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À Kiev : « Notre nation a survécu à
Staline, nous survivrons à tout ce qui se
passe ici »
PAR ALEXANDER QUERY
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 22 FÉVRIER 2022
Lors d’une formation militaire délivrée aux civils Ukrainiens près de
Kiev, le 19 février 2022. © Photo Ali Atmaca / Agence Anadolu via AFP
La nuit a été courte à Kiev. Dans les bars à
moitié vides de la capitale ukrainienne, les habitants
scotchés à leurs téléphones ont assisté avec une colère
grandissante au discours de Vladimir Poutine et à
l’annonce de l’envoi de soldats pour «maintenir la paix
» dans les territoires séparatistes.
Kiev (Ukraine).– Au lendemain du discours guerrier
de Poutine, alors que des rumeurs annoncent des
colonnes de chars russes à Donetsk, une ville de
l’est ukrainien tenue par les séparatistes soutenus par
Moscou, un soleil printanier chasse l’hiver dans la
capitale ukrainienne et l’incrédulité laisse place à la
colère. L’esprit de résistance s’installe à Kiev.
« Nous avons existé, nous existons et nous
continuerons d’exister. En tant qu’État ukrainien
souverain, indépendant et uni, martèle Sviatoslav
Yurash, le plus jeune député du parti du président
Volodymyr Zelensky au Parlement ukrainien. Si notre
nation a survécu à Staline, nous survivrons à tout ce
qui se passe ici. »
Pavlo Bondarenko, cofondateur de Radio Podil, une
radio locale du centre de Kiev, n’est pas surpris : «
C’est un crash au ralenti qui se déroule depuis huit
ans. »
Du haut de ses deux mètres, Bondarenko ne passe pas
inaperçu. Il a le sourire facile et ses cheveux bouclés,
constamment en bataille, adoucissent ses traits. Mais
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il se dit furieux de voir à quel point Poutine est
ouvertement impérialiste et à quel point la plupart des
Occidentaux y sont indifférents.
Lors d’une formation militaire délivrée aux civils ukrainiens près de
Kiev, le 19 février 2022. © Photo Ali Atmaca / Agence Anadolu via AFP
Pour l’instant, il continue sa routine, mais il est prêt
à mettre le studio et l’équipement de Radio Podil au
service des journalistes étrangers et de toutes celles et
ceux prêts à aider l’Ukraine.
Serhiy Morgunov, comme Bondarenko, a vu la
révolution de Maïdan de 2014 de près. Il a
une voix douce et des allures d’étudiant. Mais
ce photographe de terrain qui accompagne et
photographie régulièrement les soldat·es de l’est de
l’Ukraine, en est persuadé : l’invasion russe galvanise
les Ukrainien·nes. «Même les personnes qui étaient
apolitiques s’expriment maintenant, et c’est une voix
de résistance. »
Une et indivisible
«Nous sommes sur notre territoire. Nous ne craignons
rien ni personne. Nous ne devons rien à personne.
Et nous ne lâcherons rien», a déclaré lundi soir le
président ukrainien Zelensky dans une adresse tardive
à la nation, les yeux cernés, la voix plus rocailleuse
que d’habitude, devant une carte où la Crimée et le
Donbass ne sont pas rayés de flèches comme aux infos
du soir. Si la fatigue se fait sentir, le discours est clair :
l’Ukraine ne cédera pas d’un pouce aux troupes de
«maintien de la paix» envoyées par Poutine.
Mardi, il s’est de nouveau exprimé pour enfoncer le
clou. Les perspectives de dialogue s’éloignent: cette
fois, Poutine est allé trop loin. La Russie a encore une
fois bafoué le droit international, Kiev songe à couper
les ponts diplomatiques avec Moscou. Il a appelé
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aussi à de lourdes sanctions contre la Russie. Mais il se
veut rassurant, affirmant que l’Ukraine n’entrera pas
en guerre totale avec la Russie.
Malgré tout, en cas d’escalade, le gouvernement
est prêt à adopter la loi martiale. Le visage fermé,
Zelensky troque le costume de l’humoriste pour celui,
plus lourd, du chef d’un pays menacé par un regain de
violence.
À défaut de canaux diplomatiques, les officiels russes
et ukrainiens se répondent par médias interposés.
Les communications sont coupées, mais les réponses
se font entendre. Du côté du Kremlin, le ministre
russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov répond
à Zelensky et remet en question la souveraineté de
l’Ukraine.
Serhiy Morgunov, photographe
Pour la Russie, le gouvernement de Kiev est
illégitime depuis la révolution du Maïdan, qui a
chassé du pouvoir l’ancien président pro-russe Viktor
Ianoukovitch en 2014. Une chose est sûre : l’attitude
de Poutine vis-à-vis de l’Ukraine a creusé une fracture
profonde entre les deux pays, et la page pro-russe du
pays est bel et bien tournée.
Cette fois, pour les Ukrainien·nes, les accords de
Minsk signés en 2015 pour trouver un arrangement
entre l’Ukraine et la Russie autour du Donbass sont
bel et bien morts et enterrés. Un soulagement pour
certain·es. « Poutine nous a libérés des accords de
Minsk », se réjouit Serhiy Morgunov.
Guerre des mèmes
Pour d’autres, comme Yegor Strelkov, illustrateur et
tatoueur originaire de Donetsk, la reconnaissance des
républiques séparatistes est douloureux. «Les gens du
Donbass sont juste des moutons qui ont perdu la
raison, lâche-t-il avec dédain. J’ai vu ces zombies
danser avec des drapeaux russes à Donetsk. Je ne
comprends pas ce cirque.» L’incompréhension est
totale.
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Les réactions virulentes aux images de troupes à
Donetsk et au discours de Poutine n’ont pas tardé sur
les réseaux sociaux.
«Le plus grand criminel du monde parle depuis une
heure du fait que mon pays ne devrait pas exister»,
a réagi sur Twitter Olga Rudenko, rédactrice en chef
du quotidien en ligne Kyiv Independent, alors que le
maître du Kremlin, avec un ton menaçant, redessinait
les contours de l’histoire et ceux de l’Ukraine au nom
d’une Union soviétique fantasmée et d’une «Russie
historique».
Poutine a répété son mantra habituel, qui met les
Ukrainien·nes hors d’eux. L’Ukraine est une création
de Lénine, d’après lui, ce qui ne manque pas
d’enflammer les réseaux sociaux. Entre deux appels
à des sanctions lourdes contre la Russie, on voit
apparaître des mèmes qui tournent en ridicule le
révisionnisme russe, avec d’un côté Kiev et son
évolution au cours des âges, tandis que Moscou reste
la même, un marécage où rien ne pousse.
Moral d’acier
Malgré la tempête, l’optimisme prévaut dans la
capitale, et c’est surtout grâce aux militaires, affirme
Morgunov. «Notre armée est motivée, dit-il. Nous
avons des centaines de milliers de réservistes aguerris
par leur expérience en 2014 et 2016», au plus fort des
combats entre l’Ukraine et les séparatistes. «Et nous
avons un million de gens prêts à se battre dans les
Forces territoriales de défense», pense-t-il.
Pour Marian Prysiazhniuk, 30 ans, qui travaille avec
des journalistes sur la ligne de front, le moral des
troupes est bon, malgré deux soldats tués lundi soir et
la tension qui monte avec l’arrivée des forces russes.
«Notre armée est prête à se battre, et je vais moi aussi
rejoindre soit la défense territoriale, soit les forces
armées de mon pays.»
Boite noire
Alexander Query est journaliste indépendant basé à
Kiev. Il s’agit de son premier article pour Mediapart.
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