Mots-clefs : Nouvelle gestion publique, « gestion axée sur les résultats », politique scolaire,
accountability, gestion de la pédagogie, travail enseignant, Québec.
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Cet article porte sur les stratégies de mise en œuvre de la politique de « gestion axée sur les
résultats » (GAR) au Québec. La GAR est une forme particulière de politiques
d’accountability (Auteur, 2014b). Elle vise à mettre en place de nouveaux outils de gestion
censés améliorer les résultats du système scolaire en fonction d’objectifs et de cibles fixés par
le ministère (voir encadré 1). Elle vise à renforcer l’alignement entre les trois paliers
décisionnels du système (ministère, commissions scolaires (CS), établissements), mais aussi à
articuler de nouveaux outils de contractualisation et de reddition de comptes avec les épreuves
ministérielles d’évaluation des élèves, assez anciennes déjà, mais qui sont mobilisées
dorénavant pour évaluer CS, écoles, et enseignants. Contrairement aux politiques états-
uniennes, les conséquences associées aux écarts entre les résultats visés et les performances
effectives des écoles et enseignants constituent au Québec des enjeux modérés ou faibles (par
ex en termes de salaires ou de carrière des enseignants, de menace de remplacement de la
direction ou l’équipe de l’école). Par ailleurs, à la différence d’autres juridictions (Ontario ou
Écosse) combinant contrôle et soutien, accountability et capacity building, la politique
québécoise au niveau central ne prévoit pas formellement un ensemble de dispositifs de
soutien, d’accompagnement, de formation et développement professionnel, visant à
développer « les capacités » des enseignants et administrateurs scolaires à apporter les
changements ou ajustements nécessaires dans leurs pratiques pédagogiques ou managériales
(Fullan et al., 2015). Ces dispositifs sont laissés à la discrétion du niveau intermédiaire du
système, les commissions scolaires, qui sont des instances disposant d’une autonomie
juridique et gestionnaire.
Nous montrerons que la politique de la « gestion axée sur les résultats » dans le réseau
scolaire public québécois peut conduire à la remise en cause du découplage en raison de la
traduction et de la médiation de cette politique faite par les CS. À partir d’une méthodologie
d’études de cas multiples, nous soutenons en effet que la mise en œuvre de la GAR par quatre
CS contribue à la mise en place tendancielle d’une gestion de la pédagogie par les autorités
scolaires intermédiaires et locales. À la faveur de la GAR, les CS cherchent à étendre l’objet
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et à renouveler les formes et les outils de la gestion scolaire. D’une part, cette dernière touche
de façon plus accentuée et plus centrale qu’auparavant le « cœur de l’école » à savoir le
travail pédagogique effectué dans et autour des classes et ses résultats, d’autre part la
régulation de la pédagogie adopte des formes nouvelles et s’appuie sur une gamme plus
étendue d’outils gestionnaires (conventions, outils statistiques d’analyse des résultats; outils
d’évaluation et d’accompagnement des pratiques enseignantes) et de nouvelles catégories
cognitives et normatives d’évaluation et d’orientation de l’action pédagogique.
Le propos de cet article sera divisé en quatre parties. Nous présenterons d’abord le cadrage
théorique et la méthodologie de la recherche. Ensuite, nous précisons combien un discours
valorisant le « leadership pédagogique » des administrateurs scolaires est ancien au Québec,
sans pour autant se concrétiser dans les pratiques effectives. Puis, dans la section centrale de
cet article, nous montrerons comment le management scolaire, au niveau des CS et des
établissements scolaires, met en œuvre la politique de la GAR en examinant plus
particulièrement les stratégies et les outils par lesquels ils tendent à gérer la pédagogie. Enfin,
nous argumenterons que ce changement est porté par des acteurs intermédiaires et qu’il se
diffuse sous l’influence de plusieurs mécanismes institutionnels de diffusion de ces
« innovations de gestion ».
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À partir d’une perspective théorique croisant sociologie de l’action publique et sociologie des
institutions, nous analysons les visées et stratégies de changement organisationnel et
institutionnel des dirigeants et cadres des CS. Nous mettons ainsi en évidence comment la
mise en œuvre de la GAR tend à transformer différentes dimensions de la régulation et de la
gestion scolaire des établissements.
Nous avons en effet considéré la GAR selon une perspective néo-institutionnaliste comme
une politique dont la mise en œuvre ne tend pas seulement à changer des outils ou des
règlements de nature organisationnelle (notamment des outils de gestion et de contrôle des
écoles). Elle contribue à infléchir certaines institutions existantes et structurantes de la
pratique du système éducatif québécois (Auteur et al., 2014). En suivant Scott (1995), nous
considérons les institutions dans un sens large, incluant des règles formelles, des normes
sociales, mais aussi des cadrages cognitifs partagés et allant de soi. La mise en œuvre de la
politique et son intention explicite de changement peut ainsi être référée aux différentes
dimensions, règlementaires, normatives ou cognitives, constitutives des institutions1. Dans le
même temps, le contenu de l’énoncé politique et sa mise en œuvre s’appuient sur des
institutions existantes, sur des règles formelles ou des cadres cognitifs et normatifs partagés
qui préexistent et peuvent servir à appuyer le travail de justification et de légitimation de la
politique.
1
Il existe d’après Scott trois « piliers » créant ou supportant les institutions : un pilier règlementaire (règles
formelles, par rapport auxquelles la rationalité des acteurs s’ajuste), un pilier normatif (normes, valeurs
régulatrices, standards de référence induisant une forme d’obligation sociale pour les acteurs), et un pilier
cognitif, soit des schémas de pensée, catégories et systèmes de représentations partagées, théories et conceptions
inscrites dans des outils de gestion ou l’instrumentation de l’action publique qui existent de façon réifiée et
tendent à être pris pour allant de soi par les acteurs.
