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E n avril 2006, les dirigeants d’Alcatel ont proposé aux actionnaires une fusion de l’en-
treprise avec Lucent, un concurrent américain : l’objectif était de donner naissance au
leader mondial des équipements de télécommunications. En septembre 2007, Carlos Ghosn,
PDG de Renault-Nissan, a annoncé la décision de construire une nouvelle usine d’assem-
blage de voitures au Maroc. En décembre 2007, Louis Gallois, président d’EADS, annonçait
la délocalisation d’une partie de la production d’Airbus dans les pays de la zone dollar, afin
de réduire les coûts de production de l’entreprise.
Chaque décision prise par le dirigeant d’une entreprise peut avoir de multiples conséquen-
ces. Comment savoir si ces conséquences seront globalement favorables à l’entreprise ? L’ana-
lyse est parfois complexe :
• La fusion entre Alcatel et Lucent a abouti en décembre 2006. L’objectif pour les deux
sociétés était d’augmenter leurs parts de marché et de réaliser des synergies : 1,4 milliard
de dollars d’économies sur trois ans étaient d’ailleurs programmées. Pour ce faire, le licen-
ciement de 10 % des effectifs était envisagé. Mais les fusions imposent aux entreprises des
coûts de restructuration et de réorganisation qui viennent s’ajouter aux frais de fusion
proprement dits (plus de 60 millions d’euros). En février 2007, le groupe a ainsi annoncé
que les suppressions de postes seraient plus nombreuses que prévu, du fait des difficultés
financières rencontrées au dernier trimestre 2006.
• Le montant des investissements prévus pour la nouvelle usine du groupe Renault-Nissan
est compris entre 800 et 1 000 millions d’euros. Une fois l’usine achevée, il faudra égale-
ment payer les 6 000 salariés qui y travailleront. Carlos Ghosn espère que la vente des
voitures produites par l’usine sera suffisante pour compenser toutes ces dépenses.
• La décision de délocaliser une partie de la production d’Airbus en zone dollar est moti-
vée par la dépréciation du dollar, en particulier vis-à-vis de l’euro, depuis 2002. En effet,
l’essentiel des coûts d’Airbus sont libellés en euros, alors que la majorité de ses ventes
se fait en dollars ; un dollar faible (ou un euro fort) a donc un impact négatif sur le
bénéfice de l’entreprise. Si le taux de change euro/dollar demeure élevé, produire en
zone dollar permettra une réduction des coûts d’Airbus. Mais, en même temps, il faut
prévoir la construction de nouvelles usines à l’étranger, le recrutement et la formation
du personnel, etc.
Ces décisions ont toutes été prises parce que les dirigeants estimaient, compte tenu des infor-
mations dont ils disposaient à ce moment, que les bénéfices l’emporteraient sur les coûts. En
pratique, il est toujours particulièrement ardu de comparer les coûts et les bénéfices d’un
projet industriel ou d’une décision financière, surtout lorsqu’ils sont étalés dans le temps
et sont fluctuants. Pour décider de réaliser tel projet plutôt que tel autre, il faut pouvoir
exprimer les coûts et les bénéfices en termes comparables et tenir compte des risques asso-
ciés. L’objectif de la finance est précisément de proposer des outils permettant une compa-
raison fiable entre coûts et bénéfices lorsqu’ils se produisent à des instants différents ou qu’ils
sont exposés à des risques différents.
Ce chapitre est centré sur le concept de valeur actuelle nette, qui permet d’apprécier l’intérêt
économique d’un projet. Nous introduisons également le concept d’arbitrage. En économie,
l’arbitrage consiste à choisir rationnellement entre plusieurs alternatives (arbitrium agere,
faire un choix), indépendamment de tout jugement de valeur. Une possibilité d’arbitrage
apparaît, par exemple, lorsqu’un même bien s’échange à des prix différents. Les agents ont
alors toujours intérêt à acheter le bien là où il est le moins cher et à le revendre là où il est
le plus cher. Sur un marché concurrentiel, une telle situation ne peut être que temporaire :
par leur action, les agents contribuent en effet à rééquilibrer les prix et à faire disparaître les
opportunités d’arbitrage. En généralisant ce raisonnement, on parvient à l’idée que, sur un
marché concurrentiel, deux projets équivalents doivent avoir le même prix : c’est ce qu’on
appelle la Loi du prix unique. Cette loi est centrale dans la théorie de l’évaluation des actifs
(financiers ou non) et occupe donc une place majeure dans cet ouvrage.
1. On ignore pour le moment l’existence de commissions ou d’autres coûts de transaction lors des achats et des ventes.
Cf. la section 3.7 à ce sujet.
Exemple 3.1
Problème
Le marché est supposé concurrentiel. Le bijoutier peut produire 10 000 € de bijoux avec 20 onces
d’or ou 6 000 € de bijoux avec 10 onces de platine. A-t-il intérêt à échanger les 10 onces de pla-
tine qu’il détient contre 20 onces d’or ?
Solution
La valeur des bijoux produits avec 20 onces d’or est plus élevée que celle produite avec 10 onces
de platine. On pourrait alors imaginer que le bijoutier a intérêt à échanger le platine qu’il détient
contre l’or. Pourtant, il n’en est rien : le bijoutier peut toujours vendre ses 10 onces de platine
sur le marché contre 5 500 €. Avec cette somme, il peut acheter 5 500 / 250 = 22 onces d’or, soit
deux onces d’or de plus que s’il acceptait l’échange proposé.
De manière générale, si les biens sont échangés sur un marché concurrentiel – c’est-à-dire
s’ils peuvent être achetés et vendus au même prix –, il est alors possible de calculer la valeur
nette d’un projet sans se soucier des goûts ou des opinions du décisionnaire. Cette idée sim-
ple, mais très puissante, est un des fondements de la théorie financière.
Solution
Pour savoir si le placement est intéressant, il faut convertir les coûts et les bénéfices dans une
même unité. Puisque l’investisseur est français, le plus simple est de convertir tous les flux en
euros. Le coût du placement est de 20 000 €. Le bénéfice est de 200 actions × 40 € + 11 000 $ ×
1,25 = 21 750 €. La valeur nette de ce placement est donc de 1 750 €. L’investisseur a tout intérêt
à saisir l’opportunité qui lui est offerte. La décision dépend exclusivement du taux de change
comptant et du prix de l’action GDF aujourd’hui. Quelle que soit l’anticipation de l’investisseur
quant au taux de change futur euro/dollar, cela ne modifie en rien la valeur nette du projet et ne
doit donc pas influencer sa décision.
