Pianiste 119 Novembre - Decembre 2019

BELGIQUE, GRÈCE : 9,20 €, PORT CONT.
, ITALIE, LUX : 9,90 € - CANADA : 12,50 $CAN - DOM : 9,20 € - NOUVELLE-CALÉDONIE : 1 150 XPF - POLYNÉSIE : 1 300 XPF - SUISSE : 15,10 CHF
BELGIQUE, GRÈCE : 9,20 €, PORT CONT., ITALIE, LUX : 9,90 € - CANADA : 12,50 $CAN - DOM : 9,20 € - NOUVELLE-CALÉDONIE : 1 150 XPF - POLYNÉSIE : 1 300 XPF - SUISSE : 15,10 CHF
PIANISTE N°119
la tête
GRAND
D’UNE
ENTRETIEN
Beatrice Rana
David Kadouch
LE TEMPS
MASTERCLASSE
nous fait tourner
Viennoise, brillante
VALSE
ou sensuelle, la valse
JOUER, PROGRESSER & SE FAIRE PLAISIR !
…
CHOPIN
Novembre-décembre 2019
DEBUSSY
LES BELLES
OFFENBACH
www.pianiste.fr
AMÉRICAINES
VALSE OP. 64 N° 2
LA PLUS QUE LENTE
32 PAGES DE
PARTITIONS
L 19131 - 119 - F: 8,90 € - RD
L 19131 - 119 - F: 8,90 € - RD

ÉDITO
Pianiste est une
publication bimestrielle
Pianiste
SOCIÉTÉ ÉDITRICE
EMC2 – SAS au capital
de 600 000 euros
18, rue du Faubourg-
du-Temple, 75011 Paris
Tél : 01 47 00 49 49
RCS 832 332 399 Paris
DIRECTION
Président et directeur
de la publication
Jean-Jacques Augier
Directeur général
Stéphane Chabenat
Adjointe
Sophie Guérouazel
RÉDACTION
Rédactrice en chef
Elsa Fottorino
Secrétaire de rédaction
Vanessa François
Spirale de toutes
Directrice artistique
Isabelle Gelbwachs
Rédactrice-graphiste
Sarah Allien
Iconographe
Cyrille Derouineau
les passions
Illustrations de couverture
V. Kachaev / Shutterstock
Illustrations Éric Heliot
Portraits Stéphane Manel
ONT COLLABORÉ
À CE NUMÉRO
A. Cochard, A. Giger, N. Haeri,
R
L. Heliot, J.-C. Hoffelé, arement une danse aura été si amour perdu. La (lascive) plus que lente de
J.-P. Jackson, D. Kadouch, ambiguë. La valse, qui fait tourner Debussy (p. 57) suggère, sur un ton parfois
M. Khong, P. Lay, A. Lompech, les têtes depuis près de deux cent légèrement parodique, d’autres horizons,
L. Mézan, P. Montag, D. Poncet,
J.-M. Molkhou, A. Sorel, cinquante ans, associe l’intime et tandis que La Valse op. 38 de Scriabine (p. 53)
P. Venturini, S. Zaoui. le public dans un subtil mélange de nous mène aux confins de l’extase. Mais pour
Publicité et développement
commercial représentation sociale, de pudeur et de sen- interpréter ces partitions comme il se doit,
imarnier@classica.fr sualité. Une duplicité que décrit si bien Lord c’est peut-être de La Valse de Camille Claudel,
01 47 00 75 64 Byron dans La Valse : « …la Valse me dit tout sculpture dans laquelle elle porte cette danse
ABONNEMENTS bas : mes pas légers ne s’exécutent jamais à son apogée, dont il faut s’imprégner. Loin
Service abonnements
4, rue de Mouchy, mieux que dans l’ombre ! Mais ici la muse de la bienséance évoquée par Byron, ce
60438 Noailles Cedex s’arrête par bienséance et prête à la Valse son bronze représente un couple de danseurs aux
Tél. : 01 70 37 31 54
abonnements@pianiste.fr jupon le plus ample. » Tourbillon de légèreté, corps dangereusement penchés, chavirés,
Tarifs abonnements pour certains, spirale de l’angoisse pour mouvants, émouvants. La femme, vêtue
France métropolitaine d’autres (lisez notamment l’extrait de La Pitié d’une longue robe éperdue, est entraînée vers
39 euros - 1 an (soit 6 nos + 6 CD);
59 euros (soit 10 nos + 10 CD) dangereuse de Zweig publié en dernière une chute vertigineuse. L’homme, lui, est nu.
Vente au numéro page), elle inspire à Baudelaire une funeste Le reste est à inventer. Vestige d’un amour
À juste Titres
Tél. : 04 88 15 12 41 mélancolie : « Chaque fleur s’évapore ainsi défunt, ivresse, passion, désespoir, folie ? La
www.direct-editeurs.fr qu’un encensoir ; le violon frémit comme un famille de son premier propriétaire, Joseph
PRÉPRESSE cœur qu’on afflige ; valse mélancolique et lan- Allioli, qui la trouvait trop inconvenante à son
Key Graphic goureux vertige ! », écrit le poète. Ces vers goût, l’a longtemps remisée au placard. Et vous,
IMPRIMERIE pourraient illustrer à merveille la Valse op. 64 oserez-vous la valse ? ■
Roularta Printing
Imprimé en Belgique n° 2 de Chopin (p. 51), réminiscence d’un Elsa Fottorino, rédactrice en chef
DISTRIBUTION MLP
Diffusion en Belgique :
AMP, rue de la Petite-Île,
1 B-1070 Bruxelles
Tél. : + 32(0)252 514 11
E-mail : info@ampnet.be
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PARITAIRE : 0323 K 80147
N° ISSN : 1627-0452
DÉPÔT LÉGAL : 3e TRIM. 2019 Retrouvez tous nos numéros et nos offres
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PIANISTE ❘ novembre-décembre 2019 ❘ 3

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SOMMAIRE
MAGAZINE
3 Édito
30 6
8
En bref Actus, chiffres…
Hommage Paul Badura-Skoda
10 Demandez le programme
L’essentiel des spectacles et festivals
12 L’abécédaire de Jean-Frédéric
Neuburger
14 Tour de France du piano
16 Pogorelich : pour ou contre ?
18 Jazz : interview de Jacky Terrasson
20 Science : pourquoi la musique
nous fait du bien ?
22 À huis clos avec Negar
Elliot Jenicot
24 Jeune talent Guillaume Bellom
26 Reportages
28 Vente Cortot chez Christie’s
30 Le grand entretien Beatrice Rana
36 Vie de légende Annie Fischer
N. BETS
EN COUVERTURE
40 Histoire de la valse
PÉDAGOGIE
44 44 Entrez dans la valse !
46 La leçon et l’échauffement
d’Alexandre Sorel
50 La masterclasse
de David Kadouch
54 Les conseils
de Simon Zaoui
Pédagogie 58 Le jazz de Paul Lay
ENTREZ DANS SUIVEZ LE GUIDE !

62 Pianos à la loupe
LA VALSE! Les pianos de… Gaspard Dehaene

SDP
64 Silence, ça joue ! Le point sur,

les sytèmes silencieux pour piano
18 68 Notre sélection
CD, livres, partitions
72 Mots fléchés
73 Courrier des lecteurs
74 Le clavier des écrivains
Stefan Zweig
LE CAHIER
DE PARTITIONS
32 PAGES DE VALSES
AVEC LES DOIGTÉS
40 ET LES RECOMMANDATIONS
DE DAVID KADOUCH
RUE DES ARCHIVES
16 ET SIMON ZAOUI,
SANS OUBLIER LE JAZZ
SONY
DE PAUL LAY
En
Promenade
SDP
parisienne
Impromptu solennel
SDP
pour
e pianiste et chef d’or- sis par la famille du défunt, été décoré en 2007 à Berlin
Yehudi L chestre Daniel Barenboim
a interprété une partition
l’intervention du musicien
a répondu à une demande
par Jacques Chirac pour son
engagement en faveur de
Menuhin de Schubert aux obsèques du
président Jacques Chirac le
personnelle d’Emmanuel
Macron. Les 1 900 invités ont
la paix au Proche-Orient,
notamment avec la création
➜ La Ville de Paris a 30 septembre dernier à Saint- donc pu entendre l’Impromptu de l’orchestre symphonique
inauguré le 1er octobre la Sulpice. Tandis que les textes n° 2 D. 935 de Schubert sous israélo-arabe le West-Eastern
promenade Yehudi Menuhin, et la musique ont été choi- les doigts du pianiste qui avait Divan Orchestra. ■
73
une contre-allée bornée par
la place Fontenoy-Unesco
d’un côté et l’avenue de millions
Suffren de l’autre. Un lieu d’euros.
symbolique, puisque le C’est le chiffre
violoniste a présidé de annoncé le
1969 à 1975 le Conseil 27 septembre
international de la musique dernier par Franck Riester,
de l’Unesco – dont le siège évoquant la hausse du
MILLOT/ BORGGREVE
domine les lieux–, et une budget de la culture en

date riche de sens, depuis 2020, pour un total de
qu’elle a été décrétée 8,2 milliards d’euros.
journée mondiale de la Si la priorité est faite
musique en 1975 sous au patrimoine – avec
l’impulsion du musicien 7 millions d’euros affectés
qui « reste à ce jour l’un des
plus grands virtuoses du
MOISSON FRANÇAISE à la restauration des
monuments historiques
monde et fut connu pour ses
engagements en faveur de AUX GRAMOPHONE –, le ministre a manifesté
le « choix clair, net,
la paix, de la pédagogie et d’accompagner la musique
de l’ouverture aux autres », es musiciens français se dis- vocal pour leur Abendmusiken qui bien souvent a eu
selon les termes de la maire
de Paris, Anne Hidalgo. ■ L tinguent une fois encore
aux Gramophone Classical
Music Awards 2019. Tandis que
de Buxtehude (Alpha). Dans la
catégorie opéra, Hervé Niquet
a été salué pour La Reine de
le sentiment, et à juste
titre, qu’elle était un petit
peu le parent pauvre des
le prix du meilleur enregistre- Chypre (Bru Zane), et Ombra politiques culturelles ».
ment de musique de chambre mai fu de Philippe Jaroussky En lumière : la création
revient au disque « Debussy Les (Erato) obtient le prix du du Centre national de
Trois Sonates et autres pièces meilleur récital. La catégo- la musique qui donnera
tardives » auquel a participé le rie concerto consacre enfin lieu à une mobilisation
pianiste Tanguy de Williencourt Bertrand Chamayou pour ses supplémentaire de
(Harmonia Mundi), le clave- Concertos n° 2 et 5 de Saint- 7,5 millions en faveur du
ciniste Olivier Fortin et son Saëns, enregistrés avec l’Or- financement des différents
ensemble Masques sont lauréats chestre national de France et labels et ensembles
SDP
dans la catégorie enregistrement son chef, Emmanuel Krivine. ■ musicaux. ■
6 ❘ PIANISTE ❘ novembre-décembre 2019

Danser
sans polluer
➜ Engagé dans une
démarche écologique, le
danseur et chorégraphe
SDP
Jérôme Bel a fait savoir
qu’il s’interdira à l’avenir boycotterait désormais les
tout déplacement en avion spectacles de compagnies
pour ses tournées. Plus qui ne s’engagent pas assez
BERTAZZI/SDP
encore, il a déclaré qu’il écologiquement. ■
Radiohead connaît
LARS VOGT, NOUVELLE ses classiques
BAGUETTE PARISIENNNE ➜ Le guitariste du groupe de rock
Radiohead, Jonny Greenwood, vient
e nouveau dire c teur un vote consultatif des musi- d’annoncer la création de son label de
L musical de l’Orchestre
de chambre de Par is
est pianiste. L’Allemand
ciens de l’orchestre « le plus
jeune de Paris », revendique
la phalange dans son com-
musique classique et contemporaine,
Octatonic Records, destiné à mettre
en avant les « musiciens remarquables »
de 49 ans nommé pour un muniqué : elle a en effet qu’il a rencontrés lors de ses enregistrements
mandat de trois ans succède renouvelé 44 % des pupitres de musique de film. Deux albums sont
à Douglas Boyd qui était en au cours des cinq dernières d’ores et déjà disponibles. ■
SDP
poste depuis 2015. Lars Vogt, années. On attend à présent
également directeur du Royal de connaître le successeur de
Nothern Sinfonia en Grande- Daniel Harding à la tête de
Bretagne, a été désigné par l’Orchestre de Paris ! ■
SDP
Les Kanneh-Mason,
une famille en or
➜ Internationalement remarqué lors du mariage de Meghan
Markle et du prince Harry en 2018, le violoncelliste anglais à la
carrière fulgurante, Sheku Kanneh-Mason, s’est dévoilé dans le
quotidien britannique Telegraph, entouré de ses parents et de
ses six frères et sœurs, tous musiciens. Véritable phénomène,
la fratrie aux allures de famille von Trapp avait fait en 2015 un
passage remarqué au concours télévisé Britain’s Got Talent. ■

HOMMAGE
SON MONDE D’HIER

L
’annonce de sa mort entre pensée et son. Badura-
quelques jours avant Skoda montrera – mieux,
qu’elle ne survienne prouvera – qu’en revenant aux
vraiment, le 25 sep- claviers et au corps sonore des
tembre, n’aura été que la répé- instruments originels la main et
tition générale applaudie à tout l’oreille du pianiste retrouvaient
rompre par les mélomanes et comme par magie le chemin
les musiciens de la sortie de vers une vérité irréfragable des
scène de Paul Badura-Skoda, sonates de Mozart, de Schubert
pianiste, collectionneur d’ins- ou de Beethoven.
truments, écrivain et professeur. Ces intégrales furent enre-
Né un 6 octobre 1927, à Vienne, gistrées sur quelques-uns des
Paul Badura-Skoda était un pur pianoforte de la grande col-
produit de la ville de Mozart, lection qu’il entretenait. Car
Beethoven, Schubert et Brahms Badura-Skoda était aussi un
qu’il a tant joués, mais le musi- artiste à la Harnoncourt, inter-
cien avait su en fuir l’acadé- rogeant inlassablement textes
misme satisfait en se tournant et facture instrumentale, styles
vers Edwin Fischer – disciple, et techniques de jeu en faisant
comme Claudio Arrau, de des allers-retours permanents
Martin Krause qui avait été et naturels entre instruments
l’un de ceux qui tinrent les cor- d’hier et d’aujourd’hui, pour
dons du poêle lors des funé- vérifier, expérimenter avec une
railles de Liszt –, et vers Eva largeur d’esprit qui lui était
qu’il épousera en 1951 et qui propre et dont on ne peut pas
lui ouvrira en grand les portes dire que le milieu de la musique
de cette musicologie appliquée ancienne lui ait manifesté pour
qui repousse la fiction des tra-
MILLOT
cela une admiration notable.

ditions d’interprétation et des La démarche de Badura-Skoda
écoles pour expérimenter ses ne lui attachait aucun sectateur,
travaux. LE PIANISTE PAUL BADURA-SKODA EST car il n’était ni dogmatique ni
Comme ses amis Jorg Demus, chef de file, mais des étudiants
Friedrich Gulda et Alfred MORT LE 25 SEPTEMBRE DANS SA chez lesquels le maître souriant
Brendel, Badura-Skoda saura VIENNE NATALE. CE GRAND INTERPRÈTE et ferme savait déceler ou ravi-
s’évader du provincialisme aca- ver le feu sacré… quand bien
démique qui s’était abattu sur FUT AUSSI UN REMARQUABLE même ils jouaient ces pianos
l’Autriche des années 1930 et PÉDAGOGUE ET UN COLLECTIONNEUR modernes que lui-même jouait
1940 – Brendel a eu des mots toujours avec gourmandise, et
très durs contre l’enseigne- PASSIONNÉ D’INSTRUMENTS D’ÉPOQUE. étaient bien différents de l’idée
ment officiel de la musique à que l’on se faisait de lui. Qui
Vienne après guerre – pour se musical et l’hypocrisie d’un romantique, comme Hermann était-il ? Badura-Skoda nous a
tourner vers Alfred Cortot. Les pays dont il était paradoxale- Scherchen l’expérimentateur révélé chez Gramola, en 2017,
trois mousquetaires du piano ment l’un des étendards, à la ou Karajan le perfectionniste une Sonate de Liszt captée en
viennois admiraient éperdu- manière de Thomas Bernhard, –, enregistrera pour des éditeurs public en 1965 au Carnegie
ment le jeu et l’universalisme Badura-Skoda fera mine de auquel il confiera des pépites Hall, lors d’un récital impro-
artistique de leur aîné fondé s’y conformer avec ce sourire sans jamais trouver celui qui visé en une semaine pour bien
sur l’étude des manuscrits et et cette exquise politesse vien- le comprendrait vraiment. montrer au critique du New
l’analyse des partitions, de leurs noise impénétrables à qui n’en Jusqu’à l’aventure française York Times qui l’avait étrillé
structures harmonique, ryth- maîtrise pas les codes. Très tôt d’Astrée qui nous vaudra des quelques jours auparavant qu’il
mique et formelle magnifiées confronté à la vie musicale intégrales admirables et, plus n’était pas un jeune homme
par la spontanéité du récital internationale, Badura-Skoda encore, révolutionnaires par la timoré venu de Vienne, mais
public où fusionne intellect et aura un début de carrière fulgu- conscience qu’elles ont porté un pianiste tout droit sorti des
improvisation. Mais si Gulda rant. Il se produira avec les plus au plus haut du rapport entre chimères du romantisme. ■
avait dynamité le conformisme grands chefs – Furtwängler le texte et geste instrumental, Alain Lompech

