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Author(s): M. Lot-Borodine
Source: Revue de l'histoire des religions , 1932, Vol. 105 (1932), pp. 5-43
Published by: Association de la Revue de l’histoire des religions
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religions
I. — Fondements théologiques
Introduction
1) Le sujet de la présente étude, qui n'est qu'un essai de mise au point lui
même scindé en deux parties, a été doublement limité. D'abord dans le temps.
Nous nous arrêtons au milieu du xie siècle avec S. Syméon le Jeune, le plus grand
-mystique grec, et son disciple hagiographe, Nicétas Stéthatas, un des artisans de
la séparation des Eglises. Ce dernier événement clôt dans l'Orient chrétien tout un
millénaire de pensée religieuse créatrice et d'expérience vécue. Une nouvelle ère
s'ouvrira à Byzance au xive siècle avec le mouvement hésychaste du Mont-Athos,
qui soulève de gros problèmes, incomplètement résolus encore. C'est à peine si
nous les effleurons en passant. De même en ce qui concerne la doctrine de la grâce
déifiante dans les sacrements, ou la mystique rituelle de l'Église. Seule nous
occupera ici la quête solitaire de l'âme, montant vers Dieu, sans jamais se détacher
de la théologie des Pères ni de l'ascèse traditionnelle. Et ce n'est que de cette
théologie là qu'il sera question dans les pages, un peu rapides, qui suivent.
Dernière remarque : convaincu du caractère synthétique, et non syncrétiste
du christianisme originel, l'auteur n'a pas essayé d'effriter ce bloc erratique.
1) Pour les Grecs, comme pour les Juifs, Dieu est égalem
pour des raisons différentes, philosophique ou religieuse
le premier Principe comme incognoscible in se, à cause de l
qualité définissable, car il est substance simple. Et pou
majesté de Celui qu'ils n'osent nommer ne permet pas à l'imp
de l'approcher ni de le connaître, au dehors de la Révélation
dans le char-trône, soutenu par les quatre animaux all
d'Ezéchiel, l'image de l'insondable mystère divin. Et Job di
qu'il triomphe de notre science. » Voir sur l'évolution du sentiment révérentiel
dans la littérature sacrée judaïque : Die Religion des Judentums im spàlhellenis·
lischem Zeitaller de Bousset éd. par Gressmann, chap. XIX.
1) V. surtout Apologie, I, 10, et II, 12, II : seul le Père est innommable, parce
<jue seul άγέννητος.
2) Le R. P. Lebreton, dans sa magistrale Histoire du dogme de la Trinité, t. II,
pp. 421 et süiv., critique discrètement toute cette tentance subordiniste de
Justin. Voir aussi sur la distinction sémantique, établie par Jean Damascène, entre
•άγένητος, non-produit, et άγέννητος, non-engendré, l'appendice C du IIe vol. de
cet ouvrage.
Théognosie apophalique
tisme qu'on lui a souvent reproché. Car pour lui, tout croya
est un gnostique ou un sage en puissance, et cette sagess
présuppose, implique, avec l'ascèse purificatrice, la foi, mè
des vertus chrétiennes. En plus, la gnose pneumatique e
toujours « une grâce qu'illumine l'esprit ». C'est le don d
1'άγάπη : charité, inspiration et science sacrée sont ici déjà
inséparables2. Elles le resteront dans toute latheologiamyst
des Grecs, qui vient en ligne directe de la gnose orthodo
d'Alexandrie. Enfin le Dieu de Clément, planant au-dessus d
l'intelligible comme au-dessus du sensible, recèle en lui u
volonté de bienveillance personnelle,—la φιλανθρωπία, expr
sion chère à la patristique. Et notre Docteur compare le div
φιλάνθρωπος à l'invisible ancre qui tire au rivage ceux q
s'y agrippent. — Belle image de la grâce prévenante dont la
1) R. Arnou, dans son étude sur Le désir de Dieu dans la philosophie de Plolin
(p. 226-7), écrit très justement : « Dieu ne se donne pas dans l'extase. Il se laisse
faire... Tout le succès de l'entreprise est entre les mains de l'homme. » Et encore s
« Dieu est le Premier, sans jamais devenir l'Ami, A God whose goodness is wilhoul
love. » Cela est vrai de tout le mysticisme païen, bien qu'aux degrés supérieurs
la contemplation y soit inséparable de l'amour. Pour Plotin, le Bien de l'âme est
la Vertu + l'Intelligence = Beauté (En., VI, 7). V. aussi Emile Bréhier, La Phi
losophie de Plotin, p. 470 et ss. Dieu est aimé, mais lui-même n'aime pas.
