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Directeur de la publication : Edwy Plenel
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ministre de 1992 à 1993, puis président de 1994 à La remise à niveau de l’outil industriel n’a jamais
2004), expérimente la «théorie du choc». En 1994, vraiment eu lieu et l’Ukraine a logiquement perdu du
Koutchma, sous les applaudissements du FMI, lève terrain sur les marchés mondiaux.
tout contrôle des prix et lance des privatisations
massives. L’économie, déjà affaiblie, s’effondre
encore plus. Encore en Russie, des oligarques
s’emparent des richesses du pays et captent les flux
de valeurs qui sont transmis vers Chypre ou d’autres
PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat et dollars
paradis fiscaux. constants de 2017 en Ukraine. © WDI (World Bank)
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Ce choix a été rendu d’autant plus délicat que si, d’échecs qui bloquent tout développement, rendent
précisément, l’emprise oligarchique ne rendait pas le l’État incapable d’agir et font peser les ajustements sur
modèle russe très attirant, l’effondrement du bien- la population.
être matériel de la population rendait délicate la L’économie ukrainienne après Maidan
levée des dernières protections (retraites, prix régulés
de l’énergie) comme le réclamaient le FMI et la C’est sans doute cette impasse qui a provoqué en partie
Commission européenne. les événements de Maidan de 2014. La crise ouverte
avec la Russie a, en quelque sorte, conduit le pays à
choisir de facto l’entrée dans le modèle européen. Cela
a sans doute été une clarification, mais les conditions
fixées par le FMI, qui est au chevet du pays depuis
des années, n’ont pas vraiment amélioré la situation.
Solde du commerce extérieur ukrainien en pourcentage du PIB. © WDI (World Bank) Certes, la croissance a rebondi après 2015, mais on a
Ces hésitations se sont traduites par une alternance vu que le PIB par habitant n’a pas retrouvé son niveau
politique et des non-choix plutôt préjudiciables alors de 2008 et pas davantage celui de 2013. Le bilan est
même que l’économie ukrainienne a été frappée de donc terne.
plein fouet par la crise de 2008-2009, puis par celle Il est vrai que les gouvernements post-Maidan n’ont
de la zone euro et des matières premières dans guère avancé sur la principale priorité, la lutte contre
les années suivantes. La concurrence internationale la corruption. Les données du FMI le confirment en
s’est intensifiée, les débouchés se font plus rares, soulignant combien, dans ce domaine comme dans
les exportations reculent à nouveau et l’économie celui du fonctionnement de la justice, l’écart n’a cessé
s’affaisse. Le niveau de PIB par habitant de 2008 (qui, de se creuser avec la Pologne (pourtant loin d’être
on le rappelle, est 17,5% sous celui de 1990) ne sera exemplaire dans ce domaine) entre 2013 et 2018, alors
jamais retrouvé par l’Ukraine. En 2019, il était encore même que l’Ukraine libéralisait encore davantage le
7% plus bas. «marché du travail».
Devant cette crise, les gouvernements d’alors ne Or l’étude du FMI reconnaît que la question de l’État
combattent pas vraiment l’un des points noirs de de droit est centrale pour le futur développement de
l’économie ukrainienne : la corruption. Dans l’étude l’Ukraine. Sans lui, aucun redécollage économique
du FMI déjà citée, les auteurs comparent l’Ukraine n’est possible. Le FMI souligne ainsi qu’un sondage
et la Pologne, économies assez comparables dans les de 2019 confirme que les trois causes principales
années 1990, sur le plan des «réformes structurelles».
Ce qui est intéressant, c’est que, du point de vue
des réformes « économiques », l’Ukraine n’est pas
distancée par la Pologne: selon les critères du FMI,
elle fait même «mieux» en termes de libéralisation
du «marché du travail» et dans certains domaines
financiers et des marchés de biens. La vraie différence
se joue sur le plan de la corruption, de l’État de droit
et de la gouvernance.
Autrement dit, l’Ukraine a tenté de construire un
modèle fondé sur la compétitivité par les coûts, tout en
maintenant une captation de la valeur par l’oligarchie.
Un tel modèle ne peut conduire qu’à des séries
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pour lesquelles les investisseurs internationaux évitent dollars, soit un quart du PIB. Entre 2014 et 2020, les
l’Ukraine sont la corruption, le système judiciaire et la pertes cumulées se seraient élevées à 280milliards de
«capture de l’État par l’oligarchie». dollars.