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Nous nous appuierons enfin sur la typologie de Paul DiMaggio et Walter Powell (1983) pour
analyser les mécanismes institutionnels qui ont contribué à diffuser parmi les CS analysées
certaines pratiques ou outils contribuant à la mise en place d’une « gestion de la pédagogie ».
Ces mécanismes ne se limitent en effet pas aux mécanismes coercitifs associés à l’autorité
hiérarchique du ministère et aux mécanismes de contrôle associés. Des attentes normatives,
construites ou relayées par divers réseaux et institutions professionnelles exercent aussi une
influence sur les entités intermédiaires tout comme des mécanismes mimétiques poussent,
dans un contexte d’incertitude, les organisations à s’inspirer à ce qui est supposé constituer les
bonnes pratiques ou les bonnes technologies à mobiliser, dans un souci d’assurer leur
légitimité vis-à-vis de leur environnement institutionnel.
Sur un plan méthodologique, l’analyse empirique de la mise en œuvre de la GAR par les CS
repose sur une étude de cas multiples menée au sein de quatre CS de la province du Québec
(Canada) (parmi 30 CS francophones contactées dans différentes régions, sur un total de 60).
Le matériau analysé est constitué d’entrevues semi-directives (n = 61, voir tableau 1) d’une à
deux heures menées entre avril 2013 et mai 2014 avec des acteurs clés de la structure
administrative de chaque CS2.
2
Les entretiens ont porté sur les thèmes suivants : contexte sociodémographique et scolaire; structure et organisation de la
CS; perception de la GAR; historique des modes d’élaboration et grandes orientations des plans et conventions; récit de la
mise en œuvre des CGRÉ dans les établissements; contrôle, évaluation et suivi des établissements par la CS; rôle des outils
statistiques et services éducatifs; modalités et déroulement effectif de la reddition de comptes; représentation de la « réussite
éducative » et de la « justice scolaire »; perception de la démocratie scolaire, du rôle des parents et des commissaires. De
façon variable selon les spécificités des CS, les entretiens ont porté sur des actions menées sur la période 2005-2013. Le
corpus d’entrevues a été analysé avec le logiciel NVivo selon un procédé semi-inductif à l’aide d’une grille analytique semi-
inductive, s’inspirant des perspectives théoriques et du travail de terrain.
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Cette enquête de terrain a été précédée d’une analyse de la genèse des textes de loi au sein du
champ politique québécois (Auteur, 2014a) et une analyse du contenu de différents
instruments clés de la GAR (planification stratégique et instruments de contractualisation au
niveau CS).
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Dans ce texte, nous référons à un acteur ainsi : Numéro de la CS_Numéro d’entretien_Position occupée.
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La référence discursive au rôle pédagogique des directions scolaires est donc loin d’avoir pris
naissance au moment de la mise en œuvre des lois mettant en œuvre la GAR. Cependant, dans
les décennies 1980 à 2000, la pression des CS sur cet aspect de la tâche des directions et la
signification de ce que recouvre « l’animation ou la supervision pédagogique » des
enseignants et « le leadership pédagogique » des directions d’école était relativement
circonscrite. Cela ne portait que de façon relativement limitée et très indirecte sur le contenu
de leurs taches pédagogiques (organisation des journées pédagogiques des écoles, répartition
des services des conseillers pédagogiques entre écoles, matériel didactique) (Brassard et
Brunet, 1983). En 2011-2012, Saint-Germain (2012) constate dans une enquête sur le temps
de travail des directions d’établissements, la place encore faible des interventions des
directions dans le domaine des pratiques pédagogiques. Ce constat se rapproche de la
situation belge (Dupriez, 2002) ou française (Barrere, 2006). En somme, la référence au
« leadership pédagogique » et à une prise en charge de la « pédagogie » par les gestionnaires
scolaires imprègne fortement le discours sur l’administration scolaire, mais il reste faiblement
opérant dans les pratiques.
Nous soutenons que la mise en œuvre de la GAR dans les CS analysées favorise
l’implantation effective d’une gestion de la pédagogie. Cette dernière procède de
transformations institutionnelles qui visent à rationaliser et à gouverner le « travail
pédagogique », le travail des divers professionnels qui participent de l’apprentissage des
élèves, en particulier et au premier chef les enseignants. Nous allons à présent montrer
comment les convergences observées dans la mise en œuvre de la GAR par les quatre CS
étudiées sont révélatrices de cette nouvelle forme de gestion scolaire.
3. Outils et stratégies managériales de développement d’une gestion de la pédagogie
Dans leurs discours, les directions des CS adhérent à la philosophie générale de la GAR et en
particulier à l’argumentaire que les gouvernements successifs ont tenu pour en justifier le
bien-fondé : cette réforme de la « gouvernance scolaire » doit permettre plus de cohérence et
dès lors améliorer l’efficacité des politiques visant la « réussite » de tous ou du plus grand
nombre (Auteur et al., 2014). Pour plusieurs interlocuteurs cette politique vise à ce que « tout
le monde contribue [aux objectifs de la CS] » (CS1_E2_DG). Elle permettrait de mieux
définir les objectifs communs de tout le personnel de la CS : « Je pense que ça encadre notre
action, on sait sur quoi on travaille » (CS3_E14_DGA). Le fait de devoir « rendre des
comptes » sur ses résultats, de « se responsabiliser » est vu comme positif.
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« L’arrivée de la gestion axée sur les résultats est un élément important. Parce que ça change
la dynamique. À partir du moment où tu n’as à rendre compte d’aucune façon [sur] tes
résultats, puis que tout reste dans le vague, c’est un peu tout le monde qui est responsable et
personne. À partir du moment où c’est mieux défini, ça responsabilise les milieux [les
enseignants], puis les directions d’école se sentent plus directement concernées. »
(CS4_E4_DG)
Cette adhésion des directions générales des CS à l’esprit gestionnaire de la GAR s’est
accompagnée de diverses orientations convergentes dans sa mise en œuvre (Ogien, 1995)4.