Venez choisir
votre piano à
Bayreuth!
Au coeur de la ville de Bayreuth où se situe le fameux Festival, notre fabrique construit chaque année en
nombre limité des pianos de haut de gamme. Trois salles d’exposition consacrées à nos pianos à queue, sept
salles dédiées aux pianos droits ainsi que trois appartements à l’intention de nos invités vous attendent. Vous
êtes aussi chaleureusement conviés à essayer les instruments de notre Musée du Piano qui a été récemment
agrandi! Lors du choix de votre piano, nos maîtres artisans sont à même de personnaliser votre instrument et
de réaliser tous vos souhaits.
De plus, chaque année, vous pouvez compter sur une offre riche et variée composée d’une centaine de
concerts, de représentations théâtrales et de conférences sur la musique. En 2019, notre Galerie Steingraeber
accueillera une exposition dédiée à Jean Paul, le poète qui a inspiré Robert Schumann. Nous nous ferons
également un plaisir d’enrichir votre séjour à Bayreuth par les visites du Festspielhaus (le Palais des Festivals
de Bayreuth), de l’Opéra Margrave, des musées Liszt et Wagner ainsi que les merveilleux Jardins Baroques.
Venez choisir votre piano à Bayreuth! Choisissez votre piano dans
la Maison Steingraeber, avec nos maîtres artisans!
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LE PROGRAMME
CONCERTS, EXPOSITIONS, SPECTACLES… LES OCCASIONS D’ASSOUVIR
VOTRE PASSION DU PIANO NE MANQUERONT PAS CET AUTOMNE.
LES
SURPRISES
DE MONSIEUR
UN JEU CROCHE
➜ Choix audacieux, c’est
D’ENFANT avec un pianiste méconnu

en France qu’Yves Riesel
ouvre sa saison des
Concerts de monsieur
croche, salle Gaveau
O. TURSUNOV
(7 novembre). Avouons-le
d’emblée, nous n’avions
jamais entendu parler
de Peter Rösel avant de
ADOUBÉE PAR VALERY GERGIEV, DENIS MATSUEV ET GRIGORY découvrir son nom sur le
programme. Et pour cause,
SOKOLOV, ALEXANDRA DOVGAN, PHÉNOMÉNALE PIANISTE il n’a pas joué en France
RUSSE DE DOUZE ANS SE PRODUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS EN depuis environ quarante
FRANCE AU THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES LE 3 NOVEMBRE. ans…Alors, nous sommes
allés faire un tour du côté
des plateformes de
du 1er concerto de Mendelssohn
M
ais qui est donc cette – l’épreuve du feu tant ces pages streaming. Et on découvre
pianiste dont tout le sont saisissantes. On pourrait sont célèbres et ne pardonnent une discographie
monde parle ? On s’attendre à un énième jeune rien – et des partitions virtuoses foisonnante : Concertos
la croirait tout droit prodige, mais rien de superflu de Rachmaninov (arrangement de Rachmaninov avec Kurt
sortie d’une toile d’Ilya Repin. ne perce dans le jeu de la jeune du Songe d’une nuit d’été, sélec- Sanderling, Premier de
Ou sinon venue des fantasmes fille. Outre sa technique d’or- tion de préludes…) La jeune Tchaïkovski avec Kurt Masur,
d’une Russie éternelle, où les fèvre, son toucher extrêmement Alexandra, aujourd’hui âgée de Sonates de Beethoven,
fillettes portent des robes vir- souple et raffiné, ses nuances douze ans et qui étudie depuis Études Symphoniques de
ginales, le visage orné de cou- bien senties (parfois un rien ap- ses cinq ans au Conservatoire Schumann… On reconnaît
ronnes de tresses. Alexandra pliquées) semblent être le mar- central de Moscou sous la hou- un jeu hanté, quel que soit
Dovgan est une enfant à la queur de sa profondeur et de lette de Mira Marchenko est le répertoire, par une force
candeur de madone, y com- sa maturité. S’agirait-il d’une adoubée par les plus grands in- dramatique (en particulier
pris dans son jeu, d’une ex- personnalité singulière à l’aube terprètes russes : Valery Gergiev, dans les Beethoven)
trême pureté. Il suffit pour d’un grand destin musical ? Il Denis Matsuev et surtout le ma- ou un dénuement quasi-
s’en convaincre de la regar- faudra pour en avoir le cœur net gnétique Grigory Sokolov qui métaphysique, comme dans
der dans le finale de la Grand assister à son tout premier réci- l’a invitée à jouer en première l’Impromptu en do mineur
Piano Competition de Moscou tal dans l’Hexagone, qui aura partie d’un de ses récitals. « C’est de Schubert. Si on perçoit
où elle emporta le premier lieu au Théâtre des Champs- un cas d’une extrême rareté. Sa parfois une certaine
prix en 2018 – couronnement Élysées dans la prestigieuse sai- musique respire l’honnêteté et la austérité, cet interprète
d’une enfance jalonnée par son des concerts du dimanche concentration, c’est pourquoi je possède une puissance
les concours internationaux matin de Jeanine Roze. Avec un lui prédis un avenir étincelant. » de conception digne
et autant de récompenses. Les programme glissant : la Sonate Parole de maître. ■ d’un Brendel. Avis aux
vidéos (diffusées sur Medici) « Pathétique » de Beethoven Elsa Fottorino curieux ! ■ E. F.

Express
notes
✔ Le Concours des grands
amateurs a trente ans !
Pour fêter cet anniversaire,
trois anciens lauréats
sont conviés au grand
amphithéâtre de la
Sorbonne (22 novembre)
pour interpréter des
PHILHARMONIEDEPARIS
pièces concertantes avec
l’orchestre de la Garde
Républicaine. On entendra
même Gérard Bekerman,
président du concours, dans
le deuxième mouvement du
CHAPLIN EN MUSIQUE ! Concerto en sol de Ravel !

✔ À Roubaix, rendez-vous
pour le concours Les
’icône du muet s’expose chambre. […] J’avais de étoiles du piano (19 au 23
L au Musée de la musique
de Paris jusqu’au 26 jan-
vier. Et ce n’est pas un para-
grandes ambitions de devenir
un artiste de concert… »
écrit-il dans Histoires de ma
novembre) avec, dans le
jury cette année, le pianiste
Denis Pascal ou encore notre
doxe pour ce comédien vie. À la Philharmonie, on pédagogue Alexandre Sorel.
pantomime dont les films pourra explorer son lien ✔ Du nouveau à Rungis : les
témoignent d’un profond avec le music-hall, sa filmo- pianistes Arthur Ancelle et
sens du rythme. Ce qu’on graphie en regard de la mu- Ludmila Berlinskaya créent
ignore, c’est que Chaplin ca- sique qui l’accompagne et Piano Piano, un festival
ressait même des ambitions même – aspect méconnu du dédié à la formation pour
musicales ! « J’avais avec moi personnage – ses propres deux pianos, doublé d’un
mon violon et mon violon- compositions. En contre- concours international,
celle. Depuis l’âge de seize point de l’exposition, ci- permettront d’apprécier son prévu à l’automne 2020.
ans, je m’exerçais de quatre à né-concerts et autres soirées génie. Les enfants seront de ✔ Pavarotti, le documentaire
six heures par jour dans ma musicales thématiques la partie. ■ E. F. de Ron Howard (à qui on doit
le film Da Vinci Code) sur
le ténor italien, sera en salles
FESTIVALS D’AUTOMNE du 6 au 10 novembre.

✔ Les amateurs de jeunes
talents iront à la Fondation
’Esprit du piano (du 13 Max Cooper), jeunes talents Vuitton pour la série Piano
L novembre au 7 décembre)
revient à Bordeaux pour sa
10e édition, avec comme tou-
(Célia Oneto Bensaïd) et
grands solistes (Sokolov,
Volodos, Pogorelich). Plus bu-
nouvelle génération,
où se côtoient les grands
talents de demain : Ivan
jours, une programmation colique, le Festival Notes d’au- édition dédiée au rêve… ou au Bessonov (22 novembre)
éclectique, entre jazz (Hiromi, tomne (du 11 au 17 novembre) cauchemar, comme ce spec- Selim Mazari (16 janvier),
Jacky Terrasson), minimalisme vous donne rendez-vous au tacle dans lequel on nous pro- Daniel Kharitonov (6 février).
américain (Bruce Brubaker et Perreux-sur-Marne, pour une met une ambiance de « cabinet Dans le même esprit,
noir, d’histoires sombres » avec à Saint-Germain-en-Laye,
un duo chant-piano. Après les Concerts en Laye majeur,
une Alice au pays des Merveilles au théâtre Alexandre Dumas
imaginée par la comédienne accueilleront Jean-Paul
Brigitte Fossey et le pianiste Gasparian (22 novembre)
Pascal Amoyel, on découvrira ou Alexandre Kantorow
L’ Hi s t o i re d u s o l d a t d e (24 janvier). Dans le cadre
Stravinsky avec notamment de Piano à Lyon : Khatia
COMÉDIEFRANÇAISE
Olivier Charlier au violon et Buniatishvili (7 novembre),

Didier Sandre, Michel Michel Dalberto
Vuillermoz et Denis Podalydès (20 novembre) et Garrick
en récitants. ■ E. F. Ohlsson (4 décembre). ■

DEMANDEZ LE PROGRAMME
Jean-Frédéric
Neuburger créer trois nouvelles le
5 décembre à la Fondation
Vuitton : une étude de force
sur les doubles notes, une
autre sur le jeu dans les cordes
du piano, et une dernière
consacrée à la polyrythmie
de A à Z
soixante ans après leur entre mains droite et gauche.
création ! Dans les années
G
1880, certains jugeaient enre
encore les dernières œuvres L’histoire de la musique,
de Beethoven bien trop c’est aussi l’histoire
dissonantes ! La réception des genres musicaux. Quand
et l’acceptation par le grand on écrit pour le piano, on
public prennent du temps, est confronté à la musique
et c’est normal. pour piano, un genre qui a
LE PIANISTE ET COMPOSITEUR son histoire propre. On peut
FRANÇAIS CRÉERA LUI-MÊME AU PIANO
D
ouble vie le traiter en restant dans
Mes deux activités la tradition purement
SES « ÉTUDES 4, 5 ET 6 » À LA FONDATION de pianiste et de instrumentale du « grand
VUITTON LE 5 DÉCEMBRE. IL ASSOCIERA compositeur fonctionnent piano », qui remonte à Liszt.
À CE PROGRAMME BOULEZ, ADÈS ensemble de manière assez
fluide, et c’est une chance.
On peut également essayer
de travailler à l’écart de cette
ET SCIARRINO, DONNANT AINSI Mes concerts ne m’empêchent tradition pianistique, de façon
À ENTENDRE DIFFÉRENTES FACETTES pas de penser à mes projets
en cours et d’avancer dans
DE LA CRÉATION CONTEMPORAINE. mon travail d’écriture. Mais je
veille à ménager régulièrement
du temps, quelques mois
B
oulez véritable danger. J’ai donc dédiés entièrement à la
J’ai eu la grande chance arrêté d’en passer dès que composition, entre deux
de travailler avec Pierre je l’ai pu, d’autant plus que périodes de concert.
Boulez. Dans certaines de j’avais dû pour cela mettre
ƒ
ses pages, notamment dans mon activité de composition tudes
sa Deuxième Sonate, il y a entre parenthèses. En 2016, j’ai entamé
un côté frénétique, sauvage un cycle de douze études
C
qui m’est très proche. ontemporaine que je crée au fur et à mesure,
(musique) par série de trois. Ces études,
C
oncours La musique au sens strict du terme,
Les concours sont très contemporaine se porte plutôt s’attachent à différents aspects
critiqués, et cela peut très bien en France ! Nous de la technique instrumentale,
se comprendre. Pour ma part, avons la chance d’avoir un que ce soient des difficultés
j’en ai fait le strict minimum. public ouvert d’esprit, qui pianistiques, des difficultés
Je considère tout de même apprécie en général les pièces d’interprétation, ou des
qu’ils comptent parmi les contemporaines, même quand procédés de composition.
solutions les « moins pires » ils les découvrent pour la Elles sont également
pour se faire connaître dans première fois au concert. Et reliées entre elles par
le monde de la musique. Mais quand ce n’est pas le cas, des motifs musicaux,
ce n’est pas une fin en soi, n’oublions pas que le public un peu comme dans
et rester trop longtemps dans adopte souvent les univers les Vingt Regards de
cette phase peut être un nouveaux cinquante à Messiaen. Je vais en

plus épurée, comme l’ont fait une nouvelle porte d’entrée
par exemple Erik Satie ou dans la musique.
John Cage, et comme le font
P
un certain nombre rocessus / Pause
de compositeurs actuels. Je n’ai pas de processus
Personnellement, avec mon de création à proprement
bagage de pianiste, je reste parler. Pour moi, chaque
attaché dans mes compositions œuvre a son propre univers
à la tradition du « grand et nécessite des méthodes
piano », très virtuose. différentes. Je fais souvent
des pauses de six mois ou
H
éritage un an au milieu d’une œuvre,
Mon héritage stylistique car, en y revenant, j’y vois
comprend bien sûr toute plus clair sur la direction
la tradition française du que je souhaite prendre.
XXe siècle, avec ses différents
R
courants : le sérialisme d’un épertoire
côté, avec Boulez, et plus tard En tant que pianiste,
Philippe Manoury ou Yan je me sens plus proche
Maresz, et les spectraux de certains répertoires que
de l’autre, comme Murail. d’autres. Par exemple, je n’ai
Personnellement, j’essaie que peu d’affinités avec la
de faire dialoguer ces deux musique russe du XXe siècle. Je
aspects de mon héritage, n’ai pour ainsi dire jamais joué
de marier les influences du Prokofiev ou Chostakovitch.
spectralisme sur les questions Il en va de même pour la
d’espace et de gestion du musique dite classique, Mozart
temps à celles du post- ou Haydn, qui me semble
sérialisme pour l’aspect devoir faire l’objet d’une
polyphonique et rythmique. spécialisation, très éloignée
de mon univers. Si je devais
M
usique de définir mes œuvres de chevet,
chambre je citerais Chopin, et la
J’adore pratiquer la musique française du début
musique de chambre, je trouve du XXe siècle : Debussy, Fauré,
que c’est une partie essentielle voire Ravel.
de la vie musicale d’un
S
pianiste. Pour un pianiste clérose
soliste, cela permet de revenir Le pire ennemi de l’art,
au répertoire solo avec une à mes yeux, c’est la
vision enrichie de la sclérose. C’est pour ça qu’il
polyphonie. Cela permet est si important pour moi
de comprendre ce qui, dans d’écrire et de créer des œuvres
notre répertoire, vient en fait contemporaines, ainsi que
de l’écriture de musique de pratiquer le déchiffrage,
de chambre. Et c’est aussi la découverte musicale.
important pour un
T
compositeur, bien sûr. ransmission
Je dois à mes professeurs,
O
rgue comme Jean-François
J’ai joué beaucoup Heisser, Jean Koerner et Émile
d’orgue jusqu’à dix-sept Naoumoff, le goût de la
ans. Bon nombre de musique d’aujourd’hui et celui
compositeurs-interprètes de la transmission. D’où mon
étaient d’ailleurs à la fois désir, très tôt, d’enseigner.
pianistes et organistes, Ils m’ont fait comprendre
tradition spécifiquement qu’il est très important
française : Liszt, Saint-Saëns, de transmettre à de jeunes
Fauré… Pour un pianiste, musiciens qui vont pouvoir
l’orgue est grisant ! C’est tout perpétuer le savoir,
C. BELLAICHE
un monde de possibilités les techniques et les valeurs

de timbres qui s’ouvre, de notre monde musical. ■
un répertoire immense, Lou Heliot

TOUR DE FRANCE
du piano LILLE Grand foyer
de l’Opéra, le 6 novembre
ROUEN Chapelle Corneille, Le duo I Giardini et
le 6 décembre La soprano Guillaume Chilemme
TOUSSAINT
Elsa Dreisig et le pianiste au violon donneront

Romain Louveau interpréteront un récital « Passé
SDP
Korngold, Brahms, Strauss… et présences ».
REIMS Opéra,
le 13 novembre STRASBOURG
Kit Armstrong Opéra, le
réunira Guillaume 7 décembre
TOURS Opéra, le 20 novembre de Machaut, Bach Le ténor Michael
Le pianiste et compositeur en et Liszt. Spyres chantera
résidence Baptiste Trotignon donnera
en récital,
un récital intitulé « You’ve changed ».
PARIS Philharmonie, les 30 octobre accompagné du
et 1er novembre Rendez-vous avec pianiste Roger
Daniel Barenboim qui poursuivra son Vignoles.
intégrale des sonates de Beethoven.
Le 4 novembre Martha Argerich
et Antonio Pappano s’emparent du
Concerto n°1 de Chopin. Le 21 novembre
Maurizio Pollini revient pour les trois
dernières sonates de Beethoven.
BORGGREVE
DECCA
BORDEAUX
Auditorium, CLERMONT-FERRAND LYON Salle Molière,
le 4 décembre Opéra-théâtre, le 18 décembre Nelson Freire
Arcadi Volodos le 28 novembre jouera Beethoven, Brahms,
proposera un La pianiste Anastasia Fauré, Poulenc, Wagner et Liszt.
programme Liszt Pozdniakova, entourée
et Schumann. de balalaïkas et voix,
animera une soirée
mettant à l’honneur
la musique russe…
LIMOGES Opéra,
le 22 novembre
Le pianiste de jazz
Brad Mehldau
improvisera le temps NICE Musée national
SDP
d’un concert en solo. Marc Chagall, le 4 novembre

MONTPELLIER Salle Pasteur, le 14 décembre Marielle et Judith Le Monnier
Alexandre Tharaud et le Quatuor Arod se (piano et violon) donneront
retrouveront autour de Franck, Schubert et Mozart. un programme consacré aux
femmes compositrices.
SDP

déclin qui s’explique par le
Maurice Ravel et
retrait des fonds de la mairie
Marguerite Long
de Paris, des problèmes d’or-
ganisation interne, une faible
médiatisation. « On est reve-
nus de très très loin, souligne
Bertrand Chamayou, nou-
veau directeur artistique. La
dernière fois, il n’y avait même
pas cent inscrits et la plupart
des candidats étaient français. »
Il entend hisser la compéti-
BORGGREVE
tion au niveau du Concours Bertrand
Chopin ou du Van Cliburn. Chamayou
« C’est clairement l’objectif.
Paris est une place musicale agence britannique Harrison
forte. Pour cela, j’ai constitué Parrott… À l’arrivée, cin-
un jury composé de personna- quante candidats ont été
lités au rayonnement mondial, retenus, dont treize Français.
comme Martha Argerich, qui L’ADN de ce concours, c’est
le préside. » d’ailleurs la musique fran-
Autre levier d’action : le pro- çaise. Mais pas limitée à
gramme se veut ouvert à des Ravel et à Debussy. Chabrier,
artistes qui possèdent une Franck, Séverac… sont éga-
véritable identité musicale. lement suggérés, ainsi que
SDP
Entendre : pas seulement aux Messiaen, Dutilleux et Boulez.

« gros bras » – qui ne sont pas « Je tente de moderniser un
Long-Thibaud, non plus exclus. « J’ai voulu peu le programme », souligne

éviter l’aspect cliché dans les Bertrand Chamayou, qui a
morceaux imposés, comme, imposé pour la finale récital
par exemple, une finale où tout une création du compositeur
nouvelle ère le monde va arriver avec son suisse Michael Jarrell.

