Le cas de la titrisation
Rogério Sobreira
Rogério SOBREIRA
Graduate School of Business
Getulio Vargas Foundation (EBAPE/FGV)
115
troisième partie étudie les déterminants-clés de la titrisation
d’actifs ainsi que ses formes. La quatrième partie montre
comment la titrisation aide à financer les investissements. Elle
indique également quels sont les actifs qui sont le plus fré-
quemment titrisés, qui sont les acheteurs types des actifs
titrisés et quelle a été l’évolution de ce marché ces dernières
années. La cinquième partie étudie comment la fragilité finan-
cière peut augmenter en raison de la titrisation d’actifs. Enfin,
la sixième partie présente nos principales conclusions.
L’INNOVATION FINANCIÈRE
D’après Gowland (1991, p.79) l’innovation peut se définir
comme « l’introduction d’un nouveau produit sur le marché ou
la production d’un produit existant, mais d’une nouvelle
manière ». Cette définition peut s’appliquer aux établissements
financiers comme aux entreprises industrielles. Mais la grande
différence entre ces deux types d’entreprises réside dans la
manière dont l’économie industrielle appréhende le rôle de la
technologie. Dans les entreprises industrielles, l’introduction
d’une nouvelle technologie est clairement perçue comme une
innovation. Dans les établissements financiers, au contraire, le
rôle de la technologie n’est pas vraiment clair, car les change-
ments que l’on doit apporter à « la méthode de production »
pour introduire un nouveau produit ne sont pas énormes : les
prêts sont, globalement, toujours les mêmes avant et après
l’innovation.
Comme nous l’avons dit dans l’introduction, les banques
sont constamment à la recherche d’innovations financières
pour accroître leurs profits. En ce sens, l’innovation financière
ne peut être considérée comme un événement contemporain.
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nelle, les banques ont commencé à se comporter de plus en
plus comme des courtiers.
Afin d’améliorer leur position de courtiers et de mieux faire
face à la concurrence croissante sur leur marché traditionnel,
les banques se sont lancées activement dans la recherche d’in-
novations financières. L’environnement économique leur a
également été favorable, à ce nouveau stade de leur évolution,
car la fluctuation grandissante des taux d’intérêt et des taux de
change était devenue une source intéressante de profits en
raison des possibilités d’arbitrage qui leurs étaient offertes.
Les raisons de l’innovation financière abondent dans la
littérature économique. Gowland (idem, p.92), par exemple,
considère six caractéristiques comme déterminants de cette
nouvelle vague d’innovation financière : (a) « le remplissage de
la coquille du marché financier », (b) les marchés secondaires,
(c) la négociabilité, (d) le rechargement, (e) l’internationa-
lisation, et (f) la concurrence et le marketing. Toutes ces
caractéristiques aident à comprendre l’ampleur de cette vague.
Plus généralement, l’innovation financière désigne la
création de nouveaux produits financiers destinés à combler les
vides du marché afin de « remplir l’ensemble des marchés » et,
par conséquent, permettre les transferts de fonds de prêteurs à
emprunteurs de manière plus efficace. Silber (1983, p.89)
argumente également en faveur de l’innovation comme moyen
de desserrer les contraintes financières imposées aux établisse-
ments, c’est-à-dire comme tentative pour desserrer les contrain-
tes auxquelles doit faire face un établissement lorsqu’il essaie
d’atteindre ses objectifs.
L’un des points importants de l’innovation en matière de
finance est, comme le souligne Gowland (ibid., p.98), que de
telles innovations font rarement l’objet de brevets, contrai-
rement à ce qui se passe dans l’industrie. D’après cet auteur, il
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taux de crédit) ». Autrement dit, l’innovation représente une
incitation pour les banques et autres intermédiaires financiers
car elle leur permet de compenser la réduction de l’écart entre
le taux de rémunération des dépôts et le taux de crédit.
Silber (idem, p.91) a effectué un travail de recherche qui
analyse les nouveaux produits financiers et les nouvelles prati-
ques financières aux Etats-Unis de 1970 à 1982, et il établit
aussi la liste des « causes exogènes » possibles de l’innovation
financière : (1) l’inflation et ses effets sur les taux d’intérêt, le
niveau général des prix et ses effets dans le domaine fiscal, (2)
la volatilité des taux d’intérêt, (3) la technologie, (4) l’interven-
tion publique, et (6) l’internationalisation. Comme on peut le
voir, les sources types de l’innovation financière n’ont que peu
changé entre la période analysée par Silber et la fin des années
1980 et le début des années 1990.