Dans un premier temps, nous montrerons que l’opérationnalisation de la GAR ne signifie pas
seulement de mettre en place les plans et conventions prévues par la loi, mais surtout
d’articuler des outils statistiques de suivi des résultats avec des outils d’accompagnement
professionnel qui doivent servir à une « régulation des pratiques pédagogiques ». Dans un
second temps, nous montrerons que ces outils se développent en s’accompagnant d’un idiome
gestionnaire spécifique et de croyances partagées dans les bienfaits d’une objectivation par les
« données chiffrées » et la valorisation de la « recherche en éducation ». Enfin, dans un
troisième temps, la mise en œuvre de la GAR s’appuie simultanément sur un renforcement
organisationnel de l’autorité hiérarchique des services éducatifs (services de soutien
pédagogique aux écoles) et la prédominance de stratégies de légitimation des options mises en
œuvre5.
Les directions des CS étudiées mettent en œuvre les outils de contractualisation avec les
écoles (les CGRE) en les utilisant comme « leviers » pour mieux suivre et gérer l’efficacité
des pratiques locales en matière de pédagogie. Ainsi, pour la direction de la CS2, les CGRE
sont un moyen d’établir une « corrélation » entre les décisions des établissements (au premier
chef leur direction) et leur effet sur la réussite des élèves; on voit ici clairement – au moins
discursivement — un souci de mettre fin au découplage entre décisions de gestion, pratiques
et résultats pédagogiques.
« […] quand j’ai à signer une convention de gestion et de réussite éducative, je sais qu’il y a
une corrélation entre la situation, les objectifs et les moyens mis en place pour régler la
situation initiale. […] Les acteurs doivent se poser la question de la plus-value de leurs
actions. Ceci est valable à tous les niveaux, dont le Conseil [des commissaires]. Ceci amène
les acteurs à se poser la question “En quoi les décisions prises […] ont-elles un impact positif
sur la réussite des élèves?” » (CS2_E11_DG)
À la CS4 également, la GAR est perçue comme ayant (ou devant avoir) une influence sur les
pratiques pédagogiques et les services offerts aux élèves. Ainsi, sa dernière Convention de
partenariat et son plan stratégique énoncent explicitement que les instruments mis en place
visent « la régulation des pratiques pédagogiques ». La CS4 s’appuie par exemple sur les
CGRE pour orienter les pratiques locales sur lesquelles vont intervenir les conseillers
pédagogiques de son « service éducatif ». Alors qu’ils intervenaient sur base des demandes
variables des enseignants, leurs interventions sont désormais orientées en fonction des
objectifs de la CGRE des écoles, qui ont priorisé l’amélioration de la lecture et de l’écriture
en cohérence avec les orientations de la CS.
4
L’esprit de la GAR (voir l’encadré) est proche de « l’esprit gestionnaire » que Albert Ogien invoque pour parler
de la mise en œuvre du management public en France.
5
Ces stratégies de mise en œuvre sont déployées avec des variantes dans les rythmes et le degré d’intensité de
changement ou dans la cohérence des initiatives prises. Nous ne pourrons les développer, faute de place, dans le
cadre de cet article (voir Auteur et al., 2016).
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À la CS1, les CGRE permettraient justement d’aller voir ce qui se passe dans les écoles, les
actions mises en place par les acteurs des établissements, DÉ et enseignants – évolution
notoire mise en relief par les interviewés. En effet les rencontres de supervision des DÉ par
les DGA sont fortement axées sur les actions mises en place par les établissements pour
contribuer aux objectifs des CGRE et sur les résultats obtenus. Elles sont ainsi un espace
permettant d’avoir accès aux pratiques des DÉ : supervision de l’équipe-école, exercice du
leadership.
« [Avant] la direction était maître d’œuvre dans son école. Puis la commission scolaire voyait
un taux de réussite commission scolaire. Mais on n’allait pas questionner l’école. […]
Quelle idée magique, dans le fond, que la convention de gestion, parce que justement, la
gestion axée sur les résultats fait en sorte qu’on est allé voir exactement ce qui se passait dans
chacune des écoles, puis on les questionne. Donc la supervision des directions, elle est axée
beaucoup sur la convention de gestion. » (CS1_E4_DGA)
Ce souci de faire de la GAR un des leviers de la gestion et de la régulation de la pédagogie se
manifeste dans le fait que dans trois CS sur quatre, les dirigeants (mais aussi les CP)
déclarent : avec la GAR, « on n’a jamais autant parlé de pédagogie ». Ainsi, selon le DG de la
CS1, la GAR a ramené le discours pédagogique au centre des préoccupations.
« La grande victoire pour moi est qu'on a réinstallé le discours pédagogique. Dans une école, il
peut se passer toutes sortes d'affaires pour s'étourdir, être happé par le quotidien, les petits
problèmes... Les enseignants qui nous demandaient : est-ce que je suis obligé d'aller aux
formations, aux journées pédagogiques... c'était régulier. On n'a plus ça. Ils sont là, ils sont
présents, ils en demandent, ils nous redemandent de donner d'autres formations, ça a changé la
dynamique pédagogique. Et les directions nous le disent aussi. C'est beaucoup plus intéressant,
beaucoup plus animé au niveau pédagogique dans les écoles. Cet effet-là pour moi c'est
majeur. » (CS1_E2_DG)
De notre point de vue, les enseignants ou les CP dans les écoles parlent davantage de
pédagogie, car les CS mettent en place divers outils qui enclenchent une « gestion » de la
pédagogie, soutenue tant par la hiérarchie que par les services éducatifs. La gestion de la
pédagogie signifie ici un travail relativement systématique d’évaluation des résultats du
travail pédagogique, qui permet de remonter, de façon plus ou moins collaborative, aux
sources ou aux causes potentielles des écarts entre le visé et le réalisé et dès lors de
déclencher une action de correction, qui n’a ainsi plus pour source autonome les enseignants
eux-mêmes.
