Il y a des mots à la mode. C’est le cas du mot « médiation » arrivé comme une déferlante dans notre
quotidien : médiation culturelle, médiation artistique, médiation interculturelle, médiation
conjugale, médiation familiale, médiation sociale, médiation bancaire, médiation judiciaire, etc. La
médiation est partout. Et voici que ce mot envahit aussi notre quotidien pédagogique… Sauve qui
peut ? Pas de panique ! Pour définir simplement la signification du mot « médiation », il suffit peut-
être de revenir à son étymologie latine : mediato, action de jouer le rôle d’intermédiaire.
La « médiation » au cœur d’un nouveau Cadre européen de référence pour les langues ?
Le Cadre européen de référence pour les Langues (CECRL) publié en 2001 a indéniablement modifié
en profondeur les pratiques pédagogiques à la fois dans les manières d’apprendre et d’enseigner et
dans la conception de l’évaluation. Il est basé sur quelques principes : le locuteur est un acteur social,
il n’apprend pas seulement, il agit ; l’apprentissage est centré sur une approche par compétences : la
compréhension orale et écrite, l’expression orale et écrite, et enfin l’interaction ; les performances
linguistiques dans chaque compétence sont classées en six niveaux (A1, A2, B1, B2, C1 et C2) définis à
l’aide de descripteurs, tous positifs. L’approche par compétences a fait admettre que l’objectif de
l’apprentissage n’était pas de devenir un locuteur parfait dans la langue apprise et qu’il était normal
d’avoir un niveau de performance différent suivant les compétences. Enfin un des grands principes
du texte est de promouvoir une interaction sociale plurilingue et interculturelle pour faciliter la
mobilité géographique et la compréhension mutuelle entre Européens.
Le CECRL a été conçu dès le départ comme un outil évolutif, et près de 20 ans après sa première
publication, les auteurs ont souhaité adapter le texte au contexte contemporain, prendre en compte
les remarques et commentaires et rédiger un « volume complémentaire » (1) apportant des
modifications et clarifications sur les descripteurs et une nouvelle approche de l’acquisition
linguistique. En résumé, le nouveau CECRL propose un passage d’une approche centrée sur les
compétences langagières (compréhension et expression orales, compréhension et expression
écrites, interaction) à une approche centrée sur les modes de communication :
RÉCEPTION – PRODUCTION – INTERACTION – MÉDIATION intégrant ces compétences langagières.
La médiation pourrait être comprise comme un sous-ensemble de l’interaction, mais alors qu’une
interaction présente un échange entre deux ou plusieurs locuteurs qui interagissent pour obtenir des
informations, des services, développer des relations, débattre, présenter des idées, argumenter, etc.
la médiation fait entrer dans l’échange un autre mode de communication destiné à transmettre aux
locuteurs des informations qui permettent d’expliquer, de comprendre une situation, une pratique
culturelle, des faits. Le locuteur, « médiateur », n’est pas directement impliqué dans l’échange en
tant que tel, mais joue le rôle d’intermédiaire, de facilitateur. Souvent ce rôle est occupé par une
tierce personne. Ici, il est fait appel aux savoirs, aux savoir-faire, mais de manière plus fondamentale
encore, au savoir-être.
Selon les auteurs du volume complémentaire du CECRL, la médiation a pour objectif de « transmettre
à une personne le contenu d’un texte auquel cette personne n’aurait pas accès, souvent à cause de
barrières d’ordre linguistique, culturel, sémantique ou technique ».
« Dans la médiation, l’utilisateur/apprenant agit comme un acteur social créant des passerelles et
des outils pour construire et transmettre du sens soit dans la même langue, soit d’une langue à une
autre (médiation interlangues). L’accent est mis sur le rôle de la langue dans des processus tels que
créer l’espace et les conditions pour communiquer et/ou apprendre, collaborer pour construire un
nouveau sens, encourager les autres à construire et à comprendre un nouveau sens et faire passer
les informations nouvelles de façon adéquate. Le contexte peut être social, pédagogique, linguistique
ou professionnel. » Extraits du volume complémentaire du Cadre européen de référence pour les
langues (2018)
De fait, il y a dans une classe de langue un super médiateur, une super médiatrice : c’est le
professeur.