3e Concerto de Rachmaninov Le mot d’ordre : éviter la « per-
ou son 1er de Tchaïkovski. Dans formance sportive. Ce n’est pas
ce cas de figure, on se retrouve un concours de saut d’obsta-
toujours avec le même schéma cles ». D’ailleurs, « chaque
MARTHA ARGERICH, BERTRAND de pianistes. » D’ailleurs, pour candidat devra se sentir res-
CHAMAYOU, MARIE-JOSÈPHE JUDE… la présélection, chaque can- ponsable de son programme ».
didat devait présenter, outre Malgré les contraintes, il
LE CONCOURS DE PIANO RÉUNIT DES une œuvre au choix, les reste assez libre, ce qui favo-
PERSONNALITÉS INCONTOURNABLES Variations en fa mineur de rise une certaine autonomie
Haydn, pages d’orfèvrerie qui et permet à de vrais artistes
DU MONDE MUSICAL POUR mettent surtout en valeur la d’émerger.« L’histoire finit
UNE ÉDITION TRÈS ATTENDUE. personnalité de l’interprète. toujours par retenir les inter-
Une étape cruciale au cours prètes qui ont un talent narratif,
D
de laquelle la pianiste Marie- conclut Bertrand Chamayou.
e quoi est faite l’étoffe perdu son prestige d’antan. La Josèphe Jude, qui siège aussi Mais pour cela, pas besoin de
d’un grand concours ? manifestation fondée en 1943 dans le jury, s’est rendue dans 36 000 pianistes qui jouent
C’est la question que par la pianiste Marguerite dix pays pour auditionner pas Scarbo ou la Mephisto Walz.
s’est posée la nouvelle Long et le violoniste Jacques moins de deux cent vingt pia- Le jury que j’ai réuni est com-
équipe fraîchement consti- Thibaud a récompensé des nistes. Le nombre d’inscrits posé d’artistes qui ne se laissent
tuée du concours Long- légendes du clavier (Samson exprime déjà un regain d’in- pas impressionner par les écrans
Thibaud dont l’édition dédiée François, Aldo Ciccolini…) térêt. Il faut dire aussi que les de fumée. » À noter que l’évé-
au piano se tiendra du 8 au et, ces vingt dernières années, récompenses sont attractives : nement sera retransmis en
16 novembre à Paris, entre Cédric Tiberghien ou Bertrand 25 000 euros pour le premier direct sur Internet (Medici,
la Salle Cortot et l’Audito- Chamayou. Mais aucun pre- prix, sortie d’un disque chez France Tv, France Musique).
rium de Radio France. Son mier prix n’a été décerné Warner, engagements mul- Alors à vos tablettes, et que le
but : redonner de sa superbe depuis 2007 et le concours est tiples, accompagnement meilleur gagne ! ■
à un concours mythique qui a interrompu depuis 2015. Un d’une année chez la grande Elsa Fottorino

UNE SI LONGUE
ABSENCE
Ivo Pogorelich n’était pas retourné en studio depuis plus
de vingt ans. Et son nouveau disque fait débat.
Le pianiste croate a toujours déchaîné les passions.
Rappelons que lors de son passage au Concours Chopin,
en 1980, Martha Argerich, qui siégeait dans le jury,
a soudainement démissionné car ce jeune prodige n’avait
pas été retenu en finale. Un mythe naissait. Aujourd’hui,
celui qu’on surnomme « Pogo », comme cette danse
désordonnée, est régulièrement sous le feu des critiques :
tempi étirés à l’extrême, dureté, relectures
décomposées… Il n’avait pas enregistré depuis le décès
de sa femme et mentor Aliza Kezeradze, en 1996.
Alors, que penser de ce nouvel opus dédié à Beethoven
et à Rachmaninov qui a divisé la rédaction de Pianiste ?
Le pire serait, à mon sens,

« On se soumet d’écouter son retour au disque
en père la morale, comme il
à ce jeu dérangeant »
peut arriver à tous les pas-
POUR sionnés de musique de l’être
à un moment ou à un autre
– et à moi, le premier. Je m’en
vo Pogorelich revient avec de la nuit de Ravel m’impres- puis, parfois, Pogorelich cueille suis bien gardé. Enregistrées
I un album qui fait trembler

forums et réseaux sociaux.
Peut-on parler du Croate
comme d’un pianiste dont
on ne saurait pas déjà qu’il
sionne, je le trouve plus m’as-
tu-vu que prégnant. Je reste
en revanche coi devant ses
Tableaux d’une exposition de
Moussorgski, car il y pousse
l’auditeur en douceur. Son
Nocturne op. 55 n° 2, enregis-
tré lors du Concours Chopin,
joyau de la musique enregis-
trée, est une extase sensuelle
en 2016, les Sonates op. 54 et
78 de Beethoven provoquent
un mouvement de recul à la
première écoute : trop de son,
de résonance, d’accents, de
ne joue pas comme « tout le trop loin son côté démiurge, à cacher aux enfants ! Tout contrastes, d’énergie, parfois
monde » ? Le compositeur comme dans son asphyxiante ceci pour en venir au nou- de joliesse (!), toujours trop de
américain Virgil Thomson, Sonate de Liszt. Il m’agace vel opus Sony qui vient après contrôle et pas assez de l’im-
qui se doublait d’un critique alors... mais me fascine encore. un silence discographique de provisation téméraire qu’y a
redouté, disait d’Horowitz Ses Scarlatti, ses Mozart ou vingt-quatre ans, autant d’an- mise le compositeur. Surprise
qu’il était « l’empereur de la encore ses Bach manquent de nées troubles où Pogorelich passée, on y revient et l’on se
déformation musicale », ce ce sentiment théâtral fondé sur a laissé une bonne partie du soumet à ce jeu volontaire et
qui ne l’empêchait pas d’aller une dramaturgie qui doit faire public sur le bord du chemin. dérangeant. Puis on y retourne
l’écouter chaque fois qu’il le passer l’idée du jeu, la petite Il y a une dizaine d’années, au encore une fois et l’on perçoit
pouvait ! Des premiers disques part d’incertitude qui fait sortir d’une salle parisienne, comment le pianiste croate
de Pogorelich chez DGG, j’ad- avancer et vivre la musique. j’avais même décidé de ne plus veut retrouver la force origi-
mire les Études symphoniques Et là, il m’ennuie. Son Chopin ? l’écouter en public : tempi divi- nelle d’œuvres nées de la ren-
de Schumann, la Deuxième Il y est vraiment trop domi- sés par deux, son écartelé entre contre du compositeur avec un
Sonate de Scriabine, la Sixième nateur, trop calculateur, inter- pianissimo impalpable et for- nouvel instrument plus sonore
de Prokofiev, que j’écoute prète épuisant à écouter, car tissimo de verre pilé. J’avais eu et robuste. Et j’adhère alors à
avec un plaisir chaque fois on ne peut pas se soustraire à du mal à reconnaître Andaluza sa démarche singulière, hélas
renouvelé. Et si son Gaspard sa puissance de conception. Et de Granados donnée en bis. enregistrée de trop près tout

« La maîtrise peut
assécher » CONTRE
ne prise de son hideuse vienne animer ce cantabile.
U ferait-elle mentir
les intentions d’Ivo
Pogorelich pour son
retour si attendu au disque ?
Micro contre les cordes, la
Cela joue encore, et même
malgré les méchants micros,
respire, face à la débâcle de
l’Allegro, en rien vivace, quasi
bègue, un égarement. Mais
captation de Thomas Lang ne enfin, Ivo Pogorelich le veut
laisse de chance ni à l’acous- ainsi, et il a les moyens de sa
tique naturelle de la salle de politique. Rien ne peut incri-
musique du Schloss Elmau, miner dans son jeu au milli-
ni à la sonorité si affirmée du mètre, d’un contrôle fanatique,
pianiste ; grossis à la loupe, le moindre relâchement de la
✔ Ivo Pogorelich ses accords claquent, gonflés technique, à la prééminence
AKG-IMAGES
Beethoven : Sonates d’anabolisants, ses phrasés, au contraire envahissante : qui
op. 54 & 78. qui dans un véritable espace peut le plus devrait pourtant
Rachmaninov : acoustique se seraient déployés, vouloir parfois moins. Deux
Sonate n° 2, op. 36. assènent jusqu’à l’épuisement ans plus tard, à la Salle Liszt
Sony Classical des maniérismes, des alentis- de Raiding, Thomas Lang chez Fiorentino emporte la
sements, des violences qui sont offre heureusement plus d’es- musique loin de la partition.
vraiment trop pour les deux pace à la Deuxième Sonate de Ici, à chaque instant, on voit les
B. MARTINEZ/SONY
mouvements de la Sonate en Rachmaninov, Pogorelich la notes, manière fascinante qui

fa majeur où Beethoven semble préférant dans la version révi- ôte toute émotion : la maîtrise
prendre Haydn au pied de la sée par le compositeur en 193I. peut assécher. Le Lento en fait
lettre et faire de l’humeur l’ob- La déclamation tempétueuse les frais ; il n’est pas aisé de saisir
jet de ce caprice qui gagnerait à de l’intrada, le chant com- l’indication paradoxale notée
être plus envolé. À croire qu’Ivo posé qui suit, admirablement par Rachmaninov : « non alle-
en étant trop réverbérée. Ce Pogorelich l’entend comme un modelé, les couleurs précises gro », ce qui ici suppose en fait
nouveau disque incarnerait-il geste de pure rage, une impro- qui ordonnent les phrasés de ne pas traîner. Or Pogorelich
les deux faces d’un pianiste visation jetée sur les portées comme les polyphonies sur- distend la phrase jusqu’à la
que l’on retrouve fondamen- dans l’instant. Lecture radi- prennent l’oreille en bien, et briser et c’est magnifique –
talement inchangé ? cale et sauvage qui s’aggrave même l’aigu rayonne sans sans une once de l’abandon
La Deuxième Sonate op. 36 encore dans la Sonate en fa dièse dureté. Du grand piano, mais nécessaire, hélas. Alors le
de Rachmaninov – bien majeur : entrée pesante, pre- encore une fois, et dans une nocturne du Lento tournera
mieux enregistrée – surprend mier thème contorsionné avec œuvre où cela peut être dange- sur lui-même, paysage sans
moins : elle en a tellement vu... d’épuisants soulignages, avant reux, il lui manque pourtant ce horizon, effet magique mais
Sculptée dans un matériau qu’un peu plus de légèreté ne lâcher prise qui chez Horowitz, frustrant. Le finale peut venir,
sonore granitique, elle avance tenu, ample, tonnant, porteur
aussi lentement qu’inexora- d’une noirceur mortifère, mais
blement vers une résolution séquencé au point que l’ivresse
dont la force expressive sur- qui en général fait bondir les
git de la conduite des phrases, virtuoses sur leurs tabourets
de la pulsation, de la maîtrise ne s’y trouvera pas, ni l’exalta-
de la polyphonie, d’une respi- tion que le public aime tant y
ration profonde, déterminée, partager. Pourtant le phrasé du
bien plus que du sentiment second thème, hors du temps,
épique attendu ici – et à juste est unique, comme ce disque
titre. Le deuxième mouvement que j’aime tant détester. ■
atteint un paroxysme hypno- Jean-Charles Hoffelé
tique sans une once de pathos,
dans une sorte d’hypnose qui EN CONCERT
prend possession de l’audi- ✔ 3 décembre Saint-Louis
teur d’une façon dérangeante des Invalides, Paris
et fascinante. On est à mille ✔ 6 décembre Grand Théâtre,
S. BAYAT/DG
lieues de Nikolai Lugansky ou Bordeaux

de Vladimir Horowitz, mais ✔ 8 décembre Grimaldi Forum,
quel choc ! ■ Alain Lompech Monte-Carlo

standards que vous auriez
DEMANDEZ LE PROGRAMME éventuellement envie de chan-
ter en vous promenant.
Comment vous viennent les
mélodies ?
Il suffit d’être un peu inspiré.
À New York, dès mon réveil,
avant tout je vais au piano et
j’essaie quelque chose. C’est
le moment où je suis dans
une forme de brouillard et
de détachement par rapport
aux autres activités de la jour-
née. Je joue pour voir si j’ai
une idée, une mélodie, un cli-
mat, une ambiance. Quand je
tiens quelque chose, je reste
au piano. Mais pour d’autres
morceaux, je me force à m’en-
fermer dans une pièce pour
travailler des heures.
Cet album synthétise
un certain nombre
d’influences…
Le premier morceau, The
Call rend hommage à Ahmad
Jamal. J’ai aussi écrit Kiss
Jannett for me, en hommage à
Keith Jarrett. Je me suis aperçu
que son prénom en français
se disait « kiss ». Pour moi, le
meilleur moyen de trouver sa
SDP
propre griffe, c’est de jouer
le plus possible. Le plus dur
JACKY TERRASSON,
étant de trouver le vocabulaire
et l’éloquence pour improviser
sur ses propres compositions.
Je recherche quelque chose de
limpide, d’évident, même si au
QUINQUA COOL
départ, cela peut partir d’une
démarche très recherchée.
D’ailleurs, en musique clas-
sique, j’aime les compositeurs
français car ils ont un sens très
approfondi, très poétique de
LE JAZZMAN FRANCO-AMÉRICAIN REVIENT AVEC UN NOUVEL la mélodie.
ALBUM CONSACRÉ À SES PROPRES COMPOSITIONS. SI ON Que vous apporte la forme
du trio ?
TROUVE DES RÉFÉRENCES À AHMAD JAMAL OU À MOZART, J’aime être dans une conver-
IL RÉVÈLE SURTOUT SA GRIFFE SINGULIÈRE ET ENTÊTANTE. sation permanente avec les
musiciens. Je ne suis pas trop
V
adepte du format un peu cli-
otre nouvel album les morceaux et à les recons- montrer sa propre person- ché du solo de piano, suivi du
intitulé « 53 » – truire, me les approprier, qu’ils nalité. C’est mon quinzième solo de basse et ensuite d’un
qui évoque vos soient issus des standards amé- disque en tant que leader, j’as- échange avec le batteur. Ce qui
53 ans, réunit ricains, de la pop, de la chan- sume mon âge, j’assume tout, me plaît, c’est quand il y a un
vos compositions son française ou même du mes joies, mes peines, tout ce vrai ménage à trois.
récentes. Qu’est-ce que ce classique – il y a d’ailleurs du qui m’arrive dans la vie. Là, Vous aimez justement les
nouvel opus dit de vous et Mozart dans cet album, je n’ai je voulais essayer de me livrer rencontres et, parfois, elles
de votre esthétique ? pas pu m’en empêcher ! Mais complètement. J’ai eu envie de sont inattendues…
D’habitude, on m’attend un pour l’essentiel, on ne trouve faire sonner ces pièces, pour Je suis souvent partant pour les
peu pour les reprises : je prends que mes propres composi- la plupart écrites ces deux aventures musicales ! Je viens
un malin plaisir à déconstruire tions. C’est un peu se dévoiler, dernières années, comme des d’enregistrer un album avec

Camille Bertault, une chan- Vous êtes franco-américain. du côté américain, le jazz, le
teuse qui va faire parler d’elle. Que vous apporte cette funk, James Brown... C’est aux
J’ai eu l’occasion d’accompa- double culture ? États-Unis, le pays de ma mère,
gner Charles Aznavour sur C’est un peu un « plus », comme qu’il fallait être pour faire ses
trois disques. Une expérience un peintre qui aurait plus d’es- classes au début. Quand j’étais
très enrichissante Pour 53, les pace sur sa palette pour créer. étudiant, j’ai rencontré un super
titres Alma et Nausica ont été Cela me permet de profiter des bassiste de Chicago qui nous a
composés pour deux films de bagages culturels et musicaux obtenu un engagement : cinq
Charles Guérin-Surville. J’ai un de deux continents. La musique soirs par semaine, cinq sets tous SES ACTUS
rôle dans l’un d’eux, qui sor- classique pour la France où j’ai les soirs, la moitié du set avec un ✔ CD « 53 », chez Blue Note
tira le 18 décembre. Le synop- grandi – je n’écoutais pas de crooner du type Sinatra. C’était ✔ 12 décembre concert
sis fait quatre lignes, tout est à pop et variété, je n’étais pas du ça, la vraie école ! ■ au New Morning à Paris
base d’impro ! Cela s’appelle tout sociable car je n’aimais pas Propos recueillis ✔ 27 décembre concert
La Sincérité. ce que les gens écoutaient. Et par Elsa Fottorino au Sunside à Paris
Palindrome
« Ce qui m’intéressait avec ce morceau, c’était de trouver une ambiance particulière

sur un mode mineur. Il y a cinq notes mais, dans leur enchaînement,
on découvre une couleur modale, un peu ludique. Cet extrait est joué au début
TERRASSON MUSIC
du morceau, mais si vous écoutez la suite, on entend le même motif exactement

à l’envers. D’où le titre “Palindrome”. »

POURQUOI LA MUSIQUE
NOUS FAIT DU BIEN
LE NEUROLOGUE, QUI EST AUSSI ORGANISTE CLASSIQUE,
NOUS INVITE À ENTRER DANS LE CERVEAU HUMAIN AFIN DE
COMPRENDRE LES MÉCANISMES DE L’ÉMOTION MUSICALE.
en 1985. Des collègues ont pris professionnels. Je me souviens
C
omment vous êtes- permis d’établir sur
vous intéressé connaissance de ce travail, nous notamment d’un pianiste qui le plaisir musical ?
aux aspects ont envoyé des malades, et un était venu me voir depuis Paris À partir des pathologies étu-
neurologiques du axe de recherche s’est initié. car il avait l’impression que la diées, nous avons dégagé trois
plaisir musical ? Nous avons établi des proto- partie gauche du piano lui en niveaux de plaisir qui sont
Lorsque j’étais en activité, coles d’examen en prenant en voulait. On aurait pu croire que très bien entrevus par Marcel
j’ai eu l’occasion d’observer compte la neuropsychologie, ce trouble relevait de la psychia- Proust dans À la recherche
des malades qui avaient des les examens cliniques… trie, mais le problème était en du temps perdu. La Sonate de
troubles concernant la per- Quel était le profil de vos fait d’origine fonctionnelle : il Vinteuil, à laquelle revient
ception de la musique. Mes patients ? s’agissait d’une lésion de l’hé- constamment Swann, est au
recherches et celles de mon Il y en a eu de toutes sortes : misphère droit. début une sorte de magma
équipe ont donné lieu à un des non-musiciens pour Qu’est-ce que toutes ces sonore. Puis ce magma s’or-
rapport international publié majorité, mais aussi quelques observations vous ont ganise ; il devient un moyen

de communication et un les replace dans l’ensemble de bout de six mois seulement, le Je suis arrivé au terme de ma
trait d’union amoureux avec la vie psychique. Cette der- cerveau des enfants musiciens carrière, et mon expérience
Odette. Mais lorsque Swann nière étape a été mise en évi- n’était plus le même : certaines cumulée m’a permis d’établir
s’aperçoit qu’il n’est pas le seul dence par une découverte très régions avaient été organisées ce que je connaissais ou ce
à compter dans la vie de cette récente de 2017. différemment. que j’avais vécu : ce livre est un
femme aimée, la Sonate lui Que signifie une émotion Que se passe-t-il peu mon histoire. Mon sou-
devient odieuse ; on s’extrait musicale placée dans ce exactement au niveau hait était d’interroger le sens
alors de la physiologie pour se contexte ? cérébral ? de la musique ; étant médecin,
retrouver dans les catégories En philosophie, ce phéno- Pour les musiciens, les mon entreprise s’est cristalli-
de pensée supérieures. La per- mène est très bien expliqué connexions se font de manière sée autour des racines scienti-
ception d’un stimulus auditif par Husserl : cela revient à moins spécialisée. Cela fiques d’un phénomène, mais
comme la musique constitue « être parmi les hommes ». confirme qu’il ne faut pas faire sa dimension est bien plus
donc un premier niveau de Ce n’est plus « je pense », mais de psychologie cloisonnée mais large ! C’est un message phi-
plaisir ; il est suivi d’un plai- « j’existe donc je suis ». Plus plutôt adopter une approche losophique du bonheur que
sir d’analyse. Le troisième l’information s’achemine dans globaliste : le cerveau est un je souhaite transmettre : la
niveau réside quant à lui dans le système cérébral, plus elle tout. Je dirais de manière géné- musique est un soutien esthé-
l’identification de l’œuvre. se confronte à notre histoire rale qu’il faut faire attention tique de toute une vie, auquel
Évidemment, il ne s’agit que personnelle. On peut avoir la à ne pas se cantonner dans on peut accéder, même dans les
d’un modèle : d’autres per- chair de poule, rougir, transpi- des systèmes de pensée, pour temps difficiles. ■
sonnes pourraient affirmer rer, avoir de la tachycardie… ce adopter une approche globale. Propos recueillis
que le plaisir musical provient sont des modifications orga- C’est d’ailleurs ce que vous par Aude Giger
des associations d’idées ou niques, mais replacées dans faites dans votre réflexion
d’images. notre vie individuelle : notre qui dépasse les seules ✔ Le Plaisir de la musique,
Quelles sont les voies contexte, notre mémoire, notre considérations médicales Bernard Lechevalier,
physiologiques qui personnalité… C’est dans le et techniques… éd. Odile Jacob (230 p., 22 €)
acheminent vers ce plaisir ? lobe préfrontal que se retrouve
J’ai lu d’éminents philosophes la façon dont on se place dans
qui prétendaient que les phé- le monde.
nomènes acoustiques faisaient
vibrer le corps et la peau,
À chaque zone du
cerveau revient donc
L’hypnose du musicien
mais c’est une vision erronée. une spécialité ? La pianiste Hélène Tysman s’est formée à l’hypnose
GETTY
Il peut arriver de frissonner L’opération d’identification ericksonienne, pour appliquer ses préceptes sur les
en entendant de la musique, d’un bruit comme étant de musiciens. Témoignage.
mais tout passe en amont par la musique se situe dans les « Le travail du musicien peut générer parfois une sorte
le cerveau. Contrairement aux aires cérébrales sensorielles de routine, au mauvais sens du terme. Retourner
théories d’il y a cinquante ans, primaires et secondaires, donc à l’instrument en ayant à l’esprit l’éventuel échec de
on parle aujourd’hui de cir- les lobes temporaux. Ensuite, la veille peut créer de fausses idées qui empêchent de
cuits plutôt que de sites. On les deux hémisphères se répar- résoudre un problème technique, par exemple. Inventée
peut se représenter ce sys- tissent certaines fonctions, dans les années 70, la programmation neurolinguistique
tème complexe en imagi- même s’ils agissent en travail (PNL) permet de désamorcer des automatismes créés
nant un réseau de chemins complémentaire. L’hémisphère par l’inconscient, souvent liés à des peurs. Certaines
de fer, ponctué de gares. Dans droit qui fonctionne de personnes souhaitent changer ou améliorer leurs
l’oreille interne, la cochlée qui manière holistique et sponta- performances, mais ne savent pas comment faire : il
se trouve derrière le tympan née accueille les timbres et la ne s’agit pas d’un manque de volonté, mais seulement
envoie les sons sous forme de mélodie, tandis que le gauche, d’une incapacité de l’inconscient à employer un autre
signaux électriques aux aires qui met en œuvre des méca- chemin que celui qu’il connaît. L’hypnose qui utilise
de réception auditives pri- nismes opératoires et analy- les outils de la PNL fait entrer le sujet dans un état
maires situées dans les lobes tiques, est davantage le lieu de modifié de conscience pour l’amener à corriger ses
temporaux de chaque côté l’analyse et complètement celui croyances et à reprendre le contrôle de ses pensées.
du cerveau. Le cortex audi- de l’identification d’un mor- Les séances commencent par une mise en confiance
tif secondaire fait ensuite le ceau. Mais cette architecture est de la personne pour rentrer dans son rythme. Des
tri en distinguant le rythme, plastique ; chaque cerveau est questions pertinentes permettent ensuite de favoriser
la mélodie, les timbres… la singulier et nous le modelons un changement de perspective et de regard qui peut
répartition de ces informa- tous les jours. rapidement faire survenir des « bugs » : cela crée déjà un
tions se réalise en quelques Pratiquer la musique est- état modifié. Le travail exploite beaucoup la visualisation
millisecondes. Puis elles sont elle une manière de « faire en sollicitant la capacité du musicien à connecter son
traitées du point de vue des son cerveau » ? imaginaire et à l’amplifier de manière naturelle. Je passe
émotions par deux étages dif- Absolument ! Un travail a été également par le corps en faisant prendre conscience
férents : un étage sous-corti- réalisé par des Américains sur de ce qui se passe entre l’extérieur et l’intérieur, toujours
cal, dans des noyaux sources deux groupes d’enfants de dix en appréhendant la dimension paraverbale. Il s’agit
de dopamine, l’hormone du ans. Les uns jouaient du piano de lâcher prise pour aligner ses pensées, ses actes
plaisir, puis un second étage tandis que les autres n’avaient et ses émotions. » ■ Propos recueillis par A. G.
dans le cortex préfrontal qui pas de pratique musicale. Au

