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Le Fouta-Djalon (République de Guinée) dispose d’une image forte digne d’une image
d’Epinal. Il est le “ château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ” dégradé et menacé par des
pratiques agropastorales prédatrices. Nous identifierons et caractériserons tout d’abord
les représentations usuelles qui le fondent ce discours “ officiel ”. Puis l’analyse de deux
campagnes du Fouta-Djalon nous permettra de nuancer cette image et d’en montrer les
limites, en tant qu’état de référence. Enfin nous dégagerons les dynamiques sociales et
environnementales actuelles qui animent le Fouta - Djalon et engagent à reconsidérer les
fondements mêmes de ses représentations
II. MOUVEMENT MIGRATOIRE DES PEULS
Les Français disent le « peul » ou « poular » pour désigner ce groupe humain qui se
désigne lui-même par « pullo » au singulier et « fulbhè » au pluriel et ils disent parler du
« pular ». Il semblerait que le mot « peul » leur aurait été attribué par les Wolof avant
d’être repris par les français.
Il n’y a pas de consensus entre les chercheurs sur la date exacte de la première
migration des Peuls au Foutah Djalon. Les documents historiques disponibles notent
deux vagues migratoires de Peul en Guinée. Ces deux vagues sont venues en des périodes
éloignées les unes des autres dans le temps et à plusieurs endroits.
Les premiers Peul non islamisés nommés puuli [29] auraient migré sur le territoire actuel
de la Guinée en de petites vagues à partir du IX ème siècle. DIALLO (1975 : 30) affirme
que c’est vers le XIIIème siècle que la migration des Peuls animistes prendra de l’ampleur
pour devenir massive autour du XIVème siècle. Du Sahara, ils auraient atteint le
Bambouk à partir duquel le groupe se scinde en deux : les premiers se dirigèrent vers le
Ouassoulou et les seconds longèrent les vallées du Tinkisso et du Bafing pour atteindre le
Foutah Djalon.
Pour certains historiens comme ES SADI, dans son « Tarrech es sudan », Tenguella,
père de Koli, avait rallié à son bord les « arbe » (pluriel de ardo) « feroobe, wolarbe et
uururbe et tous les yaalalbe » (pluriel de jaalaalo) de son clan pour se tailler un empire
dans le Kingi (le Fuuta Kingi) au nez et à la barbe des Askia Sonray. L’armée de
l’Askia, commandée par, son frère Amar, marcha contre Tenguela le père et le
poursuivit jusqu’à Diâra, où elle le défit et le tua en 1512. C’est après la mort de son
père que Koli Tenguela[30] va récupérer les troupes qui restaient de son père pour
rappliquer à l’Ouest au Tekrur, en passant par le Foutah Djalon. Dans cette contrée, il
va mettre en place un Etat avec une capitale située dans l’actuelle préfecture de
Télimélé. C’est de là qu’il va lever une armée et remonter vers l’Ouest entrainant avec
lui une armée dans laquelle étaient incorporés des Dialonké, des Malinké, des Köniagui,
des Baga, des Nalou, des Diola, des Serère, bref tous les peuples trouvés sur le chemin du
Tekrur qu’il rebaptisera du nom de « Foutah Tooro »[31]. Le territoire de Tekrur qu’il
annexa, il lui donna le nom de Fouta en souvenir du Fuuta Kingi de son père et auquel il
adjoignit Tooro, une des provinces du Fouta (KANE, 2004).
Cette remontée et la prise du pouvoir dans le Tekrur en 1552 aura pour conséquence
d’imposer sa dynastie (Denyankobé[32]), sa langue (le pular) et la culture Peul à toutes les
populations du Royaume. Ce serait ainsi que toute la région du Fouta Tooro devenue
majoritairement « foulaphone » Halpulaar’en (ceux dont la langue est le Pular avec une
forte dominance Toucouleur).
Plusieurs siècles plus tard (XIX ème siècle), El hadj Omar TALL fera le même chemin,
mais en sens inverse. Du Foutah Tooro, il descendra au Foutah Djalon, traversera
Dinguiraye pour remonter vers le Fouta Kingi pour affronter Hamadou-HAMADOU, et
le tuer en 1862, le fils de Sékou HAMADOU et petit-fils de Sékou HAMADOU
fondateur de la dynastie des BARRY du MASSINA.
Selon le professeur KANE (2004), auteur du livre : « La première hégémonie Peule : Le
Fuuta Tooro de Koli Tenguella à Almaami Abdul », l’assimilation Peul des ethnies du
Tekrur aurait commencé avant l’avènement de Koly Tenguela, mais atteindra son point
culminant et la plus parfaite intégration ou la « foulanisation » des descendants de la
tribu du Tekruri, que sont les Toucouleur (Ly, Sy, Kane, Wane, Tall, Aw, etc.).
