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DE L'ENSEMBLE INDIVIDU/ENVIRONNEMENT À LA TROISIÈME

TOPIQUE : LA PULSION, LE NARCISSISME, L'EMPRISE ET LA


RELATION D'OBJET
Wilfrid Reid

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

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2006/5 Vol. 70 | pages 1543 à 1557
ISSN 0035-2942
ISBN 2130555888
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Wilfrid Reid, « De l'ensemble individu/environnement à la troisième topique : la pulsion, le
narcissisme, l'emprise et la relation d'objet », Revue française de psychanalyse 2006/5 (Vol. 70),
p. 1543-1557.
DOI 10.3917/rfp.705.1543
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De l’ensemble individu/environnement
à la troisième topique :
la pulsion, le narcissisme,
l’emprise et la relation d’objet
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Wilfrid REID

« Le Moi s’éveille par la grâce du Toi...


La rencontre nous crée. »
Gaston Bachelard.

Les grands apports de la métapsychologie freudienne ne doivent pas


nous empêcher de reconnaître ses insuffisances. Soulignons d’entrée de jeu une
carence majeure de cette métapsychologie, soit « l’absence d’une référence suf-
fisante à la réponse de l’objet dans la structuration de la psyché » (A. Green,
2002). Une question dès lors se pose : comment tenter de combler cette lacune
sans invalider la métapsychologie de Freud ? Il peut être utile d’aborder cette
question à l’aide d’une perspective qui, tout en étant différente au départ, n’en
possède pas moins des éléments qui s’apparentent aux repères fondamentaux
de la métapsychologie freudienne : telle me semble être la métapsychologie de
Winnicott.
Perspective de départ différente, disons-nous : comme le rappelle B. Brusset
(2005), pour Freud, la psyché, même dans son état le plus primitif, forme
d’emblée une unité fonctionnelle sur le modèle du réflexe monosynaptique ;
pour Winnicott, il n’existe pas d’emblée une telle chose qu’un psychisme indivi-
duel mais plutôt un ensemble individu/environnement. Certaines conditions
sont nécessaires pour assurer le passage de cette unité duelle primitive à l’unité
individuelle – le passage, dirons-nous, de la dyade à la monade. Winnicott ouvre
ainsi un nouveau champ épistémique à la réflexion analytique : un travail psy-
chique est dorénavant nécessaire pour qu’advienne un psychisme individuel.
Présentons d’emblée notre thèse : ce travail psychique constitue un enjeu du
développement suffisamment important pour justifier l’introduction d’une troi-
Rev. franç. Psychanal., 5/2006
1544 Wilfrid Reid

sième topique, une troisième théorie de l’appareil psychique dont les instances
sont le Soi et l’objet.
Le concept d’un ensemble individu/environnement représente, selon nous,
le postulat fondamental de la métapsychologie de Winnicott ; dans le sillage

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de ce postulat, un deuxième concept ordonnateur de sa pensée concerne
l’articulation paradoxale psyché/environnement. Si la rencontre individu-
environnement n’est pas suffisamment bonne, si elle n’a pas pour effet de facili-
ter un certain travail de monadisation, l’extérieur – le hors-psyché – ne peut
prendre place dans le fonctionnement psychique. Dans la mobilisation pulsion-
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nelle, la psyché n’a pas accès à l’extériorité de l’objet de par l’échec des proces-
sus transitionnels.
La rencontre des métapsychologies de Freud et de Winnicott crée un
espace carrefour où peuvent transiter les concepts de relation d’objet, de pul-
sion, d’emprise et de narcissisme. Au sortir de ce transit, ces concepts, quelque
peu dégagés de certaines de leurs apories, pourront connaître une cohérence
théorique et une pertinence clinique renouvelées. La réussite du travail de
monadisation permet la création d’une interface individu/environnement en
lieu et place de l’ensemble individu/environnement ; elle permet la création
de l’espace transitionnel qui, paradoxalement, unit et sépare simultanément
l’individu et l’environnement. Dans l’espace transitionnel, l’objet est et n’est
pas la mère. Nous observons « une coexistence conjonctive du oui et du non »
(A. Green, 1993).
En nous référant au couple d’opposés dyade-monade et à la tension dialec-
tique à l’œuvre dans ce couple, nous proposons la réhabilitation de la « mona-
dologie freudienne », si souvent décriée. Car cette monade, mâtinée de transi-
tionnalité, dans la mesure où elle ouvre la voie à l’actualisation de la psyché
comme unité fonctionnelle, devient une visée fondamentale du développement
de l’appareil psychique. En outre, la réussite de cette visée s’avère une condi-
tion sine qua non pour assurer de jure la légitimité du travail interprétatif par-
tant la possibilité d’un processus analytique : nous y reviendrons.
La réhabilitation du concept de monade demande de faire la distinction
entre monadisme et solipsisme. Selon Le Petit Robert, le solipsisme renvoie à
« une théorie selon laquelle il n’y aurait, pour le sujet pensant, d’autre réalité
que lui-même ». En ce sens, il est tout à fait justifié de déplorer le solipsisme de
Freud dans sa conception de la genèse de l’appareil psychique. Nous songeons
ici à l’ignorance déjà signalée du rôle de l’objet, dans son double statut interne
et externe, dans la structuration de la psyché. Cela diffère assez du monadisme
conçu comme une théorie faisant état de la capacité de la psyché à devenir une
unité fonctionnelle.
De l’ensemble individu/environnement à la troisième topique 1545