Les directions des CS poursuivent cette mise en œuvre d’un suivi (et le cas échéant d’un
changement) des pratiques pédagogiques en développant des stratégies et une mobilisation
d’outils qui ne se limitent pas aux conventions de gestion prévues dans la loi. On assiste d’une
part à la mobilisation de divers outils (bases de données statistiques, logiciels d’analyse
quantitative) de régulation basés sur les connaissances (Auteur, 2012; Pons et Van Zanten,
2007) et d’autre part à la mobilisation de nouveaux dispositifs de « soutien pédagogique » et
« d’accompagnement professionnel » des personnels (directions, CP, enseignants) qui se
superposent aux dispositifs de formation continue classique.
3.1.1. La montée des instruments de régulation basés sur les données statistiques
Dans toutes les CS étudiées, des indicateurs de gestion courante existent de longue date
(portant par exemple sur les inscriptions des élèves, les transports, les diplômes). Ce qui paraît
plus nouveau avec l’arrivée de la GAR, c’est que les CS développent un système de gestion
du domaine pédagogique sur base de données quantifiées et systématiquement récoltées. Les
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CS se sont en effet dotées, par l’intermédiaire d’un organisme externe – la société GRICS6 –
d’outils pour traiter et analyser les diverses données sur les élèves. Ces outils, notamment le
logiciel Lumix7, sont mis au service de la GAR et en constituent un rouage essentiel au niveau
des CS et des établissements.
Le logiciel Lumix permet aux CS et aux DÉ de traiter les données qui portent d’abord sur les
résultats des élèves, sur les taux de performances aux épreuves ministérielles, sur les notes des
bulletins trimestriels. Il permet de faire des analyses diachroniques ou synchroniques. Par
exemple de comparer d’une année à l’autre des résultats d’une cohorte d’élèves dans la même
matière ou d’analyser l’évolution des taux de réussite d’un établissement. Il permet de
comparer synchroniquement des taux de réussite (selon l’enseignant, la matière, les
compétences visées, l’année d’étude, les établissements, la CS). Les analyses se font surtout
sur des « résultats bruts », croisés souvent avec le genre, et parfois le pourcentage d’élèves
bénéficiant d’un « plan d’intervention »8. Les CS suivent également dans leur base de données
d’autres indicateurs comme par exemple le taux d’absentéïsme des élèves, les taux de
décrochage, les effectifs des élèves en formation professionnelle, le résultat de sondages
auprès des élèves ou des enseignants (sur le « climat » des écoles) qui sont des indicateurs de
réalisation des « buts ministériels » auxquels les conventions de partenariat ou les CGRE
doivent contribuer.
En bref, cette analyse des données permet de suivre et d’évaluer les résultats de l’action en
référence aux différentes cibles et indicateurs retenus pour suivre les progrès réalisés. L’usage
de ces outils peut être variable, mais ils trouvent le principe de leur « unité » dans leur
fonctionnalité, qui est d’informer les différents décideurs scolaires (aux niveaux CS et
établissements) sur le suivi des résultats de leur organisation, afin de mieux « gérer » en aval
notamment le travail pédagogique (mais pas exclusivement), c’est-à-dire de mettre en place
des outils de pression et de soutien pour ajuster, corriger ou faire changer les pratiques au sein
des établissements et/ou des classes.
Ces données et ces analyses sont mobilisées dans divers contextes : par les DGA lors des
rencontres de supervision et d’intervision entre DÉ (« tables de concertation ») et lors de la
reddition de comptes individuelle d'un DÉ sur la réalisation de la CGRE de son école (CS 1, 2
et 4). Elles servent aussi aux services centraux des CS qui assurent ainsi un suivi des
performances des écoles à chacune des trois étapes de l’année où doit être produit un bulletin
de notes. Elles sont mobilisées par ces mêmes services pour aider les DÉ à élaborer leurs
CGRE et à préciser les moyens à mettre en place pour contribuer aux objectifs fixés (CS 1 et
2). Enfin, dans une mesure moindre et de façon variable selon les CS, les services éducatifs et
parfois les conseillers pédagogiques les mobilisent en aval pour ajuster ou réguler les
pratiques pédagogiques mises en place par les enseignants, soit à la demande de la CS sur des
« écoles ciblées », soit au sein de certaines écoles à la demande des directions, dans des
6
La Société de Gestion du réseau informatique des commissions scolaires (GRICS) est un organisme sans but
lucratif qui développe et administre, pour toutes les CS, les outils de collecte et de traitement des données.
7
Lumix permet d’exploiter les données issues de la base de données GPI (aussi développée par la GRICS).
LUMIX a été développé dans la foulée de l’implantation des conventions de gestion et de réussite éducative afin
d’épauler les directeurs d’établissements, les services éducatifs et les directions générales des CS dans les
demandes de traitement des données qui sont associées à la GAR.
8
Les “plans d’intervention” sont des plans individuels visant à soutenir l’apprentissage et la réussite d’un élève
défini institutionnellement comme ayant besoin d’un soutien particulier en raison d’un “handicap”, d’une
“difficulté d’adaptation” (troubles de l’attention ou du comportement) ou d’une “difficulté d’apprentissage”
(dysphasie, dyslexie, etc.). On parle ainsi d’ « élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou
d’apprentissage ».
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disciplines ou des niveaux d’étude où les performances des élèves sont en dessous des
attentes.
Dans toutes les CS étudiées, cette analyse de données sert en effet à mieux prioriser et
orienter le travail d’encadrement et de soutien que les DÉ devraient déclencher dans leurs
milieux propres, avec l’aide des services éducatifs.
