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L'éducation dans les situations

d'urgence en Afrique de l'Ouest.
Contexte, solutions expérimentées et
solutions ...
Abdeljalil Akkari

Eduform Afrique

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Mouvement s Armés, Déplacement s Forcés Et Enseignement /Apprent issage Dans Les Ét abli…
European Scient ific Journal ESJ

2010, Educat ion et conflit s. Les enjeux de l'offre éducat ive en sit uat ion de crise, avec M.Chelpi-den-H…
Marion Fresia

115084F copy
Rakut en Madagascar
L’éducation dans les situations d’urgence en Afrique de l’Ouest
Abdeljalil AKKARI, Université de Genève (Suisse)
Moussa Mohamed Sagayar, Université Abdou Moumouni (Niger)
A
ujourd’hui, et depuis la seconde Guerre mon-
diale, le monde accueille le plus grand nombre
de réfugiés et de personnes déplacées suite à
des conits. On estime leur nombre à 68,5 millions et
la moitié sont des enfants (UNHCR, 2018). Au regard
des ux migratoires internationaux, de la globalisation
des crises et des interdépendances mondiales, la prise
en charge des populations réfugiées (au sens large, ce
qui comprend donc les personnes en demande d’asile,
déplacées internes…), représente donc une responsa-
bilité importante pour la communauté internationale
et les Etats concernés. An qu’elle puisse être mise
en œuvre, cette prise en charge nécessite une réponse
à différents besoins. On peut citer la protection de
l’intégrité physique, l’accès aux services de santé,
l’alimentation, l’éducation.
Dans cet article c’est sur l’éducation que nous allons
nous focaliser. En effet, au regard des conventions in-
ternationales, elle est un droit inaliénable et tout de-
vrait être fait pour son maintien malgré les crises et
les urgences.
Dénir l’éducation dans les situations d’urgence
(EiE1, sigle consacré en anglais), n’est pas une cho-
se aisée. Save the Children (2009) a déni l’urgence
comme « une situation où la vie, le bien-être physi-
que et mental, où les opportunités de développement
des enfants sont menacées en raison du conflit armé,
des catastrophes ou de la perturbation de l’ordre so-
cial ou légal, et où les capacités de résistance loca-
les sont faibles ou inadéquates ». (p. 5). L’éducation
dans les situations d’urgence consiste donc à proposer
aux apprenant-es de s’instruire de manière structurée
et organisée, même dans des situations d’urgence, de
crise, d’insécurité ou d’instabilité permanente. A cet
égard, les situations d’urgence mettent en lumière les
inégalités criantes entre êtres humains selon le lieu où
ils sont nés. Par exemple, un enfant a cinquante-cinq
(55) fois plus de risques de mourir durant ses cinq (5)
premières années de vie au Tchad par rapport à la Fin-
lande (Dixon & Ghanem, 2019).
L’éducation dans les situations d’urgence dépasse
donc le cadre limité de l’éducation des réfugiés. Par
extension, on peut même dire que la crise éducative
actuelle provoquée par la pandémie de Covid-19 qui a
1 Education in Emergencies
obligé plus de la moitié de la population scolaire mon-
diale à déserter les salles de classe, est une situation
d’urgence généralisée qui nécessite que le lien éduca-
tif à distance soit maintenu pour assurer la continuité
pédagogique. En bref, l’éducation dans les situations
d’urgence comprend l’éducation des réfugiés, des
déplacés internes et des apprenants confrontés à des
contextes d’adversité extrême qui peuvent avoir des
origines multiples et des degrés d’amplitude varia-
ble. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les
situations d’urgence sont par dénition hétérogènes
et se situent sur un continuum entre les situations à
forte intensité d’urgence (guerre et conits armés) et
les situations à faible intensité d’urgence (insécurité,
pauvreté et malnutrition chronique). Les catastrophes
naturelles (tremblement de terre, tsunami, inonda-
tions…), selon leur intensité, créent aussi des situa-
tions d’urgence pour l’éducation.
Dans le cadre de cet article, nous abordons l’éducation
de base dans les situations d’urgence en Afrique de
l’Ouest et plus particulièrement au Sahel central com-
posé du Mali, du Niger et du Burkina Faso. La pre-
mière partie du texte est consacrée au contexte actuel
de l’éducation de base dans les situations d’urgence.
Le cadre normatif international et l’ampleur du phé-
nomène sont explicités. La deuxième partie est desti-
née aux orientations internationales pour l’EiE, aux
solutions expérimentées sur le terrain et à la manière
dont l’offre éducative dans les situations d’urgence
est organisée. La troisième partie du texte est dédiée
à la nécessité de reconsidérer l’éducation de base des
réfugiés en lien à la fois avec les priorités et les pos-
sibilités des pays d’accueil, mais aussi par rapport à
l’exigence de repenser conceptuellement l’EiE.
1. Le contexte de l’EiE en Afrique de
l’Ouest
Comme énoncé en introduction dansce texte, l’éduca-
tion dans les situations d’urgence peut prendre diffé-
rentes formes et répondre à différents besoins et cela
dans différentes temporalités. En somme, les déni-
tions mobilisées mettent en lumière la grande hétéro-
généité des situations pouvant être qualiées d’« ur-
gentes ». Le contexte de l’Afrique de
l’Ouest n’échappe pas à ce type de
situations. En effet, nous pouvons ob-
server que de vastes zones de la région
connaissent des situations d’urgence
éducative pour des multiples raisons
qu’on peut résumer en trois points prin-
cipaux :
(1) Les conits armés internes ou
transfrontaliers, notamment ceux pro-
voqués par les groupes terroristes ar-
més et le grand banditisme. Les plus
connus sont Boko Haram, le Groupe
de soutien à l’islam et aux musulmans
(GSIM), l’Etat islamique dans le Grand
Sahara (EIGS) mais de multitudes
d’autres groupes armés sont présents au Sahara et en
Afrique de l’Ouest et centrale. Les conits armés liés
au terrorisme ont suscité des interventions des Etats
de la région et d’autres puissances externes à la ré-
gion pour tenter de les endiguer. Néanmoins, la ré-
gion semble s’enliser dans une insécurité croissante,
notamment dans la région des trois frontières (Mali-
Niger-Burkina Faso).