La seconde vague migratoire des Peuls en direction du territoire actuel de la Guinée est
celle de la fin du XVI ème siècle jusqu’au XVIIIème siècle. Païens, puis islamisés, des Peuls
et des Toucouleurs quittent les territoires actuels du Mali, du Sénégal et de la
Mauritanie à des périodes de désordre, de guerres avec désormais une nouvelle foi :
l’Islam.
Les Peulhs musulmans du Foutah Djalon auraient donc suivi deux voies principales et
ce, à des périodes plus ou moins différentes pour arriver, s’installer et se sédentariser et
fonder l’Etat théocratique du Foutah Djalon: La voie du Nord venant du Fouta Tooro et
du Bundu (essentiellement) et la voie de l’Est venant principalement du Macina.
Ils arrivèrent par groupes et par étapes, les uns passant par les contreforts des
montagnes de la Préfecture de Mali, les autres en traversant la Préfecture de Koundara
avant de rejoindre les montagnes qui surplombent le fleuve Komba en direction de
Lélouma et de Labé et par l’Est en pénétrant dans le Dinguiraye pour rejoindre les
vallées de Mamou. Ils vont se fixer en plusieurs points du Foutah Djalon poussant
devant eux leurs nombreux troupeaux de bœufs et de talibé (élèves et étudiants). Ils s’y
fixaient à leur tour en faisant ce que d’autres avaient fait avant eux : refouler certains et
absorber d’autres.
Selon Cheick Sidy Mohamed DIALLO (1970)[33], ces différentes vagues migratoires se
faisaient en famille et en clan. De l’Est, principalement du Macina vont arriver les
Dayèbhè[34] (BARRY) qui vont s’installer en lignage : les Seydiyanke à Timbo
(Préfecture de Mamou) et les Seriyankebhè à Fougoumba (Préfecture de Mamou). Les
Férobhè (SOW) vont s’installer dans Kébali non loin de Fougoumba et de Timbo.
Certaines de ces vagues se seraient installées elles dans l’actuelle préfecture de Tougué
(ce sont les Koulounnanké Balla et Simpé). Les Ururbhè vont s’installer dans deux
endroits différents en fonction des clans : les Koulounnabhe à Koïn (Préfecture de
Tougué) et les Helâyâbhe à Timbi-Touni (Préfecture de Dalaba).
Les Irlabhé (DIALLO) et une partie des Ururbhé, quant à eux sont arrivés par le nord.
Les DIALLO vont se repartir en lignage. Les Khaldouyabhè vont occuper région du
Nord de Labé, un autre lignage « Diâlobhe » va s’installer dans le Kolladhe (Préfecture
de Tougué), Kankalabé (Préfecture de Dalaba) et Timbi-Madina (Préfecture de Pita) et
un troisième lignage « Thimbobhè » va s’installer dans Bhouria (Préfecture de Mamou).
Parmi cette vague, d’autres, après avoir séjourné dans le Foutah Djalon, l’ont quitté
pour continuer leur chemin vers d’autres localités et dans d’autres pays de l’Afrique de
l’Ouest. C’est le cas des Peuls du Nigéria dont certains seraient partis de Sokoto dans la
Préfecture de Mamou pour se retrouver après une très longue migration dans l’actuelle
République Fédérale du Nigéria.
Les origines de l'ethnie peulh demeurent peu claires, mais certains indices portent à
croire que les Peulhs sont un peuple du Moyen-Orient qui s'est installé avant le xie siècle
au Sénégal, où il a adopté un des parlers locaux (ibid.; Encyclopaedia Britannica s.d.d.;
Johnston 1967, ch. 2). Par la suite, les Peulhs se sont installés dans la région du Fouta-
Djalon entre le xvie siècle et le xviiie siècle (Université Laval 2001; Atlas
Universalis 2000) et y ont instauré régime féodal axé sur l'idéologie islamique (ibid.). Au
xviiie siècle, les Peulhs du Fouta-Djalon ont entrepris une série de guerres saintes (jihad)
pour convertir les autres peuples à l'islam (Mondes en développement 1989, 156; Atlas
Universalis 2000; Johnston 1967, ch. 2). On dit même que les Peulhs seraient à l'origine
de l'islamisation d'une grande partie de l'Afrique de l'Ouest (University of Iowa 1998).
