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INNOVATION FINANCIÈRE ET INVESTISSEMENT.

Le cas de la titrisation

Rogério Sobreira

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2004/1 no 19 | pages 115 à 129


ISSN 1267-4982
DOI 10.3917/inno.019.0115
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation
n°19, 2004-1, pp.115-130.

Innovation financière et investissement.


Le cas de la titrisation

Rogério SOBREIRA
Graduate School of Business
Getulio Vargas Foundation (EBAPE/FGV)

L’innovation financière peut être perçue comme un procédé


par lequel les banques ou les intermédiaires financiers, de
manière régulière, (i) cherchent à augmenter leurs profits, (ii)
réduisent les risques liés à l’intermédiation financière, (iii)
contournent les contraintes imposées par les autorités finan-
cières en matière de prêts, et (iv) affrontent la concurrence des
autres intermédiaires financiers.
A ce jour, l’innovation financière peut amener un apport
plus important de capitaux pour permettre de réaliser les
dépenses d’investissement et peut aider à ouvrir les canaux par
lesquels l’épargne peut financer les dettes souscrites pour
financer les investissements.
La titrisation d’actifs consiste, globalement, à regrouper en
un bloc un certain nombre d’actifs homogènes, à vendre ces
actifs à une entité ad hoc ; dite véhicule spécialisé, cette entité
émet des titres négociables contre le bloc d’actifs. Elle peut
être considérée comme une innovation financière étant donné
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qu’elle résulte de pratiques de déréglementation qui étaient
devenues tout à fait courantes sur les marchés financiers à la
fin des années 1980 et au début des années 1990. Face à cette
vague de déréglementation, les banques essayèrent d’étendre
leurs prêts et de gérer leurs risques par tout un processus
d’innovation financière.
Cet article cherche donc à étudier dans quelle mesure la
titrisation d’actifs permet de financer l’investissement et d’ap-
provisionner l’épargne résultant de ces investissements, c’est-à-
dire si la titrisation d’actifs peut être considérée comme fonc-
tion de la dépense d’investissement, de même que ses effets
possibles sur la fragilité du système financier. La deuxième
partie traite des déterminants de l’innovation financière en
général, tant au niveau théorique qu’au niveau historique. La

115
troisième partie étudie les déterminants-clés de la titrisation
d’actifs ainsi que ses formes. La quatrième partie montre
comment la titrisation aide à financer les investissements. Elle
indique également quels sont les actifs qui sont le plus fré-
quemment titrisés, qui sont les acheteurs types des actifs
titrisés et quelle a été l’évolution de ce marché ces dernières
années. La cinquième partie étudie comment la fragilité finan-
cière peut augmenter en raison de la titrisation d’actifs. Enfin,
la sixième partie présente nos principales conclusions.

L’INNOVATION FINANCIÈRE
D’après Gowland (1991, p.79) l’innovation peut se définir
comme « l’introduction d’un nouveau produit sur le marché ou
la production d’un produit existant, mais d’une nouvelle
manière ». Cette définition peut s’appliquer aux établissements
financiers comme aux entreprises industrielles. Mais la grande
différence entre ces deux types d’entreprises réside dans la
manière dont l’économie industrielle appréhende le rôle de la
technologie. Dans les entreprises industrielles, l’introduction
d’une nouvelle technologie est clairement perçue comme une
innovation. Dans les établissements financiers, au contraire, le
rôle de la technologie n’est pas vraiment clair, car les change-
ments que l’on doit apporter à « la méthode de production »
pour introduire un nouveau produit ne sont pas énormes : les
prêts sont, globalement, toujours les mêmes avant et après
l’innovation.
Comme nous l’avons dit dans l’introduction, les banques
sont constamment à la recherche d’innovations financières
pour accroître leurs profits. En ce sens, l’innovation financière
ne peut être considérée comme un événement contemporain.
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Cela a toujours existé depuis que les banques sont banques.
Dans cet article, cependant, nous allons concentrer notre
attention sur le processus qui s’est produit à la fin des années
1980 et au début des années 1990 suite à la vague intensive de
déréglementation des marchés financiers, de même que sur
certains développements des secteurs des communications et
des technologies informatiques. Ces deux facteurs ont pro-
fondément transformé l’activité de l’intermédiation financière
entre emprunteurs et prêteurs, activité traditionnellement aux
mains des banques. En conséquence, d’autres intermédiaires
financiers et même certaines institutions non financières (par
exemple, les compagnies d’assurances) ont commencé à
s’approprier ce rôle. Devant le rôle grandissant des marchés
financiers, et confrontées au déclin de leur activité tradition-