LE MODÈLE PULSIONNEL DE WINNICOTT

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« Tous les êtres circulent les uns dans les autres... Et vous parlez d’indi-
vidus, pauvres philosophes. Laissez-là vos individus », nous dit Denis Diderot
(1796). Comment, dès lors, peut circuler le concept de pulsion dans cet espace
qu’est l’ensemble individu/environnement ? À ce sujet, nous proposons que la
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métapsychologie de Winnicott recèle un nouveau modèle de la pulsion, un


modèle qui serait opérationnel dans un temps théorique antérieur à celui du
modèle freudien qui devient conséquemment un modèle de deuxième généra-
tion. Ce faisant, nous nous situons dans ce que Laplanche (1987) désigne
comme la « capacité évolutive » de la pensée de Winnicott.
On peut distinguer les deux modèles de la pulsion selon les particularités de
ses composantes que sont la source, la poussée, le but et l’objet. D’abord, en
regard de la source : pour Freud (1905), la localisation interne de la source est
nécessaire pour définir le caractère pulsionnel d’une excitation, alors que, pour
Winnicott (1960), « dans le domaine que j’étudie, les instincts ne sont pas
encore clairement définis comme internes par rapport au nourrisson. Ils peu-
vent s’avérer aussi externes qu’un grondement de tonnerre ou une claque »1.
Dans le modèle freudien, le but est intrinsèque au mouvement pulsionnel :
la pulsion possède en elle-même sa visée, que celle-ci soit libidinale, d’auto-
conservation ou encore ultérieurement une visée de vie ou de mort. Pour
Winnicott (1950-1955), le but de la pulsion ne réside pas dans le mouvement
pulsionnel lui-même qui est, en quelque sorte, indifférencié quant à sa qualité :
« Il convient alors de dire que la pulsion libidinale primitive (Ça) a une qualité
destructrice bien que le but de l’enfant ne soit pas de détruire car la pulsion est
ressentie au stade précruel. » La qualité libidinale ou destructrice réside plutôt
dans la réponse de l’objet : « Le mot “destruction” est nécessaire, non en raison
de l’impulsion destructrice du bébé, mais de la propension de l’objet à ne pas
survivre, ce qui signifie également subir un changement dans la qualité, dans
l’attitude » (Winnicott, 1971). Introduisons une situation paradigmatique :
ainsi en est-il de l’enfant qui bouge sur les genoux de sa mère. « Il est plein de
vie », dira la mère, ou encore : « Attention, tu vas faire mal à maman. » Le but
du mouvement pulsionnel est déterminé par la réponse de l’objet.

1. À cet égard, Freud (1915) apparaît comme un précurseur de Winnicott : « Naturellement, rien
ne nous empêche d’admettre que les pulsions elles-mêmes, du moins pour une part, sont des précipités
d’actions de stimulus externes qui, au cours de la phylogenèse, ont exercé une action modificatrice sur
la substance vivante. » Avec Roussillon, nous pouvons considérer la phylogenèse chez Freud comme
une métaphore de l’originaire.
1546 Wilfrid Reid

LE NARCISSISME PRIMAIRE

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Par ailleurs, l’objet propre au montage pulsionnel s’avère différent dans
l’un et l’autre des modèles de la pulsion. Cette différence se manifeste au
moment du narcissisme primaire, c’est pourquoi nous ne pouvons éluder les
difficultés conceptuelles associées à cette notion dans la pensée de Freud. On y
rencontre, en effet, deux acceptions apparemment peu conciliables du narcis-
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sisme primaire. L’une d’elles, introduite en 1914, décrit un narcissisme primaire


