SPÉCIAL!
ACTEURS
Les nouvelles règles du jeu
IILA TECHNIQUE PERMET JUSTE DE DURER"
• Nouveau sociétaire ori-
ginal et lunaire de la Co-
médie-Française, Denis
Podalydès a conquis le pu-
blic en alternant avec brio
théâtre (Molière, Feydeau,
Gogol) et cinéma , notam-
ment dans les films de son
frère Bruno.
Le naturel contre la tech-
nique, tout contre. Je fais
partie d ' une génération
d'acteurs de théâtre qui a
plutôt été formée contre la
~
En compétition
technique, l'effet, le travail
autour de l'articulation. Mes
professeurs ne voulaient
Denis Podalydès pas de singes savants, mais
joue dans La Chambre des personnes, avec leur
des officiers, caractère propre. La tech-
de François Dupeyron. nique, c'est juste ce qui per-
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met à un acteur de durer.
Vitez disait : • C'est l'art de
faire et de refaire. " La tech-
nique ne doit pas se voir,
ou alors par défaut : on re-
marque moins les acteurs
qui en ont que ceux qui n'en
ont pas. Elle sert à domes-
tiquer ses tensions nerveu-
ses, surmonter sa psyché :
elle permet de devenir " im-
personnel "• comme disait
Jouvet. Ce qu'on appelle le
naturel ou la spontanéité,
c'est une chose très relati-
ve, suivant les époques. Sa-
rah Bernhardt incarnait le
triomphe du naturel. Vitez,
pareil. Alors que, mainte-
nant, ce jeu nous paraît le
comble de l'artifice.
Entretien
avec Denis
Podalydès
Pour cet acteur Théâtre et cinéma. Il y a
des acteurs virtuels dans
de théâtre la vie, capables de faire du
et de cinéma, cinéma. Au théâtre, ce n'est
pas possible : il faut des an-
longtemps nées de pratique pour sur-
perçu comme un monter le trac, se faire en-
"intello" avant tendre de toute la salle. Le
trava il au cinéma est plus
d'être catalogué microscopique, du coup on
"comique", a tendance à intérioriser, à
la technique sert jouer sur des détails. C'est
plus difficile de vraiment se
à domestiquer distinguer - il y a moins de
ses tensions,
à maitriser
temps, moins de prépara-
tion - et plus facile d'être
passable : on se rend à
sa psyché. Et peine compte qu'un film
ne doit surtout peut être raté parce que les
acteurs sont juste moyens.
pas se voir... Depuis que j e suis cata -
logué plutôt comme " co-
mique " au cinéma, on me
demande par exemple de
refaire telle ou telle grimace
aperçue dans un film ! Du
coup, je suis un peu frus-
tré. Le plus drôle, c'est qu'à
l'origine je ne me voyais
pas du tout comme un ac-
teur comique. J'étais mê-
me perçu comme acteur
intello. On me disait que
j 'étais un bon récitant, un
peu cassant, pète-sec.
Un rôle de composition.
Dans Liberté-Oléron, le pro-
chain film de mon frère
[NDLR : sortie le 20 juin].
j'ai un vrai rôle de compo-
sition . Ce n'est pas facile
au cinéma : on y sent tout
de suite le faux. Bruno m'a
poussé vers l'excès, et j'ai
dû faire le contraire de ce
que je fais d'habitude, moi
qui suis plutôt dans le re-
gistre de l'hurluberlu dis-
cret, de l'humour à l ' an- ~
SPÉCIALI ACTEURS
~glaise . Je me suis rendu
compte que j 'avais peur de
casser cette image que je
trouvais pourtant réductri-
ce. Comme s'il y avait des
interdits ! Dans la campo-
sition au cinéma , il n'y a
guère que Charles Denner,
Les nouvelles règles du jeu
''QU'EST-CE QUE LE NATUREL 7"
• Longtemps étiquetée
• romehrienne "• elle est dé-
sormais l'une des seules
actrices à couvrir toute la
gamme de la production
française, aussi étincelante
chez Claude Zidi que chez
Cédric Kahn.