116
nelle, les banques ont commencé à se comporter de plus en
plus comme des courtiers.
Afin d’améliorer leur position de courtiers et de mieux faire
face à la concurrence croissante sur leur marché traditionnel,
les banques se sont lancées activement dans la recherche d’in-
novations financières. L’environnement économique leur a
également été favorable, à ce nouveau stade de leur évolution,
car la fluctuation grandissante des taux d’intérêt et des taux de
change était devenue une source intéressante de profits en
raison des possibilités d’arbitrage qui leurs étaient offertes.
Les raisons de l’innovation financière abondent dans la
littérature économique. Gowland (idem, p.92), par exemple,
considère six caractéristiques comme déterminants de cette
nouvelle vague d’innovation financière : (a) « le remplissage de
la coquille du marché financier », (b) les marchés secondaires,
(c) la négociabilité, (d) le rechargement, (e) l’internationa-
lisation, et (f) la concurrence et le marketing. Toutes ces
caractéristiques aident à comprendre l’ampleur de cette vague.
Plus généralement, l’innovation financière désigne la
création de nouveaux produits financiers destinés à combler les
vides du marché afin de « remplir l’ensemble des marchés » et,
par conséquent, permettre les transferts de fonds de prêteurs à
emprunteurs de manière plus efficace. Silber (1983, p.89)
argumente également en faveur de l’innovation comme moyen
de desserrer les contraintes financières imposées aux établisse-
ments, c’est-à-dire comme tentative pour desserrer les contrain-
tes auxquelles doit faire face un établissement lorsqu’il essaie
d’atteindre ses objectifs.
L’un des points importants de l’innovation en matière de
finance est, comme le souligne Gowland (ibid., p.98), que de
telles innovations font rarement l’objet de brevets, contrai-
rement à ce qui se passe dans l’industrie. D’après cet auteur, il
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existe trois raisons pouvant expliquer ce nombre relativement
faible de dépôts de brevets dans le milieu de la finance :
a) c’est juridiquement impossible,
b) ce qui importe, c’est d’être le premier ou, du moins, d’être
perçu comme étant le premier,
c) ce n’est pas souhaitable pour des raisons de « réseaux ». La
stratégie optimale consiste à mettre sur le marché des pro-
duits qui doivent être bientôt offerts par d’autres établis-
sements.
Goodhart (1989, p.377) voit également que le processus
d’innovation implique « une série d’étapes imposées par la
concurrence, l’évolution technologique et la déréglementation
qui ont fortement réduit le coût de l’intermédiation (c’est-à-dire
l’écart effectif entre le taux de rémunération des dépôts et le

117
taux de crédit) ». Autrement dit, l’innovation représente une
incitation pour les banques et autres intermédiaires financiers
car elle leur permet de compenser la réduction de l’écart entre
le taux de rémunération des dépôts et le taux de crédit.
Silber (idem, p.91) a effectué un travail de recherche qui
analyse les nouveaux produits financiers et les nouvelles prati-
ques financières aux Etats-Unis de 1970 à 1982, et il établit
aussi la liste des « causes exogènes » possibles de l’innovation
financière : (1) l’inflation et ses effets sur les taux d’intérêt, le
niveau général des prix et ses effets dans le domaine fiscal, (2)
la volatilité des taux d’intérêt, (3) la technologie, (4) l’interven-
tion publique, et (6) l’internationalisation. Comme on peut le
voir, les sources types de l’innovation financière n’ont que peu
changé entre la période analysée par Silber et la fin des années
1980 et le début des années 1990.