unificateur du monde pulsionnel ; il est contemporain de la formation du Moi ;
une « nouvelle action psychique » fait en sorte de prendre ce Moi comme objet
d’amour ; ce narcissisme primaire est dit objectal.
Ailleurs, Freud évoque un premier état de la vie, un narcissisme primaire
dit anobjectal, un narcissisme « total », antérieur à la différenciation Moi/non-
Moi où il s’agit d’une sorte de stase sur place de la totalité de la libido ; c’est la
métaphore de l’amibe. La vie intra-utérine devient le prototype de ce narcis-
sisme primaire anobjectal. Jean Laplanche (1970), dont la méthode historico-
critique cherche à faire une place aux diverses variantes de la pensée freu-
dienne, aura des mots très sévères pour cette seconde modalité du narcissisme
primaire « conçu comme cet état totalement refermé sur lui-même dont l’absur-
dité vient braver aussi bien la réflexion théorique que les données les plus élé-
mentaires de l’observation ».
Si nous situons le narcissisme primaire dans cet espace carrefour où s’éla-
bore le passage de la dyade à la monade, si, de plus, nous l’inscrivons dans l’arti-
culation paradoxale psyché/environnement, les deux acceptions du narcissisme
primaire, désormais conciliables, deviennent deux moments charnières dans la
formation du narcissisme primaire. Une fois n’est pas coutume : Winnicott
(1954) nous offre ici une passerelle entre sa pensée et celle de Freud : « Dans le
narcissisme primaire, l’environnement maintient l’individu et, en même temps
(mots soulignés par D. W. W.), l’individu ignore l’environnement et ne fait
qu’un avec lui. » Ainsi, paradoxalement, la mère, « cet entour indivis », selon la
formule heureuse de J.-B. Pontalis (1977), est partie intégrante du narcissisme
primaire dit « anobjectal ».
Car la mère est un espace avant d’être un objet, précise fort pertinemment
B. Brusset (2005). De cette manière, Winnicott réhabilite le narcissisme pri-
maire, dit anobjectal, de Freud. Évitons d’être piégés par les mots : l’absence de
l’objet dans l’expérience personnelle de l’individu est en même temps présence
déterminante de l’objet pour l’observateur extérieur. Au pôle dyadique du nar-
cissisme primaire, il n’y a qu’un seul narcissisme pour deux ; si la rencontre
De l’ensemble individu/environnement à la troisième topique 1547

psyché/environnement est suffisamment bonne, l’objet-environnement ou l’en-


tour indivis facilitera la création d’un pôle monadique où chacun aura son nar-
cissisme propre. Dans ce contexte optimal, le narcissisme primaire possède une
structure bipolaire et il existe un mouvement continu d’oscillation entre les

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deux pôles du narcissisme primaire. Dans le modèle pulsionnel de Freud,
l’objet d’abord absent devient présent ; dans le modèle de Winnicott, au départ,
l’objet est à la fois présent et absent.
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La poussée pulsionnelle

Qu’en est-il maintenant quant à la poussée ? B. Brusset (2005) rappelle


que, dans le langage courant auquel Freud se réfère, le terme de « pulsion »
« exprime l’idée de contrainte, de force, de mouvement d’action ». Winnicott
(1952) décrit une force, un mouvement d’action qui, pour l’observateur exté-
rieur, a son origine dans l’individu ; il donne même une présentation graphique
de cette force sous la forme d’une protubérance issue d’un petit cercle entouré
d’un cercle plus grand, les deux cercles figurant l’ensemble individu/environne-
ment. La poussée relève bien d’un déterminisme interne. Cependant, ce déter-
minisme possède un caractère indéterminé quant à sa qualité libidinale ou des-
tructrice. Il s’agit, peut-on dire, d’un mixte de spontanéité, de sensorialité et de
motricité, un mixte qui pour le sujet ne serait ni libidinal ni destructeur mais
plutôt de l’ordre d’une intensité tensionnelle indifférenciée, une intensité ten-
sionnelle sous l’égide de l’hallucinatoire.
Dans le modèle implicite de Winnicott (1950-1955), cette composante de
poussée représente l’élément essentiel du mouvement pulsionnel. Cette poussée
s’exprime dans la capacité de « faire passer la motricité primitive dans les expé-
riences instinctuelles ». Winnicott dégage ainsi un premier enjeu pulsionnel
antérieur à l’actualisation du modèle freudien de la pulsion. Quel sera le destin
de cette poussée lors du travail psychique assurant le passage de l’unité duelle
à l’unité individuelle ? Ce travail psychique permettra-t-il l’intégration de
l’excitation pulsionnelle et de la sensori-motricité spontanée ? On peut considé-
rer que la réussite de ce travail est nécessaire à l’actualisation du modèle freu-
dien de la pulsion où celle-ci devient une im-pulsion du double point de vue de
l’observateur extérieur et de l’expérience de l’individu.
Winnicott sera conduit à distinguer l’être et le faire ; il désignera un
faire par impulsion, consécutif à l’instauration de l’être et ce, par opposition
à un faire par réaction de par le non-établissement de l’être. C’est la réussite
ou l’échec de ce stade du « je suis » qui permettra ou non à l’individu de
devenir l’auteur de la poussée pulsionnelle dans la représentation incons-
1548 Wilfrid Reid