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un pari très risqué en Ukraine. Pour ne rien dire des de développer l’investissement dans le reste de
ménages, qui doivent faire face à des taux de près de l’économie et d’engager le pays sur un chemin
30%. vertueux.
Mais comment faire? Le FMI et les économistes
orthodoxes estiment que le problème est lié au régime
de propriété du sol. L’Ukraine est, avec le Bélarus,
le dernier pays d’Europe où la vente de terre est
prohibée. Une réforme agraire a eu lieu en 2001 et a
attribué la moitié des terres du pays à sept millions
de petits propriétaires, moyennant une interdiction de
Évolution des dépenses sociales en Ukraine de 2014 à 2020. © copie d'écran FMI vendre, d’acheter ou d’hypothéquer ces terrains. Ces
L’autre tour de force du FMI, ce sont bien sûr les petits fermiers développent souvent une économie de
coupes dans les dépenses sociales. Entre 2014 et 2020, subsistance, ayant recours au fermage d’une partie de
les dépenses sociales sont passées de 20% à 13% du leur production pour de plus gros propriétaires qui ont
PIB, tandis que les dépenses liées aux salaires publics accaparé les terres encore aux mains de l’État.
stagnaient. Avec un corps social déjà très affaibli, de Les conseillers occidentaux estiment que la
telles mesures ne peuvent que peser encore davantage libéralisation du régime foncier permettrait
sur l’économie ukrainienne. d’augmenter la productivité agricole en concentrant
Autrement dit, même avec le FMI aux commandes, les et rationalisant la production. Lorsque le président
travers de l’économie ukrainienne ne s’apaisent pas. Volodymyr Zelensky a été élu en 2019, la demande
La capture de la valeur par les oligarques, quel que soit du FMI a été très claire à ce sujet et le Fonds en a
le coût pour la population, reste la règle. Cette capture fait une condition à la poursuite de son aide. Une loi a
rend largement l’État impuissant pour mener une finalement été votée au Parlement ukrainien, la Rada,
politique rationnelle de développement dans l’intérêt en mars 2020.
de sa population. Dans ces conditions, un décollage
Zelensky a refusé d’autoriser la vente des terres aux
capitaliste de l’Ukraine semble très peu probable, y
étrangers, qui est très impopulaire dans le pays, mais,
compris en faisant abstraction des événements actuels.
depuis le 1erjuillet 2021, les Ukrainiens peuvent vendre
La question agricole et acheter jusqu’à 100hectares de terrain. En 2024, la
Mais il reste une hypothèse à explorer, celle envisagée limite sera de 10000hectares. En parallèle, un fonds
par exemple dans ce post de blog de l’historien états- assurera que les petits fermiers disposent de crédits
unien Adam Tooze, et qui part de l’agriculture. C’est, suffisants.
il est vrai, un des points forts du pays. L’Ukraine Tout cela est fort beau, mais, dans les faits,
détient un quart des «terres noires», parmi les plus cette libéralisation va conduire à une concentration
fertiles du monde, et est traditionnellement un des des terres. La face sombre de l’augmentation des
«greniers» de l’Europe. Aujourd’hui, le pays est rendements agricoles, c’est qu’elle placera une partie
notamment le premier producteur de tournesol du de la population rurale dans une situation de précarité
monde. avancée. 14% de la population ukrainienne travaille
Mais les rendements sont très faibles. Selon les encore dans l’agriculture.
chiffres d’Adam Tooze, la valeur ajoutée tirée d’un Pour que le décollage capitaliste se produise, il faudra
hectare en Ukraine est de 443dollars, contre 2440 en que les rendements se réinvestissent dans d’autres
France. Pour dynamiser les exportations, il faudrait secteurs du pays, pas dans les banques chypriotes
donc un choc de productivité agricole en Ukraine. ou singapouriennes. Rien ne le garantit à ce jour: la
Dans un schéma assez classique, ce choc permettrait
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situation du capitalisme global rend ces schémas de son autonomie face aux intérêts privés qui l’empêchent
développement très incertains et la crise actuelle ne fait de mener des politiques favorables au bien-être
que renforcer cette incertitude. collectif. L’Ukraine n’est donc pas sortie de l’impasse
Or, avec un chômage à 10% et une population déjà économique, loin de là. Et, bien entendu, les derniers
paupérisée, sans ce mouvement, le désastre social est développements du conflit avec Moscou rendent toute
assuré. Rien ne pourra se faire sans que l’État reprenne perspective heureuse encore plus lointaine.
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