(2) Les conits internes en lien avec l’instabilité po-
litique économique et sociale, les tensions intereth-
niques, la sécheresse et la compétition des différents
groupes sociaux pour les ressources économiques. Par
exemple, les conits anciens entre éleveurs et agricul-
teurs sédentaires se sont aggravés dans le Sahel et sont
actuellement instrumentés par les groupes extrémis-
tes.
(3) La fragilité structurelle de nombreux Etats natio-
naux en Afrique de l’Ouest, incapables depuis long-
temps, d’assurer la sécurité, l’alimentation, les servi-
ces de santé ou d’éducation de base à de larges parts
de leurs populations.
Ces trois points pèsent lourdement sur le secteur édu-
catif et empêchent la scolarisation de millions d’en-
fants, en particulier les lles. Premièrement, ces trois
points peuvent se combiner et précariser encore plus
les situations existantes. Deuxièmement, l’insécurité
et les conits armés pèsent sur les budgets déjà limités
des gouvernements de la région. Ainsi, pour répon-
dre aux menaces de sécurité accrues et persistantes,
les gouvernements des pays du Sahel central ont dû
augmenter considérablement leurs dépenses dans ce
domaine. Celles-ci représenteraient en moyenne 22 %
des budgets publics en 2018 (Source). Cette augmen-
tation se déroule aux dépens des autres services pu-
blics comme l’éducation ou la santé (Van Trotsenburg,
2020). Troisièmement, l’augmentation de la violence
et la déterioration de la situation sécuritaire ont eu un
impact sévère sur les familles, les communautés et les
économies. La région du Sahel comptait n 2019 en-
viron un million de personnes déplacées internes et
165 000 réfugiés, dont 150 000 déplacés rien que pour
le Burkina Faso. S’attaquer à l’urgence est nécessaire
mais ne sufra pas. Il faut également s’attaquer aux
racines profondes des conits an de construire des
sociétés et des systèmes éducatifs stables et résilients
(Van Trotsenburg, 2020). La vulnérabilité structurelle
des communautés au Sahel explique la difculté de
combattre les mouvements extémistes et radicaux :
« Dans de nombreuses zones, en particulier dans les
régions rurales, le manque de perspectives d’avenir
(formation, emploi), les conditions de vie difficiles,
impactées de plus en plus par les changements
climatiques (sécheresses, progression des zones
arides, baisse des rendements agricoles), créent des
situations de vulnérabilité pour les populations locales
qui les rendent davantage susceptibles de succomber
à la radicalisation et/ou la violence » (Du Roy et al.,
2019, p. 25).
Le troisième point avancé ci-dessus (fragilité des
Etats) met en évidence le dé majeur que représente
la garantie d’une éducation de base par les Etats du
Sahel central. Au Burkina Faso, au Mali et au Niger,
on estime que plus de 8 millions d’enfants de 6 à 14
ans ne sont pas scolarisés, ce qui représente près de
55% des enfants de ce groupe (UNICEF, 2020). Dans
ce contexte éducatif déjà précaire de la région, les
attaques armées et les menaces contre les écoles, les
enseignants et les élèves sont de plus en plus couran-
tes, ce qui aggrave la situation des enfants réfugiés et
déplacés. Selon l’UNICEF (2020), entre avril 2017 et
décembre 2019, le Burkina Faso, le Mali et le Niger
ont connu une multiplication par six des fermetures
d’écoles en raison de la violence. Plus de 3 300 écoles
étaient fermées en décembre 2019, touchant près de
650 000 enfants et plus de 16 000 enseignants. La si-
tuation continue de s’aggraver avec l’augmentation de
la violence autour des écoles dans les trois pays. Plus
de 20 attaques directes contre des écoles et du person-
nel éducatif ont été signalées pendant les vacances sco-
laires d’été 2019 au Burkina Faso et vers le début de
l’année scolaire au Niger et au Mali, de juillet à octo-
bre 2019. Il semble que les menaces contre les écoles,
les élèves et les enseignants soient devenues monnaie
courante du fait de l’absence de dispositifs adéquats
 de protection. Mais aussi parce que fragiliser l’école
permet d’atteindre la moelle épinière de la société et
déstructurer à long
terme sa construction
et sa stabilité. Cela
participe aussi à créer
un environnement
dans lequel des
personnes sans
repère seraient plus
enclines à aller
vers les forces de
déstabilisation. Ainsi,
ceux qui combattent
auprès des groupes
extrémistes sont
surtout des jeunes
(PNUD, 2017).
Au niveau mondial, le tableau est tout aussi sombre.
Selon Save the Children (2020), 415 millions d’en-
fants vivent actuellement dans une zone de conit,
parmi eux 149 millions vivent dans des zones de
conit de haute intensité dans lesquelles plus de 1
000 décès liés aux combats se produisent chaque an-
née. Globalement, l’Afrique est la zone dans laquelle
le nombre d’enfants vivant dans les zones de conit
est le plus élevé, ils sont 170 millions. Les conits
deviennent de plus en plus dangereux pour les en-
fants. Depuis 2010, le nombre d’enfants vivant dans
des zones de conit a augmenté de 34%. En même
temps, le nombre d’incidents vériés de violations
graves à l’encontre des enfants a augmenté de 170%.
Il est donc probable que l’éducation dans les situa-
tions d’urgence devienne une priorité durable pour la
communauté internationale et pour les pays affectés si
de nouvelles stratégies de lutte contre les crises et les
conits ne sont pas élaborées.
Le nombre d’écoles fermées au Sahel a connu une
croissance exponentielle entre 2017 et 2019 comme
le montre la gure 1 ci-dessous. Ces fermetures
concernent en particulier la région des trois frontières
(Mali, Niger, Burkina-Faso). Avec la pandémie du
Covid-19 dans la région, on peut s’attendre à une
aggravation durable de la situation éducative des
populations les plus vulnérables.