ciente qu’il aura de lui-même. Il est intéressant de noter que C. Chabert


(2003) décrit cette appropriation subjective de la pulsion sous la forme d’une
passivité inhérente à l’état d’excitation « être excité par... » (mots soulignés
par W. R.).

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A contrario, l’échec du travail de monadisation, dans un mouvement
d’autodestruction, entraîne la disparition de la poussée comme im-pulsion ;
dans la subjectivité inconsciente de l’individu, le mouvement d’action se présente
comme une réaction. L’excitation pulsionnelle ne peut devenir une expé-
rience personnelle. L’individualité se développe comme une extension de
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l’écorce plutôt que du noyau de la psyché : « À l’extrême, il y a très peu


d’expérience des pulsions excepté en tant que réaction et le Moi n’est pas éta-
bli... À sa place, le développement se base sur l’expérience de la réaction à
l’envahissement ; ainsi apparaît un individu que nous appelons faux parce que
toute impulsion personnelle (mots soulignés par W. R.) est absente » (Winnicott,
1950-1955).
Pour Winnicott, la présence d’un Moi rudimentaire est nécessaire pour que
la pulsion devienne une expérience du Soi. Dans l’après-coup de la pensée de
Winnicott, le modèle freudien décrit une pulsion visitée par le Moi. La pulsion
cesse d’être une donnée, elle devient un processus, un work in progress. Si la
pulsion, au départ, possède une inscription relationnelle, en ce sens qu’elle se
situe dans la relation avant de se situer dans l’individu, dans la problématique
limite, le processus pulsionnel est entravé dans son développement ; dès lors,
l’accès à la pulsion comme expérience personnelle devient l’un des enjeux fon-
damentaux du processus analytique.
Cette découverte de la pulsion comme impulsion, comme élan, est contem-
poraine de la différenciation dedans-dehors. Didier Anzieu (1985) dira com-
ment « la poussée n’est ressentie comme force motrice que si elle rencontre des
limites et des forces spécifiques d’insertion dans l’espace mental ». Notons, au
passage, comment Anzieu reprend cette idée de Winnicott où l’expérience per-
sonnelle de la pulsion demande l’arrimage de la stimulation pulsionnelle et de
la motricité.

L’HALLUCINATOIRE

Si, sur le plan phénoménologique, la motricité réfère à l’appareil muscu-


laire, qu’en est-il sur le plan métapsychologique ? En ce qui concerne la motri-
cité psychique, nous devons renouer avec le tournant de 1897, cet acte fonda-
teur de la psychanalyse. On présente souvent ce tournant comme la découverte
De l’ensemble individu/environnement à la troisième topique 1549

du fantasme ; ce faisant, on glisse rapidement sur l’introduction de l’hallu-


cinatoire1 qui donne véritablement sa prégnance au fantasme. Coïncidant avec
l’abandon de la neurotica, la découverte du caractère hallucinatoire du système
inconscient fera basculer le centre de gravité de la théorie qui passe de

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l’extérieur à l’intérieur, donnant dorénavant tout son poids à la pulsion et ses
avatars dans les diverses modalités de fonctionnement psychique. L’hallucina-
toire n’est-il pas l’expression première de la mise en mouvement, de la motricité
de la psyché ?
Dans le fil de cet énoncé, les avatars de l’hallucinatoire détermineront la
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réussite ou l’échec de l’intrication de la sensori-motricité spontanée et de


