le cas d’entreprises isolées les unes des autres.
Au Maroc, le SPL représente le concept le plus sollicité par
l’intervention des pouvoirs publics dans le cadre des approches
de développement territorial. Depuis les années 1990, l’Etat
marocain donne une importance à la promotion des PME, qui
représente plus de 90% du tissu productif, notamment avec des
mesures et actions d’appui et d’assistance à la « construction » des
réseaux de coopération. On constate ainsi la volonté d’impulser

189
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

une dynamique territoriale et endogène. A titre d’exemple,


l’action conjointe du ministère du commerce et de l’industrie
en collaboration avec l’ONUDI proposa aux acteurs locaux une
meilleure organisation de la filière de production ainsi que de la
chaîne de valeur. C’est le cas des filières à faible rentabilité comme
le thuya à Essaouira (Askour, 2009).
Cette approche du SPL adoptée par les politiques publiques connaît
toutefois quelques insuffisances. Dans certains cas, elle projette
le développement d’espaces identifiés selon un modèle chiffré
d’organisation industrielle localisée, et selon des indicateurs qui
ne répondent pas toujours aux pré-requis de la notion avancée. En
effet, l’identification des agglomérations porte sur des lieux où une
activité est exercée dans 5 établissements productifs au moins ;
représente au niveau local 100 emplois au moins ; représente
5% au moins de l’emploi de l’activité au niveau du Maroc ; et
enfin représente 5% au moins de l’emploi industriel local. Mais
si l’on considère le caractère socio-économique du SPL (selon
la littérature), on constate clairement qu’au Maroc, les critères
d’identification et de construction de ce type de réseautage
comme l’identité culturelle ou encore les valeurs locales, ne sont
pas toujours présentes.
Ainsi, on peut dire que les configurations productives territoriales
qui émergent au Maroc, sont souvent issues d’une politique
volontariste étatique d’agglomération et de polarisation des
activités économiques qui adopte le concept SPL sans pour autant
l’adapter. Cela étant, quelques initiatives s’inscrivent parfaitement
selon nous dans la logique du SPL identifiée dans la littérature
(Askour, 2009 ; Askour et Sadik, 2014). Il s’agit des entreprises de
l’économie sociale et solidaire, à travers les coopératives et leurs
groupements.

190
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Ces comportements relationnels de coopération locale dits aussi


« réussis » sont issus de volontés de solidarité et d’entraide entre
les populations d’une même localité. On les identifie au niveau
de certaines régions du Maroc comme le Souss Massa, parmi
les arrangements sociaux des sociétés tribales. Les institutions
traditionnelles ont été reprises dans les nouvelles configurations
productives, avec l’émergence des coopératives productives
(Askour, 2009). A titre d’exemple, au niveau des Oasis de Tafilalet,
la présence de l’héritage solidaire ancestral et des liens forts au
territoire représente le gage de réussite de la mise en place des
coopérations productives localisées sous la forme d’un SPL.
En somme, les recherches sur les SPL considèrent  « le territoire
comme un type d’organisation possédant ses logiques propres de
reproduction et de développement » (Courlet, 2002, p. 28). Elles
sont reliées ainsi à la problématique du développement endogène
localisé que ce type d’arrangement procure. Ce qui rejoindrait
l’idée que chaque territoire possède ses ressources territoriales, et
chaque territoire sa trajectoire de développement !
On pourrait croire ainsi à l’existence d’un lien de dépendance
entre les composantes du SPL et la trajectoire de développement
des espaces. Mais c’est notamment une catégorie particulière de
ressources qui permettrait cela. Certains travaux, en effet, soulignent
l’importance du patrimoine socio-culturel dans le développement
des territoires, via le rôle des ressources spécifiques, observées au
niveau du secteur de l’économie sociale et solidaire.
I- L’ESS et développement territorial: l’incontournable
combinaison réussie
Au Maroc, la perspective de réseautage, sous la forme de SPL, se
distingue comme une alternative très sollicitée par les pouvoirs
publics à travers la recherche d’un développement territorial

191
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

durable, et envisagée notamment pour des filières et espaces en


difficulté. Les actions de développement territorial ont comme
enjeux, la réduction de l’exode rural en maintenant les populations
locales sur place par l’amélioration des conditions de vie, mais
aussi et surtout la sauvegarde des savoir-faire locaux.
Deux éléments essentiels fondent cette approche du réseautage :
d’une part, l’existence d’une filière de production apte à créer
un effet centripète des acteurs locaux, et d’autre part, la présence
d’une volonté de coopération territoriale. Cette démarche repose,
entre autres, sur l’existence au sein d’un territoire donné de formes
de solidarité solides nécessaires pour consolider la démarche
de coopération localisée. C’est ce qui est observé au niveau des
entreprises de l’ESS.
1-1- L’ESS ou un concept d’abord en quête de sens 
Il est fortement admis, de nos jours, que l’économie sociale et
solidaire (ESS) apparaît dans la sphère socio-économique en
réponse aux défaillances d’un monde capitaliste où les principes
de rentabilité, de profit ou encore de compétitivité acharnée
priment sur les valeurs humanistes. Il se peut qu’elle se manifeste
aussi à la suite de situations de crise socio-économique et
environnementale ou en cas de besoins insatisfaits ou latents des
populations locales marginalisées par les politiques publiques
en place. Cela étant, qu’elle soit considérée comme l’alternative
idéale au système économique libéral, un palliatif aux excès de
la mondialisation, une riposte d’un mouvement social ou encore
le refuge d’idéologies utopiques, l’ESS séduit, aujourd’hui, de plus
en plus, les partisans d’une économie équilibrée, harmonieuse ou
démocratique, la hissant au rang de la solution incontournable
contre toutes les misères du monde. Dans ce cas, qu’entend-on
par le vocable ‘économie sociale et solidaire’ ?

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Largement définie à travers sa triple composition (association,


mutuelle et coopératives) où ses modes d’organisation particulier
mettant en avant, entre autres, les dimensions de justice, d’équité
et de démocratie, l’économie sociale et solidaire (ESS), également
qualifiée d’économie sociale solidaire, pour certains, suscite
la curiosité de nombreux chercheurs issues de disciplines et de
pays différents. Le concept de l’ESS représente un secteur assez
complexe dans sa définition et objectifs, et n’est toutefois pas
dépourvu d’incompréhension.
Les premières définitions de l’économie sociale sont apparues,
dans ses débuts, au cours du 19eme siècle, à travers, entre autres,
le cas de la société des Pionniers de Rochdale au Royaume Uni
(1944), et les travaux de la société des pratiques internationales des
études d’économie sociale fondée par Pierre-Guillaume-Frédéric
le Play (Poirier, 2014). Le « social » faisait ainsi référence à l’ap-
propriation des organisations, et ce en mettant notamment l’accent
sur le type de propriété détenue par les humains et non les action-
naires. La notion d’économie sociale a toutefois fait son apparition
dans la littérature économique dès les années 1830, avec l’éco-
nomiste libéral Charles Dunoyer, à travers son Traité d’économie
sociale préconisant une approche morale de l’économie (Monzon
et Chaves, 2012). Aujourd’hui, plusieurs débats heurtent la crédi-
bilité de cette définition limitée à la propriété, et proposent d’intro-
duire aussi les organisations qui ont comme objet le « social ».
Ainsi, selon le rapport du Comité économique et social européen,
l’économie sociale est définie comme suit :
« Ensemble des entreprises privées avec une structure formelle
dotées d’une autonomie de décision et jouissant d’une liberté
d’adhésion, créées pour satisfaire aux besoins de leurs membres
à travers le marché en produisant des biens ou en fournissant des
services d’assurance ou de financement, dès lors que les décisions

193
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

et toute répartition des bénéfices ou excédents entre les membres


ne sont pas directement liées au capital ou aux cotisations de
chaque membre, chacun d’entre eux disposant d’un vote et tous
les événements ayant lieu par le biais de processus décisionnels
démocratiques et participatifs. L’économie sociale regroupe aussi
les entités privées avec une structure formelle qui, dotées d’une
autonomie de décision et jouissant d’une liberté d’adhésion,
proposent des services non marchands aux ménages et dont les
excédents, le cas échéant, ne peuvent être une source de revenus
pour les agents économiques qui les créent, les contrôlent ou les
financent. » (Monzon et Chaves, 2012, p. 24).
Si la reconnaissance et l’existence de l’économie sociale remontent
maintenant à plusieurs années, le concept d’économie solidaire
est beaucoup plus récent. Il est apparu durant le dernier quart du
20ème siècle dans un certain nombre de pays européens comme
la France, et est composé de formes hybrides d’économie de
marché, non marchandes et non monétaires, dont les ressources
peuvent provenir de vente des biens et services, de subventions
publiques et dons, ou encore du bénévolat (Monzon et Chaves,
2012).
Pour certains, la différentiation entre les deux concepts n’a pas
lieu d’être car l’économie solidaire peut être considérée comme
une autre forme d’économie sociale (Laville, 1995). Pour d’autres
auteurs, comme François Espagne, l’économie solidaire : « … porte
la même signature génétique que les composantes de l’économie
sociale émergée ; ou, mieux encore, qu’elle rappelle celle-ci à ses
vocations initiales ; que ce qui fait entre elles les points communs
appartient à l’essence et au nécessaire, alors que ce qui fait les
différences est de l’ordre de l’accident et du contingent (ou du
conjoncturel) ; et que le concept d’économie sociale ne serait en
définitive qu’une appellation datée et une application sédimentée

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

du concept plus général et totalisant d’économie solidaire. »


(Espagne, 2002 p. 14).
De même, on constate que le champ de recherche de l’économie so-
ciale et solidaire fait l’objet de nombreux débats conceptuels. Le vo-
cable ESS, bien que souligné pour la première fois en France, prend
d’autres nominations en fonction des contextes et des cultures. A
titre d’exemple, on peut parler de secteur du non-profit ou du volon-
tariat dans les pays anglo-saxons, d’économie sociale populaire en
Amérique latine, ou encore d’entreprises sociales des deux côtés de
l’Atlantique (Flahault et al., 2011). On parle également du tiers sec-
teur (notion apparue en France dans les années 1970 qui englobe
toutes les activités ne faisant parties ni du secteur privé ni du secteur
public), ou de l’entreprise à but non lucratif (concept apparu vers la
fin des années 1980 et début des années 1990, principalement en
Amérique du Nord) (Poirier, 2014).
1-2- L’économie sociale et solidaire comme réceptacle des
approches alternatives de développement au Maroc
Bien que la structuration et l’organisation du secteur de l’ESS s’est
faite à partir des années 2000 au Maroc, les principes de base,
à savoir la culture de solidarité et d’entraide ainsi que le travail
collectif de ce type d’économie, sont ancrés dans les traditions
anciennes marocaines (CESE, 2015).
L’ESS : Une institution socialement et culturellement légitime
La société marocaine a toujours été connue par son fort attachement
aux valeurs et traditions locales. La culture de la solidarité et du
travail coopératif représente l’un des principes essentiels des
communautés notamment situées dans les territoires montagnards,
désertiques ou encore oasiens. Dans ce cadre, la coopérative
représente l’institution la plus mobilisée au niveau des populations
des territoires en marge du système ou fragiles. Elle émane d’une

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

pratique de solidarité de traditions anciennes qui ont toujours eu


un rôle crucial dans le maintien des équilibres sociopolitiques,
économiques et autres (Askour, 2009 ; Askour et Sadik, 2014 ;
Askour, 2019). Ces institutions ont des racines profondes dans les
traditions économiques, mais aussi sociales. Dans le monde rural
par exemple, les paysans font appel aux institutions traditionnelles
comme la touiza, la jemaa et l’agadir : des actions collectives
pour mutualiser les efforts, réduire les coûts et consolider l’esprit
communautaire (Sadik, 2019). Les coopératives peuvent être ainsi
considérées comme une simple adaptation de ces institutions
traditionnelles.
Ces systèmes de valeur présentent plusieurs caractéristiques dont
les principes de complémentarité et de solidarité ; le système de
touiza en est un exemple. Du point de vue social, la touiza est une
pratique arabo-berbère d’entraide. Par exemple, pour la moisson, à
la campagne, les agriculteurs se rassemblent et adoptent le principe
qui consiste à moissonner le champ de chacun à tour de rôle. Cette
démarche est pratiquée également pour le battage et les labours.
Aujourd’hui, ces institutions et pratiques sont affaiblies par une forte
mobilité géographique vers les centres urbains s’accompagnant
d’une forte tendance vers la nucléarisation de la structure familiale
et une individualisation des rapports sociaux (Sadik, 2019).
ESS et territoire en marge
Les territoires en mal de développement au Maroc, représentés,
selon nous, par l’ensemble des espaces dont les composantes socio-
économiques et géographiques sont menacées soit de déperdition,
de mal valorisation ou encore d’oublis, suscitent, depuis quelques
années maintenant, l’attention des chercheurs. La problématique
se situe notamment dans leur faible capacité à s’engager dans des
trajectoires de développement « durable ». La non diversité des

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

activités économiques, le stress hydrique ou encore l’exode rural


représentent de sérieux handicaps et enjeux compromettant les
tentatives de redressement socio-économiques envisagées par les
politiques publiques.
Aujourd’hui, il n’est pas surprenant de constater que la présence de
l’ESS est le plus marquée dans ce type de territoire. Deux logiques
sous-tendent ce phénomène, d’une part une réaction solidaire des
populations locales face aux besoins présents non comblés par le
système, et d’autre part l’intérêt de plus en plus marqué de l’Etat à
redynamiser certains types de territoires fragiles.
Le système de valeur et de coopération de l’économie sociale
et solidaire lui permet de répondre aux attentes des populations
locales, mais aussi de redynamiser les territoires, de sauvegarder
le patrimoine et le savoir-faire local. Bref, il permet de remédier
aux déséquilibres, par la mise en avant du rôle des échanges et
des interactions socio-économiques au sein d’un même territoire
donné.
Dans ce sens, plusieurs approches de développement vantent,
aujourd’hui, les mérites de l’ESS, portées sur le succès d’une
démarche coopérative, à travers la jonction d’une proximité
géographique, organisationnelle et institutionnelle, et s’assimilant
à plusieurs modèles de systèmes productifs localisés. On peut citer,
à ce niveau, le réseautage d’entreprises de petite taille comme les
districts industriels italiens ou encore les clusters dans les pays
en voie de développement (Nadvi et Schmitz, 1996 ; 2001). Le
bien-fondé de ce type d’organisation réside dans le système de
valeurs communément partagé entre les acteurs locaux et dans
les principes de spécialisation productive que les districts ou leur
forme générique le SPL, adoptent.

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

L’économie sociale et solidaire, notamment la coopérative, est une


institution qui s’appuie sur la participation et la collaboration des
acteurs d’un territoire, et fait appel à ce que nous qualifions d’une
dynamique spatio-coopérative où les éléments d’une proximité
organisationnelle et géographique sont impérativement présents,
auxquels s’ajoute une composante institutionnelle (Askour,
2009). La proximité géographique est, à ce stade, une condition
indispensable permettant la mobilisation des acteurs dans un
espace déterminé et sous la forme de coopération localisée.
L’un des enjeux que se donne ainsi aujourd’hui l’État marocain,
est dans ce cas, d’organiser et de gérer les solidarités sur un
territoire à travers la mise en réseaux des producteurs locaux sous
la forme de coopérative ou de groupement d’intérêt économique
(GIE), à l’instar des SPL au niveau mondial. Cet objectif est visible
notamment dans les programmes de mise en valeur des territoires
en marge ou en difficulté.
II- Quelques exemples d’engagement communautaire de
l’économie sociale et solidaire au Maroc pour les territoires
en mal de développement
Les structures de l’économie sociale et solidaire ont pu consolider
les communautés, par la solidité des liens et la forte volonté des
membres de la coopérative, et réhabiliter certains territoires au
Maroc.
1. Au niveau du développement durable (oasis) : La route du
Majhoul et le SPL touristique au niveau du Tafilalet
La crise du territoire oasien au Maroc fait l’objet d’une attention
particulière, notamment par rapport à sa fragilité. La préoccupation
porte, en effet, sur la problématique de la diversité biologique, de
la désertification et de la préservation d’un patrimoine unique.
Les politiques publiques marocaines ont, dans ce cas, lancé une

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

stratégie nationale et un plan d’action de Développement et


d’Aménagement des Oasis au Maroc (DAT et PNUD, 2009), autour
de l’engagement communautaire.
Le Programme de Développement Territorial Durable des Oasis du
Tafilalet (POT), issu de ce plan d’action, propose de mettre en place
des actions de promotion du territoire oasien sur le plan touristique
à travers la valorisation de la datte, qui représente l’un des produits
de terroir par excellence de cet espace.
L’une des initiatives de ce programme a été la mise en place d’un
circuit touristique, intitulé la Route du Majhoul, s’étalant sur
la vallée de Ziz et Ghris, le long duquel s’implantent plusieurs
activités. Cette route représente, en quelque sorte, une plateforme
ayant comme objectif le développement des activités d’écotourisme
dans la région, à travers la valorisation du patrimoine.
Une évaluation du projet révèle la présence de plusieurs activités
permettant de faire évoluer le projet vers une durabilité dans
le temps et vers une identité territoriale des oasis. On constate,
en outre, la création d’une association d’acteurs locaux, qui a
convergé par la suite vers un Groupement d’Intérêt Economique
(GIE), composé de promoteurs de l’écotourisme et de coopératives,
entretenant, dans certain cas, des relations de coopération de nature
permanente. Soulignons que les acteurs publics et la population
locale participent, d’une manière importante, dans la création de
ce type de SPL à la marocaine.
Nous relevons, tout de même, certains éléments représentant
un frein au développement d’une telle initiative. Il s’agit en
l’occurrence, de la présence d’un trop grand nombre d’acteurs
d’institutions publiques, générant dans certain cas, une lourdeur
administrative notamment au niveau de la prise de décision.