Gymnopédiste
Dans ce numéro est appelé à la barre Elliot Jenicot. Le comédien
belge passionné de musique aime cultiver son grain de folie.
À l’image d’Erik Satie qu’il incarne actuellement sur les planches.
L
AVEC Votre premier souvenir
musical ?
et qui se passe pendant les
Années folles.
a folie qui nous occupe, quel espace doit-
on lui accorder ? Faut-il la réprimer ? Ou
NEGAR Au clair de la Lune, à la
maternelle. Le « hit » de
Quel morceau faudrait-il
recommander pour
décider au contraire de la cultiver, voire
de la revendiquer ? Pour Elliot Jenicot,
mon époque… convaincre d’aimer la comédien, ancien pensionnaire de la
À HUIS CLOS
Votre plus beau souvenir musique classique ? Comédie-Française, c’est cette seconde voie qu’a
musical ? Commencer par écouter choisi de prendre Erik Satie dont il interprète le
Le concert de Queen à Ennio Morricone. Ses rôle dans la pièce Je m’appelle Erik Satie comme
Forest National à Bruxelles, musiques des films Il était tout le monde : « Il y a une jolie folie chez tous les
lorsque j’avais 16 ans. une fois en Amérique ou hommes, elle prend des formes distinctes et c’est ce
Votre dernière réflexion Mission donnent qui fait l’authenticité de chacun. Mais là où la
sur la musique ? immanquablement la plupart d’entre eux l’étouffent parce qu’il est bien
La musique raconte les chair de poule… plus confortable de ressembler à la masse, de deve-
êtres humains et tous Comment transmet-on nir ce que l’on attend de vous, Erik Satie – et c’est
leurs sentiments : colère, le goût de la musique ce qui me touche tant chez lui – a su résister. » Car
fantaisie, joie, désespoir… classique ? c’est bien de résistance dont il s’agit. Cultiver sa
Et c’est pour cela qu’elle Comme pour toute singularité, c’est choisir l’inconfort et les ques-
suscite et suscitera discipline artistique, il faut tionnements, parce que la différence effraie. Et
toujours des émotions. en être passionné et en il faut alors bien du courage pour décider de
L’œuvre qui vous donne parler. Mais toujours avec rester fidèle à soi-même, parfois même au prix
de l’énergie ? simplicité… d’une vive douleur : « Les critiques révoltaient,
Le Boléro de Ravel. Quand Les trois compositeurs meurtrissaient Erik Satie, mais il a persisté à être
je l’entends, j’ai envie de que vous inviteriez ce qu’il était, et ses œuvres, souvent mal accueillies
bouger, de danser, de vivre à votre dîner idéal ? à l’époque, figurent parmi les chefs-d’œuvre d’au-
avec mon corps ! Satie, Mozart et Nino Rota. jourd’hui. » Alors, entre les Gymnopédies et les
Le morceau que vous Il y aurait une belle folie à Gnossiennes, c’est peut-être aussi un peu cela,
pourriez jouer au pied table… l’héritage laissé par Erik Satie : ne jamais renon-
levé ? Les trois interprètes ? cer, car qui sait ce qui en sortira un jour… ■
La Lettre à Élise. Mais… Leonard Bernstein, Léo
à une main ! Ferré et Jacques Brel.
Le morceau que vous Et s’il fallait rendre un
rêveriez de jouer ? hommage ?
Le Premier Prélude en Laetitia Gonzalbes qui
do majeur du Clavier nous a embarqués, ma
bien tempéré de Bach. merveilleuse partenaire
La salle dans laquelle Anaïs Yazit et moi-même,
vous le joueriez ? dans cette formidable
Au Théâtre de l’Atelier, à aventure Satie.
Paris. Cette salle, c’est tout
ce que j’aime : elle a la SON ACTU
capacité d’accueillir du ✔Je m’appelle Erik Satie
L’avocate monde, mais demeure comme tout le monde,
pénaliste et totalement intime. jusqu’au 4 janvier 2020, au
pianiste émérite
Le prochain concert de Théâtre de la Contrescarpe
Negar Haeri
propose une prévu ? ✔ Le Carnaval des animaux
rencontre avec Le mien, en mars 2020, à sud-américains, des 14 au 19
un passionné la Philharmonie de Paris ! janvier 2020, au Théâtre Dunois
de piano qui se Un spectacle musical ✔ Pablo, Serge, Coco
dévoile à travers intitulé Pablo, Serge, Coco et les autres, les 25 mars
les œuvres qui et les autres que je coécris et 4 avril 2020, à la
SDP
l’ont marqué. avec Raphaëlle Cambray Philharmonie de Paris.

JEUNE TALENT
GUILLAUME BELLOM
La musique
en partage
APRÈS AVOIR MENÉ DE FRONT DES ÉTUDES DE VIOLON
ET DE PIANO, GUILLAUME BELLOM A FINALEMENT CHOISI LE
CLAVIER. IL VIENT DE SIGNER UN TRÈS BEL ENREGISTREMENT
SAINT-SAËNS AVEC LE QUATUOR GIRARD.
H
ésiter entre deux le violon, on n’a pas le choix, sur la présence de son assistant
instruments, il faut s’organiser pour être passionné, Romano Pallottini.
enfant, est chose efficace : cette indispensable C’est également à cette période
courante, mais rigueur aura été l’un des grands que j’ai rencontré Marie-
mener de front des apports de ma double pratique. Françoise Bucquet – hélas
études de piano et de violon D’aucuns ont-ils parfois disparue l’an dernier. C’était
jusqu’au conservatoire de tenté de vous pousser à une personnalité inoubliable.
Paris s’avère infiniment plus l’abandonner ? Au-delà des partitions que je
BIO EXPRESS rare. Comment a commencé Ça a pu se produire, mais j’ai lui apportais, il nous arrivait de
1992 Naissance à Besançon ce parcours atypique ? gardé le cap jusqu’au CNSMD passer plus de temps à parler de
2009-2015 Études aux Mes parents sont très mélo- de Paris. J’y suis entré en 2009 littérature ou de grands inter-
CNSMD de Paris dans les manes et, comme mes quatre en piano, puis en 2011 en vio- prètes, notamment de Kempff
classes de piano et de violon frères et sœurs, j’ai d’abord été lon. Ces deux années de déca- dont elle avait été l’élève.
2015 1er prix du concours de initié au piano. Le violon a été lage ont été pleines de décou- La rencontre avec
piano d’Épinal. Finaliste et le résultat d’une démarche plus vertes, de rencontres, mais Hortense Cartier-Bresson
lauréat (prix Modern Times) personnelle : j’ai par hasard eu aussi de premiers festivals, de aura été déterminante
du Concours Clara Haskil un petit violon dans les mains concerts de plus en plus nom- aussi...
2016-2017 Premier disque solo vers 5-6 ans… et l’envie d’en breux… tout cela a fait pencher Et comment ! Cette rencontre
(Haydn, Schubert, Debussy) jouer est née. J’ai étudié au la balance naturellement vers s’est avérée d’autant plus déci-
chez Claves conservatoire de Besançon, ma le piano. sive qu’elle a correspondu au
2017 Nommé aux Victoires ville natale, et j’y ai passé tous Comment s’est déroulé moment où j’ai décidé de me
de la musique classique dans mes diplômes, aux deux instru- votre cursus au consacrer plus exclusivement
la catégorie Révélation soliste ments. Ma chance a été d’avoir Conservatoire ? au piano. Son enseignement
instrumental pu compter sur mes proches et Il a été jalonné de rencontres me profitera à vie : la rigueur
2018 Lauréat de la Fondation mes professeurs pour m’encou- avec des personnalités aussi instrumentale, le respect du
Banque Populaire. Devient rager dans cette voie. Très tôt, marquantes que différentes. texte et de la langue musicale,
artiste associé de la Fondation il m’a fallu avoir une extrême Je suis entré dans la classe de au service d’une expression
Singer-Polignac rigueur dans le travail. Quand Nicholas Angelich, un musi- totalement libre, profonde et
2019 Disque Saint-Saëns avec on pratique deux instruments cien si inspirant. Notre classe sincère. Ce sont là des valeurs
le Quatuor Girard (B Records) aussi exigeants que le piano et pouvait également compter fondamentales.

entente a été immédiate. J’ai
fait mes deux premiers disques
(Schubert et Mozart) avec lui,
et lorsque nous ne sommes pas
autour d’un piano, c’est sur un
court de tennis que nous nous
retrouvons !
Musique de chambre, solo :
comment s’équilibre votre
activité aujourd’hui ?
La musique de chambre est
un terrain absolument naturel
pour moi. En parallèle, il m’est
indispensable de m’épanouir
dans mes activités en soliste et
le bonheur que m’a procuré,
par exemple, l’enregistrement
d’un récital Schubert-Haydn-
Debussy chez Claves il y a deux
ans me conforte en ce sens et
accroît mon désir de mener à
bien ces projets plus person-
nels. Je me suis, par exemple,
replongé dans l’univers de
Liszt : j’y trouve une sorte de
geste libératoire, un peu comme
chez Saint-Saëns, un musicien
dont j’ai très envie de regarder
la musique de plus près.
M. MYLONAS
Un mot pour conclure
sur le Quintette en la mineur
op. 14 de Saint-Saëns,
que vous avez enregistré
En quoi le fait d’avoir musicale, vous confronte à la beaucoup parlé. Plus tard, une en concert en 2018 avec
travaillé au plus haut niveau critique, ce qui a pu être déstabi- rencontre très importante a été le Quatuor Girard ?
le violon a-t-il enrichi votre lisant pour le musicien candide celle de Renaud Capuçon, qui C’était un peu des retrouvailles
rapport au piano ? que j’étais alors. Mais cela m’a m’a transmis avec beaucoup de avec cette partition que j’avais
J’ai tout simplement appris ce appris à être ferme dans mes naturel et de bienveillance son dès 2013 eu l’occasion de jouer,
qu’est un archet, comment on choix, à revendiquer d’avoir immense expérience musicale avec les Girard déjà. Le label B
fait évoluer un son, alors qu’au mes opinions artistiques. et scénique. Sa présence, tou- Records nous a proposé d’enre-
piano tout se joue dans l’at- Reste que très tôt dans jours inspirante et rassurante, gistrer ce concert à la fondation
taque ; je pense qu’au clavier votre parcours vous avez me pousse à donner le meilleur Singer-Polignac, que complé-
mon subconscient compense eu la chance de faire de moi-même. tait le Quatuor à cordes n° 1 de
ce manque dans le phrasé, la l’expérience du public, Le quatre mains (ou le deux Saint-Saëns. J’ai beaucoup joué
ligne. Le violon m’a aussi amené de la scène. pianos) avec Ismaël Margain de musique française avec le
à découvrir en profondeur le J’ai eu l’opportunité de jouer à a constitué un des premiers Quatuor Girard, formation que
répertoire chambriste et il m’est la Fondation Polignac, puis au aspects importants de votre j’apprécie énormément, et le
très utile aujourd’hui, quand festival de Deauville dès 2012. activité. Dites m’en un peu retour pour un enregistrement
je monte une œuvre avec des J’ai rencontré des musiciens plus sur cette complicité… à ce quintette très méconnu –
collègues, d’en avoir déjà joué qui sont aujourd’hui des amis Nous étions en classe ensemble une œuvre de jeunesse du com-
la partie de violon. proches et des partenaires pri- au Conservatoire ; il était positeur – a été un moment de
En 2015, vous terminez vilégiés : Yan Levionnois, avec mon voisin du dessous dans bonheur total et d’énergie par-
votre master au qui s’est tout de suite dégagée les logements de la Cité de la tagée. Cela s’entend, je crois ! ■
Conservatoire, vous faites une totale évidence musicale, musique et je dois avouer que Propos recueillis par
partie des trois finalistes concrétisée au disque en 2017, sa propension à attaquer le Alain Cochard
au Concours Clara Haskil et Ismaël Margain, avec qui par- 4e Concerto de Beethoven en
remportez le premier prix tager un clavier s’est révélé être pleine nuit a pu m’agacer…
du Concours d’Épinal... un vrai moment de complicité [rires] Mais nous avons très SES ACTUS
L’expérience de ces concours et une source d’enrichissement vite appris à nous connaître, ✔ 23 nov. Récital avec Yan
s’est révélée très positive et de mon propre jeu, ou encore grâce à un premier concert à Levionnois, Opéra de Dijon
enrichissante. La visibilité d’un Victor Julien-Laferrière, dont la Fondation Singer-Polignac ✔ 9 déc. Récital avec Diana
concours vous plonge égale- l’approche et la compréhen- dans la version à quatre mains Tishchenko, auditorium
ment dans la réalité de la vie sion des œuvres m’ont toujours du Sacre du Printemps, où notre du conservatoire de Nantes

REPORTAGES
PAS DE PREMIER PRIX POUR

LE CONCOURS HASKIL CLAIR DE
SI LES TROIS FINALISTES ONT MONTRÉ D’INDÉNIABLES
QUALITÉS, AUCUN NE S’EST SUFFISAMMENT DISTINGUÉ FEMME
➜ Après sa diffusion sur
POUR ÊTRE RÉCOMPENSÉ PAR LE TROPHÉE SUPRÊME. Arte, la version longue du
documentaire sur Clara
Haskil sort en DVD. Un
magnifique document,
enrichi d’enregistrements
inédits. Clara Haskil préférait
l’expression « carrière
mouvementée » à celle
d’ « existence malheureuse ».
Dans ce film passionnant, les
trois réalisateurs s’emploient
à sonder le mystère d’une
interprète de génie, mais non
moins fragile et constamment
en proie au doute. Peu encline
C. MICHEL
C. MICHEL
à se mettre en valeur, elle était
pourtant l’une des pépites
artistiques du XXe siècle. Et
À VEVEYI 17e concerto de Mozart : un sonore, dans le 23e concerto, cela n’a pas trompé certains
jeu extrêmement raffiné, avec par sa souplesse, sa vivacité de ses pairs, comme Charlie
M
a n t e a u d e f o u r- une sonorité ronde et perlée. et sa hauteur de vue. Si le prix Chaplin, qui la plaçait au
rure, béret noir, la Mais son interprétation res- Haskil n’a pas été décerné, même niveau qu’Einstein et
silhouette sombre tait assez statique, manquant Hyelim Kim a pu se consoler Churchill. D’ailleurs, dans un
de Clara Haskil se de liberté. À ce jeu très appli- avec le prix du Public et le petit film d’archives, on la voit
découpe en fond de scène. qué s’opposait celui du pia- prix Children’s Corner. ■ déambulant dans un jardin
Sur ce portrait de jeunesse, la niste cubain Jorge Gonzales Elsa Fottorino aux côtés du héros du cinéma
pianiste roumaine affiche un Buajasan dont la sonorité muet. Un documentaire
regard inquiet, un demi-sou- aride et le toucher très arti- pertinent, tant par la qualité
rire. Le piano est placé sous ce culé ne rendait pas justice au de ses archives que celles des
tirage en grand format. C’est 25e de Mozart. Phrasés désé- interventions (notre confrère
ici que les trois finalistes du quilibrés, accents surjoués ou Alain Lompech, la pianiste
28 e Concours Clara Haskil mal placés, technique incer- Eliane Reyes…) qui brossent
(du 24 au 30 août) se suc- taine, l’interprétation de ces de la pianiste un portrait
céderont pour cette ultime pages s’est révélée plutôt sensible et touchant. Et, en
épreuve. Tous les deux ans, erratique. Au contraire, bonus, des inédits audio dans
le concours rend hommage à la Coréenne Hyelim lesquels on l’entend jouer
la pianiste qui s’était réfugiée Kim nous a séduit, le 2e concerto de Chopin,
sur la Riviera vaudoise et glo- malgré une les Scènes d’enfants de
rifie un répertoire typique- faible pro- Schumann, le Coucou de
ment « haskilien » : Mozart, j e c t i on Daquin... Avec toujours ce
Schubert, Schumann, Haydn, même jeu naturel et aéré qui
Beethoven, Scarlatti… L’édi- la caractérise. Un document
tion 2019, présidée par le essentiel sur une interprète
grand mozartien Chris- à contre-courant de toutes
tian Zacharias, n’a cou- les modes. ■ E.F
ronné aucun candidat
du prix Clara Haskil. En ✔ DVD Clara Haskil,
finale, le Chinois Zhu le mystère de l’interprète,
SDP
Wang a interprété le Seppia et Louise Productions