L'apprentissage de la sin-
gularité. Quand je suis ar-
rivée en France, après une
enfance et une adolescen-
ce au Mexique, le monde
des cours de théâtre m'a
paru si sage, par rapport à
celui d'où je venais, que
mon premier réflexe a été
de me cacher sous une ap-
parence d'enfant studieu-
se et de comédienne clas-
sique ... J'ai eu la chance
qu'Eric Rohmer, le premier
cinéaste que j 'ai rencontré,
soit un maître dans l'art de
démasquer. Il a été celui
qui m'a vue vraiment, puis
mon professeur absolu .
Quand on joue pour Roh-
mer, on devient tous un
peu Rohmer. Son style est
si affirmé qu'il vous enve-
loppe, on fait partie de son
œuvre. Après avoir joué
dans ses films, on s'entend
dire : • Elle ne peut faire
que cela ... " C'est inexact,
car il s'intéresse plus qu'un
autre aux singularités, au
scintillement particulier de
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un de mes acteurs fétiches,
qui m'ait convaincu. Dans
Landru, il prend une autre
voix que la sienne pendant
pratiquement tout le film.
Il réalise une chose inouïe
en devenant presque un
personnage de BD.
chacun, qu'i l ne veut sur-
tout pas gommer ni amoin-
drir. On n' est pas inter-
changeable chez Rohmer.
Les paradoxes de
la comédienne.
Par la suite, dans
ce monde du ci -
néma qui prise
excessivement le
naturel et le natura-
lisme, il m'est souvent
arrivé de me sentir plu-
tôt surnaturelle, dans le
sens où , pour moi, rien
ne va de soi. Même lors-
que je joue les personna-
ges les plus incongrus, les
plus loin de moi, j 'entends
dire : • On a l'impression
que c'est toi et que tu ne
joues pas. " Mais jouer
veut-i l di re ressembler à
son époque ? Mon style,
ma marque, c'est proba-
blement que je suis diffi-
cilement assignable . Je
joue dans des films aux
antipodes les uns des
~
Hors compétition
Arielle Dombasle joue
dans Les Ames fortes,
de Raoul Ruiz, présenté
en clôture de la
sélection officielle.
Le but à atteindre. Quand
j 'ai fait de la mise en scè-
ne, j e me suis dit qu'un
bon acteur était quelqu'un
de perfectible, de souple,
mentalement et physique-
ment. Il y a un t rès beau
texte de Jean-Loup Rivière
"Me jouer
mol-même ne
m'Intéresse pas."
sur la différence entre le
bon et le grand comédien :
le bon comédien est celui
qu i atteint sa cible , son
personnage ; le grand co-
médien, c' est celui qui
tourne autour, qui crée une
œuvre autour comme disait
Entretien
avec Arielle
Dombasle
Elle a choisi le
métier d'actrice
pour se cacher
et non pour
se montrer.
A travers
des films aux
antipodes les uns
des autres, et
des personnages
qu'elle compose
entièrement.
Proust à propos de Sarah
Bernhardt. L'important,
c'est que l' acteur sente
qu'il sort de lui-même, qu'il
donne des choses dont il
n'avait pas conscience •
Propos recueillis par
Jacques Morlce
autres . Et quand je me
sens à l'étroit dans un
rôle, comme dans un cos-
tume trop petit, ou quand
les choses ne sont pas à
la hauteur espérée, j'es-
saie de compenser , je
constru is. Je sauve ma
peau. Rohmer dit toujours
que je suis une actrice
de composition : tout le
contraire de l'image que
les gens ont de moi. En
effet, je crée mes person-
nages entièrement. Me
jouer moi-même ne m'in-
téresse pas. Ma devise ,
c'est : ne te connais pas
toi-même. J'ai fait ce mé-
tier non pour me montrer,
mais pour me cacher.
Eloge du faux. Uza Min-
nelli raconte qu'elle se met-
tait dans un état épouvan-
table pour pouvoir pleurer
devant la caméra, jusqu'au
jour où elle surprit Ingrid
Bergman en train de se
mettre de la glycérine dans
les yeux. • Ah bon, vous ar-
rivez à jouer comme ça ? "
Ingrid lui répondit : • Ma
chère, ce qui compte ce
n ' est pas que tu sois
émue, c'est que le public
le soit. " C'est toute la ques-
tion . La même, au fond ,
qu 'un enfant m'a posée
un jour, à propos d ' une~