Figure 1. Nombre d’écoles fermées au sahel central
de 2017 à 2019
UNICEF (2020).
L’ampleur des dépla-
cements de population
au Sahel met en évi-
dence l’imbrication de
plusieurs phénomènes :
réfugiés, déplacements
internes, migrations
internes et internatio-
nales. Même si la légis-
lation internationale sé-
pare les réfugiés (ayant
traversé une frontière
internationale) des dé-
placés nationaux internes, il nous semble important
de souligner que leurs besoins éducatifs sont similai-
res et comparables. De surcroit, ces populations parta-
gent parfois les mêmes espaces sociaux et les mêmes
langues et cultures. Face au drame des réfugiés et des
migrants nationaux ou internationaux qui fait la une
de l’actualité, on a tendance à oublier que la migration
interne et régionale représente la majorité des dépla-
cements de populations dans le monde. L’exode rural
est un phénomène particulièrement répandu dans les
pays à faible revenu comme ceux du Sahel où il en-
traine une forte urbanisation désorganisée (UNESCO,
2019). Il est un des facteurs qui contribue à vider les
villes et villages de leurs bras valides en quête d’une
vie meilleure et ouvre la voie à l’insécurité.
Comme décrit précédemment, le paysage éducatif
dans lequel évoluent les élèves réfugiés ou déplacés
internes en Afrique de l’Ouest repose sur des fondations
faibles et précaires. Les pouvoirs publics à la fois au
niveau national et régional sont démunis par rapport à
l’éducation en situation d’urgence. Il parait important
de souligner les difcultés particulières rencontrées
par les collectivités et les services déconcentrés à
répondre aux besoins de ces populations en situation
de déplacement. Nous avons synthétisé dans le tableau
ci-dessous cinq indicateurs qui mettent en évidence la
précarité des systèmes éducatifs du Sahel central.

Tableau 1. Cinq indicateurs de l’état de l’éducation de base dans trois pays de l’Afrique de l’Ouest (Burkina
Faso, Mali et Niger, année la plus récente pour laquelle des statistiques sont disponibles) On a aucune idée de
l’année en question

Taux Taux Taux de non Taux de non sco- Pourcentage d’élèves

d’achèvement du d’achèvement du scolarisation des larisation des ado- inscrits dans l’enseigne-
primaire premier cycle du enfants en âge lescents en âge du ment primaire qui sont
secondaire du primaire premier cycle du au moins 2 ans sur-âgés
secondaire pour leur grade actuel
Burkina Faso 30,9 9 41 47 24,6
Mali 48,1 28,5 41 55 10.7
Niger 28,3 5,8 45,6 69,9 10,9
Source: UNESCO Institute for Statistics (2020)
Ces chiffres mettent en évidence une véri-
table faiblesse du niveau de scolarisation
des élèves : de nombreux enfants ne sont
pas scolarisés et lorsqu’ils le sont, peinent
à achever le niveau primaire, puis pour ceux
qui y accèdent au niveau secondaire. On
observe également que les lles accèdent
moins au secondaire que les garçons et sont
beaucoup plus affectées dans des situations
de crise.
Au regard de ces constats, comment les élè-
ves réfugiés et déplacés internes peuvent-ils
parvenir à s’inscrire dans un tel contexte
éducatif et à maintenir (ou débuter) leur pro-
cessus d’apprentissage scolaire ou profes-
sionnel ? Pour tenter d’apporter des réponses
à cette question, il est crucial d’examiner les orienta-
tions internationales notamment en ce qui concerne
les populations les plus vulnérables. Cette dimension
fait l’objet de la section qui suit.
2. Les réponses et les orientations interna-
tionales 238 000 1981 2424
Dans l’article 26 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme, l’éducation est considérée
comme un outil essentiel de protection de la dignité
humaine. Pour les réfugiés, elle est le meilleur moyen
de devenir membres à part entière de la société
d’accueil et d’inuencer leurs perspectives futures.
A cet égard, Coomans (2018) évoque le principe
de non-discrimination comme un tremplin majeur
pour organiser la scolarisation des élèves réfugiés. Il
estime que le principe de non-discrimination s’étend
à tous ceux qui sont en âge de fréquenter l’école et
résident sur le territoire d’un État indépendamment de
leur statut juridique ou de leur nationalité. Le droit
international est contraignant pour les pays d’accueil
c’est pourquoi les migrants en situation irrégulière
ou sans-papiers devraient pouvoir revendiquer leur
droit à l’éducation, qui implique a minima, l’égalité
d’accès aux établissements d’enseignement. L’État
concerné ne dispose d’aucune marge de liberté dans
ce domaine. A ces dispositions s’ajoute, l’article 3(1)
de la Convention relative aux droits de l’enfant2(1989)
qui stipule que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit
être une considération primordiale » dans toutes les
décisions le concernant, ce qui englobe naturellement
les prestations de services éducatifs.
En ce qui concerne, l’éducation de base, l’article 22
de la Convention de 1951 relative au statut des réfu-
giés afrme que les États :
« accorderont aux réfugiés le même traite-
ment qu’aux nationaux en ce qui concerne
l’enseignement primaire et un traitement aus-
si favorable que possible, et en tout cas non
moins favorable que celui qui est accordé aux
étrangers en général dans les mêmes circons-
2 h ps://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/crc.aspx
tances quant aux catégories d’enseignement
autres que l’enseignement primaire, et no-
tamment en ce qui concerne l’accès aux étu-
des, la reconnaissance de certificats d’études,
de diplômes et de titres universitaires délivrés
à l’étranger, la remise des droits et taxes et
l’attribution de bourses d’études ».
Malheureusement, tous les pays ainsi que les agen-
ces représentant la communauté internationale sont
loin de remplir leurs obligations internationales par
rapport au droit à l’éducation des enfants réfugiés.