TITRISATION : ÉLÉMENTS ET DÉTERMINANTS CLÉS


De manière très générale, la titrisation adossée à des actifs
est l’émission de titres négociables soutenue par les cash flows
attendus d’actifs spécifiques (voir figure 1 ci-dessous). Lors
d’une titrisation, le cédant, l’initiateur de l’opération, vend des
créances à un fonds commun de créances (FCC) – en droit
anglo-saxon, un special purpose vehicle (SPV). Cette vente
sort ces actifs du bilan du cédant. Le véhicule de refinancement
émetteur sur le marché (FCC ou SPV) est structuré de façon à
ce que sa capacité de remboursement soit à l’abri de toute
répercussion d’une faillite éventuelle du cédant. En cas de
faillite du cédant, le FCC ou le SPV est responsable des paie-
ments tels que stipulés au contrat. Le FCC ou le SPV finance
l’achat de créances en émettant auprès des investisseurs des
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parts ayant le statut de valeurs mobilières. Les actifs sont
choisis sur des critères spécifiés de solvabilité et de performan-
ces. Les actifs sont homogènes dans leur structure, mais, de
manière idéale, ils sont hétérogènes en termes d’origine (Sha-
piro, 1999, p.5). L’homogénéité est nécessaire pour permettre
une analyse coût-efficacité du risque de crédit et, selon le cas,
la détermination d’un juste prix pour les actifs transférés et les
titres émis.

118
Figure 1. Titrisation

Biens/Services
Débiteur(s)
SOURCE: DAVIS
Cédant
(2000)
Créances

Fonds Créances

Rehaussement
Couverture FCC / de crédit
de liquidité SPV

Fonds Titres notés

Investisseurs

Pour faciliter le processus de titrisation, un « servicer » et


un « trustee » font normalement partie du dispositif. Le
« servicer » est responsable de la collecte de l’intérêt et du
principal générés par le bloc d’actifs et de la remise de ces
fonds au « trustee ». C’est généralement le cédant qui tient le
rôle de « servicer ». De son côté, le « trustee » agit pour le
compte des investisseurs. Ainsi, « il doit avoir un privilège sur
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les actifs finançant l’émission de titres, la possibilité de
surveiller les performances des autres parties impliquées dans
la transaction, y compris le ‘servicer’, doit avoir accès aux
informations régulières sur l’état du pool, superviser la
distribution des billets de trésorerie aux investisseurs et, si
nécessaire, déclarer le groupe en défaut et décider de toutes
actions judiciaires destinées à protéger les intérêts des investis-
seurs » (BIS, 1992, p.2).
Pour faciliter la demande des investisseurs, un rehaussement
de crédit et de liquidité est fourni pour tout ou partie de
l’émission. Le rehaussement du crédit est généralement le fait
d’une banque tierce ou d’une compagnie d’assurances et,
parfois, du cédant lui-même. Les formes les plus fréquentes de
ce rehaussement sont : la lettre de crédit irrévocable, l’assu-

119
rance, les spreads de crédit, les comptes de gage espèces
garantissant les engagements du véhicule, le surdimension-
nement et les titres prioritaires ou de second rang (cf. BIS,
idem). Normalement les mécanismes de rehaussement de crédit
sont utilisés conjointement. Pour déterminer le rehaussement
adéquat, le risque de crédit estimé du bloc d’actifs est évalué
en même temps que l’historique de ses pertes.
Le rehaussement de liquidité, d’autre part, est fourni par un
prêt à court terme à l’émetteur, destiné à couvrir le risque de
non renouvellement du billet par l’émetteur à sa date
d’exigibilité.
Dans un processus de titrisation, les banques peuvent agir
en tant que « cédant des actifs à transférer, ‘servicer’ des actifs
titrisés, ou comme parrain ou leader de programmes de titrisa-
tion d’actifs de tiers. De plus, les banques peuvent jouer le rôle
de ‘trustee’ dans les titrisations d’actifs de tiers, elles peuvent
rehausser le crédit ou fournir des facilités de trésorerie, agir
comme contreparties de swap, souscrire ou placer des actifs a-
dossés à des titres, ou investir dans les titres » (BIS, 2001, p.1).
Du point de vue de l’émetteur, les bénéfices potentiels de la
titrisation sont (a) un financement plus efficace, à des coûts
tout compris plus avantageux, et des sources de financement
plus diversifiées, (b) une amélioration de la structure du bilan,
avec des financements hors bilan qui peuvent conduire à des
besoins en capitaux moins élevés, et (c) une meilleure gestion
des risques, avec l’isolement d’actifs des débiteurs de l’entre-
prise, tout cela permettant une meilleure notation de l’entre-
prise.

