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Par
Étienne Pelletier
Université de Montréal
Décembre 2013
Résumé
elle-même, il tente de prouver que Freud n’est pas le maître du scepticisme que l’on
imaginait, mais l’héritier tardif d’une tradition perpétuant certaines erreurs philosophiques,
la métapsychologie, il relève les apories dans ses concepts et cherche à comprendre ce que
Freud a voulu pointer sans y parvenir – car sa thèse est qu’il tente de rendre compte de
l’épreuve de soi, de la vie qui ne peut s’échapper. Tout en reconnaissant cette intuition, il se
montre très sévère, surtout quant aux implications philosophiques du freudisme sur la vie.
Car ses attaques servent le projet philosophique de leur auteur, qui cherche à redéfinir la
vie comme être excluant toute ekstase2 au profit d’une pure affection, d’un s’éprouver soi-
même. La vie, pour Henry, ne peut apparaître ou s’apparaître à elle-même sous le mode de
l’autoaffection.
1
Mikkel Borch-Jacobsen, « L’Inconscient malgré tout » in Le Lien affectif. Paris, Aubier, 1992.
2
L’orthographe employée par Henry varie, mais on conservera celle-ci afin d’insister sur l’étymologie
d’ek-stasis et souligner son affiliation avec le langage de la représentation comme extériorité et ob-
jectivité.
1
Le concept de conscience sur lequel se base Freud n’est pas différent de celui des
philosophes et, plus généralement, de son utilisation dans le langage courant. Elle
son ressort. Au sens ontique, avance Henry, elle est l’ensemble des contenus apparaissant.
Au sens ontologique, c’est le pur fait d’apparaître. C’est à partir de cette conception que
Freud élabore celle d’inconscient, dont on distingue aussi la part ontique, essentiellement
classique de l’apparaître et de l’être (GP, 345). Selon Henry, cette méprise empêche Freud
qui n’en fait que l’autre de la conscience. Autrement dit, si cette dernière est le domaine de
apparition, la limite de non-présence qui borne toute présence extérieure. Henry appelle
conscience sur l’inconscient, en tant que celui-ci en est le principe, et en supposant qu’y
sont à l’œuvre les processus qui s’y manifestent. Mais l’inconscient, pour être connu,
dépend aussi de la conscience, car c’est par elle seulement qu’on peut le retracer.
3
Michel Henry, Généalogie de la psychanalyse. Paris, PUF, 1985.
2
On le voit, la conscience appartient au domaine ekstatique, c’est pourquoi Freud
reconduit l’erreur d’attribuer l’être à l’extériorité. C’est l’extériorité qui fonde la possibilité
domaine à l’autre, bref la transformation ics↔cs sur laquelle repose d’ailleurs la cure. Ce
nommer, l’essence de la vie « hors ekstasis » qui, dans son « auto-apparaître expulse de soi
l’ek-stasis (GP, 350) ». Le privilège accordé à l’extériorité se voit aussi lorsqu’il est
question des destins de pulsions, essentiellement doubles : ou bien leur finitude dans
motivées par le principe de réalité, l’autorité du Surmoi, etc., cette explication ontique ne
rend tout simplement pas compte de ce qui s’effectue réellement, à savoir l’épreuve de la
vie. Chez Freud, ce qui n’atteint pas son but correspond à ce qui n’est pas extériorisé. Le
cas échéant, le contenu demeure en latence, mais sous forme de représentation. Un exemple
à partir du concept d’idée-affect : c’est la représentation qui peut être admise ou récusée,
l’inconscient4 (GP, 351) », non pas en tant qu’il est pro-duit, mais comme la pro-duction
elle-même.
4
Henry est peut-être trop expéditif ici, puisque cette affirmation est difficile à défendre si l’on se réfère
à l’inconscient de la Traumdeutung, où c’est bien moins la représentéité que l’inscription mnésique qui joue
3
Cela implique que l’instance productrice ignore son produit, le considère comme
étranger à elle. D’où le choc du patient confronté à son contenu inconscient : il ne reconnaît
pas un fantasme ou un désir comme sien. Henry y voit une situation analogue à
conscience absolue, qui se manifeste dans son produit mais ne s’y reconnaît pas; elle se
tient devant son ob-jet sans reconnaître qu’il provient d’elle. La différence repose sur une
pour que le patient puisse redécouvrir ce qu’il a produit et qui lui est pourtant si
singulièrement autre (l’un des éléments à la base de la cure est la mise en lumière des
processus jusqu’alors voilés par l’objet incompris). Le caractère étranger des produits est
souligné comme une insuffisance de la conscience à nous éclairer sur leur production. Tel
qu’avancé dans L’Inconscient (1915), la thèse d’un inconscient est nécessaire car les
données conscientes sont en grande partie lacunaires. Selon Henry, cette insuffisance
d’idées. Ce faisant, on n’a affaire qu’à des représentations séparées de la réalité et de leur
apparaître – et il faut pouvoir expliquer pourquoi ils sont ainsi « séparés » –, puisque le rêve
est bien plutôt le récit qu’en fait le patient, de même que l’association d’idées fixe son
attention sur les contenus représentatifs. Forcément, si les contenus sont déracinés de leur
apparaître, ils semblent imprécis, incomplets, mystérieux, car leur caractère ekstatique
(ex. le rêve et son récit). À l’« imaginaire pur » se substitue une « formation langagière »
nécessaire à l’analyse, mais le nœud du problème est que les significations sont ensuite
un rôle fondamental.