l’excitation pulsionnelle – partant, l’actualisation ou non du modèle pulsionnel
de Freud à partir du modèle pulsionnel de Winnicott. Car ce dernier, à sa
manière, renoue avec le tournant de 1897 et la découverte de l’hallucinatoire
quand il pose l’omnipotence comme le premier principe régulateur de la psyché
et la modulation de cette omnipotence comme enjeu dans la séquence matura-
tive : affect d’omnipotence, expérience de l’omnipotence, expérience du détruit/
trouvé et transitionnalité.
En effet, si l’hallucinatoire évoque la coalescence de l’objet du dehors et
de l’objet du dedans, à l’entrée dans cet espace qu’est l’ensemble individu/envi-
ronnement, nous sommes en présence de l’affect d’omnipotence. C’est la réus-
site du trouvé/créé qui permettra l’arrimage de l’omnipotence et de la réalité
extérieure dans ce qui devient désormais l’expérience de l’omnipotence. Notons,
au passage, que Winnicott récuse l’antinomie freudienne entre satisfaction hal-
lucinatoire et satisfaction réelle. Dans l’expérience de l’omnipotence, la satis-
faction est à la fois hallucinatoire et réelle. D’où le rôle de l’objet externe
dans l’expérience de l’omnipotence qui exige davantage que la simple satisfac-
tion de la pulsion d’autoconservation. « Le plaisir noue le Moi à l’objet »
(A. Green, 1993). De là, la nécessité d’une expérience partagée de plaisir avec
l’objet, expérience qui permettra « la mise en relation du plaisir de la zone éro-
gène avec la réflexion projetée de ce plaisir sur l’objet » (A. Green, 1993) dans
la mesure où la réponse de l’objet n’est pas trop éloignée de ce mouvement
projectif.
Subséquemment, le passage de l’expérience de l’omnipotence à la transi-
tionnalité demandera la réussite du détruit/trouvé ; cette réussite constitue une
étape cruciale du travail de monadisation en médiatisant l’hallucinatoire. De

1. « Il n’existe dans l’inconscient aucun “indice de réalité”, de telle sorte qu’il est impossible
de distinguer l’une de l’autre, la vérité et la fiction investie d’affect » (lettre à Fliess du
21 septembre 1897).
1550 Wilfrid Reid

par la création de cet espace tiers qu’est l’aire de l’illusion, la psyché peut créer
ces espaces distincts que sont respectivement les espaces du régime hallucina-
toire et du régime de la réalité extérieure. En parallèle, nous avons une avancée
du processus pulsionnel : la pulsion peut devenir une expérience personnelle où

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« je suis excité par... » (pour paraphraser Catherine Chabert).
De par son inscription relationnelle, le modèle pulsionnel implicite de
Winnicott ouvre la voie à une nouvelle lecture de la pulsion de mort. Pour ce
faire, reconnaissons d’abord avec Jean Laplanche (1970) que « la priorité du
temps auto » représente une dimension fondamentale de l’hypothèse de la pul-
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sion de mort : il devient, dès lors, tout à fait possible d’envisager une telle
modalité de fonctionnement psychique. En même temps, nous pouvons conce-
voir cette primauté des pulsions de destruction sur le mode auto comme la
résultante de l’échec du travail de monadisation ; double échec, disons-nous,
soit à l’interface psyché/environnement, échec de la double paradoxalité, soit
au centre de la psyché, échec de la négativation de l’hallucinatoire. L’échec de
la négativation de l’hallucinatoire semble faire basculer la psyché dans la réali-
sation hallucinatoire du non-désir. L’introduction de la troisième topique, en
référant au modèle de la double limite (A. Green, 1982) et à la dialectique
écorce-noyau de N. Abraham cité par D. Anzieu (1985), présente la pulsion de
mort comme un échec de la transitionnalité.

LE CONCEPT D’EMPRISE

Que devient, dès lors, le concept d’emprise dans cette perspective qui pose
le passage de la dyade à la monade comme un travail psychique déterminant
dans la structuration de la psyché ? Nous ne sommes peut-être pas très éloigné
du projet de Paul Denis (1997), celui d’ « intégrer une composante d’emprise à
un modèle auto-organisant et éventuellement autodésorganisant du fonctionne-
ment mental ».
Paul Denis présente l’emprise tantôt comme « le champ du pouvoir », tan-
tôt comme « l’exercice de la puissance sur l’objet » ; nous ferons ici appel à la
distinction proposée par André Green (1982) entre pouvoir et puissance où le
pouvoir est susceptible d’être partagé alors que la puissance s’exerce sans par-
tage, ne pouvant qu’osciller « entre deux pôles opposés : l’impuissance ou la
toute-puissance ». Ce faisant, nous pouvons articuler les diverses modalités de
l’emprise et les avatars de l’hallucinatoire.
Au commencement est la dyade ; au commencement est l’emprise dyadique,
une visée de contrôle omnipotent, une emprise d’autant plus forte que para-
De l’ensemble individu/environnement à la troisième topique 1551

doxalement, au moment du narcissisme primaire, modèle Winnicott, l’objet


n’existe pas comme entité propre dans l’expérience de l’individu. Pontalis (1974)
décrit bien cette relation paradoxale : « On pourrait avancer le paradoxe sui-
vant : la relation à l’objet, externe ou interne, n’est jamais si prévalente que