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Ce projet a porté également sur : la mise en place d’un programme


de soutien aux porteurs de projets notamment dans les activités en
lien avec l’hébergement et le tourisme, la valorisation du territoire
via des outils de promotion en ligne, et le développement d’un
label pour la protection de l’environnement.
Si ce type d’initiative émane de l’action publique, d’autres types
de réseaux de coopération productive, peuvent aussi naître, à la
base, d’initiatives locales privées, comme par exemple pour le cas
de Copag dans le secteur laitier, et peuvent contribuer à un rôle
déterminant pour certains territoires en mal de développement.
2- COPAG, une « brillante » exception de réseautage au Maroc :
de l’insertion par l’économique
COPAG est une coopérative située à Taroudant au Maroc.
L’importante tradition industrielle laitière de cette coopérative
a permis le développement de systèmes de relation entre
différentes unités de production de la région. C’est à travers
leurs complémentarités que ces structures ont réussi à affirmer
l’attractivité du territoire et leur capacité à gérer leur propre
développement, un développement endogène.
La production de COPAG relève de deux catégories, une de
provenance animale et l’autre de provenance végétale. Les
troupeaux bovins sont constitués d’animaux de race Holstein
et/ou Pie noire Holsteinisée. La taille des exploitations est très
variable, allant de deux à 250 vaches. Les races sont originaires
du Maroc, des États-Unis, de France, d’Allemagne et du Canada.
Pour alimenter les troupeaux de la coopérative, COPAG a créé
spécialement une usine d’aliments pour le bétail en 1999. Cette
unité a une capacité de 10 t/heure (48 000 t/an). Elle fabrique à
moindre coût des aliments de haute valeur nutritive, et fournit
des aliments pour les principales espèces animales (bovins, ovins,

200
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

caprins, volailles). Les régimes alimentaires sont composés de


l’ensilage de maïs, de luzerne (verte, foin ou déshydratée) et de
paille comme ration de base complétée par des aliments composés
et des concentrés classiques (pulpe de betterave, son de blé, orge).
De même, l’amélioration quantitative et qualitative de la
production se fait à travers des actions d’encadrement technique
des adhérents de la coopérative, de formation, de sensibilisation,
de vulgarisation et de conseils dans différents domaines (exemple:
micro-irrigation, fertigation, utilisation raisonnée des pesticides,
traçabilité, fourniture de plants et divers approvisionnements).
En outre, l’encadrement des éleveurs de COPAG se fait par la
Coopérative Souss d’Amélioration Génétique Bovine du Souss
(coopérative de services ayant pour mission le développement de
l’élevage bovin dans la zone du Souss Massa).
Les objectifs de COPAG consistent à assurer elle-même,
ou par l’intermédiaire de ses adhérents, le développement
socioéconomique du milieu rural de la région du Souss, à offrir
des produits agricoles d’origine animale et végétale qui peuvent
satisfaire les attentes actuelles et futures des consommateurs.
Néanmoins, l’objectif principal de COPAG est d’adopter une
stratégie qui consiste en l’intégration de tous les maillons des
filières agricoles (production, transformation, commercialisation)
et ce afin d’avoir le contrôle total de la chaîne de valeur laitière.
La coopérative COPAG a réussi à s’imposer sur le marché des
produits laitiers au niveau national, avec comme produits leaders
le yaourt brassé Cremy ainsi que le fromage frais Muscly, très
prisés par les jeunes consommateurs. La compétitivité de COPAG
est associée à sa capacité d’innovation et à une démarche
commerciale progressive. Certains produits de la marque Jaouda
ont bousculé les pratiques des industriels avec par exemple

201
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

le yaourt à boire Mixy, qui introduit sur le marché l’emballage


carton doté d’un bouchon.
La coopérative adopte le travail en partenariat et la spécialisation
dans les processus de production. Les coopérations entre
producteurs permettent de produire mieux et à des coûts plus
concurrentiels et favorisent l’innovation. Dans la commune rurale
de Sidi Dahmane, COPAG, en collaboration avec l’US Green
Council, a réalisé sur une superficie de 25 hectares, à un coût
global de 54 457 000 dirhams, l’unité pilote d’élevage de génisses
et de veaux, qui permettra d’élever 2 000 têtes par an - avant de
voir sa capacité portée à 11 500 têtes dans les sept ans à venir.
La réussite de la coopérative serait due à la maîtrise de la qualité
du lait en mettant en œuvre des technologies de pointe pour une
meilleure valorisation du potentiel de qualité.
Le cas de COPAG montre la réussite d’une structure qui se
développe d’elle-même. Son succès est dû à sa présence sur
l’ensemble de la chaîne de valeur et au développement de son
réseau territorial.
3- Au niveau de la diversification des activités : l’exemple de
l’argan dans la région du Souss Massa
La culture du safran, de la rose, ou encore de l’argan par les
populations locales, représente généralement pour certains
territoires en marge, la seule manière pour obtenir un revenu, et
par conséquent, limite les migrations et permet de préserver les
savoirs faire locaux.
Au niveau de l’arrière-pays du Souss Massa, les produits de
terroir représentent la base du développement. La valorisation
de ce type de produit permet à certains territoires pauvres de la
région, notamment ruraux, de s’inscrire dans une trajectoire de
développement local et endogène durable.

202
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Plusieurs voies sont alors possibles pour promouvoir le produit.


A titre d’exemple, en dehors de sa consommation directe, le fruit
de l’argan, omniprésent dans la région du Souss Massa, est utilisé
dans la pharmacopée ou la cosmétologie, attirant ainsi l’attention
de plusieurs institutions nationales et internationales.
L’argan a, en effet, une valeur économique significative mais aussi
une valeur écologique très importante. Sans oublier toute la chaîne
de production touristique envisageable autour de la promotion de
ce fruit.
Plusieurs actions sont alors mises en avant afin de promouvoir
la filière de l’argan à travers l’utilisation de l’ensemble des
composantes de ce fruit. D’autres actions sont focalisées sur
l’organisation de la filière de l’argan via la création de Groupement
d’Intérêt Economique (GIE), sous la forme de SPL à la marocaine.
A titre d’exemple, le GIE Targanine, créé en 2003 et regroupant
un ensemble de coopératives, participe activement à la promotion
de ce produit de terroir. Il représente l’un des groupements
de coopératives qui a permis une transformation significative
dans la production et la commercialisation de l’argan. Il vise
un développement sur l’ensemble de la filière de production
de l’arganier et exporte en totalité sa production à l’étranger (5
laboratoires français et 3 canadiens).
Conclusion
Après un long processus de légitimation et de résistance pour
s’imposer comme une réelle alternative socio-économique, l’ESS
au Maroc répond aujourd’hui à plusieurs contraintes et demandes
à la fois : d’un côté, elle répond au souci exprimé par certains
territoires en marge du système ou en mal de développement de
sortir de leur marasme socio-économique ; de l’autre côté, elle
permet aux populations de s’approprier le développement et d’en
apprécier les bienfaits.

203
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Ces configurations naissent essentiellement de l’engagement des


populations et des acteurs locaux vis-à-vis de leurs communautés,
sans omettre l’importance du changement ayant affecté l’initiative
de l’Etat à cet égard. Les structures du développement s’inscrivant
dans cette perspective prennent parfois la forme de véritables
pôles de compétitivité (exemple de Copag à Taroudant) ou
de groupements d’intérêt économique. Ces derniers peuvent
représenter une alternative à la forte concurrence des entreprises
étrangères et de leurs filiales (exemple centrale laitière), ou être un
moyen de sauvegarder ou de labelliser un produit caractéristique
de la région ou du Maroc, ou tout simplement être une solution
pour préserver la filière.
Ces nouvelles dynamiques imposées par les entreprises de
l’économie sociale et solidaire ont poussé l’Etat à repenser
son modèle de développement et à interpeller ses choix socio-
économiques en vue d’assoir une vision plus équitable, inclusive
et solidaire dont les populations locales ont le mot d’ordre.
Cette nouvelle perspective questionne la prédisposition des acteurs
de l’économie sociale et solidaire à accompagner les populations
locales et à se transformer en une véritable force de proposition
et de transformation sociétale, ce qui n’est pas sans toucher en
profondeur même les logiques d’action des acteurs locaux et leurs
positions vis-à-vis de l’offre publique non pas seulement en matière
économique mais aussi et surtout en termes sociopolitiques. De
nouvelles formes de gouvernance sont à concevoir et à mettre en
place pour que le cadre productif rejoigne le canevas politique et
institutionnel dans une réelle perspective démocratique.

204
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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207
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

L’éducation à l’environnement et au développement durable :


un nouvel objet de légitimation des ONGs au Maroc

Youssef SADIK et Widad Jodie BAKHELLA

Introduction
Il ne peut être nié que le développement durable est devenu
aujourd’hui une référence permanente dans différents discours et
pratiques. Sa forte généralisation en fait un grand projet de société
à l’échelle planétaire. À l’instar de nombreux autres pays dans
le monde, le Maroc s’est engagé, suite à l’appel des instances
internationales, sur la voie du développement durable. Cet
engagement s’est concrétisé par la mise en œuvre d’un ensemble
de politiques et de stratégies dans une approche intégrée, visant un
développement humain et socio-économique durable, ce qui érige
l’éducation en axe stratégique.
En effet, en 1992, lors du Sommet mondial sur le développement
durable, il a été décidé d’intégrer le développement durable à tous
les niveaux des systèmes éducatifs internationaux. Dans le contexte
marocain, ces recommandations ont bel et bien fait écho. C’est
ainsi que le lien entre le développement durable et l’éducation
a fait l’objet d’actions collectives croissantes à tous les niveaux.
Ainsi, en dehors du cadre scolaire qu’évoque normalement
le concept d’éducation, l’Éducation à l’Environnement et au
Développement Durable (EEDD) figure désormais au niveau des
priorités d’actions et des orientations stratégiques de différents
départements ministériels, acteurs privés, mais aussi et surtout de
plusieurs associations.
Le dynamisme de la société civile marocaine n’est plus à
démontrer (Sadik, 2015). Ses actions ont touché plusieurs

209
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

secteurs et composantes de la société, ce qui lui confère un statut


particulier dans les dynamiques sociétales que le Maroc a connues
ces deux dernières décennies. Les approches d’intervention qui
caractérisent les actions menées par la société civile marocaine
ont également évolué pour faire face, de manière innovante, aux
inerties accablantes qui ont freiné le développement endogène et
durable de plusieurs structures et territoires.
La nouvelle constitution de 2011, dont s’est doté le pays, a
également accordé une place importante aux acteurs de la
société civile comme partenaire principal de l’État, ce qui leur a
permis de bénéficier d’un plus grand champ d’action. Parmi les
dossiers pris en charge par la société civile, l’EEDD occupe une
place importante. En effet, grâce à son approche de proximité,
le champ relatif aux questions d’éducation à l’environnement et
au développement durable et, dans une moindre mesure, aux
questions de sensibilisation à ces questions, s’avère être bien adapté
à la démarche et au mode d’action des associations. Par ailleurs,
ces actions s’intègrent dans un cadre plus général, orienté par la
volonté des pouvoirs publics marocains de gérer et de contrôler la
question de l’environnement et du développement durable en vue
de répondre aux prescriptions internationales en la matière.
D’une manière générale, l’intérêt porté par les associations aux
questions de la protection de l’environnement et du développe-
ment durable est un phénomène relativement récent au Maroc.
Néanmoins, la plupart d’entre elles sont actuellement très actives
dans le champ de l’éducation et de la sensibilisation à l’environ-
nement et au développement durable avec, pour certaines, un
ancrage local très fort comme c’est Le cas de l’Association des
Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre (AESVT) qui nous
semble très pertinent à cet égard.

210
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Nous cherchons donc, à travers ce chapitre , à comprendre et à


analyser l’évolution de l’engagement associatif en rapport avec
les questions d’éducation à l’environnement et au développement
durable au Maroc en s’arrêtant particulièrement sur le cas de
l’AESVT. Pirotte (2010) souligne que d’une manière générale, les
dynamiques externes non seulement impactent la vitalité des acteurs
de la société civile, mais « elles modifient également les rapports
entre ces organisations et les pouvoirs publics qui ne peuvent plus
se réduire à des analyses en termes de confrontation ou encore
de substitution attendues par la logique des vases communicants
(« moins d’État = plus de société civile ») mais laissent entrevoir
des formes de concurrence ou de partenariat » (Pirotte, 2010).
Ceci-dit, quelles relations s’instaurent entre les pouvoirs publics
et les acteurs de la société civile qui œuvrent dans le domaine
de l’EEDD au Maroc ? Et à quel point les acteurs de la société
civile ont-ils pu développer leur expertise et institutionnaliser leurs
actions dans ce domaine ?
1- Les acteurs de l’EEDD au Maroc : un nombre en augmentation
et un besoin de coordination
Comme c’est le cas en France et dans la majorité des pays du
monde, au Maroc, la question d’éducation à l’environnement et
au développement durable n’a pas bénéficié, à ses débuts, de
l’appui financier et stratégique essentiels à son évolution (Girault
et Fortin-Debart, 2006). Pour cela, c’est surtout en dehors de la
sphère scolaire que l’EEDD s’est déployée (Girault et Fortin-Debart,
2006 ; 2008 ; Sauvé, 1997).
Les bases de l’école marocaine du 21ème siècle sont spécifiées au
niveau du document relatif à la Charte Nationale de l’Éducation et
de la Formation (CNEF) de 1999. Toutefois, malgré l’engagement
fort du pays en faveur de l’environnement et du développement

211
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

durable, aucune recommandation explicite appelant à l’intégration


de l’EEDD n’est formulée au niveau de la CNEF. Cela est dû,
d’après El Hajjami et al. (2010), d’une part, au contexte politique
et socioculturel qui régnait, au cours des années 1990, et qui était
marqué par la montée en puissance d’un courant militant pour le
respect et la promotion des droits de l’Homme via une approche
éducative. Et, d’autre part, au fait que la dimension éducative qui
se rapporte aux questions environnementales ne constituait pas à
l’époque une priorité ni même une finalité pour le pays. Ce qui a
permis à quelques acteurs de la société civile de combler le vide
qu’il y avait à ce niveau et de se positionner très tôt sur ce créneau.
« Le milieu associatif devient ainsi un vecteur de publicisation
de ce problème social délaissé ou minimisé par l’État » (Boutrais,
2015, p. 242).
Dès les années 1990, apparaissent donc des acteurs associatifs
tel « Enda Maghreb », une antenne décentralisée au Maroc de
l’ONG internationale « Enda » dont le siège est basé au Sénégal,
et qui s’est donné pour mission de lutter contre la pauvreté et de
soutenir un processus de développement humain respectueux de
l’environnement, à travers, notamment des actions d’éducation et
de sensibilisation à l’environnement et au développement durable.
En 1994, des enseignants de secondaire ont créé « l’Association
des Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre » (AESVT) et
ce, essentiellement pour travailler sur la question de l’éducation à
l’environnement, d’abord, puis par la suite, dans une perspective
de développement durable.
À partir de 1999, le Ministère de l’Éducation Nationale, de
l’Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de
la Recherche Scientifique, après avoir signé de nombreuses
conventions de partenariat avec les acteurs de la société

212
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

civile, a commencé à interpeller les établissements en vue


d’intégrer l’Éducation Environnementale à tous les niveaux de
l’enseignement scolaire (Khzami et Ben-Fares, 2009). Néanmoins,
même si les activités d’EEDD sont établies par le Ministère de
l’éducation nationale, en pratique celles-ci dépendent fortement
de l’engagement et du financement de parties tiers (Birouk et
Menioui, 2007). D’ailleurs, le Ministère en question a dû, dans
le cadre du plan d’urgence (2009-2011), créer une association
d’ « appui de l’école de la réussite » «‫ »دعم مدرسة النجاح‬à travers
laquelle il a été possible de financer modestement un ensemble de
clubs de l’environnement au niveau des écoles publiques, ce qui
leur a permis de fonctionner.
De son côté, le Ministère chargé de l’Environnement, dans le cadre
de relations de partenariat avec les institutions publiques et les
acteurs de la société civile , travaille activement sur la vulgarisation
des concepts liés au développement durable chez les élèves et
les jeunes, et sur le renforcement des capacités des animateurs
des clubs d’environnement dans les établissements scolaires, les
maisons de jeunes et les Centres d’éducation à l’environnement de
certaines ONG actives dans le domaine.
Il est à noter que ce n’est qu’après l’impulsion royale, que l’intérêt
pour les questions de l’environnement s’est véritablement officia-
lisé, notamment après la tenue de la Cop7 en 2001 à Marrakech.
À partir de là, l’environnement et l’éducation environnemen-
tale sont apparus au niveau des programmes gouvernementaux,
comme à travers la création de services et de départements qui
se chargent de la question de l’éducation et de la sensibilisation
à l’environnement au sein de différents ministères. Par ailleurs, en
2005, le lancement de l’Initiative Nationale pour le Développe-
ment Humain (INDH) a, à son tour, donné une autre impulsion à
cette dynamique. Celle-ci a notamment permis d’appuyer finan-

213
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

cièrement un ensemble de projets environnementaux. En outre,


l’adoption de la Charte Nationale de l’Environnement et du Déve-
loppement Durable (CNEDD) en 2010 et d’un ensemble d’autres
textes opératoires, a permis de faire sortir l’EEDD de son cadre
théorique à des aspects pratiques sur tous les niveaux (écoles,
entreprises, etc.). Sans oublier les nouvelles réformes constitution-
nelles annoncées en 2011 qui consacrent une place importante
aux acteurs de la société civile, comme partenaire principal de
l’État.
Tout cela, et étant donné les financements nationaux et
internationaux consacrés à cette nouvelle dynamique, a fait
que le nombre d’associations qui s’intéressent aux questions de
l’environnement et du développement durable, notamment en
rapport avec le volet éducation et sensibilisation, se multiplie
considérablement. Cette ruée vers tout ce qui est éducation
environnementale et au développement durable a fait de la question
monnaie courante. Tout le monde la pratique, en classe, dans les
associations, les sociétés, les départements ministériels, etc. On
voit apparaitre également, de plus en plus, des entreprises qui
parrainent des écoles publiques sur des projets environnementaux.
Tout le monde se réclame éducateur, ou dans une moindre mesure,
sensibilisateur à l’environnement et au développement durable.
Il est à souligner, d’autre part, que toutes ces actions s’intègrent
dans un cadre plus général, orienté par la volonté des pouvoirs
publics de gérer et de contrôler la question de l’EEDD en vue
de répondre aux prescriptions internationales en la matière.
En témoigne la création du Conseil Economique, Social et
Environnemental (CESE), institutionnalisé pour la première fois par
la Constitution de 1992, mais aussi et surtout, la création en
2001 de la Fondation Mohammed VI (FM6) pour la protection de
l’environnement, une ONG reconnue d’utilité publique, créée

214
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

par le Roi du Maroc, et présidée par la Princesse Lalla Hasnaa.