L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UN-
HCR) et les principales ONG du secteur peinent à
faire appliquer ce droit à l’éducation en raison des
entraves institutionnelles et des ressources nancières
limitées, malgré leurs appels réguliers à la générosité
des donateurs. La méconnaissance des textes du droit
international protégeant les réfugiés par les décideurs
et les acteurs de l’éducation des pays concernés par
l’éducation des réfugiés est un frein supplémentaire
pour une mobilisation collective sur ce thème.
Aussi, en 2017, 61% des enfants réfugiés étaient-ils
inscrits à l’école primaire alors que ce taux est en
moyenne de 92% dans le monde. Au niveau du secon-
daire, les chiffres sont encore plus faibles, avec 23%
des enfants réfugiés inscrits à l’école alors que ce taux
est en moyenne de 84% au niveau mondial (UNESCO,
2019a). Les estimations sur l’accès à la formation
professionnelle sont quasi-inexistantes. Il est égale-
ment important de relativiser les chiffres d’accès des
enfants réfugiés à l’enseignement primaire. En effet,
beaucoup d’enfants réfugiés sont mis dans des condi-
tions d’apprentissage et d’enseignement marquées par
l’adversité et la précarité. Apprendre dans une classe
pour des enfants réfugiés dans un camp souvent isolé
du reste de la population est une aventure incertaine,
voire périlleuse. Elle l’est encore plus dans le contexte
de la pandémie de Covid-19 et du connement géné-
ralisé.
Pour faire face à cet enjeu majeur qu’est la mise en pra-
tique des droits fondamentaux et notamment du droit
à l’éducation, l’une des réponses est la mise en œuvre
du cadre basé sur les « quatre A » (en anglais : Acces-
sibility, Availability, Acceptability and Adaptability).
Le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit
à l’éducation a largement contribué à l’établissement
de ce cadre (Tomaševski, 2002). L’UNESCO a aussi
contribué à la diffusion et à l’explicitation de ce cadre
(Chapman, 2007).
L’accessibilité souligne qu’il est essentiel que le droit
des réfugiés à l’éducation soit garanti par la législa-
tion et les cadres politiques nationaux de l’éducation.
Le système éducatif du pays d’accueil, ses institu-
tions et ses programmes éducatifs, devraient être ac-
cessibles à tous, à tous les niveaux d’enseignement,
en garantissant l’information, la non-discrimination
et l’accessibilité physique et économique.
La disponibilité exprime l’inclusion effective des
réfugiés dans les systèmes éducatifs nationaux. Les
infrastructures devraient toutes être convenablement
équipées et les enseignants pertinemment formés,
qualiés, motivés recevant des salaires sufsants.
Pourtant sur le terrain, l’accessibilité et la disponi-
bilité ne sont pas respectées et garanties. La plupart
des réfugiés dans les pays du Sud sont scolarisés dans
des structures parallèles aux systèmes éducatifs natio-
naux à travers des alternatives éducatives parfois sous
forme expérimentales donc sans passerelles avec les
systèmes ofciels.
L’acceptabilité renvoie à la nécessité que la forme et
le contenu de l’enseignement (y compris le curricu-
lum) devraient être acceptables, pertinents et cultu-
rellement appropriés pour tous les élèves réfugiés.
L’éducation aux droits de l’homme, le respect de la
diversité culturelle, la compréhension interculturelle
et l’éducation multiculturelle jouent un rôle important
dans les contextes d’urgence. La langue d’enseigne-
ment peut représenter un obstacle majeur pour l’édu-
cation de base des réfugiés, si la langue d’instruction
du premier pays d’accueil diffère de la langue mater-
nelle des enfants réfugiés.
L’adaptabilité signie que l’éducation doit être exi-
ble pour s’adapter aux besoins en mutation des réfu-
giés. Dans les pays d’accueil, des options d’éducation
accélérée, alternative et exible permettent aux ré-
fugiés de reconstruire leur vie et leurs communautés
an d’assurer leur insertion sociale et professionnelle
à long terme.
L’acceptabilité et l’adaptabilité sont difciles à mettre
en œuvre pour l’éducation dans les situations d’ur-
gence dans la mesure où elles nécessitent une vision à
long terme des nalités de la scolarisation. Or, les per-
sonnes concernées par la scolarisation dans les situa-
tions d’urgence sont ballotées entre trois possibles : le
retour hypothétique au pays ou à la région d’origine
(pour les déplacés internes) et la réintégration de leurs
foyers, l’exil dans un nouveau pays avec le statut de
réfugié ou le statu quo dans la situation d’urgence qui
dure en moyenne plusieurs années.
L’examen du degré d’application de ces quatre princi-
pes avancés par l’UNESCO dans l’éducation de base
montre qu’ils sont rarement respectés. L’UNHCR et
les ONG s’organisent pour proposer un programme
d’éducation de base de qualité. Mais, les contrain-
tes de différents ordres font qu’il existe un fossé en-
tre les principes éducatifs et la réalité sur le terrain.
C’est pour cette raison que l’International Network
for Education in Emergencies (INEE ) a élaboré en
2010 une liste commune de standards minimums de
l’éducation en situations d’urgence, dont l’objectif est
de guider les actions des organisations et d’assurer un
standard international partagé.
Force est de constater que l’accessibilité, la disponi-
bilité, l’acceptabilité et l’adaptabilité sont des notions
pertinentes pour l’éducation de base des réfugiés.
Pourtant, elles devraient aussi être appliquées à la po-
pulation locale non réfugiée. Or, si on prend en comp-
te uniquement un aspect de la qualité de l’éducation
de base : les infrastructures, le constat est alarmant.
30 à 40 % des classes sont en paillottes dans des pays
tels que le Niger, le Burkina, le Mali et le Tchad. Ce
qui fait que ces espaces d’apprentissage sont facile-
ment détruits et brûlés lors des crises et conits. Il est
par conséquent crucial de travailler sur l’amélioration
de la qualité de l’offre éducative pour tous, aussi bien
pour la population locale, réfugiée ou déplacée an de
ne pas créer un sentiment d’injustice et d’inégalité.