118
Figure 1. Titrisation
Biens/Services
Débiteur(s)
SOURCE: DAVIS
Cédant
(2000)
Créances
Fonds Créances
Rehaussement
Couverture FCC / de crédit
de liquidité SPV
Investisseurs
119
rance, les spreads de crédit, les comptes de gage espèces
garantissant les engagements du véhicule, le surdimension-
nement et les titres prioritaires ou de second rang (cf. BIS,
idem). Normalement les mécanismes de rehaussement de crédit
sont utilisés conjointement. Pour déterminer le rehaussement
adéquat, le risque de crédit estimé du bloc d’actifs est évalué
en même temps que l’historique de ses pertes.
Le rehaussement de liquidité, d’autre part, est fourni par un
prêt à court terme à l’émetteur, destiné à couvrir le risque de
non renouvellement du billet par l’émetteur à sa date
d’exigibilité.
Dans un processus de titrisation, les banques peuvent agir
en tant que « cédant des actifs à transférer, ‘servicer’ des actifs
titrisés, ou comme parrain ou leader de programmes de titrisa-
tion d’actifs de tiers. De plus, les banques peuvent jouer le rôle
de ‘trustee’ dans les titrisations d’actifs de tiers, elles peuvent
rehausser le crédit ou fournir des facilités de trésorerie, agir
comme contreparties de swap, souscrire ou placer des actifs a-
dossés à des titres, ou investir dans les titres » (BIS, 2001, p.1).
Du point de vue de l’émetteur, les bénéfices potentiels de la
titrisation sont (a) un financement plus efficace, à des coûts
tout compris plus avantageux, et des sources de financement
plus diversifiées, (b) une amélioration de la structure du bilan,
avec des financements hors bilan qui peuvent conduire à des
besoins en capitaux moins élevés, et (c) une meilleure gestion
des risques, avec l’isolement d’actifs des débiteurs de l’entre-
prise, tout cela permettant une meilleure notation de l’entre-
prise.
120
obligations à court terme par un prêt à long terme à
des conditions satisfaisantes ».
Les problèmes à résoudre sont donc, premièrement,
comment l’investisseur peut-il avoir de l’argent à sa disposition
et, dans un deuxième temps, comment tirer le meilleur parti des
économies résultantes pour financer la dette de ce même
investisseur ?
La titrisation adossée à des actifs joue un rôle important
dans ce processus. Pour ce qui est du financement à court
terme, elle aide les banques dans la gestion de leurs actifs et de
leurs dettes. Comme l’a souligné BIS (1992, idem, p.5), « [La
titrisation] permet aux banques de transférer les risques de prêt
à d’autres entités, libérant ainsi des capitaux pour accorder de
nouveaux prêts qui, sinon, seraient au-delà de leur capacité.
Les bénéfices de la titrisation proviennent de la conversion
d’actifs non liquides en liquidités disponibles pour des prêts
supplémentaires ».
Une banque qui souhaiterait augmenter ses prêts mais qui
ne disposerait pas de fonds à échéance adéquate peut égale-
ment éviter des problèmes d’échéance en titrisant les nouveaux
prêts. « La titrisation offre à une banque fortement implantée
dans une région ou un secteur économique la possibilité de
transférer une partie de son portefeuille de prêts et également
d’acheter avec le produit de ce transfert d’autres types de titres
adossés à des actifs, se dotant ainsi d’un portefeuille de prêts
plus diversifié » (ibid.). Les banques peuvent également
augmenter et diversifier leurs sources de commissions et d’in-
térêts dans la mesure où elles s’engagent dans un ou plusieurs
des rôles du processus de titrisation, comme par exemple, celui
de prêteur, de « servicer », de « trustee » ou de rehausseur de
crédit.