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lorsque l’objet, au sens d’un autre qui a sa propre réalité, n’est pas constitué, pas
plus que ne l’est l’espace du Moi. »
L’échec de la négativation de l’hallucinatoire, et conséquemment l’échec de
la transitionnalité, a pour conséquence de fixer l’individu dans un régime dya-
dique de l’emprise, un régime assez proche de ce que Roger Dorey, cité par
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Paul Denis (1997), décrit comme une relation d’emprise, c’est-à-dire « un mode
particulier d’interaction entre deux sujets qui ne se réduit pas à l’activité d’une
seule tendance mais correspond à un agencement complexe de la relation à
l’autre ». Cet agencement complexe manifeste « la tendance à la neutralisation
du désir de l’autre, c’est-à-dire la réduction de toute altérité ». Nous sommes
bien dans une emprise dyadique, en deçà de l’extériorité de l’objet, sous l’égide
de la toute-puissance. Nous rejoignons vraisemblablement ici ce que Paul
Denis désigne comme l’emprise perverse où, dit-il, « l’épreuve de force rem-
place l’épreuve de réalité ».
A contrario, dans la réussite de la négativation de l’hallucinatoire, s’installe
une emprise monadique sous l’égide non plus de la toute-puissance, mais plutôt
d’un certain pouvoir qui se partage. Nous pouvons convenir ici avec Paul
Denis que cette emprise « ne recherche pas tant l’abolition du désir d’autrui
que de le réorienter vers le sujet lui-même... Toute séduction est emprise, y
compris la séduction amoureuse la plus heureuse ». Nous avons bien deux
modalités différentes d’emprise.
Le passage de la modalité dyadique à la modalité monadique de l’emprise
s’inscrit dans la foulée des processus transitionnels. Comme le précise Paul
Denis, les phénomènes transitionnels « associent une activité musculaire, des
stimulations autosensorielles à une activité auto-érotique qui s’inscrit dans le
registre de la satisfaction ». Cela dit, nous sommes tenté de considérer la néga-
tivation de l’hallucinatoire comme le facteur déterminant l’intégration de la
sensori-motricité et de l’excitation libidinale plutôt que d’accorder « une valeur
anti-hallucinatoire » aux éléments musculaires et sensoriels, comme le propose
Paul Denis. Grâce à la négativation de l’hallucinatoire, ces éléments sont désor-
mais dégagés des « démesures de l’emprise » (Denis, 1997).
Pour nous, la monadisation de l’emprise a partie liée avec le passage du
modèle pulsionnel de Winnicott à celui de Freud. Nous avons là peut-être une
autre manière de désigner le processus de subjectivation qui « transforme
l’expérience pulsionnelle effractive en expérience pulsionnelle du Moi »
(Roussillon cité par Paul Denis, 1997). Le modèle de la pulsion de Winnicott
1552 Wilfrid Reid

pose précisément comme premier enjeu du processus pulsionnel l’intégration de


la sensori-motricité spontanée et de l’excitation pulsionnelle ouvrant la voie à
une organisation pulsionnelle sous la forme de la polarité créativité-
destructivité.

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Selon Winnicott, l’appropriation subjective de la destructivité ne peut sur-
venir que dans l’après-coup ; elle demande comme condition préalable l’émer-
gence de la créativité. Le modèle pulsionnel implicite de Winnicott met en évi-
dence un enjeu majeur du processus analytique dans les problématiques limites,
soit l’intégration conflictualisée de la sensori-motricité spontanée et de l’exci-
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tation pulsionnelle ; cette conflictualité compromet la reconnaissance de l’exis-


tence d’une poussée, d’un élan pulsionnel. L’instauration du dualisme pulsion-
nel destructivité/créativité précède de cette manière l’établissement du dualisme
pulsionnel libido/destructivité. Ce sera un signe distinctif de la réussite du pro-
cessus analytique que la résurgence de cet élan pulsionnel mis à mal dans la ren-
contre primitive individu/environnement ; nous assistons à un saut qualitatif du
fonctionnement psychique maintenant caractérisé par une tolérance au conflit
interne. Désormais, le fonctionnement psychique s’inscrit moins dans l’ordre
d’un destin, d’un fatum ; de par l’émergence de la créativité, l’actualisation
du modèle pulsionnel de Freud fait en sorte que la pulsion est devenue une
im.pulsion.