SDP
L’ESPRIT
DU CLOÎTRE
EN MARGE DE L’AGITATION CITADINE,
LE FESTIVAL PIANO AUX JACOBINS
S’EST DÉROULÉ DU 5 AU 30 SEPTEMBRE.
À TOULOUSEI les met en mouvement alors

que le mélomane averti recon-
C
’est un espace de calme naît Piano phase du compo-
et de sérénité niché en
harmonia # nova
siteur Steve Reich. Les reflets
plein cœur de la ville renvoyés par le bois laqué des
rose, à quelques pas du pianos donnent aux murs des
Capitole. Il y a près de huit allures d’autoroute nocturne
siècles, le couvent des Jacobins sur laquelle filent les phares des
fut le berceau toulousain de la voitures. Un spectacle étour-
communauté dominicaine. dissant porté par la désyn-
De l’extérieur, l’imposant édi- chronisation progressive des
fice ne laisse rien présager de mélodies laissant l’auditeur
la délicatesse du cloître qui fasciné ou perplexe. La jour-
se gagne par l’église. Chaque née finit de se consumer, et le
Photo © Jean-Baptiste Millot

année depuis quarante ans, couvent s’anime de nouveaux
le festival Piano aux Jacobins promeneurs venus écouter
accueille pendant près d’un le pianiste Nicholas Angelich
mois quelques-uns des plus dans la salle capitulaire. Sous
grands noms du piano. La les grands vitraux et la voûte
déambulation mène le visi- rougeoyante, le pianiste ravit
teur à l’intrigante exposition un public conquis par la poésie
SANDRO
installée par le scénographe de ses Visions fugitives puis de
Aurélien Bory dans l’ancien Roméo et Juliette de Prokofiev.
NEBIERIDZE
réfectoire du monastère. Les Une poésie prolongée après
jours ont été obstrués ; l’im- l’entracte dans les Variations
mense pièce est plongée et fugue sur un thème de Haen-
dans le noir. Au milieu, deux del, de Brahms, très éloquentes
pianos droits posés l’un à côté sous les doigts de l’interprète. PIANO
de l’autre se tiennent face au Enthousiasme et rappels HMN 916115
visiteur, tandis que des spots conduisent Nicholas Angelich
projettent leurs ombres déme- à son troisième bis : la première
surées sur les parois. À l’unis- des Scènes d’enfants de Robert
son, les instruments entament Schumann, dernier enchante- harmoniamundi.com
une séquence de notes répé- ment avant un retour dans la
tées, puis une rotation axiale ville apaisée. ■ Aude Giger

Le romantisme était son para-
dis perdu. « Quand les mains de
Cortot n’existeront plus, Chopin
mourra une seconde fois », disait
Zweig. Ce grand interprète –
controversé pour son adhé-
sion au régime vichyste – n’en
était pas moins un immense
esthète. Sa vie durant, il a accu-
mulé lettres, tableaux, objets,
manuscrits… provenant des
plus grands artistes des XIXe et
xxe siècles : si Chopin a le rôle-
Alfred Cortot titre (nombreux portraits et
médaillons), on trouve aussi un
TRÉSORS
au piano, par
Henri Matisse dessin de la cathédrale de Reims
(1926). de Victor Hugo, des portraits
de Franz Liszt, un portrait de
Mozart à l’âge de 13 ans attri-
ROMANTIQUES
bué au véronais Giambettino
Cignaroli, estimé entre 800 000
et 1 million d’euros. De nom-
breuses lettres et manuscrits
autographes de Baudelaire,
LA VENTE DE LA COLLECTION DU PIANISTE ALFRED CORTOT Nerval, Théodore de Banville…
S’EST TENUE CHEZ CHRISTIE’S EN OCTOBRE DERNIER. étoffent le catalogue. Pièce maî-
tresse de la vente, un portrait au
L’OCCASION D’EXPLORER UNE NOUVELLE FACETTE DE SA fusain d’Alfred Cortot au piano
PERSONNALITÉ AUSSI FASCINANTE ET QU’INSAISISSABLE. par Henri Matisse, qui partira
à 93 750 euros. Sans oublier
un document exceptionnel : la
C
ontre vous messieurs, Chopin réalisé par le polonais discrètement au fond de la dactylographie corrigée de la
l’enchère est dans la Teofil Kwiatkowski, grand ami salle… La collection privée scène d’ouverture d’Un amour
salle… Que fait-on du compositeur, vient de par- du pianiste Alfred Cortot est de Swann de Marcel Proust qui
à 100 000 ?… Qui tir à 132 500 euros. Dans l’as- mise en vente par la maison diffère sensiblement de la ver-
suit ?… J’adjuge ! » semblée, une ancienne pro- Christie’s. Une des dernières sion définitive.
Juchée sur son estrade, la com- ductrice de France Musique volontés de son fils, l’artiste « Cortot possédait une biblio-
missaire-priseur fait enfler les enchérit sur un médaillon lettriste Jean Cortot, décédé thèque fantastique ! », s’exclame
enchères. Les rangées d’ex- de Chopin. Au premier rang, en 2018. Hasard du calendrier, Adrien Legendre, directeur du
PHOTOS CHRISTIE’S
perts pendus au bout du fil le pianiste Michaël Levinas on fête aussi les cent ans de département livres et manus-
saisissent les offres venues observe ce petit théâtre, tandis l’École normale fondée par le crits, dans les salons d’expo-
de Londres, des États-Unis, qu’une des mécènes de l’École grand pianiste français (voir sition, quelques jours avant la
de Turquie… Un portrait de normale de musique se glisse encadré). vente. Et aussi des documents

Ci-dessous,
un portrait de
Frédéric Chopin
par son ami Teofil
Kwiatkowski.
Placards manuscrits
d’un extrait d’À
l’ombre des jeunes
filles en fleurs, de
Marcel Proust,
conservés dans leur
portefeuille d’origine.
exceptionnels, comme une La collection, fascinante sur

lettre de Nietzsche sur la le plan artistique, reste sur le
musique, dans laquelle le phi- plan financier assez modeste.
losophe compare la métrique « Tout est relatif. Nous sommes
de la poésie allemande à celle dans un milieu où nous enten-
de Pythagore, des lettres de dons des sommes absolument
Voltaire, une de Métastase, fantastiques assez régulière-
des manuscrits de Sand… On ment. » La collection Cortot
trouve même un côté « cabinet est donc estimée à environ des Jeunes filles en fleurs de Un dessin à la plume
de curiosité » dans cette collec- 1,5 millions d’euros (sans le 1920, ne sont pas identifiés. Une et à l’encre de Victor
tion qui comprend un médail- tableau de Mozart, qui sera chercheuse du CNRS va venir Hugo représentant
lon renfermant une mèche de proposé plus tard au cours les consulter. » la cathédrale de Reims.
cheveux de Chopin. « Il y a un d’une vente exceptionnelle). Avant d’être dispersées aux
intérêt incroyable des acheteurs À l’arrivée, la vente totalisera quatre coins du monde, toutes tables basses sublimes. C’était
pour ce lot, observe Adrien environ 1,8 millions d’euros. ces œuvres cohabitaient dans très dense et cela faisait un peu
Legendre. D’autant qu’il est Mais ce qui fait le caractère un appartement, celui de autel. Bébé appréhendait un
assez tracé. On sait que c’est une singulier de la collection, c’est Jeanne dite « Bébé » Cortot, peu le moment où tout partirait.
amie polonaise de Chopin qui que certains lots sont long- la veuve de Jean. Les pièces, Après l’enlèvement, nous lui
a coupé la mèche sur le défunt. temps restés secrets. « La plu- les murs étaient couverts de avons refait un accrochage, pour
Elle est adressée, peut-on lire part des œuvres, si ce n’est la tableaux. « C’était un peu égayer un peu les lieux. Nous
au dos du médaillon, à Camille grande majorité, n’ont jamais muséal. Il y avait tous ces por- avons mis de la couleur, dégagé
Pleyel. » Cette pièce, estimée vu le jour, jamais été exposés : traits, ces médailles, un mou- les tables. Elle était contente, elle
entre 1 000 et 1 500 euros, par- deux placards de Proust, qui lage de la main de Chopin, les m’a dit qu’elle respirait un peu
tira à 40 000 euros. proviennent de l’édition de luxe médaillons de cheveux sur des mieux. » ■ Elsa Fottorino
Les cent ans de l’École normale de musique

Grand poète du clavier d’origine mission d’assurer le rayonnement de la nombreux partenariats avec orchestres
modeste, immense interprète France à l’étranger, en formant les futurs et festivals, l’École normale de musique
de Chopin, au verbe solennel et concertistes et pédagogues. Cette affiche une santé rayonnante.
emphatique, pédagogue influent, institution entièrement privée regroupe On espère qu’elle continuera de se
soutien du régime vichyste pendant depuis un siècle tous les enseignements développer et représentera encore
la guerre... C’était tout cela, Cortot, de la musique classique. Yvonne longtemps l’immense héritage laissé
une figure mystérieuse, énigmatique. Lefébure, Nadia Boulanger, Paul Dukas par l’un des pianistes les plus fascinants
En 1919, il fondait l’École normale de y ont eu leurs classes. Aujourd’hui, elle du XXe siècle.
musique, dotée d’une magnifique salle compte parmi ses professeurs plusieurs
de concert Art déco, construite par figures prestigieuses du piano : Rena À LIRE ✔ Alfred Cortot, François
l’architecte Auguste Perret, à qui l’on Shereshevskaya, Philippe Bianconi, Anselmi et Rémi Jacobs (Fayard, 2018)
doit également le Théâtre des Champs- Anne Queffélec… Avec ses 800 élèves, ✔ FortŽ, bande dessinée signée Manon
Élysées. Cortot s’était donné pour ses 130 concerts annuels et ses Heugel et Kim Consigny (Dargaud, 2019).

Grand entretien
BEATRICE
RANA
La Valse et Miroirs de Ravel, L’Oiseau de feu et Petrouchka de Stravinsky.
Après ses Variations Goldberg de Bach qui l’ont hissée au sommet
de l’olympe, la pianiste italienne revient au disque avec un programme
flamboyant. À son image.
Propos recueillis par Elsa Fottorino
olaire. C’est le mot qui m’est Bach (Warner, 2017) : ornementations subtiles et
S
d’abord venu à l’esprit lorsque j’ai clarté du discours. Elle s’autorise même une cer-
fait la rencontre de Beatrice Rana, taine flamboyance, sans user d’artifices ni jamais
dans les bureaux de sa maison de dévier de sa ligne, surprenante de maturité. En
disque, la veille de son concert au toutes circonstances, on reconnaît sa plénitude
Théâtre des Champs-Élysées en sonore, ses phrasés charnels, son toucher limpide
septembre dernier. La jeune femme et sa pensée architecturée. Il faut la voir sur scène :
de vingt-six ans est aussi vive et elle possède l’autorité des plus grands. Aujourd’hui,
chaleureuse que cette lumière d’Ita- elle nous entraîne avec son nouveau disque dans
lie méridionale qu’elle connaît bien, et dont le une danse endiablée.
teint en ce début d’automne porte encore la trace. Avec ce nouvel enregistrement, vous
Native des Pouilles, région située dans l’extrême souhaitiez basculer dans un répertoire plus
sud de la Péninsule, elle a grandi auprès d’un orchestral et exubérant ?
père et d’une mère pianistes. La jeune femme a Ce n’est pas l’intention de départ, mais ce qui est
étudié au conservatoire de Monopoli, au bord de certain, c’est que les possibilités du piano sont infi-
l’Adriatique avant d’intégrer la musikhochschule nies, il peut endosser tous les rôles et reproduire
d’Hanovre où elle a pu « apprendre à chanter les sons d’un orchestre entier. Au conservatoire,
autrement ». Récompensée coup sur coup aux
concours de Montréal (premier prix en 2011) et
VIENT DE mon professeur me disait de rechercher le legato
d’un chanteur, la sonorité d’un violon ou d’un
PARAÎTRE
PARLOPHONE RECORDS LTD
Van Cliburn (deuxième prix en 2013), elle a su violoncelle. Au début du xxe siècle, les facultés
se distinguer par sa personnalité hors norme et Beatrice Rana de l’instrument ont été exploitées à l’extrême et
ses choix de répertoire toujours judicieux. Dotée Petrouchka, L’Oiseau l’écriture pour orchestre s’est elle aussi énormé-
d’un sens inné du bel canto (réécoutez ses Préludes de feu, Stravinsky. ment enrichie. Ces œuvres de Ravel et Stravinsky,
de Chopin enregistrés en 2012) – elle impose une Miroirs, La Valse, Ravel. écrites à l’origine pour orchestre, sont le reflet de
vision toute personnelle des Variations Goldberg de Warner Classics ces deux aspects. Avec la tradition pour point ●●●

GRAND ENTRETIEN
●●● de départ car les compositeurs avaient l’ha- La jeune femme d’images. C’est un instrument qui a une grande
bitude de transcrire leurs propres œuvres pour le de vingt-six ans faculté narrative et descriptive.
piano, afin de pouvoir les présenter sans réquisi- suit sa route en Vous avez choisi des œuvres très
tionner tout un orchestre. Mais cette tradition est toute liberté, sans flamboyantes. Quelle est votre relation à la
aussi devenue un vrai challenge pour l’interprète se laisser enfermer virtuosité ?
car ces pièces sont extrêmement exigeantes sur le dans un répertoire. La virtuosité est basée sur la technique, le son, le
plan musical et pianistique. Si je puise mon inspi- tempo. Être virtuose signifie pour moi être au-delà
ration première dans la version pour orchestre, j’ai de ces aspects. Les utiliser pour atteindre un but
aussi en tête le propos de l’œuvre. Chez Stravinsky, plus élevé. Bien sûr, ces pièces sont spectaculaires
dans Petrouchka, le mouvement de la danse est car elles proviennent de l’orchestre, et tellement de
extrêmement important. lignes, de directions s’y chevauchent ! Pour éviter
Qu’est-ce que le piano apporte à ces de tomber dans la caricature virtuose, il faut se
partitions ? rappeler le sens des partitions. Chacune d’entre
Beaucoup de liberté : je suis mon propre chef d’or- elles possède une histoire étonnante. La Valse, par
chestre. Mais aussi, de l’imagination. Le piano peut exemple, est une œuvre décadente. Il faut imaginer
être ambigu, produire instantanément toutes sortes une grande salle de bal, dans laquelle se divertit la

La Valse de Ravel exprime
l’effondrement de toutes les valeurs
de la société. Nous évoluons
aujourd’hui aussi dans une période de
crise. C’est pourquoi cette musique me
parle énormément. Par sa modernité.
vous prenez Petrouchka, vous avez la marionnette
d’un côté et, de l’autre, l’être humain qui souffre
et aime la ballerine d’un amour sans retour. Cela
provoque une dissonance. Au cours du siècle pré-
cédent, ces dissonances étaient systématiquement
résolues. Là, ce n’est pas le cas. Elles sont mises en
valeur et c’est ce qui fait la richesse de ces pages. Ces
dissonances apportent un « plus ». C’est un mes-
BIOGRAPHIE sage aussi important à transmettre de nos jours…
Pouvez-vous préciser cette idée ?
EXPRESS Vous voulez dire qu’on peut vivre plus
1993 Naît à Copertino, harmonieusement en acceptant les
dans les Pouilles, en Italie dissonances de notre monde ?
1997 Débute le piano Je ne veux pas me lancer dans un discours politique
2002 Interprète le maintenant car je risquerais d’être polémique. Mais
Concerto en fa mineur il ne faut pas forcément chercher à tout résoudre.
de Jean-Sébastien Bach La diversité est une bonne chose même si elle ne
2009 Sort diplômée rend pas la tâche plus facile. C’est une richesse.
du conservatoire Nino Je m’interroge souvent : pourquoi la musique
Rota de Monopoli classique devrait être apprise aux plus jeunes,
2011 Remporte le transmise, écoutée ? La réponse, c’est qu’elle parle
premier prix du Concours un langage moderne. Elle a été composée dans le
international de Montréal passé, mais les problèmes et l’histoire se répètent.
2012 Enregistre son Les œuvres écrites par Ravel et Stravinsky dressent
premier disque : le portrait d’un monde en crise. La Valse exprime
26 Préludes de Chopin l’effondrement de toutes les valeurs de la société.
et Sonate n° 2 de Nous évoluons aujourd’hui dans une époque diffé-
Scriabine (Atma) rente, mais là aussi dans une période de crise. C’est
2013 Remporte le pourquoi cette musique me parle énormément.
deuxième prix du Par sa modernité.
haute société française, quand, soudain, les miroirs Concours Van Cliburn Comment le piano est-il entré dans votre vie ?
se brisent, les lumières se détraquent et le chaos 2015 Enregistre le Mes parents sont tous les deux pianistes. Jouer du
s’installe. C’est un effondrement général. La vir- Concerto pour piano n° 1 piano était donc la chose la plus naturelle pour
tuosité vient souligner ce drame. de Tchaïkovski et le moi. Mais je n’ai pas appris avec eux. La musique
Qu’est-ce qui vous attire dans ce répertoire ? Concerto pour piano n° 2 étant une discipline extrêmement difficile, ils
Tout est parti des Miroirs que j’ai énormément de Prokofiev, avec pensaient qu’il était plus sain de faire appel à un
donnés en concert. Parfois, les gens disent que le Antonio Pappano professeur extérieur. Ma mère tenait à être l’épaule
terme « impressionnisme » n’est pas approprié (Warner) sur laquelle je pouvais pleurer après le cours. Bien
pour évoquer la musique de Ravel. Au contraire. 2016 Enregistre Les sûr, quand je travaillais, si je m’y prenais mal, ils ne
Le compositeur ne se contente pas de décrire ce Variations Goldberg de pouvaient pas s’empêcher d’intervenir. Mes parents
qu’il a devant les yeux. Il développe toujours une Jean-Sébastien Bach aiment profondément la musique, ce qui n’est pas
dimension supplémentaire. Dans Une barque sur (Warner) le cas de tous les musiciens. Et s’ils souhaitaient que
l’océan, on perçoit non seulement le bateau, mais 2017 Désignée Jeune je reçoive une éducation musicale, ils n’ont jamais
aussi une lumière, une atmosphère impalpable qui Artiste de l’année aux exercé de pression pour que je devienne pianiste.
émane de l’océan. Cette même dualité apparaît Gramophone Classical Au contraire, ils m’ont dit que, si c’était trop diffi-
avec Stravinsky, mais dans un langage différent. Si Music Awards cile, je ne devais surtout pas continuer pour ●●●