La FM6, en s’inscrivant aux objectifs fixés par les Sommets de
RIO 1992 et 2012, ainsi qu’à Johannesburg en 2002 en termes
d’éducation pour le développement durable auxquels le Maroc a
souscrit, place les enjeux de l’éducation et de la sensibilisation
à l’environnement et au développement durable, au cœur de sa
mission, en s’adressant à tous les publics et en intervenant comme
mobilisateur et fédérateur des actions d’autres acteurs notamment
d’associations œuvrant dans le même créneau.
Cette pluralité d’acteurs œuvrant dans le champ de l’EEDD, fait
qu’en matière de politiques publiques il existe une grande faille en
termes de coordination d’actions. En effet, de nombreux acteurs
nationaux intègrent des perspectives d’éducation ou, dans une
dimension limitée, de sensibilisation, à l’environnement et au
développement durable (Ministères, ONG, sociétés, collectivités
locales, etc.). C’est ainsi que, d’un point de vue institutionnel,
cette question reste tout de même disparate. D’abord, par la nature
des attributions, la division des tâches et des prérogatives entre
les différents départements ministériels. La question est dans ce
sens, à cheval entre plusieurs intervenants. Ensuite, la question
d’EEDD manque de cohérence. Chaque acteur parle son propre
langage eten développe sa propre conception en l’absence d’une
vision stratégique globale de l’EEDD au Maroc. Ceci n’est pas
visible au niveau du discours certes, où nous avons au contraire
des plateformes théoriques abstraites et des textes cohérents, mais
qui se confrontent en pratique à un problème de vision concertée.
2 . L’associatif et l’EEDD : des appropriations multiples et des
relations de concurrence et d’alliances
D’une manière générale au Maroc, le rôle de la société civile
ne se réduit plus uniquement à contester les politiques de l’État.
Celle-ci se présente désormais comme un véritable partenaire du

215
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

développement économique et social du pays. Il serait important


de rappeler aussi que le paysage associatif marocain connaît,
depuis les années 1990, une très forte effervescence et une grande
hétérogénéité, et ce au vu des « changements qui ont affecté la
fonction et le rôle de l’État, les politiques publiques et l’économie
à l’échelle mondiale » (Ouard, 2014, p.1), mais également « par la
présence  au Maroc de programmes d’aide et de développement
initiés par des organisations internationales telles que le PNUD
ou l’UNESCO » (Mengad, 2014). C’est ainsi que les modes
d’action du tissu associatif et leurs domaines d’intervention se sont
considérablement élargis.
Le mouvement associatif au Maroc est relativement jeune (El Ha-
chimi, 2014). Néanmoins, le nombre souvent avancé pour quanti-
fier les associations est estimé à plus de 90 000 (El Hachimi, 2014 ;
Linossier et al., 2014). Dans ce foisonnement, le nombre d’asso-
ciations qui interviennent sur l’EE et l’EDD s’est considérablement
accru. « On peut dire que le plus grand nombre d’ONG au Maroc
mettent dans leur statut le concept d’Education à l’environnement,
parce que c’est devenu presque une mode» (Communication per-
sonnelle, octobre 2015, cité dans Bakhella, 2017, p.124). Certaines
sont même considérées aujourd’hui comme étant bien expérimen-
tées en matière d’EEDD. C’est l’exemple de l’Association Maro-
caine pour l’Ecotourisme et la Protection de la Nature (AMEPN),
la Société Protectrice des Animaux et de la Nature (SPANA), l’Asso-
ciation Marocaines des Petits Débrouillards, et de l’AESVT et Enda
Maghreb qui, de par leur « expertise », assurent le rôle d’appui à
d’autres ONG en la matière.
D’une manière générale, la dénomination des associations peut re-
fléter des différences en termes de domaines d’activités. Quoique,
d’une part, certains concepts reviennent particulièrement avec
acuité (développement, droit de l’Homme, culture, éducation,

216
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

éducation environnemental, développement durable) (El Houdai-


gui, 2004), et d’autre part, des changements permanents peuvent
s’opérer au niveau des statuts des différentes associations, par
conviction ou par stratégie, pour suivre « la mode » en termes de
priorités internationales et bénéficier de sources de financement,
« les ONG au Maroc ont une drôle de particularité, c’est qu’elles
changent de statut d’une conférence à une autre » (Communica-
tion personnelle, octobre 2015, cité dans Bakhella, 2017, p. 124).
Par ailleurs, Ennaji (2010) distingue deux formes d’organisation
de la société civile au Maroc. Celles qui militent pour le respect
des droits de l’Homme et des valeurs démocratiques, et celles qui
veillent à combler les lacunes de l’État en termes de développement
économique et social. C’est à cette deuxième catégorie que l’on
peut associer les associations qui œuvrent dans le domaine de
l’éducation, et plus spécifiquement de l’EEDD. L’État marocain
compte beaucoup sur ces associations pour la mise en œuvre de
sa politique, en leur offrant, dans la plupart des cas, les moyens
d’agir dans un cadre collaboratif. Cela nous a été précisé par
un responsable au niveau du Ministère de l’environnement :
« On travaille en symbiose avec la société civile, on équipe les
associations, on forme des animateurs, qui deviennent eux-
mêmes des formateurs » (Communication personnelle, janvier
2015, cité dans Bakhella, 2017, p. 105). Le secteur associatif
et d’éducation non formelle, qui travaillaient au début à titre
individuel, a connu une grande évolution en nombre, passant
d’une centaine d’associations au début des années 2000, à plus de
2000 associations en 2013, ce qui a fortement permis de mobiliser
les ressources et les différents acteurs autour de l’EEDD. Ces
associations se distinguent également par une grande diversité.
Menioui et Birouk (2007) en précise deux types :

217
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

• Une première catégorie constituée d’une majorité


d’associations jeunes et à très large champs d’action, qui
par manque de moyens financiers et de personnel qualifié
favorisent la polyvalence souvent comme « choix stratégique,
parfois de survie, qui consiste pour l’association à se déclarer
avec un profil polyvalent, susceptible de mieux répondre aux
opportunités de financement et de projets en coopération, en
partenariat avec les institutions nationales et internationales »
(Birouk et Menioui, 2007, p. 112) ;
• Une deuxième catégorie qui comprend des associations plus
anciennes, plus expérimentées, parfois à portée nationale,
disposant de sections locales, comme l’AESVT et la SPANA,
qui de par leur expérience, appuient d’autres associations
pour la mise en œuvre de leurs actions d’EEDD.
En ce qui concerne les actions entreprises par ces associations, elles
varient de la simple sensibilisation, à des actions d’éducation et
de formation à l’environnement et au développement durable. Les
actions de sensibilisation prennent la forme notamment d’actions
de plaidoyer et d’activités de conscientisation et de communication.
Tandis que les actions d’éducation prennent la forme d’activités
physiques dans les établissements scolaires, à travers la création
ou l’encadrement de clubs et de centres de l’environnement,
la production d’outils de communication, le renforcement des
capacités des ONG en matière d’EEDD, l’animation d’ateliers et
de rencontres scientifiques, etc. (Birouk et Menioui, 2007).
Pour réaliser ces actions, différentes relations s’instaurent entre les
pouvoirs publics et les acteurs de la société civile qui œuvrent dans
le domaine de l’EEDD. Celles-ci peuvent, d’après nos observations,
prendre deux formes principales :

218
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

- une relation de complémentarité et d’entraide :


Des relations de complémentarité et d’entraide s’opèrent entre les
pouvoirs publics et la société civile en vue de mettre en œuvre
les actions d’EEDD. C’est l’exemple du Ministère chargé de
l’environnement qui, tout en disposant de moyens techniques et
financiers importants, est en carence de ressources humaines et
se trouve ainsi, obligé de travailler en symbiose avec la société
civile qui, elle, manque de moyens notamment en termes de savoir
scientifique et technique et des supports et outils pédagogiques en
relation avec les domaines de l’environnement et du développement
durable.
« On est peu ressourcés en ressources humaines. On ne peut
pas couvrir tout le territoire national. On opère à travers des
associations. On les encadre, on forme des animateurs etc ».
(Responsable au Ministère chargé de l’environnement).
Les associations peuvent ainsi jouer le rôle de prestataires de
services pour le compte des pouvoirs publics à travers des relations
de partenariat notamment avec les ministères. Un responsable au
niveau du Ministère chargé de l’environnement nous a précisé
dans ce sens :
« Nous avons créé un espace dédié à l’EEDD au sein du
Ministère de l’environnement […] on a trouvé qu’il y a
des associations qui interviennent dans les écoles à titre
individuel, on s’est dit, on va les rassembler pour s’entraider. Il
y a l’AESVT, l’Association Marocaine des Petits Débrouillards.
Ils viennent avec leur ateliers sur l’énergie, le littoral, donc on
travaille en symbiose » (Responsable au du Ministère chargé
de l’environnement).
Il ajoute : « on travaille aussi avec la Fondation Mohammed VI
dans son programme ‘éco-écoles’. Nous, on aide l’école avec

219
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

les clubs de l’environnement, le matériel, les animateurs formés


pour pérenniser les acquis ». De par leur spécialisation et leur
ancienneté, certaines associations se sont, ainsi, facilement
transformées en un cercle d’expertise entretenant avec les autres
parties prenantes de fortes relations de complémentarité et
d’entraide.
- Une relation de concurrence ou de résistance :
À la base, le système politique marocain a, depuis l’Indépen-
dance du pays, encouragé la diversité des acteurs politiques,
« il admet le développement d’associations de services et de pres-
tations. Le jeu politique est contrôlé et organisé d’en haut » (Men-
gad, 2014). Les domaines d’intervention des acteurs de la société
civile doivent ainsi suivre le schéma national et dépendent souvent
de projets et de financements nationaux et internationaux.
Il a déjà été souligné plus haut, qu’en termes d’EEDD, toutes les
actions s’intègrent dans un cadre général orienté par la volonté
des pouvoirs publics à la fois de gérer et de contrôler cette
dynamique en vue de répondre aux prescriptions internationales
en la matière. D’où, la création du Conseil Economique, Social et
Environnemental (CESE) et de la Fondation Mohammed VI (FM6)
pour la protection de l’environnement pour, entre autres, mobiliser
et fédérer les actions des autres acteurs notamment d’associations
œuvrant dans le même créneau.
La multitude d’acteurs en présence fait qu’en pratique, des
situations de concurrence en matière d’EEDD pourraient surgir,
notamment entre les associations et les acteurs publics. Citons, à
cet égard, les propos d’un Directeur au niveau du Ministère de
l’éducation nationale : « les programmes regroupent plusieurs
acteurs. Des fois, on trouve que c’est l’ONG qui est chef de fil, alors
que le Ministère de l’environnement et le Ministère de l’éducation

220
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

nationale sont pour moi les deux acteurs principaux. Le dernier


mot doit leur revenir ». Comme il pourrait y avoir, dans certains
cas, des situations de résistance pas nécessairement verbalisée. Un
acteur associatif nous précise dans ce sens :
« On avait recruté des professeurs pour l’élaboration d’une
stratégie d’EEDD […] Le travail a été fait dans sa globalité. Le
chef de fil était Enda Maghreb et l’AESVT […]. La stratégie est
là mais la mise en place ! Logiquement puisque les acteurs
institutionnels sont partenaires ils devaient à un certain
moment s’approprier la stratégie » ( Acteur associatif ).
La force de ces enjeux de concurrence entre les acteurs de la
société civile est alimentée par le souci d’assurer la viabilité de
leurs actions (financements, adhésion). À ce niveau, ce sont les
associations les plus anciennes et donc les plus expérimentées en
la matière qui sont les plus actives et les plus sollicitées par les
pouvoirs publics. C’est le cas, entre autres, de l’AESVT sur lequel
nous nous attarderons dans les paragraphes qui suivent.
− L’AESVT et l’EEDD : Une expérience accumulée et une
capacité d’expertise développée
Autour des questions d’ordre pédagogique et éducatif, l’AESVT
a tenté de vulgariser les concepts et les bonnes pratiques
environnementales au grand public et en milieu scolaire. Depuis
sa création en 1994, l’association n’a cessé de grandir, tout en
diversifiant ses approches pour se positionner comme acteur
incontournable dans ce créneau.
L’AESVT est née suite à l’initiative d’enseignants des sciences de
la vie et de la terre pour travailler sur trois aspects qui relèvent
de leur formation et leurs compétences. Il s’agit de l’éducation
à l’environnement, de l’éducation à la santé, et des Sciences de
la Vie et de la Terre (SVT). Au départ, les actions de l’association

221
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

se limitaient géographiquement à la ville de Casablanca, mais


afin de faire émerger ses domaines d’activité comme problème
public, l’AESVT a choisi de se structurer au sein d’un réseau pour
consolider ses ressources et avoir plus de poids sur les décisions
politiques.
«  Les principaux objectifs de l’association c’est de contribuer
au développement des SVT mais aussi d’être une force de
proposition pour le ministère de l’éducation nationale […]
Mais la mission principale de l’AESVT reste l’éducation
environnementale pour accompagner les grands projets
de développement durable et d’environnement qui
sont actuellement développés au Maroc ». (Membre de
l’AESVT).
Au fur et à mesure, l’étendue géographique de l’association
s’est élargie à d’autres régions pour occuper l’ensemble du ter-
ritoire national (Carte.1), en multipliant ses locaux et ses res-
sources humaines. Elle a réussi aujourd’hui à avoir une portée
nationale, étant constituée d’un réseau de 35 sections partout
au Maroc. Elle regroupe plus de 2000 membres actifs, 10 000
volontaires, et gère un réseau de 18 Centres d’Éducation à l’Envi-
ronnement (CEE). Quant aux ressources humaines mobilisées,
elles avoisinent les 312 responsables élus, 1800 adhérents et 13
salariés permanents et exécutants .
«  l’AESVT a été créée et s’est développée grâce à
un programme continu de formation en éducation à
l’environnement, des échanges avec des partenaires
nationaux et internationaux ». (Membre de l’AESVT).

222
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Carte 1 : Réseau des Centres d’Éducation à l’Environnement


de l’AESVT

Source : www.aesvt-maroc.com

Elle a de ce fait, inventé de nouveaux modes d’action en ajustant


son interaction avec les pouvoirs publics afin de s’adapter aux
changements du contexte socio-politique. Trois conventions de
coopération ont ainsi été signées avec le Ministère de l’Éducation
Nationale qui met, à cet effet, à disposition de l’AESVT des
locaux qui servent de Centres d’éducation à l’environnement, et
ce à travers des conventions d’application qui lient les sections
de l’association et les délégations du Ministère de l’éducation au
niveau des différentes régions du pays.
« Les centres sont des structures éducatives nécessaires
pour tout système qui vise des actions durables. Ils ont
été initiés en partenariat avec le ministère de l’Éducation
nationale et d’autres partenaires. Nous avons ouvert 18

223
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

centres d’éducation à l’environnement au Maroc. Nous y


organisons des animations et des ateliers de formation au
profit des écoliers, des lycéens des enseignants et des ONG,
sans compter les forums et les expositions sur différentes
thématiques comme les changements climatiques, sur
l’eau, la culture scientifique. Ces expositions sont initiées en
collaboration avec l’Institut français5 ».
L’aménagement et l’équipement des centres d’éducation à
l’environnement sont, quant à eux, assurés par les sections de
l’AESVT, en s’appuyant sur les ressources financières issues,
en plus des cotisations des adhérents, de financements de
bailleurs de fonds, de subventions des secteur publics et privés,
et des contributions des bénéficiaires de certaines actions de
l’association.
D’autre part, afin d’élargir son terrain d’action et gagner en effica-
cité, l’AESVT a su déployer des répertoires d’action novateurs. Elle
a ainsi actualisé et renforcé ses liens avec les acteurs publics et pri-
vés ainsi qu’avec les médias.« Au Maroc, l’AESVT essaye d’intégrer
cette notion au niveau du système éducatif et à travers les médias
pour inciter les populations au respect de l’environnement6 ». Elle
a également travaillé sur ses approches pour mobiliser de plus
en plus des démarches de gestion novatrices (l’approche systé-
mique, la Gestion Axée sur les Résultats, l’approche participative,
l’approche genre, la démarche projet, etc.). En outre, au fur et à
mesure que l’association s’agrandissait, de nouveaux modes orga-
nisationnels se sont imposés :
« En adoptant une bonne répartition du travail et la
responsabilisation totale des membres et des sections

5-Entretien avec Abderrahim Ksiri, Président de l’AESVT, sur le journal Le Soir Echos
(Maroc), publié le 05-03-2013 [En ligne].
6-Ibid

224
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

locales, l’AESVT a pu : Appliquer un système démocratique


permettant aux membres les plus actifs et qui ont un
apport intéressant de prendre les responsabilités au sein de
l’association7 ».
On peut remarquer également, une forte utilisation de tout ce qui
est Technologie d’Information et de Communication (TIC), en plus
d’une forte présence sur les réseaux sociaux. L’association s’est,
à cet égard, dotée d’une page Facebook où elle communique en
permanence sur ses activités, comme elle s’est dotée d’une chaine
Youtube au niveau de laquelle il s’agit à la fois, de communiquer sur
les actions de l’association en matière d’EEDD, et de sensibiliser le
grand public au respect de l’environnement, à travers la promotion
d’actions responsables telles la gestion et le tri des déchets, les
opérations de nettoyage, etc. Comme, elle parraine également
d’autres initiatives et émissions de sensibilisation dans ce sens. 
Il faudrait souligner qu’au moment de sa création, le principal
objectif de l’AESVT était de contribuer au développement des
Sciences de la Vie et de la Terre en tant que matière enseignée.
Parallèlement, elle s’est donnée pour mission d’éduquer à l’envi-
ronnement et à la santé. Plus récemment, « pour accompagner les
grands projets de développement durable et d’environnement qui
sont actuellement développés au Maroc8 », elle a actualisé son dis-
cours, sa vision et ses missions autour d’une préoccupation plus
large, qu’est le développement durable. Ainsi, la vision actuelle de
l’association est aujourd’hui de « contribuer à l’édification d’une
société moderne et solidaire conformément aux principes et va-
leurs du développement durable. Devenir une référence nationale
en éducation au développement durable9 ». Désormais, c’est plus

7- Ibid
8-ibid
9- www.aesvt-maroc.com

225
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

l’EEDD qui surgit au niveau de tous les supports de communica-


tion de l’association, et au niveau des activités qu’elle entreprend.
D’une manière spécifique, s’agissant des activités de l’AESVT
en matière d’EEDD, le répertoire d’actions développées par
l’association face aux multiples acteurs en présence est varié et
multidimensionnel. « La variété des pratiques associatives est
révélatrice des capacités de réorientation de l’action collective
face aux contraintes nouvelles de leur champs d’action » (Boutrais,
2015, p. 252). De l’éducation, à l’encadrement, la sensibilisation,
l’organisation de manifestations, de formations, de sorties, les
actions de plaidoyer, le développement de projets scientifiques, la
conception et la production d’outils et de supports pédagogiques,
etc. Cette palette élargie d’activités passe indéniablement par
l’ajustement des stratégies d’actions, notamment en rapport avec
l’appropriation et l’utilisation des TIC, le développement de
relations de partenariats avec les différents acteurs, l’ouverture
sur l’international, etc. « Elles témoignent de l’inventivité de ces
collectifs, aussi bien sur le plan politique, qu’organisationnel et
cognitif » (Boutrais, 2015, p. 252-253).
L’AESVT s’est ainsi, petit à petit et de par sa spécialisation,
transformée en un cercle d’expertise entretenant avec les pouvoirs
publics et les institutions parapubliques de vraies relations de
complémentarité. Un responsable au niveau du Ministère de
l’environnement nous l’a d’ailleurs affirmé en notant :
« On a trouvé que la meilleure association qui travaille
dans ce sens est l’AESVT. On a conclu un partenariat.
L’AESVT a des centres de l’environnement qui reçoivent
beaucoup d’élèves, de jeunes. On les équipe, on forme les
animateurs, et ils sont devenus à leur tour des formateurs.
Donc ils nous aident » (Responsable au Ministère chargé
de l’environnement ) .