étant moins nuancé que le vocabulaire grec. Scot Erigène au ixe s. s'en
hautement déjà, en essayant d'y remédier tant bien que mal. (Voir l'ar
R. P. Théry, Scot Erigène Iraducleur de Denys, dans le Bulletin Ducange
1) Aux yeux de Philon, tous les justes de l'Anéien Testament avaient
été des prophètes, inspirés par le πνεϋμα. Mais il distingue déjà entre
l'extase-vision de Dieu — ou apparition (théophanie), d'une part, et l'extase
ascension de l'âme vers Dieu qui, modifiée dans la mystique chrétienne, portera
le nom de rapt ou ravissement, Son premier représentant est toujours Moïse.,
au Sinaï et, au Nouveau Testament, S. Paul.
1) Exod., 33, 23. Les mystiques médiévaux emploient couramment l'expres
sion imagée : « voir Dieu par derrière », c'est-à-dire contempler ses actions, non
son essence. V. là-dessus J. Bernhart, Die philosophische Mystik des Mittelaltçrs,
Munich, 1922 ; Notes, p. 264.
1) L'Église d'Orient n'a pas élaboré une doctrine aussi précise et exha
de la grâce, que celle développée, sous l'impulsion de S. Augustin, en Occide
contrairement à celle-ci, elle a toujours maintenu, avec la diversité des charismes
Ou dons de l'Esprit — modes de participation des humains à la vie divine — leur
nature incréée. De même pour la Sagesse, Sophia, identifiée tantôt avec le
Logos (âge patriotique dans son ensemble), tantôt avec le Saint-Esprit : iden
tification que l'on trouve chez certains Pères grecs, très probablement sous
l'influence des Écritures et celles de Philon. Voir en particulier S. Irénée, Aduers,.
hacres., II, 30, 9,111, 24, 2 et ailleurs. Sur l'Esprit-Saint, dans les Livres sapien
tiaux, consulter le P. Lebreton, Dogme de la Trinité, t. I ; Origines, p. 122, et
ss. Même rapprochement théologique de l'Esprit et de la Sagesse chez S. Théo
phile et dans les Homélies Clémentines. Op. c. t. II, pp. 569-70. C'est le germe
d'où sortira la doctrine sophiale contemporaine de certains Russes.
2) La théologie apophatique de S. Augustin s'applique à Dieu, en tant qu'Etre
suprasensible, transcendant toute matière, n'ayant aucun caractère anthropo
morphique, non en tant qu'au-dessus de tout être. Son mystère ne gît pas dans,
sa nature propre, mais dans l'imperfection de la nature humaine qui ne peut s'éle
ver à l'intelligible pur. Sur ce point il y a coïncidence, ce qui est rare, entre le
Grand Africain et Origène. Par ailleurs, c'est Augustin qui, le premier, attaqua à
fond l'argument préféré des origénistes en faveur de la consubstantialité : à
savoir que le Père n'aurait pu être sage préñernellement, s'il n'avait engendré son
Verbe — Sagesse, avant les siècles. La forte critique augustinienne de cet argu
ment, dont se sert encore son maître, Ambroise de Milan, contre les Ariens, porte
slir l'impassibilité d'attribuer la Sagesse au Fils seul, car elle est l'apanage de la
Trinité tout entière, et non fonction de l'acte générateur divin : tout ce qui appar
tient au Fils appartient, depuis toujours, au Père et inversement, à part les rela
tions de paternité et de filiation. Cela est éminemment juste. Mais de cette pré
misse on peut déduire que le Père est cognoscible comme le Fils-l'augusti
nisme ; ou bien, avec les Pères grecs, conclure à Vincognoscibilité du Fils, cqmme
du Père... Seul ce dernier chemin mène à la vraie apophatique.