GRAND ENTRETIEN
●●● leur faire plaisir. Pour moi, cette attitude a été
d’un grand soutien. Je suis très fière d’être Italienne
Quel a été le tournant majeur dans votre
parcours ?
du sud. Je suis sûre qu’on le ressent
J’ai compris que je pourrais devenir pianiste après
ma victoire au Concours de Montréal. J’avais
dans ma personnalité et dans
dix-huit ans et l’année avait été particulièrement
difficile. Je terminais le lycée et les concours que
la musique. L’Italie est la patrie
j’avais passés n’avaient pas donné de résultat. J’ai
pensé que si les choses n’allaient pas comme je
du bel canto. Et pour moi, chanter
l’entendais, il était toujours temps de changer de
voie. Je ne voulais pas être frustrée. Juste avant
est très important.
l’examen final du lycée, je suis allée à Montréal,
sans attente particulière. Et j’ai gagné, ce qui a été partition était toujours sur le piano. Finalement, je
un vrai choc ! Passé le bonheur et l’euphorie, j’ai me suis lancée, avec le sentiment inexplicable que
pris conscience que j’allais pouvoir jouer sur scène c’était le moment.
et exercer ce métier. Bach constitue la base de votre technique
Puis, vous avez obtenu le deuxième prix et de votre musicalité ?
au Concours Van Cliburn… Oui, sans hésiter. Et j’ai toujours entendu Bach à
C’était un choix très risqué. Quand personne ne la maison. Mon père, qui est pianiste à l’opéra, ne
vous connaît, vous n’avez rien à perdre. Quand vous joue que du Bach après une production de Verdi ou
avez déjà gagné un concours, en passer un autre Puccini pour se purifier.
peut vous affaiblir. Le Van Cliburn m’a permis d’ac- Pour vous aussi, c’est une purification ?
céder encore au niveau supérieur. Heureusement, Oui, dans un sens. Mais c’est une musique tellement
j’ai été très bien entourée. Ce n’est pas si évident de chargée sur le plan spirituel, intellectuel, émotionnel
faire les bons choix quand tout arrive d’un coup. qu’après un cycle comme les Goldberg, je me sens
Puis il y a eu ce premier disque chez Warner avec aussi bien enrichie que complètement vidée. Avec
Antonio Pappano. Le genre de collaboration dont Ravel et Stravinsky, c’est un chapitre complètement
j’avais toujours rêvé ! C’était la première fois que différent, plein de couleurs, de saveurs. Ce disque
j’enregistrais avec un orchestre. Je voulais affirmer révèle un autre amour de ma vie : Paris ! Toutes ces
ma personnalité. Je savais que j’avais quelque chose pièces ont été écrites à Paris, centre de la musique et
à dire et en même temps beaucoup à apprendre. de la culture à cette époque. Stravinsky apporte sa
Nous avons enregistré le Premier Concerto de propre idée de révolution dans la musique. Et vous
Tchaïkovski et le Deuxième de Prokofiev, deux savez que Paris est le théâtre de beaucoup de révo-
partitions très dramatiques. lutions. J’ai toujours aimé cette ville. Il y a souvent
Puis vous vous êtes tournée vers Bach, cette lumière subtile, douce et un peu mélancolique,
avec les Variations Goldberg, dont pour l’Italienne du sud que je suis !
l’enregistrement fera date ! Est-ce que c’est un cliché de dire que vous
Après Tchaïkovski et Prokofiev, je ne voulais pas êtes une pianiste extravertie ?
être assimilée à la catégorie « jeune pianiste qui joue Les clichés sont souvent vrais ! Je suis très fière
le grand répertoire russe ». J’éprouvais le désir de d’être Italienne du sud. Je suis sûre qu’on le ressent
revenir à Bach, qui a toujours été l’un des grands dans ma personnalité et dans la musique. L’Italie
amours de ma vie. Cela peut paraître stupide, mais est la patrie du bel canto. Et pour moi, chanter est
si vous voulez passer des compétitions mieux vaut SON ACTU très important. Quand je suis partie étudier en
ne pas jouer Bach. Il est trop matière à controverse. ✔ 22 novembre Allemagne, j’ai découvert une façon de chanter
Tout le monde a une idée précise sur la façon dont il Concert au LAC complètement différente. La façon « à l’italienne »
faut l’interpréter et c’est toujours un problème dans de Lugano (Suisse). n’est pas forcément appropriée dans la musique
un concours. Quand j’en ai eu fini avec les compéti- Programme Chopin, germanique. À l’inverse, c’est utile chez Chopin qui
tions, je me suis autorisée à retourner à Bach. Et j’ai Albeniz, Stravinsky est un amoureux du bel canto de Bellini.
enregistré les Goldberg. Mais mon histoire avec ce ✔ 24 novembre Quels sont vos projets pour les saisons
compositeur avait commencé bien avant. À l’âge de Concert au Théâtre à venir ?
neuf ans, j’ai donné un récital Bach en solo à Venise. des Champs-Élysées. J’enregistre l’intégrale des concertos de Beethoven
Parmi ces pièces, il y avait l’Aria des Goldberg. Mon Programme Chopin, avec Fabio Luisi et l’orchestre de l’opéra de Zurich.
professeur m’a proposé un « jeu » : chaque semaine, Ravel, Stravinsky J’approfondis également les concertos pour cla-
je devais lui apporter une des variations. L’enjeu ✔ 1er décembre vier de Bach. Et je m’ouvre au répertoire espagnol,
n’était pas de la jouer. Juste de la lire et de l’étudier. Concert au Wigmore comme Albeniz que je souhaite explorer.
Pendant un an ou plus, je l’ai fait. Puis, vers 16 ans, il Hall à Londres. Impossible de vous associer à un répertoire…
m’a conseillé d’y revenir. Je ne me sentais pas prête. Programme Chopin, C’est exactement ce que je souhaite éviter ! Je suis
J’ai attendu un an ou deux mais, entre-temps, la Ravel trop jeune pour me restreindre. ■

VIE DE LÉGENDE
ANNIE FISCHER
(1914-1995)
L’intrépide
LA PIANISTE HONGROISE A CONNU LES TOURMENTS
DE LA GUERRE ET LA DOULEUR DU DEUIL. ELLE FUT AVANT
TOUT UNE FABULEUSE INTERPRÈTE, ADMIRÉE PAR SES
PAIRS ET ADULÉE DU PUBLIC, SANS TOUTEFOIS ATTEINDRE
LA CÉLÉBRITÉ D’AUTRES ARTISTES DE SA GÉNÉRATION.
Par Jean-Michel Molkhou
E
lle fut la femme pianiste préférée ses camarades de classe figurent Andor Földes, BIOGRAPHIE
de Martha Argerich, l’idole Edward Kilenyi et un certain Georg Solti avec lequel
d’András Schiff, et pour Georg elle joue souvent à quatre mains. « Il y avait toujours EXPRESS
Solti la pianiste hongroise la plus quelques fausses notes, mais Annie Fischer fut l’une des 1914 Naissance
douée de son siècle. Les témoi- plus grandes musiciennes que j’aie jamais rencontrées », à Budapest, le 5 juillet
gnages des géants du clavier à écrira-t-il plus tard dans ses mémoires. En 1928, elle 1923 Débuts avec
l’égard du talent et de la personna- se produit à Zurich dans le Concerto de Schumann et le Premier Concerto
lité d’Annie Fischer sont innom- le 23e de Mozart, puis donne un récital qui révèle de de Beethoven
brables, Pollini admirant sa simplicité, Richter sa suprêmes qualités techniques autant qu’une 1925 Admise
profondeur, Badura-Skoda son sens poétique et incroyable maturité musicale de la part d’une jeune à l’Académie musicale
Kocsis sa dignité de reine. Dans son éloge funèbre, fille de 14 ans. Elle sort diplômée de l’Académie en de Budapest
Tamás Vásáry déclara qu’elle était « l’art incarné ». 1932 et restera l’une des grandes étoiles de la presti- 1933 Remporte
Pianiste la plus admirée et la plus respectée de ses gieuse école hongroise. L’année suivante, elle est la le premier prix
collègues, elle a exercé une fascination légendaire sur plus jeune candidate du premier concours interna- au Concours Franz
son public. Elle n’a pourtant jamais atteint la renom- tional Franz Liszt. Devant un jury, au sein duquel Liszt de Budapest
mée universelle des grands de sa génération, sans figurent Alfred Cortot et Emile von Sauer, dans un 1937 Épouse
doute en raison d’une trop modeste discographie, de contexte tumultueux – Sauer ayant claqué la porte Aladár Toth
l’espacement de ses apparitions publiques à partir de avant la finale, arguant que le concours n’était pas
1941 Fuit la Hongrie
la fin des années soixante, mais aussi d’une certaine fidèle à l’esprit de Liszt –, elle remporte le premier
avec son mari
négligence dans la gestion de sa carrière. prix. Cette victoire, bien que contestée, couronne plus
1946 Rentre dans
sa maturité musicale et son panache que sa perfection
DES DONS PRODIGIEUX son pays natal
technique et lui vaut de nombreux engagements en
Née à Budapest le 5 juillet 1914, Annie Fischer révèle Europe qui lui permettent de jouer sous la baguette et reprend ses tournées,
très tôt des dons d’enfant prodige. Et c’est à la fin de de grands chefs, Ansermet, Boult, Klemperer, Busch essentiellement
l’année 1923, à l’âge de neuf ans et demi – et non à ou Mengelberg. En 1937, elle épouse Aladár Toth, de européennes
huit ans ainsi que plusieurs biographies l’indiquent quinze ans son aîné, qui jouera un rôle important dans 1961 Premier concert
– qu’elle fait ses débuts dans les deux derniers mou- le développement de sa carrière. La Seconde Guerre aux États-Unis,
vements du Premier Concerto de Beethoven. Le cri- mondiale va cependant en bouleverser le cours. au Carnegie Hall
tique musical Aladár Toth, qui deviendra plus tard 1968 Son mari meurt
son mari, l’entend pour la première fois et, très RÉFUGIÉE EN SUÈDE 1977 Démarre
impressionné par la précocité de son talent, rédige un De confession juive, Annie Fischer doit fuir la l’enregistrement
compte-rendu fort élogieux du concert. Dès 1925, Hongrie en 1941. À l’occasion d’une tournée en de l’intégrale des
elle est admise à l’Académie musicale de Budapest Scandinavie, elle se réfugie en Suède où elle demeu- Sonates de Beethoven
(qui prendra plus tard le nom de Franz Liszt) où elle rera avec son mari durant toute la guerre. Elle y 1995 S’éteint à
étudie avec Arnold Székely et Ernö Dohnányi. Parmi donnera quelques concerts – un bref témoignage du Budapest

SDP
SDP
Jeune fille au débuts aux États-Unis, en jouant au Carnegie Hall
talent précoce, de New York le 22e Concerto de Mozart avec l’Or-
elle poursuivit chestre de Cleveland dirigé par George Szell. Elle
une carrière reviendra plusieurs fois en Amérique du Nord les
longue de années suivantes. Honorée à trois reprises (en 1949,
soixante-dix ans. 1955 et 1965) du Prix Kossuth – la plus haute dis-
tinction pour les artistes hongrois –, elle devient une
icône dans son pays, bien que le régime communiste
bride son rayonnement à l’étranger en ne distribuant
GETTY
pas à l’Ouest ses enregistrements réalisés sous le label

d’État Hungaroton. Elle siège aux jurys de presti-
Son génie 1er concerto de Liszt enregistré en 1943 subsiste – et gieux concours internationaux, et notamment, la
musical lui se consacre à l’enseignement. Dès 1946, elle rejoint même année 1956, à celui de la Reine Elisabeth à
valut le surnom sa Hongrie natale, son mari ayant été nommé direc- Bruxelles, au Concours Liszt à Budapest et au
de « Richter teur de l’Opéra d’État de Budapest. Personnage Concours Marguerite Long à Paris. En 1966, elle fera
féminin ». influent de la vie musicale hongroise d’après-guerre, partie du jury du Concours de Leeds et, en 1972, à
c’est lui qui fera venir Otto Klemperer à la tête de nouveau de celui de la Reine Elisabeth. On l’entendra
l’orchestre. Elle reprend alors ses tournées, se faisant régulièrement à Paris, notamment au Théâtre des
entendre dans son répertoire de prédilection Champs-Élysées avec l’Orchestre de la Société des
(Beethoven, Schubert, Mozart, Schumann) dans concerts du conservatoire dès 1957, puis avec l’Or-
toutes les grandes villes d’Europe, mais montre déjà chestre de Paris, et encore plusieurs fois en récital
une désinvolture notoire face aux engagements dans la série Piano 4 Étoiles au cours des années
qu’on lui propose, en n’acceptant que ceux qui lui 1980. Tous ses admirateurs se souviennent que la
conviennent. Ce n’est qu’en 1961 qu’elle fait ses perfection technique n’était pas son idéal et ● ● ●

VIE DE LÉGENDE
Tous ses admirateurs

se souviennent que
la perfection technique
n’était pas son idéal
et qu’en prenant tous
les risques, entraînée par
l’urgence vitale de son
jeu, il lui arrivait souvent
de mettre quelques
notes à côté. Mais tous
gardent en mémoire
que son jeu héroïque
alliait ardeur percussive
et sens poétique.
● ● ● qu’en prenant tous les risques, entraînée par filtrer de sa vie privée. Lorsqu’elle accepte enfin de
l’urgence vitale de son jeu, il lui arrivait souvent de remonter sur scène, elle limite drastiquement le
mettre quelques notes à côté. Mais tous gardent en nombre de ses concerts. Lors de la saison 1969-1970,
mémoire que son jeu héroïque alliait une ardeur elle prend part à un cycle des 32 sonates de
percussive (que beaucoup d’hommes pouvaient lui Beethoven, donné au Concertgebouw d’Amsterdam,
envier) à un sens poétique qui lui valurent le surnom aux côtés des plus grands noms du clavier, Claudio
de « Richter féminin ». Fumeuse impénitente, elle se Arrau, Nikita Magaloff, Robert Casadesus, Eduardo
précipitait entre deux œuvres sur une cigarette en del Pueyo, Rudolf Firkusny et Daniel Barenboim.
coulisses, comme si elle cherchait un regain d’inspi- Entre décembre 1976 et mai 1977, elle donnera pour
ration dans ses volutes de fumée. Les musiciens d’un la première fois sa propre intégrale en huit concerts,
orchestre londonien l’avaient d’ailleurs affectueuse- qu’elle doublera en moins de six mois. Ce sera le
ment surnommée « Ashtray Annie » (Annie- point de départ de son enregistrement complet pour
cendrier). Interprète raffinée de Mozart et de Hungaroton, qui s’étendra sur près de dix ans et dont
Schubert, elle démontrait un jeu viril dans Beethoven elle ne sera jamais pleinement satisfaite. Membre du
mais c’est sans doute dans Schumann qu’elle expri- jury du premier concours international japonais en
mait son talent avec le plus de naturel, capable 1980, ce n’est qu’au milieu des années 80 qu’elle se
comme personne d’épouser les brusques change- fera entendre en concert à Tokyo. Elle retournera à Fumeuse
ments d’humeur si propres à sa musique. Et tout cela plusieurs reprises au Japon dans les dernières années invétérée, elle
sans le moindre narcissisme. de sa carrière, y rencontrant un public toujours fut surnommée
enthousiaste, ainsi qu’en témoignent plusieurs enre- « Ashtray Annie »
UNE PERTE IRRÉPARABLE gistrements publics. C’est à Szolnok, une petite ville par les musiciens
En 1968, elle fait une grande tournée en Australie, de Hongrie, qu’elle donne son ultime concert en d’un orchestre
mais cette même année elle perd son mari d’une octobre 1994, mettant un terme à soixante-dix avec qui elle jouait.
maladie liée au tabac. Très affectée par sa disparition, années de carrière. La dégradation rapide de sa santé
elle freine brutalement sa carrière, cesse de se pro- lui fera annuler une nouvelle tournée au Japon et elle
duire en public durant plusieurs mois et interrompt s’éteint le 10 avril 1995 à Budapest, sa ville natale, où
ses enregistrements pendant plusieurs années. Elle elle avait passé la majeure partie de sa vie et où elle
devient plus mystérieuse encore, ne laissant rien repose aux côtés de son mari bien-aimé.

Ci-dessous avec UNE DISCOGRAPHIE MODESTE
son mari bien-aimé, Au début des années 50, Annie Fischer grave en
Aladár Toth, critique Tchécoslovaquie son premier disque pour
musical puis Supraphon, consacré à la Sonate « Waldstein » de
directeur de l’Opéra Beethoven. C’est ensuite à Moscou qu’elle enregistre
de Budapest. pour Melodiya plusieurs disques, les Sonates
« Pathétique » et n° 30 ainsi que le Capriccio « Colère
pour un sou perdu » de Beethoven, la Fantaisie-
Impromptu de Chopin, le Carnaval et la Fantaisie de
Schumann, ainsi que la Chaconne de Haendel. À
Budapest, elle signe chez Hungaroton une prodi-
gieuse version de la Sonate de Liszt qui restera l’un
de ses chevaux de bataille (1953). Sa rencontre avec
Walter Legge lui vaut ensuite un contrat avec
Columbia/EMI. À partir de la fin des années 1950,
elle enregistre alors les quelques disques qui vont
forger sa légende, comprenant six sonates de
Beethoven (n° 8, 14, 18, 21, 24, 31 & 32), l’ultime
D.960 et quelques impromptus de Schubert, ainsi
que la Fantaisie, les Kreisleriana, les Scènes d’enfants
et le Carnaval de Schumann (gravures toutes réédi-
tées en CD il y a une vingtaine d’années par EMI
dans un coffret de la série « Les Introuvables »). Sous
la même étiquette figurent également une poignée
de concertos, le 3e de Bartók (1955), dont elle reste
l’une des plus grandes interprètes, le 1er de Liszt et
celui de Schumann avec Otto Klemperer (1960),
ainsi que plusieurs Mozart miraculeux, les 20e et 23e
avec Adrian Boult (1959), les 21e et 22e avec Wolfgang
GETTY
GETTY
Sawallisch (1958), les 24e et 27e avec Efrem Kurtz

(1966). Chez DG, elle grave en 1957 le 3e Concerto
de Beethoven sous la baguette de Ferenc Fricsay,
puis les Rondos K. 382 et K. 386 de Mozart (1959).
Si ses disques occidentaux furent distribués dans le
monde entier, ceux qu’elle avait réalisés en Hongrie
ne furent pas commercialisés à l’Ouest. En revanche,
c’est elle qui s’opposera à ce que son intégrale des
sonates de Beethoven, gravée pour Hungaroton,
soit publiée de son vivant, consentant cependant à
ce qu’elle paraisse après sa mort. De nombreux
enregistrements non commerciaux, de radio ou pris
sur le vif, complètent cette modeste discographie et
attestent d’un répertoire plus étendu que ne le lais-
seraient supposer ses seuls enregistrements de stu-
dio. Dans la série « BBC legends », notamment, on
peut ainsi l’entendre dans des pages de Brahms,
SDP
Bartók, Chopin, Dohnányi, Haydn, Kodály ou Liszt

absentes de sa discographie officielle. Bien que très
rares, on lui doit quelques témoignages en musique
de chambre (Sonate « à Kreutzer » avec Ede
Zathureczky, Quintette de Schumann avec le
Quatuor Bartók, « La Truite » de Schubert avec le
Quatuor Tatrai), tandis que plusieurs éditeurs
(Meloclassic, Palexa, NM Classics, ICA) ont exhumé
des bandes inédites, mais aussi des archives filmées,
qui la font entendre jusqu’à une période tardive de
sa carrière, où elle démontre une spontanéité et une
force de caractère qui témoignent d’une personna-
SDP
lité pianistique hors du commun. ■

EN COUVERTURE
LE TEMPS
DE LA VALSE
valse reçoit son nom. Dans les auberges popu-
Les Strauss père et fils, les fastes laires du Kahlenberg, une des collines qui sur-
du nouvel an à Vienne, le tournoiement plombent la ville, on se met à danser le « walzer »,
du verbe allemand « wälzen », qui veut dire tour-
de la robe de Claudia Cardinale dans ner. C’est une danse à 3/4 temps que l’on pratique
Le Guépard de Luchino Visconti, en couple et en position dite « fermée ». Une
petite révolution à une époque où l’on dansait
les mélodies de Schubert, Chopin, presque exclusivement en ligne, pour réduire au
minimum les contacts physiques entre les parte-
mais également celles de Ravel… naires. Rapidement, la bourgeoisie autrichienne
Du xviiie siècle à la Belle Époque, et allemande se met au diapason. Elle délaisse les
danses trop rigides héritées du menuet français
la valse convoque avec elle tout un pour cette nouvelle forme plus libre et virevol-
tante. La valse s’embourgeoise, et abandonne ses
imaginaire. Retour sur une danse à trois aspects les plus folkloriques comme les sauts pour
temps qui a fait tourner bien des têtes. les remplacer par les pas glissés, plus adaptés aux
parquets des salles de bal. Dans son chef-d’œuvre
par Lou Heliot de jeunesse Les Souffrances du jeune Werther
O
(1774), Goethe dépeint cet émoi provoqué par
l’irruption de la valse dans les salons bourgeois :
n retrouve des traces de la valse « Quand on en vint aux valses, et que nous rou-
sur tout le continent européen lâmes les uns autour des autres comme les sphères
dès le xiiie siècle. Difficile cepen- célestes, je n’étais plus un homme. Tenir dans ses
dant de situer précisément ses bras la plus charmante des créatures ! Voler avec
origines. Plusieurs pays se dis- elle comme l’orage ! Voir tout passer, tout s’évanouir
putent en effet sa paternité : autour de soi ! »
pour les Français, la valse vient Étourdissante et sensuelle, cette danse nouvelle
de la volte, une danse très pri- qui rapproche les corps, qui fait se mêler les jupes
sée à la cour des Valois. Pour des femmes aux pantalons des hommes et permet
les Allemands, elle vient du ländler, une danse les conversations les plus intimes, n’est bien évi-
traditionnelle paysanne. Et les Autrichiens la demment pas du goût de tous. La valse devient
AKG-IMAGES
relient directement à la tyrolienne, une danse la source de tous les péchés. Le clergé s’y oppose
sautée de leur folklore. Quoi qu’il en soit, c’est formellement et les pamphlets aux titres signifi-
bien à Vienne, au milieu du xviiie siècle, que la catifs abondent, comme cette « Preuve que ●●●