226
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Cela étant, le discours comme les positions prises par l’association


vis-à-vis des politiques publiques restent plutôt « dociles » et ne font
guère savoir le moindre différent quant aux choix et aux stratégies
publics caractérisant ce secteur. L’analyse fine et rigoureuse de
l’évolution du discours associatif par rapport aux questions de
l’environnement en général et celles du développement durable
en particulier, ne laisse voire qu’une tendance de rendre « savant »
et « expert » les propos comme les positions des acteurs associatifs
s’est traduite par une forte « dépolitisation » du débat public sur
ces questions. « La figure de l’expert, qui est à l’interface de la
connaissance et de l’élaboration de recommandations destinées
aux autorités publiques, se trouve au cœur du débat public et
médiatique » (Boutrais, 2015, p. 252).
Eu égard à l’expertise qui fonde les décisions publiques, l’AESVT
développe des savoirs scientifiques qui se matérialisent par la pro-
duction de rapports et de contributions scientifiques, la production
et la publication d’études et d’outils pédagogiques d’éducation à
l’environnement et au développement durable, l’organisation de
sessions de formation et de rencontres scientifiques sur les ques-
tions environnementales, la conception d’expositions scientifiques
et environnementales, etc. La science, qui a été à la base de la
création de l’association, constituée en grande partie d’ensei-
gnants, devient ainsi une vraie ressource pour l’action citoyenne.
Conclusion
La vitalité du secteur associatif marocain autour des questions qui
lient l’éducation à l’environnement et au développement durable
est révélatrice de la grande capacité fédératrice de l’EEDD en
termes d’actions collectives. Les approches d’intervention qui
caractérisent les actions menées par la société civile marocaine
ont, dans ce sens, notablement évolué pour accompagner, de

227
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

manière innovante, les changements qui touchent le contexte


national et international.
De fortes relations de complémentarité s’opèrent désormais entre
les pouvoirs publics et la société civile, en vue de mettre en œuvre
les actions d’EEDD. Les associations peuvent, donc, jouer le rôle
de prestataires de services pour le compte des pouvoirs publics à
travers des relations de partenariat, et se transforment, au vu de
leur expérience dans le domaine, en un véritable cercle d’expertise
dont les domaines d’intervention doivent suivre le schéma national,
et dépendent souvent de projets et de financements nationaux et
internationaux.
Ceci dit, toutes les actions d’EEDD s’intègrent dans un cadre général
orienté par la volonté des pouvoirs publics de contrôler cette
dynamique en vue de répondre aux prescriptions internationales
en la matière. Toutefois, en l’absence d’une vision stratégique
globale de l’EEDD au Maroc, celle-ci reste tout de même une
question disparate, essentiellement par la division des tâches et
des prérogatives entre les différents départements ministériels et
entre ceux-ci et les autres parties prenantes, dont la société civile.
Dans cet article, nous nous sommes arrêtés sur le cas de l’AESVT,
qui nous a permis de montrer à quel point l’association a pu
développer son expertise et institutionnaliser son action en
rapport avec ce domaine. Celle-ci a pu se transformer, en peu
de temps, en un véritable expert entretenant avec les différentes
parties prenantes de fortes relations de complémentarité :
« La société civile remplit ainsi des obligations sociales qui
dépassent la famille, mais qui, en même temps, ne sont pas du
tout - ou pas suffisamment - pris en compte par les formes de
représentation des intérêts des organisations établies, et que, par
ailleurs, ni le marché, ni l’Etat, ne peuvent résoudre correctement »
(Cvetek et Daiber, 2009, p.11).

228
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

D’une manière générale au Maroc, face aux enjeux d’environne-


ment et de développement durable et au rôle stratégique de l’édu-
cation dans ce sens, les acteurs de la société civile se positionnent
essentiellement en tant qu’acteur d’allègement de l’État, face à des
«méga-problèmes », tels la problématique environnementale et de
développement durable, que lui seul ne peut régler.

229
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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232
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La responsabilité sociale de l’entreprise ou la responsabilité


sociétale de l’organisation : quel rôle pour le mouvement
syndical québécois?

Diane Gagné

Introduction
Dans le cadre de cet appel thématique, les éditeurs nous invitent
à réfléchir sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et sur
le rôle des syndicats. Nous avons choisi de relever le défi car il
apparait intéressant et opportun de se questionner si le mouvement
syndical est un contrepouvoir ou une partie prenante à la RSE, dans
le cadre de son rôle de représentant des travailleurs et travailleuses.
D’autant, qu’il existe peu de littérature sur le sujet de la RSE et du
rôle des syndicats, au Québec du moins.
La RSE est considérée comme un «  élément central de l’éthique des
affaires » (Nadeau 2008) donc « un objet d’étude incontournable
en science de la gestion » (Pescaro, 2013, 297). La définition et
les objectifs mêmes de la RSE demeurent encore flous. Pourtant,
selon Pescaro (2013) et Claes (2013), la RSE n’est pas qu’une
mode, le questionnement concernant le rôle de l’entreprise
(organisation) dans la société a lieu depuis près de soixante-dix
ans aux États-Unis. Suivant Claes (2013), Bowen serait le premier
à avoirredéfinile rôle du dirigeantenl’incarnantdans son rapport à
la société: « It refers to the obligation of businessmen to pursue
those policies, to make those decisions, or to follow those lines of
action which are desirable in terms of the objectives and values of
our society » (Bowen, 1953, 6 cité dans Claes, 2013, 94).

233
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Cependant, certains auteurs, dont McFalls (2008,4-5), posent la


question : mais qu’est-ce que l’idée de la responsabilité sociale
sans l’idée de rendre des comptes ? Ce qui dans les faits désavoue,
en partie, la définition de la Communauté européenne de 2001 :
« L’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations
sociales et environnementales à leurs activités commerciales » et
alimente le scepticisme de certains auteurs autour du concept de
la RSE. Se pose alors la question : la RSE serait-elle un concept
symbolique parce que non contraignant?
D’ailleurs, suivant notre recension des écrits, il émane que
l’expression même de RSE semble limiter les zones d’intervention
syndicale, dans la relation employeur/ employé. En effet,
comme le souligne Champion (2018, 1) cette notion de RSE
« a longtemps été portée par les entreprises transnationales dans
le but de s’autoréguler et d’éviter ainsi que les États n’adoptent
une réglementation contraignante pour encadrer leurs activités
extraterritoriales. On constate, depuis le milieu des années 1990,
que d’autres acteurs se sont saisis de ce concept pour le réinterpréter
et exiger une plus grande responsabilisation des institutions
économiques  ». Du reste, plusieurs auteur.e.sdont McFalls
(2008), Nadeau (2008), Pescaro (2005 ; 2013), Turcotte (2013)
et Claes (2013) se questionnent sur ce qu’est la RSE, comment la
définir. Pour Turcotte (2013, p. 3) que le concept demeure « un
lieu d’interactions entre les acteurs » serait représentatif d’un
« chantier permanant » et citant Gond et Igalens (2008, p. 57)
« le produit d’une culture ».
Dans le cadre de ce chapitre, nous utiliserons l’expression
responsabilité sociétale des organisations (RSO) telle qu’utilisée
par la publication de la norme ISO 2600010. À l’instar de Turcotte
(2013, p. 1-2) nous croyons que la RSO a un sens plus large que
10-https://www.iso.org/files/live/sites/isoorg/files/store/fr/PUB100258_fr.pdf

234
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) puisqu’elle englobe


plusieurs types d’organisations, incluant les organisations à but
non lucratif, dont les syndicats. Le terme RSO convient donc mieux
lorsque l’on cherche à savoir si le mouvement syndical québécois
est un contrepouvoir ou une partie prenante à la RSO.
Pour répondre à ce questionnement, nous avons procédé à une
revue de littérature et rencontré quatre syndicalistes œuvrant
à différents niveaux : un à titre de directeur du syndicat des
métallos de la région du Québec, deux agents de développement
(fonds de solidarité) et un agent de projet et de l’éducation (Fond
humanitaire des métallos). Le chapitre se divisera en trois parties.
Nous présenterons tout d’abord le contexte et la problématique,
pour ensuite poursuivre avec l’opérationnalisation de la recherche,
avant de terminer par la discussion.
À partir des cas du fonds de solidarité de la FTQ et du fonds
humanitaire des Métallos et prenant en compte notre recension
des écrits, nous pourrons conclure que si dans le cadre de la
négociation de conventions collectives le syndicat est plutôt un
contrepouvoir, même affaibli, au sens strict de négociateur de
conditions de travail, dans les faits en tant qu’organisation le
mouvement syndical québécois est partie prenante en tant qu’agent
de changement en termes de justice sociale, d’acceptabilité sociale
et de développement durable.
1. Contexte et problématique de la recherche
Cette partie sera divisée en trois sections. La première situera les
concepts de RSE et de RSO, la seconde celui des parties prenantes
alors que la dernière positionnera le rôle du mouvement syndical.
1.1. Responsabilité sociale des entreprises ou responsabilité
sociale des organisations
Claes (2013, p. 94-98) fait le constat d’une lente évolution de
la définition de la RSE depuis les années 1950. Celle-ci, selon
235
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

l’auteure, reste collée à la première définition de Bowen (1953, p. 6).


C’est donc dire que c’est à l’homme d’affaires de prendre ses
décisions et de diriger son entreprise en prenant en compte les
objectifs et les valeurs de la société. Ce n’est que dans les années
2000 que la définition évoluera vers un caractère plus large,
incluant des enjeux environnementaux et différentes parties
prenantes, en fonction des différentes instances internationales.
En 2001, la Commission européenne11 définissait la RSE comme
étant « L’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations
sociales et environnementales à leurs activités commerciales et
leurs relations avec leurs parties prenantes ». L’OIT en 2006 la
définissait ainsi : « La responsabilité sociale des entreprises (RSE)
traduit la façon dont les entreprises prennent en considération les
effets de leurs activités sur la société et affirment leurs principes et
leurs valeurs tant dans l’application de leurs méthodes et procédés
internes que dans leurs relations avec d’autres acteurs. La RSE
est une initiative volontaire dont les entreprises sont le moteur
et se rapporte à des activités dont on considère qu’elles vont
plus loin que le simple respect de la loi12 ». Les deux définitions
mettent l’accent sur l’idée du volontariat de l’entreprise dans son
engagement social et le développement durable, c’est donc dire
que l’on introduit aussi la notion plus large d’acteurs sociaux ou
de parties prenantes. Cependant, plusieurs auteur.es dont Lapointe
et Gendron (2003) s’interrogeront : peut-on se fier à l’engagement
volontaire ?

11- Livre Vert de la Commission européenne sur la responsabilité sociale des entreprises
(2001) : « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises».
COM(2001)366. Ce document a été destiné, premièrement, à amorcer le débat sur le
concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et, deuxièmement, à définir les
moyens de reconstruire un partenariat permettant l’élaboration d’un cadre européen pour
la promotion du concept. [COM(2002)347].
12- https://www.ilo.org/public/libdoc/ilo/GB/295/GB.295_MNE_2_1_fren.pdf

236
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

En 2010, la norme ISO 2600013 inclut dorénavant tout type


d’organisation, privée, publique ou sans but lucratif, quelle que
soit sa taille ou sa localisation. Dès lors, la RSE qui se rattache
à la relation entre employeurs et employés, telle que comprise
en contexte français et européen, se transforme et devient la
responsabilité sociétale des organisations (article 2.18)14.
La responsabilité sociétale d’une organisation (2.12) vis-à-
vis des impacts (2.9) de ses décisions et activités sur la société
et sur l’environnement (2.6), se traduit par un comportement
éthique (2.7)  et transparent qui contribue au  développement
durable (2.23), y compris à la santé et au bien-être de la société ;
prend en compte les attentes des parties prenantes (2.20) ; respecte
les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes
internationales de comportement (2.11) ; est intégrée dans
l’ensemble de l’organisation (2.12) et est mise en œuvre dans ses
relations. Deux notes accompagnent l’article 2.18 : la première
précise que les activités comprennent des produits, des services
et des processus ; la seconde, que les relations correspondent aux
activités de l’organisation au sein de sa sphère d’influence (2.19).
Pour sa part, la Commission Européenne proposera de redéfinir la
RSE, en 2011, comme étant « la responsabilité des entreprises vis-
à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Pour assumer cette

13- L’objectif de cette norme internationale est de présenté des ligne directrices à tous
types d’organisation en ce qui concernent concernant: les concepts, termes et définitions
relatifs à la responsabilité sociétale ; les origines, les orientations et les caractéristiques
de la responsabilité sociétale ; les principes et pratiques en matière de responsabilité
sociétale ; les questions centrales et les domaines d’action de la responsabilité sociétale ;
l’intégration, la concrétisation et la promotion d’un comportement responsable dans
l’ensemble de l’organisation, à travers ses politiques et pratiques, dans sa sphère d’influence ;
l’identification des parties prenantes et le dialogue avec elles ; et la communication sur
les engagements, les performances et autres informations concernant la responsabilité
sociétale. https://www.iso.org/obp/ui/#iso:std:iso:26000:ed-1:v1:fr:term:2.12
14- https://www.iso.org/obp/ui/#iso:std:iso:26000:ed-1:v1:fr:term:2.12

237
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

responsabilité, il faut au préalable que les entreprises respectent


la législation en vigueur et les conventions collectives conclues
entre partenaires sociaux. Cette redéfinition de la RSE rejoint
maintenant celle préconisée par la norme ISO 26000. Elle permet
une compréhension plus large et inclusive de la RSE qui rejoint la
définition de la RSO. Selon Turcotte (2013, p. 2-3), cette perspective
s’inscrit dans une « construction sociocognitive de l’interface entre
l’entreprise et la société. […] la RSO est le produit temporairement
stabilisé d’une négociation entre l’entreprise et la société mettant
en jeu les identités, les valeurs et les problèmes sociétaux ».
Ainsi, la RSO déborde du modèle économique et requiert des
dirigeants et des différentes parties prenantes de réfléchir en termes
politiques tout autant, sinon plus que techniques lorsqu’il s’agit
d’efficacité organisationnelle : « quelle efficacité, pour qui, pour
quoi, comment? » (ibid, 4). Ainsi la RSO se conçoit comme un
espace d’interactions, plutôt que comme une règle de gestion ou
une norme à suivre. Il en découle une certaine imprécision du
concept ou un excès de sens distribué sur un continuum entre
« l’utilitarisme borné » (comme stratégie de profit) et « l’humanisme
extravagant » (la RSO comme service social) (ibid, 6). Pour le dire à
la manière de Claes (2013, p. 104), « le système régulateur actuel
en matière de responsabilité sociale pose une nouvelle équation de
responsabilité, avec pour prémices le renforcement du rôle dévolu
au secteur privé et à la société civile. En ce sens, la responsabilité
sociétale souligne les rapports d’interdépendance des acteurs
au-delà des relations d’intérêts et des idéologies».
Le caractère volontaire15 de la RSO n’est pas un concept abouti,
mais un concept en construction qui fait encore l’objet de
nombreux débats et questionnements concernant le rôle des
entreprises, attendu que la performance économique ne conduit

15-Tel que le défini OIT et l’Union Européenne et la norme ISO 26000.