3. La nécessité d’expérimenter des solu-
tions et de repenser les pratiques pour réa-
liser le droit à l’éducation
De nombreuses études ont mis en évidence la priorité
accordée à l’éducation par les réfugiés malgré les dés
multiples auxquels ils sont confrontés. En particulier,
les jeunes réfugiés estiment que l’éducation est leur
meilleur atout face aux problèmes auxquels ils sont
confrontés dans toutes situations d’urgence (Evans &
Forte, 2013). Elle est perçue comme jouant un rôle
essentiel dans leur vie (Nicolai, 2009; Mendenhall
et al., 2015). L’éducation permet de construire
compétences de base en alphabétisation et numéracie,
de maintenir les contacts et le support mutuel entre
réfugiés, de soutenir connaissances instrumentales
(usage d’un téléphone portable, compréhension de
formulaires administratifs etc..) indispensable dans
dans la vie quotidienne. Pour ces raisons, et pour
rendre effectif le droit à l’éducation, de nombreuses
initiatives ont été expérimentées.
Ces solutions éducatives expérimentées par la coo-
pération internationale sont utiles pour des systèmes
éducatifs confrontées à une urgence généralisée no-
tamment en Afrique. Ainsi, Lacey et Viola (2019)
ont résumé les enseignements retenus dans les inter-
ventions éducatives en situation d’urgence en RDC
(République Démocratique du Congo) et au Nigéria.
Premièrement, une intervention peut être utilisée à la
fois pour approfondir et élargir les compétences de
base des enseignants au-delà de celles requises pour
répondre aux besoins pédagogiques immédiats. Une
telle approche peut être intégrée facilement et de ma-
nière pertinente, même dans le cadre d’une interven-
tion à court terme. Pour les endroits où les capacités
et compétences des enseignants représentent une fai-
blesse structurelle du système éducatif, les études de
cas suggèrent que même les interventions à un stade
précoce sont l’occasion de mieux reconstruire l’édu-
cation en abordant l’ensemble des compétences péda-
gogiques de base des enseignants. Deuxièmement, il
n’est jamais trop tôt, en cas d’urgence, pour réhabili-
ter une gestion scolaire médiocre et un engagement
communautaire inefcace, en instituant de nouveaux
modèles d’autonomisation locale centrés sur l’auto-
sufsance et qui seraient dirigés par la communauté.
Une telle transformation peut apporter des avantages
durables à l’école. Des structures telles que les asso-
ciations de parents et les comités de gestion des écoles
font partie intégrante des solutions et nécessitent un
renforcement non seulement par une formation et un
mentorat continu, mais aussi par l’accès à des ressour-
ces nancières, notamment par le biais des activités
génératrices de revenus. La collaboration parents-
enseignants efcace offre l’avantage supplémentaire
de favoriser la coopération et de rompre les barrières
entre les communautés déplacées et les communau-
tés d’accueil, tout en comblant une lacune critique
en l’absence d’un fort soutien de l’État ou de normes
gouvernementales de qualité de l’éducation. Troisiè-
mement, une intervention d’urgence peut relever le
dé chronique de la pénurie d’enseignants qualiés
dans les zones rurales reculées et difciles d’accès. A
cet égard, le modèle d’infrastructure temporaire mis
à l’essai au Nigéria offre une approche potentielle-
ment convaincante pour combler les lacunes à long
terme des infrastructures scolaires bien qu’il reste en-
core beaucoup à faire pour obtenir l’approbation du
gouvernement et pour instituer des mécanismes de
nancement communautaires ou gouvernementaux
pour soutenir la transition. La collaboration avec les
structures étatiques est plus viable dans certaines si-
tuations d’urgence que dans d’autres, mais dans toutes
les situations, les réponses de l’EiE devraient donner
la priorité au rôle central des communautés locales à
travers les comités de gestion et à la nécessité de tra-
vailler en étroite coordination avec d’autres acteurs
humanitaires (Lacey & Viola, 2019).
Un autre élément capital dans l’offre éducative pour
les réfugiés renvoie aux compétences professionnelles
souvent lacunaires des enseignants. Dans le camp de
réfugiés de Dadaab au Kenya, seuls 8 % d’enseignants
du primaire sont des enseignants kenyans qualiés et,
parmi les enseignants refugiés, six sur dix n’ont sui-
vi aucune formation pédagogique. Dans le camp de
Kakuma au Kenya, 73 % des enseignants du primaire
ne possèdent aucun diplôme (UNESCO, 2018).
Dans les situations de crise ou d’urgence, la plupart
des gouvernements abandonnent l’éducation des ré-
fugiés au secteur humanitaire international, dont le ré-
exe naturel consiste généralement à mettre en place
un système éducatif parallèle calqué sur le modèle
éducatif du pays d’origine des réfugiés (UNESCO,
2019a). Même si cette option a l’avantage de repré-
senter une réponse rapide à l’urgence, il est désor-
mais admis qu’elle n’est pas durable. Alors que les
situations de déplacement ont tendance à se prolon-
ger durant plusieurs années ou même décennies, les
systèmes parallèles spéciques pour réfugiés souf-
frent d’une pénurie chronique d’enseignants qualiés,
leurs examens ne sont sanctionnés par aucun certi-
cat ofciel et leur nancement peut être interrompu
du jour au lendemain. L’éducation parallèle dans les
situations d’urgence n’aide donc pas les réfugiés à
s’intégrer dans les sociétés d’accueil ni à mener une
existence décente dans leur premier pays d’accueil où
ils bénécient d’une protection. Au nom de la conti-
nuité de l’éducation, la stratégie d’éducation du HCR
pour 2012-2016 a pour la première fois appelé les
pays d’accueil à fournir aux enfants réfugiés des pos-
sibilités de programmes d’apprentissage accrédités et
certiés. Les gouvernements des pays d’accueil et les
réfugiés eux-mêmes ont tout à gagner d’une telle ini-
tiative inclusive (UNESCO, 2019a).