TITRISATION ET FINANCEMENT DES


INVESTISSEMENTS
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Le processus d’investissement, une fois que les entrepre-
neurs ont décidé d’investir, démarre typiquement par la fourni-
ture d’argent aux investisseurs. Une fois l’investissement effec-
tué, des économies sont réalisées et les revenus augmentent.
Keynes (1937) résume fort bien le volet financier du processus
de formation du capital :
« L’entrepreneur, lorsqu’il a décidé d’investir,
doit être satisfait sur deux points : d’abord, il veut
pouvoir obtenir suffisamment d’argent à court ter-
me pendant la période de réalisation de l’investis-
sement ; et ensuite, il doit pouvoir financer ses

120
obligations à court terme par un prêt à long terme à
des conditions satisfaisantes ».
Les problèmes à résoudre sont donc, premièrement,
comment l’investisseur peut-il avoir de l’argent à sa disposition
et, dans un deuxième temps, comment tirer le meilleur parti des
économies résultantes pour financer la dette de ce même
investisseur ?
La titrisation adossée à des actifs joue un rôle important
dans ce processus. Pour ce qui est du financement à court
terme, elle aide les banques dans la gestion de leurs actifs et de
leurs dettes. Comme l’a souligné BIS (1992, idem, p.5), « [La
titrisation] permet aux banques de transférer les risques de prêt
à d’autres entités, libérant ainsi des capitaux pour accorder de
nouveaux prêts qui, sinon, seraient au-delà de leur capacité.
Les bénéfices de la titrisation proviennent de la conversion
d’actifs non liquides en liquidités disponibles pour des prêts
supplémentaires ».
Une banque qui souhaiterait augmenter ses prêts mais qui
ne disposerait pas de fonds à échéance adéquate peut égale-
ment éviter des problèmes d’échéance en titrisant les nouveaux
prêts. « La titrisation offre à une banque fortement implantée
dans une région ou un secteur économique la possibilité de
transférer une partie de son portefeuille de prêts et également
d’acheter avec le produit de ce transfert d’autres types de titres
adossés à des actifs, se dotant ainsi d’un portefeuille de prêts
plus diversifié » (ibid.). Les banques peuvent également
augmenter et diversifier leurs sources de commissions et d’in-
térêts dans la mesure où elles s’engagent dans un ou plusieurs
des rôles du processus de titrisation, comme par exemple, celui
de prêteur, de « servicer », de « trustee » ou de rehausseur de
crédit.
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Quant au financement à long terme, la titrisation aide les
banques à financer leurs prêts étant donné qu’elles peuvent
accéder plus facilement aux investisseurs institutionnels (les
fonds de pension et d’investissement) qui sont les grands
acheteurs d’obligations à long terme. De ce point de vue, il est
important de noter que le développement de la titrisation n’a
vraiment démarré qu’avec l’émergence de ces investisseurs
institutionnels.
Les effets de la titrisation sur la volonté des banques de
prêter sont encore mieux visibles dans un modèle de compor-
tement bancaire1.

1 Le modèle exposé ci-dessous est une version légèrement modifiée de


Sobreira (1998).

121
Lorsqu’elle décide d’accorder un crédit, une banque fait très
attention à la « réussite » du projet, c’est-à-dire à la capacité de
l’emprunteur à rembourser son prêt. Cette capacité est fonction
d’au moins deux variables : (i) le niveau du revenu attendu de
ce projet, et (ii) l’importance du ratio engagement financier /
revenu attendu du projet.
B
(1) ψ =
Q et

B e= montant du crédit demandé
Q t = quasi-loyer attendu du projet pour la période t
L’emprunteur cependant est dans l’obligation de rembourser
non seulement le principal (B), mais également l’intérêt. Ainsi,
l’équation (1) doit être réécrite.
(1 + r)B
(2) ψ = pour tout t.
Q et
Si les engagements financiers sont distribués de manière
égale sur les périodes de temps, l’équation (2) devient
(1 + r)B
(3) ψ = n pour tout t,
e
Q t

où n représente le nombre d’échéances ou de mensualités


associées au prêt.
Etant donné que Qet peut fluctuer, cette fluctuation peut
empêcher l’emprunteur de remplir ses engagements financiers.
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Ainsi, du point de vue de la banque, la réussite du projet est
étroitement associée à la valeur de ψ. Si on considère explici-
tement la probabilité de fluctuation des quasi-loyers, l’équation
(3) devient

B rB
+
(4) ξ = e n2 ,
n pour tout t
Q t − δ Qt

où δ Qt
2
représente la variation attendue des quasi-loyers.