Les Peulhs ont établi un vaste empire et auraient réduits en esclavage tous ceux qui ne
voulaient pas se convertir à l'islam (Mondes en développement 1989). Cet empire a duré
jusqu'à la fin du xixe siècle, soit jusqu'à ce que la France prenne le contrôle du territoire
peulh (Encyclopaedia Britannica s.d.b.; Atlas Universalis 2000).
Pour ce qui est de l'apparence physique des Peulhs, l'Encyclopaedia Britannica précise
que [traduction] « l'incidence de traits physiques non négroïdes est beaucoup plus élevée
chez les pastoralistes », c.-à-d. Chez les Peulhs non sédentarisés (s.d.a.). Dans un ouvrage
publié en 1967, H.A.S. Johnston affirme que les Peulhs ont typiquement [traduction] «
un teint cuivré, des cheveux peu crépus, un nez étroit, des lèvres minces et un corps
mince mais musclé ».
Un professeur d'histoire qui est également doyen du Honors Collège de l'Université of
Illinois à Chicago a quant à lui affirmé que
D'une certaine façon, un bon observateur peut « reconnaître » un Peul par ses traits
phénotypiques. Cependant, le même observateur peut aisément errer en la matière
puisque tous les Peuls, y compris ceux d'origine aristocratique, ne sont pas de teint clair.
En outre, des non-Peuls possèdent des traits phénotypiques supposés caractériser
l'ethnie peule. Ce qui distingue les Guinéens les uns des autres, surtout maintenant après
des [décennies] de brassage, se rattache principalement aux noms patronymiques. Il y a
des noms essentiellement propres aux Peuls de la Moyenne-Guinée ... (6 juin 2001).
Le Fouta Djallon est une région entièrement dominée, d’une part, par des massifs
montagneux – dont le sommet culminant est de 1515 mètres – avec de hauts plateaux et,
d’autre part, par des étendues de surfaces latéritiques. Avec son relief montagneux, le
Fouta est une région dont le couvert végétal est formé de savanes arborées sur les
plateaux, qui alternent avec des îlots forestiers sur les montagnes et des forêts galeries le
long des cours d’eau. L’effet conjugué du relief et du climat confère à cette région de la
Guinée le statut de château d’eau de l’Afrique Occidentale. Cette dénomination lui est
attribuée à cause de la multiplicité des cours d’eau qui prennent leur source dans les
dépressions de ses chaînes de montagnes. La multiplicité de ces cours d’eau et l’étendue
de riches pâturages étaient susceptibles d’attirer la population peule. Ce peuple
d’éleveurs nomades trouva dans cette région du Fouta, particulièrement arrosée par des
cours d’eau, des motifs sûrs pour se sédentariser.
L’incursion des Peuls au Fouta Djallon remonte vraisemblablement entre les XVII ème et
XVIIIème siècles. Arrivés par vagues successives, les Peuls s’installèrent dans la région en
livrant la guerre aux Diallonké. Toutefois, l’occupation des hauts plateaux par les
éleveurs Peuls s’inscrit dans la dynamique d’un vaste mouvement de population qui
débuta au xvème siècle. Ces mouvements migratoires résultent d’une poussée du Nord
vers le Sud. Les historiens rapportent qu’à partir du XV ème siècle la chute des grands
empires de l’Afrique Occidentale modela la composition de la population guinéenne.
Sous la direction d’un chef migrateur, Koly Tenguela, plusieurs vagues de populations
essaimèrent du nord – Soudan, actuelle République du Mali – vers le sud (Guinée). C’est
pourquoi les premiers occupants du Fouta Djallon furent, d’abord, les Baga que les
Diallonké refoulèrent vers la côte, avant de s’établir sur les hauts plateaux. Selon Odile
Goerg (1986 : 19)
L’hégémonie peule dans la région du Fouta Djallon fut marquée par la naissance et la
consolidation d’un Etat qui repose sur la foi musulmane. L’épanouissement de cet
empire favorisa également le développement de centres culturels qui propagèrent
l’Islam en Guinée et dans les pays voisins. Ces grandes écoles formèrent une élite
intellectuelle rompue à la récitation de cantiques religieux, à la lecture de versets
coraniques et à l’écriture en arabe. Elles rivalisèrent d’ardeur dans l’œuvre de création
littéraire. C’est dans cet environnement socioculturel que naquit et se développa,
parallèlement aux habitudes oratoires de la poésie incantatoire, une littérature écrite en
caractères arabes : l’ajami. Certains auteurs qualifient cette poétique d’Islam
noir, tandis que d’autres l’appelle tout simplement littérature arabo-islamique
d’expression peule. Quelle que soit la terminologie utilisée, l’essentiel consiste à
considérer qu’avec le contact de civilisations entre le monde arabe et l’Afrique noire une
littérature écrite a vu le jour.