À la CS1, l’analyse des données sert particulièrement à « identifier les écoles à problèmes »
ce qui va permettre ultérieurement de déclencher l’intervention des services pédagogiques,
soit à la demande de la direction générale, soit par la médiation d’une interpellation des
directions qui périodiquement doivent rendre des comptes des sources d’inefficacité en
relation avec une veille relativement continue sur leurs résultats (au moins à chaque « étape »
de l’année correspondant au bulletin de l’élève).
« Quand une direction voit une difficulté, c'est lui qui va lever le signal. On a deux écoles
qu'on a ciblées actuellement. Si on les sortait de mes résultats de mathématique de
secondaire 2, ma performance outrepasserait la cible [soit la cible de la CS convenue avec le
ministère], et quand je les inclus, on est en échec. Donc on sait qu'on a de l'intervention
précise. Ça nous permet de dire au service éducatif, pour ces deux écoles-là, conseiller
pédagogique en français, conseiller pédagogique en mathématique, faire des interventions
intensives pour supporter l'équipe-école, comprendre ce qui se passe dans ce milieu-là,
pourquoi on est en échec dans ce groupe-là? Ah dans ce niveau... Ah! ce groupe-là c'est ce
prof-là! Ah ben tiens donc! On est rendu là. Quand on sait que c'est un prof et qu'il est
réfractaire à X Y Z, il y a d'autres formes de support qu'on peut apporter. C'est comme ça
qu'on travaille avec les directions. » (CS1_E2_DG)
À la CS4, l’usage des statistiques sur les taux de diplomation et les taux de réussite aux
épreuves ministérielles est combiné à l’usage des « notes de modération » transmises par le
ministère qui permettent d’évaluer si les pratiques d’évaluation des enseignants sont trop
« laxistes » ou trop « sévères » par rapport aux standards du ministère. Des analyses plus
« qualitatives » sont réalisées par les conseillers pédagogiques sur des échantillons de copies
d’élèves dans le cadre d’évaluations organisées par la CS dans différentes disciplines. Elles
permettent aussi de vérifier quel aspect du programme est systématiquement moins bien
acquis par les élèves et en aval d’interroger les enseignants sur leur couverture du programme.
Ainsi est constituée la base de connaissance à partir de laquelle va pouvoir s’opérer un travail
« de régulation pédagogique » (CS4_E3_Cadre). Il s’agit de vérifier s’il n’y a pas trop d’écart
entre les standards des évaluations ministérielles (contenus de programme et compétences
évaluées, critères d’évaluation) et les pratiques effectives (d’évaluation ou de couverture du
programme) des enseignants. Il s’agit surtout d’y remédier en formant mieux les enseignants
aux critères d’évaluation du ministère et en les « accompagnant » pour qu’ils ne puissent plus
les ignorer. Il s’agit aussi de promouvoir plus « d’homogénéité » entre les enseignants d’une
même discipline dans une école. Les répondants – notamment les CP – jugent que ces
mesures de régulation des pratiques éducatives, portent leurs fruits et ont des effets sur les
pratiques des enseignants dans les niveaux où il existe des épreuves externes à l’évaluation en
classe, organisées par le ministère ou la CS.
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De plus, on retrouve dans toutes les CS une association assez étroite entre le développement
de ces outils d’analyse de données (de nature généralement « quantitative » au sens où on
traduit ou exprime des réalités au travers de données chiffrées et des « mesures » diverses) et
une recherche plus large d’objectivation de la réalité, qui permet aux choix de gestion (de
façon générale, mais aussi en matière de pédagogie) d’être basés sur des « faits avérés », des
« certitudes », des « données probantes ». Ces dernières s’opposent alors aux « perceptions »,
aux « croyances », aux sentiments ou aux opinions « subjectives ». Sur le plan discursif, ce
registre de l’objectivité des données probantes est fortement mobilisé pour définir
institutionnellement la réalité et justifier la rationalité des décisions opérées, par les directions
d’établissements ou les services éducatifs, ou pour « responsabiliser » les enseignants par
rapport à la réussite de leurs élèves. Par exemple à la CS4, la qualification des performances
d’un enseignant et l’appel au changement des pratiques pédagogiques prennent appui sur les
données chiffrées.
« Mais quand je ne le fais pas à partir d’un chiffre [confronter un enseignant à un problème de
réussite], bien je suis toujours dans les perceptions. Là, ce que ça permet de faire [les chiffres],
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Cet outil développé au départ aux États-Unis a été popularisé au Québec par plusieurs ouvrages (Leclerc, 2012)
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c’est que je viens d’enlever les perceptions. Je ne perçois pas quelque chose de différent de
toi, je suis juste appuyé sur un résultat qui est celui-là. » (CS4_E8_Cadre)
Cependant, cette prétention à l’objectivité (à des degrés variables) est contestée
(principalement par les organisations syndicales et les enseignants) en raison des limites des
données disponibles ou de comparaisons jugées injustes, non pertinentes et fiables. De plus,
dans les faits, les cadres mobilisent aussi d’autres connaissances que les données jugées
probantes; ils mobilisent de façon consciente ou inconsciente leur expérience et leurs
connaissances ordinaires dans les jugements effectués pour établir des diagnostics de la
population d’une école ou définir de « bonnes solutions ». Tout n’est pas basé sur
l’objectivation quantitative, loin de là, comme plusieurs le reconnaissent volontiers.
Dans cette optique, la recherche en éducation est valorisée comme source de certitudes,
de preuves qui permettent de légitimer les choix d’action. La recherche est vue comme une
source claire de légitimation des choix hiérarchiques et gestionnaires en matière de
pédagogie : « On va vous accompagner pour trouver des solutions novatrices à vos
problèmes, basées sur la recherche, basées sur les pratiques gagnantes d’ailleurs,
etc. » (CS4_E3_Cadre).