Néanmoins, le choix de type d’éducation dans les si-
tuations d’urgence est une problématique complexe de
politique éducative. L’intégration des réfugiés dans le
système éducatif national dans les pays du Sud peut
poser des dés insurmontables comme par exemple le
choix de la langue d’enseignement ou même la capa-
cité d’accueil dans les classes. Il faut aussi tenir comp-
te de la fragilité extrême des pays d’accueil et leur
capacité ou volonté d’intégration d’effectifs plétho-
riques d’élèves. Le caractère imprévisible des crises
et des situations de déplacement des réfugiés fait que
l’incorporation de ce public doit souvent se faire en
décalage avec les calendriers scolaires nationaux
Le Tchad où vivent quelques 410 000 réfugiés, origi-
naires pour la plupart de la République centrafricaine
et du Soudan, est l’un des rares pays africains à avoir
tenu compte des réfugiés dans sa stratégie intérimaire
pour l’éducation de 2013. L’évaluation participative
réalisée dans 12 camps a été l’occasion pour les ré-
fugiés soudanais de soulever trois problèmes liés à
leur inclusion dans le système éducatif tchadien : la
confrontation à une nouvelle langue d’enseignement
(français), l’enjeu de reconnaissance des diplômes dé-
livrés au Tchad lors du retour éventuel au Soudan et la
crainte de perdre leur nationalité, leur culture, leur re-
ligion ou leur identité nationale. Ces inquiétudes ont
été abordées dans le plan sectoriel tchadien. En 2018,
le Gouvernement a rattaché au système éducatif natio-
nal 108 écoles situées dans 19 camps et sites d’héber-
gement de réfugiés (UNESCO, 2019a). La présence
de l’arabe comme langue d’enseignement au Tchad a
probablement facilité cette tentative d’intégration des
enfants réfugiés soudanais dans le système éducatif
national.
L’éducation est certes essentielle pour que les enfants
et les jeunes réfugiés et déplacés retrouvent un senti-
ment de normalité mais l’accès aux programmes, aux
manuels, aux enseignants et aux infrastructures dans
le pays hôte n’est qu’une première étape vers l’in-
clusion sociale et culturelle. Les contacts directs ne
sufront ni à faire naitre un sentiment d’appartenance
ni à favoriser la cohésion sociale (UNESCO, 2019a).
Les réfugiés et leurs enfants ne doivent pas être isolés
dans des camps éloignés de la population locale. Cette
dernière ne doit pas percevoir la présence des réfu-
giés comme une menace, une source d’insécurité ou
considérer les réfugiés comme des « pri-
vilégiés » par les humanitaires internatio-
naux. Il importe en conséquence que des
solutions intégratrices à court et moyen
termes soient trouvées pour éviter que
les réfugiés et leurs enfants ne soient pas
isolés des populations qui les accueillent.
Les enseignants travaillant dans les si-
tuations d’urgence sont confrontés à des
apprenant-es hétérogènes socialement et
culturellement. Plusieurs compétences
psychopédagogiques sont nécessaires pour
enseigner dans des classes accueillant des
immigrants et des réfugiés. Il est essentiel,
en particulier, que les enseignants soient
préparés à enseigner à des élèves qui ne
maitrisent pas souvent la langue d’ensei-
gnement ou qui ont été en dehors de l’école pour
quelques années. En Europe, un rapport concernant
la formation des enseignants à la diversité pointe
trois domaines d’insufsance. Le premier concerne
la connaissance des cadres légaux, des dimensions
de la diversité culturelle et des méthodes de gestion
de la diversité. Le second a trait à la communication
avec les élèves et les parents, à l’ouverture d’esprit
et au respect au sein de la communauté scolaire et à
la capacité à motiver les élèves et à gérer les conits
pour empêcher toute marginalisation. Le troisième
porte sur l’encadrement et l’enseignement : capacité
à gérer la diversité socioculturelle dans les classes, à
créer un environnement inclusif et sûr, à adapter son
enseignement aux besoins des élèves et à utiliser di-
verses méthodes pédagogiques pour tenir compte des
différences culturelles (UNESCO, 2019a). Bien en-
tendu, ces dés sont encore plus importants pour les
enseignants accueillant des réfugiés dans les pays de
l’Afrique de l’Ouest, car l’EiE représente une réalité
récurrente, imprévisible, et affectant l’ensemble du
système éducatif. Par exemple, au Niger, cette ren-
trée scolaire 2020 a été affectée par les fortes inonda-
tions. Aux déplacés internes en lien avec la violence
terroriste, se sont ajoutées les populations ayant perdu
leurs maisons dans les inondations pour occuper les
écoles disponibles. Ce qui a affecté et perturbé la sco-
larisation de nombreux élèves.
La manière dont l’enseignant travaillant dans les si-
tuations d’urgence considère la culture d’origine des
élèves a un impact majeur sur la qualité de l’éduca-
tion de base. Les langues maternelles sont un atout
qui permet de rapprocher les cultures scolaire, fami-
liale et communautaire. L’enseignant doit également
rééchir à sa propre identité, pour éviter de projeter
sa culture ou de renforcer les normes dominantes
(UNESCO, 2019a). Il ne faut pas oublier en particu-
lier que l’apprenant en EiE a été fragilisé par des ex-
périences traumatisantes. La gure ci-dessous résume
les conséquences des expériences traumatisantes sur
l’apprentissage et les réponses éducatives possibles.
Figure 2 Les expériences traumatisantes affectant
le potentiel d’apprentissage des enfants
Adaptée de UNESCO (2018).
Certaines valeurs, orientations pédagogiques et les
postures des enseignants peuvent constituer un atout
de taille dans la scolarisation. Elles peuvent structurer
les réponses éducatives aux expériences traumatisan-
tes vécues par les enfants dans les situations d’urgen-
ce.