EN COUVERTURE
●●● la valse est l’une des causes principales de la
perdition du corps et de l’esprit pour nos jeunes
générations ». Victor Hugo lui-même voit d’un
très mauvais œil l’arrivée de cette « danse impure,
au vol lascif et circulaire, effeuiller en courant les
femmes et les fleurs ». Toutes ces condamnations
n’empêchent cependant pas la valse de continuer
sa progression. Après la Révolution française, qui
précipite le déclin des danses de cour, c’est l’Eu-
rope tout entière qui succombe à cette passion,
avec Vienne pour épicentre.
AU XIXE SIÈCLE, LES STRAUSS

OUVRENT LE BAL
Au début du XIX e siècle, la valse connaît son
véritable âge d’or grâce à Johann Strauss et à
Joseph Lanner. Débordant d’inspiration, les deux
Viennois composent des centaines de valses et en
fixent le canon à trente-deux mesures. Grands
habitués des cafés viennois, où se croisent écri-
vains et musiciens, ils inspirent d’autres artistes
comme Schubert ou Chopin. La valse viennoise se
perpétue avec le fils de Johann Strauss, qui parfait
sa forme musicale. Là où la valse de Strauss père
était encore proche de ses origines populaires,
solide et énergique, celle de Strauss filsse fait
plus délicate et raffinée, mondaine. Le rythme
Gustave Flaubert,
ternaire de la valse devient moins marqué, plus
« implicite ». Strauss n’hésite pas à complexifier
Madame Bovary (1857) la structure de ses morceaux, ajoutant des intro-
ductions et des codas beaucoup plus longues,
I
ls commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient : tout comme dans le célèbre Beau Danube bleu, les
tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet, Légendes de la forêt viennoise ou encore la Valse
comme un disque sur un pivot. En passant auprès des portes, la robe de l’Empereur. Johann Strauss II est sacré roi de
d’Emma, par le bas, s’ériflait au pantalon ; leurs jambes entraient l’une dans la valse, et ses rythmes enivrent les salles de bal
l’autre ; il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une torpeur de toute l’Europe.
la prenait, elle s’arrêta. Ils repartirent ; et, d’un mouvement plus rapide, Parvenu au sommet de son art, Strauss fait un pas
le vicomte, l’entraînant, disparut avec elle jusqu’au bout de la galerie, où, de plus en intégrant la valse au sein d’un genre
haletante, elle faillit tomber, et, un instant, s’appuya la tête sur sa poitrine. qui n’est plus seulement celui de la musique à
Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit à sa place ; danser : l’opérette. Le succès de La Chauve-Souris
elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux. en 1874 est tel que la valse en devient un élément
incontournable. Cette tradition de la valse d’opé-
Stefan Zweig,
rette se perpétuera non seulement à Vienne, avec
Franz Lehar et sa Veuve joyeuse, mais également
La Pitié dangereuse, ou à Paris, avec Offenbach. Affranchie des pistes de
danse, la valse s’impose de plus en plus comme
l’impatience du cœur (1939) une forme musicale à part entière. Quelques
dizaines d’années auparavant, en 1819, le com-
ne musique assourdie se fait entendre, celle que je désirais positeur romantique Carl Maria von Weber avait
U inconsciemment : une musique de danse, une valse, jouée par un

quatuor : deux violons ailés, un violoncelle grave et mélancolique, un
piano aux vifs staccati. Ah ! Se lancer dans le tourbillon d’une valse, se laisser
d’ailleurs déjà écrit son Invitation à la danse,
pièce pour piano inspirée d’une scène de valse.
Orchestrée par Berlioz sous le titre d’Invitation
soulever, pour éprouver plus fortement encore cet état de béatitude ! (...) à la valse, cette pièce marque son entrée dans les
Je me tourne vers Ilona. Elle rit et comprend. Ses yeux ont déjà dit oui : nous salles de concert. Tout au long du XIXe siècle, la
tourbillonnons, et bientôt deux couples, puis trois, puis cinq tournent sur le forme valse est travaillée, peaufinée, revisitée dans
RUE DES ARCHIVES
parquet glissant, tandis que les personnes prudentes et plus âgées regardent toute l’Europe. Franz Schubert compose ses Valses
ou bavardent. (...). Elle valse admirablement, tout est admirable, je me sens sentimentales et ses Valses nobles, une centaine de
heureux comme jamais je ne l’ai été, je ne me possède plus ! ■ pièces pour piano davantage conçues pour l’inti-
*Suite de l’extrait de La Pitié dangeureuse dans la rubrique Le clavier des écrivains, p. 74 mité des salons que pour les vastes salles de bal. À

Varsovie puis à Paris, Frédéric Chopin, miniatu-
riste de génie, élève définitivement la valse à une
valse sous forme de romance chantée dans La
Bohème. Le xixe siècle aura été sans conteste celui CHOPIN,
forme purement musicale. Ses dix-sept valses
pour piano font désormais partie des œuvres les
de la valse.
LA DANSE
plus jouées au monde.
Non contente d’avoir gagné sa place au sein de la
APRÈS 1918, « UN TOURBILLON
FANTASTIQUE ET FATAL » DE L’ÂME
J
musique de chambre, la valse fait également une 1919. L’Europe est en ruines. Les empires se sont « e n’ai rien de ce
entrée fracassante dans la musique symphonique effondrés, entraînant dans leur chute tout un art qu’il faut pour la
grâce à Berlioz, qui lui consacre tout le second de vivre. Assoiffée de libertés nouvelles, l’Europe valse viennoise »,
mouvement de sa Symphonie fantastique, intitulé découvre les rythmes effrénés du foxtrot et du aurait déclaré Frédéric
Le Bal. La valse fait désormais partie intégrante du swing. La valse à la viennoise fait désormais par- Chopin. Aveu pour
répertoire symphonique. Tchaïkovski la convoque tie de ce que Stefan Zweig a appelé « le monde le moins étonnant
dans toutes ses symphonies. Et Anton Dvorák d’hier ». Les compositeurs la traitent dès lors de la part de ce grand
lui offre une place de choix dans sa Symphonie sur un mode ambivalent. Traumatisé par les romantique, qui tout au
ravages de la Première Guerre, Ravel compose long sa vie a composé
son poème chorégraphique La Valse. Ancien
Affranchie des pistes symbole de la joie de vivre de la Belle Époque, elle
d’inoubliables valses.
Il est vrai que sous
de danse, la valse prend sous la plume du compositeur des allures
de danse macabre : une « espèce d’apothéose de
la plume de Chopin,
elles étaient moins
s’impose de plus la valse viennoise à laquelle se mêle l’impression
d’un tourbillon fantastique et fatal ». Une page
destinées à la danse
qu’à l’évocation de
en plus comme s’est définitivement tournée dans l’histoire de
l’Europe et dans l’histoire de la valse. Sauf peut-
certains états d’âme,
comme en témoigne
une forme musicale être à Vienne. On n’y valse plus comme du temps sa célèbre Valse
des Strauss, mais elle est encore dans toutes les en la bémol majeur.
à part entière. têtes. Les grandes figures de l’avant-garde, comme Schumann ne s’y était
Schönberg, Berg et Webern, dialoguent avec cet d’ailleurs pas trompé
du Nouveau Monde, aux côtés de mélodies tradi- encombrant héritage. Ensemble, ils transcrivent et en décrivant cette
tionnelles irlandaises, de thèmes jazz et de danses arrangent plusieurs valses de Strauss. Comme le valse de l’adieu comme
peaux-rouges. L’opéra n’est pas en reste. Gounod soulignera Schönberg, à propos de sa magnifique « le murmure de
s’y essaie avec grand succès dans son Faust puis transcription de la Valse de l’Empereur, « tout cela deux voix amoureuses,
dans son Roméo et Juliette. Puccini, lui, ose une est musique, et tout cela mérite d’être aimé ». ■ les coups répétés
de l’horloge et le
roulement des roues
brûlant le pavé, dont
le bruit couvre celui
des sanglots
comprimés ». Tantôt
enjouées, tantôt
mélancoliques,
toujours délicates
et parfois vacillantes,
les valses de Chopin
sont de véritables
méditations,
l’expression intime
d’un esprit en proie au
doute et à la nostalgie.
« Des danses pour
l’âme », comme l’a très
justement remarqué
le grand pianiste
Alfred Cortot. ■
Claudia Cardinale et
Burt Lancaster dans
la célèbre scène du
SDP
bal du Guépard.

Pédagogie
ENTREZ DANS
LA VALSE!
P. 50 P. 54 P. 58
MASTERCLASSE LES CONSEILS LE JAZZ
de David Kadouch de Simon Zaoui de Paul Lay
Il suffit d’évoquer la valse pour que s’impose l’image
des parquets cirés à la viennoise. Vous retrouverez bien sûr
dans le cahier de partition cet imaginaire typique de la salle
de bal, notamment avec Schubert et ses valses à danser.
Mais nous en avons élargi l’horizon pour réunir des pages
tantôt mélancoliques ou rêveuses (Chopin et Scriabine),
langoureuses et sensuelles (Debussy et sa Plus que lente),
voire même légèrement grivoises (Alfred Godard, Bébé valse),
impertinentes (Offenbach, Les Belles Américaines)
ou entraînantes (la 2e Valse de Chostakovitch que
Paul Lay, qui nous rejoint pour le jazz, fait swinger).
Mais quels que soient ses détours ou ses formes, notez,
une fois au clavier, qu’il n’est point de valse sans désir.
Elsa Fottorino - Illustrations : Éric Heliot
➜ Retrouvez les masterclasses de David Kadouch et Paul Lay,

tournées chez Steinway Paris, sur la chaîne YouTube Pianiste Magazine.

Pédagogie
LA LEÇON
1, 2, 3… Eh bien,
dansez maintenant !
Qui dit valses pour piano dit Chopin. Comment exprimer leur grâce infinie ?
En suivant les préceptes d’un certain Jacques Brel…
ASSUREZ VOS APPUIS mais tout aussi charmant qu’une valse de son interprétation. Son jeu dérapera,
Jacques Brel chantait : « Au premier à trois temps… ». Cependant, allons il savonnera et, surtout, cela ne chantera
temps de la valse… » Qui ne connaît un peu plus loin et soulignons ce mot, pas. Dans une valse, il faut donc
La Valse à mille temps, célèbre chanson « théoriquement ». En effet, si nul absolument contrôler aussi à l’oreille
de ce génie de la chanson et de la musicien ne doit ignorer où se trouve les deuxième et troisième temps,
poésie ? Commençons donc par cela le temps fort de la mesure, à l’inverse, en écoutant les sons qui tombent
pour définir notre Madame-la-Valse : rien ne serait plus anti-musical que de sur les temps faibles.
elle est à trois temps. Personne ne marteler lourdement tous ces premiers ➜ Ajoutons ceci : pour obtenir
l’ignore. Et l’ami Brel chantait aussi : temps, un peu comme les paysans de ce contrôle, il est très utile de bien
« Et Paris qui bat la mesure… » Fort Vienne qui, dans les tavernes du mont apprendre et penser les doigtés
bien. Mais, au fait, qu’est-ce que Kahlenberg, dansaient le Ländler et qui tombent sur ces notes des temps.
« battre la mesure ? » Cela signifie frappaient la terre battue avec leurs gros
avant tout que nous ne donnons pas le sabots. Lors de la Révolution, les pas SACHEZ RESPIRER
même poids à chaque temps, à chaque de la valse devinrent « glissés » car Chopin est incontestablement le maître
pulsation. Pour obtenir le balancement la bourgeoisie découvrait les parquets ! de la valse de concert pour piano, ayant
d’une mélodie, il importe de donner Chaque pas prend alors son dit lui-même : « Je n’ai rien de ce qu’il
un élan sur certaines notes, exactement importance. Ce serait donc affreux de faut pour la valse viennoise. » Et le
comme nous pouvons, dans le langage, négliger les temps faibles. Rappelons Maître de préciser : « Mes valses ne sont
souligner un mot particulier de la que Dinu Lipatti, qui était un immense pas faites pour danser. » Or, Chopin,
phrase afin de la rendre expressive. interprète des valses de Chopin, disait très souvent, laisse mourir sa phrase
En musique, cet appui peut revenir tous ceci : « Insister sur le temps fort et lui sur le temps fort. Le souffle du pianiste-
les deux temps, trois temps ou quatre mettre un accent, c’est commettre l’une chanteur-poète vient alors à s’affaiblir,
temps (pour évoquer les mesures des plus grandes erreurs en musique car il faut donc diminuer le son. Voici
les plus courantes). Comment déceler il n’est rien d’autre qu’un tremplin en encore un exemple des nombreuses
cela ? Eh bien, c’est au musicien de direction des temps faibles, et ce sont exceptions qui concernent la soi-disant
chanter la mélodie, puis de chercher ces derniers qui portent le vrai poids. »1 prédominance du temps fort. Il faut
à sentir si cette impulsion revient ➜ Alors ? Que faire finalement, savoir où est ce temps fort, ce qui
naturellement tous les deux, trois, direz-vous, pour jouer une valse ? ne veut pas dire qu’il faut forcément
ou quatre temps (il n’est jamais inutile Prenons un exemple : la Valse en ut # l’appuyer !
de rappeler des évidences !) mineur op. 64 n° 2 de Chopin. La partie ➜ Respirer entre les phrases : « Une
centrale s’élance dans un tourbillon valse à trois temps… Qui s’offre encore
SOYEZ MAÎTRE DU TEMPS de notes rapides. Leur courbe est le temps… », chantait Brel. Et il aurait
Lorsque l’on joue une valse, il est donc enivrante. Il faut donc la phraser, pu ajouter : « De respirer entre les
évidemment important de faire sentir à la dessiner, la nuancer. Cependant, phrases. » Car si le pianiste ne prend
l’auditeur où se situe théoriquement le si le pianiste ne contrôle pas la pas son temps pour respirer, il jouera
temps fort : tous les trois temps… Car temporalité dans son jeu, s’il boule ou peut-être une valse à un temps, ou bien
comme disait Brel, « une valse à quatre avale les temps faibles en les pressant, encore une valse à cent temps, (« une
temps… C’est beaucoup moins dansant, alors aucune beauté ne pourra venir valse à cent ans » !) Mais, son jeu sera

Chopin, Valse en ut# mineur opus 64
BIO EXPRESS
Pianiste concertiste, Alexandre
Sorel est professeur au
conservatoire de Gennevilliers.
Il a été pianiste à la Comédie-
Française et au musée d’Orsay
à Paris, ainsi que producteur
à France Musique. Il a réalisé
les premiers enregistrements
d’Émile Waldteufel, de Marie
Jaëll, et obtenu un Diapason
d’Or. Il a créé une collection de
pédagogie du piano, « Comment
jouer… » (éd. Symétrie) et est
l’auteur de « La Méthode bleue »,
destinée aux enfants débutants
(éd. Lemoine, 2019). Son dernier
disque, consacré à Chopin, vient ➜ La meilleure chose que vous puissiez nouveau groupe de quatre mesures.
de paraître chez Euphonia. faire pour faire danser votre valse (une Faites sentir un petit « redépart ».
fois que vous avez chanté la phrase ✔ Jouez vos basses des mesures nos 6, 7
et identifié chaque pulsation) est de et 8 de nouveau légèrement (comme
compter les mesures, et non plus pour les mesures nos 2, 3 et 4).
beaucoup moins charmant qu’une seulement les temps. Cela permet ✔ Faites sentir un vrai « point-virgule »
valse à trois temps. En jouant une valse, de doser le poids de vos basses (jouées (et non plus une petite virgule, comme
donc, prenez toujours le temps de par le cinquième doigt), sur chacun pour les mesures nos 4 à 5).
respirer entre vos phrases, et de bien des premiers temps. En effet, elles ne ✔ Faites sentir un « redépart » plus
terminer calmement chaque séquence doivent pas avoir le même poids, et important au début de la mesure n° 9,
de huit mesures avant la suivante. Cela c’est cela qui permet de faire sentir les car elle s’élance pour un nouveau
est très important : ne pressez jamais groupes de mesures. Entraînez-vous grand groupe de huit mesures. Sentez
vos fins de périodes. C’est une question avec le petit exercice que nous vous bien la différence : certaines césures
de nervosité intérieure que vous devez proposons dans ce numéro de Pianiste sont de très petites respirations,
dominer ! Prenez bien le temps de finir page 48. Tout en jouant, comptez dans d’autres sont des pauses plus
vos accompagnements de main gauche. votre tête – non plus les temps – importantes. Voilà l’essentiel pour
Puis, pour faire la césure, coupez non mais les mesures elles-mêmes : « Une, jouer une valse !
seulement avec votre doigt, mais avec deux, trois, quatre… Cinq, six, sept, Compliqué tout cela ? Pas du tout ! Il est
la pédale. Savoir respirer avec la pédale huit… Neuf, dix, onze, douze… Treize, toujours malaisé de décrire la musique
est essentiel pour bien jouer. quatorze, quinze, seize. » Retenez ce à l’aide des mots. En revanche, cela est
petit schéma. Cela vous permettra de simple à ressentir musicalement. Quoi
MONTREZ VOTRE CARRURE savoir où vous en êtes des carrures qu’il en soit, « parlez » avec votre valse :
Une valse comporte la plupart du et de bien faire la différence entre les ponctuez-la ! Racontez-la ! Si vous
temps : 4 mesures + 4 mesures, ce qui premiers temps. Quel poids doivent différenciez ainsi vos premiers temps
fait 8 mesures… Le tout est répété deux prendre vos basses ? de chaque mesure, vous entendrez
fois. Le total est donc de 16 mesures ✔ Donnez au premier temps de combien votre valse sera dansante.
pour un thème complet de valse. Ces la mesure n° 1 un bon appui avec Alors, libre à vous ensuite de faire,
« carrures » sont très importantes. Il votre cinquième doigt. comme le chantait si bien Jacques Brel,
faut les faire sentir car elles déterminent ✔ Allégez vos basses sur les premiers « des détours du côté de l’amour… » ■
les ponctuations de la musique, la temps des mesures nos 2, 3 et 4. A. Sorel
logique de la phrase, c’est pourquoi ✔ Ménagez une sorte de petite virgule. 1. Dragos Tanasescu & Grigore Bargauanu :
l’esprit humain y trouve un aussi grand Respirez. Dinu Lipatti, préface de Yehudi Menuhin.
plaisir que son cœur. ✔ La mesure n° 5 s’élance pour un Éditions C. Grindea, 2008, p. 143.

Pédagogie
AVANT DE COMMENCER
Pour jouer une valse… par Alexandre Sorel
P
our jouer
une valse, il ne
suffit pas de
« balancer » la
musique à trois temps :
un, deux, trois…
Il faut aussi faire sentir
les « carrures » (les
groupes) de mesures.
C’est-à-dire que
les premiers temps
des mesures ne
doivent pas avoir
tous le même poids.
➜ Il est donc nécessaire
de ponctuer votre
discours musical
comme un texte, en
comptant dans votre
tête non seulement
les temps, mais aussi
les mesures, comme
indiqué ci-dessus.
Remarquez que les
lettres n’ont pas toutes
la même taille !
➜ Quand il y aurait
une virgule ou un
point-virgule dans
le langage, « respirez »
aussi avec la pédale,
et non pas seulement
avec le doigt ! ■
Pour réaliser cet

exercice, lire la
totalité des conseils
d’interprétation dans
la leçon p. 46 et 47.
© A. S.