238
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

pas automatiquement au bien-être de la société ni au progrès


social. Devant ce constat, nous avons insisté, en avril 2019, lors
d’une conférence portant sur l’engagement social de l’entreprise,
à Rabat à l’Université Mohamed V, sur l’importance du contre-
exemple. Nous avons alors souligné que considérant que la RSE
est « un élément central de l’éthique des affaires » (Nadeau, 2008),
l’utilisation du lock-out16, comme stratégie d’action en cas de
conflit au moment de la négociation collective au Québec, doit
être vu comme l’antithèse de l’engagement social. Nous avons
illustré cette affirmation à l’aide de l’étude de cas de trois lock-
out17 : Québecor (Journal de Montréal et Journal de Québec),
l’aluminerie ABI à Bécancour et le cas de l’Université du Québec
à Trois-Rivières (UQTR). Nous avons conclu que le recours au
lock-out déconstruit le dialogue social, menace la paix industrielle
et déséquilibre le rapport de force entre le travail et le capital (le
travailleur et ses représentants et l’employeur).
Tenant compte de ce caractère volontaire, et pas toujours probant,
un nouveau questionnement a surgi. Quelles sont les motivations
de l’organisation en regard de la RSO ? Comment faire en sorte
que l’entreprise rende des comptes en termes de RSO? Quelle est

16- Au Québec, le Code du travail encadre spécifiquement les arrêts de travail concertés
en cas de mésentente en période de négociation collective. Ainsi, après 90 jours de
négociation infructueuse, une des parties peut décréter un « arrêt » de travail dans le but
de mettre de la pression sur l’autre partie, afin d’accélérer le processus et de conclure
une entente. Il s’agit de la grève (un débrayage voté par les travailleurs) ou du lock-out
(mesure patronale, où l’employeur interdit l’accès au milieu de travail à toutes les personnes
couvertes par l’accréditation). Le lock-out est sensément la contrepartie au pouvoir de
grève des travailleurs. En ce sens, il suggère donc un rapport de force, dans les moyens de
pression, plus égalitaire.
17- Le lock-out devient une arme redoutable entre les mains de l’employeur, aidé en cela,
parfois inconsciemment, parfois indument, par la législation. De longue durée, il peut
essouffler les instances syndicales (Québécor) mettre en péril l’économie régionale (ABI) et
de plus courte durée, en prenant en otage les professeur.e.s et les étudiant.e.s, l’employeur
a réussi à contrer, en partie du moins, un problème de sous financement dans l’éducation
(UQTR). Cela étant, l’on peut alors se questionner sur la signification de l’engagement
social de ces employeurs et les différents enjeux reliés aux lock-out.

239
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

le périmètre d’action pour le mouvement syndical ? Et qui sont les


parties prenantes ?
Il semble que la certification ISO 26000 pourrait donner un
certain avantage inter-entreprises, lorsque les organisations sont
à la recherche d’avantages corporatifs, mais encore faut-il que
l’entreprise en ait besoin! À l’instar de Claes (2013, p. 131), nous
croyons que trois principales sources de motivations favorisent
l’intégration de la RSO dans les pratiques et stratégies d’entreprise/
organisation : institutionnelle, morale ou instrumentale. Ces
motivations peuvent cohabiter et dépendraient du contexte de
l’entreprise, de l’environnement, des objectifs derrière le recours à
la RSO mais aussi de l’idéologie managériale.
La motivation institutionnelle serait justifiée par les contraintes
institutionnelles ou par la nécessité de s’adapter à l’évolution
de son environnement (concurrentiel, réglementaire, etc.), pour
faciliter son accès au marché considérant la pression des acheteurs
et des donneurs d’ouvrage ou des parties-prenantes telles que la
communauté locale, les employés, le gouvernement, des groupes
sociaux face à des pratiques de mauvaise gouvernance face aux
droits de la personne ou à l’environnement.
La deuxième source de motivation, d’ordre moral, relève du
caractère volontaire et unilatéral des initiatives mises en œuvre.
C’est donc dire, suivant Claes (2013, p. 124) que l’engagement
envers la RSO est essentiellement volontaire et altruiste et fondé
sur des valeurs d’ordre éthique et moral. L’idée derrière ces motifs
se retrouve dans la notion anglaise de « give back to society » ou
encore « doing the right thing ». Par contre, toujours selon Claes
(2013, p. 134), « certains auteurs doutent de l’existence d’un
tel altruisme pur. Ces derniers brouillent l’image sacro-sainte de
l’entreprise et laissent entendre que les motifs sont plutôt d’ordre

240
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

essentiellement stratégique ». Nous adhérons à cette perception


de motivation stratégique lorsqu’il est question des initiatives de
l’entreprise parce que nous croyons que l’entreprise sera proactive
afin de limiter l’intervention publique.
Suivant Claes (2013), la troisième source de motivation serait
instrumentale. «  Les motivations corporatives instrumentales
signifient que les engagements sociaux sont effectués sur la base
de raisons économiques et lucratives, fondées sur des choix
stratégiques qui rencontrent une fonction purement utilitariste
(voir Attarça et Jucquot, 2004). Cet utilitarisme peut se refléter à
travers la croyance que l’engagement social fournira un avantage
compétitif de type marketing à l’entreprise ou même, permettra
le développement de certaines opportunités. » (Claes, 2013,
p. 134-135). De même, cette source de motivation pourrait avoir
un caractère défensif/offensif lui permettant de redorer son image
ou de restaurer la confiance perdue.
Quelle que soit la source de motivation, il s’avère que l’adhésion
des grandes entreprises à la RSO, est devenue un critère de
légitimité pour elles. Comme le démontre la « démission », en
septembre dernier, d’un trio de hauts dirigeants chez Rio Tinto,
incluant le PDG, le français Jean-Sébastien Jacques, à la suite du
dynamitage en mai 2020, par le géant minier, d’un site ancien
aborigène. Cette destruction a suscité beaucoup l’émoi en
Australie.18.
Bref, que l’entreprise adhère aux principes de la RSO pour faciliter
son accès au marché comme donneurs d’ouvrage ou à cause de
la pression des consommateurs, pour des raisons défensives ou
18- « L’enquête interne a montré que Rio Tinto avait bien obtenu les autorisations légales
pour détruire le site, mais que, ce faisant, le groupe n’avait pas respecté ses propres
standards »:https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1732973/demission-pdg-rio-tinto-jean-
sebastien-jacques-destruction-site-aborigene?fbclid=IwAR3i1_KAu12QXXQK_yeH8Pc-
rUIYxXuhGQ-i2_VIsXGVdS5AYD4crQtPtKM

241
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

offensives, l’organisation voudra demeurer économiquement


rentable. « La relation entre la performance économique et
sociale de l’entreprise pose donc un problème complexe que
la considération de quelques variables économiques et sociales
ne sauraient capturer intégralement. Dans cette perspective, les
initiatives responsables de l’entreprise peuvent alors représenter
un luxe financier que des petites ou des moyennes entreprises ne
peuvent nécessairement se payer » Claes, 2013, p. 137).
Deux types de questions nous interpellent particulièrement,
l’entreprise/organisation traite-t-elle à l’interne des effets négatifs
de son comportement sur les différentes parties prenantes (internes
et externes)? Existe-t-il une réelle recherche de compensations et
d’améliorations des pratiques? Comment le mouvement syndical
pourrait-il s’en prémunir? Comment faire en sorte que les entreprises
en arrivent à rendre des comptes en matière de RSO ?
Pour y réponde dans la prochaine section nous définiront le
concept de partie-prenante.
1.2. Le concept des parties prenantes
Dans les faits, à l’instar de Claes (2013, p. 140), nous croyons
que la RSO peut être vue comme un pont entre la performance
sociale et économique de l’entreprise, de sorte que les actions so-
cialement responsables encourageront une approche partenariale
(stakeholder theory). L’organisation pourra ainsi soutenir une cer-
taine durabilité économique et garantir une forme de pérennité au
milieu social. L’expression partie prenante (stakeholder) a émergé
avec l’étude en science de la gestion de la RSO. Dans d’autres dis-
ciplines (notamment en sociologie et en sciences politiques), l’on
favorisera plutôt l’expression acteurs sociaux, signalant l’intérêt
moins central pour l’entreprise dans le champ d’étude (Turcotte,
2013, p. 3). Cela dit, à l’instar de Turcotte (2013), nous considé-
rons les deux termes comme quasi synonymes.

242
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Ainsi posé, l’on fait le constat comme Tirilly (2013, p. 378) que deux
visions antagonistes cohabitent lorsque l’on se questionne sur le
types de responsabilités sociales que l’entreprise doitsoutenir. Les
tenants de l’approche actionnariale tel Friedman prônent : 1) qu’il
n’existe pas de lien entre l’entreprise et la société « the business of
business is business » ; 2) que si le marché échoue ou démontre des
faiblesses, l’État est habilité à s’occuper des coûts sociaux, pas le
dirigeant ; 3) que l’entreprise est une fonction de production et pas
une personne, et seule une personne a des responsabilités sociales.
Cependant, les adeptes de l’approche des parties prenantes, tel
Freeman, préconisent d’inscrire la RSO dans la gestion stratégique
de l’organisation.
En fait, Freeman (1994), propose une « approche pragmatique et
managériale de la gestion des parties prenantes. » (Tirilly, 2013,
p. 379), en conceptualisant une vision partenariale de l’entreprise.
La réussite de l’entreprise rime avec la conduite éthique envers les
différentes parties prenantes et la coopération entre les différents
membres de l’environnement sociopolitique de l’entreprise.
Mais qui sont les parties-prenantes ? La définition relativement
aboutie apparait en 2004 alors que Crane et Matten (2004 :
50) proposentcelle-ci : «A stakeholder of a corporation is an
individual or group which either : is harmed by, or benefits from,
the corporation ; or whose rights can be violated, or have to be
respected, by the corporation19».
Toutefois, toutes les parties prenantes n’auront pas la même
importance pour l’organisation. Plusieurs auteurs se sont attardés à
les catégoriser, en fonction de différentes approches : relationnelle,
contractuelle, légitimité, droits, contributions ou leurs attributs.

19- Nous la traduirons ainsi : Une partie prenante pour une entreprise est un individu ou un
groupe d’individus qui soit: subit un préjudice à cause de l’entreprise ou en bénéficie ; ou
dont les droits peuvent être violés, ou doivent être respectés, par l’entreprise.

243
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Chacune de ces approches possède ses particularités, mais toutes


reconnaissent l’importance pour l’organisation d’identifier les
différentes parties prenantes présentes dans leur environnement
en fonction de leurs intérêts, de leurs capacités d’action et de
leurs besoins. Il faut aussi savoir reconnaître l’influence des
parties prenantes sur l’organisation, le niveau de dépendance de
l’organisation, le pouvoir de menace et le degré de coopération
possible avec chacune d’entre elle, afin de mieux gérer les risques.
Bien que le concept de parties prenantes présente encore quelques
difficultés, puisque toutes les parties prenantes ne sont pas d’égale
importance et n’ont pas la même légitimité, à l’évidence, le
syndicat, lorsqu’il est présent, devient un acteur incontournable
dans l’environnement de l’entreprise.
1.3. Le rôle du syndicat
Lorsque l’on aborde la question de la RSE et du rôle des syndicats,
peu d’auteur.e.s québécois.e.s se sont penché.e.s directement
sur cette question. Ainsi, Champion en 2006 s’interrogeait sur le
potentiel de la finance responsable et les alliances avec les ONG
dans le cadre du renouveau syndical. En 2008, Dufour-Poirier
et Hennebert faisaient le constat que les syndicats étaient des
acteurs actifs de la mondialisation, que ce soit dans la création
d’alliances syndicales internationales (ASI), dans la constitution de
conseil mondiaux d’entreprises (CME) et la signature d’ententes-
cadres régissant certains engagements sociaux en s’appuyant
sur des normes minimales de travail afin de minimiser les
impacts des restructurations ou délocalisations et le respect des
droits fondamentaux des travailleurs. Claes en 2013, l’abordait
indirectement dans le cadre de sa recherche doctorale en lien avec
les licenciements collectifs. Pour leur part, dans une perspective
de renouveau syndical, depuis 2015 Dufour-Poirier et Le Capitaine

244
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

s’intéressent aux réseaux d’entraide aux salariés et aux rôles des


délégués sociaux tandis que Champion (2018) s’interroge sur la
capacité d’appropriation par les syndicats nationaux de la RSE
et de ses pratiques. Il en découle que l’on doit faire le constat
de l’élargissement de l’action syndicale et de l’entraide syndicale
au niveau local, national et international. Cependant, le défi de
l’appropriation de la RSO par les syndicats locaux et nationaux
demeure. D’autant que l’on ne peut occulter la double nature du
syndicat comme représentant des salariés (agent de négociation) et
comme partenaire au dialogue social (Gagnon 1998). Il découle de
cette double nature un rôle de contrepoids et de partie prenante.
Par ailleurs, à l’international, Justice (2003) aborde les défis et les
opportunités pour les syndicalistes20 en regard du phénomène
de la RSO. Force est de constater que la signification de la RSO,
bien qu’elle occupe une place de plus en plus grande sur la place
publique, ne fait pas l’unanimité chez les syndicalistes (Justice
2003, Champion 2018). Pour certains et surtout à l’international
c’est un objectif souhaitable, mais au sein des syndicats locaux, et
notamment au Québec, la RSO est encore souvent perçue comme
un exercice politique. Peu de syndicats locaux intègrent/négocient
dans leur conventions collectives des clauses de RSO (répondant
n°1) à la différence « des FSI qui négocient l’adoption de nombreux
accords-cadres21 » (Justice, 2003, p. 13-14)  
Au Québec, le système des relations de travail cantonne le syndicat
dans un rôle de représentant des travailleurs/euses. La législation du
travail, et particulièrement celle concernant les rapports collectifs,
a peu évolué depuis les cinquante dernières années. À l’instar

20 - https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_dialogue/actrav/documents/
publication/wcms_112475.pdf
21- Si les codes de conduite sont adoptés unilatéralement par les entreprises, les codes de
conduites constituent une reconnaissance formelle du partenariat social au niveau mondial.
(Justice, 2003, 14)

245
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de Pinard (2004), nous croyons que dans tous les pays disposant
d’un droit du travail, celui-ci est présentement remis en cause
dans sa portion protection du travailleur, par les réorganisations
d’entreprises et la prolifération de nouvelles formes d’emploi
marquées par la flexibilité et la précarité. Il en résulte l’érosion
des droits liés au travail parce que des catégories croissantes de
salariés sont incapables de les exercer22. Les enjeux locaux sont
donc surtout liés à la préservation des acquis et à l’élimination
des disparités de traitement, dans un contexte où les exécutifs sont
conscients de l’importance de la durabilité de leurs employeurs.
Un président d’un syndical local, dans un autre contexte de
recherche, exprimait que pendant la négociation, il fallait prendre
en compte que « les parties sont condamnées à vivre ensemble,
pour survivre ».
Ainsi, le mouvement syndical québécois n’est pas un bloc
homogène devant la RSO. Affaibli dans son rôle de représentant
des travailleurs, lors des négociations collectives, depuis les années
1980, par le contexte juridique, économique, social et politique,
il se montre méfiant devant les initiatives volontaires des entreprises
multinationales (Justice 2013, Champion 2018). Sans rejeter le
concept de RSO, les syndicats locaux n’ont pas la même sensibilité
au sens où l’on définit généralement la RSO, c’est pourquoi il nous
apparaissait pertinent, dans le cadre de cet article de discuter de
la RSO des syndicats québécois en choisissant l’angle du fond
humanitaire du syndicat des Métallos et son engagement envers
les mineurs de Rio Tinto à Madagascar, et l’exemple du Fonds de
solidarité, un fonds de travailleur, deux exemples où le syndicat
agit comme une organisation socialement responsable. Car, suivant
Champion (2018, p. 4) et Justice (2003, p. 5-6) il y a une opportunité

22- Ce phénomène est déjà fort bien documenté ; voir notamment, Vallée 1999, Morin
2000 et 2001, Murray 2001, Verge 2001, ainsi que Supiot 1999 et 2002.

246
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

à saisir pour le mouvement syndical afin de promouvoir une


culture de conformité légale, de respect des normes tout en faisant
la promotion de bonnes relations en mettant de l’avant comme
partie prenante ses attributs de pouvoir et de légitimité.
2. L’opérationnalisation de la recherche
À la lumière de la problématique qui ressort de notre revue de
la littérature, l’objectif de ce papier est de comprendre le rôle
du syndicat en matière de RSO, puisque se pose une nouvelle
équation de responsabilité, avec pour prémices le renforcement
du rôle dévolu au secteur privé et à la société civile. En ce sens, la
RSO souligne les rapports d’interdépendance des acteurs au-delà
des relations d’intérêts et des idéologies. Cette partie, concernant
l’opérationnalisation de la démarche scientifique, introduira la
méthodologie, soit la stratégie de recherche et la méthode utilisée
pour le recueil et l’analyse des données.
2.1. La stratégie de recherche
La conduite de recherche en science de gestion dépend du point
d’ancrage dans lequel le chercheur décide de s’inscrire et représente
une préconception de la réalité et de la façon de l’aborder (Prévost
et Roy, 2015). La démarche, dans sa finalité, vise à élargir notre
compréhension du rôle du mouvement syndical en tant que partie
prenante ou contrepoids de la RSO, suivant le point de vue des
acteurs du système. La démarche s’inscrit donc dans un paradigme
interprétatif, au sein duquel la réalité construite s’interprète sur la
base de la perception du vécu des acteurs (ibid). Concernant la
stratégie de recherche, afin de rencontrer les différents objectifs
de la recherche, la démarche peut être qualifiée de qualitative et
inductive. L’approche qualitative donne une vision systémique du
phénomène et l’induction prend en compte les interactions et la
particularité de l’environnement du contexte étudié (Gotteland,

247
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Haon et Jolibert, 2012). La recherche qualitative et l’induction sont


alors appropriées lorsque l’on cherche à poser un diagnostic sur
le rôle des syndicats comme partie prenante ou contrepoids de la
RSO.
Pour y arriver l’étude de deux cas imbriqués dans le milieu a été
privilégiée. Les cas, dans cette étude, pour des raisons de faisabilité
et aussi pour différencier et comparer deux types d’organisations
syndicales, sont le Fonds humanitaire des métallos et le Fonds de
solidarité de la FTQ.
2.2. Collecte des données et stratégie d’analyse
Outre une revue de la littérature pertinente, théorique et
sociohistorique, nous avons rencontré quatre personnes : une
agissant au titre de directeur de la région du Québec, deux agents
de développement (Fonds de solidarité) et un agent de projet et de
l’éducation (Fonds humanitaire des métallos).
Comme stratégie d’analyse, nous avons choisi le modèle d’analyse
transversale inductive adapté de Yin (2009) dans Prévost et Roy
(2015). Ce modèle consiste à analyser en profondeur chacun des
cas dans son contexte, pour ensuite procéder à des comparaisons
afin de dégager les informations récurrentes et divergentes
(Prévost et Roy, 2015). Pour l’analyse des données, nous avons
adopté l’approche d’analyse de contenu. Notre analyse s’est faite
en quatre étapes : la préparation du corpus, la pré-analyse, la
catégorisation et le codage et enfin le traitement et l’interprétation.
Nous avons ainsi fait le constat que le mouvement syndical dans
son rôle traditionnel de représentant des travailleurs et travailleuses
joue plutôt un rôle de contrepoids ou de gardien des droits des
travailleurs en regard de la RSO, tandis qu’en tant que partenaire
social, les syndicats nationaux jouent un rôle important de partie
prenante en devenant eux-mêmes une organisation RSO.