La relation d’objet

Le modèle de la relation d’objet est souvent présenté comme s’opposant au


modèle de la pulsion. Le modèle pulsionnel de Winnicott, de par son inscrip-
tion d’emblée dans la relation, décrit essentiellement une modalité de lien ; il
constitue dès lors naturellement une passerelle entre le modèle de la relation
d’objet et le modèle pulsionnel de Freud. En ce sens, André Green cité par
B. Brusset (2005) souligne comment « l’étude des relations est celle des liens
plutôt que des termes unis par ces liens ». Car le passage de la dyade à la
monade devient un cheminement critique où la poussée, surgie initialement
dans l’ensemble individu/environnement, aura à se maintenir comme modalité
de lien grâce au travail psychique de monadisation ; cette poussée devient doré-
navant une expérience personnelle dans une psyché devenue une unité indivi-
duelle fonctionnelle de par l’accès à la transitionnalité.
De l’ensemble individu/environnement à la troisième topique 1553

Le lien

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La transitionnalité représentant une nouvelle modalité d’investissement de
l’objet, non pas l’investissement d’un nouvel objet, peut-on la considérer
comme une nouvelle modalité de lien ? La réponse est certes positive sur le plan
phénoménologique. En même temps, Winnicott adopte une position beaucoup
plus radicale sur le plan métapsychologique, en soulignant que seule la tran-
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sitionnalité permet l’établissement d’un lien véritable avec l’objet ; il dira la


nécessité de « l’illusion sans laquelle aucun contact n’est possible entre le
psychisme et l’environnement » (Winnicott, 1952). Une relation analytique où
l’inconscient est partie prenante, de manière vivante, demande l’instauration de
la transitionnalité.

La troisième topique

Dès lors, à juste titre, B. Brusset (2005) propose une définition méta-
psychologique du lien où celui-ci comporte « une communication, une non-
communication et, par l’interprétation, la métacommunication ». Cet énoncé
pose la troisième topique comme étant véritablement en phase avec le travail
analytique. De fait, si la première topique, selon Freud lui-même, fut élaborée
d’abord et avant tout en regard de la fonction onirique, la deuxième topique
tente essentiellement de rendre compte des diverses organisations de la conflic-
tualité inconsciente. En dégageant les espaces psychiques interne, externe et
intermédiaire, il revient à la troisième topique de définir les conditions qui, de
jure, rendent légitimes, pour l’analysant, l’exploration et l’interprétation de
cette conflictualité inconsciente. La mise en place de ces trois espaces est en
effet nécessaire pour que l’analysant entende l’interprétation « comme venant
d’un lieu imaginaire autre que celui où il situe l’analyste comme objet pulsion-
nel » (B. Brusset (2005) citant J..L. Donnet).
Nous distinguons ici deux modalités différentes d’obstacle au travail inter-
prétatif. La première réfère à la modalité classique de résistance : son enjeu
réside dans l’acceptation ou le rejet de l’interprétation. La seconde modalité se
situe au-delà de l’acceptation ou du refus ; le cas échéant, l’acceptation peut se
révéler ici plus délétère que le refus quant à l’instauration d’un processus analy-
tique en générant une analyse en faux self ; ce qui est en cause, c’est l’absence
de portée de l’interprétation quand demeure intacte « cette sorte de pellicule
totalement transparente et imperméable entre les productions de la psyché et
1554 Wilfrid Reid

l’être, entre le fruit de leur élaboration et leur prise en compte » (R. Cahn,
2002).
Dans la seconde modalité de résistance, l’enjeu concerne la capacité de
l’analysant d’accueillir l’interprétation comme une interprétation, c’est-à-dire

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comme une métacommunication et non pas uniquement comme un geste
d’amour ou de haine, soit comme partie intégrante de la communication.
Pour que l’analysant situe l’interprète dans un lieu autre que celui dévolu à
l’objet pulsionnel, il importe que cet objet pulsionnel soit à la fois présent et
absent ; il importe conséquemment que l’objet pulsionnel soit placé dans
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l’espace transitionnel.
D’où la pertinence d’une écoute métapsychologique plutôt que purement
sémantique (B. Brusset, 2005) ou, dirons-nous, d’une écoute transitionnelle.
Car la part d’absence de l’objet pulsionnel s’exprime surtout dans le contenu
du silence qui enveloppe le discours de l’analysant. Illustrons schématique-
ment la chose quand l’analysant fait état de l’inutilité de l’analyste. Si l’ana-
lyste est présent et absent comme objet pulsionnel, certes il est présenté
comme inutile ; en même temps – c’est là la part silencieuse –, il est utile de
parler de cette inutilité à cet analyste inutile. L’exploration de ce contenu
psychique devient légitime.
A contrario, envisageons la perspective d’une expérience négative de la
transitionnalité et portant la mise en abyme de la conflictualité inconsciente.
L’analyste est présenté comme inutile ; en même temps – c’est là la part
silencieuse –, l’analysant n’aura de cesse inconsciemment de faire la preuve
de cette inutilité nécessaire à son intégrité narcissique. Dans ce deuxième cas
de figure, l’interprétation risque fort d’être accueillie en faux self ou bien de
passer dans le collimateur de la conflictualité inconsciente sur laquelle
porte l’interprétation. Ainsi, l’analysabilité du discours relève davantage de
la configuration des espaces psychiques que de la dimension sémantique du
discours.