Problème
Un concessionnaire Renault engage un nouveau salarié et lui offre, en guise de prime d’embau-
che, la possibilité d’acheter une Laguna neuve au prix de 33 000 € ; pour un client normal, le
prix serait de 40 000 €. Sur le marché de l’occasion, une Laguna peut être revendue à 35 000 €.
Quelle valeur le salarié attache-t-il à cette proposition ?
Solution
Si le salarié prévoit, de toute façon, d’acheter une Laguna neuve, la valeur de la proposition du
revendeur est de 40 000 € – 33 000 € = 7 000 €. Si le salarié ne désire pas de voiture neuve, il a
tout de même intérêt à accepter l’offre et à revendre la voiture sur le marché de l’occasion, ce qui
lui rapporte 35 000 – 33 000 = 2 000 €. Dans ce cas, l’offre est toutefois moins intéressante.
Dans cet exemple, le marché n’est pas concurrentiel (au sens où il n’est pas possible d’acheter
et de vendre au même prix). La valeur de l’offre faite par le concessionnaire dépend donc des
préférences de l’intéressé.
qu’on appelle le principe de préférence pour le présent 2. Pour s’en convaincre, il suffit de se
rappeler qu’il est toujours possible de déposer de l’argent dont on n’a pas besoin immédia-
tement sur un compte épargne qui porte intérêt : un placement de 100 € sur un livret A au
taux de 3 % permet ainsi d’obtenir 103 € dans un an.
La valeur temps de l’argent se définit comme la différence entre la valeur de un euro dans le
futur et sa valeur aujourd’hui. Et il faut toujours tenir compte de la valeur temps de l’argent
pour comparer des flux se produisant à des dates différentes.
2. Ce principe est bien sûr valable que l’on raisonne en euros, en dollars ou dans n’importe quelle autre monnaie.
3. La situation dans laquelle ces deux taux sont différents est l’objet de la section 3.7.
Coût : 100 000 € aujourd’hui 100 000 € 100 000 × (1 + 3 %) = 103 000 €
Bénéfices : 102 000 € dans un an 102 000 / (1 + 3 %) = 99 029,13 € 102 000 €
Gain net (perte nette si négatif) – 970,87 € – 1 000 €
Avec un taux d’intérêt de 3 %, un projet qui nécessite un investissement de 100 000 € aujourd’hui
et qui rapporte 102 000 € dans un an n’est pas intéressant. La perte nette est de 970,87 € en valeur
actuelle, ce qui équivaut à une perte de 1 000 € dans un an.
3 (1 + rf)
Valeur d’un euro Valeur d’un euro
aujourd’hui dans un an
÷ (1 + rf)
Pour évaluer un projet, il est nécessaire que ses coûts et ses bénéfices soient exprimés dans la même
unité. Cela signifie qu’ils doivent être exprimés dans la même monnaie et à la même date. Pour passer
d’une monnaie à l’autre, il faut utiliser le taux de change. Pour passer d’une date à une autre, il faut
utiliser le taux d’intérêt.
Calculer la valeur future d’un projet (qualifiée parfois de valeur acquise ou de valeur à terme)
revient à exprimer les coûts et les bénéfices en euros à la date finale du projet – ici dans un
an. Pour rendre les flux d’aujourd’hui comparables aux flux dans un an, il faut multiplier les
premiers par (1 + rf).
À l’inverse, calculer la valeur actuelle (ou valeur présente) d’un projet revient à « convertir »
les coûts et les bénéfices en euros aujourd’hui. Pour rendre un flux dans un an comparable à
un flux aujourd’hui, il faut le multiplier par 1 / (1 + rf). Il est souvent plus pratique d’utiliser
la valeur actuelle plutôt que la valeur future pour évaluer les projets d’investissement.
Le terme 1 / (1 + rf) est le facteur d’actualisation à un an pour un investissement sans risque.
Dans la mesure où le taux sans risque est positif, le facteur d’actualisation est supérieur à l’unité
et le montant des bénéfices actualisés est inférieur au montant des bénéfices effectifs.
Exemple 3.4
Le coût de report d’un projet
Problème
Les colonnes de Buren, installées en 1986 dans la cour du Palais-Royal à Paris, se dégradent
lentement. Depuis plusieurs années, leur rénovation est prévue, mais reportée régulièrement
par manque d’argent. Aux dernières nouvelles, la rénovation devrait avoir lieu en 2008 ou 2009.
Si le chantier est lancé en 2008, il coûtera 3,2 millions d’euros. Un report d’un an des travaux
provoquera un alourdissement de la facture de 5 %. Quel est le coût du report des travaux jus-
qu’en 2009 si l’on retient un taux d’intérêt de 3 % ?
Solution
Si les travaux ne commencent qu’en 2009, ils coûteront 3,2 millions × (1 + 0,05) = 3,36 millions
d’euros. Pour comparer ce montant au coût des travaux en 2008, il faut convertir les flux futurs
en flux actuels. Le taux d’intérêt est de 3 %, donc : 3,36 millions d’euros en 2009 / (1 + 0,03) =
3,26 millions d’euros en 2008. Le coût du report des travaux d’un an est donc de 3,26 millions –
3,20 millions = 60 000 €.
Le fait de devoir emprunter les 500 € nécessaires au projet ne change en rien la décision
précédente. Pour s’en convaincre, supposons que l’on emprunte aujourd’hui 523,81 € au
taux annuel de 5 %, ce qui laisse 23,81 € disponibles, puisque le projet ne coûte que 500 €.
Dans un an, l’emprunteur devra rembourser 523,81 € et payer des intérêts de 523,81 × 5 % =
26,19 €, pour un total de 550 € – soit par construction, le montant exact des bénéfices du
projet.
Ainsi, accepter un projet à VAN positive revient au même que recevoir immédiatement la
VAN du projet en espèces, sans aucune obligation future en contrepartie : ici, en lançant
le projet, l’investisseur s’enrichit de 23,81 € immédiatement sans engagement (puisque les
bénéfices futurs du projet compensent exactement les coûts futurs).
Comparaison de projets
Lorsqu’on doit choisir entre plusieurs projets, il faut retenir celui dont la VAN est la plus élevée.
Un entrepreneur a le choix entre trois projets sans risque, dont les flux sont décrits au
tableau 3.3. Pour un taux d’intérêt sans risque de 20 %, quel projet faut-il retenir ? Qu’en
est-il si l’on souhaite absolument recevoir aujourd’hui 42 € ? Qu’en est-il si l’on souhaite
absolument investir aujourd’hui 100 € ?