248
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

L’analyse des écrits a permis de remonter vers les généralités,


ce qui souligne le caractère exploratoire et interprétatif de la
démarche intellectuelle. De plus, comme il fallait circonscrire les
contextes sociaux et politiques, la démarche est aussi descriptive.
En ce sens, ce chapitre s’inscrit dans le courant des tenants des
approches inductives comme la méthodologie de la théorisation
enracinée (MTE), et dans le courant des études empiriques dans des
domaines tels que les relations industrielles. Pour y parvenir, nous
avons utilisé une méthode qualitative, impliquant une recension
des écrits sociohistoriques et théoriques. Dans ce contexte, les
paramètres évolutifs sont multiples etdépendent des changements
législatifs, économiques, sociaux, culturels ou productifs.
Nous avons posé la question : « La responsabilité sociale de
l’entreprise ou la responsabilité sociétale de l’organisation :
quel rôle pour le mouvement syndical québécois? » Afin de
pouvoir répondre à cette question, nous avons d’abord pris en
considération qu’il y a une multitude de facteurs qui interviendront
afin de déterminer en quoi consiste le rôle des syndicats. Selon les
théories institutionnalistes et stratégiques américaines - propres aux
tenants des relations industrielles en Amérique du Nord - le climat
politique et les étranges alliances qui se font et se défont auront
vraisemblablement une incidence sur le mouvement syndical,
sur sa gouvernance nationale, régionale et locale et sur l’action
syndicale et collective.
3. Présentation et discussion des résultats
3.1. Les différentes actions syndicales au niveau national
Comme le remarquait judicieusement Justice (2003, p. 5) :
« Les syndicats n’ont pas créé la RSO, mais l’ignorer ne la faisait
pas disparaître […] L’opportunité pour les syndicats consiste
à utiliser la RSE comme moyen de promouvoir une culture de

249
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

conformité légale et de respect des normes et de stimuler de bonnes


relations professionnelles et le respect du rôle des syndicats ».
Nous avons donc cherché à comprendre le rôle du mouvement
syndical québécois dans la RSO. Il est rapidement apparu que les
capacités et les lieux d’intervention étaient différenciés selon que
l’on référait aux instances locales ou nationales. Nous avons donc
choisi d’investiguer des stratégies nationales puisqu’à ce moment
l’acteur syndical devient une partie prenante incontournable des
stratégies de RSO soit en devenant un partenaire, un bailleur de
fond ou un contrepoids.
Le Fond humanitaire des métallos
Le Fonds humanitaire des métallos (FHM) est un organisme de
bienfaisance canadien enregistré que les membres du syndicat
des métallos financent par des contributions. Depuis plus de
vingt-cinq ans, le Fonds appuie des projets de développement
international, fournit de l’aide humanitaire d’urgence en cas
de sinistres partout dans le monde, soutient des banques
alimentaires dans l’ensemble du Canada et offre des programmes
éducatifs aux membres du syndicat 23. Il est financé à plus de
90% par les cotisations volontaires des membres des différents
syndicats canadiens des Métallos, ce qui représentait un montant
de $ 1 500 000 en 201924.
À ce titre, comme le soulignait notre répondant, le FHM travaille en
faveur des emplois, de la collectivité et du secteur manufacturier
canadien. Ses préoccupations concernent l’environnement et la
communauté. Les enjeux ne sont pas les relations du travail, ainsi
les travailleurs du FHM ne sont pas interpellés pour intervenir dans

23- https://www.usw.ca/fr/impliquez-vous/activisme/fonds-humanitaire
24- https://www.usw.ca/fr/impliquez-vous/activisme/fonds-humanitaire/ressources/rapport-
aux-membres-2019, p.5.

250
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

les négociations locales, mais sur les enjeux sociaux. Le FHM


est un membre actif du CISO, produit des rapports annuels aux
membres, et est un organisme indépendant.
Comme nous l’avons vu dans la première partie, ces dernières
années les définitions de la RSO s’avèrent plus englobantes
et plus inclusives en intégrant les différentes organisations
(organismes sans but lucratif, entreprises privées et publiques
etc.) mais aussi plus exigeantes - les organisations se voient
désormais imputables par rapport à la société dans son
ensemble « vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société »
(Commission Européenne, 2011). Dès lors, la RSO renvoie au
respect des individus, de la communauté et de l’environnement.
C’est pourquoi le FHM s’engage dans différentes activités
visant à promouvoir une réelle responsabilité /imputabilité des
entreprises canadiennes à l’étranger25. Par exemple en 2019, le
FHM a été impliqué avec différents partenaires dans des actions
en Amérique Latine (Guatemala, Colombie, Brésil)26. Le cas de
Fort Dauphin à Madagascar est très intéressant, pour expliquer
l’action syndicale en termes de RSO.
À Fort Dauphin, à Madagascar, le FHM travaille avec ses
organisations partenaires : Syndicalisme et Vie en Société
(SVS) et Sendika Kritianina Malagasy (SEKRIMA). Les dirigeants
syndicaux de la mine Rio Tinto dénonçaient depuis des années
la marginalisation économique et la négligence publique dont
souffraient les petits villages et communautés environnantes.
Lorsque la COVID-19 a frappé Madagascar et la ville isolée de
Fort-Dauphin, l’isolement partiel et les restrictions imposées

25-https://www.usw.ca/fr/nouvelles/centre-presse/actualites/2020/pas-de-justice-sans-
imputabilite-un-rassemblement-virtuel-pour-une-reelle-responsabilite-des-entreprises-
canadiennes-a-letranger
26-https://www.usw.ca/fr/impliquez-vous/activisme/fonds-humanitaire/ressources/rapport-
aux-membres-2019 page 4

251
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

ont fait exploser les prix des biens essentiels. Les travailleurs et
travailleuses informels (les marchand.e.s ambulants, les fermiers,
les pêcheurs) des petites communautés n’avaient tout simplement
pas d’autre choix que de défier les restrictions comme le port
du masque, n’ayant pas les moyens de s’en procurer pour tenter
de survivre et de nourrir leur famille. Les autorités en place les
appréhendaient violemment puisqu’ils/elles ne respectaient pas
les mesures destinées à limiter la propagation du virus. En fait,
les conséquences économiques étaient plus difficiles à supporter
que celles liées au virus. Les dirigeants syndicaux de SVS et
SEKRIMA ont sollicité le FHM pour organiser une chaine de
solidarité qui a permis d’inclure 410 ménages (1530 personnes)
dans des activités de sensibilisation et distribution de matériel de
protection et de denrées de base, tout en respectant les directives
de la santé publique.
Au Bangladesh, comme nous le mentionnait notre répondant,
le FHM travaille de concert avec les travailleurs et travailleuses
du secteur de l’industrie du vêtement pour élever les conditions
de travail. Le FHM permet de sortir du corporatif syndical,
souvent reproché au mouvement syndical, en intervenant
internationalement, nationalement, régionalement et localement
pour répondre à des besoins de justice sociale, d’égalité et de
sensibilisation. Pour y arriver, le FHM subventionne certaines
activités de sensibilisation ou de formation, fournit des ressources
comme du matériel sanitaire, clérical, accès à des locaux équipés,
des denrées alimentaires, etc., organise des écoles d’été, des
campagnes de sensibilisation dans une optique de solidarité
internationale et de défenses des droits humains.
Le Fonds de solidarité
Le Fonds de solidarité est né d’efforts soutenus notamment du
syndicaliste Louis Laberge, alors président de la FTQ, et du
ministre des finances de la province de Québec, Jacques Parizeau.

252
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Ce fonds de travailleurs a permis au mouvement syndical de


devenir un acteur économique incontournable au Québec.
Créé en juin 1983, le Fonds de solidarité FTQ est une société de
capital de développement qui fait appel à l’épargne et à la solidarité
de l’ensemble de la population québécoise. Sa mission principale
consiste à contribuer à la croissance économique du Québec en
créant, en maintenant ou en sauvegardant des emplois au moyen
d’investissements dans les entreprises de l’ensemble des secteurs
d’activité de l’économie québécoise. L’un de ses objectifs consiste
également à encourager l’épargne-retraite et à procurer à ses
centaines de milliers d’actionnaires-épargnants un rendement
raisonnable  qui s’ajoute aux avantages fiscaux supérieurs qui
leur sont consentis. Par sa gouvernance et ses codes d’éthique, il
agit comme un investisseur socialement responsable et soucieux
d’un développement économique humain et durable. De plus, au-
delà du capital investi, il s’engage à appuyer le développement
des entreprises en offrant des services à valeur ajoutée, notamment
la formation économique. Le Fonds de solidarité FTQ, dont l’actif
net était de 13,8 milliards de dollars au 31 mai 2020, est devenu
un acteur incontournable de l’économie québécoise27.
Sa mission se résume en quatre points : 1) créer et maintenir des
emplois 2) former les travailleurs et travailleuses ; 3) développer
l’économie du Québec 4) épargner/préparer à la retraite. Pour ce
faire, le Fonds de solidarité investit dans des entreprises à impact
économique québécois et leur fournit des services en vue de
contribuer à leur développement et de créer, de maintenir ou de
sauvegarder des emplois. Il favorise la formation des travailleuses
et travailleurs dans le domaine de l’économie et leur permet
d’accroître leur influence sur le développement économique du
Québec.
27- https://www.fondsftq.com/fr-ca/a-propos/qui-sommes-nous.aspx

253
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Nous avons rencontré deux personnes œuvrant comme agents


de développement au Fonds de solidarité. Nous avons appris que
les onze personnes travaillant comme agents de développement
cumulent plus de 350 années d’expériences syndicales. Nous avi-
ons donc face à nous des répondants aguerris qui ont généreuse-
ment accepté de partager leur vision des changements survenus
depuis la création du fonds. Ce qu’il faut d’abord retenir de ces
échanges, c’est l’évolution des critères d’évaluation pré-investis-
sement. Aujourd’hui, l’on examine trois aspects de la demande
– l’acceptabilité sociale, le bilan social, la contribution du Fonds
en vue d’améliorer la situation – avant de présenter la proposition
au CA.
Le premier réflexe sera alors de mesurer si le projet correspond
aux valeurs de l’investisseur au-delà de la protection de l’emploi.
Le projet rencontre-t-il les normes de l’acceptabilité sociale? L’on
mesure, lorsque cela est pertinent, la qualité des relations avec
les communautés et les impacts sur les communautés, l’environ-
nement, l’empreinte écologique. L’on rencontre tant la partie pa-
tronale que l’exécutif syndical, ou un comité de travailleurs/euses
choisi par les employé.es (si l’entreprise n’est pas syndiquée).
Outre l’analyse financière, l’on fera le bilan social et de santé
organisationnelle, c’est-à-dire que l’on évalue les enjeux et le
niveau de risques sur plusieurs aspects. La grille d’évaluation que
nous avons pu consulter est exhaustive et couvre principalement
cinq dimensions. La première, l’historique de l’entreprise, inclut
notamment la vision du/des dirigeants, la relève des dirigeants, la
présence de femmes au sein de la direction, le plan de la gestion
des changements. La deuxième, les relations de travail, consiste à
vérifier les aspects touchant entres autres à la qualité des relations
de travail, aux perceptions à l’égard des relations de travail, les
relations humaines et le climat de travail, incluant les politiques

254
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

de diversité et inclusion et le degré de mobilisation, le sentiment


d’appartenance et l’engagement des employés. La troisième
dimension examine des indicateurs liés à la main-d’œuvre,
tels que: la composition, les enjeux liés à la démographie, la
réalité du secteur, le développement des compétences, le nombre
d’emploi, les perspectives, etc. La quatrième se concentre sur les
conditions de travail, soit : le régime de retraite, l’équité salariale,
la santé et sécurité incluant la santé psychologique, les pratiques
de conciliation famille et travail, le télétravail, etc. La composante
production est examinée tant en lien avec la qualité que la
quantité et l’opinion des travailleurs/euses est prise en compte
tant sur la qualité des produits finis que sur la gestion des impacts
environnementaux. La cinquième dimension regarde la question
du développement responsable, incluant notamment les relations
avec les communautés et le développement local, l’engagement
social et environnemental de l’entreprise, la présence au minimum
d’un code de conduite applicable et appliqué à l’international, ainsi
que les conditions salariales et le pouvoir d’achat des employé.e.s.
Le bilan social aura une grande influence sur les recommandations
émises suite à ce travail d’analyse, car il permettra d’apprécier la
qualité de la responsabilité sociale de l’entreprise demanderesse
et de faire certaines recommandations aux entreprises afin
que le Fonds de solidarité accepte d’investir ou non. Ce qui
indéniablement octroie un pouvoir d’influence au mouvement
syndical en tant que partie prenante relationnelle, contributrice et
légitime selon la classification de Phanuel (2016).
Si des organisations liées au mouvement syndical mais non
subordonnées aux exécutifs nationaux ont des impacts en tant
que partie prenante sur la RSO des entreprises, qu’en est-il des
syndicats locaux ?

255
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

3.2. Les actions au niveau local


Les syndicats locaux semblent de plus en plus débordés dans leur
rôle traditionnel de représentants des travailleurs et travailleuses et
comme acteurs de la RSO, bien qu’au sein de certains syndicats
(essentiellement affiliés à la FTQ), il existe des représentants
syndicaux formés à titre de délégué.e.s sociaux28 :
Un délégué social et une déléguée sociale, c’est d’abord un
membre de la section locale qui participe à la vie syndicale. Son
implication syndicale privilégie l’entraide avec les membres qui
rencontrent des difficultés personnelles. L’entraide se base sur
l’écoute, en vue de référer les membres qui en expriment le besoin
à des ressources syndicales, communautaires et professionnelles.
L’aide offerte porte sur des problèmes liés aux toxicomanies, à
la famille, à la santé mentale, à l’endettement et à bien d’autres
situations que vivent les membres.
Les responsables locales et responsables locaux (RL)29 sont, quant
à eux, « des travailleurs syndiqués qui font bénévolement la
promotion du Fonds de solidarité dans leurs milieux de travail. »
Le réseau des RL compte plus de 1 800 militantes syndicales et
militants syndicaux provenant des syndicats affiliés à la Fédération
des travailleurs et travailleuses du Québec, à la CSQ, à la FIQ et
d’autres organisations partenaires. Les RL sont désignés par leur
syndicat pour représenter le Fonds dans leur milieu de travail. Ils
ont pour objectif premier d’informer et de favoriser l’adhésion de
leurs collègues au Fonds de solidarité FTQ et de les sensibiliser à
l’importance de l’épargne en vue de la retraite.

28- https://ftq.qc.ca/entraide-syndicale/
29-https://www.fondsftq.com/fr-ca/particuliers/faq/decouvrir-le-fonds/qu-est-ce-qu-un-
rl#:~:text=Les%20responsables%20locales%20et%20responsables,dans%20leurs%20
milieux%20de%20travail.

256
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Pourtant, les contres exemples en cas de lock-out et le cas de la


coalition québécoise contre les ateliers de misère (Champion,
2018) sont assez révélateurs de la difficile intégration du syndicat
localdans une logique de RSO. Selon Champion (2018, P. 11), « la
négociation de clauses sociales dans les conventions collectives
a été vite abandonnée. Les pratiques d’approvisionnement
responsable se sont imposées plus facilement, la loi sur le
développement durable a créé une dynamique sociale favorable
à leur diffusion » et cela bien que la coalition ait été créée par les
syndicatsavec comme objectif de faire de la RSE un nouvel enjeu
de négociation collective. Du reste, notre répondant directeur
d’une centrale syndicale nationale, a aussi confirmé que la RSO
n’était que très rarement un enjeu de négociation collective locale.
Les syndicats locaux ont de plus en plus de difficultés à jouer leur
rôle de contrepoids parce qu’il faut prendre « acte du fait que
l’acteur syndical est profondément niché au sein de structures
sociales » (ibid, 14) et législatives, ce qui « complexifie, voire
bloque, à certains niveaux, sa capacité à développer les habiletés
sociales et les comportements nécessaires à l’appropriation de la
RSE ». (ibid, 14).
Au Québec, le Code du travail encadre spécifiquement les arrêts de
travail concertés en cas de mésentente en période de négociation
collective. Ainsi, après 90 jours de négociation infructueuse, une
des parties peut décréter un « arrêt » de travail dans le but de mettre
de la pression sur l’autre partie, afin d’accélérer le processus et de
conclure une entente. Il s’agit d’une grève (un débrayage voté par
les travailleurs) ou d’un lock-out (mesure patronale, où l’employeur
interdit l’accès au milieu de travail à toutes les personnes couvertes
par l’accréditation). Le lock-out est sensément la contrepartie au
pouvoir de grève des travailleurs. En ce sens, il suggère donc un
rapport de force.

