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Témoignage Chrétien, n°3432, du 17 février 2011 - 3,5 €

Rubrique "En débat" : La France est-elle un pays raciste ? - p.28


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53.xhtml
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Défense des exilés :


après l’indignation, que faire ?
par Jérôme Valluy, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) à publié : Rejet
des exilés – Le grand retournement du droit de l’asile (2009). Il est membre
du Resf.

Depuis la création du premier ministère de l’identité nationale en France en 2007, mais aussi le
lancement du « grand débat » sur l’identité nationale, avec enrôlement des Préfets, en 2009 puis le
retour dans l’histoire de France de la déchéance de nationalité comme projet politique ainsi que de
la persécution des Roms en 2010, le diagnostic de xénophobie d’Etat est entendu. Mais la solution
au problème est moins évidente.
La principale réponse observable aujourd’hui est celle de l’indignation : c’est celle du principal
mouvement national, le Réseau Education Sans Frontières (Resf), depuis 2005, qui appelle
régulièrement, par solidarité de proximité avec des personnes ou familles, à s’indigner contre des
arrestations et à en stopper certaines. C’est aussi ce fait de société massif que constitue
l’exceptionnelle audience du texte de Stéphane Hessel (Indignez-vous ! 2010), très révélatrice d’une
époque. C’est surtout le registre le plus fréquent parmi les associations de solidarité avec les
étrangers et parmi les partis humanistes, de centre droit jusqu’à la gauche critique. Or, l’indignation
à ceci de paradoxal, qu’elle peut produire simultanément dans l’espace public une expression
éthique très forte et un mutisme politique tout aussi puissant. On peut être « contre » quelque chose
sans être capable d’être « pour » autre chose. On peut se complaire dans l’indignation humaniste et
la solidarité de proximité, sans jamais parvenir à exprimer de tels engagements sous la forme de
propositions précises de changement politique.
La solidarité de proximité est une autre réponse qui associe l’indignation à la résistance. Mais cette
résistance est aussi paradoxale, en ce qu’elle peut être bruyamment clandestine. Les dispositifs
d’alerte contre les rafles, les témoignages publics pour chaque exilé ou famille arrêtée, l’aide
juridique et sociale aux étrangers maltraités, les recours juridictionnels, les manifestations de rue ou
les concerts publics expriment des valeurs mais relèguent leur transcription politique dans une
marginalité embarrassée qui est une forme de clandestinité politique. Des dizaines de milliers de
militants font preuve quotidiennement d’une très grande disponibilité et d’un courage magnifique
dans l’aide individualisée aux personnes traquées dans notre pays… mais sans parvenir à penser ces
engagements militants comme principalement tournés vers un changement de politiques publiques.
A un an de l’élection présidentielle & législative de 2012, ce phénomène est inquiétant : ce que l’on
sait de la sociologie des partis politiques ne permet pas d’espérer qu’ils élaborent des projets
d’alternance réelle si leurs entourages intellectuels, associatifs et syndicaux plus spécialisés sur un
sujet donné en sont incapables. Les ruptures des « courroies de transmission » entre partis politiques
et mobilisations sociales ne résultent pas seulement de transformations des premiers mais aussi de
cette spirale du silence politique qui affecte les secondes lorsqu’elles se cantonnent dans
l’indignation protestataire et la solidarité de proximité, aussi médiatisées soient-elles.
Comment transcrire des valeurs en propositions, qui seraient des exigences politiques ? Et,
corrélativement, comme (re)faire de la politique sur les valeurs ? Ce sont à ces questions que tente
de faire répondre l’« Appel pour une mobilisation nationale et unitaire contre le racisme, la
politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans papiers »
(http://www.reseau-terra.info/wordpress/) le 28 mai prochain, en période d’élaboration des
programmes par les partis politiques et de présélection des candidats. La préparation de cette
journée du 28 mai, par la production locale de cahiers de doléances, est aussi importante que ce qui
se passera le jour même. Les centaines d’organisations politiques, syndicales et associatives qui s’y
sont engagées redonnent l’espoir que le cours de l’histoire de la remontée des nationalismes
xénophobes, observable en France et en Europe depuis tant d’années, n’est peut être pas inéluctable.

Jérôme Valluy, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) à publié : Rejet des exilés – Le grand
retournement du droit de l’asile (2009). Il est membre du Resf.

Source TERRA : Témoignage Chrétien, n°3432, du 17 février 2011

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