4
hypostasiées, prises comme constituant l’essence du rêve lui-même. Un décalage entre la
significations sont créées ultérieurement par une Sinngebung (Henry utilise le terme
coupées de leur apparaître. Si poser des significations relève de la conscience, c’est dire que
tout le travail interprétatif du rêve se concentre sur le domaine ekstatique. C’est ici la
psychanalyse qui, passant à côté de la vie, pose des significations idéales : lorsque
l’analyste parvient à élucider le sens véritable d’une phobie comme le déploiement d’un
complexe œdipien, ce n’est pas le sens initial qui est reconquis, c’est plutôt une
signification idéale qui vient recouvrir l’épreuve intuitive d’un être vivant. Plus encore, fait
remarquer Henry, c’est la totalité des formations psychiques qui subissent le même tort :
fantasmes, formations symboliques, mythes, religions, etc., toutes sont réduites à des
significations idéales modelées sur le langage (GP, 357). L’inconscient est dès lors conçu
reconnaître « le rôle décisif de l’imaginaire dans la vie (GP, 358) », c’est-à-dire ce qui
Pour la vie, la question du sens est impertinente, elle n’a pas à y répondre (ou alors son
sens correspond tout simplement au mouvement de l’épreuve de soi, GP, 359). Pourquoi?
Parce que, martèle Henry, elle n’appartient pas au monde de la représentation, elle est
antérieure à toute ekstase, elle ne peut pas se voir, se concevoir comme ob-jet et ainsi se
5
Remarquons que Henry y voit un problème majeur, mais les processus secondaires (auxquels on
s’attarde et dont les formations sont selon lui hypostasiées) nous donne tout de même une idée du paysage
psychique du patient; ils sont l’expression intelligible de la « phénoménalisation ». On peut se demande si
Freud néglige réellement les processus primaires (l’apparition pour Henry) au profit de leur expression –
secondaire – langagière. Or, je serais porté à croire
qu’ici, Henry érige un homme de paille.
6
Et à tort, car la conscience donatrice de sens n’est pas d’emblée langagière.
5
signifier. L’intuition de la vie serait étouffée par Freud, bien qu’il tente de nommer la vie
formuler. Si les données conscientielles sont des « indices » de processus inconscients (cf.
phénoménalité, cela suppose que l’inconscient n’est pas qu’une zone latente inerte, mais au
contraire le lieu d’une activité constante et efficiente. C’est dans cette acception que
originelle de l’être en tant que la vie (GP, 362) », puisque c’est une tentative de dire le tout
autre de la représentation.
Le sens est un « contenu représentatif » (ex. rêves, mythes, actes manquées, symptômes
physiques), mais ce n’est pas la conscience qui est le principe de ceux-ci, c’est un « tout
autre » irreprésentable que l’ego éprouve sous un autre mode que la conscience de soi7. Est-
excède toute représentation, de ce qui est par définition indicible? Le problème n’est pas
exclusif à Freud, c’est également ce que cherche à faire Henry. Peut-il éviter, en pointant
Jacobsen fait remarquer que la critique de la représentation est aussi vieille que le concept
stase?). Michel Henry s’inscrirait lui aussi dans une généalogie de la représentation, comme
7
On remarquera ici une simplification de l’explication freudienne, ne serait-ce que parce qu’on met
l’accent sur la représentation et qu’on passe sous silence la dimension affective.