122
La confiance qu’une banque accorde aux quasi-loyers
attendus est, en réalité, la combinaison de deux variables1. La
première est λ qui amplifie (plus ou moins, en fonction de
l’état de confiance observé) la variation attendue des quasi-
loyers. La seconde est τ qui représente la marge de sécurité
exigée par le prêteur pour compenser partiellement le risque de
prêt. Ce terme est inférieur à un pour toute la période t. Ainsi
l’équation (4) s’écrit
B rB
+
(5) ξ = n n , pour tout t, τ < 1, λ > 1.
τ (Q t − λδ Qt2 )
e

Un autre point important pour les banques lorsqu’elles


accordent du crédit est le coût des dettes. Comme la demande
de crédit augmente, le taux d’intérêt augmente également2. En
conséquence, « la direction de la banque va essayer de
remplacer les dettes consommatrices de peu de réserves par des
dettes qui consomment davantage de réserves jusqu’à ce que
les coûts publics compensent les différences de coûts cachés
sous forme de réserves obligatoires » (Minsky, idem, pp.241-
2). En conséquence, accorder un crédit est coûteux pour une
banque, et ce pour au moins deux raisons : la première, c’est
qu’il y a une composante de coût direct (public) car la banque
doit payer ses fonds. La banque crée des dépôts à terme au taux
ρ. La seconde, c’est que chaque fois qu’une banque crée des
dépôts à vue, elle doit constituer des réserves à la banque
centrale selon un ratio de réserves obligatoires. Ces réserves
représentent effectivement un coût de renonciation (caché)
pour la banque.
De manière formelle, nous pouvons représenter le coût
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public ainsi :

(6) CP = (1 + ρ)DT
Les coûts cachés, d’autre part, sont donnés par
(7) CC = q(1 + r)DD
où r représente le taux d’intérêt du prêt et q le ratio de
réserve obligatoire pour les dépôts à vue.
1Cette analyse est basée sur Minsky (1986, appendice A).
2Le taux d’intérêt augmente afin d’équilibrer la demande de crédit jusqu’à un
certain point. Ainsi que l’ont démontré Stiglitz et Weiss (1981), au-delà de ce
point, les banques rationnent le crédit.

123
Etant donné les équations ci-dessus, la banque va essayer de
maximiser l’équation de profit suivante :

(8) πe = (1 + r) ∑B n
i − (1 + ρ )∑ DTi − q(1 + r)∑ DD i
n n

Remarquez que ρ et DD sont tous deux des fonctions de r.


Le taux d’intérêt versé sur les dépôts à terme peut être
considéré comme étant fonctionnellement lié au taux pratiqué
sur les prêts. De toute évidence, ρ est inférieur à r. Ainsi nous
pouvons supposer que ρ = γr, avec 0 < γ < 1. D’autre part, les
dépôts à vue sont sensibles aux mouvements du taux d’intérêt
versé sur les dépôts à terme. Ainsi, plus ρ est élevé, plus sera
élevé le pourcentage de déposants à vue qui transfèreront leurs
fonds sur des dépôts à terme. En conséquence de ces deux
hypothèses, l’équation (8) devient
(9)
πe= (1 + r) ∑B
n
i − [1 + ρ (r)]∑ DTi ( ρ ) − q(1 + r)∑ DD i (r)
n n

Afin de déterminer l’offre de crédit ∑B


n
i nous partons de
l’hypothèse que le bilan d’une banque-type est égal à1

(10) ∑B
n
i = (1 − q)∑ DD i (r) + ∑ DTi ( ρ )
n n

Ainsi, (9) peut se réécrire comme suit :


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(11)
πe=(1+r)[(1-q)ΣDD(r)+ΣDT(ρ)]-[1+ρ(r)]ΣDT(ρ)-q(1+r)ΣDD(r)
n 1 n 1 n 1 n 1

La résolution de (11) pour connaître r donne

1 Afin de simplifier notre démonstration, nous partons de l’hypothèse que les


prêts et les réserves sont les seules composantes des actifs de notre banque, et
que ces actifs sont financés uniquement par les dépôts à vue et les dépôts à
terme. Ses fonds propres sont donc égaux à zéro.