En effet, même si l’on souhaite absolument recevoir 42 € aujourd’hui, il faut tout de même
choisir le projet B, que l’on complète par un emprunt de 62 €. Si au contraire on souhaite
investir 100 € aujourd’hui, on peut combiner le projet B avec un prêt de 80 €. Les flux pré-
sents et futurs figurent dans le tableau 3.4. Le choix du projet B, accompagné le cas échéant
d’un prêt ou d’un emprunt, donne toujours à l’investisseur une richesse supérieure au choix
d’un autre projet, car la VAN du projet B est supérieure à celle des VAN des deux autres pro-
jets. Choisir B revient à recevoir 100 € aujourd’hui sans obligation future.
Projet B – 20 + 144
Prêt de 100 € – 80 + 80,00 € × (1 + 20 %) = 96
Projet B + prêt de 100 € – 100 + 240
Le critère de maximisation de la VAN est indépendant des préférences des agents. En emprun-
tant ou en plaçant au taux sans risque, on peut modifier à sa guise la façon dont les flux se
répartissent dans le temps.
Les trois projets A, B et C sont représentés à la figure 3.2, qui comprend en abscisse les flux
présents et en ordonnée les flux futurs (dans un an). Calculer la VAN d’un projet revient à
convertir les flux futurs en flux présents à l’aide du taux d’intérêt approprié, ici le taux d’inté-
rêt sans risque égal à 20 %. Graphiquement, la VAN du projet A se situe donc à l’intersection
de l’axe des abscisses (les flux futurs sont alors nuls) et de la droite passant par le point A. La
pente de cette droite est de –1,2 : le taux d’intérêt sans risque est de 20 %, le taux de conver-
sion est donc de un euro aujourd’hui contre 1,2 € dans un an. De même, la VAN des projets B
et C se situe à l’intersection de l’axe des abscisses et de la droite de pente –1,2 passant par les
points B et C, respectivement.
Chacune de ces droites représente l’ensemble des combinaisons possibles en associant cha-
que projet à un emprunt ou un prêt au taux d’intérêt sans risque de 20 %. Le projet B, dont
la VAN est la plus élevée, est situé sur la droite la plus éloignée de l’origine du graphique : il
offre donc le meilleur choix, quelles que soient par ailleurs les préférences de l’investisseur.
C 225
B + emprunt
69,6
de 62 €
42
A Pente = –1,20
Chaque droite représente l’ensemble des combinaisons possibles en associant chaque projet à un
emprunt ou un prêt au taux d’intérêt sans risque de 20 %. La VAN d’un projet correspond à la situation
où tous les flux sont exprimés en euros actuels. Un emprunt augmente les flux présents et réduit les
flux futurs (et inversement pour un prêt). Les combinaisons possibles de flux présents et futurs grâce
au projet ayant la plus forte VAN sont plus attractives que celles offertes par les autres projets.
de New York et Londres. Est-il possible que les prix sur ces deux marchés diffèrent durable-
ment ? La réponse est non, et ce pour une raison très simple : sur ces marchés, il est possible
d’acheter et de vendre de l’or.
Supposons que l’once d’or se négocie 250 $ à New York et 300 $ à Londres. Dans cette situa-
tion, il est possible de réaliser un gain en achetant de l’or à New York et en le revendant
immédiatement à Londres4. Pour une once d’or achetée et revendue, le gain est de 50 $ ; pour
un million d’onces d’or, le gain s’élève à 50 millions de dollars ! Ce gain est certain, immédiat
4. Pour cela, il n’y a pas besoin de transporter physiquement l’or de New York à Londres : les investisseurs échangent
seulement des droits de propriété sur des quantités d’or qui ne bougent pas.
et il ne nécessite aucune mise de départ : autant dire que n’importe quel investisseur qui
repère une telle différence de prix va chercher à acheter et vendre la plus grande quantité d’or
possible pour faire un profit maximal. Ainsi, en quelques secondes, le marché de l’or à New
York va crouler sous les ordres d’achat, tandis que le marché de l’or à Londres sera inondé
d’ordres de vente. Les investisseurs qui, les premiers, auront acheté de l’or à New York pour
le revendre à Londres réaliseront effectivement un gain. Mais très rapidement, le cours de
l’or à New York va augmenter sous l’effet des ordres d’achat, tandis que le cours à Londres va
baisser sous l’effet des ordres de vente. Les prix sur ces deux marchés vont évoluer jusqu’à ce
qu’ils soient égaux, quelque part entre 250 $ et 300 $ l’once.
L’opération réalisée avec l’or est une opération d’arbitrage. L’arbitrage le plus simple consiste
à acheter et à vendre simultanément un même bien sur deux marchés, afin de profiter d’une
différence de prix. Plus généralement, une opportunité d’arbitrage5 existe dans toute situa-
tion où il est possible de réaliser un profit sans risque et sans mise de fonds initiale. Par défini-
tion, une opportunité d’arbitrage est un projet à VAN positive.
Les investisseurs sont toujours à l’affût d’opportunités d’arbitrage. Et dès qu’une telle oppor-
tunité apparaît, ils sont nombreux à vouloir la saisir. Ce faisant, ils contribuent à rééquilibrer
les prix et à faire disparaître les opportunités d’arbitrage. Autrement dit, sitôt décelées, les
opportunités d’arbitrage disparaissent. Sur un marché normal, on peut donc dire qu’il n’y a
pas d’opportunités d’arbitrage6.
Ainsi, sur un marché normal, le prix de l’or sera à tout moment identique à Londres et New
York. La même logique s’applique à tout actif échangé en même temps sur plusieurs marchés
concurrentiels. Si les prix diffèrent entre les marchés, les investisseurs vont immédiatement
exploiter cette opportunité en achetant l’actif sur le marché où le prix est le plus faible pour le
revendre sur le marché où le prix est le plus élevé. En agissant ainsi, ils exercent une pression
sur les prix ; ces derniers convergent alors rapidement. Par conséquent, les prix d’un actif iden-
tique sur différents marchés ne peuvent différer durablement les uns des autres. Cette propriété
importante des marchés concurrentiels est connue sous le nom de Loi du prix unique :
Lorsqu’un actif s’échange simultanément sur plusieurs marchés concurrentiels, alors son prix est
le même sur tous les marchés.
perdre leurs billets de 100 € ; ii) dans le cas – rare – où un billet de 100 € est perdu, il est
ramassé très rapidement, ce qui diminue d’autant la probabilité d’en trouver un.
Pour se convaincre définitivement que les opportunités d’arbitrage sont rares, il suffit de
se demander depuis quand n’avons-nous pas trouvé de billet de 100 € par terre !