1) Toute la conception trinitaire de S. Augustin, acceptée par l'Église d'Occi
dent avec quelques légères retouches, repose sur l'idée d'unité. Elle part de l'un
pour aboutir aux trois : amans, amalus, amor, voilà sa définition préférée de
la divinité trine (De Trinilate, VIII, 10). On a pu dire avec raison qu'Augustin
nous montre plutôt une Trinité dans Dieu qu'un Dieu qui soit Trinité. Le danger
d'un tel principe unitaire sera toujours une inclinaison vers le modalisme (Abélard
et Pierre Lombard). Inversement, les Grecs remontent à l'unité première en
partant des hypostases distinctes. Leur écueil sera une tendance tritheiste que
l'on avait, en effet, reproché déjà à Basile le Grand. Tendance que nous trouvons
d'ailleurs, bien plus nettement accusée au Moyen âge latin avec Roscelin, Gilbert
de la Porée et son école, Joachim de Flore enfin... Il est à remarquer que la révé
lation chrétienne, aussi bien que le Symbole de Nicée et que tout le symbole bap
tismal, impliquent d'abord Vidée des trois Personnes dioines séparées. V. l'excellente
mise au point dans le récent ouvrage de haute vulgarisation (en russe) de G. Flo
rovsky, professeur à l'Institut de théologie russe à Paris : Les Pères Orientaux
au IVe s., pp. 75 et ss.
2) Seul, parmi les philosophes médiévaux, Scot Erigène, marchant toujours sur
les traces de l'Aréopagite. a maintenu dans son De divis. naturae, la distinction
entre l'essence et les énergies divines. Seul il a enseigné que, même dans la vision
béatifique les saints — pas plus que les anges —- ne peuvent contempler l'essence
de Dieu. C'est donc par erreur qu'il a été accusé de panthéisme, bien qu'il l'ait
frôlé de près dans ses théories sur la création de l'âme. Il semble bien que le
grief identique reproché au xiv s. à Maître Eckart, lointain disciple de l'Aréopa
gite — et par lui de toute la théologie grecque — soit dû à la même confusion. Quant
aux mystiques de l'Orient chrétien, leurs révélations seront jugées par Église grecque
d'après un tout autre critère, critère fondé sur le rejet des« imaginations» sensibles.
Anthropologie mystique
1 ) Les Byzantins ont peut-être moins spéculé et davantage insisté que les théolo
giens latins sur Vimage du Dieu trine, imprimée dans l'âme humaine. Une compa
raison rapide s'impose. Ce qui domine chez S. Augustin et chez les médiévaux, c'est
l'idée d'analogie, de ressemblance lointaine. Et, toujours s'affirme la tendance uni
taire : le mens, substance une de l'âme et, à l'intérieur, la pensée pure, sa connais
sance d'elle-même et son vouloir. Sur le concept trinitaire divin, de l'Intelligence
qui se connaît et se veut — concept qui, lui-même, a une origine purement
psychologique et humaine -— aurait été formé, par analogie, l'être spirituel de
l'homme. Dans cette théorie de l'imago nous trouvons la triade suivante : inlel
ligenlia, memoria, voluntas, ou encore en transposant : esse, inielligere, vivere
Ici pas de distinction réelle entre l'âme et ses facultés, cela « pour nous offrir
en elle une image raisonnable de la Trinité » (Gilson, op. c., p. 283). Mais comme
l'observe justement M. Gilson, « Augustin consacre le dernier chapitre de son De
Trinitale à décrire les différences radicales qui séparent la Trinité créatrice de ses
images réelles » (p. 291). Les hésitations et confusions d'Augustin sur ce point ont
été fortement marquées par A. Koyré dans son travail : l'Idée de Dieu dans la
Philosophie de S. Anselme, Paris, 1923, V. surtout son instructif tableau des
images de la Trinité d'après Augustin. C'est l'analyse de S. Bonaventure qui met
peut-être le mieux en lumière l'économie trinitaire de la créature raisonnable,
d'après la pensée médiévale. Le triple principe spirituel y est : Suhstantia, virlus,
operatio. Mais l'image trine ne vit vraiment que dans la doctrine de Fauler.