124
(12)
⎧ ⎡ dρ(r)⎤ dDTi (ρ) ⎫
⎨(1- 2q)∑DDi (r) + ⎢1 − ⎥∑ DTi (ρ) + [1+ ρ(r)] ⎬
⎩ n ⎣ dr ⎦ n dr ⎭
r= −1
dDDi (r) dDTi (ρ)
(1- 2q)+
dr dr
Donc, étant donné le taux d’intérêt optimal tel que déter-
miné en (12) et la valeur de ξ telle que fixée par la banque,
l’offre de crédit va être donnée par la résolution de l’équation
(5) pour connaître B. D’où,

nξτ (Q et − λδ Qt2
(13) B=
(1 + r)
Une banque va normalement fixer différentes valeurs pour
ξ, τ, λ, δ2 et Qe en fonction de ses perspectives concernant les
quasi-loyers du projet et en fonction de la caractérisation de ses
emprunteurs. En fonction des valeurs qu’a affecté la banque à
ces variables, nous aurons une offre plus ou moins importante
de crédit. Le tableau ci-dessous résume notre démonstration.
Tableau 1. Perspectives et offre de crédit de la banque sans
titrisation
Perspecti- ξ τ λ δ2 Qe B
ves
Plus Plus Aug- Dimi- Dimi- Aug- Plus
optimistes haut mente nue nue mente haut
Plus Plus Dimi- Aug- Aug- Dimi- Plus
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pessimistes bas nue mente mente nue bas

Lorsque les banques deviennent plus optimistes, par


exemple, elles vont activement rechercher des fonds. Cela
va entraîner une augmentation de ρ(r) et du taux d’intérêt
optimum. Cependant, les valeurs des autres variables dans
la fonction de l’offre de crédit sont fixées de manière que B
augmente.
L’introduction de la titrisation peut complètement transfor-
mer cet environnement. Comme nous l’avons vu dans la partie
précédente, la titrisation permet à la banque de vendre une
partie du crédit avancé, libérant ainsi du capital et permettant
une meilleure gestion des actifs et des dettes.

125
Dans le modèle ci-dessus, lorsque la banque titrise une
partie du crédit offert (B), ses besoins en fonds de tierces
parties tendent à diminuer, ce qui abaisse l’impact sur le taux
d’intérêt optimal. Autrement dit, le taux d’intérêt qui maximise
les profits de la banque tend à être plus bas.
Une autre conséquence de la titrisation peut être observée
dans le comportement de λ et de τ. Etant donné que la titrisa-
tion permet de libérer du capital, la banque peut évaluer
correctement le risque de faillite du projet, c’est-à-dire que la
prime de couverture du risque diminue. Ainsi, λ et τ ont leur
valeur qui diminue quelle que soit la nature des perspectives de
la banque. Le tableau 2 ci-dessous résume nos conclusions :
Tableau 2. Effets de la titrisation sur les déterminants de l’offre
de crédit, indépendamment des perspectives de la banque
ξ τ λ δ2 Qe Offre de
Crédit
Augmente Diminue Diminue Inchangé Inchangé Augmente

Comme nous le voyons, les conclusions ci-dessus concer-


nent la banque en tant que cédant, initiateur du transfert. Ce-
pendant, certaines conclusions restent valables si la banque agit
en tant que « servicer », parrain, ou leader de programmes de
titrisation. Dans ces cas, les honoraires perçus aideront la
banque dans sa recherche de fonds.
La titrisation a également des effets sur le volet de l’endet-
tement du processus de formation du capital. Autrement dit, la
titrisation permet d’ouvrir le marché des capitaux à de plus
petits emprunteurs qui, autrement, ne pourraient pas accéder à
ces marchés. Sur ce point, il est important de noter l’impor-
tance grandissante des investisseurs institutionnels (fonds de
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pension et d’investissement) qui sont de gros demandeurs de
titres émis dans les opérations de titrisation.