Pour répondre à cette question, considérons un placement alternatif qui offre lui aussi
un flux de 1 000 € dans un an. Quel montant, par exemple, doit-on placer aujourd’hui
dans une banque au taux d’intérêt sans risque de façon à recevoir 1 000 € dans un an ?
La réponse s’obtient en calculant la valeur actuelle de 1 000 € dans un an (voir sec-
tion 3.3) :
VA(1 000 € dans un an) = 1 000 / (1 + 5 %) = 952,38 €
Il existe donc deux façons d’obtenir 1 000 € dans un an : (1) acheter l’obligation ou (2) pla-
cer 952,38 € au taux d’intérêt sans risque de 5 %. Ces transactions génèrent les mêmes flux
futurs ; d’après la Loi du prix unique, sur un marché normal, leur coût doit donc être iden-
tique. Autrement dit, le prix de l’obligation doit être égal à 952,38 €.
Supposons que l’obligation s’échange sur le marché au prix de 940 €. Peut-on profiter de
la situation pour réaliser un profit sans risque ? Il semble que cela soit le cas. La stratégie
consiste à acheter l’obligation au prix de 940 € et en même temps emprunter 952,38 €. Avec
un taux d’intérêt de 5 %, il faudra verser à la banque 952,38 € × 1,05 = 1 000 € dans un an
(952,38 € au titre du remboursement de l’emprunt et 47,62 € au titre des intérêts), alors que
l’obligation produira un flux de 1 000 € à ce moment-là. Une telle stratégie permet donc de
gagner aujourd’hui 12,38 € (= 952,38 € – 940 €) pour chaque obligation achetée, sans pren-
dre de risque et sans mise de fonds initiale. Les flux de la stratégie d’arbitrage sont résumés
dans le tableau 3.5. Dès qu’un investisseur remarque une telle opportunité d’arbitrage, il
achète le plus d’obligations possible, ce qui fait augmenter son prix jusqu’à ce qu’il atteigne
952,38 € ; une fois ce prix atteint, il n’y aura plus d’opportunité d’arbitrage.
La stratégie précédente implique de vendre l’obligation et de placer une partie des fonds
obtenus. Cela signifie-t-il que seuls ceux qui détiennent initialement l’obligation peuvent
exploiter l’opportunité d’arbitrage ? Non, car sur les marchés financiers, il est possible
de vendre un actif que l’on ne possède pas : il s’agit d’une vente à découvert (short sale).
L’investisseur qui désire vendre à découvert un actif l’emprunte à quelqu’un qui le possède.
Au terme de l’opération, l’investisseur doit rendre l’actif à son propriétaire initial (ce qui
implique que l’investisseur rachète l’actif sur le marché) ou verser au propriétaire initial
de l’actif les flux que ce dernier aurait dû recevoir. Dans l’exemple précédent, il est ainsi
possible de vendre à découvert l’obligation en promettant de verser à son propriétaire
1 000 € dans un an. Les ventes à découvert permettent d’exploiter les opportunités d’ar-
bitrage qui existent lorsque des actifs sont surévalués et que l’on ne possède pas les actifs
en question.
Le SOES, conçu initialement pour faciliter les transactions de petite taille, s’est révélé un
précieux outil pour réaliser des arbitrages. Si un teneur de marché propose de vendre
une action Apple au prix de 20,25 $ et qu’au même moment un second teneur de marché
propose d’acheter cette même action au prix de 20,30 $, il est alors possible de réaliser un
profit sans risque de 50 $ en achetant 1 000 titres à 20,25 $ au premier teneur de marché
et en les revendant instantanément à 20,30 $ au second.
Par le passé, certains investisseurs, qualifiés de « bandits du SOES », pratiquaient ce type
d’arbitrage plusieurs dizaines de fois par jour, ce qui leur permettait de réaliser des profits
non négligeables. En réaction, les teneurs de marché sont devenus plus attentifs et plus
réactifs pour ajuster les prix qu’ils proposent, afin d’éviter d’être la cible des bandits.
Aujourd’hui, de telles opportunités d’arbitrage sont rares*.
* Voir J. Harris et P. Schultz, « The Trading Profits of SOES Bandits », Journal of Financial Economics, 50 (2)
(Oct. 1998): 39-62.
Problème
Un actif offre à son propriétaire 100 € aujourd’hui et 100 € dans un an. Le taux d’intérêt sans
risque est de 10 %. Quel est le prix en l’absence d’opportunité d’arbitrage de l’actif (avant le
paiement des 100 € aujourd’hui) ? Si l’actif s’échange à 195 €, quelle stratégie doit-on mettre
en œuvre ?
Solution
Il faut d’abord calculer la valeur actuelle des flux générés par l’actif pour déterminer le prix
en l’absence d’opportunité d’arbitrage. Ce dernier est égal à 100 € + 100 € × 1 / (1 + 10 %) =
190,91 €.
L’actif s’échange à 195 € : il est donc surévalué. La stratégie d’arbitrage consiste à vendre à
découvert l’actif sur le marché pour 195 € et à prêter 90,91 € au taux de 10 %. On obtient
ainsi un flux de 104,09 € aujourd’hui (soit 4,09 € de plus que si l’on détenait l’actif) et de
100 € dans un an.
Exemple 3.5
Flux aujourd’hui (€) Flux dans un an (€)
Vente de l’actif + 195,00 0
Flux à verser à l’acheteur de l’obligation – 100 – 100
Prêt de 90,91 € – 90,91 + 90,91 € × (1 + 10 %) = + 100
Flux nets + 4,09 0
En pratique, c’est de cette manière que les taux d’intérêt sont calculés, à partir du prix des
obligations cotées sur les marchés. Par ailleurs, le taux d’intérêt correspond à la rentabilité
de l’obligation. De manière générale, la rentabilité se calcule en rapportant le gain de fin de
période au coût initial, soit dans l’exemple précédent :
Gain en fin de période
Rentabilité = (3.3)
Coût initial
1 000 – 929,8
= = 7,555 %
929,8
Ainsi, en l’absence d’opportunité d’arbitrage, la rentabilité d’un actif sans risque est tout
simplement le taux d’intérêt sans risque :
• Si l’obligation offrait une rentabilité supérieure, les investisseurs réaliseraient un profit
certain en s’endettant au taux d’intérêt sans risque pour acheter l’obligation sans risque.
• Si l’obligation offrait une rentabilité inférieure, les investisseurs réaliseraient un profit cer-
tain en vendant l’obligation et en prêtant l’argent obtenu au taux d’intérêt sans risque.
De manière générale, en l’absence d’opportunité d’arbitrage, tous les investissements sans risque
doivent offrir à leurs investisseurs la même rentabilité, égale au taux d’intérêt sans risque.