257
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Depuis une quinzaine d’années au Québec, l’objectif d’équilibrer


le rapport de force est inversé en faveur du patronat, notamment
dans un contexte subjugué par la culture du profit et envahi par une
mentalité antisyndicale à l’américaine (plus prégnante depuis l’ère
Reagan). Il faut donc faire le constat d’une égalité fictive entre le
travail et le capital avec des conséquences économiques élargies.
L’utilisation du lock-out, tant dans les secteurs privés que public, est
l’antithèse de l’engagement social. Ce moyen de pression, outre de
déconstruire le dialogue social, menace la paix industrielle (milieu
de travail fracturé) et déséquilibre le rapport de force entre le travail
et le capital. Les syndicats sont peu outillés pour le contrer et les
syndicats locaux ont de plus en plus de difficultés à jouer le rôle
de contrepoids.
Le cas des lock-out et le cas du fonds de solidarité sur un même
continuum sont les deux extrêmes qui démontrent, pour l’un, que
les syndicats locaux peuvent être menottés dans leur capacité
d’intégration de la RSE, et pour l’autre (le Fonds de solidarité de la
FTQ et possiblement tous les fonds de travailleurs) qu’ils peuvent
réussir un mariage heureux entre RSO et profitabilité.
Conclusion
Afin de répondre à la question sur le rôle de l’acteur syndical dans
la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) nous avons d’abord
expliqué pourquoi il semblait pertinent d’utiliser la notion de
responsabilité sociétale des organisations (RSO), définition plus
large et plus appropriée au cas du Québec. À partir des cas du
Fonds de solidarité de la FTQ et du Fonds humanitaire des Métallos
et prenant en compte notre recension des écrits, nous avons
constaté que les pressions auxquelles s’expose l’acteur syndical
local en faisant cohabiter la logique syndicale traditionnelle et
la logique de RSO sont différentes. En effet, en tant que partie

258
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

prenante, le mouvement syndical est à même d’imposer certaines


règles en termes d’engagement social, de développement durable
et de justice. Cependant le syndicat en tant qu’acteur local et
traditionnel apparaît affaibli. Toutefois, cet affaiblissement dans
son rôle traditionnel n’a pas entravé la mise en œuvre de certaines
activités réservées aux délégué.e.s sociaux et aux responsables
locaux, activités qui se rattachent directement à la conception de
la responsabilité sociale.
Nous pouvons donc conclure que si, dans le cadre de la négociation
de conventions collectives, le syndicat est plutôt un contrepouvoir
(affaibli) au sens strict de négociateur de conditions de travail, dans
les faits en tant qu’organisation, le mouvement syndical québécois
est partie prenante en tant qu’agent de changement en termes de
justice sociale, d’acceptabilité sociale, d’engagement social et de
développement durable.

259
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

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262
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La RSE comme objet-frontière :


quelques pistes de dialogue en sciences sociales

Petia Koleva

Ce chapitre vise à proposer des jalons pour la réflexion


interdisciplinaire sur la responsabilité sociétale des entreprises
(RSE). Nous considérons la RSE comme objet-frontière doté
d’une flexibilité interprétative certaine qui favorise le dialogue en
sciences sociales. La réalisation de sa fonction cognitive implique la
restructuration de cet objet en objet épistémique susceptible d’être
utilisé dans un champ donné. Nous esquissons trois pistes pour
cette transformation : la référence aux théories institutionnalistes
des organisations, à la philosophie pragmatiste de la connaissance
et à l’abduction comme méthode de recherche privilégiée.
L’objet-frontière (OF) : définition et intérêt pour la recherche
Les interactions entre les organisations et leur environnement
(institutionnel, naturel etc.) sont étudiées par différentes disciplines
qui fonctionnent plus ou moins isolément, avec des cultures
scientifiques et professionnelles différentes. Le plus souvent, les
membres de ces communautés travaillent en parallèle les uns avec
les autres, défendent des points de vue divergents, utilisent un
jargon qui leur est propre et échangent peu sur leurs concepts et
méthodes. Lorsqu’on s’aventure au-delà des frontières de sa propre
discipline ou domaine de recherche, on se rend vite compte
qu’aucune convention stable n’existe en ce qui concerne la
définition de termes telle qu’organisation ou institution. Même au
sein d’une même discipline, les courants existants ne s’accordent
pas nécessairement sur la signification de ces notions (cf. la
définition de l’institution en économie).

263
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Face à ce constat, deux voies semblent possibles. La première


consiste à engager un processus pour retrouver l’« unité » des
sciences sociales par le recours à un modèle d’intelligibilité
commun, permettant un dialogue construit entre disciplines.
Cette « science sociale généraliste », fondée sur des bases non-
utilitaristes, ambitionne d’appréhender le monde dans toute sa
complexité  (Caillé, Chanial, Dufoix et Vandenberghe, 2018).
La seconde option, plus pragmatique, s’articule autour de
propositions concrètes pour construire, relier et activer des
réseaux de chercheurs. Cependant, une fois engagé dans ce genre
d’initiative, on est confronté rapidement au manque de consensus
sur les concepts, les méthodes et les objets. La mesure et la
manière dont les différents groupes professionnels collaborent au
sein d’un réseau, la façon de produire un ensemble cohérent de
résultats à partir de visions du monde et de concepts théoriques
souvent radicalement différents demeurent un point critique.
Sans « traduction » et intégration des résultats de la recherche,
les informations d’un travail académique peuvent ne pas être
disponibles ou transférables à d’autres.
Les conditions du succès de la recherche pluri- et interdisciplinaire
ont fait l’objet de nombreuses études de cas dans l’histoire et
sociologie des sciences. Ces études ont produit plusieurs outils
analytiques pour mieux comprendre le transfert de concepts entre
groupes scientifiques hétérogènes, ainsi que la coopération entre
ces groupes. Deux principales démarches peuvent être identifiées
qui se distinguent par la place occupée par le chercheur (ou par une
discipline) dans ce dispositif. Dans le premier cas, l’innovateur ou
le scientifique entrepreneur joue un rôle moteur dans les processus
de problématisation, intéressement, enrôlement et mobilisation
d’alliés (Callon, 1986). Dans l’autre cas, le rôle des acteurs est plus
équilibré et passe notamment par l’émergence d’objets-frontière
(Star et Griesemer, 1989 ; Wenger, 2000).

264
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

La notion d’objet-frontière (OF) semble particulièrement pertinente


pour comprendre comment des personnes ayant des points
de vue divergents et venant de « mondes sociaux » différents
peuvent collaborer dans l’élaboration du savoir scientifique.
Selon Star et Griesemer (1989), la gestion de la variété passe
par la standardisation des méthodes et la définition d’OF. La
standardisation permet de surmonter les problèmes d’un éclectisme
sans principes en « disciplinant » les informations et les résultats
provenant d’horizons disparates pour les rendre compatibles et
traduisibles au sein de communautés scientifiques données. Les
OF sont quant à eux « un arrangement qui permet à différents
groupes de travailler ensemble sans consensus préalable » (Star,
2010, p. 19). Par frontière, il faut entendre non pas une limite
ou une périphérie mais « un espace partagé, le lieu précis où le
sens de l’ici et de là-bas se rejoignent » (ibid., p. 20). Dotés d’une
flexibilité interprétative, les OF traversent plusieurs communautés
sous le même nom sans pour autant recouvrir les mêmes réalités.
Compte tenu de leurs objectifs et de leurs orientations pratiques
et théoriques divergentes, les OF ne peuvent être définis de
manière univoque. En sciences sociales, c’est le cas, par exemple,
d’objets tels que les systèmes socio-écologiques, les services
écosystémiques ou bien les parties prenantes.
Le développement durable peut-il prétendre au statut d’OF ? A
prime abord, oui : utilisé dans la science, la politique et les débats
publics, il présente un fort potentiel de création de consensus.
Cependant, à y regarder de près, on constate que l’expression ne
fait pas référence à un sujet de changement ou de développement.
Elle s’avère trop générale, voire trop « fade » (Godard et Hommel,
2005) pour fournir, à elle seule, une base satisfaisante au dialogue
entre disciplines. Pour Star (2010), si des OF peuvent émerger à
différentes échelles, c’est l’organisation qui représente le niveau

265
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

le plus pertinent pour leur étude30. En phase avec cette idée, nous
considérons la RSE comme un objet-frontière par excellence qui
traverse une variété de champs disciplinaires et interroge tant les
pratiques dans les entreprises que les interactions de ces dernières
avec leur environnement, à l’échelle d’un secteur, d’un pays (ex.
la Plateforme nationale d’actions globales pour la RSE en France)
ou au-delà (ex. la Stratégie européenne pour la RSE). Passerelle
partielle et provisoire, faiblement formalisée dans son usage
conjoint, elle n’en demeure pas moins structurée dans son usage
au sein des champs disciplinaires, que ce soit en interrogeant
le fonctionnement de l’entreprise (gestion), la régulation du
capitalisme (économie politique) ou la construction de l’image et
de la réputation à usage interne et externe (sciences de l’information
et de la communication).
Alors que la flexibilité interprétative est la dimension la plus
connue des OF, elle n’épuise pas son contenu. Ce qui compte
également, c’est la structure matérielle/organisationnelle de
connaissances, reconnaissable par différents mondes sociaux, qui
permet de travailler ensemble. Elle peut prendre la forme d’un
répertoire, d’une enveloppe, d’un idéal-type ou d’une interface/
standard d’échange (Star et Griesemer, 1989). Deux de ces formes
sont illustrées par les travaux qui ont abouti à la finalisation de cet
ouvrage.
__ L’interface d’échange
Le sujet de la RSE et du développement durable a fait l’objet
de plusieurs rencontres et ateliers d’échange entre chercheurs
et praticiens notamment dans le cadre du Forum International
30 - Dans leur travail originel, Star et Griesemer (1989) mettent en évidence, à travers un
cas organisationnel précis (la création d’un musée), comment les participants d’univers
différents (gestionnaires, chercheurs, administratifs, hommes politiques, fondations…) ont
réussi à se comprendre et à travailler ensemble autour d’objets sans pour autant perdre leur
identité propre.

266
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

du Capital Humain organisé par l’Association Marocaine du


Management et Développement du Capital Humain à Rabat, le
12 et 13 avril 2019. Le Forum était l’occasion de relativiser les
concepts et les pratiques circulantes et de les interpeller à la lumière
des diagnostics, des enquêtes et des observations rapportés par les
chercheurs mais aussi les auditeurs sur un ensemble d’entreprises.
Les débats ont surtout mis l’accent sur l’épineuse question des
outils de mesure et d’évaluation des pratiques RSE dans des
contextes socioculturels différents, déclenchant notamment des
questions d’ordre épistémique sur le sens et l’essence de ce champ
disciplinaire. Ensuite, quelques-unes de ces interventions ont fait
l’objet d’une publication scientifique dans le cadre d’un numéro
spécial du International Social Sciences and Management Journal
(ISSM).
__ Le répertoire
Il consiste à « rassembler des choses conçues de manière itérative »
et « permet que l’hétérogénéité (interne) d’une chose à l’autre soit
maintenue sans que cela ne devienne conflictuel » (Star, 2010,
p. 20). L’intérêt heuristique de ce format de collaboration est
d’encapsuler des contributions menées en petits groupes tout en
contrôlant la nature du commentaire ou du débat. La gestation du
présent ouvrage illustre cette démarche.
La transformation de l’objet-frontière en objet épistémique 
La réalisation de la fonction cognitive d’un OF implique la
restructuration de cet objet en objet épistémique susceptible d’être
utilisé dans un champ donné (Becker, 2012). Le concept d’objet
épistémique provient de la philosophie des sciences (Rheinberger,
1997) où il fait référence à une « chose » que les humains peuvent
et veulent savoir. Les objets épistémiques consistent en concepts,
dispositifs expérimentaux, champs d’application, méthodes

267
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

d’observation, modèles ou formes de représentation des données.


La transformation d’un objet frontière en objet épistémique
est guidée, explicitement ou implicitement, par des idées pré-
analytiques, des vues générales du monde et des convictions
ontologiques.
Par conséquent, rendre le rôle cognitif d’un OF au sérieux
signifie non seulement identifier le dispositif de connexion entre
connaissances ou acteurs mais reconnaître que « certains objets
ou configurations - ou même organisations - matérialisent et
transportent une infrastructure constituée de normes, catégories,
classifications et conventions spécifiques à un ou plusieurs mondes
sociaux » (Trompette et Vinck, 2009). Un travail d’explicitation
est donc nécessaire, compte tenu des caractéristiques de cette
infrastructure : encastrée dans les schémas mentaux, elle est
« invisible » pour l’usager au sens où elle soutient les tâches
réalisées par les chercheurs sans qu’ils aient besoin de la réinventer
à chaque fois ; elle est construite sur une base déjà existante dont
elle hérite les forces et les faiblesses ; enfin, elle est modifiée de
façon incrémentale (Star, 2010).
Si on se réfère à l’objet RSE, il est possible d’avancer trois pistes
potentielles de collaboration entre chercheurs en sciences
sociales. Ils concernent respectivement la référence aux théories
institutionnalistes des organisations, à la philosophie pragmatiste
de la connaissance et à l’abduction comme méthode de recherche
privilégiée.
__ Les théories (néo)institutionnelles des organisations comme
pierre angulaire théorique
La distinction entre les concepts d’organisation et d’institution et
l’étude de leurs interactions est au cœur de nombreuses analyses
en sciences de gestion et en sociologie qui s’intéressent à la

268
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

dialogique31 « efficacité économique » au nom de la rationalité


(procédurale) des agents et « importance accordée à des structures
sociales plus larges » (cf. Martinet et Pecqueux (2013, chap. 4)
pour une synthèse). Une des références fréquemment citées
dans les théories institutionnelles appliquées aux organisations
est celle de Scott (2008) pour qui l’institution est une structure
sociale durable composée d’éléments régulateurs, normatifs et
culturels-cognitifs, d’activités sociales et de ressources matérielles.
Elle procure support et légitimité aux organisations qui y sont
encastrées. Comme le résument Martinet et Pecqueux (2013, p.
90), la perspective néo-institutionnelle en sciences de gestion se
situe en contrepoint, d’une part, de l’analyse sociologique des
organisations qui, à l’image de Crozier et Friedberg, privilégie le
pouvoir et les acteurs au détriment des institutions, et d’autre part,
de la sociologie institutionnaliste qui, à l’instar de Meyer et Rowan,
adopte une perspective holiste au détriment des acteurs. On peut
ajouter qu’au contact de l’institutionnalisme/évolutionnisme en
économie, tel qu’exposé précédemment, cette perspective est
susceptible de s’enrichir de la dimension historique qui lui fait
parfois défaut.
Comme l’illustre le chapitre de Fedwa Jebli, Diane-Gabrielle
Tremblay, Jamal El baz, Ilias Majdouline, la recherche collaborative
sur la RSE menée par des économistes et des gestionnaires incite
les collègues en sciences de gestion à accorder une attention plus
systématique à l’évolution du contexte historique et politique du
pays étudié et aux canaux par lesquels ce dernier influence la mise
en place de réseaux nationaux d’acteurs de la RSE. En retour, le
travail avec des sociologues des organisations et des gestionnaires
pousse l’économiste vers des « réalités » organisationnelles
31-Le terme de dialogique, forgé par Edgar Morin, insiste sur la nécessité de penser et
articuler des champs inséparables qui forment un réel indissociable et complexe. Il se
distingue de la dialectique qui cherche à dépasser des contradictions antagoniques.

269
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

lui permettant de mieux cerner les ressorts et les acteurs de


l’institutionnalisation de la RSE.
Cette inflexion thématique n’est pas sans conséquence sur le
plan épistémologique : elle invite le chercheur à clarifier son
positionnement vis-à-vis du réel.
__ le statut de la théorie et du réel : les apports du pragmatisme
En économie, les prémisses du débat contemporain sur le rapport
entre la théorie et le réel remontent à Friedman (1953) et son souhait
de faire de l’économie une science comparable à la physique.
Selon lui, une hypothèse n’a pas vocation à être réaliste dans
l’immédiat. Si ses prévisions ne sont pas contredites, elle est validée.
Elle n’est rejetée que si ses prévisions sont davantage contredites
par l’expérience que les prévisions tirées d’une hypothèse
concurrente. A ce positivisme logique, qui privilégie la rigueur
de la démonstration théorique, s’oppose l’empirisme logique qui
procède d’une généralisation empirique d’observations du terrain
et accorde une importance centrale au réalisme des hypothèses.
Les sciences de gestion sont souvent associées à cette démarche
dans la mesure où leurs « modèles » sont le fruit d’observations et
de collecte de faits (Marchesnay, 2004).
On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de cette opposition
épistémologique, à partir de trois types d’arguments. Le premier,
développé par des historiens et des philosophes des sciences,
souligne le caractère évolutif, non figé, des disciplines et de leurs
soubassements épistémologiques. Ainsi, depuis Friedman jusqu’à
McCloskey, en passant par Popper et Lakatos, le positivisme en
économie générerait-il, en son propre sein, une « évolution
naturelle » vers le relativisme (Parthenay, Thomas-Fogiel, 2005),
favorisant par la même le pont avec les paradigmes constructiviste
et interprétativiste en des sciences de gestion. Le second argument,

270
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

évoqué par des chercheurs ayant une double formation, en gestion


et en économie, invite à replacer le débat au « bon » niveau
épistémologique. Selon Gomez (2004, p. 96), « derrière l’opposition
disciplinaire entre sciences économiques et de gestion, il y a une
opposition idéologique et politique plus radicale entre l’Economie
comme rhétorique politique (…) et les sciences de gestion (mais
aussi les sciences économiques, sociologiques etc.) qui exposent
la diversité complexe des relations sociales ». Dès lors, le dialogue
autour d’objets particuliers de recherche pourrait bien être engagé
par les sciences économiques, la gestion et la sociologie mais pas
par l’Economie vue comme étant située au niveau de l’idéologie
et non à celui des sciences. Enfin, un dernier argument insiste sur
l’importance de la « demande sociale » comme une façon de faire
rentrer le réel dans l’activité de production de connaissances, y
compris dans les recherches qualifiées de fondamentales. Ainsi,
reprenant la distinction aristotélicienne entre doctrine ésotérique
(réservée aux seuls initiés) et doctrine exotérique (comportant les
éléments les plus clairs et les plus intelligibles de la discussion),
Marchesnay (2004) soutient-il que la légitimité de l’économie et
de la gestion en tant que sciences dépendra de leur capacité à
répondre à la demande « sociétale et sociétaire », en devenant
des disciplines exotériques. L’attention prêtée au réalisme des
hypothèses, à la complexité et à la contingence des variables
confèrerait alors à l’économie une place de choix parmi les
Sciences de l’homme et de la société.
En offrant une vision de la connaissance dans laquelle la tâche du
chercheur est plutôt de faire de que de trouver, les pragmatistes
invitent ce dernier à emprunter des voies différentes de celles
des positivistes. Dans le sillage de Peirce, la démarche consiste à
interroger les faits, situés historiquement et culturellement, dans
une recherche d’explications non pas universelles mais transitoires.