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Lorsqu’elle décide d’accorder un crédit, une banque fait très
attention à la « réussite » du projet, c’est-à-dire à la capacité de
l’emprunteur à rembourser son prêt. Cette capacité est fonction
d’au moins deux variables : (i) le niveau du revenu attendu de
ce projet, et (ii) l’importance du ratio engagement financier /
revenu attendu du projet.
B
(1) ψ =
Q et
où
B e= montant du crédit demandé
Q t = quasi-loyer attendu du projet pour la période t
L’emprunteur cependant est dans l’obligation de rembourser
non seulement le principal (B), mais également l’intérêt. Ainsi,
l’équation (1) doit être réécrite.
(1 + r)B
(2) ψ = pour tout t.
Q et
Si les engagements financiers sont distribués de manière
égale sur les périodes de temps, l’équation (2) devient
(1 + r)B
(3) ψ = n pour tout t,
e
Q t
B rB
+
(4) ξ = e n2 ,
n pour tout t
Q t − δ Qt
où δ Qt
2
représente la variation attendue des quasi-loyers.
122
La confiance qu’une banque accorde aux quasi-loyers
attendus est, en réalité, la combinaison de deux variables1. La
première est λ qui amplifie (plus ou moins, en fonction de
l’état de confiance observé) la variation attendue des quasi-
loyers. La seconde est τ qui représente la marge de sécurité
exigée par le prêteur pour compenser partiellement le risque de
prêt. Ce terme est inférieur à un pour toute la période t. Ainsi
l’équation (4) s’écrit
B rB
+
(5) ξ = n n , pour tout t, τ < 1, λ > 1.
τ (Q t − λδ Qt2 )
e
(6) CP = (1 + ρ)DT
Les coûts cachés, d’autre part, sont donnés par
(7) CC = q(1 + r)DD
où r représente le taux d’intérêt du prêt et q le ratio de
réserve obligatoire pour les dépôts à vue.
1Cette analyse est basée sur Minsky (1986, appendice A).
2Le taux d’intérêt augmente afin d’équilibrer la demande de crédit jusqu’à un
certain point. Ainsi que l’ont démontré Stiglitz et Weiss (1981), au-delà de ce
point, les banques rationnent le crédit.
123
Etant donné les équations ci-dessus, la banque va essayer de
maximiser l’équation de profit suivante :
(8) πe = (1 + r) ∑B n
i − (1 + ρ )∑ DTi − q(1 + r)∑ DD i
n n
(10) ∑B
n
i = (1 − q)∑ DD i (r) + ∑ DTi ( ρ )
n n
124
(12)
⎧ ⎡ dρ(r)⎤ dDTi (ρ) ⎫
⎨(1- 2q)∑DDi (r) + ⎢1 − ⎥∑ DTi (ρ) + [1+ ρ(r)] ⎬
⎩ n ⎣ dr ⎦ n dr ⎭
r= −1
dDDi (r) dDTi (ρ)
(1- 2q)+
dr dr
Donc, étant donné le taux d’intérêt optimal tel que déter-
miné en (12) et la valeur de ξ telle que fixée par la banque,
l’offre de crédit va être donnée par la résolution de l’équation
(5) pour connaître B. D’où,
nξτ (Q et − λδ Qt2
(13) B=
(1 + r)
Une banque va normalement fixer différentes valeurs pour
ξ, τ, λ, δ2 et Qe en fonction de ses perspectives concernant les
quasi-loyers du projet et en fonction de la caractérisation de ses
emprunteurs. En fonction des valeurs qu’a affecté la banque à
ces variables, nous aurons une offre plus ou moins importante
de crédit. Le tableau ci-dessous résume notre démonstration.
Tableau 1. Perspectives et offre de crédit de la banque sans
titrisation
Perspecti- ξ τ λ δ2 Qe B
ves
Plus Plus Aug- Dimi- Dimi- Aug- Plus
optimistes haut mente nue nue mente haut
Plus Plus Dimi- Aug- Aug- Dimi- Plus
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Dans le modèle ci-dessus, lorsque la banque titrise une
partie du crédit offert (B), ses besoins en fonds de tierces
parties tendent à diminuer, ce qui abaisse l’impact sur le taux
d’intérêt optimal. Autrement dit, le taux d’intérêt qui maximise
les profits de la banque tend à être plus bas.