Les dispositifs sur lesquels s’appuie la gestion de la pédagogie ont fait l’objet d’un
investissement organisationnel important dans les CS étudiées. D’une part, le suivi de la
reddition de comptes verticale des DÉ à la CS demande un temps important à la direction
générale. D’autre part, dans trois des CS analysées, les services éducatifs chargés du suivi des
établissements ont été mis sous la responsabilité directe d’un directeur général adjoint plutôt
que d’un simple « directeur de services ». Ceci témoigne de l’importance plus stratégique
prise par ces services dans la structure de ces CS. Ainsi, à la CS2, le DG justifie la nomination
comme DGA de la directrice des services éducatifs, en disant qu’il fallait accompagner les
DÉ dans le changement et, en conséquence, avoir l’autorité hiérarchique requise. À la CS1, la
même évolution s’observe :
« Peut-être ce qui est important de dire, aussi, c’est pourquoi on a pris la décision que ça soit
un DGA qui soit responsable des services éducatifs, c’est que… les directions de service, ils
ne sont pas les boss des directions d’école. Ils sont en service. […] [ils ne peuvent pas dire à la
direction d’établissement] : “Tu DOIS faire ça.” Tandis que moi, je peux » (CS1_E4_DGA)
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La présence d’un DGA responsable des services éducatifs s’accompagne de la mise en place
de postes dont une des fonctions majeures est d’aider à la production des données servant à
évaluer la performance des écoles. Ces postes sont dans l’organigramme des services
éducatifs et subordonnés hiérarchiquement aux DGA. Cette réorganisation, sans supprimer le
rapport de soutien que les services éducatifs fournissent aux équipes-écoles (notamment par
l’intermédiaire des CP), instaure à la fois un rapport hiérarchique plus direct entre DGA et
DE, mais aussi un rapport où l’expertise et les connaissances produites sur les écoles
permettent de faire pression sur leur direction et indirectement sur les équipes d’enseignants.
La mise en œuvre de la GAR repose donc d’abord sur une stratégie d’exercice du pouvoir qui
peut recourir à des pressions, permises par la position hiérarchique ou l’expertise.
La logique de régulation verticale entre CS et DÉ n’est cependant pas que formelle et ne peut
être réduite aux seuls moments de supervision et reddition de comptes à partir du rapport
fourni par la direction de l’école; elle s’inscrit aussi dans une logique plus large de
« responsabilisation » des DÉ (et au-delà des « équipes-école »), qui cherche a les faire
adhérer aux objectifs généraux de la CS, à leur faire partager des critères normatifs
d’évaluation et des catégories cognitives associées à la mise en œuvre de la GAR. Autrement
dit, la visée des CS est de susciter un engagement moral et professionnel de la part des DÉ —
vouloir améliorer leurs résultats, « être courageux » avec leurs équipes, pour susciter les
changements nécessaires — et une démarche cognitive — se confronter aux données de leurs
écoles; savoir établir des objectifs réalistes de progrès; les mettre en place. Ainsi, les CS
tendent à baser leur stratégie de mise en œuvre de la GAR sur des stratégies de persuasion et
de légitimation. Il s’agit de légitimer la démarche de la GAR dans son ensemble par la
« volonté de convaincre » en déniant ou en minimisant l’existence de contrôles formels ou
l’usage de moyens de pression – menaces de conséquences négatives (Bourgeois et Nizet,
1995).
Par exemple, dans le discours de la direction et des professionnels de toutes les CS, il y a une
insistance sur l’importance de ne pas considérer les « résultats statistiques » relatifs aux écoles
ou aux groupes-classes comme des « jugements » personnels ou collectifs. Il ne s’agit pas de
« menacer », de « contrôler », de « punir », de « sanctionner », etc. Il s’agit au contraire
d’inviter à s’interroger sur ses pratiques, à rechercher d’autres voies, à s’ouvrir sur des
« conseils », sur les résultats de recherche, qui permettraient de trouver des « solutions » afin
« d’améliorer » les résultats. Il s’agit aussi d’accepter de « se former » ou « d’être
accompagné », de participer à un « développement professionnel »; cela vaut pour les
directions d’établissement, mais aussi au-delà pour leurs équipes-écoles.
L’accent est donc mis sur la persuasion, la volonté de faire intérioriser par les DÉ et les
enseignants une posture d’auto-régulation visant à accepter de regarder les données sur ses
résultats, à accepter de se « remettre en question », de chercher à s’améliorer, au besoin en
cherchant un support et un soutien externe. Cependant, en deçà des stratégies de pouvoir
basées sur la légitimation, la CS peut mobiliser aussi des moyens de pression (ou agiter la
menace de les utiliser) pour orienter les pratiques des directions ou les pousser à changer. Dès
lors, dans les rencontres de supervision, la direction générale peut simultanément être à
l’écoute, ouverte aux « explications » fournies par les DÉ pour justifier leurs résultats ou leurs
choix de moyens d’action dans les CGRE, tout en étant simultanément dans une relation
hiérarchique de contrôle, où les ressources de pression liées à la position hiérarchique peuvent
être mobilisées. Cette dualité est présente dans toutes les CS. Les stratégies d’exercice du
pouvoir combinent donc en fait pression et légitimation (Bourgeois et Nizet, 1995). Par
exemple, à la CS3, les rencontres de reddition de comptes sont présentées comme des
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« Moi je pense que je suis capable d’être très à l’écoute, mais si je ne suis pas pris au sérieux
je trouve ça plate! Et il ou elle le sait! Et je m’attends à ce qu’il y ait des changements. Mais
on ne l’a pas rencontré beaucoup (cette situation), je dirais peut-être avec une personne. Et ça
pourrait aller jusqu’à un changement d’affectation. Moi je me donne cette marge de manœuvre
là. » (CS3_E13_DG)
Nous nous demanderons à présent, par quels mécanismes institutionnels cette convergence
relative de pratiques de gestion de la pédagogie et de mise en œuvre des outils et prescriptions
des lois 124 et 88 s’est mise en place dans nos quatre CS10.