6
l’héritier d’une tradition tentant de penser son corrélat critique, son dehors (ne parle-t-il pas
de l’« hors ekstasis? » GP, 350). Ainsi, son entreprise n’est pas anti-représentative, elle est
dont il parle et qui désignent la vie n’impliquent-t-ils pas aussi une ekstase (LA, 195), au
fait dire à Borch-Jacobsen que Henry effectue une énième fondation du Sujet, cette fois-ci
« sur la base d’une auto-représentation (LA, 197) », et il se demande s’il peut éviter de
« confirmer l’empire du langage de la représentation… en pointant son tout autre (LA, 198)
brièvement avec son concept de pulsion. Malheureusement, ce n’est que pour retomber tout
psychique de la pulsion, qui présente dès lors quelque chose d’autre qu’elle (une
7
représentation). La pulsion se comprend à la fois comme ce qui se présente en tant que
saisir en elle-même activité, puissance et force », en plus de sa saisie comme existant dans
d’inconscience parce qu’on conçoit l’état de latence comme une réserve de représentations
(souvenirs, contenus refoulés). Par exemple, dans le cas d’un fantasme refoulé, la charge
affective qui lui est liée est bien consciente (l’affect ne peut généralement qu’être logé dans
comme si la structure de la phénoménalité était déployée, mais sans qu’il n’y ait apparition,
phénomène (GP, 364). Autrement dit, la représentation associée au refoulé n’est jamais
part, Henry relève l’aporie suivante : la pulsion n’est par définition jamais consciente, or
« n’existant psychiquement que par son représentant », cela signifie que la non-
épistémique de la pulsion à son représentant, en ce sens qu’elle ne peut être connue qu’en
8
L’inconscient se rapproche ainsi de la conscience représentative, et on peut y voir la
condition de la transformation de l’un dans l’autre, du passage de contenus d’un lieu vers
devient. Toutefois, pour éviter de tomber dans une stricte approche physiologique, Freud
affirme que les processus inconscients ressemblent aux « modalités de la vie consciente
(GP, 365) », mais c’est insuffisant pour Henry : le psychanalyste passe outre « l’essence
qu’il partage avec nombre de commentateurs –, mais également le geste posé pour pallier
psychique à de l’extatique (GP, 366) », Freud assimile « l’être des processus matériels », à
(essentiellement l’affectivité) n’est plus un s’éprouver ou éprouver son être et son histoire,
mais une histoire de représentations. Par exemple, le désir est le retour d’une représentation
de notre vie, de nos désirs, de notre histoire psychique, semble s’éclipser pour laisser place
9
Là où Derrida insiste plutôt sur les notions d’écriture, d’inscription, de traces, d’archivage (cf.
« Freud et la scène de l’écriture » in L’écriture et la différence, Paris, Le Seuil, 1967).
9
aux ob-jets du désir. Et pourtant, l’affect est au cœur de la psychanalyse et de son concept
représentant de la pulsion. Selon lui, cette méprise est symptomatique chez Freud du
L’excitation, qu’elle soit neuronale ou, plus tard, pulsionnelle, est censée être l’origine de
justement le propre de l’affect? Tandis que la partie représentative de la pulsion peut être
ou non consciente, l’affect, lui, ne pourrait pas ne pas être conscient10. Un sentiment est
perçu ou n’est pas. C’est donc dire que les excitations physiologiques ne sont qu’affects, et
ceux-ci ne peuvent effectivement pas être évités; « le moi » – car l’auto-affection est la
que spéculer en posant des quantités d’énergie derrière tout phénomène affectif. De même,
lorsqu’il attribue à l’organisme deux moyens d’être affecté, l’une extérieure (le système Φ
de 1895 et les stimuli externes dans Pulsions et destins de pulsions), l’autre interne
mais de l’affectivité vécue selon l’une ou l’autre des « modalités fondamentales de son
le substrat nécessaire à l’existence de l’affect perd son statut principiel dès lors que son
essence véritable est découverte dans l’affect lui-même. Elle est le fait de « s’auto-
10
Il suffit de penser à la culpabilité inconsciente pour douter de cette affirmation.
10
impressionner soi-même » sans pouvoir se fuir (=Ψ), et donc l’épreuve du poids de soi-
Si la vie ne peut s’échapper, cela signifie que l’énergie libidinale est constante, ce qui,
selon Henry, pousse Freud à corriger la thèse neurologique du principe d’inertie par le
principe de constance. Le flot affectif continu, qui n’est autre que le mouvement de la vie,
supposé commander ces variations n’existe pas, c’est un fondement directeur érigé a
scientifique subordonné à la loi de l’entropie. Il va même jusqu’à dire, non sans raison, que
la période neurologique et qui perdure jusqu’en 1924. Quel est ce schéma? Principalement
constance. Or, dans son texte sur Le problème économique du masochisme (1924), Freud
admet que l’augmentation des tensions puisse correspondre à un état de plaisir. Ainsi, les
que des observations d’ordre phénoménologiques; les excitations sont des « tensions
11
phénoménologiques », Freud décrit la vie qui s’éprouve et non les principes scientifiques
qui la gouvernent.