Le théorème de séparation
L’achat d’un actif financier peut facilement être assimilé à un projet d’investissement. Le coût
de ce projet est le prix à payer pour acheter l’actif en question, et les bénéfices sont les flux
futurs dont profitera le propriétaire du titre. Sur un marché normal, le prix d’un actif est égal
à la valeur actuelle des flux qu’il engendre (voir équation 3.3). La VAN du projet consistant à
acheter un actif est donc nulle :
VAN(Achat d’un actif) = VA(Flux futurs de l’actif) – Prix de l’actif = 0
Symétriquement, lorsqu’on vend un actif, le prix peut s’interpréter comme une recette, tan-
dis que les flux auxquels on renonce du fait de la vente de l’actif sont des coûts. De nouveau,
la VAN est nulle :
VAN(Vente d’un actif) = Prix de l’actif – VA(Flux futurs de l’actif) = 0
Ainsi, sur un marché normal, la VAN de l’achat ou de la vente d’un actif est nulle. Ce résultat
n’est pas surprenant : si la VAN était positive, il existerait une opportunité d’arbitrage, et de
telles opportunités sont par définition absentes d’un marché normal.
Une autre manière de comprendre ce résultat est de se rappeler qu’un échange met toujours
en relation un acheteur et un vendeur. Une VAN positive pour une partie de l’échange se
traduit nécessairement par une VAN négative pour l’autre partie, qui n’a alors aucun intérêt
à accepter l’échange ! Ce dernier étant volontaire, le prix doit être tel qu’aucune partie n’y
perd ; par conséquent, la VAN de l’échange doit être nulle.
Sur un marché normal, l’échange ne crée ni ne détruit de valeur. Il y a création de valeur lors-
qu’une entreprise décide de se lancer dans un projet à VAN positive. Les transactions finan-
cières servent uniquement à ajuster le calendrier des flux monétaires du projet, de manière
à ce qu’ils correspondent aux préférences de l’entreprise ou des investisseurs. L’évaluation
d’un projet d’investissement doit donc se focaliser sur sa dimension réelle et peut négliger
les aspects financiers. Par conséquent, il est possible de séparer les décisions d’investisse-
ment d’une entreprise de ses décisions financières. C’est ce que l’on appelle le théorème de
séparation :
Échanger un actif sur un marché normal ne crée ni ne détruit de la valeur. Il est donc possible
d’évaluer la VAN d’une décision d’investissement indépendamment des décisions relatives à son
financement.
Problème
Une entreprise étudie un investissement de dix millions d’euros qui rapporte de façon cer-
taine 12 millions d’euros dans un an. Pour financer ce projet, l’entreprise envisage de faire
appel à des investisseurs externes. L’entreprise promet aux investisseurs 5,5 millions d’euros
dans un an. Le taux d’intérêt sans risque est de 10 %. L’entreprise doit-elle réaliser le projet ?
Si oui, doit-elle le financer avec ses moyens propres ou en émettant des titres ?
Solution
Le coût de ce projet est de dix millions d’euros aujourd’hui et le bénéfice de 12 millions
d’euros dans un an. La VAN du projet est donc égale à – 10 + 12 / 1,1 = 0,91 million d’euros.
Cette VAN est celle du projet lorsque ce dernier est autofinancé.
Supposons que l’entreprise décide d’émettre des titres. Sur un marché normal, leur prix sera égal
Le principe d’additivité des valeurs s’applique aussi aux entreprises. En vertu de ce principe,
la valeur d’une entreprise est égale à la VAN des différents projets de l’entreprise en question.
Par conséquent, l’utilisation de la VAN comme critère de décision coïncide avec l’objectif de
maximisation de la valeur de l’entreprise.
Afin de maximiser la valeur de l’entreprise, ses dirigeants doivent prendre des décisions maximisant
la VAN. La VAN d’un projet représente la contribution du projet à la valeur totale de l’entreprise.
Problème
Hol est un groupe coté qui possède deux filiales : il détient 60 % des parts d’une chaîne de res-
taurant et 100 % d’une fabrique de skis. Si la valeur de marché du groupe Hol est de 160 millions
d’euros et celle de la chaîne de restaurant (qui est cotée) de 120 millions d’euros, quelle est la
valeur de la fabrique de skis ?
7. Ce principe est en général vérifié sur les marchés financiers. Mais ce n’est pas toujours le cas sur d’autres marchés. Ainsi,
par exemple, acheter un billet aller-retour auprès d’une compagnie aérienne est souvent moins coûteux que d’acheter sé-
parément le billet aller et le billet retour. En effet, les billets d’avion ne sont pas vendus sur un marché concurrentiel : il est
impossible d’acheter et de vendre des billets au prix affiché. Seules les compagnies aériennes peuvent vendre des billets et
elles imposent des conditions de revente très strictes. Autrement, il serait possible de gagner de l’argent en achetant un billet
aller-retour et en revendant séparément l’aller et le retour à deux personnes n’effectuant chacune qu’un seul déplacement.
Solution
La participation du groupe Hol au capital de la chaîne de restaurant s’élèvent à 60 % × 120 mil-
lions d’euros = 72 millions d’euros. Compte tenu du principe d’additivité des valeurs, la fabrique
de skis a donc une valeur de 160 millions d’euros – 72 millions d’euros = 88 millions d’euros.
Sur un marché normal, le prix de l’obligation est égal à la valeur actuelle de ses flux, soit
1 100 / (1 + 4 %) = 1 058 €. Le portefeuille de marché s’échange aujourd’hui au prix de
1 000 € sur le marché. Un investisseur qui achète cet actif aujourd’hui pourra, dans un an, le
revendre à 800 € ou à 1 400 € selon la conjoncture. Le portefeuille de marché vaudra donc
en moyenne 0,5 × 800 € + 0,5 × 1 400 € = 1 100 € dans un an. Pourquoi son prix de marché
est-il inférieur à celui de l’obligation, qui rapportera également 1 100 € dans un an ?
plus le prix des actifs risqués est faible comparé à celui d’une obligation sans risque qui rap-
porte en moyenne autant.