Une autre conséquence de la titrisation peut être observée
dans le comportement de λ et de τ. Etant donné que la titrisa-
tion permet de libérer du capital, la banque peut évaluer
correctement le risque de faillite du projet, c’est-à-dire que la
prime de couverture du risque diminue. Ainsi, λ et τ ont leur
valeur qui diminue quelle que soit la nature des perspectives de
la banque. Le tableau 2 ci-dessous résume nos conclusions :
Tableau 2. Effets de la titrisation sur les déterminants de l’offre
de crédit, indépendamment des perspectives de la banque
ξ τ λ δ2 Qe Offre de
Crédit
Augmente Diminue Diminue Inchangé Inchangé Augmente
126
liorent leurs ratios financiers et gèrent mieux les risques courus
par leur portefeuille.
Ce type d’innovation comporte, cependant, un certain
nombre de points négatifs. Ainsi que le montre tout à fait bien
la BIS (2001, idem) : « Alors qu’il y a de très nombreux
avantages pour les banques à s’engager dans les activités de
titrisation, ces activités peuvent pourtant augmenter le profil de
risque général des banques si elles ne sont pas conduites avec
prudence. En général, les risques courus par les banques dans
les opérations de titrisation sont de même nature que ceux
qu’elles courent dans leurs opérations traditionnelles de prêt ».
Cependant, les programmes de titrisation entraînent un ni-
veau de risque plus élevé pour les banques. Les raisons en sont
diverses. D’abord, la titrisation réduit les besoins en fonds
d’épargne. Ensuite, comme nous l’avons vu ci-dessus, elle
réduit la prime de risque du taux d’intérêt optimum. Enfin, elle
réduit les conditions de sécurité d’un prêt traditionnel. Ces
risques sont plus dangereux car certains d’entre eux ne sont pas
aussi évidents et sont plus complexes que les risques inhérents
au processus de prêt traditionnel.
Ainsi que la BIS (ibid., p.3) l’a montré, pour qu’une banque
cédante puisse sortir un bloc d’actifs titrisés de son bilan, elle
doit transférer ces actifs de manière légale ou économique par
une véritable vente, c’est-à-dire une novation, une cession, un
acte de fiducie ou une sous-participation. Autrement, les actifs
titrisés doivent rester dans les actifs pondérés par les risques de
la banque cédante afin qu’elle puisse calculer ses ratios de
risque.
Un autre point des programmes de titrisation qui mérite
notre attention, c’est qu’il est nécessaire d’avoir une demande
forte et soutenue de la part des investisseurs pour que ces
opérations réussissent (Davis, ibid., p.6). Cette forte demande
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Carvalho (1997, idem, p.484) : « Tout bien pesé, nous devons
craindre que la prédominance d’une perspective de court terme
ne rende les économies plus fragiles d’un point de vue
financier, au sens de Minsky. Les investisseurs pourraient être
tentés, en raison de la grande diversité des produits disponibles
sur le marché, de financer leur accumulation de capital par des
instruments à court terme sur des marchés hostiles aux enga-
gements à long terme. En conséquence, les bilans devraient être
beaucoup plus vulnérables aux chocs des taux d’intérêt ou à la
disponibilité de fonds ».
Les innovations financières, tout comme les autres formes
d’innovation, sont généralement motivées par le profit. De
plus, les innovations sont faites pour « compléter et occuper »
les marchés. La titrisation correspond tout à fait à ce genre de
déterminants. Comme nous l’avons vu, les avantages types de
la titrisation compensent certaines faiblesses du marché du
crédit : un accès facilité au crédit, des taux d’intérêt plus bas,
une meilleure gestion des risques, une meilleure gestion des
actifs et des passifs, un accès facilité au marché financier, etc.
La face cachée de ce processus, c’est le comportement
cyclique de l’environnement économique. Un marché complet
ne signifie ni une absence d’incertitude ni une plus grande
efficacité au sens fort du terme. En même temps, donc, que la
titrisation aide à faire tomber les obstacles existant dans les
canaux d’intermédiation financière et facilite le financement
associé au processus de formation du capital, elle participe à la
plus grande volatilité des marchés financiers et à leur fragili-
sation. Dans la mesure où la surveillance des opérations de
titrisation s’améliore, cette fragilité tend à diminuer.
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