phénoménologue. Si l’affect est, par essence, phénoménalisé, ce qui fonde l’inconscient n’a
par conséquent rien de tel, ni ne pourrait être tel. La conscience à laquelle est contraint
sentiments les plus chargés d’affect (angoisse, amour, haine, etc.) sont soustraits des images
qui leur sont associées au profit de représentations innocentes et insignifiantes dans le but
de garder le rêveur endormi. Mais toujours l’affect demeure, s’éprouve. Dans le cas du
refoulement, l’affect est constamment éprouvé, c’est son sens (représentation) qui reste
méconnu (GP, 370), car il n’a jamais pu passer outre le préconscient. Le refoulement ne
concerne-t-il que les représentations? L’affect peut-il être refoulé, « un sentiment peut-il
être inconscient (id.) »? Freud exclut le commerce cs-ics des modalités de l’affect, ce
immédiat, jamais différé, l’affect ne peut être rejeté hors de la conscience, et c’est pourquoi
il ne peut que muter en un autre affect et ultimement en angoisse (cf. le cas Schreber). Cette
représentation, les affects ne peuvent que converger vers le point unique qu’est l’angoisse,
décrite comme l’épreuve que l’affect subit de lui-même. Auto-affection : l’affect se ressent,
12
la vie s’éprouve. L’angoisse est la « monnaie d’échange » commune à toutes les
contraint de supporter son poids. Freud lui attribuait une quantité d’énergie (un quantum
d’affect) dont il était chargé, et bien que ce geste soit encore le fait d’un langage
effet, Henry avance que ce ne sont pas les prétendues variations quantitatives qui sont
pertinentes, mais le « trop », l’excès de lourdeur qu’est l’affect pour lui-même. Tout
comme l’angoisse chez Heidegger, elle est décrite comme indépendante de tout étant
(étrangère au domaine ekstatique), elle n’est pas une peur ayant un ob-jet. L’angoisse est
une épreuve qui ne relève pas de la représentéité, précisément parce qu’on ne peut pas
poser l’objet de sa source. Impossible d’y échapper, mais infiniment difficile d’y faire face.
Henry formule le contre-argument suivant : si l’angoisse du jeune enfant peut être dit le
modèle de ses angoisses futures, ce n’est que dans la mesure où il fait l’épreuve de la vie
qui ne peut se fuir, l’expérience du « sentiment de Soi (GP, 379) ». L’angoisse freudienne
serait le sentiment que la libido éprouve d’elle-même, le poids d’une énergie qui doit sans
cesse se supporter. Ce n’est pas tant la libido dont il est question que la « libido
inemployée », au sens d’une libido refoulée (GP, 380). Or, le concept revisité du
sur la conscience de cette libido « refoulée » qui n’a rien d’inconsciente. Elle n’est pas dans
l’ombre, telle une agitation souterraine se signalant à la conscience via l’angoisse, elle est le
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sentiment tout à fait conscient (qui ne peut, à vrai dire, qu’être conscient) de la vie se
souffrant sous son propre poids à tel point qu’elle tente de se substituer à elle-même, de se
fuir (est-il si clair cependant que l’angoisse ne puisse pas être inconsciente?). L’angoisse est
ce conflit affectif dont nous vivons chaque étape : la vie jaillissant, la vie croulant sous la
surcharge qu’elle est pour elle-même, la tentative de fuite et l’impossibilité, par nature, d’y
parvenir.
L’une des conclusions importantes de Michel Henry est l’affirmation, non seulement de
soi. Le freudisme conduit, à son avis, à un pessimisme d’autant plus malheureux qu’il
repose sur des prémisses erronées (par exemple, si le pendant de l’angoisse va de paire avec
une « libido employée » – c’est le Freud de 1895-1900 –, elle implique une « liquidation de
la vie » car l’énergie libidinale, l’Eros conçu comme accroissement d’énergie, s’oppose
désormais au plaisir).