Puisque les investisseurs sont sensibles au risque, il n’est pas possible d’utiliser le taux d’intérêt
sans risque pour calculer la valeur actuelle d’un projet ou d’un actif risqué. Lorsque les agents
investissent dans un projet ou un actif risqué, ils en attendent, en retour, une compensation à
hauteur du risque qu’ils acceptent de courir. Les investisseurs qui achètent l’actif risqué à son
prix de marché de 1 000 € recevront dans un an, en moyenne, 1 100 €, soit un gain espéré de
100 €. L’espérance de rentabilité de l’actif risqué est donc de 100 / 1 000 = 10 %. Il ne faut
pas confondre cette espérance de rentabilité avec la rentabilité effective ex post de ce place-
ment, qui elle ne sera jamais de 10 % : la rentabilité ex post sera de (1 400 – 1 000) / 1 000 =
40 % si la conjoncture est bonne ; de (800 – 1 000) /1 000 = – 20 % si la conjoncture est
mauvaise. Il est également possible de calculer l’espérance de rentabilité comme la moyenne
(pondérée) des rentabilités effectives : 0,5 × (40 %) + 0,5 × (– 20 %) = 10 %.
La différence entre la rentabilité espérée de l’actif risqué et le taux d’intérêt sans risque repré-
sente la prime de risque. Cette prime de risque est la rentabilité supplémentaire que les
investisseurs exigent pour compenser le risque de l’actif : elle est fonction des préférences
des investisseurs en matière de risque. Sur un marché concurrentiel, la prime de risque est
telle que la demande d’actifs risqués est égale à l’offre d’actifs risqués. Dans notre exemple, la
prime de risque est de 10 % – 4 % = 6 %.
Lorsqu’un actif est risqué, le taux d’actualisation qu’il faut retenir pour calculer sa valeur actuelle
est égal au taux d’intérêt sans risque auquel on ajoute une prime de risque.
Le prix de marché de l’obligation sans risque est de 1 400 € / 1,04 = 1 346 €. Le prix de l’ac-
tif B est donc égal à 1 346 – 1 000 = 346 € si la Loi du prix unique est respectée.
Si la conjoncture économique est mauvaise, l’actif B offre une rentabilité de (600 – 346) /
346 = 73,4 %. Si la conjoncture est bonne, l’actif B ne donne droit à rien ; sa rentabilité est
donc de – 100 %. L’espérance de rentabilité de l’actif B est ainsi de 0,5 × 73,4 + 0,5 × (– 100) =
– 13,3 %. La prime de risque associée est égale à – 13,3 % – 4 % = – 17,3 % ; c’est-à-dire que
l’actif B offre, en moyenne, 17,3 % de moins à ses investisseurs que le taux d’intérêt sans
risque.
Ce résultat est, a priori, assez surprenant. Si l’on compare les actifs A et B, ils semblent
proches – ils paient soit 600 € soit 0 €. Pourtant, le prix de marché de l’actif A est inférieur
à celui de l’actif B (231 € contre 346 €) et l’espérance de rentabilité de l’actif A est de 30 %,
contre – 13,3 % pour l’actif B. Pourquoi leur prix et leur espérance de rentabilité sont-ils
si différents ? Pourquoi les investisseurs qui manifestent une aversion au risque achète-
raient-ils un actif risqué offrant une espérance de rentabilité inférieure au taux d’intérêt
sans risque ?
La réponse réside dans le profil de gain de l’actif B. Un investisseur qui manifeste de l’aver-
sion au risque valorise davantage un euro supplémentaire lorsque la conjoncture est mau-
vaise que lorsqu’elle est bonne (par définition même de l’aversion au risque). Or, quand la
conjoncture est mauvaise et que le marché boursier, dans son ensemble, affiche de piètres
performances, l’actif B verse 600 €, au moment où l’investisseur en a le plus besoin. L’ac-
tif B peut donc être vu comme une assurance au cas où la conjoncture économique serait
mauvaise. Ainsi, aux yeux des investisseurs, l’actif B n’est pas réellement risqué. En détenant
conjointement l’actif B et le portefeuille de marché, il est possible de réduire les risques liés
aux fluctuations du marché boursier. Et les investisseurs qui manifestent de l’aversion au
risque sont prêts à payer pour cette assurance, sous la forme d’une prime de risque négative,
c’est-à-dire d’une rentabilité plus faible que celle d’un actif sans risque.
Ce résultat illustre un principe extrêmement important : le risque d’un actif ne peut pas
être évalué indépendamment du risque des autres actifs. Même si la rentabilité d’un actif est
très variable, ce dernier peut très bien ne pas faire augmenter le risque total du portefeuille
détenu par l’investisseur : il peut même le réduire, si cet actif permet de compenser tout ou
partie du risque des autres actifs détenus par l’investisseur. Le tableau 3.11 compare le risque
et les primes de risque des différents actifs considérés jusqu’à maintenant. On remarque
que la prime de risque est proportionnelle au différentiel de rentabilité de l’actif selon la
conjoncture : lorsque la rentabilité d’un actif évolue en sens inverse du marché, sa prime de
risque est négative.
Le risque d’un actif doit être évalué en tenant compte de la façon dont les autres actifs fluc-
tuent. La prime de risque d’un actif est d’autant plus élevée que sa rentabilité est positivement
liée à celle du marché boursier. Si la rentabilité d’un actif est forte quand la conjoncture éco-
nomique est mauvaise, l’actif peut être utilisé comme assurance ; sa prime de risque est alors
négative.
Solution
L’équation (3.7) indique que le taux d’actualisation approprié, rO, est égal à :
rO = rf + Prime de risque de l’obligation = 4 % + 1 % = 5 %
Par ailleurs, l’espérance des flux futurs de l’actif est : (0,5 × 1 100) + (0,5 × 1 000) = 1 150 € dans
un an. Le prix aujourd’hui de l’obligation est donc :
Prix de l’obligation = (Espérance des flux dans un an) / (1 + rO)
= 1 050 € / 1,05 = 1 000 €
La rentabilité ex post de l’obligation est de 10 % quand la conjoncture est bonne et 0 % quand
elle est mauvaise. La différence entre ces rentabilités est de 10 %, c’est-à-dire six fois moins que
pour le portefeuille de marché (voir tableau 3.11). Sa prime de risque est également six fois plus
faible.
La fourchette de prix, ou bid-ask spread, désigne l’écart entre le cours auquel on peut acheter un
titre et le cours auquel on peut le vendre. Au chapitre 1, nous avons évoqué différentes structu-
res de marché. Ainsi, par exemple, sur le NYSE ou le Nasdaq, l’achat et la vente d’actions se fait
via un teneur de marché ; sur Euronext, les ordres d’achat et de vente sont confrontés dans le
carnet d’ordres électronique. Mais, dans tous les cas, le prix auquel on peut vendre un titre (le
bid) est inférieur au prix auquel on peut l’acheter (l’ask).
Le 27 décembre 2007, par exemple, le prix auquel on pouvait vendre une action Accor était
de 53,38 €. Au même moment, le prix auquel on pouvait acheter cette même action était de
53,44 €. Dans cette situation, il est possible de considérer que le prix de marché de l’action
Accor est de 53,41 €, avec un coût de transaction de trois centimes par action, à l’achat comme
à la vente8.