1- diiwè (diiwal au singulier) :
2- Timbo (la capitale politico-administrative),
3- Timbi
4- ɓuriya
5- Labè
6- Fugumba (la capitale religieuse)
7- Koyin
8- Kollaaɗè
9- Kèbaali
Fodè Hajji. Abordant cette page de l’histoire du Fouta Djallon, Suret-Canale (1970 : 31)
note
C’est dans la première moitié du xviii ème siècle que commença la guerre sainte qui devait
aboutir à la formation d’un Etat théocratique, fondé sur l’islam, aux structures sociales
fortement hiérarchisées : Fouta Djallon .
De l’avis de cet auteur, cette guerre, présentée de manière simpliste, s’est poursuivie
plusieurs années de suite dans le but de pacifier les poches de résistance.Chaque
province, citée précédemment, est dirigée par une lignée familiale. Les diiwè regroupent
sous leur autorité les villages et hameaux. Ainsi se forme de la base au sommet une
aristocratie guerrière et maraboutique qui se consacre aux métiers des armes et se
réserve exclusivement le droit exclusif d’exercer le pouvoir politique et spirituel.
Fortement hiérarchisée, la société était subdivisée en différentes classes. Au sommet de
la pyramide se situe l’aristocratie composée de quatre lignées patrilinéaires qui
correspond chacune à l’un des quatre patronymes peuls : Uruɓɓè (Uruuro au singulier)
ou Bah, Jallooɓè ou Diallo, Dayèèɓè (dayèèjo au singulier) ou Barry, Fèroɓɓè (pèrèèjo
au singulier) ou Sow. Cette aristocratie qui se réservait l’exclusivité de l’exercice du
pouvoir politico-administratif et spirituel, était structurée de la manière suivante.
Les rimɓè ou hommes libres viennent après les couches privilégiées. Il s’agit de tous les
peuls qui n’appartiennent pas aux lignées exerçant directement le pouvoir par droit
héréditaire. Appartiennent aussi à cette catégorie les Maninka et les Diakanké islamisés,
qu’on appelle aussi soninké. Ils sont venus de Diakaba, une des régions de la République
du Mali.
Au bas de l’échelle sociale se trouvent les haaɓè ou captifs sur qui reposent l’essentiel de
la production sociale, du travail manuel et de la vie domestique. Les captifs se
subdivisent en deux catégories. Les captifs domestiques ou de case sont les descendants
des premiers habitants du Fouta vaincus, qu’on désigne sous le nom de ndimaaɓè ; ils
vivent dans la concession de leur maître et sont commis à tous les travaux domestiques.
Les captifs des champs, achetés ou capturés au cours de razzias exécutaient des travaux
durs, notamment la construction des clôtures, le labour des champs, l’entretien des
cultures et la récolte des céréales : ils pouvaient être échangés ou vendus ; ils vivaient
dans des hameaux de culture ou rundè sous l’autorité d’un Manga ou d’un Satigi.
VI. Le Djihad Peul Contre Les Animistes
Conclusion
Je viens de survoler dans ses grandes lignes les modes d’expressions poétique et
rhétorique en milieu peul du Fouta Djallon. Quoique schématique, cette présentation
permet de comprendre que, dans les sociétés africaines, l’expression de la pensée et des
sentiments emprunte des canaux variés. Cette variété des usages dans l’expression
littéraire bouscule, sans aucun doute, le clivage oral vs écrit, derrière lequel se cache la
tendance rétrograde à accorder le statut exclusif de production littéraire aux seules
œuvres écrites. La production poétique, comme je viens de le montrer, en ce qui
concerne le Fouta Djallon, est d’une grande richesse. Elle est l’œuvre de poètes
appartenant à toutes les catégories sociales. Des lettrés d’une grande notoriété ont fait
valoir leur talent, tout comme de modestes amateurs ont tenté.
out ce qui précède, on peut déduire que même si la poésie religieuse a connu un
développement spectaculaire grâce à l’écriture, elle est avant tout d’expression orale
parce qu’elle est destinée à être chantée. Cantiques religieux ou poésie populaire, quel
que soit son mode d’expression et quel que soit son genre, la poétique peule du Fouta
Djallon - et d’ailleurs - est le signe de la vitalité, de la variété et de la richesse du
patrimoine culturel d’un peuple.
Bibliographie