La bienveillance est un concept psychopédagogique
qui nous semble pertinent pour l’EiE. Elle est proba- Le modèle commun de développement de l’enfant re-
blement la plus importante posture que nous devons connaît que la famille, l’école, la communauté et la
avoir envers les enfants fragilisés par les situations société représentent les couches d’inuence et de sou-
qu’ils vivent. Il s’agit de faire preuve de considération tien pour les enfants et que ces réseaux sociaux peu-
envers les autres, au lieu d’être insensible, nuisible ou vent renforcer le bien-être psychosocial et la résilien-
apathique. ce. Un examen de la parentalité dans les interventions
dans les contextes humanitaires a montré que celles
La bienveillance est une valeur universelle : non seu-
axées sur le bien-être des parents et sur la réduction
lement les êtres humains, y compris les nourrissons et
de la violence familiale pourraient améliorer le bien-
les enfants la développent, mais elle contribue à amé-
être de l’enfant. La résilience des enfants aussi, doit
liorer les relations humaines et le bien-être des indivi-
être renforcée par des programmes complémentaires
dus. Apprendre à avoir une plus grande bienveillan-
pour soutenir les parents et les communautés. La par-
ce peut nous mettre dans le bon état physiologique,
ticipation des parents peut aider à faire en sorte que
émotionnel et mental pour être sensible au sort des
les interventions d’apprentissage social et émotionnel
autres. En d’autres termes, nous devons réaliser que
soient durables en poursuivant leur application à do-
ce que tous les êtres humains ont en commun l’em-
micile (UNESCO, 2019b).
porte largement sur nos différences, et que tous les
êtres humains cherchent naturellement à éprouver un Les enseignants peuvent être des modèles importants
plus grand bien-être et moins de souffrance (Karlin & pour les apprenant-es réfugié-es qui pourraient ne pas
Ozawa-Desilva, 2018). La bienveillance en éducation être familiers avec de nombreux adultes dans le pays
se concrétise par une attention forte aux vulnérabilités
des apprenants. Elle exige une observation attentive,
réexive, ambitionnant de constituer le socle d’un
agir éducatif pertinent. «Bien veiller sur » désigne
l’inscription des relations interindividuelles dans la
sollicitude (Prairat, 2014, p. 108-109).
Selon l’UNESCO (2019b), plusieurs observations
mettent en évidence les approches pédagogiques qui
fonctionnent le mieux avec les enfants dans les situa-
tions d’urgence. Premièrement, les programmes d’ex-
pression créative aident à développer des compétences
sociales et émotionnelles à travers l’art, la musique ou
le théâtre. Ces programmes peuvent comporter des ac-
tivités artistiques axées sur le deuil, une thérapie par le
jeu centré sur l’enfant et des jeux de rôle, et peuvent
réduire le trouble du stress post-traumatique, l’anxiété
et les symptômes de dépression. Deuxièmement, les
activités des fonctions exécutives ciblent les proces-
sus cognitifs qui coordonnent et intègrent la pen-
sée, la mémoire, les émotions et le mouvement. Les
fonctions exécutives renvoient à un ensemble assez
composite de processus cognitifs de haut niveau. Elles
permettent de faire varier le traitement de l’information
par l’apprenant d’une manière adaptative, plutôt que
de rester inerte rigide et inexible. Troisièmement,
les activités corps-esprit, telles que la méditation et
d’accueil. Leur potentiel à améliorer la vie des appre-
les exercices de respiration, impliquent la gestion du
nants est encore plus élevé dans le contexte de trau-
stress, l’amélioration de la concentration et la régu-
matisme, car le soutien d’un adulte de conance peut
lation des émotions. Quatrièmement, les activités de
contrebalancer les effets d’un stress prolongé en lien
renforcement du soutien social, telles que les excur-
avec l’exposition aux violences. Ceci est particulière-
sions et les programmes sportifs, partagent certaines
ment important pour les mineurs migrants et réfugiés
caractéristiques communes avec les programmes ar-
(non accompagnés) ou ceux qui n’ont pas de soutien
tistiques et incluent la participation communautaire,
parental (UNESCO, 2019b).
la contextualisation, la localisation et les pratiques
inclusives. Cinquièmement, la thérapie cognitive- L’éducation aux droits humains dans les contextes
comportementale, une approche mise en œuvre par d’urgence offre plusieurs possibilités pédagogiques :
du personnel spécialisé, vise à cibler les problèmes et (1) une fenêtre réexive sur les réalités passées et pré-
symptômes actuels de santé mentale des enfants réfu- sentes; (2) un miroir pour rééchir sur les expériences
giés en concentrant l’attention sur les sentiments, les propres des apprenants en matière de violations des
pensées et les comportements.
droits humains; et (3) un prisme pour accroître leur
conscience critique par rapport à l’accès aux droits et
aux ressources dans des formes inégales de citoyen-
neté (Bajaj & al., 2017).
En dénitive, l’éducation en situations d’urgence
apparait comme un lieu utile d’expérimentations
pédagogiques pour toute forme d’éducation, car elle
implique la mise en place de solutions rapides pour
des situations traumatisantes. Frisoli, Renvillard et
Antoninis (2019) proposent de centrer l’EiE sur cinq
piliers :
1. la rigueur de la recherche, le monitoring et
l’évaluation des programmes
2. la promotion de l’apprentissage par le jeu
3. la localisation de l’apprentissage socio-
émotionnel
4. la construction de l’autonomie (Self-re-
liance)
5. l’investissement dans les enseignants et les
parents (caregivers)
En résumé, l’EiE est un lieu propice d’expérimenta-
tions psychopédagogiques multiples qui mobilisent
différents acteurs de l’éducation de base dans les pays
du Sud. De plus, ce secteur bénécie de nombreux
nancements internationaux. C’est pourquoi, il nous
paraît utile de repenser l’EiE, en lien notamment avec
la fragilité globale de nombreux systèmes éducatifs.
