4 e pa rtie :
à propos d’ornementat i o n
Dans ce quatrième volet de son étude sur les paramètres mis simplicité est la marque d’une cul-
ture primitive et charmante : cette
en jeu dans l’improvisation non mélodique, Erwan Burban
musique est simple, d’autres sont
a b o rde un nouvel élément : l’ornementation. Cette notion compliquées. Il me semble au
bien connue en musique baroque revêt toutefois un autre contraire que la simplicité de cette
visage en musique tra d i t i o n n e lle. Loin de n’y avoir qu’une musique sur le plan des phrases
musicales a une fonction, une utilité
simple fonction décorative, les ornements se révèlent une pré- intrinsèque : elle permet la com-
cieuse re ssource pour le sonneur ou le chanteur. plexité des “notes” et le jeu avec
leur conduite.
Musiques de phra s e s
ou musiques de note s ?
L
es étapes précédentes de ce
petit inventaire ont mis à jour Les musiques traditionnelles ayant
quelques ressources musi- presque toujours été désignées
cales qui ont la particularité comme des musiques de phrases,
d e n e p a s po u v o i r ê t r e les considérer comme des musiques
codées par l’écriture solfé- de notes heurte le sens commun.
gique. Une partition ne La comparaison entre automobile
pourra en effet jamais rendre et musique me semble pouvoir
compte du jeu incessant éclairer ce point de vue.
d’un sonneur avec le pla- La voiture est-elle un objet unique
cement plus ou moins et bien délimité ? Pour un citadin
égal de ses notes. Les européen, il semble que oui. Pour
figures rythmiques du un paysan vivant dans un hameau
solfège néoclassique isolé d’Amérique centrale, par
sont même un frein à la contre, rien n’est moins sûr. Ce qui
perception d’un discours est pour nous un objet unique est
musical qui, lui, joue bien probablement pour lui un assem-
plus sur la durée exacte de chaque blage d’objets (moteur, plaques de
son (sa longueur ) que sur le métal, roues…), qui ont chacun une
nombre de sons par temps1. Même utilité bien réelle et qui ne dispa-
la conception solfégique des raîtront pas une fois la voiture hors
“nuances” semble totalement étran- d’état de rouler.
gère au fonctionnement d’une De la même façon, en musique,
musique qui mobilise ce critère d’in- la mélodie3 peut être abordée en
tensité sonore au niveau de chaque tant qu’objet bien délimité, à usage
note (la présence) et non au niveau prédéfini. Historiquement, c’est l’ap-
des phrases musicales2. proche développée par la culture
En musique traditionnelle, celles- musicale occidentale noble, puis
ci sont d’ailleurs extrêmement bourgeoise. On peut, à l’inverse,
simples. On peut se dire que cette considérer la mélodie comme un
assemblage temporaire d’éléments
qui peuvent chacun être modifiés,
mis en jeu, détournés, utilisés libre-
Une partition ne peut rendre compte du
placement plus ou moins égal des notes ment. C’est ce qui me semble cor-
jouées par un sonneur (En illustration : respondre au fonctionnement des
Daniel Philippe à Gourin en 2005, d’après musiques bretonnes issues des tra-
une photo de Myriam Jégat) ditions populaires rurales.