L'homme, effigie réelle du Dieu trine, se retrouve en Occident avant l'école
d'Eckart, déjà chez Scot Érigène, car pour lui, comme pour les Grecs, la Trinité
dont il faut partir toujours se reflète tout entière dans la création dont l'homme
présente le sommet et la réduction : per essentiam Pater, per sapienliam Filius,
per vilam Spirilus Sanctus ou, intellectus, ratio (au sens de la contemplation des
idées et non de la raison discursive), et sensus, le sens intérieur. M. Briliantof dans
son étude que nous avons déjà citée, remarque justement que Jean Scot essaye
en vain de concilier les théories grecques et latines, mais l'auteur se trompe, à
notre avis, en déclarant que le philosophe irlandais arrive à la conclusion pure
ment augustinienne de l'analogie, « ressemblance essentielle entre Dieu et
l'âme » (Op. c., p. 158). Car c'est d'après le mode dionysien que l'analogie joue
chez Ërigène et non selon le mode augustinien ou thomiste, et il est bien plus
profondément grec dans toute sa théologie que latin. Au ιχθ s. d'ailleurs cela
n'impliquait aucun désaveu de la tradition catholique, puisque l'Église était
encore une et universelle. Jean Scot n'a été vraiment le disciple de S. Augus
tin qu'avant de connaître les Grecs, cela nous paraît certain. Quant au fait,
rappelé par M. Koyré, que Jean Scot ne distinguait pas Grégoire de Nazianze de
Grégoire de Nysse, il n'a pas grande importance ici, car toute la substance de la doc
trine cappadocienne a passé dans l'œuvre de S. Maxime, étudiée de très près par
Scot. Les Byzantins distinguent dans l'homme, véritable image divine : l'Intel
ligence pure, principe de tout être, sa pensée exprimée ou Verbe, et le πνεΰμχ
« spiration » de Vie, souffle igné d'amour.
immédiate dans la vie des sens et par elle dans la mort. Ici
nous nous retrouvons en plein dans la tradition augusti
nienne, universelle dans l'Eglise, car S. Augustin dit
expressément que « l'homme a opté pour l'avare possession
ele ses biens privés ». C'est l'acte prévaricateur qui a tout
déclenché1. Seulement les Grecs insisteront davantage sur le
caractère intellectuel de la faute ou άμαρτία. Tout le mal vient
pour eux de Γαγνοια, le νους ayant cessé d'être le régulateur
parfait2. Donc rupture de l'équilibre intérieur, désorganisa
tion de la psyché tout entière. Seulement on ne dira pas,
avec S. Anselme, que l'effet premier du péché originel
a été la privation de la justice ou rectitude, entraînant le
réveil de la concupiscence, comme latente. L'ordre des termes
est ici renversé : non pas privatio-vulneratio, mais vulneratio
1) Ainsi J. Tixeront dans son Histoire des dogmes, en général très conciliante
et qui fait la part belle aux Pères grecs, ne parlera, à propos de S. Irénée (t. II,
p. 215 ss.), que de « réparation des suites du péché », d'expiation et de rachat,
comme si tout se bornait là pour l'évêque de Lyon. Le R. P. Lebreton, dans le
substantiel chapitre qu'il consacre à la théologie irénienne (à la fin de son second
volume sur le Dogme de la Trinité), atténue également la hardiesse de toute cette doc
trine de la déification inpolenlia, si accusée pourtant chez notre docteur. De
même, P. Cayré dans son excellent Précis de Patrologie t. I chap. V. III. Par
contre, Bousset la met en plein relief (Kgrios Chrislos, chap. X), tout en la
rapprochant, assez arbitrairement, de l'esprit « mystériel » du paganisme orien
tal, auquel il tend à ramener tout le mysticisme chrétien. On retrouve le même
accent, mis sur la déification comme idéal irénien, dans la Charis de Wetter
(Leipzig, 1913) p. 160 ss.
1) C'est bien à tort que l'on a appelé cette conception patristique de la « renais
sance » de l'homme dans le Christ — la théorie physique de la Rédemption,
méconnaissant ainsi toute sa valeur religieuse. C'est là au contraire une théorie
organique d'un réalisme intégral où s'affirme l'unité première de la nature
humaine, immortelle, incorruptible, divine. Ad. Harnack —- qui n'a jamais rien
compris aux Grecs — va même jusqu'à parler de la récapitulation comme d'un
« système physico-pharmacologique » (Précis de l'Histoire des dogmes, p. 172).