Quelles conséquences ces coûts de transaction ont-ils sur la Loi du prix unique et le prix de
non-arbitrage ? Sans ces coûts de transaction et si les marchés sont concurrentiels, le prix de
l’or à New York et à Londres doit être le même. Si des coûts de transaction, par exemple de
cinq dollars, sont associés à chaque achat d’une once d’or suivi d’une revente sur un autre
marché, que se passe-t-il ? Pour réaliser un gain sans risque, il faut alors que le différentiel
de prix entre les deux marchés soit au minimum de cinq dollars, le montant des coûts de
transaction. Si le prix de l’once d’or est de 250 $ à New York et de 252 $ à Londres, la VAN de
l’opération d’arbitrage est négative :
VAN = 252 $ (vente d’une once d’or à Londres) – 250 $ (achat de l’or à New York)
– 5 $ (coûts de transaction) = – 3 € par once d’or
Problème
Soit une obligation payant de façon certaine 1 000 € dans un an. Les dépôts sont rémunérés au
taux sans risque de 6 %, tandis que les emprunts sans risque sont accordés à un taux de 6,5 %.
Quel est l’intervalle de prix pour l’obligation en l’absence d’opportunité d’arbitrage ?
8. On suppose ici que le prix se situe au milieu de la fourchette. En fait, le prix peut se situer n’importe où entre les deux
bornes de la fourchette, avec des coûts de transaction différents à l’achat et à la vente.
Solution
Exemple 3.9 (suite)
Le prix de non-arbitrage de l’obligation est égal à la valeur actuelle des flux futurs de l’obliga-
tion. Mais selon que l’on retient comme taux d’actualisation 6 % ou 6,5 %, cette valeur actuelle
change. Avec un taux de 6 %, le prix de l’obligation est de 1 000 € / 1,06 = 943,40 €. Avec un taux
de 6,5 %, le prix n’est que de 1 000 € / 1,065 = 938,97 € : le prix de l’obligation est inversement
proportionnel au taux d’intérêt. Le prix de l’obligation ne peut donc durablement être supérieur
à 943,40 € ou inférieur à 938,97 €.
• Si le prix de marché P de l’obligation est supérieur à 943,40 €, les investisseurs vont vendre en
masse l’obligation et investir 943,40 € au taux de 6 % pour réaliser un gain de (P – 943,40) €
aujourd’hui. Ce faisant, les investisseurs vont exercer une pression à la baisse sur le prix de
l’obligation, jusqu’à ce qu’il atteigne 943,40 €.
• Si le prix de marché P de l’obligation est inférieur à 938,97 €, les investisseurs vont emprunter
en masse 938,97 € au taux de 6,5 % qui serviront en partie à acheter l’obligation au prix P.
Le gain est de (938,97 – P) € aujourd’hui : dans un an, ils recevront 1 000 € par obligation
détenue, ce qui leur permettra de rembourser leur emprunt et les intérêts. De par leur action,
les investisseurs exercent une pression à la hausse sur le prix de l’obligation jusqu’à ce qu’il
atteigne 938,97 €.
• Si le prix de marché P de l’obligation est compris entre 938,97 € et 943,40 €, alors les deux
stratégies précédentes conduisent à des pertes certaines ; autrement dit, il n’y a pas d’oppor-
tunité d’arbitrage.
Résumé
1. Tout projet d’investissement ou de placement nécessite que l’on en évalue les coûts et
les bénéfices. Un projet n’est intéressant que si les bénéfices sont supérieurs aux coûts.
2. Pour comparer les coûts et les bénéfices, il convient qu’ils soient tous exprimés dans la
même unité : c’est-à-dire dans la même monnaie et à la même date.
3. Un marché concurrentiel se définit comme un marché sur lequel un bien peut être
vendu et acheté au même prix.
4. La valeur temps de l’argent se définit comme la différence entre la valeur de un euro
dans le futur et sa valeur aujourd’hui. Le taux d’intérêt sans risque est le taux auquel on
peut échanger de façon certaine de l’argent aujourd’hui contre de l’argent dans le futur.
5. La valeur actuelle (VA) d’un flux est sa valeur exprimée en euros aujourd’hui.
6. La valeur actuelle nette (VAN) d’un projet est égale à la somme des valeurs actuelles de
tous ses flux présents et futurs ; on peut écrire également :
VAN = VA(Bénéfices) – VA(Coûts) (3.1)
7. Un projet n’est intéressant que si sa VAN est positive. La VAN d’un projet mesure la
création de valeur associée au projet exprimée en euros aujourd’hui. Lorsque l’on doit
choisir parmi plusieurs projets, il faut retenir celui dont la VAN est la plus élevée.
8. Le critère de maximisation de la VAN est indépendant des préférences des agents. En
empruntant ou en prêtant au taux sans risque, il est possible de modifier à sa guise la
façon dont les flux se répartissent dans le temps.
9. L’arbitrage désigne une stratégie sans risque qui ne nécessite aucune mise de fonds
initiale et qui permet à l’investisseur de réaliser un gain. Une opportunité d’arbitrage
apparaît, par exemple, lorsqu’un bien s’échange à des prix différents sur deux marchés :
les agents ont alors intérêt à acheter le bien là où il est le moins cher et à le revendre là
où il est le plus cher.
10. Un marché normal se définit comme un marché concurrentiel sur lequel il n’y a aucune
opportunité d’arbitrage.
11. La Loi du prix unique établit que si des biens ou des actifs équivalents sont échangés
simultanément sur différents marchés concurrentiels, ils seront échangés au même prix
sur chacun des marchés. Cette loi implique qu’il n’y a pas d’opportunité d’arbitrage.
12. Le prix de non-arbitrage d’un actif est :
Prix de l’actif = VA(Ensemble des flux monétaires offerts par l’actif) (3.2)
13. Le principe d’additivité des valeurs établit que la valeur d’un portefeuille est égale à la
somme des valeurs des actifs qui le composent.
14. Afin de maximiser la valeur de l’entreprise, ses dirigeants doivent prendre des décisions
qui maximisent sa VAN. La VAN d’un projet représente la contribution de ce projet à
la valeur totale de l’entreprise.
15. Le théorème de séparation établit que les transactions d’actifs sur des marchés nor-
maux ne créent ni ne détruisent de valeur. En conséquence, la VAN d’un projet peut
être évaluée indépendamment de la façon dont il est financé.