Il serait évidemment absurde de nier l’incidence propre de l’obligation liée aux Lois 124 et 88
dans la gestation des processus que nous avons documentés jusqu’ici. À l’évidence, les
« conventions » (Convention de partenariat et CGRE), les outils de planification, les cibles
que se donnent les CS résultent d’un mécanisme coercitif. Cependant, si la Loi 88 a été un
élément déclencheur des changements de structures et pratiques de gestion de la pédagogie à
la CS 1 et 3, à la CS2 ou 4 des initiatives et l’esprit de « la gestion axée sur les résultats »
préexistent. Avant la Loi 88 et le développement de Lumix, la CS4 développe un suivi des
résultats de ses élèves à partir d’une base de données interne. À travers un plan « Objectif
quinquennal », elle a déjà le souci d’assurer un suivi et un soutien à certains établissements
« ciblés » à partir de leurs plus faibles résultats, en lien avec les objectifs stratégiques du
ministère.
Cette convergence relative entre les pratiques de gestion de la pédagogie ne procède donc pas
seulement d’un mécanisme coercitif lié directement aux Lois 124 et 88; elle dérive également
de mécanismes mimétiques et normatifs (DiMaggio et Powell, 1983) et des effets
institutionnels propres d’une instrumentation spécifique de la GAR (Lascoumes et Le Galès,
2004). De plus, l’acteur le plus décisif et le plus porteur des changements n’est pas
principalement l’autorité politique de tutelle, mais surtout les acteurs situés au niveau
intermédiaire dans les CS, mais aussi dans divers organismes experts (Honig, 2004).
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Des divergences sont également présentes dans notre échantillon de CS, notamment concernant l’intensité de
cette gestion de la pédagogie, différences qui n’ont pu être développées dans cet article compte tenu de l’espace
disponible (voir Auteur et al., 2016).
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De plus, à la CS4, le plan « Objectif quinquennal » a été inspiré d’une expérience d’une CS
ontarienne et à la CS3, on se base sur l’exemple ontarien pour légitimer l’intérêt des CAP,
l’Ontario étant l’exemple d’un « système éducatif plus performant que le
nôtre » (CS3_E13_DG).
Mais c’est à la CS2 que le mimétisme va le plus loin. Dans cette CS, après une période de
mise en place assez formelle de la première Convention de partenariat en 2009 par une
ancienne DG, la mise en œuvre de la GAR va être subordonnée à un changement de la
gouvernance, impulsée par la nouvelle direction générale. Cette « nouvelle gouvernance »
incorpore les prescriptions de la Loi 88, mais elle s’est très largement inspirée d’une
expérience ontarienne. Cela se traduit par plusieurs visites d’une CS francophone de l’Ontario
(qui avait amélioré son classement sur le plan des résultats scolaires) et l’embauche d’une
firme de consultants dirigée par l’ancien DG de cette CS, ce qui conduira à une « charte de la
nouvelle gouvernance ». D’autres visites de la CS ontarienne par des groupes de cadres du
siège social et des établissements vont suivre. Ils en importeront entre autres l’idée de mettre
en place des CAP dans les établissements.
Plusieurs travaux antérieurs ont montré que les lois 124 et 88 s’inscrivaient aussi dans une
trajectoire politique plus longue et que la GAR ne commence pas avec ces lois puisque l’idée
des « plans de réussite » dans les écoles apparaît dès 1999 au Sommet de la jeunesse
(Dembélé et al., 2013; Auteur, 2014a; Auteur et al., 2014). Plus tôt encore, l’idée de « réussite
pour tous » est développée par les États généraux de l’éducation, dès le milieu des années
1990. La réception de la GAR dans toutes les CS analysées s’inscrit de fait dans un terrain
normatif et cognitif déjà préparé, qui va en faciliter la légitimation aux yeux des cadres et
dirigeants des CS.
En effet, dans toutes les CS, les dirigeants et cadres reprennent pour une bonne partie
l’argumentaire développé par les gouvernements québécois successifs pour justifier la GAR :
cette politique introduit de la cohérence au service de la « réussite », un des mots clés de la
politique scolaire québécoise. La très large institutionnalisation de la notion de « réussite » et
de « réussite du plus grand nombre » dans les discours de nos interlocuteurs nous semble
avoir favorisé l’appropriation de ce discours de légitimation de la GAR.
Par ailleurs, une autre représentation relativement répandue parmi nos interlocuteurs est
relative à l’action possible des établissements et des équipes éducatives sur les performances
scolaires. On a vu que les dirigeants et cadres de la CS2 se référaient explicitement au courant
de recherche de l’école efficace. Plus largement on retrouve parmi les autres CS des théories
spontanées de l’efficacité éducative selon lesquelles un établissement ou un enseignant « peut
faire des différences » dans les apprentissages des élèves individuellement ou collectivement,
mais aussi dans leur persévérance. Cette différence se répercutera alors positivement par
agrégation sur les performances moyennes de l’établissement ou de la CS.
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Par exemple, des groupes d’experts de l’administration et des CS vont définir et construire
depuis le début des années 2000 les « indicateurs centraux » auxquels vont se référer tant le
ministère que les CS pour mesurer les résultats (Doray et al., 2011). Il s’agit également des
spécialistes de la pédagogie (dont certains CP interrogés) qui mettent au point les épreuves
ministérielles dans les différentes matières « à sanction ». Par ailleurs, des organismes
émanant des CS jouent également un rôle essentiel. On peut citer à cet égard le rôle essentiel
de la GRICS qui développe Lumix et de certaines associations régionales de CS, où des
groupes d’experts mettent au point des « épreuves CS ». Enfin, on peut citer le rôle de
certains entrepreneurs académiques individuels qui diffusent dans les « milieux éducatifs »
des outils pour mettre en œuvre adéquatement la gestion axée sur les résultats (Collerette,
2010; Mazouz, 2008) ou le bon usage des CAP (Leclerc, 2012). Nous avons constaté que le
même expert est intervenu dans toutes les CS étudiées, s’agissant du premier type d’outils.