271
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

L’analyse des phénomènes sociaux comporte une exigence de


restitution de leur singularité, liée à l’historicité des processus dont
ils sont le résultat, au-delà des catégories génériques employées
pour saisir ces phénomènes conceptuellement. Cela veut dire,
par exemple, que la grille d’analyse conceptuelle de la RSE dans
les pays « du Nord » n’est pas forcément mobilisable en l’état
pour décrypter la RSE dans un pays «du Sud ». En témoigne
l’exemple, présenté par Jihad Ait Soussane et Zahra Mansouri, de
la pratique de l’entrepreneuriat social en Afrique subsaharienne à
travers le suivi des entreprises marocaines implantées dans cette
zone géographique.
S’inscrire dans la tradition pragmatiste signifie in fine prendre ses
distances vis-à-vis du positionnement épistémologique de la vérité
considérée comme absolue et éternelle, et considérer celle-ci à
partir du principe d’adéquation. Une théorie est meilleure qu’une
autre dès lors qu’elle est plus adéquate à une situation donnée
(Girot-Séville et Perret, 2002). Le principe d’adéquation ouvre
donc la voie à une diversité de méthodes, sans légitimation a priori
d’une d’entre elles.
__ Choix méthodologiques
L’épistémologie pragmatiste souligne l’ancrage du processus de
recherche dans un mode d’expérience permettant de transformer
le doute en croyances stables. La méthode abductive occupe
une place centrale dans ce dispositif (Peirce, Hartshorne &
Weiss, 1965). Dans son acception spécifique, la méthode
abductive désigne l’inférence produite par l’esprit pour résoudre
un problème posé. Elle peut provenir d’une expérience passée
mobilisée de façon nouvelle et créative dans l’élaboration
d’hypothèses exploratoires qui seront ensuite mises à l’épreuve
des faits. Dans sa version élargie, l’abduction est une méthode

272
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

scientifique qui articule une séquence d’arguments d’ordre


abductif, déductif et inductif permettant de dépasser l’opposition
classique entre déduction et induction. Dans cet enchaînement,
induction et déduction ne s’opposent pas mais participent
ensemble à la construction de connaissance : la déduction
permet de développer les conséquences expérimentales d’une
hypothèse tandis que l’induction consiste à tester les hypothèses,
non à les découvrir.
L’abduction est une méthode particulièrement adaptée à la
recherche des causes de phénomènes nouveaux et/ou mouvants
pour lesquels il n’existe pas de socle de connaissances stabilisé.
L’émergence et l’institutionnalisation de la RSE dans les pays  du
Sud  (chapitre de Yassine Boudi et Jalila Ait Soudane) constitue un
exemple de tels phénomènes.
L’abduction est différente de la falsification ou de la corroboration,
étudiée par Popper. Elle nécessite de s’extraire de la logique
formelle pour prendre en considération le contexte empirique
dans lequel les faits se déroulent et sont interprétés. Ce faisant, elle
fait avancer les descriptions du monde plutôt que de simplement
confirmer ou falsifier des hypothèses. Elle « s’inscrit dans une
logique de procès et non dans une logique de calcul, elle renvoie
à un contexte et à une culture, à un habitus social » (Catellin,
2004). Le modèle abductif d’apprentissage à partir des données
s’apparente davantage aux méthodes de Sherlock Holmes qu’à
celles des économètres. Le détective utilise de nombreux indices
d’une fiabilité variable, en les pondérant, en les assemblant et en
les comparant, pour raconter une histoire plausible. Les données
analysées ne sont pas nécessairement de nature numérique.
Différentes méthodes qualitatives (étude de cas, analyse textuelle,
narration analytique des faits) s’inscrivent dans cette découverte
processuelle et soulignent l’intérêt de l’échantillonnage théorique

273
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

– plutôt que statistique – de la population étudiée (Eisenhardt,


1989). C’est le cas, par exemple, des chapitres de Sadik et Sanhaji
sur les entreprises de télécom, de Sadik et Bakhella sur l’éducation
à l’environnement et au développement durable comme stratégie
de légitimation des acteurs de la société civile au Maroc, et de
Gagné sur le rôle des syndicats dans la responsabilité sociétale des
organisations au Québec.
En réunissant des chercheurs de différents pays et de différents
champs disciplinaires, cet ouvrage est une invitation à poursuivre
les travaux sur l’objet frontière RSE, dans un contexte où les
crises sanitaires, économiques, sociales et environnementales,
d’une ampleur inédite, rendent urgente la recherche de solutions
interdisciplinaires, tant dans le Nord que dans le Sud.

274
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Bibliographie :
Becker, E. (2012). Social-Ecological Systems as Epistemic Objects,
in Welp M., Glaser M., Krause, G., Ratter B., Human-Nature
Interactions in the Anthropocene: Potentials of Social-Ecological
Systems Analysis, Routledge.
Catellin, S. (2004). L’abduction: une pratique de la découverte
scientifique et littéraire. Hermès, La Revue, 39(2), p. 179-185.
Callon, M. (1986). The Sociology of an Actor-Network: The Case
of the Electric Vehicle. In : Callon M., Law J., Rip A. (eds) Mapping
the Dynamics of Science and Technology. Palgrave Macmillan,
London.
Caillé, A., Chanial, P., Dufoix S. et Vandenberghe F. (dir.) (2018)
Des sciences sociales à la science sociale. Fondements anti-
utilitaristes. Lormont, Ed. Le bord de l’eau.
Eisenhardt, K. M. (1989). Building Theories from Case Study
Research, The Academy of Management Review, 14(4), 532-550.
Friedman, M. (1953). Essays in Positive Economics, Chicago, Univ.
of Chicago Press.
Girot-Séville, M. et Perret, V. (2002). Les critères de validité en
sciences des organisations : les apports du pragmatisme. Ques-
tions de méthodes en sciences de gestion, EMS Management &
Société, p. 315-333.
Godard, O. et Hommel, T. (2005). Les multinationales, un enjeu
stratégique pour l’environnement et le développement durable ?
Revue internationale et stratégique, 60 (4), 101-112.
Gomez, P. Y. (2004). Est-il important que l’Economie et la Gestion
soient qualifiées de sciences ? Économie rurale, n°283-284, p. 92-
97.

275
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Marchesnay, M. (2004). L’Economie et la Gestion sont-elles des


sciences ? Économie rurale. n°283-284, p. 85-91.
Martinet, A-C. etPesqueux, Y. (2013). Epistémologie des sciences
de gestion, Vuibert/FNEGE.
Parthenay, C. , Thomas-Fogiel, I. (2005). Science économique et
philosophie des sciences : la question de l’argument transcendan-
tal. Revue de métaphysique et de morale 47, p. 428-456.
Peirce, C. S., Hartshorne, C. & Weiss, P. (eds) (1965). Collected
Papers of Charles Sanders Peirce.Cambridge : Belknap Press of
Harvard University Press.
Rheinberger, H. J. (1997). Toward a History of Epistemic Things:
Synthesizing Proteins in the Test Tube. Stanford Univ. Press.
Scott, W. R. (2008). Institutions and Organizations: Ideas and
Interests. Thousand Oaks, CA: Sage Publications.
Star, S. L. (2010). Ceci n’est pas un objet-frontière : Réflexions sur
l’origine d’un concept. Revue d’anthropologie des connaissances,
4, 1(1), p. 18-35.
Star, S. L., Griesemer J. (1989). Institutionnal ecology, «Translations»,
and Boundary objects: amateurs and professionals on Berkeley’s
museum of vertrebate zoologie”, Social Studies of Science, 19(3):
p. 387-420.
Trompette, P. et Vinck, D. (2009). Retour sur la notion d’objet-
frontière. Revue d’anthropologie des connaissances, 3, 1(1), 5-27.
Wenger, E. (2000). Communities of Practice and Social Learning
Systems, Organization, 7(2): p. 225-246.

276
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Présentation des contributeurs

Jalila Ait Soudane


Professeure de l’enseignement supérieur en Sciences Économiques
à l’Université Mohammed V de Rabat, Maroc. Elle est la
coordinatrice du Master Management Stratégique des Ressources
Humaines (MSRH) à la FSJES d’Agdal à Rabat. Elle est membre
du  Laboratoire de Recherche en Sciences de Gestion. Son
travail de recherche comprenait des études universitaires, des
présentations dans des colloques nationaux et internationaux et
des recherches scientifiques sur l’économie du travail, la Gestion
des Ressources Humaines, l’innovation et l’entrepreneuriat. Elle
participe activement à des commissions scientifiques et à l’examen
de publications spécialisées. En outre, elle a participé à plusieurs
projets nationaux et internationaux portant particulièrement sur
l’entrepreneuriat et l’employabilité des jeunes. 
 Jihad Ait Soussane
Doctorant en sciences économiques et de gestion à la Faculté
des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, Université
IbnouTofail, Kenitra.
Khadija Askour
Professeure d’Économie et de Management depuis 2009 à
l’Institut Supérieur International de Tourisme de Tanger (ISITT) et
depuis 2008 à la Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et
Sociales de Rabat Agdal. Elle est aussi chercheure au Laboratoire
de recherche LED relevant de l’Université Mohammed V de
Rabat Agdal. Depuis 2016, elle est coordinatrice de la Filière
Marketing Hôtelier et Touristique (MHT) à l’ISITT, et membre
du Conseil d’Administration de l’Association Marocaine de

277
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Sciences Économiques (AMSE) depuis une dizaine d’années.


Elle est également Secrétaire Générale de l’Observatoire des
Transformations Sociales depuis 2017. Ses champs de recherche
et d’intérêt portent notamment sur l’économie sociale et solidaire,
le travail de la femme, l’innovation, l’économie du développement
territorial et l’économie territoriale.
Rachid Bagaoui
Professeur de sociologie à l’Université Laurentienne (Canada).
Il s’intéresse particulièrement à la sociologie du travail et aux
entreprises de l’économie solidaire. Il a également publié des
travaux sur l’immigration et sur la minorité francophone au
Canada. Il est chercheur associé au Centres de recherche sur les
innovations sociales (CRISES) et membre de CIRID et de CRISH.
Widad Jodie Bakhella
Docteur en Sciences de l’éducation, Professeur permanent
de développement durable, de méthodologie de recherche et
de communication, et Coordinatrice pédagogique à l’Institut
Supérieur International de Tourisme de Tanger (ISITT). Membre
du comité de rédaction de l’International Social Sciences and
Management Journal (ISSM). Membre de l’Observatoire des
Transformations Sociales (OTS), et membre de l’Association
Marocaine du Management et du Développement du Capital
Humain. Ses principaux champs de recherche et d’intérêt  sont :
le développement durable, l’éducation à l’environnement et au
développement durable, tourisme et développement durable.
Amel Ben Rhouma
Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université
de Paris, chercheure au Centre de Droit des Affaires et de
Gestion (CEDAG). Ses recherches portent sur la comptabilité de

278
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

développement durable et plus largement sur les stratégies de


responsabilité sociale, de gouvernance et de gestion de la diversité
des entreprises et organisations. Elle est également responsable
de la licence professionnelle métiers du commerce international
parcours management du développement durable (MIADD) et
membre du conseil scientifique local de l’IUT de Paris. Elle était
chargée de mission en reporting RSE auprès de l’ORSE et participe
régulièrement aux sessions de vérification du reporting RSE au
sein du réseau français de l’UN GLOBAL COMPACT.
Yassine Boudi
Enseignant chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales de l’Université Chouaib Doukkali El
Jadida, Maroc. Membre du Laboratoire de Recherche en Gestion,
Économie et Sciences Sociales (LARGESS). Docteur en Sciences
de Gestion à la FSJES, Agdal, UM5 de Rabat. Parmi ses intérêts
scientifiques: GRH, RSE, Management et entrepreneuriat.
Jamal Elbaz
Professeur associé en management à l’Université Ibn Zohr
(Maroc). Ses domaines de recherche couvrent : la gestion durable
de la chaîne d’approvisionnement, la responsabilité sociale des
entreprises, l’entrepreneuriat et la gestion des risques de la chaîne
d’approvisionnement.
Diane Gagné
Elle a un parcours atypique. D’abord, commis au contrôle de la
production à la raffinerie de Pétro-Canada, puis première femme
technicienne en pétrochimie au Québec, elle s’est tournée,
à partir de 2002, vers les études supérieures en obtenant une
licence en gestion (spécialisation en ressources humaines) à
HEC Montréal ainsi qu’une maitrise et un doctorat en relations
industrielles à l’École des relations industrielles de l’Université de
279
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

Montréal. Professeure titulaire à l’École de gestion de l’Université


du Québec à Trois-Rivières, au département de la gestion des
ressources humaines, depuis juin 2011, elle enseigne notamment
les relations de travail, les politiques publiques de l’emploi
et la démarche scientifique. Ses intérêts de recherche portent
notamment sur les rapports collectifs de travail, la discrimination
systémique et la précarité de l’emploi.
Fedwa Jebli
Professeure assistante en management des ressources humaines
à Rabat Business School de l’Université Internationale de Rabat.
Ses domaines de recherche incluent la gestion de la diversité
en entreprises, le management socialement responsable des
ressources humaines, la responsabilité sociale des entreprises et les
dimensions communicationnelles et discursives des organisations.
Petia Koleva
Maîtresse de conférences en sciences économiques, Université
de Paris, membre du Laboratoire Dynamiques sociales et
recomposition des espaces (LADYSS). Ses recherches portent sur
le développement durable et les changements institutionnels et
organisationnels en Afrique du Nord et en Europe de l’Est. Elle a
conduit plusieurs études empiriques sur la responsabilité sociale
des entreprises en France, Tunisie, Bulgarie, etc. et a de nombreuses
publications en français et en anglais sur le sujet. Elle co-dirige
actuellement l’Ecole Universitaire de Recherche Soutenabilité,
Organisations, Modèles économiques et Systèmes (Université de
Paris).
Ilias Majdouline
Professeur assistant en entreprenariat, il occupe également le
rôle du vice-président académique à l’Université Internationale
d’Agadir (Universiapolis). Ses recherches s’intéressent à

280
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

l’entreprenariat social, aux dimensions anthropologiques de


l’entreprise et à l’innovation sociale.
Zahra Mansouri
Enseignante-Chercheur en sciences économiques et de gestion
à la faculté de droit, kenitra. Sa recherche est principalement
axée sur la coopération maroco-subsaharienne en travaillant
sur la multinationalisation des firmes marocaines en Afrique,
la diplomatie économique comme un nouveau modèle de co-
développement, ainsi que les théories de l’investissement direct
étranger. 
Rachid Moustaquim
Docteur en management à l’ESG-Université du Québec à Montréal
où il est chargé de cours de responsabilité sociale de l’entreprise,
de stratégie depuis 2015. Ses intérêts de recherche se situent à
l’intersection du développement durable, de la responsabilité
sociale des entreprises et de la stratégie. 
Youssef Sadik
Professeur de sociologie et de management à l’Université
Mohammed V, Rabat et diplômé de Sciences Po Paris (2000).Il est
le Président de l’Observatoire des Transformations Sociales (OTS)
et de l’Association Marocaine du Management et Développement
du Capital Humain (AMMDECH). Il est également le rédacteur
en chef de International Social Sciences and Management Journal
(ISSM), membre du comité d’experts du Global Knowledge Index
et du Arab Reading Index édités par le PNUD et la Fondation
BEN RACHED Al Makhtoum à Dubai. Parmi ses publications : Les
paradoxes de l’employabilité au Maroc (Paris, 2018), L’Organisation
en mouvement. Fondements et débat théoriques autour de l’action
organisée (Rabat, 2017) et La révolution improbable. Etude des

281
RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

dynamiques protestataires et révolutionnaires dans le monde


arabe (Rabat, 2014).
Meryem Senhaji
Titulaire d’un doctorat en « Management et Responsabilité Socié-
tale des Organisations » de la Faculté des Sciences de l’Education
(FSE) de Rabat. Après une expérience d’enseignement pendant
quelques années à la FSE, à l’Institut National de Statistique et
d’Economie Appliquée (INSEA), elle rejoint le Conseil Supérieur
de l’Education, la Formation et la Recherche Scientifique (CSE-
FRS) en tant que chercheure au Pôle Etudes, Recherches et Ap-
pui aux Instances du Conseil. Elle a publié un certain nombre
d’articles en lien avec la recherche et les pratiques managériales,
la gestion des ressources humaines et la responsabilité sociétale
des entreprises, la communication et le développement durable.
Ses travaux actuels s’articulent autour des axes suivants : la gou-
vernance des systèmes éducatifs, les inégalités territoriales et le
management inclusif, la conduite du changement en milieu édu-
catif, la prise de décision en situation de crise et le management
post-pandémie.
Abdellatif Tahir
Professeur assistant à l’Ecole Supérieure de Technologie d’Agadir
(ESTA), Université Ibn Zohr -Agadir, Département des techniques
de management. Ses intérêts scientifiques portent sur l’ESS, le
management stratégique et GRH.
Diane-Gabrielle Tremblay
Professeure en gestion des ressources humaines à l’Université
Téluq, de l’Université du Québec et auteure d’un site web sur le
télétravail (https://teletravail.teluq.ca/ ) ainsi que de deux CLOM
(MOOC) sur la conciliation emploi-famille et vie personnelle

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RSE et développement durable: Regards croisés Sud-Nord

(https://www.teluq.ca/site/etudes/clom/conciliation-emploi-
famille. php ; https://clom-ctef.teluq.ca/ ). Elle est directrice
de l’ARUC sur la gestion des âges et des temps sociaux (www.
teluq.ca/aruc-gats ) et a été titulaire de la Chaire de recherche du
Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du
savoir (www.teluq.ca/chaireecosavoir) de 2002 à 2016.

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