3. Repenser l’éducation en situation d’ur-
gence et ailleurs
L’éducation de base dans les situations d’urgence (ré-
fugiés ou déplacés internes…) pose des dés impor-
tants aux pays qui les reçoivent et à la communauté
internationale : le volume imposant des déplacés,
langue d’enseignement, multiplicité des acteurs im-
pliqués, manque de classes pour accueillir les élèves,
absence de ressources pédagogiques, disponibilité et
formation des enseignants, etc. Les raisons invoquées
par les familles dans un contexte d’urgence pour ex-
pliquer la non-fréquentation de l’école concernent la
pauvreté, la langue d’enseignement, mais aussi le ni-
veau élevé de difculté des enseignements proposés
vu les retards accumulés. Une chose est certaine, plus
l’interruption du parcours scolaire de l’enfant est lon-
gue, plus le risque de décrochage scolaire est élevé.
Il nous parait utile de repenser le concept d’éducation
dans les situations d’urgence à partir de trois perspec-
tives complémentaires : (1) une vision à long terme,
(2) une approche holistique et (3) une place accrue à
la technologie.
En premier lieu, la notion d’urgence doit être repen-
sée car elle peut suggérer que les situations d’urgence
sont ponctuelles et non pas structurelles ou de lon-
gue durée. Or, d’ici quelques décennies, les conits
persistants, les migrations non régulées, la crise envi-
ronnementale et la pauvreté extrême seront probable-
ment les principales causes des déplacements dans le
monde. Les réfugiés environnementaux même s’ils ne
sont pas compris dans le cadre juridique international
actuel peuvent constituer un dé pour l’EiE. Compte
tenu des difcultés que posent la planication et la
mise en œuvre des interventions, les partenaires in-
ternationaux ont un rôle crucial à jouer. Ils aident les
pays fragiles à surmonter les difcultés, par exemple
en préparant les enseignants ou en réduisant les obs-
tacles nanciers auxquels se heurtent les familles de
réfugiés. Cependant, ils ne brillent pas eux non plus
par leur efcacité, notamment en ce qui concerne
l’harmonisation des interventions d’urgence à court
terme de l’aide et de la planication à long terme en
faveur du développement. Les engagements qui ont
été pris en vertu de la Déclaration de New York, du
Cadre d’action global pour les réfugiés et du Pacte
mondial sur les réfugiés montrent la voie à suivre aux
responsables politiques (UNESCO, 2019c). La crise
actuelle de l’éducation en lien avec le Covid-19 mon-
tre que tous les systèmes éducatifs du monde peuvent
se trouver du jour au lendemain dans une situation
d’urgence. Il est donc utile de les préparer à fonc-
tionner d’une manière efciente et efcace dans une
telle situation. Par conséquent, il est indispensable de
travailler sur la construction de systèmes éducatifs
résilients à long terme an de les rendre capables de
répondre à des situations d’urgence quelle que soit
l’origine de l’urgence.
En deuxième lieu, il nous semble utile de penser
l’éducation dans les situations d’urgence d’une ma-
nière systémique et holistique et non pas isolée.
Autrement dit, quand un pays du Sud doit avec l’aide
de la communauté internationale assurer l’éducation
des enfants dans une situation d’urgence, il doit ré-
échir dans le même temps sur le système national
d’éducation pour accroitre sa résilience et sa per-
tinence. Il est donc indispensable d’inclure dans la
planication nationale de l’éducation et en particulier
les Plans Sectoriels de l’Education la dimension ré-
silience et situation d’urgence. Malgré l’injection de
nancements importants, les systèmes éducatifs fra-
giles seront incapables sans une planication solide
d’assurer un minimum de qualité pour l’EiE.
En troisième lieu, il est important de miser sur les
Technologies de l’Information et de la Communica-
tion (TIC) dans l’EiE. En effet, il ne faut pas aggraver
la fracture spatiale existante (la séparation des enfants
dans les situations d’urgence dans des espaces sépa-
rés, fermés et contrôlés) par une fracture digitale qui
empêcherait les enfants et les éducateurs dans les si-
tuations d’urgence à avoir accès aux TIC. Néanmoins,
il faut penser à des TIC accessibles au plus grand
nombre et fonctionnelles dans les situations d’urgen-
ce et non pas à des TIC réservées à une minorité ou
utilisées comme vitrine dans des laboratoires fermées
pour faire croire qu’on fait quelque chose de moderne
pour les plus démunis. Les solutions technologiques
existent et elles n’ont pas besoin d’être coûteuses. Les
TIC pourraient être intégrées aux programmes d’en-
seignement pour permettre aux enfants de développer
par exemples des compétences ludoéducatives.
A ces trois perspectives indispensables (vision à long
terme, approche holistique, innovation technologique),
il conviendrait d’accompagner les institutions de
formation des enseignants dans la prise en compte
des contenus focalisée sur l’éducation en situation
d’urgence. Les crises deviennent systémiques et
généralisée. La problématique du terrorisme qui était
concentrée en Afrique de l’Ouest s’étend désormais
dans la partie centrale et australe du continent. Les
rebellions multiples sont dispersées dans toutes les
régions. Une planification budgétaire incluant les
situations d’urgence permettrait une réaction rapide
des services éducatifs.
Conclusion
L’éducation de base dans les situations d’urgence re-
pose sur des principes inscrits dans le droit internatio-
nal. Néanmoins, cet article a mis en évidence le déca-
lage entre les principes internationaux et la situation
éducative fragile des enfants dans une région fragile
comme le Sahel. Nous avons observé la multiplicité
des initiatives et des expériences éducatives visant à
scolariser le plus grand nombre d’enfants. Néanmoins,
des efforts supplémentaires sont nécessaires pour ac-
croitre la qualité et la pertinence de l’éducation de
base dans les situations d’urgence. Il nous semble que
le temps est venu pour ne plus se contenter unique-
ment d’une réexion sur les moyens à mettre en place
une scolarisation rapide dans les situations d’urgence,
mais de s’attaquer en amont à la mission essentielle
de rendre tous les systèmes éducatifs structurellement
résilients. Ce qui reviendra en n de compte à les re-
penser radicalement et à les planier en intégrant la
dimension urgence.
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