L'abbé Rivière, tout en l'étudiant avec soin dans son livre si utile, Le dogme
de la Rédemption, ne veut y voir qu'une ébauche, une série de tâtonnements,
sans plus. Vraiment nous sommes ici en présence d'une doctrine très cohérente,
haute et forte, doctrine continuée par la tradition ininterrompue de l'Église
orthodoxe, dont rien n'infirme la validité, et qui a nourri toute l'expérience
mystique de l'Orient chrétien. Ajoutons, qu'elle nous paraît différer par nature de
toute la divinisation dans les Mystères païens, où Bousset et Reinzenstein ont
cherché sa source, et qui ne sont en réalité que les « imitations anticipées »
■(Bergson) du christianisme.
2) Epist., VIII, 5.
3) Orat., I, 7, XXXVII, 2.
1) Lire sur cette question les paires suggestives de K. Holl dans son ouvrage :
Amphilochius von Ikonium, Leipzig, 1904.
1 ) C'est le service liturgique des deux Églises qui nous en donne la meilleure
preuve-illustration. La messe romaine, se ramassant sur elle-même en un raccourci
stylisé, culmine et s'achève dans le sacrifice pacifique de l'autel qui renouvelle le
sacrifice sanglant du calvaire. La liturgie grecque, reproduit, en les ritualisant,
tous les moments essentiels de la vie du Seigneur. Elle ne se fixe pas au seul acte
de l'immolation de VAgnus Dei, mais le prépare de loin et la dépasse. Son point
culminant, c'est la communion des fidèles — jamais distribuée extra missam, bien
entendu — qui symbolise le miracle de la Résurrection. D'abord les communiants,
telles les saintes Femmes au tombeau, se réunissant devant l'iconostase, barrière
mobile qui sépare la terre du ciel ; puis la porte royale est ouverte toute grande en
silence par le diacre, représentant soit le Précurseur, soit l'archange Gabriel : c'est
la pierre du sépulcre roulée par le messager céleste. Et le Seigneur vivant parait
alors, caché sous les saintes espèces, pour distribuer à ses entants sa chair glorifiée,
don de vie immortelle. Enfin la dernière prière qui clôt l'office, action de grâces
chantée par le chœur, annonce l'Ascension, épilogue sur terre, prologue dans les
cieux où tout se consomme.
1) Un seul coup d'œil sur les deux iconographies suffit pour nous convaincre
de la différence essentielle sur ce point entre l'Orient et l'Occident. Au Moyen Age,
et bien au delà, au premier plan, la représentation, de plus en plus pathétique,
de la souffrance humaine du Christ : flagellation, chemin de Croix, instruments de
la Passion, agonie au Calvaire, sans parler d'innombrables scènes de martyres qui
recommencent et prolongent à l'infini le sacrifice volontaire du Maître. Cet art,
qui finira par avoir quelque chose de morbide avec son goût doloriste du sang et
des supplices, atteint son paroxysme dans l'Espagne du xvie siècle. Chez les Grecs
dont l'art religieux est l'objet d'un culte, ou plutôt d'une vénération -— la
proskynèse ■— une idéalisation voulue, un détachement des réalités terrestres,
se fait jour : la douleur y est toujours transfigurée. Même le réalisme, plus
grand et plus empreint de pathétique de l'Orient chrétien (Syrie, Mésopota
mie) reste quand même sobre, discret et retenu dans la représentation de la
souffrance. Consulter les Études iconographiques du P. G. de Jerphanion, La
Voix des Monuments, Paris, 1930.
M. Lot-Borodine.
1) Tel est le schéma, tracé par S. Maxime, en plein accord avec toute la tra
tion mystique grecque.
2) Περί τής èv χριστώ ζωής c'est le titre même du traité, en sept di
cours, de Nicolas Cabasilas, le célèbre liturgiste-mystagogue du xve s. ; traité
où l'imitation du Christ est conçue comme la déification de l'homme par le Chri
dans la grâce des sacrements, viatiques de l'immortalité.