Ces organismes et entrepreneurs « experts » ont un rôle clé dans les convergences constatées.
Ces acteurs tendent en effet d’une part à diffuser de nouvelles catégories cognitives, un
nouveau vocabulaire permettant de nommer et construire des accords sur les nouvelles
régulations à créer pour « gérer la pédagogie », ce qui se reflète par la présence du même
idiome technico-gestionnaire dans les CS. D’autre part, ils diffusent les outils eux-mêmes,
souvent avec des possibilités d’adaptation et d’ajustement en fonction des singularités des CS
(par exemple Lumix et les CAP). Ces lexiques et ces outils vont être importants dans la
construction de nouvelles routines organisationnelles, qui sont une des voies de
l’institutionnalisation de la gestion de la pédagogie (Spillane, 2012).
5. Conclusion
Notre enquête sur la mise en œuvre de la GAR dans quatre CS révèle l’émergence de
nouvelles formes de gestion scolaire qui s’étendent au noyau technique et aux pratiques
pédagogiques des écoles et des enseignants. C’est ce qui nous a amené à parler de gestion de
la pédagogie. Celle-ci s’appuie non seulement sur l’usage d’outils de planification,
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contractualisation et reddition de comptes prévu par les lois afférentes à la GAR, mais surtout
sur des outils statistiques ou des outils et pratiques d’accompagnement des professionnels,
dans un domaine qui laissait auparavant une large place à l’autonomie professionnelle des
enseignants, encadrée par des prescriptions étatiques et avec le soutien des services
pédagogiques des CS s’ils le souhaitaient. Par-delà la subordination hiérarchique, la gestion
de la pédagogie renforce ainsi un rapport de pouvoir pratique des gestionnaires scolaires sur
les enseignants dans la définition des objectifs d’enseignement dans la classe, dans le choix
des méthodes et techniques d’enseignement ou d’évaluation, dans le contrôle de leurs usages
effectifs et efficients, dans le pouvoir d’imposer des correctifs et régulations en cas de
manquement.
Comme dans le cas des politiques d’accountability « dure » de certains états américains, la
traditionnelle structure « bureaucratique et professionnelle » des établissements scolaires
(Bidwell, 1965) et le « faible couplage structurel » des organisations scolaires (Orton et
Weick, 1990) sont dès lors de plus en plus mis en cause.
Notre analyse empirique souligne le travail important de médiation accompli par le palier de
gouvernance intermédiaire dans la fabrication des orientations et des effets de la GAR.
L’action de régulation autonome des CS est en effet cruciale pour comprendre les conditions
d’émergence de la gestion de la pédagogie, auparavant plus invoquée dans le discours du
« leadership pédagogique » que réellement mise en acte. À cet égard, nous avons insisté sur
les mécanismes mimétiques et normatifs qui ont pu en favoriser le développement, au-delà de
la seule incidence de la politique ministérielle. La diffusion d’outils, d’idées par des
organismes intermédiaires, notamment par les canaux des organismes et des réseaux
professionnels des gestionnaires, s’est ainsi avérée cruciale. La nouvelle gestion publique en
éducation ne peut être seulement rapportée aux transformations des modes d’intervention de
l’État dans un contexte néo-libéral (Laval et al., 2012).
D’un point de vue théorique, notre analyse montre aussi l’intérêt de coupler sociologie de
l’action publique et sociologie des institutions. En effet, l’insistance de la sociologie de
l’action publique sur la multiplicité des acteurs, des scènes, et des niveaux d’action qui
interviennent dans la construction de l’action publique a parfois conduit à souligner de façon
trop unilatérale le caractère variable, incertain, fragmenté qui en résultait au niveau de ses
orientations et résultats. Dans notre cas, même si en effet l’action médiatrice des CS
conditionne fortement les orientations effectives de la mise en œuvre de la GAR, nous avons
constaté la présence d’importantes convergences dans cette médiation, liées aux processus
institutionnels évoqués.
Une double précaution doit cependant être immédiatement ajoutée. D’une part, des
divergences sont également présentes dans notre échantillon de CS, notamment concernant
l’ampleur de cette gestion de la pédagogie et les logiques d’action mobilisées pour les mettre
en place. D’autre part, un biais potentiel de sélection (lié au caractère volontaire de la
participation des CS à notre enquête) a pu favoriser un accès aux CS les plus favorables et les
plus volontaristes dans la mise en œuvre de la GAR. D’autres CS pourraient davantage diluer,
détourner, ou neutraliser les prescriptions ministérielles de la GAR.
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fonction de la manière dont ils font sens de la politique. Un travail de recherche en cours
auprès des enseignants des CS souligne d’ailleurs que leurs réponses face à la gestion de la
pédagogie sont très variables, allant d’une adhésion ambivalente au rejet le plus ferme, en
passant par le renoncement à certaines pratiques valorisées. La tendance à gérer la pédagogie
est donc inégalement développée selon les organismes de gouvernance intermédiaire, mais
elle est aussi loin d’être considérée comme légitime par les enseignants qui se montrent
souvent très ambivalents à son égard. Son institutionnalisation pourrait de plus être fragilisée
par un questionnement critique de la nouvelle gestion publique en éducation (au niveau des
organisations syndicales enseignantes notamment) qui passe sans doute par une critique plus
approfondie de (l’usage de) ses outils et par la remise en cause de la réduction gestionnaire de
la réflexion sur l’éducation et sur les politiques éducatives.
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