L’espace carrefour

Une considération générale se dégage de ces réflexions : l’espace carrefour


où se rencontrent les métapsychologies de Freud et de Winnicott assure
l’émergence d’une nouvelle métapsychologie, une métapsychologie des espa-
ces : espace psychique du dedans, espace psychique du dehors et espace inter-
médiaire. Cette métapsychologie doit être à la fois différenciée et articulée à
une métapsychologie plus classique de l’objet. À cet égard, soulignons que les
conceptions propres à la métapsychologie des espaces sont souvent décrites
De l’ensemble individu/environnement à la troisième topique 1555

dans le langage de la métapsychologie de l’objet : ce qui n’est pas sans créer


parfois certains contresens1.
Le transit entre dyade et monade permet la remise au travail de plu-
sieurs concepts fondamentaux de la théorie analytique. Tels sont les concepts

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de pulsion, de narcissisme, de relation d’objet et d’emprise. Cette énumération
est loin d’être exhaustive. En évoquant la coalescence des angoisses dépressive
et paranoïde, B. Brusset ouvre la voie à une nouvelle problématique de l’affect
où l’enjeu réside essentiellement dans l’affect au second degré : comment som-
mes-nous affectés par nos affects ? S’il est dangereux d’être déprimé et dépri-
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mant d’être angoissé, il est également déprimant d’être déprimé quand la


dépression s’avère sans fond et dangereux d’être angoissé quand l’angoisse
est de type catastrophique. Nous retrouvons là le phénomène de la mise en
abyme.
En transitant dans ce carrefour, le concept de fantasme prend également
une nouvelle signification : si nous pouvons toujours l’entendre comme un
contenu psychique, il se présente maintenant également comme un contenant,
un espace, et cette nouvelle définition devient déterminante pour son « utilisa-
tion ». De même en est-il du concept de trauma psychique ; nous pouvons y
introduire la distinction du traumatisme et du traumatique (W. Reid, 2005). Le
traumatisme comme trauma-événement ou trauma-environnement constitue un
phénomène hors psyché qui, de par sa visée effractive, risque de faire surgir ou
resurgir le potentiel traumatique inhérent au fonctionnement psychique : en
effet, de par le maintien ou la résurgence de la primauté de l’hallucinatoire, la
psyché ne peut faire usage de sa capacité élaborative ; elle ne peut opérer sur le
mode d’une unité individuelle. Nous sommes en présence de l’actualisation du
traumatique.
Enfin, au moment de conclure, the last but not the least : les enjeux de la
troisième topique ne sont pas sans exercer une influence quant au modèle théo-
rique de la méthode que nous devons privilégier. Ainsi, l’échec dans
l’instauration de la troisième topique ne peut qu’infléchir la visée fondamentale
de la cure, déterminant une certaine mise en latence du modèle de la remémo-
ration au profit du modèle de la transitionnalité. André Green (2000) a ici
une formule heureuse qui exprime bien la nécessité d’une tension dialectique
entre les deux modèles : « On voit bien alors qu’il est moins question de
lever l’amnésie infantile que d’autoriser l’enfance à se constituer en mémoire
fictionnelle. »

1. Ainsi en est-il du processus du détruit/trouvé souvent présenté comme la survie de l’objet à la


destruction fantasmatique, alors que le fantasme comme espace est une conséquence de la réussite du
processus et non pas un ingrédient de ce processus car la différenciation des espaces psychiques du
dedans et du dehors est la résultante de ce processus.
1556 Wilfrid Reid

Selon le mot de Lao-Tseu : « C’est avec l’argile que l’on fabrique les
vases, mais c’est du vide interne que dépend leur usage. » Reconnaissons-le
avec Freud : c’est avec les pulsions et leurs destins que l’on fabrique la rela-
tion analytique. En même temps, reconnaissons-le avec Green et Winnicott :

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c’est de l’hallucinatoire et de ses destins dans le travail du négatif que
dépend l’ « utilisation » de cette relation, que dépend l’actualisation du pro-
cessus analytique.
Wilfrid Reid
74, Courcelette
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Outremont, Québec
Ca, H2V 3A6

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