nombreux arguments, n’est pas exempte de critiques. Mikkel Borch-Jacobsen met en garde
une « inconscience de la conscience ». Dans Le Moi et le Ça, Freud admet que non
même une portion du Moi participe de l’inconscience. Ce n’est pas, comme le pense Henry,
que conscience et inconscient relèvent tous deux de la représentéité, que l’inconscient est
« résorbé » dans la conscience (LA, 212), mais plutôt que l’inconscient empiète sur le Moi,
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résiste pas au refoulé, au contenu inconscient, mais plutôt à son devenir-conscient. C’est
l’inconscient qui, dans la portion du Moi qu’il occupe, résiste « en tant que conscience, en
tant que moi (LA, 215) ». En vérité, le Moi s’oppose assez peu au Ça, il est davantage
Confronté à ce type de résistance, Freud avance que le travail herméneutique n’est pas
suffisant. L’analyste ne doit pas seulement extirper de l’inconscient ce qui y était enfoui et
exposer au patient l’objet apparemment étranger responsable de ses troubles. Ce dernier est
vécue dans le présent (Freud, cité dans LA, 214) ». Cette expérience s’éprouve hors du
domaine représentatif, où le patient n’aurait qu’à composer avec des images mnésiques; sur
fois qu’il le faut. Henry avance lui aussi que la cure nécessite une « modification de la
vie », la « condition de [la] conscience » doit être transformée pour qu’elle soit effective;
l’exhibition des représentations liées au conflit psychiques est insuffisante (GP, 385). Or,
affectif, et encore une fois, l’affect est constamment présent, c’est la représentation
aucun médiateur, il est toujours « agi » (LA, 217), et cette détermination active
s’accompagne de son pendant profondément passif, en tant qu’il ne peut se fuir, ne peut pas
ne pas se subir; l’affect est action (il n’existe qu’accompli, LA, 218) et passion, pathos.
De là le contre-argument majeur aux propos de Henry : l’affect n’est pas la pure épreuve
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l’inconscient (id.), la passivité caractéristique de l’affect qui s’éprouve sans se connaître (au
sens ekstatique) mais qui néanmoins sent son accomplissement. L’inconscient comme
« nom de la vie » ne serait donc pas l’expérience anté-représentative de soi. Pour appuyer
cette thèse, on peut se rapporter à des cas (résistance de transfert, sentiment [conscient] de
affection), et où « l’affect n’est pas éprouvé par le sujet » (LA, 222). Il est agi, mais si dans
sa passion le sujet souffre, ce n’est pas au sens du « se souffrir » henryien. Cette « radicale
non-présence à soi », cette « altérité » qui peut « hanter l’affect », ne serait-ce pas cela
l’inconscient (LA, 223)? Par exemple, dans la résistance de transfert, l’affect n’est, à
proprement parler, pas dirigé contre quelqu’un (l’analyste devient le visage anonyme et
singulièrement autre sur lequel l’analysé juxtapose chaque persona correspondant à ses
pas non plus éprouvé par le sujet, au sens où il ne relève pas de l’auto-affectivité, et ceci
parce qu’il requiert un rapport à un autre (l’analyste, même muet, effacé, ou voilé sous une
autre représentation par l’analysé)11. Quelque chose qui n’est pas moi – sans être un autre –
est affecté, et la source de l’affection n’est pas complètement hétérogène non plus;
l’affectivité n’est pas à trouver dans un Soi intime ni dans un tout autre. C’est dans cette
parenthèse que se situerait l’inconscient (LA, 225). C’est une chose de dire que
est une autre d’affirmer, comme le fait Henry, « que cette passion est bonnement l’envers
« éprouvée par le sujet », mais de considérer le lien affectif comme condition de possibilité
11
Ainsi faudrait-il faire la distinction entre sensation de soi et affectivité.
16
de cette affection (par exemple ici, le « rapport transférentiel »). Le narcissisme primaire et
le lien affectif originaire avec la mère sont d’excellents exemples évoqués par l’auteur : le
moi précoce est irreprésentable sans toutefois être une pure intériorité, et de même, le sein
Borch-Jacobsen, l’ambiguïté tient à ce qu’ils pensent tous deux la même chose d’une autre
manière. Henry pense l’ego et sa formation comme pure immanence, émergence de soi en
fondamentale de Freud est que « le moi naît », il suppose une « venue à soi à partir d’autre
chose que soi » (LA, 230). C’est pourquoi le nourrisson est le sein de sa mère,
« moi » (en devenir dans le cas du jeune enfant) se constitue à partir d’objets qui, formule
paradoxale, ne sont pas ob-posés à lui, représentés, ekstatiques. Son ego se forge en passant
par l’altérité qui néanmoins se rapporte à soi, et c’est ce type de lien affectif qui permet de
« penser l’ipséité comme rapport et le moi comme autre (LA, 231) ». Henry réduit les
pour saisir l’inconscient freudien, ce qui nous conduit à le concevoir autrement, comme le
moyen terme entre ce qui n’est pas moi sans toutefois être posé devant moi et mon essence
intime toujours dépendante des rapports affectifs à partir desquels elle se forme. Ce que
l’inconscient?
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