TITRISATION ET FRAGILITÉ FINANCIÈRE


La titrisation, ainsi que nous l’avons vu dans la partie
précédente, est généralement perçue comme une innovation
financière qui ne posséderait que des aspects positifs : elle
libère du capital, aide les banques à mieux gérer leurs actifs et
leurs passifs, permet de mieux gérer les risques, etc. Il est vrai,
en effet, que les banques qui titrisent leurs actifs peuvent ré-
duire leurs besoins en épargne, obtiennent des sources supplé-
mentaires de financement à des coûts plus avantageux, amé-

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liorent leurs ratios financiers et gèrent mieux les risques courus
par leur portefeuille.
Ce type d’innovation comporte, cependant, un certain
nombre de points négatifs. Ainsi que le montre tout à fait bien
la BIS (2001, idem) : « Alors qu’il y a de très nombreux
avantages pour les banques à s’engager dans les activités de
titrisation, ces activités peuvent pourtant augmenter le profil de
risque général des banques si elles ne sont pas conduites avec
prudence. En général, les risques courus par les banques dans
les opérations de titrisation sont de même nature que ceux
qu’elles courent dans leurs opérations traditionnelles de prêt ».
Cependant, les programmes de titrisation entraînent un ni-
veau de risque plus élevé pour les banques. Les raisons en sont
diverses. D’abord, la titrisation réduit les besoins en fonds
d’épargne. Ensuite, comme nous l’avons vu ci-dessus, elle
réduit la prime de risque du taux d’intérêt optimum. Enfin, elle
réduit les conditions de sécurité d’un prêt traditionnel. Ces
risques sont plus dangereux car certains d’entre eux ne sont pas
aussi évidents et sont plus complexes que les risques inhérents
au processus de prêt traditionnel.
Ainsi que la BIS (ibid., p.3) l’a montré, pour qu’une banque
cédante puisse sortir un bloc d’actifs titrisés de son bilan, elle
doit transférer ces actifs de manière légale ou économique par
une véritable vente, c’est-à-dire une novation, une cession, un
acte de fiducie ou une sous-participation. Autrement, les actifs
titrisés doivent rester dans les actifs pondérés par les risques de
la banque cédante afin qu’elle puisse calculer ses ratios de
risque.
Un autre point des programmes de titrisation qui mérite
notre attention, c’est qu’il est nécessaire d’avoir une demande
forte et soutenue de la part des investisseurs pour que ces
opérations réussissent (Davis, ibid., p.6). Cette forte demande
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dépend non seulement des sécurités mises en place pour
protéger les intérêts des investisseurs, mais également de leurs
attentes en matière de performances des titres ainsi créés. Une
fois que ces titres cessent d’être performants, une crise de
confiance peut survenir et ces investisseurs, même s’il s’agit
d’investisseurs institutionnels, peuvent rapidement reporter
leurs choix sur d’autres produits.
Donc, la titrisation aide les banques, qui font davantage
confiance aux « spéculateurs » pour leur amener des fonds, à
satisfaire leurs besoins en liquidités. Elle tend à accroître la
volatilité et la sensibilité aux fluctuations des taux d’intérêt. En
fait, le taux d’intérêt optimum s’est lui-même volatilisé en
réponse aux changements de préférences des investisseurs
institutionnels et des banques elles-mêmes. Comme le souligne

127
Carvalho (1997, idem, p.484) : « Tout bien pesé, nous devons
craindre que la prédominance d’une perspective de court terme
ne rende les économies plus fragiles d’un point de vue
financier, au sens de Minsky. Les investisseurs pourraient être
tentés, en raison de la grande diversité des produits disponibles
sur le marché, de financer leur accumulation de capital par des
instruments à court terme sur des marchés hostiles aux enga-
gements à long terme. En conséquence, les bilans devraient être
beaucoup plus vulnérables aux chocs des taux d’intérêt ou à la
disponibilité de fonds ».
Les innovations financières, tout comme les autres formes
d’innovation, sont généralement motivées par le profit. De
plus, les innovations sont faites pour « compléter et occuper »
les marchés. La titrisation correspond tout à fait à ce genre de
déterminants. Comme nous l’avons vu, les avantages types de
la titrisation compensent certaines faiblesses du marché du
crédit : un accès facilité au crédit, des taux d’intérêt plus bas,
une meilleure gestion des risques, une meilleure gestion des
actifs et des passifs, un accès facilité au marché financier, etc.
La face cachée de ce processus, c’est le comportement
cyclique de l’environnement économique. Un marché complet
ne signifie ni une absence d’incertitude ni une plus grande
efficacité au sens fort du terme. En même temps, donc, que la
titrisation aide à faire tomber les obstacles existant dans les
canaux d’intermédiation financière et facilite le financement
associé au processus de formation du capital, elle participe à la
plus grande volatilité des marchés financiers et à leur fragili-
sation. Dans la mesure où la surveillance des opérations de
titrisation s’améliore, cette fragilité tend à diminuer.
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