MENT
ÉVÈNE L
C E P T IONNE
EX
En Exclusivité à Paris
OUVERTURE DU NOUVEAU
Centre C. Bechstein
50 rue de Rome 75008 Paris - Tél. 01 42 93 75 78
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Pédagogie

LA
MASTERCLASSE
DE… David
Kadouch
Ce brillant interprète et pédagogue nous
décrit avec ardeur et sensibilité deux valses
profondément oniriques de Chopin
et Scriabine. Entre extase et nostalgie.
BIO EXPRESS
Chopin Valse op. 64 n° 2
Né en 1985, il étudie au
conservatoire de Nice, puis
au CNSM de Paris et à l’école
Reine Sofia de Madrid. Finaliste ☞ NIVEAU AVANCÉ / CD PLAGE 8
du Leeds International Piano
L
Competition en 2009, il est e souvenir d’une valse. C’est ce l’auditeur. Ce sera une évocation
la Révélation jeune talent des que m’évoquent ces célébrissimes du passé. Une valse peut avoir été dansée
Victoires de la musique 2010, pages de musique. précédemment avec un être aimé.
puis Young Artist of the Year aux Chopin, maître de l’art de la valse, Qui sait ? L’agogie si particulière
Classical Music Awards 2011. transcende cette danse en nous montrant de Chopin, ce rubato emprunté au chant,
Il se produit dans les plus grandes ses rouages et son squelette. Composée aux inflexions de la voix humaine, hante
salles et enseigne à l’Académie deux ans avant sa mort et un an après ici tous les recoins de la pièce. Que faire
musicale de Philippe Jaroussky sa rupture avec Georges Sand, cette de ce crescendo main droite à la fin
à La Seine Musicale. Son dernier danse échappe à toute interprétation trop de la carrure des quatre premières
disque, « Révolution », CHOC littérale. Elle évoque tour à tour mesures, si ce n’est donner une direction,
Classica, est sorti en septembre des souvenirs dansants, le folklore continuer, ne pas s’arrêter, amener
chez Mirare. et les rythmes slaves des polonaises le reste ? Danser malgré les regrets.
✔ 16 nov. Récital « Révolution », et mazurkas de son pays natal, la Pologne. ➜ Le passage suivant (mesure 33),
Château de Compiègne ➜ Lorsque le thème en do dièse mineur à prendre un peu plus allant, avec
✔ 7 et 8 déc. Concerto pour piano raisonne pour la première fois, opposé ces croches descendantes main droite
de Schumann, Opéra de Tours dès la mesure 4 au la majeur dans un simplifie le discours à l’extrême.
✔ 11 déc. Gala de l’Académie clair-obscur amer, l’intense mélancolie La main gauche dirige le temps
Jaroussky, Seine Musicale. des harmonies met déjà en garde harmonique pendant que la main ● ● ●

Pédagogie
●●● droite égrène le temps. Organiser la suite (mesure 98). On essaiera

la carrure harmonique pour que ces de jouer cette partie peut-être plus
mesures ne sonnent pas automatiques, fantasmagorique encore, sans presser
mais au contraire comme le fantôme inutilement la main droite. Il faudra faire
de la danse précédemment entendue. attention à travers toute la pièce de
➜ Autant cette première partie résonnait ne jamais oublier ni déformer ce rythme
pour soi-même, comme en soi, autant de valse qui donne cette simplicité amère
cette partie centrale en ré bémol majeur à cette musique si profonde.
(mesure 65), lyrique, chaude, semble Le thème de la valse en do dièse mineur
être chantée à quelqu’un. plaintif raisonne pour la dernière fois
Ces syncopes continuelles, ces étages (da capo). Il m’apparaît souvent plus
harmoniques, jusqu’à la longue carrure désespéré, plus intense encore ici, peut
de mesures (mesures 76 à 81 et mesures être parce que Chopin sait la fin
90 à 97) confèrent au discours une de la valse proche, la partie des croches
urgence particulière, une certaine descendantes main droite n’est plus
fébrilité à dire les choses importantes. très loin et reprendra bientôt le relais.
La répétition de la section, ornementée, Rappelant que tout n’est que mémoire,
dolce, (mesure 82), comme chuchotée, que tout est déjà derrière soi, cette valse
apparaît ici comme dite pour soi. bouleverse. Elle a été dansée il y a
C’est un moment bouleversant pour longtemps, presque dans une autre vie,
l’interprète comme pour l’auditeur. et son souvenir est comme un grand
➜ Le fantôme de la valse revient par soupir de nostalgie et de regret. ■
MES. 1 -4 Intense
mélancolie
MES. 33 MES. 76-81

un peu plus allant

Scriabine Valse op. 38 MES. 49
☞ NIVEAU SUPÉRIEUR / CD PLAGE 9
L
es couleurs sont pastel, parfois le passage dionysiaque précédent pour
intenses, souvent rêveuses dans l’amener vers une partie plus douce et
cette valse de Scriabine. calme (le piacevole de la mesure 106), cet
La synesthésie si chère à son œuvre interlude langoureux et rêveur de la valse.
inonde le clavier du pianiste d’une ➜ Mesure 130, la valse triomphante
multitude de couleurs différentes. revient hanter le forte du piano.
➜ L’agogie, qui chez Chopin évoque Dès la mesure 154, le rythme à trois temps
la voix chantée, est ici au service d’une de la valse se fait encore plus organique,
spiritualité rêveuse et contemplative. à la manière d’une respiration
Cette valse – qui commence par un qui se prépare à s’amplifier davantage. MES. 76
ritenuto dès sa première mesure ! – n’est ➜ Mesure 166, le piano n’est plus
pas sans évoquer les harmonies chaudes là, l’orchestre prend le relais.
et mélancoliques de Chopin. Mais ici, Les déplacements se font immenses,
tout est comme décalé, comme ailleurs. les ritenuto et accelerando font haleter
Scriabine, dans cet allegro agevole, rêve le discours. Scriabine nous prépare
et fluidifie le discours. Les syncopes main à l’extase de la mesure 190. La valse ici
droite provoquent un léger déséquilibre dépasse le cadre de la danse, elle évoque
tandis que la main gauche écrite comme la plénitude et la béatitude d’avoir conquis
un accord arpégé participe à cette fuite des territoires jusqu’alors insoupçonnés
dansée et délicieuse (peut-être même pour une danse à trois temps. L’interprète
alcoolisée) vers l’avant. ne cherchera pas à presser le discours dans
➜ L’entrée des croches mesure 25 ainsi ces octaves. Au contraire, rester maître
qu’à la mesure 49 fait chatoyer le piano. alors que tout se déchaîne autour de soi,
La couleur est vif argent, les montées et contempler cette plénitude. MES. 241
main droite, tout en respectant le rythme ➜ Mesure 214, Scriabine parle, chuchote
de la valse, se font davantage fulgurantes. encore, et se rappelle dans un pianissimo
Le con grazia de la mesure 49 n’aura sotto voce de la béatitude tout juste passée.
peut-être jamais été aussi évocateur. ➜ La conclusion presto mesure 241,
➜ Mesure 76, la valse bat son plein. volubile, et rêveuse, monte de plus
Le musicien cherchera à utiliser un son en plus haut, épouse les aigus du clavier,
brillant et jamais dur pour évoquer ces comme une étoile qui aurait vécu
instruments cuivrés et légers. Le Poème son apothéose et vient s’éteindre
de l’extase op. 54 n’est plus très loin. paisiblement au pied du pianiste, encore
➜ Mesure 93, Scriabine chuchote avec abasourdi d’avoir vécu tout cela lors
bienveillance à l’oreille de l’auditeur après d’une simple valse. ■

Pédagogie
ENTRAÎNEZ-VOUS AVEC
Simon Zaoui
Lents, rapides, décalés… les tournoiements de la valse se déclinent
à l’infini. La preuve en sept exemples expliqués par notre professeur.
Alfred Godard Bébé valse

☞ NIVEAU GRAND DÉBUTANT / CD PLAGE 1
P
rofesseur et directeur d’une Variez les nuances, et inventez les vôtres
fabrique de pianos qui portait (notamment lors de la reprise).
son nom, compositeur d’une Il est à noter que tous les doigtés sont
dizaine de pièces, pour la plupart valses d’Alfred Godard lui-même. ■
et paraphrases d’opéra, le pianiste
Alfred Godard est aujourd’hui tombé
dans l’oubli. C’est l’occasion MES. 49 -50
BIO EXPRESS de découvrir cette Bébé Valse, dédiée
Formé auprès d’Émile Naoumoff « à ses jeunes élèves Miguel de Cardenas
et d’Alain Planès, lauréat et Joanny Berne ».
de concours internationaux, ➜ Gardez toujours une mg détachée,
il est un partenaire de musique sans rapport avec les articulations de la
de chambre recherché md. Mesures 1-4 et 9-12, faites un appui
et travaille aussi pour James rythmique sur chaque premier temps,
Thierrée (La grenouille puis mesures 5-8 et 13-16 une grande
avait raison, création en 2016). phrase legato sur quatre mesures.
Ses enregistrements ➜ Mesures 49-50 : la noire md courte,
consacrés à la musique puis de belles blanches mesures 51-52.
de chambre et aux mélodies
de Gabriel Fauré s’affirment
comme des références
Emmanuel Chabrier Petite valse

discographiques.
Il enseigne au Conservatoire
de Vincennes.
✔ 3 nov. Le Classique ☞ NIVEAU DÉBUTANT / CD PLAGE 2
du dimanche, programme
L
Ligeti, Dvorak, Barber. ’indication libidino soudente parle ramassent leurs forces pour redonner
Avec l’ensemble Ouranos. d’elle-même. Le compositeur, coquin, toute sa force au premier temps de
La Seine Musicale n’ayant pas écrit de fin pour la mesure suivante, et ainsi de suite.
✔ 8 déc. Le Classique cette courte danse, on peut la répéter ➜ Soyez précis avec la double croche
du dimanche, programme à l’envi(e), comme un mouvement en levée des deux premières mesures
Beethoven, trio « Les perpétuel… (do-fa, do-la). Puis la double croche
Esprits » Op. 70. Avec Pierre ➜ Pensez la phrase à deux mesures. devient plus coquine mesures 5 à 9,
Fouchenneret, Marc Coppey. Première mesure : temps fort sur le insistante et répétitive.
La Seine Musicale premier temps (le troisième temps est ➜ La double croche et la petite note
✔ 13 déc. Récital Brahms, un rebond-écho du premier). Deuxième mg sont identiques (mesure 6).
Beethoven. L’Impro, à Gap. mesure : les deuxième et troisième temps Les arpèges de la mg rapides comme

ceux d’une guitare, avec le moins MES. 1-3
de pédale possible. Imaginez une scène
de séduction chaplinesque sautillante
et burlesque. ■
MES. 6
Première mesure : temps Deuxième mesure : les temps 2 et 3

fort sur le premier temps, ramassent leurs forces pour redonner
le troisième temps est toute sa force au premier temps
un rebond du premier. de la mesure suivante. Et ainsi de suite…
Jacques Offenbach Les Belles Américaines, valse n° 1

☞ NIVEAU DÉBUTANT / CD PLAGE 3
P
remière valse d’une suite de trois plusieurs versions au disque, dont ➜ Même phrasé à partir de la mesure 10,
danses écrites lors d’une tournée celle d’Arthur Fiedler et du célèbre avec un sentiment de soulagement quand
d’Offenbach aux États-Unis, Boston Pops Orchestra. on retrouve la tonique (mesure 16).
en hommage aux femmes américaines ➜ On essaiera de donner de la noblesse Soulignez le drame soudain de la
qui lui firent forte impression : à la première partie (mesures 1-33) modulation en do # mineur (24 à 32).
« Les femmes et les jeunes filles jouissent et de l’impertinence à la deuxième ➜ Dans la deuxième partie, le rythme
ici de la plus grande liberté. J’ai idée que (mesures 34-50). L’appui se fait harmonique s’accélère (alternance
lorsque Lafayette a été combattre pour uniquement sur chaque premier tonique I sous-dominante IV dominante
la liberté de l’Amérique, il n’a eu en temps de la main gauche. La phrase se V à la mg). Les croches aiguës
tête que les femmes, car elles seules sont construit d’abord par deux mesures descendantes md (mesures 35-39-43)
vraiment libres dans la libre Amérique. » (2-3, 4-5) puis par une mesure (6, 7, 8), sonnent comme des rires aigus en cascade.
Cette suite américaine est restée dans ce qui donne un sentiment d’insistance, On essaiera de varier les nuances comme
le répertoire de certains orchestres comme un crescendo non écrit suggéré (36-38-40-42) pour arriver
d’outre-Atlantique puisqu’on y trouve jusqu’à l’accent de la mesure 8. au climax de la pièce mesure 45. ■
MES. 1-8
Dominante
Les liaisons indiquent le phrasé
par deux ou par une mesure.
●●●

Pédagogie
Isaac Albeniz Seis pequeños valses, n° 1

☞ NIVEAU DÉBUTANT / CD PLAGE 4
C
ette valse de jeunesse d’Albeniz la troisième mesure que la dominante ➜ Mesures 9-10-13-14, pensez
est encore très influencée par la (si bémol) nous indique clairement la basse de la mg avant le temps
musique française de Saint-Saëns que nous sommes en mi bémol majeur. comme une appoggiature, et jouez
et de ses contemporains. On croirait On a l’impression de chercher son chemin le contrechant sur le temps.
presque entendre le début d’une pendant les deux premières mesures, ➜ Mesures 17-48 : Albeniz répète
cinquième Valse-caprice de Gabriel ce qui convient bien à l’indication quatre fois la même phrase de huit
Fauré, avec ses contrechants melancolico notée par Albeniz. mesures. Cela vous donne donc toute
malcommodes à la mg (mesures 9-15). ➜ Le triolet mesures 3-5 doit être latitude pour varier les nuances,
➜ Albeniz ne dévoile pas souplement intégré à la guirlande le rubato et le tempo. Le retour
immédiatement la tonalité de cette de croches qui suivent. du premier thème mesure 49 se fera
pièce (mi bémol majeur) et commence Les déplacements de la mg sont calmes, tout en douceur et en délicatesse,
sur un accord de deuxième degré les accords des deuxièmes temps comme un souvenir lointain qui fait
renversé (la bémol do fa). Ce n’est qu’à bien égaux, sans faire d’accent. encore fondre votre cœur. ■
Franz Schubert Valses D. 365

☞ NIVEAU MOYEN / CD PLAGE 5
C
es valses miniatures D. 365 (mesures 9-14). Trouvez un son direct, ➜ N° 10 : nous avions un Florestan
sont toutes en la bémol majeur aérien, avec une main gauche active dans la n° 6, voici la douceur
et ont été composées en 1819, sur les deuxième et troisième temps. d’Eusébius dans cette rêverie baignée
année du quintette dit « La Truite ». ➜ N° 5 : valse plus alanguie, la levée de pédale, avec un mg déliée
Musique à danser par excellence, est comme un grand appui decrescendo et délicieusement paresseuse.
elles permettent beaucoup de souplesse (typique de Schubert). Phrasez par ➜ N° 11 : toujours sur le ton de la
rythmique, des nuances différentes quatre mesures. La deuxième partie, confidence, goûtez la merveilleuse
dans les reprises, et des tempi à varier sur une pédale de dominante modulation en ré bémol majeur
selon l’heure de la journée, l’endroit, (mi bémol) est plus dynamique. de la deuxième partie (mesures 9-16)
et la boisson servie. ➜ N° 6 : une valse typique de salle de et le la bécarre mesure 12, puis retour
➜ N° 4 : vive, avec sa levée bal de la noblesse viennoise, enlevée et à la maison (la bémol majeur).
ornementée, ses phrases par deux virtuose : Schumann y a puisé le début ➜ N° 12 : retour de la virtuosité pour
mesures et sa courte marche des Papillons op. 2 et les différentes conclure. Seraient-ce les arpèges
harmonique en deuxième partie valses qui traversent le Carnaval op. 9. endiablés d’un orgue de barbarie ? ■
Ludwig van Beethoven Valse en fa mineur Anh. 14

☞ NIVEAU MOYEN / CD PLAGE 6
N
ous revoici dans ce fameux recueil pourrait presque être l’œuvre d’un ➜ Mesures 9-16 : un dolce tendre
apocryphe de Beethoven : vous Beethoven. C’est en tout cas le et surprenant au vu de ce qui vient
souvenez-vous de la Valse « Le complément idéal des tendres valses de se passer.
Désir » qui lui était attribué alors qu’elle de Schubert jusque dans sa tonalité ➜ Mesures 17-28 : grand tutti orchestral
était de la main de Schubert ? (Pianiste de fa mineur (relatif du la bémol majeur dont les modulations mesure 21 en ré
n° 115) La faute à un éditeur peu des Valses D. 365). bémol majeur et mesure 23 en sol bémol
scrupuleux… Après le « désir », voici ➜ Les noires du début jouées sostenuto majeur doivent être bien entendues.
donc la « douleur », valse dont on ne et avec gravité : installez tout de suite une ➜ Mesures 29-43 : cette partie
connaît pas le véritable auteur. Et ambiance dramatique et menez le grand centrale en fa majeur est bien moins
pourtant le caractère insistant, presque crescendo jusqu’au fortissimo orchestral « beethovenienne », notamment le motif
trivial, de cette pièce lente en fa mineur (mesure 7). mélodique répétitif de la md. ■

Claude Debussy La plus que lente
☞ NIVEAU AVANCƒ / CD PLAGE 7
C
ette valse au déhanchement MES. 2-5
provocateur écrite en 1910 dégage
une grande charge érotique. : très libre, avec une molle délicatesse.
➜ Dès les premières notes, cherchez
un son d’une grande douceur, tout
en soulignant la syncope « déhanchée »
de la mg (mesures 3-5-7 etc.). Le tempo
rubato chez Debussy est un véritable Motif 1
art. Je vous conseille d’écouter les deux
versions très belles et très différentes
de Samson François et d’Alain Planès.
Une inspiration nécessaire pour savoir
comment interpréter les nombreuses Déhanché main gauche.
indications de Debussy : rubato, animez,
cédez, en serrant, retenu, appassionato... MES. 26-28
➜ La première partie est en sol bémol
majeur (mesures 1-76) : clair-obscur
du début avec ses hésitations syncopées,
phrases qui se développent petit
à petit pour parvenir à la suspension,
mesure 26, puis la cascade (de cheveux
de Mélisande ?) à l’unisson qui en
découle (mesures 27-28-29-30-31).
➜ Unisson dont est issue une nouvelle
idée en croches montantes (mesures 33-
43, motif 3) qui va aboutir au triomphe Motif 2 : cascades
de la valse (mesures 46-59 motif 4) (de cheveux de Mélisande ?)
puis à la réexposition (plus courte) des
deux premiers motifs du début (60-75) MES. 80-83
dans un caractère plus apaisé.
➜ Dès la première mesure de la deuxième
partie (76) apparaît l’accord diminué
du Faune, signe d’une vitalité nouvelle, avec
ses trois dièses (motif 3). La mg reprend
de plus belle ses déhanchements syncopés,
pour gagner la md (mesures 82-84),
générer un cinquième et dernier motif
en agrégats de tierces (86-89 puis 94-97),
court et intense climax de la seconde partie. Le déhanchement passe à la main droite.
➜ Nous retrouvons rapidement le
motif 1 cette fois dans la voluptueuse
et calme tonalité de ré bémol majeur. MES. 139-141
Mesure 120, plénitude totale du retour
du motif 1 dans la tonalité originale Motif 1 élargi.
de sol bémol majeur, cette fois en octaves
à la md, avec de grands accords arpégés
à la mg. Debussy redonne les mesures
67-69 pour nous mener vers une coda Deuxième
voix.
qui vo

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