16. Si un projet est risqué, le taux d’actualisation retenu ne peut pas être le taux d’intérêt
sans risque. Il est possible d’évaluer ce projet grâce à la Loi du prix unique en construi-
sant un portefeuille qui réplique les flux du projet.
17. Le risque d’un actif doit être évalué en tenant compte de la façon dont les autres
actifs fluctuent. La prime de risque d’un actif est d’autant plus élevée que sa rentabi-
lité est positivement liée à celle du marché. Si la rentabilité d’un actif est forte quand
la conjoncture est mauvaise, alors l’actif peut être utilisé comme une assurance et sa
prime de risque est négative.
18. En présence de coûts de transaction, le prix d’un actif n’est pas forcément le même sur
tous les marchés, mais les écarts de prix sont inférieurs aux coûts de transaction impo-
sés par la mise en œuvre d’une stratégie d’arbitrage.
Exercices
1. Rono envisage de réduire le prix de sa dernière voiture de 30 000 € à 28 000 €. Le ser-
vice marketing estime que cette baisse du prix pourrait engendrer une augmentation
des ventes l’année prochaine de 40 000 à 55 000 unités. Après réduction du prix, la
marge de Rono est de 6 000 € par véhicule. Si l’on suppose que la hausse des ventes
est uniquement imputable à la baisse de prix, cette décision est-elle économiquement
intéressante ?
Le taux d’intérêt sans risque est de 10 %. Quelle est la VAN de chaque projet ? Quel
projet choisir si l’on ne peut en retenir qu’un seul ? Et si l’on peut en lancer deux ?
8. Un revendeur informatique doit acheter 10 000 claviers. Un fournisseur lui demande
de verser 100 000 € aujourd’hui puis dix euros par clavier dans un an. Un autre four-
nisseur lui demande simplement de verser 21 € par clavier dans un an. Le taux d’intérêt
sans risque est de 6 %. a. Quelle est la différence entre les deux offres en termes d’euros
aujourd’hui ? b. Quelle est l’offre la plus intéressante ? c. Que doit faire l’entreprise si
elle souhaite ne pas avoir à dépenser d’argent aujourd’hui ?
Le taux d’intérêt sans risque est de 5 %. Quel est le prix de non-arbitrage de chaque
actif avant le versement du premier flux ?
13. Un tracker (ou Exchange Traded Fund) est un titre échangeable en Bourse, qui repré-
sente un portefeuille d’actions. Soit un tracker composé de deux actions Air France-
KLM, d’une action Thales et de trois actions Dexia. Les prix de marché au comptant de
chaque titre sont les suivants :
a. Quel est le prix du tracker sur un marché normal ? b. Quelle stratégie mettre en
œuvre si le tracker s’échange au prix de 120 € ? c. Quelle stratégie mettre en œuvre
si le tracker s’échange au prix de 150 € ?
14. Deux actifs sans risque sont proposés. Leurs prix et leurs flux futurs sont les suivants :
Actif Prix aujourd’hui (€) Flux dans un an (€) Flux dans deux ans (€)
A 94 100 0
B 85 0 100
a. Quel est le prix de non-arbitrage d’un actif qui rapporte 100 € dans un an et 100 €
dans deux ans ? b. Quel est le prix de non-arbitrage d’un actif qui rapporte 100 €
Toute la trésorerie inutilisée sera investie au taux d’intérêt sans risque de 10 %. Dans
un an, Floo sera liquidée au bénéfice exclusif de ses actionnaires. a. Quelle est la VAN
de chaque projet ? Quel projet l’entreprise doit-elle retenir ? Comment doit-elle le
financer ? b. Quelle est aujourd’hui la valeur des actifs (trésorerie et projets) de Floo ?
c. Combien les investisseurs recevront-ils dans un an ? Quelle est aujourd’hui la valeur
de Floo ? d. Si Floo verse aujourd’hui la trésorerie inutilisée à ses actionnaires, combien
leur verse-t-elle ? Quelle est alors la valeur de l’entreprise aujourd’hui ? e. Expliquez le
lien entre les trois questions précédentes.
17. Les prix de marché (en l’absence d’opportunité d’arbitrage) et les flux futurs de deux
actifs risqués A et B sont :
Flux dans un an
Prix de marché
Actif Conjoncture Conjoncture
aujourd’hui
défavorable favorable
A 230,77 0 600
B 346,77 600 0
a. Quels sont les flux dont bénéficie le détenteur d’un portefeuille composé d’un
actif A et d’un actif B ? b. Quel est le prix de marché de ce portefeuille ? Quelle est
son espérance de rentabilité ?
18. L’actif C donne droit à 600 € quand la conjoncture est mauvaise et à 1 800 € quand
la conjoncture est bonne. Le taux d’intérêt sans risque est de 4 %. a. Est-il possible de
répliquer l’actif C en combinant les actifs A et B de l’exercice 17 ? b. Quel est le prix de
non-arbitrage de l’actif C ? c. Si la prime de risque de l’actif C est de 10 %, existe-t-il
une opportunité d’arbitrage ?
*19. Un actif risqué rapportera en moyenne 80 € dans un an. Le taux d’intérêt sans risque
est de 4 % et l’espérance de rentabilité du portefeuille de marché est de 10 %. La renta-
bilité de l’actif risqué est élevée quand la conjoncture économique est bonne et faible
quand la conjoncture économique est mauvaise. L’amplitude des variations est deux
fois moins importante pour l’actif risqué que pour le portefeuille de marché. a. Quelle
est la prime de risque de l’actif risqué ? b. Quel est le prix de marché de l’actif risqué ?
20. Les actions de Hewlett-Packard s’échangent à la fois sur le NYSE et le Nasdaq. Sur le
NYSE, le teneur de marché propose les cotations suivantes : 28,00 $-28,10 $. Au même
moment, sur le Nasdaq un teneur propose les cotations suivantes : 27,85 $-27,95 $. a. Y
a-t-il une opportunité d’arbitrage ? Si oui, comment l’exploiter ? b. Si le teneur de mar-
ché du Nasdaq révise ses cotations et propose 27,95 $-28,05 $, y a-t-il une opportunité
d’arbitrage ? Si oui, comment l’exploiter ? c. Pour qu’il n’y ait pas d’opportunité d’arbi-
trage, quelle doit être la fourchette de cotation du teneur de marché sur le Nasdaq ?
*21. Un tracker est composé de deux actifs, une action Société Générale et une obligation
payant 100 € dans un an. Ce tracker est coté actuellement 131,95 €-132,25 €. L’obliga-
tion est cotée 91,75 €-91,95 €. En l’absence d’opportunité d’arbitrage, quel est le prix à
l’achat et à la vente d’une action Société Générale ?