L’enseignant/e joue ce rôle fondamental de facilitateur d’accès au sens : il / elle explique le
vocabulaire inconnu, le sens d’un texte, une règle de grammaire ; il / elle reformule une phrase pour
la rendre compréhensible ; il / elle intervient pour faciliter les échanges dans la classe, donner les
mots qui manquent, expliquer des faits culturels liés à la langue apprise ; il / elle donne des conseils
d’apprentissage, choisit des documents en tenant compte du niveau et des objectifs
d’apprentissage ; il / elle intervient également dans la vie sociale de la classe pour gérer les tensions
ou les conflits entre participants, pour faciliter leur communication. Le / la champion/ne de la
médiation en classe, c’est le / la prof !
L’apprenant, super héros de la médiation
Les auteurs du volume complémentaire du CECRL insistent sur l’acquisition de compétences dans le
cadre de l’apprentissage, mais aussi sur l’importance de s’approprier des stratégies communicatives
pour aborder la communication. Plusieurs pistes sont présentées, là aussi déjà pratiquées au
quotidien et marquées par le bon sens. Par exemple, pour expliquer un nouveau concept, une
nouvelle idée, il est utile de le / la relier à un savoir préalable de l’interlocuteur, d’adapter son
langage à son niveau de connaissances, de décomposer l’information que l’on souhaite transmettre
en sous-unités plus facilement compréhensibles. Si l’on présente un texte complexe très dense, le
locuteur proposera des reformulations plus simples pour aider à comprendre. À l’inverse, si le texte
est très long pour peu de contenu, le locuteur retranchera les éléments qu’il juge inutiles. Du bon
sens, rien que du bon sens.
L’évaluation des activités de médiation peut être intégrée à l’évaluation générale de l’apprenant, car
elles intègrent de facto les compétences langagières évaluées jusqu’ici.
Des expériences ont déjà été menées, en particulier en Autriche dans l’enseignement professionnel.
L’évaluation des compétences langagières et communicatives plurilingues est entrée dans les
épreuves de fin d’études. L’examen est plurilingue (français et anglais) et se présente concrètement
en deux étapes : une partie où le candidat doit présenter une thématique en discours continu de 4 à
5 minutes, puis une deuxième partie sous la forme d’un dialogue entre les examinateurs et le / la
candidat/e de 8 à 10 minutes. Bien entendu, les candidats disposent d’un temps de préparation
avant l’épreuve en tant que telle et de documents pour appuyer leur préparation.
Exemple de déroulement :
Contexte situationnel : Vous êtes le porte-parole de votre école dans le cadre de la préparation d’un
projet Erasmus entre votre école et des écoles françaises et belges. Vous recevez les représentants des
partenaires.
Étape un, monologue 4-5 minutes : vous vous présentez et vous présentez brièvement votre école.
Vous informez les invités sur les activités liées à l’international dans votre école : stages, échanges,
semaines internationales, etc. Vous expliquez ce qui motive les élèves de votre établissement pour
souhaiter faire un séjour à l’étranger.
Étape deux, dialogue 8-10 minutes : Vous échangez avec vos interlocuteurs sur les aspects pratiques
de l’échange prévu : hébergement, activités prévues pendant le séjour, visite des établissements
scolaires.
Vous discutez également des enjeux et défis que pose la rencontre d’une autre culture lors d’un séjour
à l’étranger : différences dans les modes de communication (salutations, par exemple) ; les règles ou
habitudes vestimentaires ; la notion de ponctualité ; le rythme de vie ; etc.
Dans cet exemple, nous sommes à un niveau d’exigence élevé, mais les différentes séquences
présentées peuvent être facilement adaptées à un niveau plus faible.
(1) CADRE EUROPÉEN COMMUN DE RÉFÉRENCE POUR LES LANGUES : APPRENDRE, ENSEIGNER,
ÉVALUER, VOLUME COMPLÉMENTAIRE AVEC DE NOUVEAUX DESCRIPTEURS, Conseil de l’Europe,
Strasbourg, 2018. Téléchargeable gratuitement : www.coe.int/lang-cecr
(2) Die Kompetenzorientierte mundliche Reife-&Diplomprüfung, Lebende
Fremdsprachen,Prüfungsgebiet Mehrsprachigkeit, CEBS, Salzburg, 2015.
Michel Boiron
Directeur général du CAVILAM - Alliance française depuis 1997, il a participé à la conception et à la
réalisation de nombreux projets pédagogiques notamment avec TV5MONDE, RFI, l’IF ou
l’Organisation internationale de la Francophonie. Spécialisé dans la formation d’enseignants, il assure
des missions de formation et d’expertise dans le monde entier.